| (rossinazzo) i know you think its more than just bad luck |
| | (#)Mar 30 Jan 2018 - 1:02 | |
| liviana & vittorio i know you think its more than just bad luckHere's the day you hoped would never come, don’t feed me violence, just run with me through rows of speeding cars. The paper cuts, the cheating lovers, the coffee’s never strong enough, I know you think it’s more than just bad luck. ☆☆☆ Ça faisait combien maintenant, au juste ? Quarante bonnes minutes qu’il poireautait sur ce banc, et avec lui la chance qu’il soit à l’ombre sans quoi le soleil de l’été aurait déjà eu vite fait de le faire frire sur place. Quarante minutes c’était suffisant, c’était même déjà trop, et s’il continuait de tergiverser comme il le faisait l’épicerie aurait fermé et peut-être même que Liviana lui tomberait dessus en rentrant chez elle … Il aurait sacrément l’air d’un con, si cela arrivait. Et c’était à cela, plus ou moins, que ressemblait la discussion que Vittorio avait avec son for intérieur depuis l’instant où il avait posé son postérieur sur ce banc en attendant de trouver un courage qui tardait à venir. Le courage de se pointer devant l’épicerie bio de sa – mettons les bons mots – sœur et de se planter droit comme un I devant elle sans donner l’impression de perdre la face. Le courage de ne pas laisser son putain d’ego faire à nouveau sa loi et envenimer une situation déjà inextricable et désagréable au possible. Il y avait aussi eu ce bref moment d’hésitation, presque d’angoisse, où Vittorio s’était demandé si en choisissant le Livuel comme lieu de face à face il ne prenait pas le risque de tomber sur Nino ; Il n’avait pas revu son frère depuis leur sortie du commissariat, pas cherché à le revoir, pas envie de le revoir. Presque pas. Est-ce que Liviana l’avait revu, elle ? Etait-il venu chercher son chèque comme convenu ? Aurait-il les couilles de poser la question ? Il ne les avait même pas de se lever de ce foutu banc, alors. Où était-il, Nino ? Et bon sang pourquoi agissait-il comme s’il en avait encore quelque chose à foutre ? Il avait ce qu’il voulait, l’espoir que son cadet sorte définitivement de son existence et cesse d’être un frein dans sa tentative de faire amende honorable. Assumitene, Vitto. « Monsieur, le marché couvert va fermer, vous ne pouvez pas rester là. » La voix de la femme entre deux âges qui se tenait face à lui l’ayant brusquement sorti de ses pensées, il avait tourné la tête vers la droite en s’étonnant de ne plus y voir les fruits et les légumes que le stand près de lui vomissait encore à outrance la dernière fois qu’il avait posé les yeux dessus. Nouveau regard à sa montre ; Il était là depuis presque une heure, maintenant. « Si. ‘scusami. » Ayant depuis le temps compris qu’adopter le comportement un brin neuneu du touriste était ce qui lui garantissait le mieux de se faire bien voir où qu’il aille – le charme européen, sans doute – l’italien avait quitté son banc un peu déboussolé, presque tenté de rebrousser chemin avec son vélo posé juste là, contre le mur, et de faire l’autruche en prétendant qu’il n’était jamais venu jusqu’ici. Mais rebrousser chemin et ne pas payer sa dette ? Jamais de la vie, la fierté était en jeu, et elle lui était encore plus précieuse que son ego. Poussant le vélo jusqu’à la sortie du marché couvert, l’allure trahissant qu’il allait jusqu’à son but comme on allait jusqu’à l’échafaud, il avait abandonné son deux-roues contre le lampadaire qui s’élevait à deux mètres à peine de la petite épicerie. Précautionneusement, se cachant derrière chaque excuse de retarder l’échéance, Vittorio avait levé les yeux sur l’enseigne joliment décorée au-dessus du magasin, la police légère, les couleurs apaisantes, et toujours ce même questionnement quant à l’origine du nom qu’elle avait choisi pour baptiser son commerce. Lorsque la clochette avait tinté à son entrée dans le magasin son cœur avait à nouveau eu un bref sursaut, l’envie de se cacher entre deux rayons succédant à ses bonnes résolutions fugaces, et la silhouette de Liviana se dessinant dans l’encablure de la porte qui menait – probablement – à la réserve terminant de le mettre au pied du mur. « … salut. » Elle ne l’avait pas encore mis à la porte. Elle ne l’avait pas encore mis à la porte mais cela ne saurait tarder, peut-être, et presque dans l’urgence il s’était vu mettre la main à sa poche pour en sortir deux billets de cinquante dollars, deux billets de vingt, et un billet de dix pour compléter les cinquante-dollars qu’il lui avait coûté quelques jours auparavant. « Je suis venu te rendre ça. Le compte y est, tu peux vérifier. » Lui tendant les billets froissés, usés, d’une main qu’il voulait décider, il était resté ainsi bras en l’air à attendre qu’elle se saisisse de la monnaie et mette une bonne fois pour toute fin à cette dette qu’il avait envers elle et dont il souhaitait se délester au plus vite. « Et aussi te dire que j’étais désolé … » Les mots finalement étaient sortis presque malgré lui. « De m’être immiscé dans ta vie, que tu aies été mêlée aux problèmes entre mon frère et moi … de tout. J’aurais mieux fait de ne pas chercher à te rencontrer, je ne t’importunerai plus. Et je m’arrangerai pour que Nino non plus. » Il ne savait pas encore comment, il n’avait aucune envie de faire à nouveau face à son frère actuellement, mais il se débrouillerait. Il se débrouillait toujours. « Voilà, je … prends soin de toi. » Et il avait fallu que faire la pire des entrées en matière ne soit pas suffisant et qu’il se rende coupable de la pire des conclusions également. Pathétique. Autant que lui qui déjà faisait quelques pas en arrières et rejoignait la sortie du magasin, certain de ne plus être le bienvenue ici, et de ne jamais l’avoir été au fond.
