There's a dream that never died, It's coming back to haunt me. A fantasy of mine; pure visions of a new world. Many miles I've traveled since, through many different roads. Many stories I have told nut true dreams never die. △
ben & heidi
« Arrête de courir partout comme ça, tu vas finir par te prendre les pieds dans le tapis. » me soufflait Douglas qui m’observait faire des allers retours précipités entre la boutique et l’atelier. Encore habillée d’un jupe patineuse noire et d’un chemisier en soie émeraude, je troquais en vitesse mes escarpins de fashion designer accomplie pour une vieille paire de baskets qui n’avaient plus la moindre allure. Et c’était moi, maintenant qui ne ressemblait plus à grand-chose, pas vraiment assez habillée pour continuer de travailler mais définitivement trop pour me fondre dans la masse d’un stade. « Je suis déjà en retard. » me plaignais-je, plus à moi-même qu’à destination de mon associé. Tant pis, de toute façon, je n’avais pas le temps de changer de tenue puisqu’Adam poussait la porte de la boutique. « Heidiiiiiiii, faut qu’on y aille. » Déjà en tenue de football, il se tenait dans l’entrebâillement de la porte de la boutique, face à moi, observant mon accoutrement d’un drôle de regard. « Fais pas attention, je suis prête. » lui dis-je, attrapant mon sac à main à la volée avant de le suivre hors du magasin. « On va être en retard. » s’exclamait-il en me tirant par la main jusqu’à la voiture dans laquelle, Ben, derrière le volant, nous attendait patiemment. Je m’engouffrais sur le siège passager du véhicule quand Adam retrouvait sa place sur son siège auto sur la banquette arrière. Plaquant un instant ma bouche sur la joue de mon meilleur ami, je m’excusais aussitôt de la légère attente : « Désolée, c’était le rush au boulot. On a eu un problème de livraison, on a pas assez de dentelle de Calais pour la nouvelle collection. » expliquais-je brièvement alors qu’il se mettait en route vers le stade de football. Et comme toujours lorsque l’on était pressé, l’ensemble des dangers publics de la ville semblaient s’être donné rendez-vous sur la route. Là où depuis le centre-ville, nous n’aurions dû mettre qu’un petit quart d’heure pour rejoindre le stade de football qui se trouvait juste à côté de l’école d’Adam, le temps semblait s’écouler avec une lenteur insoutenable. Adam était impatient et inquiet de manquer le début du match de sa propre équipe, poussant Ben à aller toujours plus vite sur la route alors qu’il faisait déjà de son mieux. Et de l’extérieur, la situation aurait pu sembler comique parce qu’exceptionnelle quand c’était en réalité quelque chose de récurrent chez nous. Ni Ben, ni moi n’étions doués pour être à l’heure, quand bien même je me faisais la plupart du temps violence pour m’assurer qu’Adam arrivait à l’heure à ses principaux rendez-vous. C’était bien souvent le garçon qui s’assurait que le clan étrange et atypique que nous formions ne loupe rien d’important, étant bien souvent toujours le premier prêt à nous presser l’un l’autre. Et c’était à la suite de cette idée que je m’étais mise à rire légèrement dans la voiture alors que nous approchions du stade de football. « Arrête de rire Heidi ! » m’avait-il sermonné depuis la banquette arrière, pas vraiment sérieux lui non plus. C’était la force de notre trio : nous n’étions pas doués pour prendre les choses à cœur et avec gravité bien longtemps. « Heureusement que ton père est un pro du volant. » raillais-je à l’attention d’Adam alors que Ben venait finalement d’entrer sur le parking du stade et entreprenait de garer la voiture. Attendant à peine que le contact soit coupé et que nous soyons tous sortis de la voiture, le petit garçon avait filé en quatrième vitesse en direction du stade, sac sur le dos pour rejoindre son équipe. Accélérant le pas, nous l’avions suivi à distance, l’apercevant finalement sur la pelouse en train de discuter avec son coach et le reste de son équipe. Et j’avais moi-même suivi Ben qui s’était frayé un chemin dans la foule des gradins pour nous dénicher une place à tous les deux. « J’espère qu’ils vont gagner. » lui soufflais-je en m’installant à ses côtés. Attendant que le match commence, nous interrompant un instant pour faire signe à Adam qui nous saluait depuis la pelouse, je décidais de lancer la conversation avec Ben que je n’avais que peu eu le temps de croiser ces derniers temps. Entre mon déménagement, nos travails respectifs extrêmement chronophages et la présence d’Adam avec nous la quasi-totalité du temps restant, je n’avais pas eu le temps d’avoir une conversation sérieuse avec mon meilleur ami. C’était pourtant aujourd’hui plus que jamais que j’avais besoin de lui et de sa présence rassurante, non même essentielle, à mes côtés. « Ben, il faut qu’on parle. » lui avais-je alors lancé d’un air un peu trop sérieux qui ne nous ressemblait pas. Autant lui que moi, aucun de nous deux n’aimait trop les conversations d’adultes et le ton dramatique qui les accompagnait, on avait toujours le mot pour rire, la blague pour détendre l’atmosphère sur la langue, prêt à dégainer à la moindre occasion. Et alors qu’il me lançait un drôle de regard que je n’aurai pas su parfaitement interpréter, j’enchainais : « J’ai croisé Dean. » Pour une entrée en matière brutale, c’en était une. L’information cruciale, la vérité qui me faisait terriblement peur et qui avait troublé bon nombre de mes nuits depuis que j’avais croisé mon ex fiancé dans les rues de Brisbane. Un fantôme du passé qui revenait me hanter, me mettant face à mes erreurs qui n’en étaient pas forcément et face auxquelles je ne savais pas comment agir aujourd’hui.
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Heidi s'engouffre dans la voiture et, à peine sa portière claquée, j'appuie sur le champignon, direction le stade de l'école d’Adam. Nous ratons rarement ses matchs, ce n’est pas faute d'être toujours de plus en plus en retard. J'ai toujours un immense sac de provisions que les parents autour me jalousent du coin de l'œil, et cela prend du temps pour que le tout soit parfait. Parce que ce n’est pas qu'un match, c'est un évènement à chaque fois, c'est l'honneur de la famille qui est en jeu, qui repose sur les épaules de mon fils, vaillant défenseur de son équipe. Mais l'importance que j'y attache ne nous met pas plus à l'heure. “Calais. C'est quoi ce truc ?” je demande, même si l'objet que cela désigne, en soi, ne m'intéresse pas plus que le simple fun de répéter ce mot bizarre à la sonorité française bien snob. D'ailleurs je reprends, ouvrant grand la bouche, claquant la langue amplement comme un acteur qui s'échauffe, à la recherche de la bonne diction, testant plusieurs sonorités afin de déterminer laquelle est la plus ridicule ; “Caaah-laiiiis. Câlé. Câlès. Caaaa-” “Papa.” interrompt Adam, blasé, l'humour au vestiaire. “Quoi ? C'est un mot super drôle !” Et, distrait par mes propres pitreries, je ne vois le piéton sur le passage clouté qu'au dernier moment et pile des deux pieds sur la pédale de frein. Fort heureusement, nous arrivons finalement sur le fil du rasoir, juste à l'heure pour qu'Adam puisse faire un échauffement express en courant ventre à terre jusqu'à ses coéquipiers sur le terrain. Je ne me vante pas trop de mes talents de pilote, cette voiture avait une boîte automatique et je n'ai clairement pas pu montrer toute l'étendue de mes capacités ; néanmoins je ne suis pas peu fier que nous soyons là en un morceau. “Et même pas un bisou.” je souffle en voyant Adam tourner après les gradins et disparaître de mon champ de vision. Heidi et moi, un peu à la traîne, maintenons tout de même un bon rythme de marche jusqu'au stade. L'oeil aiguisé, je repère immédiatement un espace restant libre et susceptible d'accueillir nos deux paires de fesses. Parfait. J'aimerais pouvoir dire que nous nous faufilons ni vu ni connu, mais c'est sans compter sur la dizaine de pieds écrasés sur notre chemin, la vue que nous bouchons à tous ceux devant qui nous passons pour rejoindre notre lopin de béton bien inconfortable ou encore le “Go Wildcats !” que je lâche et me vaut quelques regards exaspérés. “C'est quoi déjà le nom de l'équipe ?” je demande à Heidi, penché à son oreille, tout en dégainant le sac de provisions. Nous avons des chips, du popcorn, des hot-dogs un peu tièdes, des bonbons, du soda et… Je stoppe net face à la mine soudainement sérieuse de mon amie, son “il faut qu'on parle” qui me rappelle ma mère quand elle croyait que je ne ferais jamais rien de ma vie. Mais ça ne peut pas être vraiment sérieux, n’est-ce pas ? Heidi se paie sûrement ma tête, et je crois mettre le doigt dessus en m’exclamant ; “Je savais que j'aurais dû apporter de la moutarde.” Des hot-dogs sans moutarde, à quoi tu pensais, Brody ? La jeune femme me fixe. Je la fixe. Ce n’était pas ça. Oh. C'est le nom de quelqu'un que nous pensions sûrement tous deux ne jamais revoir qui traverse ses lèvres, révélant qu'elle a croisé ce fantôme, que Dean a tenté une approche malgré notre conversation -peut-être même avant celle-ci- et j'ai l'impression qu'il s'est bien payé ma tête, Dean. “Toi aussi.” je souffle, avouant avec une relative subtilité que mon ancien meilleur ami avait également atterri devant moi. “Je l’ai croisé au tribunal. Il a été pris chez le proc’. On a eu toute une journée à se faire des passes.” je précise ensuite, sans pour autant raconter la raclée que je me suis prise face à lui en audience. Elle n’a pas besoin de connaître ce détail. Personne. Jamais. Mais ce qui m'agace ce n’est pas tant cette humiliation digne de nos années d'université que de savoir qu'il est allé chercher Heidi malgré tout. “Je lui avais dit de te laisser tranquille, dis-je, parce que c'est mon rôle de tenir ce fantôme-là loin d'elle, de la protéger des reproches et de la culpabilité qu'il peut apporter avec lui, tout comme elle a veillé sur Adam et moi toutes ces années. Soit disant il n'était pas venu pour toi, mais c'était évident qu'il espérait quelque chose.” Alors il s'imposait dans nos vies, parce qu'il l'avait décidé, parce qu'il estimait en avoir le droit.
