La chaîne en or blanc s'emmêlait entre les doigts et glissait sur cet épiderme bien trop pâle malgré l'été qui touchait à sa fin. Rien que ce contact lui avait manqué, la fraîcheur toute particulière du métal contre sa peau. Comme n'importe quel autre bijou, dirait-on, mais ce n'était pas un bijou comme les autres. Elle ne l'avait plus revu pendant des années entières. Et bien qu'il avait orné son cou pendant longtemps avant cela, elle n'osait pas véritablement le remettre. Cette chaîne, et ce petit pendentif, c'était sa grand-mère qui le lui avait offerte alors qu'elle n'était encore qu'une enfant. Simple, discret, elle le mettait tous les jours et avait ainsi gagné en valeur sentimentale. Joanne n'aurait jamais pensé qu'elle le reverrait un jour, qu'elle aurait la chance de le récupérer un jour. Elle y avait pensé, après le divorce et ses quelques mésaventures et avait fini par se dire qu'il s'en était débarrassé, tout comme tous les objets qui auraient rappelé à Hassan leur dix années de vie commune. La petite blonde était venue à se demander ce qu'il avait conservé alors, s'il avait même gardé ce tout petit bijou qu'elle lui avait donné pendant qu'ils étaient ensemble. Signe de don de soi, d'une promesse d'amour, en quelque sorte. Un brin trop romantique certainement, mais c'était du Joanne tout craché. Surtout après leur dernière entrevue, elle n'aurait jamais pensé qu'il ferait un pas vers elle, encore moins avec un objet de cette importance là. Depuis, la petite blonde peinait à regarder le pendentif sans avoir la gorge serrée. Il lui rappelait la disparition de sa grand-mère, qu'elle ne peinait toujours à accepter. Elle ne s'était jamais donnée le temps de faire le deuil, elle ne se l'était jamais accordée. Pour cela, ce sujet restait particulièrement sensible, elle ne l'abordait que très peu. Mis à part, lorsqu'elle avait ces moments où elle ressentait le vide. Souvent, ça ne se résumait qu'à un regard triste et un "Nanny me manque.". Si l'on cherchait plus loin, il était certain qu'elle allait finir en pleurs. Joanne et Hassan avaient échangé quelques messages par téléphone. C'était plus formel qu'autre chose. La jeune femme n'avait jamais vraiment aimé communiquer par message comme ça, sauf si elle était vraiment incapable de parler. C'est pourquoi elle se tenait devant la porte de sa maison. Sur le moment, elle pensait qu'elle allait se faire passer pour la dernière des idiotes, un peu comme si elle tendait le bâton pour se faire battre. Elle avait quitté le boulot un peu plus tôt. Elle savait qu'un jour ou l'autre, elle allait devoir parler de ce qu'il s'est passé entre Hassan et elle pour que son choix se soit à nouveau réorienté. Joanne avait la bouche horriblement sèche. Les battements de son coeur émettaient un bruit sourd au fond de ses oreilles qui étaient Ô combien désagréables. Après avoir fait retentir la sonnette, elle se demandait finalement si c'était une bonne idée, cette initiative. Jamie n'approuverait pas, Hassan n'apprécierait pas. Mais elle tenait à tout mettre à plat, et pas que, s'ils ne devaient plus jamais se voir ou se parler, tout se termine par un échange de messages des plus formels. Joanne n'avait pas vraiment idée de ce qu'elle voulait dire. Elle n'avait que quelques brides de phrases en tête. Lorsque la porte d'entrée s'ouvrit, elle oublia absolument, tétanisée à l'idée de devoir faire face au regard qu'il allait lui lancer. "Bonjour..." souffla-t-elle bien timidement, la voix tremblante. Ses doigts jouaient nerveusement ensemble. "S'il te plaît, ne referme pas la porte, je n'en ai pas pour longtemps, vraiment, je..." Quoi qu'une porte claquée au nez serait bien méritée. Joanne n'était pas fière, elle peinait à soutenir le regard du bras et avait l'impression qu'on passait son coeur sous un rouleau compresseur. Elle avait horreur d'être en froid avec quelqu'un, surtout avec une personne avec qui elle avait passé autant de temps durant sa vie. "Je voulais juste voir si tu allais bien. De mes propres yeux." Elle savait qu'il ne voudrait pas d'excuses et Joanne n'allait certainement pas chercher à se dédouaner car elle savait très bien qu'elle était la seule fautive dans l'histoire. "Pas que ça se termine sur juste quelques SMS, si tout doit vraiment se terminer." Autant utiliser le conditionnel, ne sait-on jamais. Mais au moins que tout soit mis à plat. Elle se sentait relativement prête à entendre tout ce qu'il pouvait bien lui reprocher, à ce qu'il fasse part de la douleur dont elle seule était l'origine. "Si j'ai pris autant de temps, c'est que j'ignorais comment m'y prendre, et c'est toujours le cas." Ca s'entendait d'ailleurs, par sa voix hésitante, ses quelques bégaiements, la manière dont elle cherchait ses mots, avec un regard fuyant, et les sourcils très légèrement froncés de temps en temps. "Et je tenais à te remercier une nouvelle fois, en personne, de m'avoir rendue le pendentif de Nanny. Jamais je n'aurais pensé le revoir un jour. Surtout après tout ce que j'ai fait..." Sa voix s'évanouissait peu à peu. "Je ne veux pas me dédouaner et je ne mérite pas ton pardon." Désolée, elle l'était. Coupable aussi, de lui avoir causé autant de peine et de souffrance à cause de ses incertitudes. Elle était heureuse, mariée à Jamie. Il y avait encore tant de problèmes à régler, de choses à mettre à plat. Il y avait eu d'abord ses parents, Joanne avait eu une confrontation houleuse avec son père qu'elle refusait désormais de voir et immédiatement après dans la liste, il y avait Hassan. "Je sais que je n'ai plus ta confiance, mais je me suis permise d'espérer que tu puisses me croire lorsque je te dis que je regrette énormément