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| | | | (#)Lun 12 Fév 2018 - 18:02 | |
| L’air désespérée, Liviana lança un regard à travers la fenêtre de son épicerie avant d’avaler une gorgée de son thé. Elle n’avait pas eu une journée aussi calme depuis une éternité, l’épicerie tout comme le quartier de TooWong semblait être coupé du monde. Plongée dans un silence absolue, l’italienne s’était attelé à un grand ménage, rangeant sa boutique, ses étagères ainsi que sa réserve avant de se laisser tomber sur une chaise épuisée par ses heures de travail. Elle attrapa un de ses cahiers d’inventaires ainsi que son ordinateur avant d’ouvrir la page internet de l’un de ses fournisseurs. Sa tasse de thé dans la main, un stylo dans l’autre, Liviana dressa la liste des produits dont elle avait besoin avant la fin de la semaine, du café, du thé, des fruits secs ainsi qu’une nouvelle gamme de céréales dont elle avait entendu parler dans un de ses magasines favori puisse passa commande. Liviana attrapa son téléphone et passa un coup de fil à sa nourrice afin d’avoir des nouvelles de son fils avant d’écourter la conversation lorsque des clients firent leur apparition dans la boutique. Elle s’occupa de plusieurs clients avant de terminer son rangement, elle déposa plusieurs cartons au bord de sa réserve avant d’entendre la clochette d’entrée retentir dans son commerce, elle déposa ses papiers sur l’une des étagères avant de jeter un coup d’œil derrière elle. « … salut » elle se figea sur place, incapable de dire quoi que ce soit. Elle ne l’avait pas vu depuis l’épisode du commissariat, elle n’avait pas eu de ses nouvelles depuis ce soir-là, elle commençait même à envisager l’idée que Vittorio soit retourné en Italie mais contre toute attente, il se tenait débout devant elle l’air beaucoup moins arrogeant. Sans un mot, elle le regardait fixement, guettant le moindre geste de sa part, elle se crispa lorsqu’il plongea la main dans sa poche puis arqua un sourcil en voyant plusieurs billets en sortir, que faisait-il ? « Je suis venu te rendre ça. Le compte y est, tu peux vérifier » elle n’avait guère envie de cet argent, mais elle avait compris après deux rencontre que Vittorio était un homme aussi têtue que compliqué. Bien que réticente, Liviana attrapa les billets usés par le temps qu’il lui tendait tout en cherchant la réelle raison de sa venue dans son regard « Et aussi te dire que j’étais désolé … » le son de sa voix, plus doux, plus sincère, l’apaisa « De m’être immiscé dans ta vie, que tu aies été mêlée aux problèmes entre mon frère et moi … de tout. J’aurais mieux fait de ne pas chercher à te rencontrer, je ne t’importunerai plus. Et je m’arrangerai pour que Nino non plus. » elle fit son possible pour paraitre désintéressée mais ce qu’il venait de dire lui serra le cœur. Leur situation n’avait aucun sens, il avait passé un temps certain à la chercher, il avait pris son courage à deux mains pour venir lui adresser la parole et maintenant qu’elle avait appris la vérité, il fuyait, tel un enfant après une grosse bêtise. Pourtant, malgré son envie de le retenir, elle n’avait toujours pas dit un mot, elle le regardait, simplement débout appuyé contre l’encadrement de la porte « Voilà, je… prends soin de toi » quatre mots, quatre petits mots qui avait levé les voiles sur les doutes qui persistait encore chez la jeune maman. C’était le moment, le moment ou jamais, Liviana passa ses mains dans ses cheveux avant de faire un pas en avant, puis un autre… « Vittorio, attends… s’il te plait » désormais à son hauteur elle avait posé sa main sur la sienne afin de la retirer de la poignée « Il est temps qu’on parle non ? J’ai pas mal de questions à te poser » avoua-t-elle en pensant à toutes ces choses qu’elle avait été incapable de demander à son père. Lentement, elle détacha sa main de sienne avant de fermer d’elle-même sa boutique, ils devaient être seuls pour discuter et mettre les choses aux claires. Elle fit volte-face avant de prendre appuie sur son comptoir, elle pensa à Nino, elle pensait à lui tous les jours depuis ce soir-là, elle devait l’avouer, ses cheveux en bataille et ses protestations avait laissé un vide dans son commerce « Tu as eu de ces nouvelles ? …Nino je veux dire » elle plaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille « J’ignore ce qu’il y a entre vous mais il n’est pas mauvais ou nocif, au contraire même… il a été d’un grand soutien et d’une grande aide lorsque j’en ai eu besoin » malgré leur différent, Nino avait été fidèle au poste et travailleur depuis le jour où elle l’avait rencontré « Donc… c’est mon frère lui aussi ? » le cœur battant la chamade, elle avait finalement posé la question qui lui brulait les lèvres depuis plusieurs jours.
