Le McTavish était relativement actif lorsque je passe la porte, fend la foule de quelques pas avisés. Repérant presque automatiquement une place au bar, siège libre au comptoir et étrange réflexe, sans savoir si c’est la chance du débutant - ça faisait bien des semaines que j’étais passé ici, assez pour ne plus avoir un souvenir exact de l'endroit - ou si c’était simplement l’univers qui me disait haut et fort que pour une fois, il allait pas prendre son pied à me démonter la gueule pour son propre plaisir. Ça gazouille à gauche, ça commande à droite, je lorgne sur la carte des bières, commande une pinte au passage. Et si ça grouille tout autant au comptoir, c’est Tommy que je cherche des yeux et pas grand monde d’autre, le bon vieil ami, et accessoirement barman ici, qui m’a dit que je pouvais passer, si j’en avais besoin. Un truc bien inoffensif, une remarque et une autre alors qu’on s’est croisés la dernière fois au DBD, probablement lancé sans savoir à quel point le merdier dans lequel s’enlise ma vie ces derniers temps avait besoin d’une night out, ou du moins, d’un pote parmi tout le reste. Je sais déjà que je resterai ici aussi longtemps qu’il faudra, que Tommy soit là ou pas, libre ou non, rien que le bruit, le chaos auditif qui me fait l’effet d’une bulle de coton dans laquelle le monde extérieur et toutes les embûches qu’il me multiplie restent sagement hors du pub. Et méprenez-vous pas, je suis pas devenu dépressif non plus, quoi que je le voudrais bien - les médocs reliés au truc valaient tout de même la peine d’être réfléchis – parce que ouais, plus les jours passaient, plus je réalisais que j’avais merdé big time avec Ginny. Plus encore que ce qu’on se tuait à me dire, et depuis bien trop longtemps, probablement même avant toute l'histoire avec Ezra. J’ai appris par Jill hier que Noah venait tout juste d’avoir sa première note à l’école, qu’il avait raflé un A avec mention, le genre de truc bien banal quand t’as une mère comme ma petite soeur, quand t’as un cerveau sur deux pattes comme elle qui a à charge un gamin tout aussi réceptif qu’elle pouvait l’être en classe. Pourtant, c’était ça qui m’avait empêché de dormir hier, et pas l’inconfort plastique de la réserve au café, comme à mon habitude. Noah allait bien, Noah réussissait, Noah avait enfin droit à la vie qu’il méritait ; et je ne pouvais pas le célébrer avec Gin. Je ne le pouvais plus. Loin de moi l’idée de m’imposer que dans les bons moments, aussi. Toutes ces fois où, Noah en coma artificiel de l’autre côté de la porte, j'avais sillonné d'un sens et de l'autre le couloir donnant sur la 214, voulant offrir mon soutien à ma soeur, incapable de lui forcer ma tronche d’idiot non plus. Tout mon temps à y faire les cent pas, sachant que Ginny était de l’autre côté de la porte, qu’elle ne dormait pas, qu’elle espérait, qu’elle était muette, interdite, démolie. M’enfin, elle ignorait que je savais, et j’ignorais comment le lui dire. J’ignorais où était ma place, sûrement pas à ses côtés, mais je voulais pas la laisser, je voulais pas failer de nouveau, je voulais pas être ce type-là, celui qui lui brise le cœur à répétition pour avoir essayé trop fort. Alors j’avais respecté son besoin de distance, j’avais passé mon temps à creuser une tranchée de mes pas furtifs et multipliés, dans toutes les directions du monde où elle ne serait pas. Et lâche, pire des lâches, je ne faisais rien. Je n’agissais plus, j’attendais, trop patient pour ne pas ressentir la rage monter en moi, le feu. Fuir, cacher mes larmes de gros con ayant tout fait foiré, et j’avais cru bon de juste ranger le tout ailleurs, dans un dossier reniflant le déni bien puant.
Jusqu’à ce que je reconnaisse dans le regard de Tommy une once de compassion. Il finit son service d’un côté, me rejoint du mien. C’est l’air de celui qui se demande, vraiment, comment ça va. Pas du mec qui pose la question parce que c’est politically correct, mais du dude qui a mangé de la misère, qui n’a pas toujours été au mieux, et qui est là aujourd’hui pour faire état de sa situation, pour prouver que peu importe la merde dans laquelle on pile droit, on s’en sort. On s’en sort toujours. Il râlerait de m’entendre, de lui filer des intentions de roi du zen, de sauveur de ces pauvres âmes égarées, mais c’est la vérité. Tommy, même s’il ne me l’entend pas dire, c’est un mec bien. Du genre qui ne s’en fait plus. « On m’a dit que si j’avais besoin d’oublier mes problèmes, c’était ici le meilleur endroit pour le faire. » un peu d’humour pour panser les coeurs, parce que c’est tout ce que je sais faire de toute façon. « T’as fini pour ce soir, ou t'es toujours en mode psychologue? » au nombre de fois où il m’avait raconté les histoires de pauvres humains esseulés qui venaient chercher écoute et réconfort au-dessus du comptoir de bois vernis, c’était presque caricatural qu’aujurd’hui j’ajoute mon nom à sa liste. J’avais l’alcool généreux, et même si cela me semblait être une mauvaise idée à des miles à la ronde, je trouvais rien qui puisse étancher le tout plus vite et plus doucement qu’un peu de houblon. « Parce que je t’avertis ; sauf si tu connais la distraction du siècle, je risque de monopoliser la conversation. » avec Tommy, on faisait pas dans la dentelle. Quand on connait un type depuis longtemps, quand une vraie, bonne, belle amitié s’est développée, y’a pas de temps à perdre avec du small talk, avec les banalités. On presse direct là où ça fait mal, on crève l’abcès pour que tout aille mieux, rapidement, et pour vrai. Et s’il y a bien quelqu’un dans ce bar qui peut me comprendre, s’il y a bien quelqu’un dans cette ville qui peut savoir ce que je ressens, d’être incapable de digérer le fait qu'on soit coupé de la vie de sa soeur, c’est bien lui. Aussi chiant puis-je être, aussi nécessaire un wakeup call de sa part sera le bienvenu.