la manière dont tout s'est fait. J'aurais voulu que ça se passe autrement, que je parvienne à... enfin... j'aurais du..." Ses lèvres se pinçaient, sa gorge se serrait, ses épaules étaient bien basses, tout comme ses yeux qui gagnaient peu à peu en humidité. "J'aurais du être une meilleure personne. Envers toi, envers tout le monde." Au fil des mois, Joanne elle-même ne se reconnaissait plus vraiment dans les agissements de l'année passée. Elle s'était montrée injuste, voire même impitoyable, autant envers Jamie qu'envers Hassan, elle les avait malmené tous les deux des mois durant. Elle trouvait qu'elle avait été un monstre et ignorait encore quelle folie l'avait poussée à être aussi odieuse avec ces deux personnes qui lui étaient si chers. Ce n'était pas la Joanne que l'on connaissait. "J'essaie de le devenir." reprit-elle dans un murmure. Sinon elle ne serait certainement pas là, juste devant lui.
Machinalement il avait allumé l’écran d’accueil de son téléphone pour s’enquérir de l’expéditeur et du début de message qu’il venait de recevoir, et avait esquissé un semblant de grimace avant de reporter son attention sur l’amphithéâtre silencieux qui lui faisait face. Là où les élèves de deuxième année bûchaient sur leur examen blanc d’histoire des organisations internationales depuis presque deux heures, Hassan feuilletait distraitement les pages d’un magazine de décoration qui lui avait fait de l’œil lorsqu’il avait acheté son journal le matin, espérant trouver là l’inspiration pour meubler sa chambre après avoir subitement décidé d’en repeindre les murs en « lin » et « blanc sahara » comme l’indiquaient les pots de peinture, et de remplacer le parquet un brin vieillissant par du jonc de mer. Il avait appris au fil des années que prendre un vrai livre lors d’une surveillance d’examen n’avait pas le moindre intérêt, il était pratiquement impossible de se concentrer à la fois sur le fait de surveiller les tricheries éventuelles, et sur l’action de n’importe quel roman. S’éloignant pourtant un instant des élèves, son attention avait été accaparée par le SMS qu’il s’était décidé à lire en entier, laissant alors échapper un bref soupir de dépit en réalisant qu’il allait rapidement se retrouver dos au mur s’il ne trouvait pas une solution : c’était la troisième fois que Phil le relançait pour obtenir le certificat médical obligatoire pour valider sa licence annuelle, et se faire passer pour plus tête en l’air qu’il n’était ne fonctionnerait pas éternellement. Dimanche, sans faute. Le SMS était parti, et désormais lui restaient seulement trois petits jours pour trouver une salle d’attente dans laquelle s’incruster et croiser les doigts que de l’autre côté du bureau le médecin ne poserait pas trop de questions et signerait en plissant les yeux, la volonté de vider la salle d’attente surpassant celle d’aller au fond des choses. La mauvaise conscience étayant le manque de concentration, il avait récupéré par automatisme les copies des élèves qui terminaient les uns après les autres leurs compositions, et partagé le paquet avec les deux chargés de travaux dirigés avant d’enfourner les siennes dans sa besace avec son magazine. La même besace qu’il avait balancée sans grand ménagement sur le canapé à peine arrivé chez lui, les clefs de la moto encore dans l’autre main et celle désormais libre attrapant le combiné du téléphone parce qu’il n’y avait que deux catégories de personnes à utiliser ce numéro : les démarcheurs, et Yasmine. Et débarquée depuis l’autre côté du globe la voix ensoleillée de la jeune femme valait bien tous les remèdes au nuage imaginaire de grisaille qui se baladait au-dessus de sa tête. Elle lui manquait, au fond. Et chaque fois qu’il raccrochait il avait le sourire aux lèvres mais le cœur en bandoulière, parce qu’il la savait partie pour de mauvaises raisons, mais restant là-bas pour de meilleures ; Elle s’y plaisait, au fond, et chaque fois la poitrine d’Hassan se serrait en songeant que peut-être, un jour, Yasmine annoncerait qu’elle ne rentrerait pas. Et d’y penser le brun s’était à nouveau laissé tomber sur le canapé, accueillant avec un brin de réconfort la présence de Spike qui en avait profité pour sauter à côté de lui et s’y rouler en boule, le museau calé contre sa cuisse et le regard attentif. Presque de quoi dissuader Hassan d’aller ouvrir la porte lorsqu’on y avait sonné alors que ses doigts s’occupaient déjà à caresser la tête de son compagnon à poils.
Laissant échapper un léger soupir le professeur s’était malgré tout relevé, laissant là l’animal trop bien calé pour aller jouer les chiens de garde, et songeant distraitement à ce que Fatima aurait – ou n’aurait pas – cuisiné pour le repas, puisqu’il était invité chez les Khadji, il avait ouvert la porte à la volée et instantanément retrouvé l’air fermé qu’il tentait d’ordinaire de gommer de son visage avec tant de mal. « Bonjour … » Le mouvement de recul instinctif avait convaincu Joanne de précipiter un « S’il te plait, ne referme pas la porte, je n’en ai pas pour longtemps, vraiment, je … » Elle … Elle quoi ? Le soupir trahissant la certitude qu’il allait le regretter, il avait accédé à sa requête de mauvaise grâce, se gardant du moindre mot superflu et se contentant d’une œillade impatiente, qui la pressait pour qu’elle en vienne au fait avant qu’il n’ait l’idée de changer d’avis. Avant que l’amertume ne reprenne le pas sur l’effet de surprise et ne lui rappelle le pourquoi du trou béant dans sa poitrine. « Je voulais juste voir si tu allais bien. De mes propres yeux. Pas que ça se termine sur juste quelques SMS, si tout doit vraiment se terminer. » Si tout doit vraiment se terminer ? Elle ne manquait décidément pas d’air. Et d’un ton tranchant il s’était entendu rectifier « Un SMS. » Un seul et unique, qu’elle s’était sentie obligée d’envoyer pour ne pas passer pour une ingrate mais sans se donner la peine de plus après sa réponse. On ne méritait pas de lauriers pour ça. « Si j’ai pris autant de temps c’est que j’ignorais comment m’y prendre, et c’est toujours le cas. » Et le voilà qui regrettait, déjà, de ne pas avoir claqué la porte plus tôt, suffisamment pour ne pas avoir à entendre à nouveau ce genre d’excuses au goût de trop simple. « C’est tout ? » qu’il avait alors questionné sans camoufler son impatience, le regard fuyant, et se retenant tout juste de faire remarquer que pour ce genre de salade un autre SMS aurait amplement suffit. « Et je tenais à te remercier une nouvelle fois, en personne, de m’avoir rendu le pendentif de Nanny. Jamais je n’aurais pensé le revoir un jour. Surtout après tout ce que j’ai fait … Je ne veux pas me dédouaner et je ne mérite pas ton pardon. » L’agacement toujours perceptible tant Joanne semblait se complaire dans ce rôle de victime qu’elle tentait de se donner, il s’impatientait de la voir terminer sa tirade larmoyante. « Je sais que je n’ai plus ta confiance, mais je me suis permise d’espérer que tu puisse me croire lorsque je te dis que je regrette énormément la manière dont tout s’est fait. J’aurais voulu que ça se passe autrement, que je parvienne à … enfin … j’aurais dû … J’aurais dû être une meilleure personne. Envers toi, envers tout le monde. J’essaie de le devenir. » Et elle s’était arrêtée là, en fin de compte. Rien d’autre, ni excuses véritables ni vraie remise en question, rien de plus qu’une démarche d’auto-flagellation déjà usée cent fois et dont Hassan se sentait désormais lassé. « Tu aurais dû, oui. » qu’il avait alors simplement répondu, le regard remontant vers elle pour la fixer avec déception. « Mais je ne pense pas que tu regrettes quoi que ce soit. » Peu importe que ce soit ce qu’elle s’était permise d’espérer. Et face à son stoïcisme il avait terminé de perdre patience, secouant la tête avant de questionner « Enfin Joanne, tu t’attendais à quoi en venant ici ? Tu as eu ta prise de conscience biannuelle, et tu t’es dit ‘tiens, si je me pointais chez ce bon vieux Hassan avec les mêmes excuses et les mêmes fausses promesses que les deux dernières fois ? Il est probablement trop con pour remarquer que je le prends encore pour un imbécile, et au moins j’aurais meilleure conscience.’ ? » Qu’elle ose le nier, qu’elle ose seulement faire comme si elle et lui ne savaient pas que cela devenait une habitude pour elle, de se présenter sur le pas de sa porte, pleine de ses bonnes résolutions dégoulinantes et qui voleraient en éclats dans les mois qui suivraient parce qu’elle ne s’y était jamais tenue. « T’as été très claire la dernière fois, t’as jamais eu l’intention d’être là pour moi comme j’ai essayé de l’être pour toi, et c’est ton droit, mais maintenant c’est trop tard pour avoir des remords. » Trop tard pour lui, trop tard pour eux, trop tard pour qu’il n’ait encore la naïveté suffisante pour croire aux promesses creuses qu’elle avait servi à chaque retour impromptu après des mois de silence, avant de s’évaporer à nouveau sans crier gare. « Donne-moi une seule bonne raison de croire que cette fois-ci sera différente des fois précédentes. Une seule. Tu peux pas à chaque fois disparaître pendant des mois, et puis ensuite revenir ici avec deux ou trois larmes dans les yeux pour essayer de te racheter, Joanne, c’est trop facile. » Elle n’en finissait pas de le prendre pour acquis et de s’essuyer les pieds sur le respect qu’elle avait – ou n’avait pas – pour lui, mais la sauce ne prenait plus. Ces six mois-là avaient été plus longs que les six précédents, plus difficiles aussi, mais sans doute avaient-ils été nécessaires à Hassan pour comprendre qu’il ne tenait qu’à lui de ne plus être un jouet secoué au gré des sautes d’humeur de son ex-compagne. « Je t’ai rendu ce collier parce qu’il t’appartenait, j’attendais pas de remerciements. Et je vais bien, comme tu vois, alors si c'était les deux seules choses qui travaillaient ta conscience, tu peux repartir tranquille. » Et disant cela il avait finalement fait un pas en arrière, le regard à nouveau fuyant comme pour mener plus vite cette parodie de discussion à son terme, parce qu'à l'évidence la blonde n'avait toujours pas appris de ses erreurs.
Les traits durs, le regard fermé, Hassan n'avait pas besoin de prononcer quoi que ce soit pour faire comprendre qu'elle n'était pas la bienvenue. Joanne n'avait pas souvenir qu'il lui ait lancé ce regard une seule fois depuis qu'ils se connaissaient, en dehors de ce jour-là. Elle sentait son coeur se serrer dans sa poitrine, plus que cela n'était déjà le cas. Elle avait du anticiper ses actions, afin qu'il ne lui claque pas la porte au nez et qu'il ne lui accorde pas une chance, encore une, de la laisser s'exprimer. En ayant passé en revue toute l'année passée, la jeune femme comprenait qu'il était las, qu'il ne voulait plus entendre quoi que ce soit d'elle, ni entendre parler d'elle. Hassan corrigeait même ce qu'elle disait. Juste un SMS. Il a raison. Joanne, honteuse, accepta cette correction en acquiesçant d'un signe de tête, le regard et les épaules bien basses. Il sifflait entre ses dents ponctuant le discours de la petite blonde par quelques mots cinglants. Elle venait à se demander à quel point il pouvait la détester désormais. "Si je ne regrettais pas quoi que ce soit, je ne serais pas là." Joanne ne serait pas venue pour tenter de présenter ses excuses, peut-être se dédouaner un petit