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| | | | (#)Sam 24 Fév 2018 - 23:10 | |
| Les cent-cinquante dollars étaient une dette facilement remboursable et probablement tout aussi facilement oubliable, mais ce n’était pas celle qui pesait véritablement sur la conscience de Vittorio. D’ordinaire peu habitué à faire preuve d’altruisme pur, et préférant faire passer ses propres intérêts en priorité – car persuadé que personne d’autre ne le ferait à sa place, au fond – il s’était retrouvé en faisant la connaissance de Liviana face à un dilemme moral qui lui pesait plus qu’il ne voulait bien l’admettre. Plus qu’il ne l’aurait imaginé, également. Avant de commencer à l’observer, avant d’avoir eu la moindre conversation avec elle, il s’était construit à son sujet cette image détestable de petite fille riche qui avait eu tout ce que lui n’avait pas eu en grandissant, et qui – peut-être – ne le méritait même pas ; Elle n’avait jamais manqué de rien, n’avait pas grandi dans la misère et la crasse, n’avait jamais eu faim parce que son seul parent qui ne soit pas aux abonnés absent avait dépensé le peu d’argent qui les faisait vivre dans des bijoux en toque pour se prendre pour ce qu’elle n’était pas, ou pour se fournir en crack. Liviana avait vécu dans une jolie bulle dorée et pour cela Vittorio l’avait détestée avant même de pouvoir poser les yeux sur elle ; Et sans doute lui en voulait-il encore un peu, inconsciemment, même si elle n’y était pour rien, même si cela n’avait aucun sens. Mais jusqu’à ce qu’elle traverse la rue qui longeait son commerce pour venir le confronter lui, qui l’espionnait sans même plus se cacher depuis des jours, des semaines, l’italienne semblait avoir vécu une vie tranquille, une vie sans histoire marquée uniquement de la triste banalité des gens normaux : un enfant qui ne naissait pas là où on l’avait prévu, un mariage qui prenait l’eau. Avant qu’il ne lève le voile sur l’autre visage de son père, celui qu’elle ne connaissait pas, elle vivait une vie simple et sans doute un peu banale, mais une vie qui semblait lui convenir, et c’était lui qui était venu mettre tout cela en péril pour tenter de guérir un complexe d’abandon pour lequel elle ne pourrait rien faire. Il avait écorné l’image d’une famille déjà moins parfaite qu’il ne l’imaginait, il avait mis Nino sur son chemin, et il fallait que cela cesse ; Qu’ils en restent là. Et tournant les talons sans demander son reste, Vittorio était prêt à appliquer ses intentions au pied de la lettre et à faire en sorte qu’elle n’entende plus jamais parler de lui, presque agacé qu’elle le retienne d’un « Vittorio, attends … s’il te plait. » qui brisait sa résolution et grignotait dans la volonté qu’il tentait de conserver, comme il tentait de garder la face. « Il est temps qu’on parle non ? J’ai pas mal de questions à te poser. » Le sourire amer à moitié camouflé par le dos qu’il lui tournait toujours à moitié, il s’était simplement immobilisé comme pour montrer que s’il n’était pas encore dehors, il n’était pas certain de vouloir rester non plus. Quelles réponses espérait-elle obtenir de sa part ? Quelles questions voulait-elle poser dont elle était certaine de pouvoir digérer la réponse ? « Qui te dit que j’aurai les réponses ? » avait-il d’ailleurs fini par questionner à son tour, réponse à une question par une autre comme une tentative d’évitement vieille comme le monde. La main qu’elle avait posé sur la sienne pour l’empêcher d’ouvrir la porte s’était libérée seulement pour mieux tourner la clef dans la serrure, la laissant ensuite s’éloigner pour retourner au comptoir comme on retournerait de son côté de la barrière. « Tu as eu de ces nouvelles ? … Nino je veux dire. » C’était ça, c’était tout ce qu’elle souhaitait savoir, finalement ? Haussant les épaules pour seule réponse, Vittorio ne s’était pas avancé à commenter. Il n’avait pas revu Nino, non, il n’avait pas cherché à le revoir et il préférait bien avaler sa langue que de devoir admettre qu’une partie de lui se sentait plus coupable qu’en colère vis-à-vis de son cadet. Il n’en démordait pas pourtant, toute cette histoire, le hasard était trop gros. Naïve, pourtant, Liviana avait tenté de prêcher la bonne parole en lui assurant « J’ignore ce qu’il y a entre vous mais il n’est pas mauvais ou nocif, au contraire même … il a été d’un grand soutien et d’une grande aide lorsque j’en ai eu besoin. » mais n’avait provoqué chez Vittorio qu’un rire amer et la tête qui se secouait avec désespoir. Elle n’avait aucune idée de qui était Nino, ni de qui il était lui ; Elle n’avait pas conscience d’avoir fait entrer le loup dans la bergerie, et