« Et tu veux que je lui dises quoi maman ? Tu ne penses pas que je suis assez grande pour gérer ça toute seule ? » Le silence au bout du fil en dit long, elle m’agace et ce n’est clairement pas le bon moment, la bonne journée, semaine ou même probablement année pour tenter cela. « Je pensais ça aussi, faire la fière, le coq. Mais avoir quelqu’un à ses côtés, ça aide ma puce, je sais que tu es une femme forte, tu n’as pas besoin de jouer les bornées pour ça. Tu en as pas marre de te mentir même à toi-même ? » Mes yeux se plissent, elle serait en face de moi, j’aurais envoyé ma propre mère au fond du trou. « Elie, ce serait un des plus beaux cadeaux que vous rentriez en Angleterre mais je sais que ce n’est pas ce que tu veux. Vous êtes bien là bas, et Gabby adore l’Australie, ne le laisse pas dicter ta vie, plus maintenant, d’accord ? » Je fais la moue, pourquoi ma mère a toujours eu raison ? « Et s’il gagne ? » Ma voix tremble mais je tente de ne rien laisser paraitre. Même seule dans mon salon, je refuse de le laisser gagner, je refuse de craquer à nouveau, pas cette année, plus maintenant. « Tu sauras quoi faire au moment voulu, mais avant ça, tu dois te battre et ne jamais oublier que tu n’es pas seule dans cette histoire. Je suis sûre qu’il peut t’aider. » Je lève les yeux au ciel. « Tu ne le connais même pas, arrête de faire comme si vous étiez les meilleurs amis. Je te signale qu’il n’est pas parfait dans l’histoire. » Je l’entends rire, elle a de la chance d’être ma mère et d’avoir mon respect éternel… « Tu ne sais pas, peut-être que j’ai déjà fait une nuit blanche de papotage avec lui. » Juste l’idée de voir ma mère et Gauthier dans la même pièce à bavarder me donne envie de rire. Bien jouer maman. « Je dois aller travailler maman. » « Je vois que tu tentes de te débarrasser de ta vieille mère. Tu te rappelles que je ne suis pas encore sénile, je sais que tu travailles beaucoup mais nous n’avons pas deux jours d’écart Elie, c’est dimanche, j’espère bien que tu ne travailles pas. » Busted. « Gabby est chez un copain, je veux juste aller courir, et oublier tout ça, tu veux bien ? » « Tu fais attention et n’oublie pas, même les plus grandes femmes ont parfois besoin de soutien, même quand elle se le refuse. » « Merci pour ton soutien alors mamounette. Bonne nuit, je t’aime. » Même si en ce moment, je t’étranglerais bien. « Bonne journée, je t’aime aussi ma puce. » Le bip sonore retenti à mon oreille et tout mon corps se décrispe. Manquant de lâcher prise, je monte rapidement les escaliers afin de me changer et sortir de cette maison au plus vite, un dernier coup d’œil au courrier reçu la veille au soir. Fermant la porte, je m’arrête, la boule au ventre. Elle est forte, très forte… Je sers les dents, prends mon portable et arrive rapidement au bon destinataire. ‘Gauthier, Daniel a demandé la garde exclusive de Gabriel. Et il veut repartir à Londres avec lui. Je me suis dit que tu devais être au courant. J’en saurais plus la semaine prochaine. J’espère que tout va bien de ton côté. Je t’embrasse.’ Je fronce les sourcils, efface la dernière phrase, appuie sur le bouton, lance l’application et pars en direction du parc le plus proche pour tenter de me vider l’esprit.
A bout de souffle, j’ai le cœur un peu plus léger, ayant réussi à oublier mes problèmes l’espaces de quelques secondes. Il y a quelques jours, je pensais que l’affaire était bientôt clause. Je suis d’accord pour une garde partagée, ce qui me fait déjà mal au cœur, mais pour moi, le divorce était clos. Dans un mois, je devais pouvoir abandonner l’idée d’être attaché à Daniel légalement et devoir régler les heures de passage pour récupérer notre fils. Seulement, il n’en a pas décidé ainsi. Alors que nos avocats se sont mis d’accord, il est revenu sur sa décision. Il a changé de représentant et la lettre est arrivée hier. Il n’acceptera pas le divorce si je refuse qu’il parte à Londres avec mon fils. Il veut la garde exclusive, d’un enfant qui n’est pas le sien. Il veut m’enlever mon fils, ce garçon qu’il a abandonné il y a un an et demi, et je ne le laisserais jamais faire. Je sais parfaitement que Milena a une affaire bien plus importante en ce moment mais elle m’a rapidement assuré que nous nous verrons en début de semaine pour parler de tout cela. Je sais qu’elle trouvera un moyen mais l’idée qu’il puisse gagner me hante. Maïa ne répond pas encore à son téléphone – à sept heure du matin, c’est encore normal, surtout pour elle un dimanche. Je n’ai toujours pas réussi à fermer l’œil de la nuit, finalement heureuse que mon fils ne soit pas à la maison en ce moment. Bien déterminée à me calmer sur un morceau de violon, ou peut-être d’y passer mes nerfs, je reprends le chemin menant chez moi, m’arrêtant net alors que je reconnais cette silhouette sur le pas de ma porte. Ça ne fait pas deux heures que je suis partie, il n’est pas huit heures du matin, un dimanche, il n’a donc rien d’autre à faire ? Une randonnée, un entrainement, un souci familial, une nouvelle âme à héberger chez lui ? Maudissant ma mère de m’avoir convaincu de lui donner des nouvelles, je m’avance jusqu’au portail avant de m’y arrêter, un air imperturbable sur le visage. « Bonjour Gauthier. » Avant de me faire reprendre pour mon manque de politesse comme la dernière fois qu’il a disparu, je ne peux cette fois-ci totalement le blâmer, j’ai moi aussi éviter de le joindre, ne cherchant pas de nouvelles. « Ton nez va mieux ? » Je ne crois pas lui avoir demandé de venir, encore moins à cette heure-là et aujourd’hui. Je me doute de la raison de sa visite, mais même si je m'inquiète pour lui, le ton utilisé n'amène pas une conversation des plus aimables. Et débuter cette conversation sur un ton peu agréable m’aide peut-être à faire comme si je n’étais pas en détresse intense depuis plusieurs heures. Depuis quand est-il là ? Il n’est pas du genre à faire le pied de grue devant ma porte, a-t-il eu assez de chance pour que je cours assez longtemps pour lui laisser le temps de se décider, se préparer et venir ? Je m’avance vers la maison, jetant un œil aux alentours et faisant un signe à ma voisine. Toujours en train d’épier ce qu’il se passe, au moins je sais que si un jour il arrive quelque chose, nous aurons un témoin… Sans aucun signe d’affection, ou même un regard, je passe devant lui, ouvrant la porte. « Tu as déjeuné ? » Désignant la cuisine, je m’y dirige, l’y invitant en même temps. « Du coup qu'est-ce que tu fais là, Gauthier ?» Je lui jette un regard, l’invitant à parler, tout en superposant différents fruits dans l’extracteur et préparer de l’eau au cas où il en prendrait. Je ne l’ai pas vu depuis plusieurs semaines, voire mois, il me manque mais je n’ai pas le temps ni l’envie de penser à lui en ce moment, Gabriel étant ma priorité absolue et Daniel faisant en sorte de me garder assez occupé pour que je ne puisse penser à autre chose que notre mariage…
Les nuits sont courtes - comme elles l’ont toujours été, les réveilles matinaux commence par une douche. Il enfile son pantalon, cette chemise blanche qu’il ne quitte pas même le dimanche, direction la cuisine silencieuse, il aime cet instant de la journée ou il est seul - la maison qui dort, son déjeuner qu’il prend seul dans le silence, il s’en délecte, il en profite en sachant que bientôt Ollie viendra le rejoindre en tentant de faire comme son oncle. Avant ça il passe dans son bureau, une oeil sur la bourse, il est concentré quand son téléphone sonne sur le bureau. Une expression de surprise sur le visage - qui peut bien le joindre à cette heure de la journée un week-end, il n’a pas vu de gros drame dans le cours de la bourse. Mais c’est le prénom d’Elisabeth qui s’affiche sur son portable, le troublant juste assez pour qu’il mette quelques secondes avant d’ouvrir le message. « Gauthier, Daniel a demandé la garde exclusive de Gabriel. Et il veut repartir à Londres avec lui. Je me suis dit que tu devais être au courant. J’en saurais plus la semaine prochaine. J’espère que tout va bien de ton côté. » Son palpitant qui s’accélère d’un coup, il respire un peu plus vite, peine à garder son calme légendaire alors qu’il relit le message. Il repose le téléphone, le regard dans le vide, ne pas se projeter, ne pas trop y réfléchir, il voudrait en être capable. Ne pas penser à la détresse d’Elisabeth… Il se lève avec lenteur, le regard toujours fixé devant lui - sur rien et pourtant pas vraiment dans le vide. Le téléphone qu’il récupère et glisse dans sa poche. Les clefs de sa voiture qu’il attrape comme un automate, sans même se poser de question.