peu. Elle avait bien conscience que le mal était fait et qu'il y avait bien peu de choses qu'elle pouvait faire pour sauver les meubles. Il ne restait plus grand chose de ce qu'ils avaient connu, ne serait-ce que d'un point de vue amical. Du moins, c'était ainsi que la petite blonde voyait les choses en entendant Hassan l'asséner de phrases qui devaient peser sur son coeur depuis bien trop longtemps. Pourtant, elle ne perdait pas espoir. Les mains jointes devant elle, elle osait à peine relever son regard pour croiser ses yeux bruns. Elle n'y voyait que de la déception, de la tristesse, de la colère, une rancune certaine. Aucune émotion et aucun sentiment positif, rien de tel. Oui, elle aurait du être une meilleure personne depuis le début. Etre Joanne, tout simplement. Ses idées noire l'avaient considérablement changées et elle les avait laissé s'emparer de ses pensées pendant trop longtemps. Là, elle sortait enfin la tête de l'eau, et il semblerait que tout le monde, sauf Hassan, retrouve en elle une personne qui était bien plus appréciable. "Je ne me permettrai jamais de penser que tu sois un imbécile ou un... con." Qu'il était peu courant pour Joanne de dire des gros mots. Ses parents, surtout son père, avaient toujours tenu à ce qu'elle parle correctement. Ce genre d'injures n'étaient absolument pas la bienvenue dans la maison Prescott, à l'époque. Hassan demandait pourtant quelque chose de simple, ensuite. Lui donner une bonne raison pour qu'il puisse porter ne serait-ce qu'un peu de crédit aux paroles de la jeune femme. Ce n'était pourtant pas bien difficile, mais Joanne bûchait. Elle restait longuement silencieuse. Hésitante, elle réfléchissait sur les mots qu'elle pouvait bien utiliser, la tournure de phrase qui était la plus adéquate. Ses iris bleus se levaient pour le regarder dans les yeux. Les traits particulièrement durs de son visage l'intimidaient beaucoup. "Je sais que j'ai fait des choses irréparables, des actions, des paroles qui ne s'oublieront pas, qui ne seront peut-être jamais pardonnées. J'ai déjà tant gâché, bien plus que je ne l'aurais souhaité. Pas seulement les années passées ensemble, mais aussi sur l'amitié que nous avions pu avoir avant." Les voilà, les deux trois larmes qu'Hassan semblait détester également. Mais des larmes de crocodile. La petite blonde tentait au mieux de les contenir, de faire en sorte qu'elle ne quitte pas ses paupières. Elle avait aussi bien compris qu'il en avait assez, de ses pleurs. "Il y a beaucoup de choses que je n'arrive pas à me pardonner. Je sais bien qu'à l'heure actuelle les excuses n'ont plus autant de valeurs que ça ne l'était pendant un temps, mais je tenais quand même à te dire combien je suis désolée." Chaque mot de Joanne était honnête, sincère, authentique. "Je suis désolée, Hassan." Certaines personnes avaient horreur des excuses, Jamie le premier. Pour lui, cela n'avait pas la moindre valeur. Il préférait des actions, des agissements pour prouver de sa bonne volonté. Le regarder dans les yeux devenait une tâche trop difficile pour elle. Parfois, ses iris le fuyaient, ne serait-ce que pour une fraction de secondes. "Je sais que tu m'as dit plusieurs que tout ce que tu voulais toi, c'était de refaire partie de ma vie, et c'est ce que je désirais aussi, c'est ce que je désire toujours. J'ignore encore ce qui a pu me mettre en tête que si je choisissais l'un, je perdais indéniablement l'autre. Et c'était devenu très rapidement inévitable. Je me demande toujours ce qui a pu me faire penser ça alors que tu m'as assurée du contraire. Je me pose encore beaucoup de questions par rapport à la manière dont j'ai pu agir. Je... Ca ne me ressemble pas, ce n'est pas ce que je suis." Joanne n'était d'habitude ni égoïste, ni aussi ingrate et mauvaise, loin de là. Hassan trouvait tous les moyens possibles afin d'écourter la conversation. Cela ne devait être qu'une mascarade pour lui, une bien mauvaise blague. Il reculait même d'un pas, une invitation tacite pour Joanne de déguerpir le plus rapidement possible. Le voir s'éloigner d'elle ainsi ne faisait que l'attrister davantage, sachant bien que ce n'était que le résultat de ses propres actions. Joanne, quant à elle, n'avançait pas. Jamais ne se permettrait-elle d'entrer chez quelqu'un sans y être conviée. Mais elle restait tout de même là. "Je te l'avais donné, rien ne t'obligeait à me le rendre." se permit-elle de commenter de sa voix douce et reconnaissante. Car elle avait été véritablement touchée de son attention. "Je ne suis pas venue que pour ça, c'était des raisons parmi tant d'autres." Mais apparemment, il n'appréciait guère sa démarche de revenir vers lui. Joanne sentait son coeur se serrer dans sa poitrine. "J'avais aussi en tête un moyen de se revoir. Pas une obligation, ni une promesse, juste... un engagement, de ma part." La petite blonde peinait à trouver ses mots, et même, elle craignait d'essuyer une énième réponse amère de la part d'Hassan, bien qu'elle comprendrait qu'il ne veuille plus jamais entendre parler d'elle. "Quelque chose de régulier, toutes les semaines, ou toutes les deux semaines si ça te semble trop fréquent. Entre midi et deux, en semaine, je peux faire la route jusqu'à l'université et nous pourrions nous retrouver... Je ne sais pas, dans les gradins du terrain de rugby par exemple. Je serais là à chaque fois, et tu ne viendrais que si le coeur t'en dit." Joanne haussait ses épaules, elle avait cette idée en tête depuis quelques jours déjà et cela lui semblait être un bon compromis. Elle savait qu'elle n'allait pas s'offenser s'il ne venait pas, elle comprendrait. Ainsi, Hassan n'avait pas d'obligation, Joanne ne voulait