pourtant. « T’as aucune idée de qui il est, Liviana. Aucune. » Et aucune idée de qui était la personne qui se tenait en face d’elle et lui assurait une telle chose, au fond. Et faute de savoir comment amener la chose, comment expliquer et tenter de lui faire comprendre ce qu’il voulait qu’elle réalise, la question qui semblait lui brûler les lèvres lui avait échappé de but en blanc. « Donc … c’est mon frère lui aussi ? » Croisant les bras avec lassitude, l’italien était aller s’appuyer contre l’une des étagères de l’épicerie, l’épaule calée et le regard n’ayant pas quitté celle dont il partageait la moitié de l’ADN. « Non. Son père est peut-être le dernier des connards, mais au moins il en a eu un, lui. » Les premières années du moins, avant qu’il ne prenne le large pour ne jamais revenir, lassé sans doute des frasques de la mère, et pas suffisamment attaché à son rejeton pour qu’il soit une raison suffisante de rester. « Alors t’as pas à te sentir coupable ou redevable de quoi que ce soit envers lui, tu m’entends ? » Il voulait la convaincre, la persuader qu’il disait cela dans son intérêt. « Je sais qu’il présente bien, qu’il sait trouver les mots. Mais c’est ce qu’il fait, il a la tchatche, et à la première occasion il retournera ça contre toi. Il va te promettre monts et merveille, te dire qu’il a changé, te promettre d’être irréprochable, mais c’est toujours les mêmes excuses et les mêmes promesses, et tu veux un scoop : ça ne dure jamais. » Et si l’amertume dans la voix de Vittorio laissait penser – à raison – qu’une partie de lui ne cesser de le regretter et d’espérer qu’il en soit autrement, il en pensait pourtant chaque mot avec véhémence. « Me regarde pas comme ça … » Comme si elle le jugeait du regard, comme si elle ne comprenait pas pourquoi il se montrait si catégorique et si prompt à condamner le garçon avec qui il avait grandi. « Tu crois que j’ai pas essayé de le changer ? Que j’ai pas espéré pendant des mois, des années qu’il devienne enfin quelqu’un d’honnête ? » Bien sûr que si. Vittorio avait espéré tout cela, il avait espéré ouvrir la voie en rejoignant Rome, montrer à son cadet qu’ils pouvaient s’en sortir s’ils s’en donnaient les moyens, qu’ils n’étaient pas forcés de moisir au pied d’une barre d’immeuble de Scampia en attendant une mort certaine et probablement prématurée. Mais Nino n’avait pas suivi, Nino avait préféré prêter allégeance à la rue et à l’argent facile. Et ils en étaient là, désormais, exilés à l’autre bout du monde, à se faire la guerre comme deux molosses de combat pendant que Vince vivait sa vie de légume dans une chambre d’hôpital, et que dans les bas-fonds italiens leurs visages à tous les deux étaient décorés d’une cible.
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| | | | (#)Dim 4 Mar 2018 - 18:41 | |
| Alors qu’elle mettait tout en œuvre pour remettre de l’ordre dans son quotidien, la vie de Liviana s’était vu bouleversée par l’arrivé de Vittorio. Une fois encore, tout ce qu’elle pensait vrai s’envolait. La triste vérité s’était imposé d’elle-même, son père lui avait menti pendant des années, des années durant lesquels il lui avait caché l’existence de son fils, un fils qui aurait pu combler ses années de solitude. Déçue, blessée et en colère, Liviana se retrouvait au centre d’un drame familial. En dehors de ce qu’il avait bien voulu lui dire à la terrasse de ce café elle ignorait tout de Vittorio, elle le détestait autant qu’il l’intriguait. Elle avait tenté d’oublier, de le ranger dans un coin de sa tête en vain, comme si ne pas y penser suffirait à lui faire oublier la douleur provoqué par la trahison de son père. L’italien occupait ses pensées depuis l’épisode du commissariat, elle ajoutait chaque jour une nouvelle question à sa longue liste de questions, la dernière en date étant le rôle que Nino jouait au sein de ce joyeux bordel. Alors qu’elle ne pensait plus le revoir de sitôt, il venait de pousser la porte de son petit commerce, plus humain qu’auparavant, il lui avait rendu l’argent de la caution avant de lui faire – ce qui lui sembla être – des adieux. Elle hésita un moment, mais sa soif de savoir était bien trop forte comme son envie de faire un pas vers lui, d’une voix douce elle tenta le tout pour le tout en attirant son attention, elle devait lui parler, en savoir plus et obtenir des réponses à ses questions. « Qui te dit que j’aurais les réponses ? » personne pensa-t-elle presque immédiatement mais il était évident qu’il en savait plus qu’elle. Liviana retira la main qu’elle avait posée sur la sienne afin de fermer la boutique puis se dirigea vers le comptoir sur lequel elle s’appuya, elle resta