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Malgré le sort qui n’était pas du côté de notre trio infernal, les éléments n’étant pas réellement en faveur de notre équipe brinquebalante, nous étions arrivés à l’heure avant le début du match, Adam filant en tête pour rejoindre sur équipe sur le terrain sans demander son reste. « Et même pas un bisou. » C’était Ben qui se plaignait, me tirant un petit rire alors que j’ajoutais aussitôt : « Quel sale gosse, c’est à se demander par qui il a été élevé. » C’était une petite plaisanterie, un running gag entre nous, père et mère d’adoption mis devant leurs responsabilités, tâchant chacun de faire du mieux que nous pouvions pour permettre au garçon de grandir de la meilleure façon qui soit. Et à voir Adam, plein de vie, prêt à donner ses tripes pour permettre à son équipe la victoire, je me disais que nous n’avions pas trop mal réussi le devoir qui nous incombait. Suivant Ben jusqu’aux places qu’il avait repéré à notre arrivée en bas des gradins, je tachais de me faufiler avec discrétion – ou presque – jusqu’aux sièges encore vacants. C’était évident sans compter sur mon meilleur ami qui, les mains chargées de tout un tas de victuailles qui nous aurait permis de tenir un siège sur le stade pendant plusieurs jours, se mettait à crier à mi-chemin : « Go Wildcats ! » J’avais ri, remarquant sans peine les regards courroucés que nous nous attirions aussitôt, sans me sentir pour le moins affectée par ces yeux qui se posaient sur nous. C’était le lot de notre organisation atypique, de notre choix de vie, Ben en père célibataire qui avait des airs d’adolescent coincé dans un corps d’adulte et moi m’assurant de de maintenir notre petit groupe à flot. « C'est quoi déjà le nom de l'équipe ? » me demandait-il au creux de l’oreille. « Les Panthers, voyons ! » que je pouffais, sans lui en tenir rigueur une seule seconde, à présent bien installée pour observer le match qui débuterait dans un instant. Attendant que le coup d’envoi soit prononcé, je laissais mes pensées dériver, revenant aussitôt jusqu’à la dalle mal fixée sur laquelle j’avais trébuché quelques semaines auparavant. Sujet sensible, véritable fantôme du passé revenu me hanter sans que je m’y sois attendue le moins du monde, je n’étais pas encore parvenue à aborder l’arrivée de Dean en ville avec Ben, toujours trop occupée, trop entourée. J’avais peur qu’en évoquant le retour de mon ex-fiancé dans ma vie, les choses deviendraient tout à coup réelle, un mauvais rêve devenant réalité. J’étais ailleurs perdue dans mes pensées alors que Ben détaillait ce que nous avions à nous mettre sous la dent pour la durée du match, je ne prêtais qu’un semblant d’attention à ce qu’il faisait. Et n’y tenant plus, j’étais venue aggraver le ton de la conversation en précisant à mon pilier dans cette vie que j’avais besoin d’avoir une sérieuse conversation avec lui. C’était le genre de choses qu’il n’aimait pas spécialement entendre, mais j’en avais aujourd’hui terriblement besoin. « Je savais que j'aurais dû apporter de la moutarde. » Incapable de savoir si c’était sa façon de dédramatiser la situation ou simplement le fait que, le prenant par surprise et sans signe avant-coureur, il n’avait pas eu le temps de comprendre où je voulais en venir, j’avais souri légèrement face à ses paroles. « Grave erreur. » répondis-je alors, sur un ton bien plus léger que les émotions qui s’étaient emparées de moi. Et sans plus tarder, j’avais lâché la bombe, dégainé l’information cruciale qui permettrait à Ben de comprendre tout de suite pourquoi j’avais l’air aussi sérieux, la mine aussi morne. « Toi aussi. » C’était sans grande surprise qu’il confirmait que lui aussi avait eu la surprise – et sûrement le déplaisir – de tomber nez-à-nez avec Dean. Il venait d’ailleurs confirmer mes soupçons en expliquant la nature de ses retrouvailles avec celui qu’il avait considéré depuis sa plus tendre enfance comme son meilleur ami avant que les choses ne se dégradent, avant que notre trio inséparable ne s’étiole pour ne devenir plus qu’un duo, lui et moi, face au reste du monde. « Je l’ai croisé au tribunal. Il a été pris chez le proc’. On a eu toute une journée à se faire des passes. » m’avait-il expliqué et j’avais légèrement soupiré. Clairement, Dean n’avait pas le sens des retrouvailles en douceur et s’était assuré de faire forte impression en arrivant à Brisbane. Et je savais que j’aurai sûrement dû être agacée de savoir que Ben avait eu vent de cette arrivée soudaine, sûrement avant même que je croise Dean au détour d’une roue, bouleversant ma routine quotidienne de la pire façon qui soit. Mais je ne parvenais pas à lui en tenir rigueur quand je savais que je n’avais moi-même eu ni l’occasion ni le courage d’aborder ce sujet qui était peu à peu devenu tabou entre nous au fil des mois. « Je lui avais dit de te laisser tranquille » avait-il ajouté et je l’avais regardé, interdite un instant. C’était mon cœur que j’avais senti se serrer doucement dans ma poitrine, touchée par cette révélation qui aurait pu être anodine quand, en réalité, elle représentait beaucoup pour moi. Je sentais presque mon amour et ma reconnaissance pour ce grand enfant qui se tenait face à moi, grandir à l’instant. C’était la preuve ultime qu’il serait sûrement toujours là, à veiller sur mes intérêts, à essayer de me protéger du mieux qu’il pouvait. Jamais de trop, jamais oppressant, il semblait toujours trouver le moyen de faire les choses comme il fallait lorsque ça me concernait. Et l’attention me touchait sans la moindre difficulté, d’autant plus compte tenu de notre passif respectif avec Dean. Bien incapable cependant de lui exprimer toute ma reconnaissance, je m’étais contentée de lui adresser un petit sourire, venant poser un instant ma tempe contre son épaule dans un geste plus d’affection. « Soi-disant il n'était pas venu pour toi, mais c'était évident qu'il espérait quelque chose. » ajoutait-il et j’avais lâché un long soupir. « Il m’a dit la même chose. Qu’il se trouvait en ville pour toi, à vrai dire. » Et l’idée ne me semblait pas si incongrue que ça quand on songeait qu’ils formaient un duo bien des années avant que je n’entre dans l’équation, que je ne vienne mettre mon grain de sel dans les rouages bien huilés de leur amitié. Mais Dean n’était pas bête, loin de là, et il avait partagé ma vie suffisamment d’années durant pour savoir parfaitement que Brisbane était mon terrain de jeu, ma ville natale et que même si je lui avais tourné le dos un temps, chaque rue serait teintée de mes souvenirs. C’était pour me suivre, pour rencontrer ma mère et mon frère, pour les fêtes de fin d’années qu’il était venu ici la première fois. C’était en ma compagnie qu’il y était revenu des dizaines de fois au cours de la décennie. Et je ne pouvais pas croire que, me sachant de retour à mes racines, il n’ait pas songé un seul instant que s’il souhaitait renouer avec Ben, il devrait forcément composer avec moi. « Il est venu chercher des explications tu sais ? » lui dis-je alors, décidant à mon tour de creuse l’abcès concernant mes retrouvailles avec le revenant. Et c’était ça le pire, savoir qu’il voulait des explications, que je doive me justifier vis-à-vis de lui, de ce nous que nous avions autrefois été. Bien-sûr, il les méritait ces explications, parce que ce n’était pas juste de ma part de l’avoir abandonné de la sorte, de lui avoir tourné le dos sans même daigner lui fournir un véritable motif pour donner de la logique à mes agissements. Mais moi-même, je ne parvenais pas réellement à expliquer ce qui s’était passé dans ma tête. Ça avait été une période difficile, chargée d’émotions dévastatrices qui m’avaient fragilisées et mon couple par la même occasion. Verbaliser tout ça, tout ce dont j’étais consciente et tout ce dont je ne l’étais pas, c’était un casse-tête qui me demandait beaucoup d’efforts. « C’était horrible. » avouais-je alors, les épaules affaissées rien qu’au souvenir de cette discussion qui s’était terminée dans les larmes. « Comment est-ce que je pouvais lui expliquer vraiment le pourquoi du comment ? » C’était une question rhétorique, une interrogation dont moi-même je n’avais pas la réponse et je n’attendais pas de Ben qu’il joue les magiciens. J’avais juste besoin qu’il me rassure, qu’il me garantisse que tout se passerait bien. « Je suis terrifiée. » C’était l’angoisse qui me coupait le souffle, me nouait la gorge, me tordait les entrailles à chaque fois que j’y songeais. « J’ai vraiment peur de retomber dans ses filets. » Et pour quiconque écoutait notre échange sans savoir de quoi il en retournait exactement aurait imaginé les pires défauts à Dean pour que j’en vienne à parler de lui comme d’un être mal intentionné. Et c’était terriblement faux, c’était d’ailleurs là le nœud du problème : il était étrangement facile de vouloir se laisser aller vers le jeune homme, savourer une vie paisible à ses côtés. Et je parlais justement en connaissance de cause.