pas le forcer quoi que ce soit. C'était à lui de choisir. "Que ce soit pour déjeuner, ou pour discuter ou... même ne pas parler." Il n'y avait parfois rien à dire, tout simplement. "J'aimerais faire partie de ta vie, mais pas de façon aussi négative et absente que je n'ai pu l'être jusqu'ici." souffla-t-elle timidement, le regard, ses yeux regardant ses mains tremblantes. "Peut-être que cet engagement fait office de bonne raison pour que tu puisses croire que ça serait différent. Pas de disparition des mois durant, je serais là, et tu n'auras qu'à choisir si tu as envie ou non de venir." conclut-elle avec timidité. Joanne espérait ne pas avoir fait de fausse note, cette fois-ci, qu'il n'y avait pas d'intention mal interprétée ou qu'elle n'avait pas trouvé la solution idéale. Ce n'était qu'à ce moment là que la jeune femme laissa échapper une larme qu'elle essuya rapidement; parce qu'elle s'était mise en tête que, ses larmes, aussi sincères pouvaient-elles être, Hassan n'en voulait pas. Mais elle avait conscience que cette occasion était certainement la dernière chance qu'elle avait pour trouver grâce à ses yeux, persuadée qu'il n'y aurait plus la moindre opportunité par la suite. Et cela la terrifiait.
Du simple et morose sentiment de déjà-vu venu s’emparer d’Hassan à l’instant où Joanne était apparue sur son perron, le brun avait senti se développer peu à peu l'amertume que lui inspiraient les mots de la blonde, et le goût désagréable que ces excuses maintes fois présentées mais autant de fois bafouées laissaient au fond de sa gorge. Il en était là désormais, à se demander quel détail ou quel mot avait provoqué chez Joanne l’énième crise de conscience l’ayant menée devant sa porte, et combien de temps faudrait-il pour qu’à nouveau la jeune femme se renferme dans la bulle d’égoïsme et le besoin permanent d’être la victime sans défense dans la grande fresque supposée de son existence, et ne l’abandonne sur le bas-côté. Quelque part entre ses espoirs déçus et les maladresses répétées de son ex-femme, Hassan réalisait que la parole de Joanne ne valait plus même la moitié de la sincérité qu’il y voyait fut un temps, et au « Si je ne regrettais pas quoi que ce soit, je ne serais pas là. » qu’elle avait assuré du bout des lèvres il n’avait rien trouvé à répondre, tant le fait qu’elle le dise ne suffisait plus désormais à ce qu’il la croit sincère. Quelle sincérité accordait-on à quelqu’un qui, quelques mois auparavant, vous renvoyait au visage tout ce que vous aviez tenté de maintenir sur pieds pour elle pendant une année entière, simplement parce que finalement, elle ne voulait plus vous avoir dans sa vie. Plus vous avoir dans les pattes, plutôt, comme un objet usé qu’on jetait aux ordures. « Je ne me permettrai jamais de penser que tu sois un imbécile ou un ... con. » Même de cette petite voix fluette supposée témoigner de son impressionnabilité ne parvenait plus à émouvoir Hassan, que plus rien n'assurait qu’elle n’était pas calculée, juste bonne à tirer sur sa corde sensible en espérant lui serrer la gorge et le berner, une fois encore. La même petite voix dont elle avait usé pour lui compter les misères que lui faisait l’homme pour lequel elle n'avait finalement eu aucun remord à le rayer de son existence, telle une tâche trop imparfaite dans la nouvelle vie qu’elle souhaitait se construire. « Dans ce cas arrête de me traiter comme tel. » Et elle en était loin, encore, avec ce regard de chien battu dont elle usait chaque fois qu’une conversation la mettait en difficulté, et dont le brun s’était lassé d’y avoir tant eu affaire durant les deux années écoulées. Sans surprise les larmes avaient suivi peu après, tandis que semblant réciter une leçon Joanne avait repris « Je sais que j'ai fait des choses irréparables, des actions, des paroles qui ne s'oublieront pas, qui ne seront peut-être jamais pardonnées. J'ai déjà tant gâché, bien plus que je ne l'aurais souhaité. Pas seulement les années passées ensemble, mais aussi sur l'amitié que nous avions pu avoir avant. Il y a beaucoup de choses que je n'arrive pas à me pardonner. Je sais bien qu'à l'heure actuelle les excuses n'ont plus autant de valeurs que ça ne l'était pendant un temps, mais je tenais quand même à te dire combien je suis désolée. » en n’arrachant rien d’autre d’Hassan que cette façon dont il avait détourné le regard avec tristesse, et sans doute un brin de déception tandis qu’elle insistait « Je suis désolée, Hassan. » Et contre toute attente … Contre toute attente l’entendre ne le faisait pas se sentir mieux. Les kilos de désespoir chargés sur ses épaules endolories n’avaient pas disparus, pas plus que le trou béant dans sa poitrine, parce qu’en fin de compte ce n’était que des mots. Elle se disait désolée, mais Hassan ne voyait lui qu’une femme qui pleurait sur son sort et mendiait son pardon pour se sentir mieux dans ses bottes, pour sa propre conscience plutôt que pour sauver dieu sait quoi, dieu sait qui. Probablement désolée pour elle-même, il n’en doutait pas, mais désolée pour lui, ou pour eux ? Il n’y croyait toujours pas. « Je sais que tu m'as dit plusieurs que tout ce que tu voulais toi, c'était de refaire partie de ma vie, et c'est ce que je désirais aussi, c'est ce que je désire toujours. J'ignore encore ce qui a pu me mettre en tête que si je choisissais l'un, je perdais indéniablement l'autre. Et c'était devenu très rapidement inévitable. Je me demande toujours ce qui a pu me faire penser ça alors que tu m'as assurée du contraire. Je me pose encore beaucoup de questions par rapport à la manière dont j'ai pu agir. Je ... Ça ne me ressemble pas, ce n'est pas ce que je suis. » Le malaise