Made by Neon Demon
Dernière édition par Matt McGrath le Jeu 24 Mai 2018, 23:39, édité 1 fois
Il faisait son possible pour le garder enfoui dans un coin de son crâne, suffisamment profondément pour que le pot aux roses ne soit pas découvert par le premier client venu et seulement vaguement soupçonné par les habitués ou les autres rouages du McTavish, mais le sentiment de lassitude qui envahissait Tommy à l’égard de son travail devenait de plus en plus palpable. Servir des pintes, faire la vaisselle, rembarrer ceux qui tentaient sans vergogne de négocier les prix, récurer le comptoir et même écouter les déblatérages de ceux qui ne venaient au pub que dans l'espoir d’une oreille attentive ou d’un brin de compagnie … tout cela l’ennuyait profondément, et de plus en plus au fil des semaines. À désormais trente-quatre ans le brun faisait face à l’une de ses peurs d'adolescent : celle de devenir un adulte désabusé exerçant un métier qui ne lui plaisait pas, ne l’épanouissait pas. Pourtant il se sentait comme l’enfant capricieux qui espérait après le beurre et l’argent du beurre, il rêvait d’un autre destin professionnel mais n’avait pas la moindre idée de ce qu’il voulait faire … Pas la moindre idée de ce qu’il pouvait faire, non plus, donnant pour son plus grand malheur raison à des parents qui l’avaient toujours vu comme un bon à rien dont on se demandait ce qu’on allait bien pouvoir faire de lui. Pas grand-chose, sans doute, et ce constat lui revenant à nouveau en pleine figure Tommy tentait de faire bonne figure derrière son bar malgré l’ambiance maussade installée dans chaque recoin de son crâne. À de rares occasions encore se permettait-il de penser que peut-être ailleurs les choses seraient différentes, qu’en dehors de Brisbane l’herbe était forcément plus verte et ses possibilités plus étendues, mais pour Moïra que les difficultés du père braquaient sans cesse, ce serait probablement l'affront de trop, alors Brisbane ce serait, Brisbane cela resterait. Et face à lui on se raclait la gorge avec impatience, le faisant redescendre de son nuage de grisaille dans un « Pardon. » maladroit et la commande prise manu militari pour satisfaire les papilles impatientes de l’amateur de houblon. De ces amateurs-ci il y en avait d’ailleurs un, assis en bout de comptoir et l’air d’attendre que le ciel lui tombe sur la tête que Tommy avait remarqué aussitôt, lui adressant un vague signe le temps d’encaisser son client précédent avant d’aller les rejoindre lui et le verre que son collègue avait déjà servi « On m’a dit que si j’avais besoin d’oublier mes problèmes, c’était ici le meilleur endroit pour le faire. » Le cynisme à peine voilé Matt avait resserré ses doigts autour de son verre, le sourire las et questionnant ensuite « T’as fini pour ce soir, ou t'es toujours en mode psychologue ? Parce que je t’avertis ; sauf si tu connais la distraction du siècle, je risque de monopoliser la conversation. » Lui offrant haussement d’épaule et regard compatissant, Tommy avait nonchalamment arrangé le torchon posé sur son épaule et semblant attendre la vaisselle comme le messie « Pas encore, non, mais si tu m’autorises à remplir ou nettoyer quelques verres pendant que tu monopolises, je suis tout ouïe. » Fallait au moins reconnaître cela, le boulot de barman affûtait la capacité à accomplir plusieurs tâches à la fois. Les doigts s’emparant du plateau de verres vides déposé sur le coin du comptoir par l’une des serveuses, Tommy les avait remplis d'eau pour les débarrasser du fond de bière qui restait au fond, l’œil remontant en même temps vers Matt et sa tête de six pieds de long. « T’as une sale mine, désolé de devoir te le dire. » s’était-il d’ailleurs permis de faire remarquer sans chercher à brosser le bonhomme dans le sens du poil, parce qu’au fond on ne venait pas le voir pour obtenir une tape dans le dos hypocrite. « Allez, dis-moi tout, quel bon vent t’amène ? » D’abord tenté d’ironiser sur la possibilité que sa colocataire lui ait encore fait des misères – maintenant qu’il en connaissait l’identité – il s’était toutefois ravisé au dernier moment en se rappelant le regard noir que lui avait lancé Lene lorsqu’il avait tenté d'en savoir plus sur ce qui la liait à Matt. À l’évidence le sujet était épineux, et l'aborder avec Matt maintenant alors qu’il tirait déjà une gueule d'enterrement n’était peut-être pas la meilleure des entrées en matière.
Dans un pub bondé, entouré de types tous plus bourrés les uns que les autres, la pinte qui roule entre mes doigts et les idées qui ne sont pas tout à fait claires, y’a que pour la tête bourrue de Tommy que je sors de ma lassitude. Un fin sourire qui se dessine sur mes lèvres quand il remarque ma tête d’enterrement et qu’il fait les pas nécessaires pour venir se poster à ma hauteur, quand il s’installe face à moi, entend ma plénière, met à peine le temps nécessaire, respectable, pour hocher la tête, me proposer un arrangement qui rendra son patron - et la vaisselle - particulièrement satisfait s’il se la joue psy pour mes beaux yeux. Grand bien lui en fasse. « Va, sois l’employé modèle, rends-moi fier. » et je papillonne des yeux, je pointe du menton le linge à essuyer qu’il exhibe nonchalamment. J’étais pas à un pli de me braquer sur si petit détail, et de venir chercher son oreille était tellement essentiel que peu m’importait de l’avoir à moitié dédié. Il était bien sur son lieu de travail, il m’avait baratiné des tas de fois auparavant sur le genre de racailles qui occupaient ses soirées, autant que l’un de nous deux soit productif le temps que je me vide la tête et le coeur. M’installant sur le tabouret, c’est à peine une poignée de secondes plus tard que j’éclate d’un rire, à la limite du jaune, lorsque Tommy ne fait pas dans le sympa en déclarant que ma tête n’était pas le trophée le plus sexy à étrenner en ville. Si mon apparence était bien le dernier de mes soucis actuellement, n’en reste que je ne devais pas être trop cutie à voir, entre les nuits blanches, les coups à la gueule, les larmes que je ne retiens plus, et le stress qui creuse mes traits le reste du temps. Elle est loin la célèbre gueule d’ange de Matt McGrath, celle qui lui valait tous les honneurs du temps du lycée. « Je serais pas venu te monopoliser si c’était pas nécessaire, tu sais bien. » que je relativise, et une autre gorgée de houblon pour la peine. Je ferais pas chier le Warren à m’endurer si ce n’était pas si gros à mes yeux, je ne lui filerais pas le poids de mes problèmes sur les épaules si son avis n’avait pas la moindre importance. Et comme il n'a pas de temps à perdre, et comme j’en peux plus de ne pas pouvoir souffler, de n’avoir aucun allié, personne à qui me confier dans cette histoire, tout se déballe, tout sort d’un coup.
