La chaleur de la nuit enveloppait son corps d'une tendre caresse. Tess dormait à poing fermé, quand finalement, un bruit la fit sursauter. La sonnette. Encore endormie, se demandant si elle rêvait ou non, la jeune femme n'ouvrit pas les yeux. Elle grogna en entendant des pas dans l'escalier, sans réaliser si c'était un rêve ou la réalité. Elle se rendormie presque tout de suite, avant que quelques secondes plus tard, Oliver n'entre dans sa chambre. Elle ne l'entendit pas pousser la porte, ni même approcher d'elle. Elle sentie sa main toucher sa peau, doucement et elle entendit sa voix encore fatiguée dire tout bas « Tess, Leena est là... ça n'a pas l'air d'aller ». La jolie métisse ouvrit les yeux, dessinant dans l'obscurité le visage endormi aussi de son colocataire, elle répondit d'une faible voix « quoi ? » se demandant encore si c'était un rêve ou non. Son colocataire lui demanda de se lever, tout en allumant la lumière de sa table de chevet. Tess ferma les yeux, agressée par la lumière et très vite, comprit que quelque chose n'allait pas avec Leena. Elle ouvrit sa couverture pour quitter son lit, se retrouvant avec Oliver. Sa main passa sur ses tresses, tandis que son colocataire retournait se coucher dans sa chambre. La trentenaire allait pour sortir de sa chambre, quand Leena arriva. Elle était dans un état... son maquillage avait coulé, elle ne tenait pas droite, elle s'excusait, tout en racontant son état. Tess l'accueillit dans ses bras et un vent de panique la succomba alors. Qu'est-ce qu'il était arrivé ? Pourquoi était-elle dans cet état ? Paniquée, elle caressait les cheveux de sa meilleure amie en tentant de la réconforter comme elle le pouvait par cette étreinte. Elle était triste, ne se sentait pas bien et elle avait bu... Tess fit un pas en arrière, posant ses paumes sur le visage de sa meilleure amie, dégageant ses cheveux « Leena qu'est-ce qu'il s'est passé ? Ca va ? » les yeux de la métisse glissèrent sur sa meilleure amie, elle ne semblait pas avoir été blessée, ni avoir fait de mauvaise rencontre. Mais elle voulait l'entendre de la bouche de Leena. « Viens » lança t-elle en la faisant entrer dans sa chambre. Tess l'aida à retirer son manteau et rangea son sac sur son bureau, invitant sa moitié à s'asseoir sur son lit. Leena semblait tellement triste, tellement désemparée, Tess s'inquiétait, qu'est-ce qui avait pu la mettre dans un tel état ? Ses parents ? Elle savait qu'elle devait les voir, ou bien est-ce qu'il s'était passé quelque chose avec Rhett ? A ce nom, Tess sentit son sang se glacer. Elle espérait sincèrement qu'il ne lui avait pas fait un sale coup, parce que là, elle irait lui casser la gueule. La jeune femme s'installa sur son lit, accueillant de nouveau sa meilleure amie contre elle. Son tee-shirt de NBA cachant à moitié son corps endormie, Tess s'en fichait. Leena l'avait vu en sous-vêtements, ça ne la dérangeait pas. Et puis dans tous les cas, dans l'état dans lequel était sa meilleure amie, clairement... ça n'était que le cadet de ses soucis. La métisse attendait des explications. Mais elle sentait aussi que Leena était vaseuse. Elle avait besoin de vomir. « Attends viens, on va aller à la salle de bain » entraînant alors sa meilleure amie à l'extérieur de la chambre, elles avancèrent jusqu'à la dite salle de bain. Allumant les lumières, la métisse aida Leena à se mettre au dessus de la cuvette. « Faut que tu vomisses là » mais Leena semblait réticente à cette idée. Tess le savait, elle détestait vomir. Mais Tess avait l'habitude de la faire vomir, afin qu'elle se sente mieux. Elle se pencha vers son amie et enfonça ses doigts dans sa bouche pour la faire vomir de force. Elle du s'y prendre à plusieurs reprises et clairement, ce qui tomba dans la cuvette à ce moment là puait tous les alcools possibles et inimaginables. Leena termina toute seule, Tess lui tenant les cheveux en arrière, la calmant comme elle le pouvait de sa voix douce « ça va aller bébé... ». Tess se lava les mains et apporta une serviette à son amie. « Tu veux prendre une douche pendant que je te prépare à manger, et on en parle après ? » proposa t-elle doucement en replaçant les cheveux de Leena tendrement.