transparaissait sur le visage du brun, d'ordinaire si avenant, accueillant, et aujourd'hui simplement fuyant face à une Joanne qui n'avait pas idée des efforts que déployait son ex-conjoint pour ne pas lui claquer la porte au nez et mettre fin à cette mascarade. Il se sentait imposé cette discussion, au même titre qu'il s'était senti imposé l’obstination avec laquelle le père de la blonde avait tenté de l’accabler l'année précédente, et Hassan avait fini de se laisser dicter ce qu'il devait écouter ou pardonner. « Personne t'a mis le couteau sous la gorge Joanne, t'as décidé ça toute seule. T'as refusé de me croire, et t'as préféré m'éjecter plutôt que de lever le petit doigt pour que je fasse partie de ta vie, comme tu dis. Sauver un semblant d’amitié ou préserver ton petit confort, t’as fait ton choix. » Mais ce n’était pas la première fois qu’elle abandonnait sans chercher à se battre au fond, pas vrai ? Et s’il s’était retenu d’ajouter ce dernier fait à voix haute, il ne s’était pas empêché de le penser. « Tout comme je fais le choix de ne plus faire confiance à quelqu’un qui tous les quatre matins décide de rentrer et sortir de ma vie comme si c’était un moulin. » Qu’elle ne se méprenne pas, il ne faisait cela ni de gaité de cœur ni sans un pincement dans la poitrine, et d’acide le ton s’était mué en une sorte d’abattement … Mais il ne se sentait simplement plus d’autre choix, forcé à l’inflexibilité pour ne plus se laisser tirer vers le bas. Et le pas en arrière déjà il tentait de mettre fin à l’affrontement, offrant à Joanne une reddition qu’elle avait tenté d’enrayer en assurant « Je te l'avais donné, rien ne t'obligeait à me le rendre Je ne suis pas venue que pour ça, c'était des raisons parmi tant d'autres. J'avais aussi en tête un moyen de se revoir. Pas une obligation, ni une promesse, juste ... un engagement, de ma part. » Les doigts refermés sur le battant de la porte, il demeurait silencieux faute de prétendre vouloir savoir où elle voulait en venir, tenté de couper court et malgré tout incapable de s’exécuter. « Quelque chose de régulier, toutes les semaines, ou toutes les deux semaines si ça te semble trop fréquent. Entre midi et deux, en semaine, je peux faire la route jusqu'à l'université et nous pourrions nous retrouver ... Je ne sais pas, dans les gradins du terrain de rugby par exemple. Je serais là à chaque fois, et tu ne viendrais que si le cœur t'en dit. Que ce soit pour déjeuner, ou pour discuter ou ... même ne pas parler. J'aimerais faire partie de ta vie, mais pas de façon aussi négative et absente que je n'ai pu l'être jusqu'ici. » Un soupir résigné lui avait échappé sans qu’il ne cherche vraiment à le retenir, l’image de Joanne et lui assis sur un coin de gradins de l’université comme s’ils avaient quinze ans de moins véhiculant un brin de nostalgie que l’amertume venait gâcher. « Peut-être que cet engagement fait office de bonne raison pour que tu puisses croire que ça serait différent. Pas de disparition des mois durant, je serais là, et tu n'auras qu'à choisir si tu as envie ou non de venir. » Et elle semblait vraiment y croire, de toutes ses forces, avec peut-être l’espoir de compenser les réticences d’un Hassan qu’elle avait laissé sur le quai pour grimper sans lui dans un wagon quelques mois plus tôt, et sans s’imaginer qu’il puisse avoir eu le temps de quitter la gare pour retourner à ce qu’aurait dû devenir sa vie si leurs chemins s’étaient séparés pour de bon. Silencieuse, la blonde lui offrait ce regard lui donnant la sensation désagréable d’être passé au rayon X, dans l’attente d’une réponse qui ne serait probablement pas celle espérée. « Je ne sais pas, Joanne. » Secouant la tête, las, il sentait son cœur faire le yo-yo entre la nature qui le poussait sans cesse au pardon et la volonté de fermeté qu’il estimait être ce que méritait Joanne pour le mal fait sans y réfléchir. « Pour le moment je suis juste … déçu, et en colère. Et triste. Et je … » Marquant la pause nécessaire pour ne pas laisser le flot de ses pensées lui échapper, il avait ravalé tout ce qui lui brûlait les lèvres et repris presque sans oser respirer « J’espère qu’un jour je réussirai à nouveau à penser à toi sans être assailli de sentiments aussi douloureux, et qu'on pourra envisager quelque chose, mais pour le moment … Je pense pas que j’en suis capable. » Déglutissant, osant à peine croiser le regard de la blonde un quart de seconde – qui lui avait semblé durer une éternité et demi, c’est dans un murmure qu’il avait assuré « Je suis désolé … » et que sans attendre qu’elle le retienne à nouveau il avait fait un second pas en arrière et refermé la porte. Le pas trainant, le cœur lourd, il avait été rejoint par Spike dans la seconde où il s’était laissé tomber sur la dernière marche de l’escalier ; Et là où la quitter la première fois lui avait brisé le cœur de manière irréparable, aujourd’hui la douleur n’empêchait pas ses épaules de lui sembler plus légères. Comme délestées du poids d’une rancœur qu’il n’avait désormais plus besoin de porter pour repartir de zéro.