« Ginny m’a effacé de sa vie. » me semble être une bonne façon de lancer les hostilités et d’afficher mes couleurs. Il sait le lien fusionnel qui m’accroche à ma soeur, à mes soeurs, il sait que pour elles je serais prêt à tout, à me jeter d’un pont si c’était nécessaire. Mais pour le moment, ça me semblait seulement être la volonté de Gin, et pas pour les bonnes raisons, que je crève sous les flots de la Brisbane river. « J’ai cassé la gueule - et surtout le nez de son ex. » et le feu roulant de mes bévues se poursuit, je réprime à peine un sourire mauvais de se dessiner sur mes lèvres au souvenir de la mâchoire d’Ezra, de son arcade nasale, de sa tronche d’idiot qui avait craquée sous mes poings, au moins un peu de justice dans ce bas monde. « J’ai été jeté de chez moi - de chez Lene, pardon. » oh qu'elle est amère la reprise de ma phrase, maintenant que je me rappelle ne pas lui en avoir parlé, ne pas lui avoir dit depuis son dernier passage chez nous que justement, ce n’était plus chez nous. Bah voilà, il a le mémo. Et comme une vague de mauvaises nouvelles n’arrive jamais seule, y’a la cerise sur le sundae qui rend le tout si unbearable, si risible, que je ne peux à peine empêcher un énième rire acide de franchir mes lèvres. « Et mon importateur principal de café blond est en rupture de stock. » il sait à quel point ce dude était important pour moi, et ses grains de café que je chérissais comme de l’or brut dès la seconde où je les avais goûtés. C’est d’un ridicule que je prenne la nouvelle aussi mal que tout le reste, mais ça ajoute un nouveau et supplémentaire potentiel pathétique au drame d’un monde qui s’écroule et me jarte tout autour. Conscient que mon discours et surtout mes soucis sont maintenant pas mal tous cernés, c’est une mine faussement détachée que je lève dans sa direction, comme si tout ceci n’était qu’une journée dans mon quotidien, comme si j’avais doucement commencé à m’en balancer, comme si l'avouer avait à moitié pardonné le truc. La blague. Il ne prendra pas trop longtemps à percer le masque que je porte je parie, ou à me remettre les idées en place. Parce que oui, mettre des mots sur mes maux est une chose, me l’entendre dire est une autre. Tout qui prend son sens, tout qui est trop réel à mon goût, et la voix de Tommy qui manque dans l’équation, comme une boussole, ou un genre de. Je provoque une réaction, une réponse d'un « Tu fais comment, pour arriver à garder un oeil sur elles sans qu’elles te virent de leur existence? ». S’il y avait bien quelqu’un qui pouvait comprendre mon instinct familial protecteur, c’était lui. Eh voilà, j’étais toute ouïe, j’étais à un point de non-retour, j’étais là et nulle part ailleurs, à supplier des iris et à attendre l’heure du verdict. « Tous les trucs sont les bienvenus. » et seront considérés même la plus stupide des idées, le plus minime des pas à franchir, tant qu’il mène vers la bonne direction, vers la rédemption.
Made by Neon Demon
Dernière édition par Matt McGrath le Jeu 24 Mai 2018, 23:40, édité 1 fois
C’est qu’on le croisait plus souvent derrière un comptoir que devant, d’ordinaire, Matt partageant sans doute avec Tommy le fait de servir et d’essuyer trop de verres pour réussir à se glisser nonchalamment dans la peau du client, sans avoir la nette impression de s’être trompé de place. Sans mal pourtant le McGrath avait enfilé le costume d’âme en peine que torchon et verre à la main le brun se faisait pour mission d’écouter comme il savait le faire ; Comme on attendait de lui qu’il le fasse, qu’il soit d’accord ou non, à ceci près que face au désarroi d’un ami l’attention était sincère et l’obligation moindre. « Je serais pas venu te monopoliser si c’était pas nécessaire, tu sais bien. » que s’était pourtant justifié le bonhomme comme pour montrer patte blanche, et se dédouaner de venir tenir le rôle de pilier de bar dont tous les deux s’étaient déjà si souvent moqués à l’abri des oreilles indiscrètes, une fois le rideau de fer baissé et la neutralité professionnelle jetée aux orties. « Alors tu as carte blanche. » Pour vider son sac et quémander un avis, un autre point de vue que le sien dans l’espoir d’y voir plus clair dans ce qui lui donnait cet air si soucieux et cette dégaine de paumé qui avait frappé à toutes les portes. Tommy n’était pas le genre à faire dans l’indiscrétion ou à enfoncer les portes ouvertes, il avait bien remarqué cet œil au beurre noir qui s’estompait à peine, ces cernes que la fatigue seule ne suffisait généralement pas à creuser, mais il y avait des règles à ce jeu de comptoir et la première était qu’on attendait que les informations viennent à soit plutôt que d’aller les chercher. Le verre glissant entre ses doigts, la condensation dessinant quelques gouttes çà et là que le bout des doigts de Matt venaient chasser, le jeune homme l’avait gratifié d’un soupir « Ginny m’a effacé de sa vie. » Marquant une pause, cherchant le début d’une réaction, il n’avait récolté que le silence faisant partie du jeu, les mains de Tommy occupées à sa vaisselle autant que ses oreilles l’étaient à écouter la suite « J’ai cassé la gueule – et surtout le nez de son ex. » Ouch. « J’ai été jeté de chez moi - de chez Lene, pardon. » Double ouch. « Et mon importateur principal de café blond est en rupture de stock. » Et si Tommy avait pendant une fraction de seconde été tenté de demander si sur l’échelle de toutes les tuiles qui venaient de lui tomber sur la figure la rupture de stock temporaire faisait office de numéro un, il avait finalement additionné tout seul deux et deux et fait remarquer avec un brin de cynisme « La cerise sur le gâteau, donc. » Un gâteau au goût visiblement un peu rance. Pourtant Matt faisait bonne figure, Matt s’accrochait à sa nonchalance, Matt jouait à celui sur qui tout glissait sans s’accrocher … Mais Matt traînait sa peine sur les bleus de son visage et le brillant de ses yeux, qu’il le veuille ou non, et parce qu’il avait bien compris que c’était un conseil ou au moins un avis qu’il était venu chercher, Tommy avait patiemment attendu qu’il formule sa question, sans se douter qu’à celle qu’il lui balancerait il n’aurait pas de réponse à fournir. « Tu fais comment, pour arriver à garder un œil sur elles sans qu’elles te virent de leur existence ? Tous les trucs sont les bienvenus. » Est-ce que c’était l’impression qu’il donnait, extérieurement ? Faisait-il illusion avec tellement de brio qu’on l’imaginait gérer ses relations fraternelles avec succès ? « Tu as probablement plus de nouvelles de Scar’ que moi, à l’heure actuelle. » Le sourire armé d’un brin de tristesse tandis qu’il posait sur l’égouttoir les verres fraichement nettoyés, le brun avait haussé les épaules et posé un coude contre le comptoir. « Et y’a longtemps que je n’ai plus mon mot à dire sur la façon dont elles mènent leur barque … Je crois que tu me surestimes un peu trop. » Comment le pourrait-il, au fond, lui qui s’était absenté une décennie entière, marquant ainsi au fer rouge la distance qu’il avait eu besoin – et envie – de mettre entre les membres de sa famille et lui, comme persuadé d’avoir besoin de cet espace pour devenir celui qu’il avait envie d’être. « Qu’est-ce qu’il lui a fait ? » Passant du coq à l’âne, revenant sur les aveux de Matt, il avait précisé « Son ex. » bien que certain que le McGrath aurait très bien compris de quoi il parlait la première fois. Mais c’était l’ex, au fond, les faits parlaient d’eux-mêmes et probablement que le nez cassé avait à voir avec le fait que le bonhomme n’était pas devenu un beau-frère McGrath quelque part en chemin. « Il ne t’a pas raté non plus, à l’évidence. » Et là encore, pas besoin de lui faire un dessin, le nez cassé n’était peut-être pas venu des deux côtés, mais les coups eux avaient volé dans les deux sens, preuve à l’appui. « Le truc c’est que, chaque fois qu’on essaye de protéger leurs arrières, elles sortent la carte du je me débrouille très bien seule, et tu peux plus rien dire. » Que ce soit leur boulot d’aîné, leur boulot de frangin, ça n’avait plus aucune valeur sur l’autel de leur indépendance.