Il connait bien la route - trop bien sans doute - celle qui le mène devant la maison d’Elisabeth. Une fois sur place il se fige pourtant. Les mains sur le volant de sa voiture. Quand il pense à Elisabeth tout s’embrouille, il ne sait plus ce qu’il ressent, ce qu’il veut, il n’y plus qu’elle qui l’anime et une partie de lui déteste assez ça pour que ça le freine. Mais au fond de lui cette petite voix lui crie qu’elle a besoin de lui - qu’ils ont besoin l’un de l’autre. Qu’il n’est plus temps de se protéger lui mais de penser à l’avenir, à ce qu’il veut. Il sort, reste un instant devant le portail avant de sonner, un appelle qui reste sans réponse. Il essaye encore. Toujours rien, le silence, l’abandon hésitant un instant à faire demi tour. Un long soupire alors qu’il se passe la main dans les cheveux… Il attend… Se sent idiot, parce que ça lui ressemble si peu, et pourtant… Une dizaine de minutes s’écoulent avant que la silhouette de la blonde ne se dessine. « Bonjour Gauthier. » La voix est cassante, comme si il n’avait rien à faire ici. « Je ne demandais pas tant d’enthousiasme. » Qu’il lui répond ironiquement. « Bonjour Elisabeth. » Sa voix à lui est plus tendre, plus douce comme si il voulait l’envelopper avec cette dernière. « Ton nez va mieux ? » La main du trader qui se pose furtivement sur ce dernier… « Il se remet doucement… » Tout comme lui - tout comme eux… Il faut du temps et de la patience… Et les cicatrices qui ne s’en iront jamais vraiment.
Elle passe devant lui - à peine un regard - il ne le reconnait pas. Un comportement qui l’inquiète un peu, une Elisabeth comme déconnectée de toute émotion. Il l’a suit jusqu’à la porte sans pourtant y être invitée. « Tu as déjeuné ? » Il a déjeuné mais ne craint qu’en refusant l’invitation la porte ne se referme définitivement sur son nez - ce dernier ayant déjà bien assez souffert. « Je prendrais volontiers quelque chose à boire. » Tous deux s’introduisent dans la bâtisse en silence, rejoignent la cuisine toujours sans un mot. Il l’observe alors qu’elle fait mine d’être seule. Ne relevant les yeux qu’après avoir préparé quelques fruits comme si elle se souvenait soudainement de sa présence. « Du coup qu'est-ce que tu fais là, Gauthier ?» Il fronce un peu les sourcils comme si la raison était évidente, se lève pour se rapprocher un peu d’elle, la surplombant un peu alors qu’elle continue à faire mine de rien. « Ce message ressemblait à s’y méprendre à un appelle au secours. » Il peut se tromper, peut-être qu’il n’est qu’à titre d’information comme elle le prétend. Mais il l’a connait Elisabeth, cette femme qui fait mine d’être détachée ce n’est pas celle pour qui son coeur bat. Et elle vient d’apprendre que son conjoint veut lui enlever son enfant. « Qu’est ce que tu vas faire maintenant… ? » Maintenant que la guerre est déclarée entre eux. Qu’est ce qui la retient ici au final ? Qu’est ce qui l’empêche de retourner en Angleterre pour tempérer les choses et avoir une garde partagée ? Il espère qu’il le sait… Espère qu’il ne se trompe pas. « Ils ne t’enlèveront pas ton fils Elisabeth… Il faut te battre. » Il déglutit un peu. Les mots au bord des lèvres qui ont tellement de peine à sortir. Il se fait violence pourtant - pour la première fois peut-être… Pour lui dire ce qu’il veut - même si ce n’est peut-être pas le bon même. Même si il est venu pour elle à la base. « Je ne veux pas que vous repartiez. » Elle semble étonnée par les mots, lui aussi. Comme si il réalisait maintenant seulement son attachement pour Elisabeth et Gabriel… Son envie de les garder proche de lui, même si il ne sait pas en profiter comme il se doit.
« Je ne demandais pas tant d’enthousiasme. » C’est vrai, il a raison. J’aurais pu être plus sèche. Il se pointe la bouche en cœur, juste pour un message et il pense que je vais faire quoi ? Lui sauter au cou ? Il oublie qu’il n’a pas réellement pris de nouvelles depuis deux mois ?! « Bonjour Elisabeth. » Il est doux, comme s’il ne m’en voulait pas d’être aussi cassante, pourtant je n’en ai rien à faire. Bonjour s’il le souhaite, en attendant je ne peux plus supporter ses venues que lorsque monsieur a du temps et penses que je deviens une demoiselle en détresse. S’il voulait tant que ça s’impliquer dans la paternité de mon fils, il aurait peut-être pu passer quelques coups de fils, ne serait-ce que pour Noël. Mais comme toujours, c’est peut-être trop demandé pour cet homme bien trop occupé. Il m’énerve. Tout m’énerve. Mon manque de sommeil étant d’autant plus présent et ma conversation avec ma mère bien trop proche, je reste persuadée qu’il aurait dû dormir encore quelques heures avant de se pointer ici. Ça m’apprendra à envoyer des messages aussi tôt alors que je sais parfaitement que cet homme ne dort jamais bien longtemps le matin. Pourtant, je ne peux m’en empêcher, sur un ton sec, je m’inquiète tout de même sur l’état de son nez et sa main qui s’y arrête, me prouve que ce n’est pas encore un passage oublier sur son corps. « Il se remet doucement…» Bien, je pourrais peut-être l’abîmer un peu mieux pour qu’il en ait pour un peu plus longtemps. Pourtant, j’ai mal pour lui. Je sais parfaitement ce que fait l’effet d’un nez cassé. Ça ne part pas du jour au lendemain et cette impression que notre nez n’est plus le même reste pour toujours. La courbure du mien a changé depuis cette tempête, et je vois parfaitement l’endroit où mon mari a frappé sur l’arrête parfaite de celui de Gauthier. Tentant de ne pas lui montrer mon léger sourire, je m’avance droite vers la porte, lui proposant un petit-déjeuner. Vu l’heure, la bière n’est pas réellement un option… « Je prendrais volontiers quelque chose à boire. » L’entendant, je reste pourtant silencieuse en l’amenant dans la cuisine où je m’affaire à préparer un thé et un jus de fruit.