Malgré le petit sticker vert visant, avec trop d'optimisme, à faire économiser du papier et s'épargner un gâchis écologique dont elle ne se souciait véritablement que lorsque cela faisait bon genre, la boîte aux lettres de Kelly était constamment débordante de publicités. C'est avec un gros soupir qu'elle extirpa de là les catalogues et autres flyers qui s'entassaient depuis quelques jours, au bout de son allée de garage. Et sans le chercher, sans le vouloir, ses oreilles captèrent les voix, les timbres familiers, les mots soufflés, là, juste de l'autre côté de la barrière, après la courte haie qui séparait son jardin de celui de son voisin. Lee leva les yeux, d'abord sans discrétion aucune, curieuse et ne s'attendant certainement pas à la scène qui se déroulait à quelques mètres d'elle. Puis elle la vit, Joanne, et elle l'aperçu à moitié dissimulé par la porte, Hassan. Son regard fuya aussitôt comme si cela la rendait soudainement invisible, espérant qu'à l'origine, personne ne l'avait remarquée. Et c'est l'oreille toujours bien tendue qu'elle avança jusqu'à son propre porche, serrant son courrier tout contre elle. À peine eut-elle fermé sa porte qu'elle sentit la brûlure de l'indiscrétion lui consumer l'estomac. Comme une soif intarissable, devenant peu à peu une obsession ; elle devait savoir ce qu'ils se disaient, elle devait avoir le fin mot de l'histoire. Quand bien même leur avait-elle espéré tout le bonheur du monde durant des années, et malgré la déception que l'échec de leur couple lui avait fait accuser, il y avait quelque chose de fort plus excitant à l'idée d'assister à un drame, une dispute, un coup de sang, un moment de passion, des adieux déchirants, des cœurs ouverts à même le pavé. S'il avait plu, la scène aurait été d'autant plus parfaite. Mais s'il avait plu, Kelly n’aurait pu mettre son plan à exécution ; la brune était allée chercher sa tondeuse à toute vitesse dans son garage sans prendre le temps de se défaire de ses escarpins, elle l’avait jetée dehors et branchée avec une détermination sans pareille, puis elle avait commencé à pousser la lourde machine le long du gazon face à sa maison. Couper l'herbe au pied de la haie lui permit de se trouver à une distance raisonnable des anciens époux, assez pour discerner leurs voix sans paraître suspecte, d'après elle. Malheureusement, le moteur de l'engin faisant un bruit de tous les diables, elle ne comprenait pas un mot prononcé. À son plus grand désespoir, à l'immense frustration de sa curiosité laissée sur le carreau, Kelly s'imaginait perdre les informations les plus essentielles, les phrases les plus émouvantes, tandis qu'elle offrait à leur grand moment la pire de toutes les bandes son : le bourdonnement de la tondeuse. Lee s'imagina, dieu seul sait comment, que si elle diminuait peu à peu la puissance du moteur, ni Joanne ni Hassan ne s'en rendraient compte, bien trop pris par leur conversation. C'est ce qu'elle fit, jusqu'à atteindre le silence total, et n’être plus qu'une voyeuse au bord de la haie, les fixant avec des yeux plissés, les oreilles grandes ouvertes, la bouche aussi, et tenant fermement une machine qui ne fonctionnait plus. Cependant, il était trop tard. La porte de la maison d'Hassan se ferma, la petite blonde demeura sur le paillasson, et Lee n’avait strictement rien compris. Déception, désespoir, ce manque d'information comme d'une drogue dure remettait toute la réussite de sa journée en question, tout son intérêt aussi, et exacerbait cette curiosité insatisfaite qui la rongeait véritablement de l'intérieur. Observant toujours la jeune femme, à l'affût du moindre soupir, d'un sanglot mélodramatique, Kelly eut un sursaut des orteils à la pointe des cheveux dressés sur sa tête lorsqu'elle crut voir Joanne se tourner en sa direction. Immédiatement, ses mains se mirent à pousser à nouveau la tondeuse comme si de rien n'était, la gestuelle débordante de conviction malgré ses talons qui s'enfonçaient dans la terre à chacun de ses pas. Le silence demeurait pourtant. Et lorsqu'elle se rendit compte que son subterfuge était incomplet, l'esprit maladroit de Lee décida qu'il était bien plus crédible d’imiter soi-même le bruit du moteur plutôt que de toute bonnement appuyer sur le bouton et l'allumer afin de ne pas paraître complètement bonne à enfermer.
Si les mots prononcés perdaient toute valeur aux yeux de son interlocuteur, que pouvait-il bien rester ? Plus aucun crédit n'était accordé à ses regards, à sa gestuelle. Joanne avait l'étrange impression de ne finalement être qu'une marionnette qui tentait de convaincre le brun qu'elle était bel et bien un être humain. Elle avait eu ce maigre espoir qu'il la reconnaisse un tant soit peu, qu'il retrouve ne serait-ce qu'une parcelle de la femme qu'il avait connu. Mais Hassan restait insensible à ses propos, même aux plus plates excuses, même face aux intentions de Joanne afin de prouver qu'elle pouvait mieux faire, de montrer qu'elle était autre chose que le monstre qui l'avait tant blessé au cours des derniers mois. C'était un pardon qu'elle estimait parmi les plus précieux. Que s'il ne voulait plus la voir, qu'ils se quittent au moins en de bons termes. Cela semblait particulièrement compromis, en voyant les regards qu'il pouvait lui lancer, le manque de réactions face à des paroles gavées de sincérité et d'émotions. Non pas que ça le laissait de marbre, mais cela ne le touchait plus. Il était comme immunisé, voyant ses dires comme des paroles en l'air, sans la moindre valeur. La petite blonde se sentait démunie, perdue. Elle savait qu'elle ne pouvait que s'en prendre à elle-même. Quand bien même, cela était profondément douloureux. Une lacération à vif. Elle ignorait où elle trouvait le courage de garder la tête haute, ou la volonté pour maintenir ses lèvres pincées afin de ne laisser aucune larme s'échapper de sa paupière, aucun pleur sortir de sa gorge. Pourtant, ce n'était pas l'envie qui manquait, de s'effondrer, de tout lâcher. Là peut-être ressentait-elle un semblant de ce qu'Hassan avait traversé ces derniers temps. Chaque mot prononcé était semblable à un nouveau coup de poignard. Il visait en plein coeur, et à chaque, cela était de plus en plus douloureux. Non, il ne lui accordait plus sa confiance. A partir