La touche d’humour, de sarcasme que j'assène à mes propos est totalement pitoyable et Tommy ne manque pas de me le faire sentir, d’un regard aussi blasé que compréhensif. Il sait, que c’est la merde. Il voit, que je vais pas du tout. Mais il n’est pas à même de me tendre le rameau de la pitié non plus - et grand bien lui en fasse. La mention du café en bout d’énumération le fait rire et pas pour les bonnes raisons, de ce fait je me cale contre le dossier de mon banc, la bière qui roule maintenant entre mes paumes et le sourire fataliste qui se charge du reste. « Parce qu’une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule. » et que dans mon cas, le timing avait été dégueulasse. J’arrivais à peine à me faire à l’histoire Ginny que les choses avaient dégénéré avec Ezra. Je venais tout juste de nettoyer mes jointures en sang que je croisais, explosif, Tad sur la rue. J’étais à peine calmé de la scène que j’avais offerte au bff de ma soeur que Lene me virait de la maison. Pas eu le temps de vivre chaque petit chaos comme la grosse catastrophe ambulante qu’il signifiait et voilà que maintenant, les rebonds de toutes ces conneries m'assaillent d’un coup sec, me laissant à peine le temps de reprendre mon souffle avant la prochaine mise à niveau, remise en question. Tommy avait toujours été celui le plus à même de comprendre la fibre de grand frère trop protecteur que j’arborais, et si lui semblait réussir franchement mieux que moi malgré les dires de Scar qui roulait un peu trop souvent des yeux à son intention, les faits étaient là, et peu importe comment il me les présentait, il avait maintes fois fait ses preuves. « Entre le silence habituel et l’ignorance complète et inévitable, y’a quand même du jeu. 1-0 pour toi, Warren. » et je bats des cils, et je laisse le houblon glisser sur ma langue le temps d’une longue, d’une nécessaire gorgée. Occupé mais attentif, l’ami tente une question toute naïve, toute innocente, et tellement nécessaire, qui à elle seule me file le plus glacial des frissons le long de l'échine. Ezra. Mis à part la crise d’ego d’avoir été joué, d’avoir vu mon frère, mon meilleur ami, mon double me rire à la gueule et me mentir effrontément, à part le secret qu’il avait entretenu dans mon dos sachant très bien que je connaissais sa fausse valeur de merde, y’avait pas que ça qui clochait, c’était pas suffisant pour les accusations à mon sens. « Il l’a mise enceinte. Elle venait d’avoir 19 ans. » parce que toute cette histoire, si ça ne m’avait concerné que moi, on n’en parlerait pas à l’heure actuelle. Mais la vie de Ginny avait été mise en berne. Ses études, ses projets, ses rêves - foutue en cloque et envoyée à l’autre bout du monde par des parents trop attentifs aux apparences pour que ce soit sain. « Il a pas pris ses responsabilités. » parce que le Beauregard pourra très bien tourner la chose dans tous les sens, malgré le fait que je l’avais menacé à l’époque, lui interdisant de nous suivre, il n’a jamais fait en conséquence, il n’a jamais prouvé tout cet amour qu’il se targuait d’avoir pour ma cadette, et avait pris la voie de la facilité en la laissant moisir à Londres pendant plus de 5 ans. Lâche, putain de lâche. « Et il a aussi donné le premier coup. J’avais toute la latitude du monde après. » ça, c’est tout à son honneur pourtant. Tommy qui le remarque, moqueur, et le torse que je bombe parce qu’au moins il y a une fine justice dans ce monde. « C’était un travail d’équipe. Son nez te le confirmerait. » j’entends encore le son, le craquement, la cassure salvatrice qu’Ezra avait confirmée en foutant du sang partout sur le sol du café. Bien fait, jackass. La voix de la sagesse reprend lorsque le barman profite d’un silence additionné d’un long soupir de ma part pour y aller de sa propre théorie sur nos soeurs qui me semble plus que véridique. « Puis tu sais, je commence à les croire. » elles ont pas besoin de nous, on se donne trop d’importance. Et en tous les cas, surtout si je m’observe suffisamment, c’est plutôt l’inverse qui se produit et ma pauvre carcasse qui a besoin de la présence de Gin lorsqu'elle se débrouille bien mieux sans moi. Et j’inspire, et je relativise, et je laisse le brouhaha tout autour combler mes pensées noires et mes remontrances, relents de culpabilité que je finis par stopper net, mes mots qui claquent sur le bois vernis. « C’est du moment où je me suis mêlé de toute cette histoire que ça a commencé à imploser. » oh, damn. « Dude. » étonné, l’air un brin abasourdi, mes paroles ont eu le temps d’être articulées avant de monter à mes oreilles et de me faire réaliser le truc de plein fouet. « C’est la première fois que je le dis, à haute voix. Faut croire que je commence à voir les choses en face. » pas comme une illumination, mais pas suffisamment idiot pour laisser la réflexion ailleurs que dans un coin précis de ma cervelle en bouillie de trop ressasser, je me promets de ramener le sujet en thérapie la semaine prochaine, parce que je tiens quelque chose là. Je crois - j’espère. « Y’a jamais rien que j’ai pu faire qui venait de mauvaises intentions, y’a jamais rien que j’ai pu faire qui était axé pour lui faire du mal. » et le feu roulant se lance, et les paroles se vomissent maintenant que tout se place, justification après justification, et Tommy qui me laisse toute la place pour brainstormer à mal avec moi-même. « J’doute qu’elle sait ça, j’doute qu’elle veut le savoir surtout. » et la sentence est posée. Ginny n’en avait que faire, de mes aveux, de mon eurêka.