La porte de la salle de bain fermée, Tess soupira doucement. Elle retourna dans sa chambre pour sortir un pyjama propre, ce qui s'avérait être un tee-shirt de NBA et un short noir, tout simplement. Elle posa le tout sur son lit, ainsi qu'une culotte propre et puis traversa le couloir pour aller toquer doucement à la porte de son colocataire Oliver. Elle entendit sa voix et entra doucement « ça va ? » demanda t-elle alors que son colocataire s'était recouché. Elle s'approcha du lit en l'écoutant, comme d'habitude, son sommeil ultra léger ne lui permettait pas de dormir, donc finalement, ce n'était pas si dérangeant que ça et puis bon... c'était Leena. Tess ne ramenait jamais personne chez elle hormis elle, alors il passait sur ce genre d'évènement, bien évidemment. La métisse s'approcha du lit et doucement, s'accroupit au bord, tout près de son ami. « Elle n'est vraiment pas bien... je vais lui faire à manger et elle va dormir ici, d'accord ? » le prevenait-elle d'une voix douce. Oliver était vraiment mignon, le visage encore endormi, triste pour Leena. Tess sourit et lança alors « je t'invite à aller faire pipi dans le jardin ceci-dit, elle a vomi et ça pue » plaisanta t-elle alors, invitant son coloc à rire aussi. Elle se leva, souhaitant une bonne nuit à son ami et ferma la porte pour descendre à la cuisine. Bon... qu'est-ce qu'elle pouvait faire à manger à Leena ? Elle alluma la lumière et commença à ouvrir le frigo, puis les placards. Il y avait un reste de lasagnes de ce soir... vendu ! Elle prit l'assiette et la plaça au micro-ondes afin de le réchauffer, attendant contre le plan de travail, le regard vitreux. Quand la sonnerie retentie, elle sortit l'assiette, prit une fourchette et une feuille de sopalin avant de prendre une bouteille d'eau dans le frigo et de remonter. Leena était sortie de la salle de bain, allongée sur le lit, elle semblait mitigée entre l'envie de pleurer et de rire. Tess s'approcha en murmurant « Tadaaaam, madame est servie ! » mais elle perdit son sourire quand sa meilleure amie déclina l'envie de manger. Une moue boudeuse se dessina sur le visage de la métisse alors qu'elle tendait quand même l'assiette à sa meilleure amie. Déposant la bouteille d'eau fraîche à ses côtés, elle ne tarda pas à se laisser tomber sur son matelas en attendant d'en savoir plus sur cette soirée. La tête de Leena vint se poser contre son épaule et machinalement, sa main vint caresser ses cheveux mouillés. « Heureusement que toi, t'es là » lança t-elle alors en souriant, croisant son regard. Tess sourit, doucement. Sa meilleure amie s'excusa très vite d'avoir sonné chez eux, ce à quoi Tess rétorqua tout de suite « hé mais ici c'est chez toi, t'as même pas à t'excuser... et puis Oliver dort jamais, c'est pire qu'un hiboux, t'inquiète ! » rigola t-elle. Tess ne pu s'empêcher de sourire à cette réflexion, c'est vrai qu'Oli était super en vrai. Le délit de cette soirée était simplement que Leena avait passé une sale journée. C'était-il passé un truc nouveau, au travail ? Avec ses parents ? Un pote ? Ou Rhett ? Tess l'ignorait encore, mais elle comprenait que oui, ça n'aille pas et qu'on décide de sortir pour se changer les idées et que finalement, les verres s'allongent et... tadam. Elle l'avait vécue elle aussi, elle n'avait aucun souci avec ça « parfois ça fait du bien de ne pas se dire que ça va pas et de juste... boire et vouloir croire que c'est rien... » commença t-elle à dire « on le fait tous, de vouloir se détendre, boire un verre et finir par vomir dans le caniveaux... » rigola t-elle alors, histoire de rassurer sa moitié. Finalement, le prénom de Rhett sortit d'entre les lèvres de sa meilleure amie. A l'entente de ce prénom, Tess fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'il avait fait c'lui-là ? « pourquoi tu as pensé à lui ? Il s'est passé un truc depuis ? » demanda t-elle à tout hasard. Voir des couples partout et s'en sentir mal ? Ouais... Tess connaissait. En fait, c'était un peu son quotidien depuis toujours... sa mère