Alors que ma question raisonne encore dans la pièce, il se lève et je me relève comme pour reprendre de la constance mais en profite pour arrêter l’eau, ne voulant pas me retrouver face à lui. Je sais parfaitement l’emprise qu’il peut avoir sur moi et je refuse de me retrouver à nouveau faible. Entre lui et Daniel, je n’ai pas reçu deux cadeaux sur ce début d’année et si le dernier mériterait que je rompe tout lien et le renvoi dans son pays, l’autre devrait se rendre compte que je ne suis pas non plus une veuve épeurée – même si avouons-le, à ses côtés, ces derniers temps, j’ai rarement cette assurance qui peut me caractériser… « Ce message ressemblait à s’y méprendre à un appelle au secours.» Je lève un sourcil et me tourne face à lui, tentant de me maintenir droite, comme si je pouvais d’un coup être plus grande que lui. Son regard est doux et attentionné, mais je refuse de l’accepter. Si je le fais, je craquerais et en plus de refuser d’offrir ça à Daniel, je ne souhaite pas m’afficher de nouveau, ainsi devant Gauthier. Je sers les dents et hausse les épaules négligemment. « Je voulais juste t’informer. » Je maintiens son regard et mon cœur se serre. Reste détachée Elie, reste détachée. « Qu’est ce que tu vas faire maintenant… ? » Ma gorge, sèche tout d’un coup, se serre et je me retourne vers l’extracteur pour récupérer le jus des fruits. Ce que je vais faire ? Me battre, ne pas lui laisser cette chance et lui en laisser encore moins que ce que je comptais faire au premier abord. Il aurait pu obtenir une garde partagée simple, une semaine chez l’un, une chez l’autre. Aujourd’hui, il est hors de question qu’il ait mon fils plus d’un week-end toutes les deux semaines, voir tous les mois. Il pouvait tout me faire, s’attaquer à la garde de Gabriel et me menacer de l’amener à des milliers de kilomètres de moi, est de trop. Repartir en Angleterre et le suivre ? Je n’y pense même pas. J’ai refait ma vie ici, et je ne souhaite pas rentrer. Ce n’est pas à moi de le suivre. Nous ne serons plus marier. S’il veut voir notre fils grandir, il devra s’installer ici. Sinon, il pourra le voir un mois durant les vacances d’été – qui sont celles d’hiver à Londres. Je bouillonne. Parler de tout ça, me met les nerfs en pelote et mon calme est loin d’être là. Il a de la chance que j’ai épuisé toute mon énergie quelques minutes plus tôt, sinon, son nez aurait déjà goûté à ma porte. J’ai envie de crier, de le frapper, juste pour me défouler, juste pour lui montrer que ce message était bien un cri au secours, pour lui dire que j’ai besoin de lui, j’ai besoin qu’il m’aide. Pour lui dire que je ne veux plus de « qu’est-ce que tu vas faire ? » Mais bien de « qu’est-ce que nous allons faire ? » Il a avoué à Daniel être le père de Gabriel, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Je le déteste pour ça et je ne supporte plus son regard ainsi posé sur moi, il me touche trop, il m’atteint trop et je suis même incapable de lui répondre quoi que ce soit sans être contre une de mes idées. « Ils ne t’enlèveront pas ton fils Elisabeth… Il faut te battre. » Ma respiration se coupe. Je me tourne rapidement pour chercher des tasses, ma vision s’embuant légèrement. Mes poumons me font mal et l’air se fait rare, un sprint n’est rien à côté des pensées qu’il vient de m’insuffler. Alors que Gabriel n’était qu’un bisou en rentrant du travail il y a deux ans, il est devenu le centre de ma vie, la pierre angulaire et ma raison de vivre depuis notre arrivée à Brisbane. Je ne peux plus imaginer ma vie sans lui et la simple idée qu’il puisse retourner avec Daniel à Londres me donne des idées noires. Je ne le laisserais pas faire. Gauthier n’a pas besoin de me dire de me battre. Je sors les tasses, les verres et les pose sur un plateau, comme les différents liquides alors que mes pensées fusent. Il faut te battre. Alors que ma colère se mélange à ma tristesse, mon cœur se serre. Sa voix est faible, non habituelle. Il n’a pas cette assurance parfaite de tous les jours. Il n’est pas là pour un appel au secours de ma part, le message l’a réellement fait réagir. Il a peur que Gabriel s’échappe de sa vie également. Il voudrait donc réellement prendre part à la vie de notre fils ? Je réfléchis, je dois lui répondre, le rassurer, mais comment m’y prendre tout en lui montrant que je lui en veux ? Je prends une inspiration, préparant une phrase parfaite entre le pique et la douceur. Je me mords la lèvre et prend tout mon courage, alors que mes mains s’accrochent au plateau devant moi.
« Je ne veux pas que vous repartiez. » Quoi ?! Tout mon corps se relâche et je me retourne sans réfléchir, lui faisant enfin face. Mon corps tout entier tremble alors que je ne réalise pas ses propos. Mes paupières battent plusieurs fois et je dois m’appuyer contre le meuble derrière moi pour garder une certaine présence. Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait de Gauthier ? Jamais je ne l’ai entendu être aussi franc, être aussi réel et alors que mon cœur est en larme, entre joie et passion, mon corps ne sait plus réagir. Abandonnant l’idée de lui répondre violemment, je reste immobile alors que mon regard le fixe plus intensément que jamais. « On ne partira pas, Gauthier. » Plus douce que je ne pouvais l’espérer, ma voix l’englobe d’une tendresse rassurante. Comme si j’étais certaine de mes propos alors que quelques heures plus tôt, ma mère regardait les logements et les jobs que je pourrais reprendre dans la capitale anglaise, en cas de mauvais revirement. Ma tête bat doucement de droite à gauche comme pour appuyer mes dires alors que mon cœur s’allège doucement. « Je ne le laisserais pas faire. Gabriel ne partira nul part et encore moins sans moi. » Sa seule sortie de territoire pourra être fait pour des vacances mais il est hors de question que mon fils subisse un deuxième déménagement de l’autre côté du globe. Et quoi que je ressente, quoi que je dise, je tiendrais ma promesse faite à Gauthier, il a le droit de le connaître, et je ne partirais pas d’ici, tout comme son fils. Je ne pourrais de toute manière pas partir à nouveau aussi loin de lui… « Ce que je compte faire ? » J’hausse à nouveau les épaules, un peu plus positive et remontée en énergie, mes iris ne le lâchant plus et le fixant peut-être trop tendrement. « Je vais me battre oui. Et il peut oublier la garde partagée équitable, il ne l’aura pas et je sais que je gagnerais. » J’ai confiance en Milena et je pense avoir un dossier assez en sa défaveur pour que le juge accepte ma demande. Il peut désormais oublier toute sympathie de ma part et devrait même se trouver heureux que je lui laisse un semblant de garde et non uniquement des droits de visite. Je sais que j’aurais ce que je souhaite car si je n’étais pas certaine de ce que je souhaitais il y a quelque jour, Daniel vient de me faciliter la tâche et personne ne se met entre mes objectifs et moi. Mon fils restera avec moi et à Brisbane, un point c’est tout. Enfin, mes lèvres s’étirent en un sourire et je m’avance de lui, peut-être trop proche. Mes mains se posent doucement sur ses avant-bras, mon regard ne lâchant toujours pas le sien. « Mais nous n’allons nulle part, je te le promets. » Je ne sais pas d’où me vient cette assurance, probablement de lui mais je le sais et je ne romprais pas cette promesse, il en est hors de question.
Il s’ouvre un peu à elle, tente un rapprochement alors qu’Elisabeth se referme comme une huitre. Elle le regarde à peine, il est comme un étranger dans cette maison, un intrus pas invité… Elle voudrait sans doute le voir loin - du moins c’est l’impression qu’elle lui donne. Mais il ne va nul part, pas maintenant qu’il est là. Parce qu’il ne croit pas à son : « Je voulais juste t’informer. » qu’elle lui serre sans baisser le regard. Ce même regard qu’il connait trop bien - et dans lequel il lit le besoin de se persuader, de lui faire croire qu’elle peut gerer ça toute seule. Mais il n’y croit pas - et n’a pas envie qu’elle le fasse. Il est mauvais en terme de timing, il prend souvent les mauvaises décision, mais il est là maintenant. Et il est temps qu’il se livre il le sait - même si c’est dur - même si c’est aller contre ses propres instincts. Il est temps qu’il donne son point de vu - qu’il exprime ses envies. Et les quelques mots changent tout - ils ne sont rien et tout à la fois. Elle se retourne et semble le voir pour la première fois aujourd’hui, le regarder vraiment. Il reste stoïque lui - le corps un peu tremblant, les poings qui se serrent pour cacher le trouble. Il attend une réponse maintenant - le temps qui semble s’étirer les secondes qui sont des heures avant qu’enfin elle ne rompe le silence. « On ne partira pas, Gauthier. » Sa mâchoire qui se serre un peu plus - pour cacher toutes émotions de son visage - pour ne pas qu’elle voit son trouble. L’inquiétude qui l’habite à l’idée de les voir repartir. De ne plus avoir la chance d’avoir une place dans la vie de Gabriel… « Je ne le laisserais pas faire. Gabriel ne partira nul part et encore moins sans moi. » Il l’écoute, essaye de se convaincre qu’elle a raison, de croire en elle, comme il aurait du le faire dès le début.