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Les stades sont toujours ces endroits bondés de monde où l'on ne sait pas définir si le boucan provient plus des personnes dans les gradins qui ont commencé à chacun défendre le camp de leur gamin avec plus de vigueur qu'ils ne le feront eux-mêmes sur le terrain, ou de la musique hurlée par ces hauts parleurs géants d'où la voix du commentateur désigné nous brisera les tympans dès que le match aura commencé. Je constate la perfection de notre timing lorsque, à peine assis, à l'entrée d'Adam sur le terrain, le sifflet sonne le grand départ et les premiers coups de pieds sont donnés dans le ballon. En voulant me mettre dans le bain, je réalise que je lance une grosse référence à ce classique du cinéma adolescent qu'est High School Musical tout haut, me faisant passer pour un boulet aux goûts douteux pour les pom-pom girls mineures, les basketteurs à frange et les couplets à l'eau de rose. Heidi me corrige, et si les autres parents n'étaient pas tant à cheval sur les détails, franchement, j'aurais pu faire illusion. “Roh ça va, j'étais pas si loin !” que je leur balance, à côté, tandis que leurs yeux roulent jusqu'en Asie. Pour ma part, j'imprime leurs faces dans un coin de ma mémoire, juste pour me permettre de me rasseoir à côté d'eux au prochain match et leur faire soupirer un gros “oh non, pas lui”. Parce que mon imposant stock de nourriture les exaspère autant que notre retard et mon air d'imbécile heureux. Je pourrais les entendre prier que le fils ne soit pas aussi stupide que le père, sur le terrain, histoire qu'il y en ait un pour rattraper les chromosomes ratés de l'autre, et moi, espérer que Adam fasse un peu sa star pour leur clouer le bec. Parce que c'est aussi ça, les stades ; un match autant sur le gazon que dans les gradins. Néanmoins, Heidi n’est pas parfaitement attentive face au ballon rond, et moi à elle. Du moins, je n’atterris pas immédiatement devant son air sérieux, toujours un brin perché dans ma perpétuelle dérision. Elle me ramène sur terre d'un coup sec, me ramène à une réalité constatée quelques temps plus tôt ; que le passé nous suit toujours, et nous rattrape parfois. Dean est une personne qui a compté pour nous deux, plus que le reste du monde, quelqu'un qui, un jour, a été un élément majeur de nos vies. Devenu un simple prénom dépersonnifié, il a peu à peu quitté nos paroles, et nos mémoires, faisant le deuil de nos liens comme si nous l'avions enterré à Adélaïde. C'est quasiment un mort-vivant qui nous confronte, le deuxième dans le cas d’Heidi, habituée aux revenants -même si, d'accord, Dean n’a rien à voir avec un frère littéralement revenu d'entre les morts. Qui aurait cru qu'il ferait le chemin jusqu'à nous ? Et qu'est-ce qu'il nous veut, ce fantôme des soirées étudiantes passées ? Récupérer son ex-fiancée à mes yeux, retrouver un ami d'enfance d'après la brunette ; quel que soit le but, il arrive et sème immédiatement la zizanie, met Heidi au pied du mur, et moi face au genre d'émotions, telles que la rancune, que j'ai toujours préféré bannir du spectre affectif. Et par réflexe, par besoin d'imposer une distance entre moi et la situation, de l'éviter, mon attention reste rivée sur le match, le regard vissé sur le ballon, tandis que j'entends très bien Heidi me confier toute l'appréhension qui l'anime, la fait trembler, à l'idée d'être confrontée à Dean et de ranimer les sentiments d'autrefois. “T’as pas à t'expliquer si tu le veux pas. Il peut pas t’y forcer. Et franchement…” Je vois un gamin taper dans la balle dans le camp du mien, aucun marquage ; il déboule comme venu de nulle part, inattendu, pas anticipé, droit dans le cœur du terrain. “Le laisse pas percer la défense !” je m'écrie en pointant le vaillant attaquant qui tente le tout pour le tout. “Bouge toi, Adam !” Et mon garçon qui file entre ses jambes, tente d'y subtiliser la balle, et parvient plutôt à finir les deux fesses au sol. Premières minutes, premier but. Le soupir commun des parents de ce côté des gradins résonne, couvert par les applaudissements de l'autre camp. Moi, je mange mon dépit goût hot-dog sans moutarde. “Ce gosse est un boulet de canon, va falloir tenir bon.” je commente la bouche pleine, avant de revenir sur le sujet Dean avec autant de souplesse que si je n'avais jamais interrompu la conversation ; “Il m’a sorti tout le couplet “j'ai changé, je te jure”, c'était difficile à avaler. Et soudainement, il s'intéresse à Adam.” Le souvenir que j'en ai, c'est son conseil très avisé consistant à me faire comprendre qu'un type pas fichu de s'occuper de lui-même et de proposer un environnement stable ne devrait pas accepter la charge d'un gamin. Concernant mon fils, il me semble n’avoir toujours pu compter que sur le soutien d'Heidi, et cela a été la goutte d'eau, à l'époque. “Je le sens pas, Heidi.” je marmonne, quelque part entre le match des petits, et nos soucis de grands.