n'était plus là pour lui demander sans arrêt si elle avait rencontré quelqu'un... mais elle avait connu cette période où tous tes amis te sortent « alors les amours ? » et la seule phrase qu'elle aurait voulu leur répondre était « fous moi la paix avec tes amours de merde ! Ca me pète le cul de devoir me justifier d'être bien toute seule ! De ne pas vouloir tout partager avec un homme, parce que wouuuu c'est super bien ! Beh non c'est pas bien, lâche moi connard ». Leena parla d'un inconnu embrassé à la volée, et puis de sa fuite de la soirée. Tess comprenait, ça aussi, elle l'avait fait à de trop nombreuses reprises.... « Tu as bien fait de te barrer, ça ne mène nul part ces trucs là... surtout pas quand tu sais que tu en aimes un en particulier... » lança t-elle doucement, replaçant une mèche de cheveux de Leena derrière son oreille. « Vous avez parlé ou pas du tout ?... Tu ne veux toujours pas lui dire ?... » en fait, ça tuait lentement Tess de voir sa meilleure amie se foutre dans des états pareils pour un mec qui couchait avec elle, sans vouloir être avec elle. En vrai, c'était quoi son souci à ce mec là ? Il couchait avec elle, il prenait ce qu'il y avait de plus facile à prendre et puis basta ? Non mais c'était quoi ce toquart en fait ? Bon. Ce n'était pas le moment d'être franche, donc elle garderait tout ça pour elle, mais elle essayait de se contrôler pour être une vraie amie pour Leena. Elle avait simplement besoin d'une épaule et d'une oreille attentive, pas d'une leçon. Et puis de toutes façons, Tess n'était pas douée pour faire la leçon à qui que ce soit, qu'on se le dise.

C'était elle qui débloquait ? Non. En tous cas, pas aux yeux de Tess. Leena aurait pu faire tout et n'importe quoi, que Tess l'aurait toujours excusée et protégée. C'était comme ça, c'était plus fort que tout : la morale, la justice, les mecs, la loi. Leena était simplement en train de se rendre compte qu'elle tenait bien plus à Rhett qu'elle ne voulait le croire ; et lui... il ne voyait rien. Et Tess en voulait au blond de ne pas le voir, ou pire, de ne pas vouloir le voir. Parce que s'il la connaissait vraiment -du moins autant qu'elle- et bien il le verrait, il devrait le voir. Tess siffla entre ses lèvres. Elle commençait à vraiment en avoir marre de ce type qui ne prenait que ce qu'il voulait prendre, sans se soucier, sans vouloir voir, ce que Leena voulait de plus. Etait-il aveugle, ou totalement con ? N'importe quoi. Le chercheur d'or qui a le plus beau et pur des diamant entre les mains et qui ne le voit même pas. Que pouvait-elle dire à Leena ? Lui dire de lui avouer ce qu'elle ressentait ? Non, parce que elle-même ne savait pas ce qu'elle ressentait à propos du blond. Elle ne pouvait pas lui dire ce qu'elle ne savait pas, n'est-ce pas ? Et puis même... Tess comprenait la peur de perdre son amitié. Elle connaissait très bien ce sentiment, elle l'avait vécu il y a peu avec Oliver. Douter de l'autre, se dire que peut-être, la personne en face ne résistera pas à nos aveux... bien sûr qu'elle connaissait ça Tess. Elle connaissait cette trouille au ventre, cette peur qui ronge, qui terrorise et puis ce sentiment -cette volonté- de s'enfermer, de s'isoler pour être la seule à souffrir, à se poser trente mille questions. C'était tellement plus simple de se flageller. La métisse venait de passer son bras autour des épaules de sa meilleure amie, sa main frictionna alors machinalement l'épaule de Leena, alors qu'elle cherchait ses mots « tu débloques pas... c'est pas simple... tu ne sais même pas où tu en es... » commença t-elle à dire doucement avant de poursuivre « et puis j'connais bien cette peur qui te ronge... mais... faut peut-être se dire qu'au pire, ou au meilleur des cas, on verra bien qui on a en face de nous, hein ? » Après tout, n'était-ce pas dans ces moments, où on laisse le libre arbitre à l'autre de nous montrer sa fidélité, sa loyauté, sa confiance, que l'on peut se rendre compte si vraiment c'est une bonne personne pour nous, qui sera toujours là ? Si, sûrement. En disant ces quelques mots, la métisse se rendit compte que ça vallait tellement bien pour elle aussi. Elles n'étaient pas meilleures amies pour rien... Leena reprit la parole, parlant du type rencontré ce soir. Les confidences de Leena éveillèrent de sombres souvenirs. Pourtant ce jour-là, il faisait grand jour, c'était un jour de fête... mais voilà, c'était comme si la nuit s'était soudainement abattue sur ces souvenirs. Ils devenaient de plus en plus flous, de plus en plus sombres et en même temps... rien ne s'effaçait et tout semblait tout aussi précis qu'avant. Une sensation étrange. Voir la netteté dans le flou. Voir les contours dans le noir, en plein jour. Aux paroles de Leena, le ventre de Tess se tordit, un frisson lui parcouru le dos et elle tressaillit un instant. Elle revivait en même temps ce qu'elle avait vécu, il y a plus de quinze ans. Elle ressentait à nouveau les mains de ce type sur elle, son poids... si lourd, son haleine, son odeur, sa violence, ses mots, son souffle, et cette douleur... remplie d'incompréhension. Une incompréhension et pourtant, à ce moment là, on sait ce qu'il se passe, simplement, on ne veut pas y croire. Tess ressera davantage sa main sur l'épaule de Leena, qu'elle avait cessé de caresser -sans même s'en rendre compte. Ses dents se serrèrent à leur tour. Elle avait la rage. La rage de savoir que Leena avait vécu un moment pareil, la rage qu'elle ressente ce sentiment d'être sale, la rage de savoir que désormais ce souvenir allait elle aussi la hanter. « Je sais... » finit-elle par dire avant que Leena ne la rassure sur son état actuel. Tess chercha le regard de sa moitié, esquissant un bref sourire, mais c'était trop tard, les images de cette journée là défilaient en boucle dans sa tête. Sa peur, son angoisse, ses traumatismes étaient là, juste sous sa peau. Mais elle fit comme si de rien n'était. N'était-ce pas la seule façon d'agir ? « C'est à lui de se sentir sale, tu n'as rien fait, tu n'as rien à culpabiliser. Fais pas comme moi baby » lança t-elle en regardant sa meilleure amie à nouveau. Leena attrapa finalement l'assiette posée sur le lit et Tess se détacha un peu d'elle à ce moment là. La métisse quitta son lit, allant chercher ses clopes posées sur son bureau ainsi que son briquet et son cendrier. Elle ouvrit la fenêtre, la nuit était chaude en cet été là. Elle se laissa à nouveau tomber sur son matelas et glissa une clope entre ses lèvres avant de placer ses tresses défaites derrière son crane. Son briquet vint créer une flamme qui brûla le bout de sa clope. Elle inspira, la fumée entra en elle et aussitôt, fut recrachée. Le retour à Brisbane... ouais, ça n'avait pas été évident à l'époque pour elle non plus. « Je comprends... » lacha t-elle à ce propos. « Faut que tu te raccroche à ce qui te fait du bien... le temps que ça passe... et un jour... tu ne ressentiras plus ce sentiment de regret à propos de Londres... faut se laisser le temps et puis... j'suis là moi hein » sourit-elle alors en donnant un petit coup d'épaule contre celle de Leena. Sa meilleure amie ne tarda pas à changer vite de sujet, ce qui amusait la métisse parce qu'elle faisait souvent ça aussi. Jouant à faire rouler sa clope autour du cendrier, afin d'arrondir ses cendre encore collées à sa clope, elle sourit doucement avant de répondre « ça va ouais... j'ai rien foutu aujourd'hui... enfin si, j'ai fait quelques croquis mais ça ne me plait pas ». Elle prit une bouffée qu'elle recracha en forme de rond et puis poursuivit « rien de neuf... et pour le projet, j'en sais rien... j'attends des réponses.. comme d'hab' quoi... ». Elle haussa les épaules. Difficile de faire semblant, de parler d'autre chose quand ces images passées hantaient secrètement son esprit, en vain. Elle soupira, espérant que ce mouvement corporel chasse ses idées au passage, mais non. Elle releva la tête pour observer Leena un instant et puis sourit doucement. Se raccrocher à ce qui nous fait du bien, à ce qui nous rend heureux... oui, il le fallait.