silencieuse pendant une fraction de seconde, se contentant de le regarder dans les yeux, des yeux similaires aux siens qui lui rappelait sans cesse le mensonge de son père avant de poser sa première question. Contre toute attente, elle évoqua Nino et leur relation en premier, elle ignorait la raison de la haine mutuelle mais une part d’elle mourrait d’envie de leur venir en aide « T’as aucune idée de qui il est, Liviana. Aucune » « Je sais… » avait-elle murmurait. La vérité était belle et bien là, elle le connaissait pas Nino Marchetti, elle avait rapidement compris qu’il avait embelli son curriculum vitae pour se faire embaucher mais elle n’imaginait pas une seconde qu’il puisse être aussi mauvais que ce que laissait transparaitre les yeux de son frère, il lui avait apporté son aide – qu’elle jugeait sincère – lorsqu’elle en avait eu besoin. Elle inspira tentant de cacher le stress et la nervosité qu’elle ressentait à l’approche de sa prochaine question, même si elle redoutait la réponse, elle mit finalement des mots sur son interrogation, elle devait savoir, savoir si elle avait gagné un ou deux frères. Le cœur battant la chamade, Liviana ne quitta pas son regard, suspendu à ses lèvres elle attendait le verdict comme si cette réponse allait tout changer « Non. Son père est peut-être le dernier des connards, mais au moins il en a eu un, lui » . Elle baissa son regard, elle était presque soulagée de savoir que son père n’était pas celui de Nino même si au fond cela ne changeait rien à ce qu’elle ressentait envers lui. « Alors t’as pas à te sentir coupable ou redevable de quoi que ce soit envers lui, tu m’entends ? » elle releva son regard intriguée par ses paroles « Je sais qu’il présente bien, qu’il sait trouver les mots. Mais c’est ce qu’il fait, il a la tchatche, et à la première occasion il retournera ça contre toi. Il va te promettre monts et merveille, te dire qu’il a changé, te promettre d’être irréprochable, mais c’est toujours les mêmes excuses et les mêmes promesses, et tu veux un scoop : ça ne dure jamais. » il avait raison sur un point, Nino était doué pour se faire apprécier, mais elle n’en restait pas moins surprise – et choquée – par toute cette animosité entre eux. « Ne me regarde pas comme ça… Tu crois que je n’ai pas essayé de le changer ? Que je n’ai pas espéré pendant des mois, des années qu’il devienne enfin quelqu’un d’honnête ? » elle haussa les épaules en se détachant du comptoir « J’en sais rien, je n’étais pas là je te rappelle » elle n’avait pas grandi avec eux, elle ne connaissait rien d’eux en dehors de ce qu’elle avait appris ses derniers jours « J’essaie juste de te dire qu’il n’a pas été cette personne avec moi » elle ne cherchait pas à le faire changer d’avis concernant son frère, elle avait compris qu’il faudrait plus d’une discussion pour apaiser les choses entre eux. Nerveuse, elle se mit à jouer avec l’une de ses mèches de cheveux, elle avait encore tellement de question en dehors de Nino qu’elle ne savait pas par où commencer, peut-être fallait-il simplement reprendre les choses à zéro, dans l’ordre logique des choses « J’ai bien compris que tu voulais partir tout à l’heure mais tu ne peux pas… tu ne peux pas te pointer dans ma vie et disparaitre parce que tu te sens con, ça ne marche pas comme ça » elle avait conservé la même voix douce qu’auparavant, il avait le sang chaud, le légendaire sang chaud attribué aux italiens « Tu as voulu savoir qui j’étais, maintenant c’est mon tour, j’ai bien compris que ta vision de la famille ne ressemble pas à la mienne mais que ça te plaise ou non, nous en sommes une maintenant alors range cet air impassible et arrogeant, il me tape sur les nerfs » c’était dit, il avait traversé une bonne partie du globe pour venir à sa rencontre, il s’était imposé dans sa vie en la détestant, c’était désormais à son tour, de le juger, de prendre une décision. Elle jeta un coup d’œil rapide à travers la vitre avant de lui raccorder son attention, il n’avait pas bougé d’un centimètres et pour la première fois depuis son arrivé dans la boutique, elle n’arrivait pas à mettre une émotion sur ce qu’elle voyait à travers son regard « Tu le détestes probablement autant que moi maintenant mais je ne suis pas comme notre père d’accord ? » elle était même le total opposé, généreuse, altruiste, tolérante, profondément douce et gentille, incapable de faire du mal, parfois trop naïve. Elle rompit la distance entre eux en s’arrêtant devant lui « Donc, je veux tout savoir maintenant, raconte-moi » tout, elle voulait tout savoir, son enfance, la façon dont il avait appris son existence, ce qu’il avait dit à son père, tout.