« Ce que je compte faire ? Je vais me battre oui. Et il peut oublier la garde partagée équitable, il ne l’aura pas et je sais que je gagnerais. » Son coeur s’emballe un peu. Cette fois il ne prendra pas la défense de celui qui était son meilleur ami - il ne rejoindra pas son camps. Il trouve la décision dur pour lui - mais Daniel a voulu la guerre, il a refusé la garde partagé qu’elle lui offrait - maintenant il ne peut plus le défendre… Il est seul et Gauthier à sa propre équipe, ses propres intérêts. Elle s’approche de lui et un frisson le parcourt quand les mains de la blonde se posent sur ses avants bras. Leurs regards qui se captent, qui s’entremêlent, se retrouvent comme si ils ne s’étaient jamais quittés. « Mais nous n’allons nulle part, je te le promets. » Elle ne lâche pas son regard, réussi même à l’en convaincre. Le silence qui les englobe à nouveau, presque rassurant, comme un vieil ami pour eux. Dans un mouvement passionnel il bouge pourtant, se rapproche un peu plus pour venir la serrer dans ses bras, une étreinte douce et rassurante. Il la rassure elle, se rassure lui même. La où il n’arrive pas à lui dire qu’il est là pour elle, il tente de lui montrer. Sa main qui vient caresser les cheveux de la blonde. Combien de temps dure cette étreinte ? Il n’en sait rien, mais n’a pas envie d’y mettre fin.
Un baiser sur ses cheveux avant de finalement se séparer d’elle. Il lui offre un sourire, un peu complice avec un petit air un peu coupable. « J’ai toujours le droit à ce déjeuner ? » Il change de sujet, se sépare un peu d’elle pour passer de l’autre coté du comptoir et s’y accouder. Il ne parle pas beaucoup Gauthier, parce que c’est son habitude, parce que les mots lui semblent superflus. Attrape le jus de fuit qu’elle lui tend pour le siroter. « Gabriel n’est pas là ? » Il se doute qu’il est loin, Elisabeth n’étant pas le genre à laisser son fils seul à la maison. C’est peut-être le moment parfait pour parler de lui. « Je voulais aller camper avec Oliver le week-end prochain. Je me disais que Gabriel pourrait peut-être ce joindre à nous. » Les deux petits garçons étant très amis, Gauthier se cachait volontairement derrière cette excuse pour ne pas dire clairement qu’il avait envie de passer du temps avec celui qui était son fils biologique. Oliver était la parfaite excuse pour lui. « Tu es la bienvenue aussi si tu le souhaites. » Il sait que c’est un jeu dangereux, c’est toujours le cas avec Elisabeth. Et leurs dernières virés en foret n’ont pas été des grosses réussites. La dernière ayant envoyé Daniel à l’hôpital, celle d’avant révélé la paternité de Gauthier. Il a peut être tord de lui proposer… Peut être que profiter des garçons juste pour lui est une meilleure idée. Mais il laisse Elisabeth juge.
Quand cet homme a développé ce pouvoir ? Le pouvoir de modifier mes émotions en seulement quelques secondes. Celui de me troubler et de mélanger mes pensées assez pour que moi-même je ne sache plus ce que je souhaite réellement. Ses paroles, son regard, ses gestes, tout provoque en moi des réactions multiples, même minimes. Alors que j’étais prête à le mettre à la porte quelques minutes plus tôt, je me vois changer de comportement afin de le consoler, de l’aider et de lui montrer qu’il n’a aucune raison de s’inquiéter. La même réaction que je pourrais avoir face à mon fils, le même sentiment que face à toute personne qui compte énormément dans ma vie : ma mère, Maïa, ses pères, Gabriel et lui. Personne d’autre ne peut avoir une telle influence sur mes désirs, sur mes idées. Mon cœur bat trop fort et il en est la cause. Ce pli qu’il retient sur son front, sa mâchoire tirée, je sais qu’il tente de se contenir et pour n’importe qui, il le fait à la perfection. Seulement, j’ai appris à le connaître, à jouer trop régulièrement avec ses émotions pour savoir qu’il n’est pas tranquille et que même s’il essai du mieux qu’il peut de me croire, il garde ses doutes, ceux qui font de lui, l’homme qu’il est. Pourtant, je lui promets, je lui promets que nous ne partirons pas. Que son fils restera à sa portée. Je n’ai rompu qu’une promesse dans ma vie. Celle d’aimer à jamais et ce jusqu’à ce que la part nous sépare, celle faites à Daniel cinq ans plus tôt. Je refuse d’en briser d’autres et je sais que rien ne pourra m’arrêter pour garder celle-ci. Nos regards ne se lâchent pas, ma respiration est lourde et je me sens étrangement apaisée alors que quelques minutes plus tôt, j’étais prête à exploser le moindre objet de ma maison. Silencieux, immobiles, nous restons ainsi un moment, son contact réchauffant mon cœur. Lorsque pourtant il bouge, mes sens s’emballent et s’effritent dans un sentiment d’impuissance face à la proximité avec Gauthier. Mes bras l’enlacent après un léger moment d’hésitation et ma tête se pose sur son torse endroit le plus rassurant que je connaisse. Ses gestes, sa chaleur qui m’englobe, mon souffle sur son torse, je refuse de laisser ce moment se terminer et ainsi, nous restons un temps, sans savoir combien de secondes, minutes se sont écoulées.
Détendue, apaisée, cette étreinte était exactement ce dont j’avais besoin. Je remercie son silence et sa délicatesse lorsque je sens son baiser se déposer sur mes cheveux avant qu’il ne s’éloigne de moi, rompant cet instant de paisibilité instance mais laissant tout de même planer un sentiment de sécurité. Je ne peux que répondre à son sourire, le mien venant automatiquement à la vue de ses lèvres étendues. Je comprends son regard et le laisse partir de l’autre côté du comptoir. « J’ai toujours le droit à ce déjeuner ? » Je fais mine d’hésiter mais attrape son jus de fruit et lui tends. Pas vraiment un déjeuner mais… Il faut l’avouer n’ayant pas réellement faim, je deviens une hôte plutôt mauvaise. « Gabriel n’est pas là ? » Je fais non de la tête. « Il est chez un copain. Une soirée pyjama il me semble. Il m’a supplié d’y aller, je suis persuadée qu’il y a Mia et comme il n’a d’yeux que pour elle en ce moment. » Je souris repensant à mon fils de cinq ans voulant se faire beau pour partir à une soirée pyjama. Déjà que je pensais que ce genre de soirée n’était réservé qu’aux filles… Même si ce moment m’a montré que mon bébé est devenu grand, je ne peux m’empêcher d’être heureuse que son copain Théo est organisée cette soirée, je n’aurais pas pu cacher tous les évènements à mon fils autrement. « Je voulais aller camper avec Oliver le week-end prochain. Je me disais que Gabriel pourrait peut-être se joindre à nous. » Cette fois-ci je ne cherche même pas à retenir mon sourire et le fixe sans filtrer les émotions que je ressens en moi. « Ça fera de lui le petit garçon le plus heureux du monde. » En plus d’adorer Oli, Gabriel idolâtre Gauthier. Il ne rêve que d’une chose : repasser des moments avec lui. Le fait que la proposition vienne du trader me conforte dans sa volonté et je ne vois pas comment je pourrais m’y opposer. « Tu es la bienvenue aussi si tu le souhaites. » Je fais la moue. C’est une proposition très alléchante. J’adore ce genre de moment et le passer avec eux trois serait réellement parfait. Seulement, je me rappelle des mots de Milena : Faire attention. Est-ce qu’un camping serait réellement propice à faire attention lorsqu’on regarde nos dernières escapades et leur déroulé ? Et je ne suis pas certaine de ne pas travailler ce week-end-là – excuse quand tu nous tiens… « Quel honneur, je note, je te redirais ça dans la semaine. Je ne sais pas si je suis disponible et si… » Je m’arrête avant de dévoiler mes pensées. Si c’est judicieux. Et le fait que Gauthier puisse passer un moment avec Gabriel seul est également une bonne chose, peut-être faut-il que j’apprenne à lâcher un peu de lest. « Et une sortie entre garçon, sans « fille » pour superviser, je suis certaine que ça vous arrange tous. » J’ironise mais si j’ignore la réaction de Gauthier face à cela, je sais que les deux garçons seraient d’accord avec moi. Même si je suis loin d’être celle qui les ralenti habituellement.