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« T’as pas à t'expliquer si tu le veux pas. Il peut pas t’y forcer. Et franchement… » répliquait Ben avec un aplomb qui me surprenait presque. De son poids de vue, les choses paraissaient parfois si simples que je me surprenais en l’envier de voir la vie avec autant de pragmatisme. Si le sujet actuel n’avait rien de joyeux et était plutôt alarmant de mon point de vue, l’attitude désinvolte de mon meilleur ami me tirait un sourire amusé. Sourire qui s’évanouissait bien vite alors que je reportais mon attention sur le match pour voir un attaquant de l’équipe adverse tenter de venir marquer un but dans les cages de l’équipe d’Adam. « Je pense que je lui dois quand même des explications dignes de ce nom. » poursuivais-je, l’œil suivant alternativement la progression du ballon sur le terrain et les réactions d’Adam. « Après la rupture brutale que je lui ai imposée, ça serait la moindre des choses. » Dire que j’avais fait les choses comme une véritable sauvage était un euphémisme. Aujourd’hui encore, je sentais la culpabilité qui m’accablait lorsque je songeais à toutes les autres manières dont j’aurai pu mettre un terme à notre relation. « Surtout que je t’ai un peu entraîné dans mon sillage… » poursuivais-je, en lançant un petit regard en biais au Brody qui n’avait pas quitté le terrain des yeux. « Le laisse pas percer la défense ! Bouge-toi, Adam ! » Abandonnant la conversation un instant pour me concentrer davantage sur le fils de Ben, je l’observais bien malgré moi se faire maîtriser par son adversaire avant de finir au sol tandis que l’autre marquait fièrement un but. « Te laisse pas faire Adam ! Montre-lui ce que tu vaux ! » criais-je à mon tour depuis les gradins. Ce garçon avait peut-être remporté une bataille mais il était hors de question qu’il remporte la guerre. Comme toujours, les parents autour de nous nous regardaient avec de drôles d’air tant nous dénotions au milieu de ces adultes responsables, majeurs, responsables et vaccinés – à l’antipode de tout ce que Ben et moi incarnions en somme. « Ce gosse est un boulet de canon, va falloir tenir bon. » parvenais-je à comprendre dans les propos du jeune homme entre deux bouchées de son hot-dog. « Adam vaut bien mieux que ça. Et j’ai bon espoir que la récompense que je lui ai promis en cas de victoire le pousse à donner le meilleur de lui-même. » Le garçon ne recevait pas une éducation conventionnelle, c’était notre premier essai (et j’espérais le seul) avec Ben, celui qui essuyait toutes nos bavures et notre amateurisme consternant. Si Ben avait opté pour une éducation qui le poussait à se montrer responsable et autonome avant l’heure, j’avais toujours incarné une figure d’autorité que j’adoucissais avec un aspect ludique qui avait toujours été au cœur de ma relation avec son père. Aussi, c’était bien souvent les défis et autres paris débiles qui faisaient foi au sein de notre trio infernal, pour notre plus grand plaisir à tous. « Il m’a sorti tout le couplet “j'ai changé, je te jure”, c'était difficile à avaler. Et soudainement, il s'intéresse à Adam. » Quittant à nouveau le terrain de foot des yeux, j’étais venue chercher du regard mon meilleur ami, intriguée par ce qu’il venait de dire. « Je ne comprends pas qu’il ne l’ait pas fait plus tôt à vrai dire. » Des enfants, c’était un projet que nous avions toujours eu avec Dean, pas dans l’immédiat, pas tant que sa carrière n’était pas parfaitement lancée, pas avant notre mariage, mais un objectif à long terme, une sorte de phare guidant nos pas. « Après, peut-être a-t-il vraiment changé ? » tentais-je, en me mordillant la lèvre inférieure. Cette hypothèse n’était pas nécessairement à écarter quand on songeait que j’étais revenue à Brisbane depuis un peu plus de deux ans et demi. Resté seul à Adelaide, peut-être avait-il eu le temps de grandir. « Je pense que toi et moi on a pas mal changé depuis aussi. » Si je ne parvenais toujours pas à me considérer comme une adulte responsable et que l’approche de la trentaine continuait de m’effrayer chaque jour un peu plus. « Je le sens pas, Heidi. » confessait finalement Ben avec une gravité en contraste total avec l’environnement jovial qui nous entourait. L’animation se faisait sentir de notre côté d’ailleurs, alors que c’était Adam qui était parti à l’attaque, ballon au pied en avançant témérairement vers les cages adverses. « Oui vas-y Adam ! » C’était évidemment sans compter sur la défense en place qui lui coupait la route. Heureusement, au dernier instant, le petit avant le réflexe de faire la passe à un coéquipier dégagé qui marquait alors le premier but des Panthers. Sautant sur mes pieds, je sifflais avec enthousiasme en sautillant sur place, applaudissant par la même occasion avec toute la fierté dont j’étais capable. « Félicitations ! » m’égosillais-je en lançant un regard attendri à Ben. « Peut-être arriverons-nous à en faire quelque chose, contrairement à son père. » le taquinais-je dans une moue mutine. Reprenant place sur mon siège quand la balle était à nouveau engagée et accordée à l’équipe adverse, je me tournais de nouveau avec le jeune homme pour tenter de poursuivre notre conversation décousue. « C’est trop… Étrange de le voir de nouveau. Je ne pensais pas que ça arriverait. » confessais-je en ayant conscience d’être peut-être naïve quand Dean et moi avions toujours eu plus d’une connaissance et d’un ami en commun, à commencer par Ben et Cora. « Quand je repense à nos années universitaires, je ne peux pas m’empêcher de me demander quand est-ce que tu as commencé à se compliquer. » soupirais-je. Ces derniers temps, avec les histoires de Cora, je me retrouvais régulièrement à songer à cette époque bénie des dieux où nous avions l’impression d’avoir le monde à nos pieds et rien d’autre à nous inquiéter de que savoir si la gueule de bois nous empêcherait d’aller en cours le lendemain ou où nous choisirions de passer nos prochaines vacances entre amis. « Je t’avoue qu’en plus, le timing est loin d’être idéal en ce moment. » J’avais bien d’autres chats à fouetter à l’heure actuelle en dehors d’un ex-fiancé éconduit qui revenait réclamer des explications. Outre mon travail qui s’avérait bien chronophage, surtout depuis que ma marque prenait peu à peu son envol, et les déboires médiatiques de ma meilleure amie, je marchais toujours sur des œufs avec Matt, cet éloignement forcé entre nous me minant le moral bien plus que je ne m’autorisais à l’admettre.
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On faisait difficilement pire comme lieu pour une conversation aussi sérieuse et, en un sens, importante. Leur attention aurait dû être entièrement focalisée sur le match d’Adam, et sur leur kit à hot-dogs. Heidi et Ben auraient pu parler boulot, cinéma, de leur dernière cuite, des notes du gamin à l'école qui était une autre preuve de leur bon boulot. Même de l'absence de pluie et de l'éternel beau temps -sècheresse, de l'avis de l'irlandais. Et Dean aurait pu être relayé au dernier plan, planqué, oublié dans un coin de leur crâne comme cela avait été le cas durant des années. Ils se seraient laissés porter par le brouhaha de toutes les familles venues soutenir leur garçon, ils auraient joué des coudes et des hauteurs de menton avec le père trop bruyant et la mère trop fière, ils se seraient encore amusés qu'on les prenne pour un couple. Parce qu'ils faisaient un drôle de trio, à vrai dire, et ils planquaient parfaitement le background qui les avaient tous deux menés là. Dean était la clé de voûte, le déclencheur de chaque étape de leur passé commun, et cette fois encore c'était lui, son retour, qui marquait de nouveaux bouleversements. Aussi fort voulaient-ils s'accrocher à leurs habitudes, à cet événement autour d'eux dont ils faisaient partie malgré tout, la promesse d'un bon moment ensemble, entre membres de ce modèle de famille inconventionnel, suivant d'un oeil l'action sur le terrain, la conversation tournait inévitablement autour du retour de celui qui fut un jour comme un siamois pour le Brody. “Oh, tu vas enfin le laisser toucher tes seins ?” demanda Ben à propos de la mystérieuse récompense promise à Adam par Heidi, dans une tentative réussie d'imposer une parenthèse à leurs problèmes trop adultes avec un fin commentaire adolescent. S'il était le fils de son père, il n'y aurait pas meilleure motivation qu'une fille à la clé. Bien entendu, le burlesque de la remarque fit bien rire Benjamin. Certes, peut-être pas autant qu'à l'accoutumée. Un soupir retombe bien vite sur les éclats de voix. “Tu m’as pas emporté dans ton sillage, ok ? reprit le brun, faisant référence à quelque chose qui l'avait interpellé dans les paroles de son amie. Il s’est comporté comme un con. Et de toute manière, j'avais fait une promesse à Loan.” La rejoindre à Brisbane, offrir à Adam le luxe de ne pas avoir à choisir entre papa et maman. Heidi avait été un bon argument supplémentaire et Dean une bonne excuse pour se passer de l'impression d'avoir quelque chose à perdre. Mais Ben, bien que maladroit et pas toujours adéquat, avait rapidement endossé son rôle de paternel -après tout, il ne pouvait pas