At the heart of intimacy is self-disclosure. And perhaps the most important reason for self-disclosure is that without it we cannot truly love. △
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JUILLET 2017 △ SPRING HILL
J’avais bien tenté de me soustraire à mes devoirs de petit-frère, tâchant d’échapper à ces retrouvailles dont je ne voulais pas avec Maura, en vain. C’était Gauthier qui m’avait mis au pied du mur, me conseillant vivement (comprenez par là qu’il me l’avait ordonné) d’aller saluer ma grande-sœur sur son lieu de travail. Quand bien-même j’avais du mal à le reconnaître, l’aîné de la famille avait son ascendance sur moi et je finissais par lui obéir la plupart du temps, surtout lorsque je sentais que mon droit de vivre sous son toit s’en retrouvait menacé. Alors, traînant les pieds tel un condamné à mort montant à l’échafaud, je m’étais rendu dans l’hôtel de la famille qui se situait en centre-ville, un lieu que j’avais toujours refusé de découvrir depuis que j’avais posé les pieds à Brisbane. Sans jamais avoir honte de mon passé ou de mon nom, j’avais pourtant pour principe élémentaire de me tenir le plus éloigné possible de tout ce qui était en lien plus ou moins direct avec mes parents. Et j’avais réussi avec brio cette exploit jusqu’ici, menant ma vie comme bon me semblait, loin de leur ingérence. Sans y mettre la moindre conviction et me montrant bien moins persuasif et insistant que lorsque je cherchais à réellement obtenir quelque chose, je demandais Maura à l’accueil. L’objectif était simple, basique. La saluer, lui laisser voir de ses propres yeux que j’étais toujours vivant et que je me souvenais encore de son prénom avant de rebrousser chemin pour reprendre le cours de mon existence. Pourtant, sans que je m’y sois le moins du monde attendu je venais de me prendre une tornade du passé en pleine face. Ryleigh, ce prénom qui avait bercé mon enfance et mon adolescence puis qui avait hanté mes nuits depuis mon arrivée à Oxford, venait de refaire surface dans ma vie. Elle revenait à grand fracas dans mon existence, chamboulant tout sur son passage, notamment cette vie que j’avais tenté de me construire loin d’elle depuis cinq longues années. Si le fait qu’elle se trouve en ville ne m’avait laissé aucun espoir quant à la possibilité de ne pas la croiser, je ne m’étais pas attendu à tomber sur elle de sitôt. Son simple regard bleu azur avait réussi à me figer tout en me ramenant neuf ans en arrière. Pour mon plus grand déplaisir, Maura avait ramené dans son sillage tout le passé que j’avais cherché à fuir en suivant Gauthier et Théodora à l’autre bout du monde. C’était un retour de bâton que je me prenais de plein fouet sans m’y être attendu et je n’avais pas la moindre idée de comment gérer cette situation. Tel un boxeur en perdition, je venais de me prendre un crochet du droit en plein visage, me coulant au tapis. Planté au milieu du hall en marbre de l’hôtel Hazard-Perry, je faisais face à ce que je commençais à apparenter à mon enfer personnel. La simple vue de ses belles boucles brunes et de ses iris perçantes m’avait rappelé l’importance que son existence avait dans la mienne, quand bien même je refusais de lui reconnaître cette incidence sur ma personne. Un simple coup d’œil à sa silhouette gracile que j’aurai reconnu entre milles et j’étais de nouveau précipité dans le tourbillon de ce passé que nous avions en commun et de cet avenir avorté que nos parents avaient pourtant planifié bien avant notre naissance. Fuir Ryleigh, c’était comme essayer de fuir mon ombre et en l’abandonnant à Londres, c’était une part de mon âme que j’avais laissé derrière moi. Le cocktail détonnant du retour en ville de Maura et ma jumelle Egerton donnait de nouveau du poids et du crédit à l’influence que mes parents et le monde dont j’étais issus avaient eus sur moi de longues années durant. A peine avais-je entraperçu l’anglaise que je sentais déjà les ombres planer au-dessus de moi qui attendaient pour se rapprocher et m’emmener. Et je pouvais sentir mon cœur rater un battement chaque fois que je dérapais. J’avais envie de m’enfuir loin de tout ça, de prendre mes jambes à cou pour échapper à ces tourments que je n’étais pas prêt à affronter. Pourtant, je ne parvenais pas à prendre la fuite, comme si la présence de celle que j’avais convoité tant d’années, m’hypnotisait. C’était comme si mon cerveau fonctionnait au ralenti, mes connexions synaptiques gelées par la puissance du regard qu’elle posait sur moi et ce qu’il faisait remonter dans mes entrailles. C’était dix-huit années de souvenirs forts et majoritairement heureux, mais également trois années de lutte acharnée contre moi-même pour ne pas céder à la tentation de renouer contact avec elle, puis finalement cinq, presque six, années pendant lesquelles j’avais joué le mort, rompant tout contact avec elle. Et aujourd’hui, je me confrontais à elle, me voulant sûr de moi et désinvolte mais cela me demandait bien plus d’efforts qu’à l’accoutumée. Le trouble qu’elle éveillait en moi était si puissant que j’en perdais mes moyens habituels, me montrant bien plus sec et désagréable que je ne l’aurai souhaité. Non pas parce que j’avais peur de la froisser mais parce que continuer de me montrer mordant face à ce qu’elle pouvait bien trouver à me dire ne faisait que confirmer l’importance qu’elle continuait d’avoir à mes yeux. C’était un aveu de faiblesse en trop pour moi qui m’était déjà abaissé neuf ans plus tôt à lui faire cette proposition qu’elle avait refusé. Puis saisissant