D’un coup, le visage de Théo, la sœur de Gauthier me revient ainsi que notre conversation suite à la réunion parents-profs de l’école des garçons. Je prends mon jus à mon tour et en bois une gorgée. Bien installée face à lui, je savoure le fait de ne pas être trop proche afin de garder mes esprits le plus possible. « Les fêtes de fin d’année n’ont pas été trop difficile ? » Je souris en biais, visant mon but doucement. Pourtant, incapable de tenir longtemps, je me mords la lèvre inférieure comme un tic que je ne peux enlever. « Je ne sais pas si elle te l’a dit mais, j’ai vu Théo un peu avant les vacances… Tu leurs a dit ? » Je ne sais pas si Théo est toujours la seule à connaître la vérité sur le lien liant leur frère et mon fils ou bien si l’annonce était devenue officielle au cours des derniers mois. Je suis assez curieuse de leur réaction et surtout du comment il a bien pu se débrouiller avec ça. Pourquoi le faire sans me prévenir ? Pourquoi le faire tout court si par la suite, il se noie dans le travail ? Je lis mes mains l’une à l’autre, en jouant avec mes doigts pour éviter de trop penser. Mon regard se pose pourtant sur lui, léger, simple et sans aucune rancune. Je ne veux pas revenir dans une dispute, juste une discussion entre adulte, comme nous sommes peu capable d’en avoir. « Oh et… Viens. » Je dépose mon verre, souhaitant, sans savoir pourquoi, lui montrer une des raisons de mon comportement de tout à l’heure. Le pourquoi je lui en voulais tant de ne pas avoir pris de nouvelle et d’ainsi s’éloigner encore doucement de Gabriel. En même temps, je sais qu’il doit également voir ça, pour lui, parce qu’au fond, même s’il ne le montrera pas, il n’y restera pas insensible. Faisant le tour du comptoir, je lui fais signe de me suivre, montant les escaliers et tournant à la deuxième à gauche : la chambre de Gabriel. Je l’invite à rentrer dans l’intimité de cet enfant tout en sachant que ce dernier ne m’en voudrait pas pour cela. Il voulait que le trader le voit. Détachant un des dessins au-dessus du lit de mon fils, je le tend à Gauthier. Un sourire plein de fierté, je le laisse se saisir de la feuille. « Il m’a donné ça en début de semaine, me demandant de le scanner en plusieurs fois pour que chacun ait un exemplaire. » A nouveau, je me mords la lèvre, le laissant silencieusement découvrir le dessin assez adroit de Gabriel. La représentation montrait plusieurs personnages. Je ne sais pas quand mon fils a réussi à y voir plus clair que nous mais alors que les personnages de ce tableau étaient Daniel, Maïa, sa grand-mère, Gauthier, lui et moi, il avait dessiné Daniel et Gauthier à mes côtés. La main de Daniel séparée de la mienne alors que de l’autre côté nos mains étaient parfaitement enlacées. Derrière on y voyait un décor fait de montagne et une tentative de recopie de l’île que nous avions visité avec le bateau de l’anglais. Il s’était mis en dessous de tous les adultes avec un cœur dans les bras. Un dessin démontrant sa vision des choses mais qui me rend également fier par la qualité de son rendu. Gabriel n’a que cinq ans, mais ses tracés sont bien plus beaux qu’un autre enfant de son âge. Gauthier aura probablement sa version, mais uniquement lorsque son fils aura décidé de le lui donner, où lorsqu’il le verra enfin. « Tu feras comme si tu ne l’avais jamais vu, bien sûr. » Un peu honteuse d’avoir dépassé le petit garçon sur ce point, je ne pouvais tenir ainsi sans dévoiler ce ‘secret’ à Gauthier, et pour lui prouver l’importance qu’il avait dans la vie de l’enfant pour être l’image de « ses cinq personnes favorites au monde».
Les temps qui se met à courir à nouveau, comme pour rattraper ces instants presque hors du temps, cette étreinte qu’ils se sont permis sans savoir si il y en aurait une autre. Il ne sait rien de l’avenir Gauthier, pas même si Gabriel en fera parti. Mais il essaye de se faire une raison… D’accepte qu’il ne peut pas tout contrôler, parce que les actions des autres lui échappent, et que c’est un risque à prendre quand on laisse des gens entrer dans sa vie. Il essaye de prend ce qu’on peut lui donner aujourd’hui et ce matin c’est un jus de fruit qui fera l’affaire. « Il est chez un copain. Une soirée pyjama il me semble. Il m’a supplié d’y aller, je suis persuadée qu’il y a Mia et comme il n’a d’yeux que pour elle en ce moment. » Il a déjà entendu parlé de cette Mia, dans la bouche de son neveu, et il semblerait qu’elle ait plus d’un admirateur. « Cette fille en fait tourner des têtes. » Il ne leur reste qu’à espérer que leur jeune âge les empêchent de se brouiller pour une fille. Il voudrait pouvoir dire qu’aucune n’en vaut la peine… Mais les choses ne sont parfois pas si simples. Ils en sont la preuve. « Je me demande comment cet enfant peut être aussi sociable. » Quand on voit son héritage, ça tient du miracle. Mais il n’oublie pas que Gabriel a été élevé en grande partie par Daniel… Une légère grimace qui s’affiche sur son visage à cette pensée. A ce qu’ils vont essayer d’enlever à l’homme qu’il considérait il y a encore peu de temps comme son seul vrai ami. Et pourtant il se sent l’envie de s’investir, d’en faire parti un peu, sans pourtant trop en demander. « Ça fera de lui le petit garçon le plus heureux du monde. » Un léger sourire sur son visage, presque un peu gêné.
« Quel honneur, je note, je te redirais ça dans la semaine. Je ne sais pas si je suis disponible et si… » Il y a cet instant d’hésitation. Ce flottement un peu étrange que Gauthier ne sait pas déchiffrer. Il attend la suite, une suite qui ne viendra jamais. Une suite qu’il ne saura pas deviner. « Et une sortie entre garçon, sans « fille » pour superviser, je suis certaine que ça vous arrange tous. » Il n’en est pas si sûr, mais elle semble vouloir s’en convaincre. Comme si c’était le meilleur moyen d’éviter d’y réfléchir trop longtemps. De ne pas songer à cette dernière sortie faite avec les enfants et qui avait été un tsunami d’émotions et de retournements de situation. « Ta présence est toujours un plaisir Elisabeth. » Il se permettra juste de glisser ces quelques mots, comme quelque chose d’un peu officiel, un peu détaché de ses émotions juste pour glisser l’information avant d’emmener son verre à sa bouche pour en boire une gorgée.
« Les fêtes de fin d’année n’ont pas été trop difficile ? » La question le surprend un peu, parce qu’il oublie parfois comment faire la conversation. Parce qu’il n’a jamais vraiment aimé ça, mais que pour Elisabeth il fera un effort, il apprendrait presque à aimer ça. « Ca a été. » Il n’en dira pas plus, les détails étant superficiels à son avis. « Et toi ? » Par politesse il lui retourne la question, s’intéresse pourtant à la réponse parce qu’il se surprend une fois de plus à boire les mots de la blonde sans réfléchir au sens et à l’utilité. « Je ne sais pas si elle te l’a dit mais, j’ai vu Théo un peu avant les vacances… Tu leurs a dit ? » Il fronce un peu les sourcils d’abord, comme si il n’avait pas compris. Prend le temps avant de répondre. « Je ne voulais pas qu’il l’apprenne de quelqu’un d’autre. » Mais avouer cette vérité à sa famille n’était pas une partie de plaisir. « Leurs réactions étaient plutôt mitigées. » Et pour cause, il n’avait jamais été très doué pour ce type de déclaration. « Mais ça passera. » Il en était persuadé, avec sa fratrie le temps avait toujours fait son effet, il en serait de même cette fois. Il ne pouvait pas en être autrement, et affronter une vraie conversation avec eux ne faisait pas parti de son programme.
« Oh et… Viens. » Elle change d’expression d’un coup. Donne l’impression d’une enfant qui va lui montrer un trésor. Gauthier la suit, pénètre dans cette chambre d’enfant qu’il n’a encore jamais vu. Un peu gêné comme si sa place n’était pas là - il attrape la feuille qu’elle lui tend. Observant le dessin, une pointe d’angoisse lui serrant la poitrine. « Il m’a donné ça en début de semaine, me demandant de le scanner en plusieurs fois pour que chacun ait un exemplaire. » Il ne sourit pas Gauthier, voudrait que ça l’attendrisse mais c’est plutôt l’anxiété qui s’empare de lui. Cette impression qu’il ne sera pas à la hauteur, que cet enfant mérite une vie plus stable, un foyer comme il avait il y a quelques mois. « Tu feras comme si tu ne l’avais jamais vu, bien sûr. » Il hoche la tête mais ne quitte pas le dessin des yeux. Les mains enlacées de ses parents que Gabriel a tracé, une violence qu’il devine sans pourtant qu’elle ne soit perceptible. « Dire que je le pensais inconscient des enjeux… » Il avait tort. Tort de croire que toute cette histoire ne pouvait pas l’affecter. Si il ne doute pas que ce dessin est une preuve d’amour c’est bien plus compliqué pour Gauthier de le voir - encore plus d’y accepter sa place. « Tu penses qu’on devrait lui dire ? » Lui qui avait peur jusque là de rendre la situation plus compliquée devait se rendre à l’évidence. Le flou était présent dans l’esprit du jeune garçon aussi… « Je voudrais faire au mieux pour lui. » Mais qu’est ce que le mieux. Pour l’esprit de Gauthier il est bien difficile de le définir, ses standards semblant si loin de la réalité des autres personnes.