Leena laissa son assiette, la posant sur la table de chevet de son côté. Dans la même foulée, elle se laissa tomber sur le dos, tandis que Tess était entre la position assise et allongée, un coussin dans le dos. Ses lèvres arrondies lançaient sa fumée inhalées en l'air. Les cercles presque parfaits se déformaient lentement avant de venir disparaître au loin. La voix de sa meilleure amie se fit entendre à nouveau. Elle s'excusait de raviver des souvenirs. Tess baissa le visage pour sourire doucement à Leena avant de lui dire la voix cassée par le joint « tu ne les ravives pas, ils sont toujours là... ». C'était vrai. Au moindre moment de la journée, ses souvenirs surgissaient. Elle avait beau vouloir plus que tout les oublier, les effacer, ce n'était jamais possible, même avec le temps. La seule chose que le temps lui avait accordé, c'était des pauses. Il y avait des moments où elle n'y pensait plus, où parfois, elle avait vraiment l'impression de ne jamais avoir vécu ça... et puis il suffisait parfois d'un simple et petit détail -innocent pour tout le monde autour d'elle- mais qui ravivait la flamme. Laissant le feu de sa peine, de son désarroi, prendre toute la place en elle. Chassant alors ces souvenirs, ces instants de bonheur, ou de bien être. Comme si face à ça, il n'existait rien qui fasse le poids. Rien du tout. Et dans la vie de tous les jours, elle ressentait une faille en elle. En permanence. La difficulté à vivre avec le regard des autres, la difficulté à observer des couples, l'absence de désir, de plaisir sexuel, d'envie d'être en couple, l'absence de besoin de rencontrer quelqu'un, de lui faire confiance, de se confier. A la place, c'était un vide, un trou noir, le néant. Il n'y avait même pas de vide, puisqu'il n' y avait rien. Il n'y avait rien eu, jamais. Tess fit de nouveau rouler le bout de son joint le long du cendrier. Un profond sentiment de tristesse l'envahit. Elle avait envie de pleurer quand elle se laissait trop souvent submergé par ces souvenirs là. Elle avait envie de soupirer, mais elle avait peur de donner une occasion à sa peine, à sa détresse de s'échapper en même temps. Elle ne voulait plus craquer, plus jamais. Elle releva la tête, prenant une grosse bouffée de son joint avant de laisser la fumée sortir d'entre ses lèvres entrouvertes. La fumée, épaisse, glissa jusqu'à ses narines qui l'aspirait. Créant ce que l'on appelle « un ghost » en fumée. Recrachant le reste par la bouche, vulgairement, elle hocha la tête à la demande de Leena. Tess savait très bien que sa meilleure amie s'en voulait d'avoir lancé ce sujet, mais Tess ne lui en voulait pas. C'était comme ça et c'était tout. Elle répondit alors, feintant d'aller mieux « oh tu sais, je n'ai pas fait de gros trucs de ouf... j'arrive plus trop à faire de gros dessins, ce sont plutôt des petits croquis rapides... » elle garda le joint entre ses lèvres et se leva du lit. Elle s'avança à son bureau et lança, le joint fumant toujours dans la bouche « j'en ai mis un sur instagram l'autre jour en plus ». Elle cherchait à travers ses documents, ses carnets, son ordi, son carnet à croquis. Une fois la main dessus, elle le prit pour regagner sa place dans le lit. Elle le tendit à Leena, continuant à fumer tranquillement. « Tu te souviens de Will ? » demanda t-elle alors, sortant ça de nul part, passant du coq à l'âne. William, c'était son seul petit ami. Bon, elle avait déjà essayé avec des garçons, sans grand succès et la plupart du temps, elle n'en parlait pas en détail à Leena. Mais Will... elle l'avait connu. A Londres. Un mec brillant, charmant... l'histoire d'une nuit. Rencontré le soir même, un feeling de fou, une nuit magique (avec du plaisir sexuel pour la seule et unique fois de sa vie) et au matin... le conte était terminé, ce qui rendait l'histoire encore plus belle finalement. Tess en avait parlé à Leena en rentrant au petit jour, des étoiles plein les yeux. Ce jour là, la métisse avait comprit que oui, tout était encore possible. Que ses blocages n'étaient pas définitifs, et qu'un jour, ça irait mieux et ce souvenir la remplissait d'espoir. A la réponse de Leena, Tess lança « j'pense souvent à lui en ce moment... » simplement. Mais elle n'avait aucun moyen de le contacter, aucun moyen de le retrouver, aucun moyen de recroiser sa route. « J'crois que lui, ou le souvenir de cette nuit là... ça me manque. J'aimerai être de nouveau là-bas, revivre cette soirée à Londres... avant maman, avant le retour, avant tout ça... » avoua t-elle en continuant de fumer.