l’abandonner sur le bas-côté de la route comme un clébard avant les départs en vacances. C'était Dean qui n’avait pas suivi, peut-être persuadé que tout ceci n'était qu'une vaste blague, croyant connaître son meilleur ami mieux que lui même à propos de ses capacités à garder un môme en un morceau. Ce n’était pas non plus une chemise trop grande que l'on peut retourner en magasin ; une fois que Ben avait signé, il n'était pas de retour en arrière possible. Peut-être avait-il bel et bien commencé à changer le jour où il avait accueilli Adam dans sa vie. Bizarrement, il n’avait pas protesté, ce jour-là. “En mieux, ouais. Comme le bon vin.” Quant à Dean et la manière dont il clamait ne plus être le même, l'avocat ne savait quoi en penser et se montrait peu convaincu. Pour tout ce mélo, la bande son idéale aurait été une dizaine de violons, mais c'est la nervosité et l'euphorie de tout le petit monde dans les gradins qui grimpe et relève le regard de Ben vers le terrain. Adam, grand comme un pouce à cette distance, effectua la belle passe à ses coéquipiers à l'avant de l'équipe qui déclencha une occasion qu'aucun joueur ni supporter ne manqua. La défense adverse, impuissante, laisse la missive frôler le gazon jusqu'à l'intérieur des cages, et le premier but est marqué. Puisque ce n’était pas avec son bout de hot-dog dans la bouche et ses mains grasses que le fier papa risquait de pouvoir applaudir, il dégaina la corne à la trompette rouge flamboyante et appuya brièvement, mais bien assez pour rendre sourd tout le stade. Face aux regards mauvais, il haussa les épaules et lâcha son classique “bah quoi ?” qui laissait le monde pantois face à ce degré de bêtise assumée. Il ne faisait aucun doute qu'Adam deviendrait bien plus mâture et réfléchi que son père au même âge. “Fais gaffe à tes mots, j'ai du ketchup et j'hésiterais pas à m'en servir.” répondit quand même Benjamin à la jeune femme, l'outil de ses menaces dans la main. Nul doute qu'il en était capable, belle robe ou non, et que Heidi en avait parfaitement conscience. Le match reprit et la partie sérieuse de leur conversation également. Cette discussion avait des allures de montagnes russes, un virage là, une holà ici, et les deux partenaires se montraient doués pour ce genre de gymnastique. Ils n’avaient véritablement sur cette fenêtre pour aborder un sujet aussi délicat que l'était Dean ; ce n’était pas après le match qu'ils se ruineraient l'ambiance, le garçon auprès d'eux. Il n’avait sûrement aucun souvenir de l'ancien meilleur ami de son père, faute que celui-ci se soit montré présent pour eux lorsqu'ils en avaient besoin. Non, Ben n'aurait jamais imaginé voir Dean à Brisbane, nid de traîtres qui lui avaient tourné le dos. Il ne pensait pas qu'il aurait eu un jour ce culot là, de réapparaître comme une fleur, la bouche en cœur. Rétrospectivement, plus loin encore que l'Université, le brun se souvenait d'eux dans leur banlieue Irlandaise, lorsqu'ils étaient deux gamins intenables qui faisaient les quatre cent coups ensemble. Cela lui parut loin, et bien révolu. “C’est du passé, Heidi. Te prends pas la tête avec ça.” dit-il, tentant de s'en persuader par la même occasion alors que les souvenirs pinçaient son cœur dans sa poitrine. Il ne pouvait pas dire que Dean tombait à pic non plus ; Ben avait bien assez à faire avec son fils, ses ambitions de carrière, ses questionnements à propos de Ginny, et le soutien qu'il tentait d'apporter à Cora. Le temps filait, précieux et irrattrapable, et pas une minute de celui-ci ne pouvait être gâché dans une déception comme Dean. “Mon avis d'expert, c'est qu'il n’y a jamais de bon timing. Les trucs de dingues t'arrivent dessus pile quand tu commences à te sentir confortable dans ta vie. Ça maintient le challenge.” Et cela en serait presque ironique. Quel meilleur moment pour se découvrir un fils que l'année du barreau ? Quand est-ce qu'une ex devait revenir dans sa vie si ce n'était qu'une fois habitué à son absence ? Alors un ami d'enfance pouvait bien réapparaître n'importe quand. “Le truc c'est… Est-ce qu'on a envie de faire une place à Dean ?” Dans leurs routines, leurs quotidiens, et la complicité qu'ils avaient mis en place avec les années à ne compter que l'un sur l'autre. L'accepter, c'était non seulement prendre le risque d'être déçus de lui, mais l'un de l'autre. De ne plus être sur la même longueur d'onde, de savoir s'adapter ou non, inclure une personne qu'ils n’étaient plus certains de connaître, au fond. Mais il était là, ils ne pouvaient l'ignorer. “C'est bizarre d'en douter. Il a toujours été comme un frère. Je serais pas sur ce gros caillou si c'était pas pour lui.” souffla Ben, ressentant presque à nouveau l’exaltation du jour où il avait mis le pied dans l'aéroport, sur le sol australien, et qu'il avait posé les yeux sur Dean, l'avait étreint pour la première fois en trois ans. Parce que c'est Dean avait été la grande justification à tout et n'importe quoi durant si longtemps. Pour faire des âneries, pour faire le mur, pour se battre dans la cour de récré, pour partir à l'autre bout du globe. Comment cela avait-il pu se briser ? “Au moins on peut dire qu'il sait faire une entrée remarquée.” souligna le brun avec un petit rire léger, car il lui était toujours bien plus simple de dédramatiser une situation plutôt que d'y faire entièrement face.
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ben & heidi
Bien que décousue, nous tâchions tant bien que mal de poursuivre notre conversation d’adultes au milieu des gradins du stade de foot. Il fallait dire que nous commencions tous deux à être des experts en matière de chaos organisé, nos vies respectives étant à l’image de cette conversation. L’avantage c’était que nous étions parés pour faire face à n’importe quelle situation, grands amateurs de l’improvisation que nous étions. Et par un heureux hasard (ou une bonne étoile) nous avions toujours réussi à retomber sur nos pattes : le sourire qu’arborait Adam à l’instant précis en jonglant avec le ballon aux pieds en était la meilleure preuve. « Oh, tu vas enfin le laisser toucher tes seins ? » plaisantait aussitôt Ben lorsque je parlais de la surprise que je réservais à son fils. Avec un petit sourire en coin, j’avais haussé légèrement les épaules. « Il faut bien que j’apporte ma contribution à son éducation sexuelle moi aussi. Spécialement si je veux éviter qu’il ne prenne tous tes travers. » taquinais-je mon meilleur ami en retour en lui donnant un coup de coude dans les côtes. S’il y avait bien un domaine dans lequel je ne me faisais pas le moindre souci pour Adam, c’était la séduction. Il n’avait qu’à observer son père agir pour avoir le droit à un cours avancé de drague de supermarché. Et si je n’étais pas nécessairement la plus douée en matière de relations sérieuses, ce n’était définitivement pas sur son père qu’Adam allait pouvoir compter de ce point de vue-là. C’était donc à moi qu’incombait la lourde tâche de donner un point de vue plus féminin et moins volage sur les relations amoureuses. Puis, profitant d’un peu d’accalmie dans le stade, le sujet Dean avait repris et aussitôt Ben m’avait presque coupé la parole pour remettre les choses au clair. « Tu m’as pas emporté dans ton sillage, ok ? Il s’est comporté comme un con. » J’avais esquissé un petit sourire en coin à sa remarque. Il était vrai que face à l’inconstance de son meilleur ami, Dean s’était montré bien moins patient que moi, se retrouvant souvent dans le rôle de celui qui lui faisait la morale plutôt que dans le rôle de soutien. « Surtout avec toi, c’est vrai. Mais je suis loin d’être toute blanche dans cette histoire, en revanche. » Car, en effet, vis-à-vis de moi, je n’étais plus sûre de savoir s’il s’était comporté comme un imbécile ou si c’était moi qui n’avait simplement plus eu les mêmes attentes. « Et de toute manière, j'avais fait une promesse à Loan. » enchaînait-il et j’avais froncé les sourcils. Mon inimitié pour Loan n’était un secret pour personne. Si j’éprouvais en général une douce indifférence pour les conquêtes d’un soir de mon meilleur ami – et au mieux, une légère compassion pour elles – Loan s’était tout de suite attirée ma méfiance lorsqu’elle était réapparue dans la vie de Ben, un enfant de deux ans dans les bras. C’était tout juste si je n’avais pas incité Ben à faire un test de paternité avant de commencer à s’attacher à un enfant qui n’était peut-être pas le sien. Et mon ressentiment envers la jeune femme ne s’était guère amélioré avec le temps, notamment lorsqu’elle avait disparu pour laisser Adam dans les bras de Ben, le tout sans prévenir qui que ce soit. « Ça valait bien le coup. » ne pouvais-je m’empêcher de bougonner, le nez plissé, signe de contrariété par excellence chez moi. Mais décidant que Loan ne méritait pas plus d’attention de ma part, j’avais enchaîné sur le sujet du grand retour de Dean parmi nous, notant que nous avions bien changé nous, depuis que nous avions quitté Adelaide. « En mieux, ouais. Comme le bon vin. » avait-il noté, et le petit tacle gratuit qu’il avait réservé à Dean ne m’avait pas échappé. « Tu penses qu’on sera capable un jour de devenir des adultes responsables ? Avec