La présence de Gauthier annihile toutes mes autres inquiétudes. J’ai l’impression qu’avec lui à mes côtés, j’y arriverais. Je n’ai jamais été une grande rêveuse, ou plutôt, tous mes rêves m’ont toujours semblé réalistes. Sa proximité, me permet de retrouver cette foi en moi et de croire que je suis capable d’affronter n’importe quoi. Le fait qu’il s’inquiète de la présence de Gabriel me touche. Il a beau le nier, je suis certaine qu’il pourra être un père excellent pour mon fils. Il en est déjà un pour ses frères et sœurs ou même pour Oliver, pourquoi quatre ans d’absence feraient de lui le plus mauvais père de l’année ? « Cette fille en fait tourner des têtes. » Je lève les sourcils. Gabriel ne m’a pas précisé qu’il avait de la concurrence sur ce terrain-là. En espérant qu’il ne tienne pas trop de ses deux pères sur ce point et que cette jeune fille de détruise rien dans l’amitié qu’il a avec son cousin. Une discussion est probablement à prévoir pour éviter trop de dégâts ou même un harem à cette petite Mia. « Je me demande comment cet enfant peut être aussi sociable. » Je ris sans pouvoir m’en empêcher. J’ouvre de grands yeux et joue l’innocente. « Je ne vois pas de quoi tu parles, j’ai toujours été extrêmement sociable. » Je n’ai jamais réellement eu de grosses problématiques de ce côté-là, probablement grâce à la présence de Maïa dans ma vie plus qu’autre chose. Bien que je sache agir en société et que je m’y mêle parfaitement, je préfère passer une semaine seule en montagne ou entourée seulement des êtres chers à mon cœur plutôt que d’être coincé avec du monde autour de moi. Gauthier étant pire que moi, heureusement que Daniel a eu cette influence positive sur Gabriel.
C’est le côté aventurier que Gauthier travaillera chez cet enfant et il me le prouve rapidement en demandant s’il pourrait l’amener en randonnée le week-end prochain. Son sourire fait fondre mon cœur alors qu’il en profite pour m’annoncer que je serais également la bienvenue. Pas certaine que ce soit une bonne solution, j’hésite et préfère botter en touche cette fois-ci. La présence du trader a tendance à me faire oublier tout le reste et à me faire agir… imprudemment ? Les baisers échangés sur cette île, éloignés de tout et seuls au monde, je me rappelle parfaitement de cette sensation de bonheur et de liberté qui m’avait alors envahi. Bien que j’aimerais pouvoir la retrouver, j’ignore s’il le souhaite également et ne veux pas ajouter de flou dans cette situation déjà bien éparse. « Ta présence est toujours un plaisir Elisabeth. » Comment fait-il ? Comment peut-il annoncer ça sans rien d’autre et avec cet air aussi détaché à chaque fois ? Je le déteste d’être lui et pourtant mon cœur m’annonce une toute autre réalité. Mon cœur chante et fait la samba simplement parce que Gauthier a insinué prendre du plaisir lorsque je suis dans les parages ? Je profite de sa disparition dans son verre pour reprendre un peu de contenance. Tente un léger sourire et une neutralité que je n’ai jamais réellement eu en sa présence. « Je te redis ça alors. » Même avec mon emploi du temps chargé, je sais pertinemment que je peux me libérer la semaine prochaine, je dois juste y réfléchir, peser le pour et le contre. En parler à Maïa avant de faire une nouvelle bêtise.
Préférant passer à un sujet sensiblement différent, je parle des fêtes avec une pure innocence alors que je tiens ma petite idée. A me souvenir, je ne suis pas certaine d’avoir déjà eu une conversation du type météo avec Gauthier, homme de peu de mots, je n’ai jamais chercher à contrer sa nature seulement, ma question sur ses fêtes n’est pas anodine et même si je m’inquiète réellement de la tournure de cette fin d’année pour lui, c’est un point plus familial que je souhaite atteindre. « Ca a été. Et toi ? » Je souris. Tu ne changeras donc jamais. Ce n’est pas que mes fêtes n’ont pas été intéressante, seulement, je ne suis pas sûre que sa question vienne d’une réelle envie d’écouter la découpe du rôti familial plus que de la politesse. « Très bien. » Même si elles auraient pu être encore meilleure sans cette situation au-dessus de ma tête. « Ma mère est venue et heureusement, je pense que je ne m’en serais pas sortie autrement. » Entre Noël, l’anniversaire de Gabriel et le nouvel an, le mois de décembre est pour moi une course contre la montre. Daniel était venu pour les cinq ans de Gabriel, je crois même que ce fût la dernière fois que je l’ai vu autrement qu’avec nos avocats… Je ne souhaite pas aller dans les détails, son absence durant ce mois a été plus difficile pour moi que je ne veuille l’admettre et probablement aussi peu simple pour Gabriel, je ne veux pas enfoncer le couteau dans la plaie et retourne donc au sujet que je voulais atteindre. Je sais qu’il a annoncé sa paternité à sa sœur, l’a-t-il fait au reste de sa famille ? « Je ne voulais pas qu’il l’apprenne de quelqu’un d’autre » Sans le comprendre, je suis à la fois soulagée de cette nouvelle et perturbée. Ils sont donc tous au courant de ma grande dignité et du fait que j’ai pu tromper si facilement mon mari… C’est une belle image de moi qu’ils doivent avoir dans cette villa… Surtout vu l’absence de nouvelle pendant presque cinq ans à Gauthier. « Leurs réactions étaient plutôt mitigées. » Je me doute. J’aimerais savoir comment il a fait, ce qu’il leur a dit, mais ne souhaite pas le forcer à m’en dire plus. Déjà, il leur a dit, c’est une avancée, non ? « Mais ça passera. » En même temps, ils ne peuvent pas y faire grand-chose. D’un côté, c’est réellement bien, le trader n’aura plus à porter cela seul, d’un autre, je ne peux qu’imaginer ce qu’il se passe dans leurs têtes. « Je les comprends, ce n’est pas une nouvelle que l’on digère aussi facilement. » Ils côtoient Gabriel depuis un an maintenant et il est légitime de leur part d’être vexé par cette nouvelle. On n’apprend pas tous les jours que l’on est oncle ou tante d’un enfant de cinq ans… Surtout quand le père est notre grand frère qui nous a toujours montré un exemple parfait. J’en suis la première fautive, mais connaissant un minimum sa fratrie, même s’ils ne doivent pas avoir une image géniale de l’irlandaise que je suis, c’est contre leur frère qu’ils se retournent injustement et c’est aussi cela qui m’inquiète. « N’hésite pas à faire appel à moi s’il y a besoin ou si ça ne passe pas si facilement. Je suis là aussi. » Il n’a pas à traverser ça seul.