Leena se montra tout à fait intéressé lorsqu'elles en vinrent à parler de William. Leena l'avait rencontré au bar, en même temps que Tess finalement et vu que leur histoire avait durée une soirée, elle l'avait très peu connu, mais Tess lui avait tellement parlé de lui et de leur nuit... que Leena était au courant de tout. Tess ne pu s'empêcher de sourire lorsque sa meilleure amie voulu se mettre dans une position plus adéquate, mais qu'elle n'y parvint pas. Quand elle lui demanda depuis combien de temps est-ce qu'elle pensait à lui, Tess leva les yeux vers le plafond -comme s'il pouvait lui apporter une réponse- et elle soupira en répondant « hum... j'en sais rien... quelques temps ? » Son visage se tourna vers Leena pour y trouver son sourire complice. Leena ne tarda pas à lui poser des questions, parce qu'il était assez rare que Tess parle des mecs d'elle-même. Mais lorsqu'elle parla d'Oliver, Tess fronça les sourcils avant de tout de suite répondre « non j'me vois pas lui parler de ça... enfin... on a déjà commencé à en parler » elle termina son joint et l'écrasa dans son cendrier. Elle pose le bout de verre arrondi sur sa table de chevet et se laissa tomber un peu plus dans son lit, trouvant une position allongée à son tour. « On est allé au restaurant l'autre fois pour fêter notre première année de colocation et... et j'lui ai parlé. » La jolie métisse se doutait bien que cette annonce allait semblait être un grand pas pour Leena, mais pour elle, elle ne voyait pas les choses comme cela. « En fait, il se demandait si j'étais lesbienne et si j'avais peur de le lui dire... du coup... j'ai fini par tout lui dire à propos de ce qu'il s'est passé » elle marqua une pause, replaçant ses tresses en arrière, les faisant retenir par ses oreilles. « Et puis finalement, je me suis dit que je savais même pas si j'étais lesbienne ou pas, puisque j'suis attirée par personne... » se laissant davantage morfondre dans son lit, tout près de sa meilleure amie, la jeune femme ne tarda pas à glisser ses jambes sous sa couette, tout en battant des bras comme si le monde était définitivement trop difficile à comprendre pour elle. « Et du coup j'ai pensé à Will... c'était un mec, un vrai et... et c'était trop cool cette soirée là à Londres... » la jeune femme se tourna sur le côté pour faire face à Leena et s'exclama alors « j'veux tellement y retourner Leenaaaaaaa » avant d'enfouir sa tête contre sa meilleure amie. Bien évidemment, tout cela était positif, même si elle se plaignait, elle n'était pas malheureuse hein. Finalement, après une étreinte avec sa moitié, Tess s'éloigna un peu, toujours face à sa meilleure amie. Elle envoya ses tresses aller se faire foutre derrière son crâne et lança « je ne sais pas si c'était lui... ou ce moment... ou Londres... je pense que Londres me manque vraiment, et que... que lui aussi, parce que ce que j'ai ressenti cette nuit là me manque aussi... » elle soupira avant de dire, les yeux baissés sur un détail du pyjama de Leena « j'sais pas... j'ai l'impression qu'il n'y a que lui qui ait la clef ». Sa voix retrouvait son sérieux, et elle était partagé entre le côté blasé de sa réflexion, la tristesse de celle-ci et le manque d'espoir. Tess n'avait aucun espoir en l'avenir et encore moins en l'avenir amoureux. C'était triste, mais elle vivait comme ça depuis tellement longtemps...