une vie rangée ? » demandais-je à Ben avant de secouer moi-même la tête de gauche à droite à cette idée. « Très peu pour nous la vie planplan n’est-ce pas ? » Les conventions, la norme, ce n’était pas ce dans quoi nous étions le plus à l’aise tout les deux, notre trio incongru en étant l’exemple parfait. L’euphorie du moment atteignait son paroxysme quand le premier but du match était enfin marqué. Et c’était avec fierté que nous célébrions l’avancée que venait de prendre l’équipe d’Adam, à grands coups de corne de brume par Ben qui s’attirait un peu plus les foudres du reste des parents qui le regardaient médusés en se demandant sûrement comment un enfant de trente ans pouvait avoir réussi à élever un garçon jusqu’ici. « Bah quoi ? » adressait-il d’un ton bourru aux quelques curieux qui nous fixaient de leurs grands yeux courroucés avant de se tourner vers moi : « Fais gaffe à tes mots, j'ai du ketchup et j'hésiterais pas à m'en servir. » Et je levais aussitôt les mains en l’air pour clamer mon innocence. « On se calme cow-boy. » rétorquais-je avant de siffler ma fierté bruyamment pour soutenir l’équipe d’Adam. Mais rapidement, l’enthousiasme de l’instant retombait comme un soufflé et la question du retour de Dean venait de nouveau torturer mes pensées, me plongeant dans une certaine nostalgie du temps passé où les choses semblaient si faciles. « C’est du passé, Heidi. Te prends pas la tête avec ça. » balayait-il avec désinvolture. Du point de vue de Ben – du moins de ce qu’il laissait entrevoir – les choses semblaient parfois si simples. « J’aimerai avoir ton recul sur la situation. » soufflais-je en lui adressant un petit regard complice. Bien-sûr je soupçonnais que mon meilleur ami essayait lui-même de se convaincre que le cas de Dean n’était pas si déstabilisant, que ce n’était qu’un vulgaire caillou dans sa chaussure plutôt qu’une dalle mal fixée sur laquelle il aurait trébuché. Je ne pouvais m’empêcher de faire remarquer que le retour de Dean était loin de tomber à pic. « Mon avis d'expert, c'est qu'il n’y a jamais de bon timing. Les trucs de dingues t'arrivent dessus pile quand tu commences à te sentir confortable dans ta vie. Ça maintient le challenge. » Un petit rire avait passé la barrière de mes lèvres tant l’analyse de Ben faisait sens et écho à ma propre existence. Il avait fallu que la disparition de Matteo arrive au moment où ma relation avec Dean commençait sérieusement à battre de l’aile, parce que devenue routinière. Et son retour dans le monde des vivants était arrivé quand j’avais enfin réussi à reprendre ma vie en main à Brisbane, à avancer. « Il n’y pas une loi qui régit tout ça ? La fameuse loi de Murphy ? » demandais-je alors avec une moue amusée avant de reporter mon attention sur le match de foot qui continuait de se dérouler sur le terrain. « Le truc c'est… Est-ce qu'on a envie de faire une place à Dean ? » demandait finalement Ben après un instant de silence. Et à peine avait-il fini de poser sa question que j’avais aussitôt rétorqué un « Non ! » virulent, la bouche encore pleine de la dernière bouchée de hot dog que je venais de m’accorder. Réalisant soudainement la violence de ma réponse et le fait que j’avais sûrement craché sur ce pauvre Ben, j’avais plaqué ma main sur ma bouche en riant un peu. Ben et Dean avaient longtemps été un tout que j’avais accepté. Si c’était Dean qui avait attiré mon attention le premier, j’avais rapidement compris que je ne pouvais pas le côtoyer sans fréquenter son meilleur ami. C’était une entité dans laquelle je m’étais immiscée peu à peu. Et de duo, nous étions devenus un trio inséparable. Jamais je n’aurai imaginé un seul instant que notre trio cesse d’exister. Et pourtant, Dean s’était lentement mis à l’écart de ce trio, nous poussant avec Ben à prendre nos distances à notre tour. Aujourd’hui, avec Adam nous avions retrouvé un trio inébranlable et l’idée d’intégrer Dean à nouveau parmi nous me poussait à avoir peur que son retour ne fasse imploser l’équilibre que nous avions atteint avec les Brody. « Enfin… Je veux dire… » commençais-je en tâchant de trouver un moyen d’expliquer ce qu’il se passait dans ma tête. « C’est Adam, toi et moi. Jusqu’au bout. » affirmais-je en le regardant dans les yeux. Et ça Dean ne pourrait jamais rien y changer, il devrait l’accepter. « Il a loupé le coche, c’est trop tard maintenant. » assénais-je, en faisant allusion surtout à l’arrivée d’Adam dans la vie de Ben et dans la notre par extension. Ça avait été le moment où il aurait dû se faire le plus présent et c’était le contraire qui s’était produit. Je regardais à présent Ben dans l’attente de sa réaction. « C'est bizarre d'en douter. Il a toujours été comme un frère. Je serais pas sur ce gros caillou si c'était pas pour lui. » confiait-il et je pinçais les lèvres en le regardant. « Est-ce qu’il te manque parfois ? » lui demandais-je alors, à la fois par curiosité, et pour me rassurer. Car le Dean que j’avais connu, celui dont j’étais tombé amoureuse en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, me manquait parfois cruellement. Et j’avais besoin de savoir que je n’étais pas seule dans cette situation, à me languir de quelqu’un qui n’existait plus – et qui n’avait peut-être même jamais existé ailleurs que dans ma tête. « Parfois il me manque... » confessais-je, l’air coupable. « Mais j’ai peur de retomber dans nos anciens travers. L’idée d’être à tout jamais Madame Maguire, ce n’est pas ce qui me fait vibrer dans la vie. » enchaînais-je alors en mettant le doigt sur la raison principale qui m’avait valu de quitter Dean en premier lieu trois ans auparavant. « D’un autre côté, j’ai aussi peur de laisser passer l’opportunité de ma vie en termes de relation amoureuse et d’avenir. » Parce que Dean avait été bien plus qu’un petit-ami et que le troisième membre de notre trio de l’époque. Il était celui que j’avais toujours imaginé comme étant le père de mes futurs enfants, celui qui passerait le restant de ses jours à mes côtés, même lorsque nous serions tous les deux vieux et ridés, entourés de nos petits-enfants. En le quittant, c’était tout cet avenir que j’avais abandonné sans me retourner. « Au moins on peut dire qu'il sait faire une entrée remarquée. » mentionnait le Brody avec un petit sourire pour désamorcer l’ambiance tendue que le sujet Dean avait créé autour de nous. « C’est le moins qu’on puisse dire. » confirmais-je avec un petit rire, un peu jaune quand je songeais comment j’étais tombée nez-à-nez avec lui au cours d’une promenade avec mon chien. « Comment se sont passées vos retrouvailles ? » m’inquiétais-je alors en réalisant que je ne connaissais pas les circonstances des retrouvailles des deux anciens meilleurs amis. C'était à ce moment-là que l'équipe d'Adam manquait d'encaisser un but, permettant l'éventuelle égalisation des scores. Avant même que Ben ait pu répondre à ma question, je m'étais levée de mon siège pour crier : « Go Panthers, montrez leur ce que vous avez dans le ventre ! Allez Adam ! » Pour sûr, Ben et moi étions bien plus investi dans l'issue de ce match que la majorité des parents et des enfants compris. « Tu crois qu'on risque de se faire virer si on siffle l'équipe adverse ? » demandais-je à mon meilleur ami avec un petit sourire en coin lourd de sous-entendus.
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“Comme Eddy Murphy ?” demanda l'avocat avec toute l’insondable stupidité que l'on pensait lui connaître, mais qui ne cessait de surprendre à chaque fois qu'il ouvrait la bouche -pleine de bouts de hot-dog mastiqués, bordée de miettes et d'une trace de moutarde déposée comme la mouche de Marie-Antoinette. Il déglutit et reprit avec un peu plus de sérieux au sujet de Dean ; certes, celui-là était en ville, et certes, il formulait le souhait de faire a nouveau partie de leurs vies, mais était-ce ce que voulaient les principaux concernés ? Le refus fut instantané pour Heidi. “Ca venait du cœur.” fit remarquer Benjamin en reprenant une bouchée. Cela ne le choquait pas, car il n'en pensait pas moins. Ce qui l'ébranla, en revanche, fut lorsqu'il se sonda suite à la question de la jeune femme ; est-ce que Dean lui manquait ? Il ne voulait pas se l'avouer, et au premier abord, il pouvait facilement prétendre que non, absolument pas. Mais Heidi était, au final, aussi partagée que lui. “Dean, l'opportunité de ta vie ? C'mon. Tu te débrouilles très bien sans lui depuis trois ans, il n'y a pas de raison que ça ait changé juste parce que Monsieur Face-de-flétan revient dans le décor.” Et puis, quelle était cette obligation d'avoir un couple, cette pression que cela tienne pour toujours, et le rapport avec le fait d'avoir un avenir ou non ? L'irlandais ne voyait pas. [c'est=#009900]“Il m'a manqué aussi, parfois, admit-il à son tour. Ça fait bizarre d'avoir eu la même personne pour repère dans la vie depuis le bac à sable et faire sans, tout à coup. Il n'y aura jamais personne pour me connaître aussi bien que lui et raconter nos conneries de gamins du temps où on était en Irlande. C'est unique, comme genre de lien.” [/color]Il haussa les épaules. “Mais bon…” Pour lui, la question n'était pas résolue. Les excuses