D’un coup, l’image de mon fils me revient et sans savoir pourquoi, je ressens le besoin de lui montrer le dessin fait quelques jours plutôt par Gabriel. Sans réfléchir, je l’entraine dans l’antre du petit garçon, sachant qu’il ne serait pas vexé que Gauthier entre dans son domaine. Alors que je pose la feuille de papier entre les mains du trader, et que je me retourne finalement vers lui, je me rends compte de mon action et mon cœur se serre. Je souris tendrement, gênée de la situation dans laquelle je viens de le mettre. Je préfère tout de même que cette réaction soit entre nous plutôt que face à un petit garçon de cinq ans. Il ne bouge pas, figé, j’ai peur de le perdre un instant alors que ses lèvres s’agitent à nouveau. « Dire que je le pensais inconscient des enjeux… » Ma main se pose délicatement sur son bras, comme un soutien. Un air triste s’ajoute à mon sourire, j’aurais aussi souhaité qu’il reste insouciant, mais cet enfant est loin d’être bête et à cinq ans, nous sommes régulièrement une véritable éponge à sentiment, il sait parfaitement ce qu’il se trame, il n’arrive simplement pas à mettre des mots dessus. « Tu penses qu’on devrait lui dire ? » Mon cœur se met à battre plus fort et je me mords doucement la lèvre. Il est entrain de comprendre la situation et de voir que nous ne sommes pas uniquement trois adultes dans l’équation mais que ce petit garçon a réellement des besoins, des envies et le besoin d’être vu. « Je voudrais faire au mieux pour lui. » Je le regarde, tendrement, mon pouce dessinant des cercles sur sa peau. « Il faudra prévenir Daniel avant, mais oui, je pense qu’il est temps de lui dire, si tu le veux. » Ma voix est douce et calme, sans aucune attaque, ni réprimande, il est entièrement libre de ce choix. « Ce n’est pas bon d’attendre trop longtemps, pour lui, comme pour nous. Il s’y adaptera mieux maintenant que plus tard. » Je me mords à nouveau la lèvre et amène mon regard sur les traits de mon fils. « Je pense qu’il est bien conscient de ce qu’il se passe. Bien plus qu’on ne le pense et… J’ai peur qu’il en souffre si nous tardons trop. Et… Je n’aime pas devoir continuer à lui mentir. » Je dois l’avouer, même si c’était pour le protéger, mentir à mon fils est une des choses les plus complexe à faire, surtout lorsque je reste persuadée qu’il acceptera mieux qu’on le pense cette nouvelle. Doucement, ma main vient se poser sur son visage et le tourne délicatement vers moi. Plantant mon regard dans le sien, je reste douce mains tente de garder une certaine distance bien que mon cœur rebondisse sans cesse dans ma poitrine. « Gauthier… Il faut que tu comprennes que tu es également ce qu’il y a de mieux pour Gabriel. Il t’aime vraiment. » C’est surtout ça que je souhaitais lui montrer par ce dessin. « Il vient d’avoir cinq ans, c’est le moment parfait pour qu’il accepte cette situation sans trop de souci, après, j’ai peur que ça le perturbe de trop. C’est un gamin intelligent, il posera des questions mais je sais qu’il acceptera et je suis prête à parier qu’il sera plus qu’heureux d’avoir deux papa. » Parce que quoi que j’ai pu dire, même si Daniel n’aura pas de garde exclusive, il fera partie de sa vie, c’est une certitude. « Tu lui as déjà apporté bien plus que tu ne le penses. Si tu es prêt à lui ouvrir les portes de ton monde, il en sera plus que comblé, je te le promets. » Il aura peut-être des doutes régulièrement mais je suis certaine qu’il ne le prendra pas mal, trois parents pour le prix de deux, encore plus d’attention pour lui, n’est-ce pas ce que tout enfant voudrait ? « Il veut simplement que nous soyons là pour lui et c’est ce qui est le mieux pour lui. » Je souris, tente d’apaiser ses pensées probablement bien agitées et anxieuses. Il faut qu’il comprenne qu’il en est capable et qu’il fait déjà ce qui est bien, il doit juste accepter son rôle et tout se passera au mieux.
Parler des fêtes lui semble bien anodin, un peu étrange aussi, comme si il réalisait pour la première fois qu’Elisabeth et lui n’avaient jamais pris la peine de se poser les questions d’usages. Qu’ils étaient plus du genre à griller les étapes pour passer direct à l’étape bébé. (de toute évidence) Il tente pourtant de se faire une raison, d’écouter la réponse de la blonde avec intérêt, comme si il n’avait pas posé la question par simple courtoisie. « Très bien. Ma mère est venue et heureusement, je pense que je ne m’en serais pas sortie autrement. » Il fronce un peu les sourcils, ne sait pas grand choses de la femme qui a élevé Elisabeth, si ce n’est ce que Daniel à pu lui en dire - vaguement - quand il ressentait le besoin de combler le silence. Si Gauthier avait toujours apprécié son ami pour sa capacité à rester silencieux il restait un peu moins doué que Gauthier sur ce terrain et finissait toujours par craquer. « Il y a eu un problème ? » Parce qu’à ses yeux Elisabeth n’est pas le genre de femme à nécessiter l’aide de quiconque… Mais sans doute se trompe-il. Peut-être a t’il volontairement décidé de la voir plus forte qu’elle ne l’était pour ne pas passer son temps à s’inquiéter pour elle.
Finalement le sujet qu’elle visait avait été mis sur le tapis. De quoi éclairer un peu plus le raisonnement d’Elisabeth et permettre à Gauthier de comprendre ce qui l’avait poussé à demander plus d’informations à propos de ses fêtes. Effectivement la révélation de sa paternité avait un peu échauffé les esprits, mais Gauthier se rassurait en se disant que ce n’était que passager. Sa famille avait connu pire scandale et ils s’en étaient tous remis. « Je les comprends, ce n’est pas une nouvelle que l’on digère aussi facilement. » Lui avait plus de peine à comprendre certaines des réaction de sa famille. A croire que c’était devenu une habitude de faire des drames dans cette famille. Et Charlie était probablement la meilleure drama queen de la famille. Assez pour que depuis la révélation, leurs chemins se soient à peine croisé quelques fois, et ce dans un silence de mort. Comportement qu’il aurait sans doute relevé dans d’autres circonstances mais qu’il avait pour cette fois laissé passer, pas pressé de faire face à la colère de son cadet. « N’hésite pas à faire appel à moi s’il y a besoin ou si ça ne passe pas si facilement. Je suis là aussi. » Un hochement de tête en signe de remerciement. Il ne le fera pas, il le sait bien. Parce qu’il est bien trop orgueilleux pour ça, pour demande à Elisabeth de venir régler ses problèmes familiaux. Mais il n’en est pas moins reconnaissant qu’elle se propose. « Merci Elisabeth. » Il semble reprendre un peu de distance. Un ton à nouveau un peu plus froid, il n’utilise pas son surnom mais la gratifie toute de même d’un sourire à la Gauthier. Mélange de froideur et de reconnaissance.
Elle le traine maintenant dans la chambre du petit, lui mettant ce dessin plus que troublant entre les mains. De quoi déchainer des sentiments que le trader n’est pas prêt à affronter et à ressentir. Il sert la mâchoire un peu plus quand la main d’Elisabeth se pose sur son bras et qu’il comprend qu’il n’a rien su cacher de son trouble. Même face à elle, il déteste ça, cette impression qu’on peut lire en lui - qu’il ne sait même pas contrôler ses propres émotions. La situation le perturbe assez pour tout remettre en question. Même ces certitudes les plus ancrées jusque là. « Il faudra prévenir Daniel avant, mais oui, je pense qu’il est temps de lui dire, si tu le veux. » Est-ce qu’il le veut ? Il ne sait pas le dire. Mais il semble de plus en plus compliqué d’imaginer continuer à garder l’information pour eux. Surtout maintenant que toute sa famille excepté Oliver est au courant. « Ce n’est pas bon d’attendre trop longtemps, pour lui, comme pour nous. Il s’y adaptera mieux maintenant que plus tard. » Il se laisse guider, la laisse prendre la décision, sans oser réellement répondre. Parce qu’il n’a pas les réponses. « Je pense qu’il est bien conscient de ce qu’il se passe. Bien plus qu’on ne le pense et… J’ai peur qu’il en souffre si nous tardons trop. Et… Je n’aime pas devoir continuer à lui mentir. » Un léger soupire lui échappe. « Il finira par le savoir de toute façon non… Il y a déjà beaucoup trop de monde dans la confidence. » Et si il faut que l’information fuite autant que ça soit de leurs bouches. Assez vite pour qu’elle ne cause pas encore plus de dégâts.