Ce n’était pas sans raison, que Matt était venu déposer sa peine et ses états d’âme sur le comptoir d’un bar qui n’était pas le sien. Et s’il geignait parfois pour le principe, pour l’attention et la possibilité de terminer tout cela dans une blague potache et un rire léger, Tommy ne le connaissait pas du genre à se lamenter sur son sort sans raison. « Parce qu’une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule. » qu’il lui avait alors précisé, comme s’il avait su lire entre les lignes de la question que se posait Tommy. Mais s’il espérait avoir le conseil d’un expert, la bonne phrase ou l’attitude la plus efficace pour obtenir le moins pire des relations entre frère et sœur, le McGrath frappait à la mauvaise porte et n’importe qui vous le dirait : Tommy n’était qu’un exemple de ce qui n’était ni fait ni à faire en terme de relations fraternelles. Même Scarlett qu’il avait si longtemps cru avoir de son côté lui glissait lentement entre les doigts, les années d’absence ayant fait plus de mal que le brun n’aurait pensé. Ça et le reste, les désaccords, l’incompréhension, et l’inquiétude qui se traduisait avec maladresse. La bière tournant entre ses doigts Matt avait pris l’air cynique, et rétorqué « Entre le silence habituel et l’ignorance complète et inévitable, y’a quand même du jeu. 1-0 pour toi, Warren. » avec la visible volonté de rester gagnant de ce concours, dont Tommy ignorait jusque-là que c’en était un. Laissant couler, n’ayant jamais eu désir à mettre sur le tapis Scarlett ou n’importe quel autre membre de sa fratrie si Matt n’en avait pas fait mention le premier, il avait tendu au bonhomme la perche qu’il attendait en lui donnant l’occasion de se justifier sur ce qui l’avait amené à briser un nez, et par la même occasion la volonté de sa sœur à lui adresser la parole ou, comme il le disait, le conserver dans sa vie. « Il l’a mise enceinte. Elle venait d’avoir 19 ans. » Grimaçant, mais sans oser préciser que ce genre de parcours se commettait généralement à deux, il avait compris le véritable sens de la réaction de Matt lorsque ce dernier avait ajouté « Il a pas pris ses responsabilités. » et Dieu sait que Tommy aurait penché vers une réaction équivalente si telle situation s’était présentée sous le toit des Warren. Pour leur honneur à elle, mais aussi pour la mise à la porte probable qui en aurait résulté de la part de leurs parents. « Et il a aussi donné le premier coup. J’avais toute la latitude du monde après. C’était un travail d’équipe. Son nez te le confirmerait. » Le sarcasme jamais loin, et Matt cultivant sa réputation d’enfant terrible pour tenter de faire oublier les stigmates de la bagarre sur son visage, Tommy avait pourtant fini par froncer les sourcils et questionner « Mais ôte moi d’un doute … Ta sœur a quoi maintenant, vingt-sept, vingt-huit ans ? Ça fait une longue période de réflexion, avant de décider de vous taper dessus. » Et Matt et son impulsivité, ce n’était pas une légende, alors réfléchir pendant presque une décennie avant de décider de mettre au coupable la raclée qu’il méritait … Ça avait un coté assez improbable. Mais il compatissait en tous les cas, ne serait-ce que le McGrath, tout comme lui, ne pensait pas à mal et n’agissait pas par volonté de nuire mais bien dans cette de protéger. D’essayer, au moins, aussi maladroitement soit-il. « Puis tu sais, je commence à les croire. » qu’il avait finalement rétorqué avec amertume, quant au fait que leurs sœurs assuraient ne pas avoir besoin d’eux, et pas besoin qu’ils livrent leurs batailles à leurs places. « C’est du moment où je me suis mêlé de toute cette histoire que ça a commencé à imploser. […] Dude. C’est la première fois que je le dis, à haute voix. Faut croire que je commence à voir les choses en face. » Et presque avec compassion, Tommy avait tendu le bras vers un des bols de cacahuètes attendant les commandes suivantes sur un coin du comptoir, et l’avait fait glisser jusqu’à Matt pour accompagner sa bière du désespoir. « On appelle ça devenir un adulte, il parait. » l’avait-il par ailleurs taquiné gentiment, bien qu’il y voit probablement un petit fond de vérité caché au milieu de la volonté de le faire marcher. « Est-ce qu’on parle toujours uniquement de Ginny, tho ? » Est-ce que toute cette histoire n’était que celle qui le liait – ou le désunissait, présentement – à sa cadette, ou le fait d’avoir été jeté de chez Lene entrait subitement à nouveau en ligne de considération dans ce soubresaut de remise en question qu’opérait Matt le nez dans sa bière ? « Y’a jamais rien que j’ai pu faire qui venait de mauvaises intentions, y’a jamais rien que j’ai pu faire qui était axé pour lui faire du mal. J’doute qu’elle sait ça, j’doute qu’elle veut le savoir surtout. » Quittant un instant Matt du regard pour saluer d’un vague signe de main un groupe d’habitués qui quittait le bar après y avoir passé presque la totalité de leur soirée, Tommy et son attention étaient revenus à son acolyte la seconde suivante « Tu lui as dit ? » A en juger par l’insistance sur la notion de doute, il ne s’en était pas donné la peine. Par crainte du rejet, par peur de perdre la face, ou dieu sait quelle autre excuse qu’il se cherchait pour ne pas avoir à plier l’échine – à trop plier. « Ça ne fait jamais de mal d’entendre un désolé, s’il a lieu d’être. Ça n’est pas forcément suffisant, ça ne le sera peut-être pas cette fois-ci … Mais ce n’est jamais vain. » Fallait juste accepter de se prendre un autre coup dans la figure, sans jointures ni violences, mais tout aussi douloureux pour le cœur et l’ego. Mais il n’y avait pas grand risque à tomber de haut lorsque l’on était déjà à terre, au fond.
C’était bien l’une des premières fois où j’étais aussi honnête, aussi vrai avec qui que ce soit à propos de toute cette histoire. Où j’en avais que faire de camoufler la vérité, de l’embellir, de lui donner des allures solides, foutues apparences qui avaient servi de parfait argument pour les parents, il y a 8 ans de ça. 8 ans, et Tommy le remarque de suite, le calcul pas si difficile que ça à faire, et le délai entre mes jointures et la mâchoire d’Ezra qui s’est étiré plus que de raison à son sens ; et soyons fous, au mien également. « C’est comme le vin. Plus t’attends, meilleur c’est. » que je souffle, avant de reprendre une énième gorgée de bière. Je pouvais pas nier que l’adrénaline ressentie alors qu’il était repoussé par la violence de mes coups m’avait pas légué un pas pire high, néanmoins, y’avait autre chose qui justifiait le tableau. « Je pensais pas qu’il aurait le courage de passer me voir, pour être honnête. Il l’a pas eu pour la suivre à Londres quand on est partis après tout. » la pique part sans vraiment faire du bien, sans soulager ma rancune plus qu’il ne le faut. Le truc, c’était que je l'avais coupé de ma vie. Détesté comme personne, maudit et haï, mais le Beauregard était mort à mes yeux, enterré. J’en avais que faire de lui, j’en voulais pas, j’en voulais plus, et même si le simple fait de l’imaginer marcher librement ici alors qu’on était là-bas, de vivre sa vie sans anicroches pendant que je tenais la silhouette frêle de ma soeur à bout de bras me donnait un mal de coeur instantané, j’aurais pas fait exprès pour croiser sa route. J’aurais pas voulu la croiser anyways, sachant que la dernière fois où je l’avais vu, y’avait fallu que je me retienne, y’avait fallu que je m’arrête. Nous garder à distance l’un de l’autre était le meilleur scénario, ainsi, pas question que je perde pied et que j’aille trop loin. Mais voilà que c’était arrivé et que contre toutes attentes, mes mots avaient sûrement fait plus mal que mes poings. « Mais il est venu au café s’expliquer. » les soupirs qui font