l’occasion à la volée lorsqu’elle se présentait à moi, je décidais de lui fausser compagnie, prenant la tangente en direction de la porte vitrée qui constituait l’entrée du palace Hazard-Perrien. J’aurai pris mes jambes à mon cou si l’humiliation de la voir me regarder fuir avec autant de précipitation n’était pas aussi cuisante pour mon ego surdimensionné déjà bien amoché par la tournure des événements qui échappaient à mon contrôle. Je mettais dans chacun de mes pas une détermination mesurée, tenant ma tête bien haute. Et quand afin je m’approchais de ce qui s’apparentait désormais à une véritable délivrance, la porte de l’établissements s’ouvrait pour laisser entrer une silhouette brune familière qui dénotait pourtant en ces lieux. Je me retrouvais nez-à-nez avec Debra, ouvrant des yeux grands de surprise face à ma meilleure amie qui semblait, elle aussi, surprise de tomber sur moi. C’était du moins l’impression que j’en avais jusqu’à ce qu’elle m’interpelle comme si c’était bel et bien moi qu’elle était venue trouver ici. « Debra ? Qu’est-ce que tu fais ici ? » lui demandais-je bien plus brusquement que je ne l’aurai voulu. C’était beaucoup trop d’émotions d’un coup, mes deux vies s’articulant entre mon passé de prince de la haute société londonienne et mon présent de journaliste anglais en exil en Australie, qui se télescopaient une fois de trop pour moi. Mes pensées fusaient dans tous les sens, s’entrechoquant avec violence dans mon cerveau qui peinait à isoler les informations unes à unes. Et alors que la jeune femme s’apprêtait à s’adresser de nouveau à moi, je remarquais son regard qui se perdait par-dessus mes épaules pour accrocher un point derrière moi que je ne voyais pas. Je me retournais alors pour suivre son regard, mes yeux se posant à nouveau sur Ryleigh qui était toujours dans le hall, à présent en discussion avec un autre employé de l’hôtel. Et avant même que l’irlandaise n’ait pu articuler le moindre mot, comprenant à son expression qu’elle s’apprêtait à lâcher une réplique cinglante, je l’attrapais par les épaules, la forçant à faire demi-tour pour m’engouffrer avec par la porte d’entrée, ne la lâchant qu’une fois hors du palace.
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Parce-qu’à un moment donné, il fallait se donner le coup de pied au cul nécessaire pour faire les choses. Cela faisait des mois que Debra gardait toute cette partie là pour elle alors que Charlie méritait de savoir les détails de ce qu’il s’était passé. Trop peur qu’il la prenne pour l’idiote qu’elle était réellement ou trop de honte d’avouer ce qu’il s’était passé pour de vrai, elle ne savait pas qu’elle était l’émotion prédominante en ce moment même. La seule chose qu’elle savait c’était qu’elle devait se lancer, y aller et surtout le faire tant qu’elle sentait le courage monter en elle. Après avoir fait toutes les pièces de la villa, la jeune femme se rendit cependant à l’évidence que Charlie n’était pas présent ici. Un autre des Hazard-Perry vint à sa rescousse en lui indiquant que Charlie était parti voir Maura directement à l’hôtel. Elle ne savait cependant pas si elle était soulagée de cette nouvelle, de savoir où il était, ou si le fait qu’il soit avec Maura était d’autant pire. Debra avait rapidement compris que les relations au sein de la famille chez qui elle était hébergée n’étaient pas au beau fixe, et que tout semblait prêt à imploser à tout moment. Le seul avantage de si elle allait voir Charlie maintenant, c’était qu’elle serait là s’il explosait de son côté en premier. Commandant rapidement un Uber afin de se rendre sur place, Debra profita du trajet pour se répéter son propre discours. Rares étaient les personnes à qui elle rendait des comptes - des vrais, pas seulement de vagues excuses pour se sortir d’une situation pourrie. L’hôtel des Hazard-Perry se fit rapidement voir au bout de al longue allée et Debra sentit bien le stress monter d’un niveau supplémentaire à l’approche de l’entrée. C’était maintenant ou jamais, et tout se passerait bien qu’elle tentait de se rassurer. Ça aurait été bien plus simple si elle n’avait pas un égo si grand et qui lui bouffait pas la moitié de la vérité des situations pour ne pas la mettre encore plus dans l’embarras. Un pas, deux pas et le troisième fut à l’intérieur de l’accueil de l’hôtel. Charlie lui en avait parlé, mais elle n’avait encore jamais eu l’occasion de venir mettre les pieds dans le coin - elle devait avouer qu’elle était impressionnée. L’endroit était d’un chic qui lui plaisait bien trop pour que ce soit raisonnable. Ses yeux auraient pu rester des heures à détailler chaque recoin de beauté, de décoration et de luxe si ils ne vinrent pas à s’entrechoquer avec le regard de quelqu’un qu’elle ne connaissait que trop bien - et qu’elle était justement venue voir. « Charlie ! » Ce fut presque avec un ton de soulagement qu’elle s’adressa à lui, mais en même temps elle ne s’avançait pas plus pour le moment car si elle était surprise de tomber sur un tel endroit, le jeune homme semblait surpris tout court de tout ce qui se déroulait sous ses yeux. « Debra ? Qu’est-ce que tu fais ici ? » La venue surprise de Debra était certes étrange et surprenant, mais ce n’était pas ça qui semblait le plus déranger Charlie de l’intérieur. Debra vint plonger son regard dans le sein, tentant de capter la moindre chose, le moindre indice qui pourrait lui faire comprendre l’état de son meilleur ami, état plutôt… Etrange. Elle était partie pour lui demander si elle n’avait pas un