de Dean n'étaient pas suffisantes. Benjamin ne souhaitait pas réellement s'épancher sur leurs retrouvailles, puisse-t-on les nommer ainsi, et il fut ravi de ne pas en avoir l'occasion. C’était tendu. Dean avait obtenu une détention pour la moitié des clients de Ben de ce matin-là. Puis ils avaient causé à la machine à café sur à quel point il était un homme nouveau qui avait hâte d'être enfin un bon tonton Dean. Déca allongé au baratin. Alors il fourra la dernière bouchée de hot-dog jusqu'au fond de sa gorge. Considérant que Dean avait bien assez accaparé la conversation et les esprits sans même être présent pour aujourd'hui, Benjamin se concentra plus particulièrement sur le match que jouait son fils, fier comme un vrai papa dès qu'il avait la balle entre les pieds. “C'est les mangues molles qu'il faut vous appeler si c'est pour être aussi mous du genoux, loosers !” lança-t-il aux gamins adverses. Il observait les autres petits bonhommes qui jouaient sur le terrain, se disant que les coéquipiers de son fils avaient visiblement un coach sans stratégie ni autre plan de carrière que d'entraîner une bande de poussins gauches. Et lorsque l'un d'eux s'étala dans le gazon de tout son long suite à un tacle un brin douteux, il ricana dans sa barbe et s'exclama sans aucune gêne, doigt pointé vers le joueur aux genoux terreux ; “Regarde le petit gros. Il aurait pas besoin de courir sur le terrain s'il prenait assez d'élan depuis Kangaroo Point. Il pourrait juste rouler sur le terrain et faire du match une partie de bowling.” Et même s'il savait qu'il ne devrait pas placer Adam dans les quilles, le brun pouffait quand même de rire, curieux de savoir à quel point son fiston pouvait être aérodynamique. “Vous avez dit quoi là ?” s'éleva une voix derrière eux. Assis sur le gradin suivant, un crâne d'oeuf au marcel taché de gras et de cambouis grognait dans un double menton coulant sur les poils gris de son torse tout aussi flasque. Un regard furtif dans le baillement des jambes de son short kaki laissait deviner que le gentleman n'était pas adepte des sous-vêtements. C'est naïf et benêt comme tout que Ben se tourna pour lui cracher un “Quoi ?” d'adolescent. “Si vous vous sentez visé par les mangues molles, c'est pas mon problème mate, c'est l'âge, c'est moche.” Fier de sa vanne, l'irlandais se retourna immédiatement avant que son rictus amusé ne se devine et vienne ruiner tout le génie de sa répartie. “Vous vous êtes foutu de mon fils.” insista celui qui vivait sûrement dans une caravane en bordure de la ville et fumait des sans filtre dont il jetait le mégot dans des canettes de bière tiède. “Ah ! Bouboule ?” Le réflexe n'avait pas changé et son index s'était levé pour désigner le garçon. Être impoli ou blessant lui passait par dessus la tête -il ne faisait que dire ce qui était, après tout. Le père du gamin serra les poings. “Ok, je suis désolé, reprit Ben tout en finalisant intérieurement la tournure de sa vanne. Vous avez visiblement une prédisposition à être... des gros looseeeeers !” Et il éclata d'un rire crispant, avorté par l'immense paluche du redneck australien venue s'abattre sur son épaule afin de l'agripper et le mettre sur ses jambes avec la ferme intention de lui régler son compte. Benjamin fit d'une arme de défense la première chose qui lui passait sous la main ; le tube de ketchup. Sans réfléchir plus loin que la première idée qui lui traversa la tête, imprévisible et déroutante, il en vida le contenu sur la surface lisse du crâne de son assaillant. La sauce dégoulinante sur son visage, son nez, ses yeux, ses oreilles, il lâcha un rugissement enragé et laissa filer Benjamin d'entre ses doigts en saucisses cocktail. “Messieurs !” qu'on s'indignait autour d'eux jusqu'à ce que la sécurité du stade fasse son apparition. Entre temps, Humpty Dumpty avait heurté la pommette du brun avec ses phalanges nouées, lui collant un joli souvenir pourpre de ce bel après-midi. “On fait juste un remake de Carrie façon Riverdale.” justifia Ben à l'agent en roulant des épaules comme si de rien n'était, ricanant bêtement malgré sa joue brûlée par l'impact. Se bagarrer dans les gradins était, à ses yeux, un véritable jeu. Il était irlandais. C'était dans ses veines. Faute de références ou d'esprit cinématographique, l'agent ne parut pas réceptif à cet argument et escorta les deux fauteurs de troubles hors du stade. Benjamin adressa un clin d'œil à Heidi. Il attendrait dehors, mais Adam avait quand même besoin d'un supporter. Sur le terrain, le match avait été interrompu, et les regards furent rivés sur le public tout ce temps. D'abord caché derrière le ballon, liquéfié de honte, Adam avait peu à peu relevé la tête avec curiosité. “C'pas ton père qui vient de couvrir de ketchup celui de Helltony ?” Coéquipiers sur le terrain, ennemis dans la vie, tous les gamins surnommaient le petit Anthony ainsi parce qu'il suffisait de mal le regarder pour vivre un enfer. La terreur du bac à sable à qui jamais personne n'avait dit non était devenu le caïd réclamant les goûters comme tribus en échange d'une paix relative. “Ouais.” souffla Adam, partagé entre fierté et le constant dépitement que lui inspirait son père. Mais ce fut un discret sourire qui prit le dessus sur sa moue blasée. “Awesoooome.”
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ben & heidi
Voilà que Ben venait d’oser poser la question à un million de dollars : étions-nous prêts à accueillir Dean parmi nous de nouveau ? Et ma réponse n’avait pas tardé à se faire entendre, avec bien plus de véhémence que je ne l’aurais voulu. « Ça venait du cœur. » faisait-il remarquer alors que je réprimais un léger rire, moi-même surprise par mes propres paroles. Je prenais alors le temps d’expliquer ce qui avait motivé pareille réponse, avant d’avouer à mon meilleur ami que celui avec qui il avait fait les quatre cents coups par le passé venait à me manquer de temps à autre, plus souvent que je ne l’aurai voulu et bien plus régulièrement que je ne concédais à le reconnaître. « Dean, l'opportunité de ta vie ? C'mon. » s’étonnait-il alors, prêt à me réprimander de penser de la sorte. Et pourtant, malgré sa réticence, je ne parvenais pas à exclure complètement cette possibilité de mon esprit. Et si nous ne rencontrions qu’une âme sœur dans notre vie ? Et si je l’avais purement et égoïstement abandonné à l’orée de notre mariage sans même me retourner, emportant dans mon sillage un avenir heureux et paisible à ses côtés ? « Tu te débrouilles très bien sans lui depuis trois ans, il n'y a pas de raison que ça ait changé juste parce que Monsieur Face-de-flétan revient dans le décor. » Et la réponse de Ben me poussait à me taire pour me plonger un instant dans une intense réflexion, occultant le temps de quelques secondes le match qui se déroulait sous mes yeux fixant désormais le vide. Me débrouillais-je réellement si bien qu’il le prétendait ? Certes ma vie professionnelle était en plein essor, mais ma vie personnelle était un véritable champ de mine que je tentais d’organiser tant bien que mal, aussi instable qu’un château de cartes dans un courant d’air. « Il m'a manqué aussi, parfois. Ça fait bizarre d'avoir eu la même personne pour repère dans la vie depuis le bac à sable et faire sans, tout à coup. Il n'y aura jamais personne pour me connaître aussi bien que lui et raconter nos conneries de gamins du temps où on était en Irlande. C'est unique, comme genre de lien. Mais bon… » Je l’avais écouté attentivement, avec un regard plein d’affection et de compassion parce que je ne comprenais que trop bien ce qu’il voulait dire par-là, me doutant même qu’il vivait surement toute cette situation bien plus mal qu’il ne le laissait paraître, comme à son habitude. « Au moins, on est deux à faire front. » concluais-je alors avant de lui demander comment ses retrouvailles avec Dean s’étaient passés. Mais l’action qui se déroulait sur le terrain avaient bien vite raison de notre tentative de conversation, reportant notre attention sur les deux équipes qui s’affrontaient quelques gradins plus bas. Alors que l’équipe adverse manquait de rattraper le score de l’équipe d’Adam, je demandais à Ben s’il pensait que ce serait accepté par les autres parents de voir les deux grands enfants que nous étions siffler de pauvres enfants. « C'est les mangues molles qu'il faut vous appeler si c'est pour être aussi mous du genoux, loosers ! » s’exclamait aussitôt Ben qui n’y allait jamais avec le dos de la cuillère. Tâchant de tenir mon rôle de celle qui incarnait un minimum d’autorité et de maturité dans notre duo, je réprimais un sourire. Mais il ne s’arrêtait pas là, taclant à présent un adversaire qui venait de tomber sur le terrain. « Regarde le petit gros. Il aurait pas besoin de courir sur le terrain s'il prenait assez d'élan depuis Kangaroo Point. Il pourrait juste rouler sur le terrain et faire du match une partie de bowling. » Cette fois-ci je lui assénais sans plus de cérémonie un coup de coude dans les côtés, quand bien même j’avais légèrement pouffé de rire. « Vous avez dit quoi là ? » C’était presque prévisible et pourtant je n’avais pu m’empêcher de souffler un : « Oh oh. » quand Ben, se