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| | | | (#)Dim 25 Mar 2018 - 21:36 | |
| Elle était là, le jugement à peine voilé dans le regard tandis qu’elle l’écoutait la mettre en garde, la prévenir qu’elle se faisait de fausses idées et de fausses espoirs si elle espérait vraiment réussir à changer Nino en l’espace de ces quelques mois passés à le côtoyer, quand lui avait passé des années entières à ses côtés sans que cela n’ait été suffisant. Sans que Nino ne se donne la peine de suer pour rejoindre le bon côté de la barrière, quand le mauvais côté était si séduisant et si facile d’accès. Liviana pouvait juger tant qu’elle voulait mais elle ne savait pas, elle n’avait pas les billes pour faire flancher Vittorio et pas les souvenirs et les années nécessaires pour voir Nino d’un angle plus grand. Plus cruel, plus dur, aussi. « J’en sais rien, je n’étais pas là je te rappelle. » avait-elle-même eu l’audace de lui faire remarquer, tranchante, le visage de l’italien se fermant à un ton égal au sien pour faire remarquer « À qui la faute ? » parce qu’elle se trompait de cible. Ce n’était pas de sa faute à lui, Dieu sait que là-dessus même Nino n’avait rien à se reprocher ; Liviana vivait mal l’enfance solitaire de fille unique qui avait été la sienne, soit, mais le seul responsable de ce fait avait vécu sous son toit, à elle. « J’essaie juste de te dire qu’il n’a pas été cette personne avec moi. » ajoutait-elle enfin pour en revenir au sujet de conversation véritable, Nino, provoquant au passage chez Vittorio un roulement d’yeux à peine voilé. La preuve qu’elle n’avait rien écouté à ce qu’il avait dit juste avant, et l’italien n’était pas du genre à aimer radoter, à vrai dire rien ne le crispait plus que l’impression de devoir se répéter et de ne pas avoir été écouté la première fois. Quittant son comptoir, et inconsciemment la barrière qui se tenait toujours entre elle et lui, la jeune femme était venue se planter devant lui avec une apparente certitude « J’ai bien compris que tu voulais partir tout à l’heure mais tu ne peux pas … tu ne peux pas te pointer dans ma vie et disparaitre parce que tu te sens con, ça ne marche pas comme ça. » Les bras toujours croisés, sourcillant à peine, lui l’écoutait sans broncher « Tu as voulu savoir qui j’étais, maintenant c’est mon tour, j’ai bien compris que ta vision de la famille ne ressemble pas à la mienne mais que ça te plaise ou non, nous en sommes une maintenant alors range cet air impassible et arrogeant, il me tape sur les nerfs. » Narquois, le sourire avait remplacé l’air impassible qu’elle semblait à ce point tenir en horreur, sans que l’arrogance ne prenne elle la peine de s’estomper. Elle ne savait pas à qui elle avait affaire, elle n’avait pas conscience de la dose d’arrogance supplémentaire dont il aurait pu faire preuve à son égard s’il en avait eu envie. « Tu penses vraiment qu’il suffit de partager une moitié d’ADN pour être une famille ? » Sans attendre sa réponse, il avait secoué la tête avec lassitude « Dans ton monde, peut-être. » Mais clairement pas dans son monde à lui. Sa famille était ailleurs, bancale, imparfaite, mais empreinte de preuves et d’actions qui lui donnaient tout son sens. Et là-dedans le père de Liviana n’avait clairement pas sa place. « Tu le détestes probablement autant que moi maintenant mais je ne suis pas comme notre père d’accord ? Donc, je veux tout savoir maintenant, raconte-moi. » Et voilà qu’à trop vouloir user de sa gentillesse l’italienne versait de l’huile sur un brasier que Vittorio n’éteignait déjà jamais vraiment, le poussant à quitter l’étagère contre laquelle il était appuyé pour mettre de la distance entre lui et ce petit bout de femme qui pensait tout savoir de ce qui se tramait dans sa tête. « Arrête de tout ramener à toi, d’accord ? » qu’il avait balancé sur le même ton, la pointe de hargne en plus. « Tu penses que toi et moi on a vécu la même chose parce que Papa ne venait pas te border tous les soirs, ou avait trop de travail pour venir à ton spectacle de fin d’année ? » Elle le faisait rire (jaune) avec ses problèmes de pauvre petite fille riche. « Tu sais rien de ma vie, t’as jamais manqué de rien, t’as jamais eu à quémander pour que ton frère et toi ayez à bouffer, et t’as pas passé des années à te demander si tu deviendrais plutôt dealer ou usurier si on te refusait une bourse, alors que pendant ce temps-là le pourri qui t’a filé ses gênes se demandait s’il voulait plutôt sa Merco en noir ou en gris ! » Elle le faisait vomir avec son excès de bon sentiment, et cette apparente volonté qu’elle avait de faire d’eux une famille heureuse qui se tiendrait la main en échangeant des souvenirs d’enfance. « Qu’est-ce que tu veux que je te raconte, Liviana ? T’as déjà une famille, tu sais déjà d’où tu viens, et si ce n’est subitement plus assez bien pour toi c’est pas mon problème, j’étalerais pas tout ce qui a merdé dans mon existence pour que tu te sentes subitement mieux dans la tienne. » C’était pour ainsi dire la seule explication qu’il parvenait à trouver à cette soudaine curiosité qu’elle avait à son égard, à ce besoin qu’il lui « raconte » Dieu sait quoi alors que leurs deux existences étaient à mille lieux l’une de l’autre et que sa seule erreur à lui avait été de venir fouiner trop près d’elle. « En ce qui me concerne mon père est mort, et c’est comme ça que j’le préfère. » Mais soit, qu’elle continue à comparer son vague désaveu paternel en ayant compris que l’homme qui l’avait élevé n’était pas le super-héros que s’imaginaient toutes les petites filles, à l’absence qui se creusait depuis trente-deux ans de son côté.