pied qui avait poussé au milieu de la figure pendant son trajet jusqu’ici lorsqu’un mouvement en arrière plan vint attirer son regard. C’était infime et elle aurait pu ne pas l’apercevoir. Elle aurait pu aussi ne pas se souvenir de tout ce que Charlie avait pu lui lâcher comme information et ne rien reconnaitre dans cette situation. Mais elle n’était pas du genre à avoir la mémoire qui flanche sur ce genre de détails, ce genre de situation - elle faisait partie des personnes qui étaient toujours prêtes à rencontrer n’importe qui, à parler de n’importe quoi et surtout à se sortir des situations les plus risquées. Alors, lentement et les yeux à moitié écarquillés, elle tourna de nouveau son regard vers Charlie qui semblait avoir compris au quart de tour de quoi elle allait parler de suite dès l’instant d’après. Et oui, elle allait en parler; parce-que là il lui devait une ou deux explications. Debra n’eut cependant pas réellement le temps de dire ou faire quoi que ce soit, puisqu’à peine la première bouffée d’air expirée pour commencer à parler que le jeune homme avait attrapé son bras pour la tirer en dehors du bâtiment. Elle fut surtout surprise de son geste si brusque et si rapide qu’elle ne dit rien avant qu’il ne lui lâche les épaules. Elle finit par se tourner vers Charlie, posant ses mains sur ses hanches, prenant cette attitude de drama-queen comme elle savait ô si bien le faire. « Tu. Te. Fous. De. Ma. Gueule. » Elle avait pris le temps de prononcer séparément chaque mot, pesant sur les dires qu’elle voulait faire passer exactement à Charlie. Parce-qu’elle ne comprenait pas comment ça pouvait en être autrement. Ryleigh Egerton ici, à Brisbane, à des milliers de kilomètres du Londres où elle était supposées pourrir, c'était du foutage de gueule. « T’es devenu complètement con ou quoi ? » Debra vint pointer lentement, à travers la vitre, la silhouette de la jeune femme qui s’engouffrait dans un ascenseur et qui, heureusement, n’avait rien vu de cette situation. « Tu m’expliques ce qu’elle fout là, imbécile ? »
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« Tu. Te. Fous. De. Ma. Gueule. » Je regardais ma meilleure amie faire du Debra en grande pompe, sans trop réagir. Sa réaction n’avait rien de bien étonnant. Outre le fait que les deux jeunes femmes n’aient jamais réussi à s’entendre, trouvant n’importe quel prétexte pour se tirer dans les pattes l’un l’autre, c’était davantage parce que Debra connaissait en partie mon histoire avec Ryleigh qu’elle réagissait de la sorte aujourd’hui. J’avais fui l’Angleterre dans l’espoir vain de la distancer, sa présence à Londres m’aidant fortement à choisir entre partir avec Théodora et Gauthier ou rester à Londres aux côtés de Connor. Pendant trois ans, avant mon départ pour l’Australie, Debra m’avait entendu pester sur Ryleigh, m’offusquer chaque fois que son prénom me parvenait aux oreilles, m’agacer à la moindre réminiscence de notre passé commun. Et les choses n’avaient pas changé ici, à Brisbane. J’avais créé un tabou sur son prénom, interdisant à tout mon entourage de me faire l’affront de l’évoquer sous peine de recevoir mes foudres. Et aussi bien mes frères et sœurs que Debra avaient choisi de bannir l’Egerton de leurs discours, de leurs anecdotes, de leurs questions. Et j’avais pu passer à autre chose, ou du moins me bercer de l’illusion de l’avoir fait. « T’es devenu complètement con ou quoi ? » Je pinçais finalement les lèvres, sifflant de façon méprisante entre celles-ci. Clairement, je n’étais pas du tout d’humeur à la laisser se payer ma tronche ouvertement dans pareille situation. Que croyait-elle ? Que c’est moi qui, dans un moment de faiblesse apparent, m’étais finalement décidé à appeler Ryleigh pour lui demander de débarquer en ville ? N’avait-elle donc rien compris ? « Tu m’expliques ce qu’elle fout là, imbécile ? » Sans pitié, parce qu’il n’y en avait de toute façon jamais eu entre nous, elle enchaînait, enfonçant le clou, me faisant perdre patience. Le regard noir, l’expression dure et indéchiffrable, je la regardais avec sévérité. « Commence pas, je te jure que j’ai pas la patience. » l’avertissais-je, mauvais. Mais comprenant bien qu’elle n’arrêterait pas sa vendetta seulement face à mes menaces qui n’avaient jamais eu trop d’effet sur elle, je décidais d’inspirer un grand coup en me passant une main lasse sur le visage. J’étais épuisé, vidé de toute énergie. Je n’étais pas certain que quelqu’un d’autre que l’anglaise ait un jour eu l’ascendance qu’elle avait sur moi. Cette fois-ci, je me débarrassais de ce masque d’impassibilité que j’imprimais en permanence sur mes traits dès que j’étais touché en plein cœur. Face à l’irlandaise de toute façon, ce tour de magie ne fonctionnait plus depuis bien longtemps. A mon plus grand agacement parfois, Debra semblait toujours capable de déchiffrer ce qui se passait entre mes oreilles rien qu’en observant mes pupilles. Soupirant de nouveau, j’avais fini par relever le regard vers elle. « Je sais pas du tout ce qu’elle vient faire par ici. » soufflais-je alors, m’asseyant mollement sur le rebord de la fontaine qui faisait face au palace tenu par ma grande-sœur. « Et crois-moi, je suis encore moins content que toi de la savoir en ville. » C’était tout un passé qui revenait avec elle, dix-huit années de ma vie que j’avais tenté d’enterrer, de glisser sous le tapis, espérant secrètement qu’en restant maintenus hors de ma vue, les sentiments que j’éprouvais pour Ryleigh disparaîtraient. « Debra, je ne pense pas que j’aurai