La main d’Elisabeth se pose sur son visage et il se laisse guider par son geste, son regard qui vient s’encrer dans celui de la blonde alors qu’elle reprend. « Gauthier… Il faut que tu comprennes que tu es également ce qu’il y a de mieux pour Gabriel. Il t’aime vraiment. » Il détourne un peu le regard à nouveau, n’a pas envie d’entendre ça. Pas maintenant… Parce qu’il n’y croit pas. A nouveau son regard se pose sur ce dessin qui le trouble plus que de raison, la voix de la jeune femme qui continue de raisonner à ses oreille, sa peau toujours aussi chaude contre son visage. « Il vient d’avoir cinq ans, c’est le moment parfait pour qu’il accepte cette situation sans trop de souci, après, j’ai peur que ça le perturbe de trop. C’est un gamin intelligent, il posera des questions mais je sais qu’il acceptera et je suis prête à parier qu’il sera plus qu’heureux d’avoir deux papa. » Les mots font moins peur qu’il ne le pensait, peut être parce que - pour la première fois - Elisabeth semble vraiment inclure Daniel dans l’addition. « Tu lui as déjà apporté bien plus que tu ne le penses. Si tu es prêt à lui ouvrir les portes de ton monde, il en sera plus que comblé, je te le promets. » Lui n’en est pas si sûr, mais il ne dira rien aujourd’hui. Parce qu’il connait assez la blonde pour savoir qu’il n’aura pas le dernier mot. « Il veut simplement que nous soyons là pour lui et c’est ce qui est le mieux pour lui. » Un nouvel hochement de tête et il retrouve le regard rassurant de la blonde. « Tu n’es pas banale comme fille tu le sais ça ? » Il rit un peu, tente de reprendre un peu de contenance alors qu’il s’éloigne un peu d’elle, passant une main un peu pensive sur son visage comme pour tenter de retrouver le cour de ses idées. « Tu as raison… Il est temps. Mais d’abord Daniel. » Et ils le savent tous les deux ça ne sera pas une mince affaire. « Je devrais lui parler… Tu as déjà assez à gérer avec lui. Et il est temps que je lui fasse face. Je ne l’ai pas revu depuis qu’il sait. » La révélation de cette trahison qui avait définitivement brisé tout liens entre eux. « Il ne va pas apprécier… » Mais sans doute n’a-t’il plus le choix aujourd’hui. Comme lui, comme elle, comme eux tous au final.
« Il y a eu un problème ? » Un instant je fronce les sourcils, sans comprendre. Un problème ? Pourquoi il y en aurait eu ? Puis me refaisant ma phrase à nouveau, je comprends et hoche la tête simplement et dans un sourire. « Non, non pas de problème. C’est une grosse période à la maison et… non, il ne s’est rien passé, ne t’inquiète pas. » Bien que Daniel ne m’ait pas facilité la tâche en me donnant des rendez-vous n’importe quand et en boudant à l’anniversaire de son fils – ce que ma mère n’a pas omis de lui faire remarquer. Comment avouer à cet homme qui s’est toujours bien débrouillé seul que j’ai encore et toujours besoin de l’appui de ma mère dans mon quotidien ? Bien que j’ai cette image de femme forte, elle est la seule personne à qui je demande constamment son avis même si je ne le suis pas toujours, elle est également celle qui me comprend le mieux et qui jamais, ne me jugera pour mes actions. Cependant non, il ne s’est rien passé de réellement problématique, rien que je n’aurais pu faire seule, mais le soutien psychologique de ma mère m’a tout de même bien soulagé.
Tentant de comprendre ce qu’il a dit ou non à sa famille, je découvre bien rapidement que le secret que nous gardions précieusement depuis plus de six mois et loin d’en être un aujourd’hui. Seulement, je ne m’inquiète pas pour ça, je sais qu’il est possible de gérer cette « affaire » sans en faire de trop. Ce qui m’inquiète le plus est la gestion de tout cela par Gauthier. Apprendre ce genre de nouvelle, n’est pas anodin et bien qu’il ait mis du temps à l’accepter, aujourd’hui, il prend sur lui, pour sa famille, pour Gabriel et pour moi, je le vois bien, j’aimerais simplement qu’il l’accepte et voit la normalité de sa place dans cette affaire, ainsi que l’aide que je peux lui apporter. « Merci Elisabeth.» Il est distant, reprend son air, non naturel et assez froid, tout en gardant un sourire poli sur le visage. Je paierais énormément pour pouvoir lire dans ses pensées à cet instant mais cela est impossible et jamais il ne me les dévoilera.
Rapidement et sans que je comprenne pourquoi je nous y amène, nous nous retrouvons dans la chambre de Gabriel, son dessin dans les mains et le visage de Gauthier, plus fermé que jamais. Il comprend, il a compris. Gabriel doit être mis dans la confidence, il en est le sujet principal. Son soupir me glace doucement le dos alors que je reste impassible, tentant simplement de lui expliquer. « Il finira par le savoir de toute façon non… Il y a déjà beaucoup trop de monde dans la confidence. » Je hoche la tête. C’est une évidence mais j’aimerais que ce ne soit pas la raison première de notre annonce. Cependant, pour ne pas le forcer, je n’en dirais rien. Cet enfant mérite de le savoir et garder ce secret plus longtemps me ronge entièrement, je l’ai déjà fait bien trop longtemps à mon goût. Une fois le regard du trader dans le mien, mon corps entier se réchauffe et je crois y lire une nouvelle acceptation. J’avoue préférer sa détermination mais c’est déjà un bon point. Je crois. Alors que j’évoque le dessin, ses iris me quittent pour rejoindre la feuille de papier, preuve de l’amour que mon fils porte à cet homme, arrivé comme un intrus dans sa vie mais accepté comme… un père. Alors que je finis ma tirade, il me laisse faire écoutant le moindre mot jusqu’à mon point final. Plutôt heureuse de pouvoir enfin respirer, je me rends compte que je retiens ma respiration depuis un moment déjà, seulement, je me retrouve incapable d’inspirer tant qu’il ne pipe pas mot. Un hochement de tête et son regard s’ancre à nouveau au mien, pinçant mon cœur à la même occasion. « Tu n’es pas banale comme fille tu le sais ça ?» Ma respiration revient, un sourcil se lève, sans savoir comment je dois prendre cette révélation. Pourtant, un sourire simple, vrai et joyeux se dessine parfaitement sur mes lèvres alors que j’hausse les épaules, mimant la banalité de ses propos ainsi qu’une fausse modestie– tout en restant assez ironique. « Il parait oui. » Seulement, je n’ai jamais été bien sûre que cette phrase était un compliment. De sa part, c’est d’un nouveau point de vu que je peux l’apprécier. Son rire aidant parfaitement, je le laisse tout de même s’éloigner, ramenant ma main sur mon flanc. Il réfléchit et moi, je reste silencieuse pour le laisser faire. Chaque fois que nous nous voyons, rien ne peut donc être simple ? Comme si nous étions obligés d’être tiraillés sans jamais bénéficier d’un temps de repos. « Tu as raison… Il est temps. Mais d’abord Daniel.» Mon cœur s’allège puis se fait à nouveau lourd. Nous devons en parler avec Daniel… Mes derniers échanges avec ce dernier deviennent peu courtois et tant que l’histoire de la garde et du divorce ne sera pas réglée, une entente entre nous est très peu probable. Cette situation me déchire car je me retrouve obligé de détester cet homme que j’ai pourtant tant aimé. Nous pourrions faire les choses si simplement. Il a choisi de compliquer la donne, je ne serais pas celle qui abandonne, pas pour ça, pas pour mon fils. « Je devrais lui parler… Tu as déjà assez à gérer avec lui. Et il est temps que je lui fasse face. Je ne l’ai pas revu depuis qu’il sait. » Mon sang se glace alors que l’image du poing de Daniel sur le nez de son meilleur ami me revient. Instinctivement, je ne veux pas qu’ils se revoient, souhaitant les garder tous les deux en vie, seulement, je dois les laisser faire, les laisser se parler, et ma présence ne sera qu’un frein et une manière simple d’envenimer la situation à chaque mot… Je grimace pourtant, signe de mon approbation moyenne. « Il ne va pas apprécier…» A nouveau, j’hoche la tête, mais pas dans le même but que précédemment. Oh, non, il ne va pas apprécier. Silencieuse, je reprends la feuille d’entre les mains de Gauthier et la replace à son endroit exact. Je réfléchis mais sait parfaitement que je ne pourrais lui faire entendre raison, ne pourrais lui demander de me laisser gérer cette problématique. Daniel est mon problème, il ne devrait pas être le sien, pourtant leur lien explique son besoin d’y aller et je sais pertinemment que je ne pourrais l’en empêcher. Ma mâchoire ne se desserre pas et je passe devant lui pour l’emmener à nouveau vers le salon. « Je n’aime pas ça. Mais si tu penses que c’est mieux ainsi… » Alors je baisserais les armes et te laisserais te jeter dans la gueule du loup… Je commence ma descente des escaliers pour nous ramener à notre petit déjeuner improvisé mais me retourne à mi-chemin tentant de lui adresser un sourire, mi-sincère, mi-blessé. « Cette fois-ci, tu es mignon, tu t’enroberas de papier bulle, on est d’accord ? » J’ironise parce que rien ne me donne envie de rire à cet instant, ni l’idée d’une nouvelle confrontation entre les deux hommes, ni l’idée de devoir préparer mon fils à apprendre que Daniel n’est pas son père et encore moins l’idée que j’oblige Gauthier à faire tout ça et qu’il ne le ferait sans doute pas autrement…