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| | | | (#)Mer 18 Avr 2018 - 18:07 | |
| Malgré tous ses efforts pour se montrer forte et impassible, Liviana restait humaine, incapable de détester et incapable de juger son prochain. Nino n’avait pas fait exception à sa règle, elle s’était promis d’être méfiante mais face à l’italien paumé, elle avait baissé les armes en le laissant entrer dans sa vie et dans son cœur. Elle s’était menti à elle-même pendant des semaines, son attachement pour celui qu’elle qualifié de tête de mule était aussi sincère que son amitié pour James. Pourtant, face aux propos de Vittorio elle ne paraissait pas surprise, en dehors du fait qu’elle n’arrivait pas à comprendre leur haine mutuelle, Liviana ne doutait pas une seconde de véracité de ses propos. Nino lui avait menti plus d’une fois en trois mois, elle s’était même demandé si ces talents d’acteurs et de manipulateur ne serait pas plus bénéfique au monde du cinéma plutôt qu’à son petit commerce mais malgré tout elle était triste à l’idée de ne jamais le revoir ce que son demi-frère ne semblait pas disposé à entendre. L’italienne abandonna l’histoire Nino, elle avait compris à son regard qu’il ne changerait pas d’avis aujourd’hui mais il avait raison sur un point le seul responsable de ce déchirement familiale était probablement installé à la terrasse d’un restaurant italien en train de boire un verre de vin hors de prix. Le cœur de nouveau brisé, elle se rattachait à la seule chose qui avait un peu de sens dans cette histoire, la trahison de son père lui apportait une famille, un frère dont elle avait rêvé pendant de nombreuses années. « Tu penses vraiment qu’il suffit de partager une moitié d’ADN pour être une famille ? Dans ton monde, peut-être » elle arqua un sourcil, il était odieux, presque insupportable mais il ignorait encore qu’à sa manière aussi, elle pouvait être têtue et persévérante. Elle soupira, exaspérée par cette attitude de dur à cuire avant de durcir à son tour le ton de sa voix, elle détestait agir de la sorte mais avec Vittorio, elle ne voyait pas d’autre solution pour le moment. Elle ne le blâmait pas – ou plus -, Liviana éprouvait désormais une tendresse incompréhensible à son égard « Arrête de tout ramener à toi, d’accord ? Tu penses que toi et moi on a vécu la même chose parce que Papa ne venait pas te border tous les soirs, ou avait trop de travail pour venir à ton spectacle de fin d’année ? » elle le fixa sans un mot, elle ne savait pas quoi lui dire, cette colère qu’il dégageait la blessé plus que ce qu’elle ne le laissait paraitre. « Tu sais rien de ma vie, t’as jamais manqué de rien, t’as jamais eu à quémander pour que ton frère et toi ayez à bouffer, et t’as pas passé des années à te demander si tu deviendrais plutôt dealer ou usurier si on te refusait une bourse, alors que pendant ce temps-là le pourri qui t’a filé ses gênes se demandait s’il voulait plutôt sa Merco en noir ou en gris ! » elle haussa les épaules sans quitter le quitter des yeux « Et toi, tu veux pas arrêter deux secondes de faire comme-ci tout ça s’était ma faute ? » elle n’avait jamais manqué de rien, elle avait eu plus d’argent que nécessaire mais elle n’avait pas le courage d’être désignée comme la responsable de l’enfance affreuse de son demi-frère. « Qu’est-ce que tu veux que je te raconte, Liviana ? T’as déjà une famille, tu sais déjà d’où tu viens, et si ce n’est subitement plus assez bien pour toi ce n’est pas mon problème, je n’étalerais pas tout ce qui a merdé dans mon existence pour que tu te sentes subitement mieux dans la tienne » elle ne le comprenait pas. Liviana avait beau chercher une raison logique à son attitude, rien n’expliquait sa manière d’agir avec elle, il l’avait cherché puis espionné pendant des semaines avant de finalement lui adresser la parole pour au final se montrer distant et glacial avec elle. « En ce qui me concerne mon père est mort, et c’est comme ça que j’le préfère » « J’avais compris oui » elle n’ajouta rien de plus concernant son paternel, il n’avait surement pas envie d’entendre à quel point elle se sentait trahi et blessé par les mensonges de celui qu’elle avait pourtant admiré pendant toute sa vie. Liviana ne bougea pas, elle refusait de se montrer distante avec lui se promettant de ne pas laisser sa peine se lire sur son visage « Je ne sais pas quoi te dire Vittorio, j’essaye mais je n’arrive pas à comprendre ce que tu attends de moi… » elle avait d’abord cru qu’il avait besoin de lui éclater la vérité en pleine face mais sa façon de vouloir la protéger de son propre frère lui faisait comprendre le contraire « J’ai une famille, un petit garçon d’un an et demi, il s’appelle Luca… c’est lui ma famille, ce qui compte le plus dans ma vie désormais… » elle ne tentait pas de l’amadoué avec sa maternité mais plutôt d’être la plus sincère possible « … maintenant, voilà, tu as le choix, je t’offre une place dans cette vie, c’est loin d’être de la pitié ou une obligation, j’en ai envie, vraiment… mais je ne déciderais pas pour toi alors à toi de savoir ce que tu veux… » elle leva les épaules, elle ne pouvait rien lui dire de plus.