la force de la croiser tous les jours. » C’était un aveu qui me coutait cher, qui me blessait indéniablement dans ma fierté. J’avouais ma faiblesse, exposais mon talon d’Achille avec l’impression désagréable d’être nu au milieu d’un champ de bataille. Et si je n’aimais pas me livrer, que je préférais bien souvent tout garder pour moi et laisser mon entourage se débrouiller avec les petits indices que je disséminais çà et là, jouer le jeu du type mystérieux et inatteignable me demandait bien trop d’efforts pour aujourd’hui. Je n’avais jamais vraiment tout raconté à Debra, me contentant des grandes lignes, sans rentrer dans les détails, sans lui avouer la réelle portée des sentiments que j’avais nourri pour cette femme qui travaillait désormais dans l’hôtel de la filiale de mes parents. Mais j’étais à peu près certain qu’elle pouvait visualiser sur mon visage déconfit, la façon dont la situation m’affectait aujourd’hui. Si je savais que Ryleigh était en ville depuis qu’elle m’avait envoyé ce texto à son arrivée, je ne m’étais pas préparé à lui faire face de nouveau. J’étais resté dans le déni, persuadé que je trouverai un moyen de lui échapper coûte que coûte, de laisser le passé avec tout ce qui était révolu et dont je ne voulais plus entendre parler à l’heure actuelle. C’était évidemment peine perdue. Désireux de changer de sujet, je finissais par tourner le visage vers ma meilleure amie qui était venue s’asseoir à mes côtés. « Qu’est-ce que tu venais faire ici d’ailleurs ? » Car si ma présence au sein de l’hôtel Hazard-Perry était anecdotique, ma grande-sœur y travaillant, la raison de ma présence en ces lieux faisait un minimum sens. En revanche, je n’avais jamais emmené Debra jusqu’ici, me gardant bien de franchir les portes en dehors d’une absolue nécessité. Et soit pas loyauté, soit par absence d’opportunité, j’étais presque certain que Debra n’ont plus n’avait jamais mis les pieds en terrain ennemi. Et je ne parvenais pas à comprendre pourquoi il avait fallu qu’elle vienne me chercher jusque dans un endroit où ma présence était aussi improbable. « Tu voulais me dire quelque chose ? » Car nous étions bien faits du même moule tous les deux : nous confier avait tendance à nous donner de l’urticaire. Mais si Debra ne pouvait pas attendre que je revienne à la villa pour venir me parler, mon sixième sens m’indiquait qu’elle avait une idée derrière la tête. Et sans que je ne puisse m’en empêcher, je m’inquiétais. Si je m’étais toujours senti investi d’une certaine mission de freiner l’irlandaise dans ses ardeurs, pour tenter de la protéger d’elle-même la plupart du temps, cette attitude surprotectrice était exacerbée depuis qu’elle m’avait annoncé sa grossesse et que j’avais assisté à son accouchement qui restait, pour moi aussi, une expérience traumatisante. Et je me demandais bien ce qui lui valait la peine de venir me trouver avec autant d’urgence.
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Elle avait du mal à réellement croire ce qu’elle venait de voir. C’était un peu trop gros pour être vrai, pour être crédible. Et surtout, elle s’en voulait un peu d’un côté de pas s’être réellement aperçue de cette arrivée en ville alors qu’elle habitait sous le même toit que Charlie. Ce dernier vint d’ailleurs lui jeter un regard plus que noir, qui ne fit absolument trembler d’un centimètre Debra. Il lui en fallait bien plus que ça, et de la part de personnes plus impressionnantes à ses yeux que Charlie. « Commence pas, je te jure que j’ai pas la patience. » Elle vint lever les yeux, comme si c’était réellement le moment de parler de patience ou non. Elle voulait juste savoir ce qu’il se passait réellement, ne plus rester dans le flou de la sorte. Le petit bourgeois avait intérêt à parler rapidement avant qu’elle en perde, de son côté, patience également. A ce moment là de la situation, elle avait même complètement oublié la raison principale de sa venue ici. « Je sais pas du tout ce qu’elle vient faire par ici. Et crois-moi, je suis encore moins content que toi de la savoir en ville. » Charlie vint s’asseoir sur le rebord de la fontaine se trouvant derrière eux alors que Debra haussait les épaules. « C’est discutable. » Parce-que Ryleigh en ville, ça promettait forcément des dégâts - et surtout des dégât sur Charlie. Ce qui ne plaisait pas grandement à Debra. Elle savait à quel point la pimbêche pouvait avoir un effet sur le jeune homme et ce n’était pas réellement au goût de la brune. « Debra, je ne pense pas que j’aurai la force de la croiser tous les jours. » Elle avait commencé à ouvrir la bouche pour renchérir, mais se ravisa, préférant un soupire à la place. L’égo de Charlie pouvait être en concurrence avec le sien, et les mots qu’il venait de prononcer prouvait qu’il venait de son côté de descendre d’un cran. Elle tenta d’en faire de même - elle se devait de se calmer pour son bien à lui surtout. Finissant par opter une place à ses côtés sur le rebord de la fontaine, elle croisa les bras sur sa poitrine. « Elle a réussi à gratter un job auprès de ta soeur pour être arrivée jusqu’ici ? » Elle tourna la tête vers Charlie, les sourcils légèrement froncés. « Parce-que si c’est le cas, tu travailles pas ici toi donc pas besoin de t’intoxiquer l’air. » Eviter quelqu’un, quand on le voulait vraiment dans une grande ville comme Brisbane, c’était faisable. Debra avait déjà réussi à éviter des gens pensant des mois dans Dublin alors que la ville était bien plus petite. Elle serait même prête à donner des conseils à Charlie