cascade, qui se multiplient, et le regard noir que je lève vers Tommy pour accompagner la conclusion ou justement, l’entrée en matière de toute la débandade qui a suivi. « Et faut quand même admettre que j’ai pu mettre cartes sur table entre deux coups, ça vaut la peine d’être souligné. » et je bats des cils, beau con à l'haleine houblonnée, bel idiot qui se targue d’avoir démoli une gueule en champion, avant de recevoir la réalité nette et dure et difficile à la tête, avant de réaliser que c’est pas que les cartilages du blond qui y ont passé, mais ma vie en entier. « Bien sûr que non. » qu’on parle pas que de Gin, même si elle est au centre de beaucoup, de tout en fait. Il n’en faut pas trop pour que mes quelques neurones restantes fassent le travail d’analyse, et comprennent de qui il parle, de qui on a en commun, par qui j’ai aussi été jeté sans plus de cérémonies. « À croire que les femmes de ma vie se sont toutes donné le mot pour me dire qu’elles s’en sortaient mieux quand j’étais pas dans le coin. » que je souffle, étrangement zen devant l’affirmation qui place Lene bien en haut sur son piedestal, mis à part ce doigt accusateur que je lève vers le Warren avant de visser mes iris aux siens. « J’te vois venir, tu lui dis, tu reçois le traitement Ezra. » parce que j’avais eu des échos du passage de Tommy à la maison, parce que je savais que Lene et lui étaient potes, et parce qu’à ce stade-ci, le moins la Adams pense ou parle de moi, le mieux je m’en porterai. Par chance, le barman réalise bien que tout ça, c’est un end game pour moi, c’est une finalité sans issue aucune ; et c’est là où il y va de ses conseils. En soit, je lui demande pas plus que d’être une oreille ; jamais j’oserais le faire chier à chercher quoi faire pour que je sois un adulte, pour que je trouve comment régler mes problèmes. Mais le fait qu’il tente, qu’il propose, qu’il essaie là où moi, bien franchement, j’ai perdu trop pied pour y voir clair me touche. Tommy avait des défauts, il était pas toujours facile, mais à moi, il m’avait jamais failli. Et même si à l’entendre son discours n’avait pas des masses d’importance, même si à ses yeux il remportait pas la palme du grand frère modèle, je buvais chacune de ses paroles parce qu’elles faisaient du sens, parce qu’il savait y faire, clarifier, plaidoyer. « Pas assez à mon goût… sur le coup, j’avais rien qui m’apparaissait à la hauteur. » en terme d’excuse. Quand Gin m’a jarté de sa vie, c’était la porte et rien. Pas question que je lui supplie de la compassion quand Noah était dans le coma, et maintenant, j’ignorais même quelle était son adresse, où la trouver tout court. « J’espère bêtement qu’elle fasse un pas vers moi, qu’elle me dise quand elle sera prête à les entendre, mes excuses. » elle est molle ma voix, elle sait très bien, du moment où elle claque de ma langue à mes oreilles, que ça fait pas de sens, d’attendre pour un truc aussi sérieux, aussi important. Que c’est stupide de laisser le sort de ma relation avec ma soeur, ma prunelle, au hasard, à la providence. « C’est pas aisé. La patience est le truc le plus chiant et inutile du monde si tu veux mon avis. » bien rhétorique, comme déclaration, trop évidente pour que je ne l’arrose pas de ce qui reste dans ma pinte juste pour me donner l’impression d’avoir le contrôle sur quelque chose, n’importe quoi. « J’ai droit à une autre bière? T’auras un bon pourboire, promis. » posant le verre vide sur le comptoir de bois vernis, c’est un grand sourire bien niais que je renvoie à mon ami, dans l’espoir qu’il soit pas trop découragé, qu’il soit pas trop emmerdé, que j’ai pas abusé de sa présence, son épaule sur laquelle déverser mon mal-être bien mérité, comme la grande majorité de la ville semble prête à affirmer. « Tommy… j’suis désolé. » à défaut de pouvoir le dire de vive voix à Ginny pour le moment, autant commencer à nettoyer la longue liste de gens à qui je dois mes plus plates excuses. « Y’avait personne d’autre qui pouvait comprendre à quel point j’étouffe de l’intérieur là. » et de ce fait, je suis désolé qu’il assiste à ça, à même son boulot qui plus est. Puis je secoue la tête, puis je me rattache à ce qui semblait si simple pour lui. « M’excuser, alors. Tu t’imposerais chez elle toi, ou tu attendrais que la tempête passe et qu’on soit amenés à se recroiser? »
Ce n’était pas tant le traitement que Matt avait choisi d’infliger au bonhomme qui faisait tiquer Tommy, qui ne s’en étonnait pas plus qu’il ne jugeait, certains qu’il aurait pu se laisser glisser dans les mêmes travers à situation équivalente. Mais c’était le délai entre crime et châtiment, le temps que le McGrath avait laissé passer avant de décider que l’autre méritait une bonne leçon, du genre physiquement notée et peu chère payée face au préjudice subi en retour. « C’est comme le vin. Plus t’attends, meilleur c’est. » qu’avait alors justifié Matt, bien que sachant que la réponse ne faisait pas le job, et ajoutant de lui-même « Je pensais pas qu’il aurait le courage de passer me voir, pour être honnête. Il l’a pas eu pour la suivre à Londres quand on est partis après tout. » pour donner de la demi-mesure à la situation (ou pas). Et Tommy de ne pas en rajouter parce que la famille avait ce côté rouleau compresseur qui faisait hésiter à s’y frotter de peur de s’y piquer. Encore plus quand elle avait la réputation et le compte en banque de celle de Matt. « Mais il est venu au café s’expliquer. Et faut quand même admettre que j’ai pu mettre cartes sur table entre deux coups, ça vaut la peine d’être souligné. » Le bâton tendu pour se faire battre, en somme, ou c’était en tout cas ce que le frangin se répétait comme justification, comme s’il se sentait le besoin d’en avoir une. « C’est généreux de ta part. » avait alors ironisé Tommy sur le même ton, déposant ses coudes sur le bord du comptoir faute d’avoir de quoi occuper ses mains dans l’immédiat. « Je le connais ? » qu’il avait finalement cru bon de questionner par-dessus le marché, la curiosité trop piquée pour qu’il l’ignore. Ils avaient peu d’amis communs et la coïncidence de Lene était un one shot, alors probablement pas, mais cela ne coûtait rien de demander. Et parlant de Lene, d’ailleurs, le brun s’était vite laissé gagner par l’idée qu’à causer par énigmes Matt englobait plus d’une seule femme dans ses propos, entérinant sa propre théorie sur les malheurs qui n’arrivaient jamais seuls. « Bien sûr que non. À croire que les femmes de ma vie se sont toutes donné le mot pour me dire qu’elles s’en sortaient mieux quand j’étais pas dans le coin. » La mesure de ce qu’il venait de dire semblant n’atteindre l’esprit qu’après coup, il s’était repris presque aussitôt « J’te vois venir, tu lui dis, tu reçois le traitement Ezra. » Arquant un sourcil, presque à se demander si Matt les mettait sérieusement dans le même panier lui et l’irresponsable qui avait mis sa sœur en cloque y’a de ça des années, il n’avait pas relevé et simplement fait le jeter de fermer son clapet à clef et de la jeter aux oubliettes « Pas mon problème, pas mon combat. » C’est que Tommy appréciait Matt tout comme il appréciait Lene, mais il avait ses propres chats à fouetter, en plus de se refuser à hériter de la place ingrate d’arbitre dans leur bataille d’ego (il ne voyait pas ce que cela pouvait être d'autre). Mais il y avait une ironie certaine à se dire que le brun avait connu Lene pour ça, pour l’habitude qu’elle avait eu un temps à poser son fessier sur ce même tabouret, pour y boire la même bière aux mêmes heures de fin de soirée. Prudemment la conversation était revenue à son sujet initial, à Ginny et à comment le frère estimait avoir merdé sévèrement avec elle, capable de s’avouer désolé face à un tiers