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| | | | (#)Lun 21 Mai 2018 - 20:41 | |
| Il y avait quelque chose de profondément exaspérant, aux yeux de Vittorio, dans la bonté naïvement exacerbée de Liviana ; Dans cette obsession qu’elle semblait avoir d’arrondir les angles, de chercher excuses et demi-explications pourvues qu’elles aient l’air d’apaiser les tensions. De là où il venait les femmes avaient du répondant, cette hargne nécessaire à ne pas se faire bouffer, elles parlaient fort et se tenaient prêtes à bondir toutes griffes dehors : l’exact opposé de la douceur et du stoïcisme de l’italienne qui se tenait devant lui, et la preuve ultime à ses yeux que tous les deux ne venaient pas du même monde. « Et toi, tu veux pas arrêter deux secondes de faire comme-ci tout ça c’était ma faute ? » Et le voilà qui roulait des yeux en guise de réponse, presque tenté de lui demander si justement, ça ne l’était pas au moins un peu. Qui sait, au fond, si leur père ne se serait pas plus intéressé à son fils s’il n’avait pas eu une fille avec son « officielle » - peut-être aurait-il eu un père, si ce dernier n’avait eu qu’un seul enfant. Peut-être qu’il aurait vécu ailleurs, peut-être même que Gennaro n’aurait pas mal tourné. Beaucoup de peut-être qui ne menaient à rien, et des suppositions qu’il avait finalement décidé de garder pour lui, se contentant de rétorquer « Si tu arrête de faire comme si ta situation et la mienne étaient comparables. » avec l’aplomb de celui qui ne concevait pas de ne pas avoir le dernier mot à ce sujet. Elle se fourvoyait à son sujet, visiblement persuadée d’avoir trouvé par leur moitié d’ADN en commun une épaule sur laquelle pleurer ses misères de femme qui avait attendu la trentaine pour prendre conscience de la réalité de la vie. Mais ils n’avaient rien en commun en réalité, le sang ne faisait pas le reste, et de cet homme qu’ils avaient en commun Vittorio estimait avoir déjà fait un deuil acerbe. « J’avais compris oui. » Et pourtant elle en semblait pincée, sans qu’il ne saisisse très bien pour quelle raison. « Je ne sais pas quoi te dire Vittorio, j’essaye mais je n’arrive pas à comprendre ce que tu attends de moi … » Et lui n’arrivait pas à comprendre pourquoi elle le retenait encore, pourquoi elle tentait de lui apporter des justifications qu’il n’avait pas demandé, pourquoi sa main était venue l’arrêter lorsqu’il avait attrapé la poignée de la porte pour prendre la fuite. « J’ai une famille, un petit garçon d’un an et demi, il s’appelle Luca … c’est lui ma famille, ce qui compte le plus dans ma vie désormais … maintenant, voilà, tu as le choix, je t’offre une place dans cette vie, c’est loin d’être de la pitié ou une obligation, j’en ai envie, vraiment … mais je ne déciderais pas pour toi alors à toi de savoir ce que tu veux … » Et à cet instant, bien qu’au fond la réponse ait toujours été limpide dans un coin de sa tête, il avait pris la mesure d’à quel point il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il voulait. Il avait observé – espionné serait le terme plus exact – la jeune femme durant des semaines depuis la terrasse du café juste en face, de l’autre côté de la vitrine du magasin. Il avait parcouru la moitié du globe pour voir à quoi ressemblait celle qui lui avait volé une enfance dont il n’était pas entièrement certain d’avoir voulu, tout en la jalousant malgré tout. Mais jamais, à aucun moment, il n’avait songé à l’après … Au fond il aurait préféré que Liviana soit simplement détestable, et rien de plus. Les choses auraient été plus simples. « J’en sais rien. Mais probablement pas ce que toi tu veux. » avait-il finalement répondu, au moins certain de ce fait-là. « J’avais besoin de voir à quoi ressemblait celle qui a vécu l’enfance que j’aurais pu avoir … C’est tout. J’ai jamais attendu quoi que ce soit de ta part, Liviana. Je ne veux rien de toi. » Et par pitié, qu’elle ne se mette pas en plus à pleurer quelque part au milieu de ce qu’il avait à dire. Il n’était pas taillé pour ça, et les larmes le mettaient mal à l’aise. « T’as peut-être envie de cette extension de famille que je pourrais former pour toi, mais ça n’arrivera pas … Je ne suis pas ta famille, et tu n’es pas la mienne non plus. Ma famille c’est mes frères, et rien d’autre. C’est pas forcément un cadeau, et parfois je m’en passerais volontiers, mais jamais je te ferai une place comparable à la leur. » Parce qu’ils n’avaient pas le vécu commun nécessaire, et pas parce qu’il n’en avait pas envie. Parce qu’il n’y avait pas de place pour un pont entre leurs deux univers, définitivement dans l’opposition plutôt que dans la complémentarité. « Et puis soit un peu raisonnable … C’est vraiment l’exemple de famille que tu veux pour ton fils ? Un père qui n’assume pas ses actes, des voyous en guise d’oncles, presque ? J’en doute. » Et puisqu’elle avait ce discours indigeste des mères qui considéraient leur rejeton comme la huitième merveille du monde, nul doute qu’elle saurait réaliser ce qui était mieux pour son fils, plutôt que ce qu’elle pensait être mieux pour elle. « Je me suis laissé aveugler par ma curiosité et mon besoin de trouver un bouc émissaire, c’est pour ça que je suis venu, et c’était une erreur. La seule chose que j’estime te devoir c’est de réparer cette erreur, c’est ça, ce que je veux. Je ferai en sorte que Nino ne vienne plus t’importuner, tu n’entendras plus parler de moi … et ça s’arrêtera là. » Et c’était tout ce qu’elle pourrait espérer de sa part, tant il refusait de s’impliquer davantage dans la vie de ce qui, en dépit de tous les efforts qu’elle déployait, ne restait qu’une étrangère à ses yeux. Pas plus une sœur que son fils n’en était un neveu potentiel, quand bien même elle tentait sournoisement de l’utiliser comme argument. « Au revoir, Liviana. » Et cette fois-ci il ne l’avait pas attendue pour ouvrir la porte, et quitter le magasin tandis que tintait la clochette signalant d’ordinaire l’arrivée d’un client, mais sonnant ce jour-là le glas de cette mascarade.
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| | | | | | | | (rossinazzo) i know you think its more than just bad luck |
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