s’il en voulait - et s’il acceptait de l’aide aussi, parce-que c’était pas forcément quelque-chose de gagné ça. Debra finit par soupirer, tournant de nouveau son regard vers les grandes baies vitrées du bâtiment. « Non mais l’autre en Australie, j’te jure. Elle va se faire mal rien qu’à imaginer la plupart des animaux qui peuplent les rues ici. » Elle pouvait se moquer, mais elle avait fait les mêmes découvertes en arrivant elle sur place plus tôt, et elle faisait pas réellement la fière de nos jours non plus. Sans vouloir l’avouer, la fortune en moins, Ryleigh et elle avaient surement plus de points en commun qu’elles pouvaient le penser. Le côté princesse devait en faire partie. « Qu’est-ce que tu venais faire ici d’ailleurs ? » La question mit peut-être une à deux secondes avant de sonner les cloches dans la tête de Debra. Fuck. Elle avait complètement oublié ça. Le pourquoi du comment elle avait atterri ici, elle qui détonnait presque trop avec le décor. Et surtout, elle n’était plus du tout dans le même mood avec lequel elle était arrivée une dizaine de minutes plus tôt avant de surprendre Charlie en mauvaise compagnie. Elle pouvait sentir le regard de Charlie désormais fixé sur elle. « Tu voulais me dire quelque chose ? » Soupirant, elle leva les yeux au ciel. « Me fixe pas comme ça, j’ai l’impression de me retrouver de nouveau à poils devant toi sérieux. » Pas que cet épisode de sa vie, de leurs vies, était si plaisant qu’elle voudrait en reparler pendant des heures. Attrapant son paquet de clopes dans son sac, elle en tira deux de l’étui - si Charlie en voulait pas, elle savait qu’elle fumerait les deux à la suite dans le pire des cas. « Mon histoire à moi me parait ridicule à côté du scoop que tu nous ramènes toi. » Petit rire nerveux, système de défense, alors qu’elle allumait doucement sa clope. Il fallait juste qu’elle se rappelle que Charlie avait été témoin de toute cette histoire de toutes façons et que lui expliquer était le juste retour des choses. « Tu te rappelles de… De mars dernier ? » Parce-qu’elle n’arrivait toujours pas réellement à mettre les mots juste sur ce qu’il lui était arrivé. Dire qu’elle avait accouché n’était pas encore réellement entré totalement dans son vocabulaire -et ça lui filait encore des décharges ignobles à sa cicatrice rien que d’y penser. « Tu te rappelles du moment où je t’ai supplié de me faire sortir pour aller au parc, rapidement, genre le truc le plus con de la terre parce-que ça m’a encore plus tué ? » Tirant de nouvelles bouffées de fumée, elle se laissa un instant. Elle savait que Charlie pouvait faire sa drama-queen lorsqu’il le voulait lui aussi et qu’il allait le faire lorsqu’elle aurait fini de parler; ce ne serait que le juste retour des choses, mais elle ne savait pas si elle était réellement prête à lire toutes ses pensées rien qu’à son prochain regard jeté. « Bah, c’était pour aller voir le père de Rachel en fait. » Lâcher la bombe de la façon la plus sale mais la plus rapide, la plus expéditive, pour être débarrasser et recevoir les débris au plus rapide aussi.
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Sans que cela soit surprenant autre mesure, Debra s’était aussi emportée, montant sur ses grands chevaux comme à l’accoutumée, lorsqu’elle avait aperçu Ryleigh. Si j’avais toujours apprécié les deux femmes, de façon différente bien-sûr, mais sans jamais instaurer entre elles une quelconque compétition pour mon affection, elles s’étaient chargées, seuls, d’ouvrir une guerre froide entre elles. D’aussi loin que je pouvais m’en souvenir, jamais elles n’étaient parvenues à s’entendre, cohabitant maladroitement uniquement lorsqu’elles en étaient forcées et ne manquant jamais une occasion de se tirer dans les pattes à tour de rôle. Et j’avais toujours accepté la situation pour ce qu’elle était, ne cherchant pas à les forcer à s’entendre, sachant par avance que c’était peine perdue. C’était qu’elles avaient chacune la tête aussi dure l’une que l’autre. En revanche, alors que Debra était montée au créneau dans une vendetta contre la brune, je n’étais pas disposé aujourd’hui à subir ses griefs contre l’anglaise. Le retour en ville de Ryleigh était déjà une épine dans mon pied et j’avais espéré que Debra n’aggraverait pas la situation. « C’est discutable. » avait-elle répondu, boudeuse, alors que je lui avais assuré que ce n’était pas de gaieté de cœur que j’avais fait face à celle qui avait partagé ma vie, mon quotidien pendant dix-huit longues années. J’avais alors haussé les épaules, n’étant de toute façon pas d’humeur à surenchérir pour savoir lequel de nous approuvait le moins cette arrivée en ville. A présent assis sur le rebord d’une fontaine qui faisait face à l’hôtel dans lequel Ryleigh et ma grande-sœur travaillaient désormais toutes les deux, j’avais confessé à Debra mes doutes quant à ma capacité à surmonter ces retrouvailles forcées. « Elle a réussi à gratter un job auprès de ta sœur pour être arrivée jusqu’ici ? » Sous ses airs de ne pas y toucher, la brune savait souvent faire preuve d’une perspicacité fulgurante, touchant régulièrement sa cible en plein cœur. « Dans le mille. Déjà que je me serai passé d’Astrid, savoir que Ryleigh est ici également, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. » Ma relation complexe et tendue avec mon aînée n’était ignorée que par ceux qui me connaissaient peu et qui ne s’intéressaient que superficiellement à ma vie familiale. Pourtant, en étant au courant que la famille Hazard-Perry possédait bel et bien cinq