de là, Joanne se doutait qu'elle ne pourrait guère sauver leur relation, même en suggérant de se revoir, juste pour parler, ou pas. Hassan semblait si sûr de lui, lorsqu'il lui faisait peu à peu comprendre qu'il ne voulait plus d'elle dans ses horizons. Et bien sûr, son initiative ne suffisait pas. Rien de tout ceci était assez. Le silence imposé par Hassan en disait long et la jeune femme se doutait qu'il n'allait pas donner la réponse qu'elle espérait tant. En revanche, elle n'était pas prête à encaisser ce qu'il allait dire. Elle qui avait une peur bleue de décevoir, la crainte d'être à l'origine d'une colère et responsable de tourments, voilà qu'elle avait tout infligé à son ex-mari. Elle pouvait reprocher sa dépression, ses indécisions, mais la principale fautive n'était autre qu'elle-même et cette vérité la frappa en plein visage entendant ces quelques mots. Et là, Joanne voyait cette fissure, entre elle et lui, qui s'agrandissait de seconde en seconde, pour finalement être séparés de lui par un crevasse qui semblait irréparable. La petite blonde fut prise de vertiges, sa pression artérielle étant en chute libre, ses jambes n'étant fait plus que de coton, à se demander comment elle faisait pour parvenir à tenir encore debout. Comment pouvait-il encore espérer ne plus ressentir toute cette colère envers elle un jour ? Alors qu'il venait de couper les ponts, abruptement. Joanne se sentait vidée, déboussolée, brisée. Elle avait la sensation d'avoir jeté à la poubelle près de dix ans de sa vie. Par négligence, par inattention. Et là, glissant des mots d'excuses qu'il ne pensait certainement pas, Hassan avait fermé la porte d'entrée sans laisser le temps à Joanne de dire ou même de réagir. Elle n'en aurait pas été capable, tant elle se sentait vidée, épuisée et bouleversée par ce court échange. Court, mais d'une extrême densité. Tremblante, presque fébrile, elle restait plantée là pendant un long moment. Un temps de réaction incroyablement long avant qu'elle ne vienne plaquer ses deux mains devant la bouche afin d'étouffer un sanglot qui reflétait l'intensité de sa peine et de celle qu'elle avait causée.. Elle tentait tant de les atténuer qu'elle s'empêcher de respirer correctement. Après quelques minutes, elle essayait de prendre de profondes inspirations, pour se calmer, espérer que sa peine allait finir par passer – mais il n'en était rien. Jamie allait deviner que quelque chose n'allait pas et elle allait devoir s'expliquer. Il n'allait pas apprécier entendre encore le nom d'Hassan, une toute épreuve se dessinait devant elle alors qu'elle n'arrivait même pas à surmonter celle-ci. Sa venue n'avait donc que servi à mettre cartes sur table. Elle ne s'attendait pas à ce que toutes les portes lui soient fermés, ne laissant là plus aucun éventail de possibilités. Malgré la douleur qui persistait dans sa poitrine, qui était à la limite du supportable, Joanne se refusait de croire que ça allait se terminer ainsi. L'une de ses mains moites et froides se glissait dans son sac à main, en quête d'un stylo et d'un bout de papier. Pas bien grand, n'importe quoi ferait l'affaire. Bien qu'elle aurait pu avoir l'envie d'y écrire un roman, elle ne griffonna qu'un seul mot avec ses doigts encore tremblants. Elle hoquetait, reniflait. Ce n'était rien comparé à tout ce qu'elle pouvait garder pour elle. Elle se contenait, histoire de paraître civilisée aux yeux du voisinage, quoi qu'il n'y avait pas grand monde. Mais Joanne se sentait étrangement observée depuis voilà plusieurs minutes et c'était une sensation bien désagréable. Elle s'accroupit afin de glisser ce petit bout de papier sous la porte. Hassan pouvait faire ce qu'il en voulait. Le garder, le déchirer, le jeter, laisser son chien le manger. Une dernière tentative, juste une dernière. Quand elle se redressa, elle se retourna. Elle aurait presque oublié que Kelly était la voisine, et vu la manière dont elle se comportait, surtout les bruits étranges qu'elle faisait dans l'espoir, certainement, d'imiter le moteur de sa tondeuse, elle avait été prise sur le fait. Joanne était lasse. Les yeux légèrement gonflés, rougis, encore plein de larmes prêtes à s'écouler, elle la regardait d'un air neutre. Ou plutôt, complètement vidée, avec une profonde tristesse. Y avait-il quelque chose à dire ? Sûrement pas. Kelly avait été prise sur le fait. Joanne hésitait longuement à faire le moindre commentaire, avant de dire. "Et ça, ce n'est pas du voyeurisme, peut-être ?" Qu'importe qu'elle l'entende ou non, Joanne ne savait même pas si elle avait suffisamment de force pour que sa voix porte un minimum. A vrai dire, cela l'exaspérait. Elle aurait pu s'emporter, s'énerver qu'elle se mêle ainsi de sa vie, prise la main dans le sac. Joanne se demandait sérieusement si elle n'avait pas meilleure chose à faire que d'épier la vie des autres. Sans lui accorder un regard supplémentaire, Joanne s'éloignait enfin de la maison d'Hassan. Le mot qu'elle avait écrit n'était autre qu'un jour de la semaine. Le mardi. La voilà, sa dernière ouverture, la dernière approche qu'elle pouvait encore faire. Il savait désormais, s'il avait pris le temps de lire l'unique mot écrit sur ce bout de papier chiffonné qu'elle serait là, à l'endroit décrit plus tôt, tous les mardis. Car Joanne ne se voyait plus l'approcher, faire de pas vers lui. Hassan s'était fait comprendre implicitement et explicitement qu'il ne voulait pas, voire même plus, la revoir. Il semblait avoir besoin de temps et d'espace pour se reconstruire de son côté, ce pourquoi Joanne ne comptait plus venir faire le premier pas vers lui, par crainte de perturber son quotidien et sa tranquillité.