restaurant tentait de feindre l’innocence – ce qui n’était pas son meilleur talent, il fallait l’avouer – tout en continuant sur sa lancée dans la foulée. « Vous vous êtes foutu de mon fils. » Et à cet instant précis, je n’avais pas besoin d’écouter la suite de la conversation pour visualiser comment tout ceci allait tourner. Et aussi bien que je pouvais connaître Ben, je m’étonnais encore d’être surprise de le voir rétorquer en toute impudeur : « Ah ! Bouboule ? » Lui jetant un regard lourd de sous-entendus, je soufflais un « Beeeeen » plein de réprimandes. Mais ce dernier ne semblait pas en avoir assez dit : « Ok, je suis désolé. Vous avez visiblement une prédisposition à être... des gros looseeeeers ! » Et sans grande surprise, le chauve bedonnant ne tardait pas à se lever pour venir cueillir Ben, la veine tapant sur son front rouge et transpirant. Par réflexe, je m’étais redressée à mon tour, quand bien même, avec mon gabarit de lilliputienne, je ne servirais probablement pas à grand-chose. De toute façon, Ben n’avait pas tardé à répliquer à grands coups de ketchup qui venait peinturlurer la face du type d’une épaisse couche de sauce rouge. Autour de nous, je sentais toute l’attention des gradins se porter sur l’altercation qui avait lieu face à moi, abandonnant le spectacle du match de foot se déroulant plus bas. Et sans grande surprise, Ben se prenait un décroché du droit dans la mâchoire par le type qui ne semblait pas apprécier l’humour douteux de mon meilleur ami – et qui pouvait l’en blâmer ? Finalement, avant que quiconque d’autre ait pu réagir, un agent de sécurité du stade n’avait pas tardé à pointer le bout de son nez, prêt à escorter manu militari les deux troubles fête vers la sortie « On fait juste un remake de Carrie façon Riverdale. » poursuivait Ben, ayant comme toujours du mal à savoir quand il était judicieux de s’arrêter. Et ce grand enfant m’adressait un clin d’œil, auquel je répondais par un roulement d’yeux en le regardant quittant les gradins. Reprenant place sur mon siège, je tentais de reporter mon attention sur le match qui reprenait son cours après une brève interruption. Désormais seule supportrice pour Adam, j’y mettais tout mon cœur pour l’encourager comme il se devait, songeant qu’il serait bon de sauver l’honneur des Brody en permettant aux Panthers de remporter la victoire malgré les frasques du père. Et après une deuxième mi-temps difficile, Adam parvenait à marquer un but, assurant à son équipe la victoire par deux points d’écarts. Lorsque le sifflet final retenti, je perdais une bonne partie de mes cordes vocales en acclamant Adam avec toute la force dont je disposais, comme s’il venait de remporter la coupe du monde. Son équipe se décidait même à le porter sur leurs épaules, chantonnant un air qu'ils venaient de fabriquer de toute pièce : « On a gagné grâce à la frappe de Brody et son père a cloué le bec de celui de Helltony ! » Descendant les gradins, je m’approchais du stade pour espérer pouvoir apercevoir Adam avant qu’il n’entre dans les vestiaires avec le reste de son équipe. Alors qu’il mettait finalement pied à terre après une célébration digne de ce nom, il se précipitait vers moi : « Il s’est fait virer n’est-ce pas ? » me demandait-il avec résignation mais un petit sourire en coin sur le bord des lèvres. « Tu commences à le connaître. Viens-là, félicitations champion. » dis-je en l’attirant à moi, malgré ses réticences, pour le serrer dans mes bras. « Au moins, grâce à lui, tu as gagné en popularité, me semble-t-il. » ajoutais-je dans un sourire complice. « J’avoue. » concédait-il dans un haussement d’épaules avec un air amusé sur le visage. « Va te changer, je rejoins ton père dehors pour m’assurer que le père d’Helltony n’en a pas fait de la chair à pâté et on ira fêter ça comme il se doit. » dis-je avant de prendre la direction de la sortie du stade, Adam se précipitant dans les vestiaires pour célébrer ça avec le reste de son équipe et se changer. Je retrouvais alors Ben dehors, son tube de ketchup toujours à la main, la joue violacée par le coup qu’il venait de se prendre. « Jolie blessure de guerre. Grâce à toi et à ses talents de footballeur, ton fils est la nouvelle célébrité de son équipe. » l’informais-je alors, avec un rictus rieur aux lèvres. « Comment tu te sens ? » m’inquiétais-je finalement en m’approchant de lui. « Et qu’as-tu fais de ton adversaire ? » demandais-je finalement en jetant un coup d’œil autour de moi. « Promets-moi que tu t’es au moins débarrassé comme il faut du corps, s’il te plait. » raillais-je alors.
ghost from our past - THERE'S A DREAM THAT NEVER DIED, IT'S COMING BACK TO HAUNT ME. A FANTASY OF MINE; PURE VISIONS OF A NEW WORLD. MANY MILES I'VE TRAVELED SINCE, THROUGH MANY DIFFERENT ROADS. MANY STORIES I HAVE TOLD NUT TRUE DREAMS NEVER DIE.
Il eut une certaine frustration à entendre les parents continuer d’encourager les enfants qui foulaient le gazon tandis qu’il patientait hors du stade, mais Ben se consolait facilement avec sa petite victoire personnelle contre l’autre balourd. La couleur qu’avait prise sa pommette semblait indiquer une toute autre histoire, mais le Brody se fichait bien de ce détail ; son orgueil était gonflé à bloc, son menton bien haut, et son téléphone devant son visage arborant un large sourire idiot. Une pression sur l’écran, et cette blessure de guerre qui lui vaudrait autant le mépris que l’admiration secrète de tous les autres parents d’élèves de la classe était immortalisée pour toujours sous le regard blasé de l’agent de sécurité qui gardait un oeil sur lui. Le temps ne fut pas bien long avant que le coup de sifflet final ne résonne, bientôt accompagné des cris de l’équipe gagnante que l’irlandais découvrirait après tout le monde. Assis sur le rebord du muret en briques qui délimitait le stade, Benjamin sauta sur ses jambes dès qu’il aperçut les premières personnes quitter les gradins et les vestiaires, le regard vif à la recherche de ses comparses. Heidi seule apparut et s’approcha, les sourcils légèrement froncés et le regard tendre, le tout formant la parfaite expression faciale de la mère ayant autant de réprimandes à formuler que d’inquiétudes. “Jolie blessure de guerre.” souligna-t-elle. “Pas mal hein ? Je l‘ai déjà prise en selfie.” Avait-il besoin de le préciser ? La jeune femme le connaissait assez bien pour s’en douter, songea-t-il après coup. Mais il ne pouvait pas être trop fier de sa bêtise du jour. “Grâce à toi et à ses talents de footballeur, ton fils est la nouvelle célébrité de son équipe.” Sans s’encombrer de fausse modestie, Ben se permit une petite pirouette. Les Brody étaient des winners, le monde n’avait qu’à bien se tenir. Il n’était pas peu fier d’Adam non plus. “Mon plaisir.” Par dessus les épaules d’Heidi, il pouvait deviner quelques regards qui désapprouvaient la scène dont ils avaient été témoins dans les gradins -les parents, donc- et d’autres plus admiratifs qui rasaient le sol -les enfants. Autrement dit, rien qui ne sortait de l’ordinaire dans la vie de l’irlandais aux seize ans d’âge mental. Alors oui, malgré la joue brûlante, il allait bien et haussait les épaules avec son flegme habituel. Quant à son adversaire, auquel il n’avait plus pensé après avoir été jeté hors du stade, il le chercha du regard en même temps qu’Heidi. Il crut le deviner dans un gros Land Rover aux vitres teintées -pour cacher sa honte, sans doute. “Promets-moi que tu t’es au moins débarrassé comme il faut du corps, s’il te plait.” Même s’il était persuadé que son gabarit de phasme aurait eu ses chances de faire le poids contre Helltony Senior -avec l’aide d’un peu de sable dans les yeux- Ben trouvait un brin extrême de lui imposer plus grande humiliation encore. Se moquer de lui dans son dos, en revanche, était totalement dans ses cordes, et quand bien même son humour était discutable, il n’hésitait pas à en remettre une couche à propos de son ennemi déjà à terre. “Tu l’as vu ? A moins d’en faire des lardons, y’aurait pas moyen de cacher ce genre de corps. Donc, non, je l’ai pas revu. Je parie qu’il pleure comme un bébé dans son coin.” En tout cas, tout le monde ici avait appris une leçon essentielle ; il ne fallait pas chercher les Brody père et fils. D’ailleurs, Adam trotta jusqu’à eux, son sac de sport en bandoulière battant sa cuisse. Sur son chemin, il reçut encore quelques félicitations de ses coéquipiers. Visiblement, il avait fait un bon match ; Ben déplorait juste d’avoir manqué le but de la victoire. “Alors champion, parait que tu leur en a mis plein la vue ?” lança-t-il comme le fier papa qu’il était, la main en l’air pour un high five bien mérité. Le garçon sautilla sur ses baskets et claqua sa paume contre la sienne avec un enthousiasme et une fierté non dissimulés. “Ouais, en plein dans la lucarne.” Les doigts de l’avocat vinrent ébouriffer la chevelure d’Adam. “Ca c’est mon garçon. Et ça mérite une méga glace triple boule cookie-choco-fudge.” Un programme post-match frôlant la perfection, d’autant que le stand de glaces connaissait parfaitement quel emplacement était le plus stratégique pour ces samedis de compétition, autrement dit, de l’autre côté du trottoir.