enfants et à en juger par la complicité apparente – ou du moins évolutive – qui me liait à chacun de mes autres frères et à Théodora, il était facile de comprendre qu’Astrid faisait bande à part au sein de notre fratrie. Debra connaissait, elle, les moindres détails de la relation conflictuelle qui m’unissait à la cadette de la famille, tout comme elle avait les grandes lignes de ma relation non moins compliquée avec Ryleigh. Nul doute qu’elle prenait conscience de ce que signifiait donc l’arrivée de ce duo infernal dans cette petite vie tranquille que je m’étais reconstruit à Brisbane au cours des cinq années précédentes. « Parce-que si c’est le cas, tu travailles pas ici toi donc pas besoin de t’intoxiquer l’air. » Une fois de plus, elle visait juste mais c’était un soupir las qui était venu lui répondre. « Ça serait le cas si Ryleigh n’était pas Ryleigh. » Car s’il y avait bien une personne qui avait encore plus d’incidence sur ma personne que Théodora et Debra, c’était bien elle. Mon égale, ma jumelle Egerton. Nous étions faits du même moule, tenaces, toujours prêt à obtenir ce que l’on désirait coûte que coûte. Et s’il y avait bien un domaine dans lequel elle excellait, autre que celui de me rendre la vie impossible, c’était dans celui de me tenir tête. « Elle est pas prête à me laisser lui échapper, crois-moi. » C’était globalement la seule chose que j’avais retenu de mon entrevue avec elle. Ryleigh avait décidé qu’elle m’avait laissé suffisamment de temps pour digérer l’épisode de mon arrivée à Oxford et qu’il était grand temps pour nous d’essayer de passer à la suite. Et malgré toutes les protestations que j’aurai pu trouver à lui balancer, si sa présence en elle-même face à moi ne m’avait pas cloué sur place, je savais qu’elle était déterminée à faire en sorte que nous reprenions contact. « Non mais l’autre en Australie, j’te jure. Elle va se faire mal, rien qu’à imaginer la plupart des animaux qui peuplent les rues ici. » avait-elle soupiré, et c’était en faisant de même que j’étais venu acquiescer. Un léger silence s’était établi entre nous, le temps que le cours de mes pensées parvienne à s’éloigner de Ryleigh pour me rappeler du fait que Debra semblait être venue jusqu’ici pour me parler. Je m’inquiétais alors rapidement de ce qu’elle était venue faire par ici, lui demandant finalement si c’était bel et bien pour me dire quelque chose qu’elle avait passé la porte du palace Hazard-Perry. « Me fixe pas comme ça, j’ai l’impression de me retrouver de nouveau à poil devant toi sérieux. » me disait-elle alors et je fronçais un instant les sourcils, sans comprendre où elle voulait en venir pendant un instant. Finalement, mon regard s’illuminait et un petit rire m’échappait. J’avais presque oublié que j’avais vu ma meilleure amie dans son plus simple appareil pendant la pire épreuve de sa vie à n’en pas douter. J’avais tellement été obnubilé par ce qu’il lui arrivait que j’en avais totalement occulté la réalité derrière. « J’avais presque oublié ce détail. Ça en ferait rêver plus d’un, pourtant. » De voir ce qui pouvait se passer en-dessous de ses vêtements, s’entend. Car quand bien même je n’avais jamais été intéressé par Debra de cette façon-là, sa beauté indéniable ne m’avait jamais échappé et je soupçonnais, au fond, que c’est en partie pour ça que Ryleigh se montrait aussi méfiante vis-à-vis de celle qui s’était attribuée le rôle de meilleure amie au fil des années. « Mon histoire à moi me parait ridicule à côté du scoop que tu nous ramènes toi. » avait-elle fini par répondre à ma précédente question en me tendant au passage une cigarette que je ne refusai pas, bien au contraire. « C’est jamais ridicule tes histoires, Debra. » que je lui lâchais alors, agrémentant ma déclaration d’un petit sourire plein d’affection, de ceux que j’accordais assez rarement parce qu’ils étaient précieux et bien trop sincères pour être donné au premier qui s’en réclamait digne. Je m’étais toujours senti concerné par ce qu’il lui arrivait, même ses aventures les plus futiles. « Tu te rappelles de… De mars dernier ? » De nouveau, je souriais légèrement, bien moins amusé cependant maintenant que les événements de cette maudite journée me revenaient en mémoire. Si ce n’était pas moi qui portait une cicatrice sur le ventre pour me rappeler chaque jour l’accouchement de Debra, j’avais été marqué au fer rouge par la tournure des événements. Je n’étais pourtant pas facile à impression ni à perturber, mais les souvenirs de Debra qui se tordait de douleur et de désespoir au fond de son lit d’hôpital continuaient de me donner la chair de poule. « Comment pourrais-je oublier ? » J’étais venu allumer la cigarette qu’elle m’avait tendu précédemment pour tirer dessus, laissant ensuite la fumée s’échapper de mes lèvres alors qu’elle poursuivait : « Tu te rappelles du moment où je t’ai supplié de me faire sortir pour aller au parc, rapidement, genre le truc le plus con de la terre parce-que ça m’a encore plus tué ? » Pour toute réponse, j’étais venu hocher la tête silencieusement. Bien-sûr que je me souvenais de ces supplications qu’elle m’avait servi pour me pousser à agir en irresponsable. Je l’avais déposée, fébrile et bouleversée, dans le parc avant de passer le reste de la journée pendu à mon téléphone, prêt à décrocher à la moindre alerte provenant de la jeune femme. « Bah, c’était pour aller voir le père de Rachel en fait. » J’accusais alors le coup, la fixant un instant sans pouvoir me retenir d’afficher une expression de franche stupeur. « Attends, tu