Londres, ça avait été bien plus qu'un abri. Ca avait été une zone hors de la vie quotidienne de Tess, hors de son histoire, de son passé, comme si tout cela n'avait pas existé. Comme si là-bas, elle était devenue la personne qu'elle aurait toujours du être. Londres, ça avait été plus qu'un voyage, plus qu'une seule et simple expérience... ça avait été ce moment où la métisse avait comprit que oui, tout était possible. Que son corps, son cœur, son âme pouvaient être totalement guéris. Il fallait juste qu'elle trouve le pourquoi du comment. « C'était plus que ça... » répondit-elle alors à Leena. Sa meilleure amie parla de fuir, que Londres avait été un motif de fuite... Tess ne voyait pas les choses comme ça personnellement. « Franchement... j'ai presque peur d'y retourner et d'entacher le souvenir que j'ai de Londres... c'est con ; mais je préfère vivre avec des bons souvenirs je crois... ». Les épaules de la métisse se haussèrent dans le noir, tandis que son corps était allongé sur le côté, dans le lit, face à Leena. Quand sa meilleure amie commença à partir dans un dialogue d'agent infiltrée du FBI, Tess ne pu s'empêcher de retenir un léger rire amusé. Elle répondit alors « non, laisse tomber... si on doit se revoir un jour, ça se fera tout seul... et puis sinon, c'est que ça n'était pas prévu comme ça » lança t-elle doucement. Sa voix se faisait de plus en plus fatiguée. Son corps s'enfonçait de plus en plus dans son matelas et très vite, elle usa de ses dernières forces pour débarrasser son lit des dessins, de l'assiette, de son cendrier et éteignit la lumière, plongeant la chambre dans le noir. Son réveil indiquait qu'il allait bientôt être six heures du matin. Leena semblait déterminée à lui trouver quelqu'un, à vouloir la caser. Ou du moins, à trouver quelqu'un qui serait capable d'avoir la clef lui aussi. Leena pensait que Tess l'avait... c'était peut-être vrai. Après tout, Tess n'avait jamais voulu savoir si elle l'avait, elle n'avait jamais rien entrepris pour se défaire de son passé, pour se battre, son réclamer justice, pour que l'homme paie. Non... elle n'avait jamais rien dit, jamais rien fait, elle avait fait de ce triste événement, quelque chose de « banal », de « normal » que l'on passe sous silence. Pourtant, elle n'aurait pas du, elle n'avait pas à avoir honte, elle n'avait rien fait, n'est-ce pas ? Mais dans sa tête, sur cet événement, elle avait toujours seize ans. Son corps, son cœur, son âme étaient restés bloqués à cet âge là, emprisonnant alors les sentiments, les désirs, les fantasmes, les envies, les complexes tous ensemble à l'intérieur. Emprisonnée dans son propre corps qui lui faisait atrocement mal, voilà ce qu'elle vivait. « J'aime pas la chasse... ni les chasseurs... » répondit enfin Tess d'un souffle plutôt que d'une voix claire. Le oinj avait commencé à faire son effet. Ses yeux étaient fermés, sa respiration était posée, calme, détendue... son corps inerte, les mains sous son oreiller. La jeune femme faisait face dans le noir à Leena, sentant la proximité de son corps. « J'crois que j'vais pas tarder à m'endormir.... je te préviens que si je réponds plus c'est que j'me suis endormie... » lança t-elle en souriant dans le noir, les yeux clos, toujours. Demain, elle n'avait rien de prévu, si bien que les deux amies pourraient très bien dormir toute la journée si elles le voulaient. Leena était ici chez elle.