mais n’ayant pas le courage à le balancer en pâture à la principale intéressée « Pas assez à mon goût … sur le coup, j’avais rien qui m’apparaissait à la hauteur. J’espère bêtement qu’elle fasse un pas vers moi, qu’elle me dise quand elle sera prête à les entendre, mes excuses. » Mais c’était le truc avec les excuses, elle étaient difficiles à formuler, elle avait un goût d’effort qui déterminait une partie de leur valeur. Et quitte à paraître un peu brusque Tommy avait sous-entendu « Tu penses que c'est à elle de faire l'effort, pour te faciliter la tâche ? » Ce serait faire un pari sur la mauvaise conscience de la jeune femme, et ce ne serait pas du joli, du tout. « C’est pas aisé. La patience est le truc le plus chiant et inutile du monde si tu veux mon avis. » avait alors conclu Matt avec cette pointe de résignation qui allait avec son insolence. « J’ai droit à une autre bière ? T’auras un bon pourboire, promis. » Défiant une demi-seconde du regard, comme pour se ménager un suspens en carton, il avait récupéré le verre de Matt en arguant « Ça va te coûter un bon cinq étoiles sur Trip Advisor, ça. » avant de le pencher sous la tireuse et d’offrir au bonhomme un second round de pression avec raisonnable supplément mousse. Pensif et la bière à la main, le McGrath avait rompu son propre silence « Tommy … j’suis désolé. Y’avait personne d’autre qui pouvait comprendre à quel point j’étouffe de l’intérieur là. » avec son regard d’animal triste, presque les oreilles basses et le regard en-dessus. Et secouant la tête comme pour désamorcer sa mauvaise conscience le barbu avait justifié d’un « C’est à ça que servent les potes, va. » léger. Et prenant d’abord un instant pour apprivoiser la seconde rasade de bière tout en semblant cogiter sur ses propres démons, Matt avait repris « M’excuser, alors. Tu t’imposerais chez elle toi, ou tu attendrais que la tempête passe et qu’on soit amenés à se recroiser ? » avec cette fois-ci l’intention véritable de peser le pour et le contre en entendant les arguments. Dodelinant la tête avec hésitation, loin de se considérer comme un expert en rabibochages – qu’il demande à Scarlett – Tommy en était revenu à son argument le plus solide « Si c'est toi qui a merdé, c’est à toi de faire l'effort. C’est ta sœur, si y’a une personne qui mérite de passer avant ton ego c'est elle. » Voilà, son avis était là et tenait en cette simple phrase. Un avis et pas un conseil, à Matt d'en retenir ce que bon lui semblait, et Tommy ne se vexerait même pas si le bonhomme préférait s’en tenir à une autre vérité en cherchant sa solution ailleurs. « Et ça c’est si tu as envie de pouvoir profiter de ton neveu ou ta nièce avant que n’arrive l’âge de sa majorité. » Si tenté qu’elle n'ait pas rayé Matt du paysage au point d’en faire un inconnu aux yeux du rejeton, et qui Tommy serait-il pour juger quand effacer Marius de la mémoire de Moïra sans attendre que le temps fasse son œuvre ressemblait encore à la solution utopique à ses problèmes ? À ce problème-ci, au moins.
Toute l’histoire entre Lene et moi prendrait un chapitre entier, si ce n’est un livre complet et j’épargne à Tommy l’historique détaillé, la chronologie crèvecoeur, le temps d’une longue gorgée qui vient à bout de ma pinte par le fait même. « Je sais. J’trouvais juste que ça sonnait cool de faire du traitement Ezra a thing. » et je bats des cils comme un con, parce que dès l’instant où je peux aligner deux ou trois mots concernant le résultat de mes poings sur la tronche du Beauregard, mon moral va mieux. Et ces temps-ci, je prends tout ce que je peux pour. La conversation flotte à nouveau vers le soucis principal, vers les affirmations que je balance à Tommy, et le calme olympien qu’il garde en posant les questions qu’il faut, quand il le faut. Ça fait mal en soit, parce que personne mis à part Cora n’avait jamais vraiment pris le temps - ou même voulu le prendre - pour me confronter, et encore, la rousse avait été beaucoup plus posée et arbitraire. Le Warren lui, sait exactement de quel bois je suis fait, connaît par coeur mes frasques, mes tares, mes problèmes, mes comportements, ma relation avec Ginny. Et il sait surtout que gants blancs ou pas, plus il casse mon orgueil et plus il griffe mon ego, mieux tout le monde s’en portera. « Tu penses que c'est à elle de faire l'effort, pour te faciliter la tâche ? » et ça, ça pique. Ça résonne contre les parois de mon crâne, ça fait sa place, ça tique, grille, dérange. Je laisse sa phrase en suspens encore et encore, me la répète, l’entends en acouphène le temps qu’il retourne à son boulot pour le bien-être de mon taux d’houblon dans le sang, repose sous mes yeux un verre bien plein et ma maigre obligation amusée en échange. « J’irai laisser un commentaire où je mentionne que les barmans ici sont plus beaux qu’ailleurs, question de t’envoyer de la clientèle intéressée. » le sourire à deux balles traditionnels accompagne mes conneries, maintenant que je profite d’une nouvelle lampée pour me remettre les idées en place, offrir mes plus plates excuses en parallèle. « Faut croire qu’à force, j’avais oublié. » j’étais tout sauf doué pour me faire des potes ces jours-ci, pour entretenir ceux que j’avais depuis belle lurette. La présence du barman dans ma vie était donc des plus rassurantes, nécessaires. Puis, vient le temps d’entendre le verdict du brun. Je me cale dans mon siège, ne le lâche pas des yeux, retient presque mon souffle, attentif à toutes bribes de savoir qu’il peut me léguer en bonne connaissance de cause, intentions honorables. « Tu savais que pendant tout ce temps, je croyais bien honnêtement que c’était la meilleure chose à faire, de pas aller la voir? De lui donner ce qu’elle voulait. » je brise le silence une poignée de secondes plus tard, le verre toujours roulant entre mes paumes concentrées à s’occuper. « Mais je comprends d’où tu arrives avec ça… et avec tout ce qui s’est passé pour Noah, j’peux pas dire que j’aime rester loin de lui non plus. » même si mon neveu était en rémission depuis plusieurs mois, le simple fait de l’avoir vu lutter entre la vie et la mort pendant presque la moitié de sa vie suffisait à ce que je n’ai pas particulièrement de plaisir à l’isoler de mon quotidien tout comme sa mère. Pensif, je gratte toutes les informations qui remontent, je prends le temps qu’il faut, tourne le tout dans ma tête, inspire longuement. « Elle… je sais de source sûre qu’elle a un vernissage en mai. Je pourrais y aller, juste… faire un petit pas dans sa direction. Pas une grosse scène, encore moins une déclaration, mais être là. » bien sûr que je ne ferai pas l’affront à Ginny de m’imposer et d’y rendre des comptes ; mais j’ose espérer que le simple fait que je sois là, que ma fierté se lise sur mon visage, que de la voir dans son élément rayonner aussi fort et aussi bien fasse office d’une bonne base, d’un bon point de départ en douceur. « Je verrai à partir de ce moment-là si y’a possibilité d’une discussion un jour, ou si c’est mort et que je dois penser à autre chose. » peut-être lui proposer ensuite d’aller prendre un café? De discuter quand elle sera prête? Il faudrait que je cogite le reste, mais comme le tout me semble encore en évolution constante, aussi bien y aller brique par brique, plutôt que de viser le sprint au marathon. « C’est un bon plan, ou j’suis parti pour lui gâcher sa soirée tu crois? » même si mes intentions sont nobles, même si je n’ai absolument pas envie qu’elles soient mal interprétées et intrusives. « À ce stade-ci, je sais juste plus à quel instinct me fier. » le regard extérieur de Tommy m’est encore une fois totalement nécessaire pour ne pas me retrouver à me mettre plus les pieds dans les plats que de raison.