veux dire qu’il est en Australie ? » avais-je alors demandé, un peu bêtement à la jeune femme. J’étais toujours parti du principe que sous ses airs de vouloir renouer avec son frère, c’était davantage le père de l’enfant que Debra avait cherché à fuir en venant se terrer à Brisbane avant que son ventre arrondi ne vienne alerter son entourage. Mettant cependant de côté assez rapidement la surprise de la révélation, je laissais mon cerveau fuser pour laisser de nombreuses questions m’assaillir. Conscient cependant qu’il fallait que je n’aille pas trop vite en besogne si je ne voulais pas voir la brune se refermer comme une huître, je me décidais à prendre le temps de formuler mes questions les unes après les autres. « Il était au courant ? » C’était la première question qui me brûlait les lèvres, celle qui soulevait le plus de doutes. S’il était au courant, comment se faisait-il qu’il n’ait pas pointé le bout de son nez à l’hôpital à l’instar de Benjamin et d’Eleanor ? Cependant, connaissant suffisamment ma meilleure amie pour savoir qu’elle avait tendance à faire de la rétention d’informations avec un peu trop d’aisance, mon instinct me laissait supposer sans trop de difficulté qu’elle avait dû laisser planer le doute autour de sa paternité le plus longtemps possible.
At the heart of intimacy is self-disclosure. And perhaps the most important reason for self-disclosure is that without it we cannot truly love. △
debra & charlie
JUILLET 2017 △ SPRING HILL
« J’avais presque oublié ce détail. Ça en ferait rêver plus d’un, pourtant. » Bien que la situation n’allait pas réellement dans ce sens là, Debra ne put s’empêcher d’avoir un petit rire. Charlie n’avait pas tout à fait tord, elle savait très bien que plusieurs personnes auraient aimé être à sa place - dans d’autres circonstances, en revanche. Mais au moins, même avant qu’elle ne lui demande confirmation sur ses souvenirs de ce jour là, Charlie lui indiquait avoir la mémoire aussi fraiche à ce propos que la sienne. Pas forcément la meilleure des choses, mais il n’empêchait qu’ils avaient vécu cette journée là de manière assez intense pour que tout reste bien marqué dans leurs deux esprits. Elle se permit quand même de lui demander explicitement par la suite s’il se souvenait parfaitement du mois de mars passé. Elle ne précisa pas, mais elle parlait bien sûre de cette journée toute particulière où Charlie l’avait accompagné presque sans broncher. « Comment pourrais-je oublier ? » Il était vrai que c’était surement compliqué d’oublier. La tournure des événements avait été catastrophique. Mais Debra avait jusque maintenant gardé quelques détails pour elle qui rendait, d’après son côté dramatique, la chose encore plus épouvantable. Il n’y avait pas à dire, sa fierté en avait pris un coup ce jour là. Elle finit par réussir à dire à Charlie ce qui lui pesait sur le coeur depuis tout ce temps, et sa réaction ne l’étonna pas tant que ça. Bien sûr qu’il ne devait pas se douter de ce qu’elle allait lui raconter, bien sûr qu’il était étonné de la tournure des événements. « Attends, tu veux dire qu’il est en Australie ? » Elle haussa doucement les épaules, à la fois désolée de ne pas lui avoir dit - ce qui était plutôt rare chez elle -, mais aussi un peu désabusée. Ce n’était pas comme si elle était professionnelle dans l’enchaînement d’événements inavouables, mais presque. « Il était au courant ? » La première question de Charlie était survenue après un petit temps de silence, que Debra avait enté de respecter au maximum, même si elle aurait voulu le secouer pour qu’il réagisse plus rapidement. Elle ne se sentait pas réellement totalement prête à répondre à toutes ses questions, n’aimant pas s’exposer de la sorte, mais elle ne supportait pas qu’il laisse planer le silence de la sorte. Elle eut un léger soupire, détournant son regard du jeune homme un instant, avant de venir hausser les épaules de nouveau. Pour une fois qu’une situation la laissait presque sans voix. « Miaou ? » Là, par cette interjection, elle laissait entendre qu’elle était complètement coupable de cette situation. Comme si elle tentait de se faire petite et douce pour que l’opinion de Charlie envers elle ne descende pas encore d’un étage. C’était un peu son mécanisme de défense à elle, et ce petit miaulement de chat était le parfait exemple de sa façon d’à la fois faire face en fuyant la situation. Tout comme elle aurait très bien pu sortir un petit roar pour se montrer féline, ou un cui-cui pour se moquer de la personne en face d’elle et lui indiquer que ce qu’elle disait n’avait pas d’intérêt. « Penses-tu, bien sur qu’il n’était pas au courant. » Pour une fois, elle prenait son temps pour parler, laissant toutes ces émotions qui semblaient la traverser - dont un sentiment de malaise mêlé à ces dernières - de côté. « Je l’ai pas appris de suite qu’il était là en fait. Et c’est surtout que… » Comment avait-elle réellement pu en arriver à une situation si complexe ? Parfois, elle se demandait si quelqu’un avec une force supérieure ne la punissait pas de toutes ces années où elle avait agi en pensant que les conséquences n’étaient pas des choses pouvant l’atteindre. « … c’est le copain actuel d’Eleanor ? » Cette fois ci, ce fut un rire nerveux qui lui prit. Elle tenta de l’étouffer, en vain. « Non mais sérieux, est-ce que tu te rends comptes de l’ironie de la chose quoi ? » La jeune femme tourna un regard plein de honte et de tristesse à la fois vers Charlie, alors que son rire ne semblait pas vouloir s’arrêter.
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JUILLET 2017 △ SPRING HILL
J’étais presque étonné que Debra s’aventure sur le terrain de sa grossesse non désirée. Et j’étais encore plus surpris qu’elle m’en parle comme si j’avais pu oublier ce jour. Si je commençais à être abonné aux accouchements, ayant assisté au sien en plus de celui de Théodora, je ne voyais pas comment les souvenirs de cet événement auraient pu m’échapper. Rien qu’à y repenser, je sentais un léger frisson me parcourir la nuque. Mais si j’étais davantage perturbé de la voir se lancer sur ce sujet, c’était parce que depuis que j’avais retrouvé la belle brune, le sujet de sa grossesse et encore plus celui de son accouchement étaient des tabous ultimes. Si en qualité de meilleur ami têtu et protecteur sur les bords, j’étais sûrement un des rares à parvenir à lui tirer les vers du nez à ce propos, je n’arrivais jamais à parler avec sérieux de tout ça sans qu’elle ne s’énerve ou ne finisse par esquiver le sujet. Mais quelle ne fut pas ma surprise de constater qu’en plus d’évoquer son accouchement, elle désirait me parler du père de l’enfant qu’elle avait mis au monde. S’il y avait bien eu un sujet que je n’avais jamais réussi à aborder avec elle s’était bien celui-là. J’ignorais à ce jour encore tout de l’identité de l’homme en question et même de la nature de la relation qu’il avait entretenu avec Debra. J’étais donc tout ouïe, me retenant avec difficulté de lui poser toutes les questions qui me taraudaient depuis des mois. La première étant de savoir pourquoi elle m’en parlait tout à coup et, connaissant ma meilleure amie, j’étais à peu près certain qu’elle n’avait pas trouvé le courage ou eu l’envie de lui faire part de sa grossesse. « Miaou ? » tentait-elle avec un air coupable qui ne m’empêchait pas de lui répondre par un soupir agacé en levant les yeux au ciel. Il n’y avait jamais rien de simple avec elle et j’étais d’avance exaspéré à l’idée de la voir me pousser à lui tirer les vers du nez. Mais elle ne pouvait tout simplement pas me lancer sur le sujet sans répondre à mes questions ! « Penses-tu, bien sûr qu’il n’était pas au courant. » finissait-elle par ajouter. J’avais alors légèrement pouffé de rire, en secouant la tête. « Le contraire m’aurait étonné, je dois bien avouer. » glissais-je alors, sans jugement aucun, connaissant suffisamment le spécimen qu’elle incarnait pour ne plus m’étonner de ses décisions. Sentant néanmoins que pour une fois les voies de la communication étaient étrangement ouvertes entre nous, je me taisais bien vite pour la laisser raconter ce pour quoi elle était venue me trouver jusque dans le palace parental. « Je l’ai pas appris de suite qu’il était là en fait. Et c’est surtout que… » Pour l’encourager à poursuivre, je lui adressais un coup d’œil insistant, sourcil arqué à l’appui. Mais une part de moi ne pouvait s’empêcher de redouter la suite de la phrase qu’elle avait commencé, sachant pertinemment que je n’étais pas à l’abris d’une surprise avec elle. « … c’est le copain actuel d’Eleanor ? » Et le choc de la nouvelle fut tel que ma mâchoire s’en décrochait sur le coup alors qu’elle partait dans un rire nerveux qu’elle peinait à retenir. « Nom de Dieu. » jurais-je, chose que je faisais rarement et qui indiquait à quel point la situation me prenait de court. « Je ne l’avais pas vu venir celle-là, je dois bien avouer. » admettais-je en riant à moitié à mon tour. « Non mais sérieux, est-ce que tu te rends comptes de l’ironie de la chose quoi ? » demandait-elle toujours à moitié hilare et j’étais quelque peu soulagé qu’elle prenne la chose avec humour plutôt que de la voir se la jouer dramatique. « Elle est au courant ? » ne pouvais-je m’empêcher de demander avant d’enchaîner aussitôt. « Attends c’est pour ça que c’est tendu entre elle et toi, n’est-ce pas ? » demandais-je aussitôt en me souvenant de la venue d’Eleanor à l’hôpital lors de son accouchement, uniquement parce que j’avais insisté pour que Debra accepte que je la prévienne. « Tu sais quoi, viens, je vais te payer un café pendant que tu me raconteras toute cette histoire. » Je n’étais pas mécontent de m’éloigner des histoires de ma propre vie pour me concentrer un peu sur celle de ma meilleure amie. Me redressant aussitôt, je l’emmenais jusqu’à un café sympathique que je connaissais dans le coin, prêt à lui réclamer l’histoire en entier.