Il y avait bien des jours où cela lui pesait, l’éternelle impression d’être le psy du pauvre, l’épaule au-dessus de laquelle on pouvait venir pleurer sur commande pour la simple raison que l’on allongeait la monnaie au rythme où l’on consommait, et parce que l’adage disait sans demi-mesure que le client était roi. Il n’y avait pas de bon ou de mauvais client, seulement des clients satisfaits ou mécontents, et lorsque la soirée s’éternisait, que le brouhaha pesait et que l’alcool déliait les langues Tommy en venait à maudire cet emploi pour lequel il n’avait déjà plus aucune envie. Il se fatiguait d’écouter geindre des gens dont les problèmes semblaient parfois tellement dérisoires, tellement futiles ; C’était cet homme qui se plaignait de sa femme et à qui le brun aurait voulu crier qu’au moins sa femme était vivante. C’était ce cadre supérieur dont la plainte portait sur ce travail dans lequel il s’ennuyait et à qui Tommy avait envie de hurler qu’à travail insatisfaisant le sien gagnait trois fois moins. Les mois passaient et la patience s’étiolait, tout simplement, et si Matt échappait à la règle ce n’était pas en qualité de client mais bien en celle d’ami, pour qui Tommy voulait bien céder l’épaule attentive qu’il refusait à d’autres. « J’irai laisser un commentaire où je mentionne que les barmans ici sont plus beaux qu’ailleurs, question de t’envoyer de la clientèle intéressée. » que lui avait alors rétorqué le McGrath avec ce sourire teinté d’arrogance qui le caractérisait, arrachant à Tommy un éclat de rire fugace avant que la conversation reprenne avec plus de sérieux et un brin de gravité. « Faut croire qu’à force, j’avais oublié. » Que les potes servaient à cela ? Ou bien qu’ils pouvaient pointer du doigt les choses un peu trop laides et appuyer là où ça faisait mal, mais pote ou pas Tommy n’avait jamais été le genre qui brossait dans le sens du poil ou arrondissait les angles simplement pour faire plaisir. La vérité c’est que Matt se laissait aveugler par son ego, et qu’il fallait l’égratigner un peu « Tu savais que pendant tout ce temps, je croyais bien honnêtement que c’était la meilleure chose à faire, de pas aller la voir ? De lui donner ce qu’elle voulait. » Et au fond peut-être que ça l’était, peut-être que sa sœur souhaitait véritablement que Matt lui fiche la paix et s’écrase, sorte de sa vie pour de bon, mais si tel n’était pas le cas ce n’était pas à elle de prendre sur elle et de céder, si ce n’était pas elle qui avait merdé – et il semblait que ce ne soit pas le cas – alors que ce n’était pas à elle de réparer les dégâts. « Mais je comprends d’où tu arrives avec ça … et avec tout ce qui s’est passé pour Noah, j’peux pas dire que j’aime rester loin de lui non plus. » Trop peu curieux, et surtout pas du genre à jouer les indiscrets, Tommy ne s’était pas risqué à demander à quoi faisait référence le « tout ce qui s’est passé » et avait préféré hausser les épaules comme pour appuyer son statut d’œil extérieur « Alors dis-lui, mets carte sur table, et tu verras bien. Peut-être que c’est trop tard, peut-être pas … Mais au moins tu seras fixé. » Et c’était plus facile à dire qu’à faire, pour sûr, mais ce ne serait pas si important si ce n’était pas si difficile. Pensif, peut-être hésitant, Matt s’était autorisé une longue gorgée de bière pour faire passer la griffure sur sa fierté, avant de reprendre « Elle … je sais de source sûre qu’elle a un vernissage en mai. Je pourrais y aller, juste … faire un petit pas dans sa direction. Pas une grosse scène, encore moins une déclaration, mais être là. Je verrai à partir de ce moment-là si y’a possibilité d’une discussion un jour, ou si c’est mort et que je dois penser à autre chose. » Et le voilà qui s’emballait, maintenant, montait sur pieds un plan qu’il n’aurait même pas effleuré la minute précédente, prenant Tommy de court et laissant paraitre malgré lui sur son visage une incertitude latente, et l’impression que Matt passait du pas assez au trop en deux-deux. « C’est un bon plan, ou j’suis parti pour lui gâcher sa soirée tu crois ? » Ouvrant la bouche sans trouver quoi répondre, sans vouloir être rabat-joie mais sans vouloir mentir en assurant que l’idée lui semblait bonne, le brun n’avait pu qu’afficher un air compatissant lorsque son ami avait justifié « À ce stade-ci, je sais juste plus à quel instinct me fier. » avec désespoir, avec résignation. « Je ne sais pas si … » Marquant une pause, incapable de trouver comment faire passer ce qu’il avait en tête, Tommy avait soupiré « Tu n’as pas peur que ça créer un esclandre ? » Ou pire, un scandale, dont Ginny pourrait à loisir le tenir responsable si Matt s’y prenait comme un manche, en arrivant l’air de rien avec ses bonnes intentions mais ses mauvaises façons de s’y prendre. « Enfin, tu la connais mieux que moi, après tout … » Et en cela le Warren savait très bien que son avis était à prendre avec des pincettes, et comme un point de vue strictement subjectif de la situation. Mais quitte à en être là, il avait préféré donner son point de vue, justement « Mais un vernissage ça me semble être un truc avec pas mal d’enjeux, de quoi avoir l’esprit déjà bien occupé … Je ne sais pas si c’est vraiment le bon endroit pour mettre les pieds dans le plat. » A moins que Matt n’ait dans l’idée de se cacher derrière l’espoir que sa sœur n’oserait pas le jeter devant témoin, faire un scandale devant une assemblée … Mais prendre sa sœur à revers ressemblait plus à un moyen de la prendre en traitre que de montrer patte blanche, à ses yeux. « Mais si tu penses que c’est une bonne idée. » Sa vie, ses choix. Et Tommy là-dedans n’avait rien à dire, en définitive.
Je détestais le rôle que je jouais ce soir, cette semaine, depuis trop longtemps. Ça me ramenait directement à Londres et à la débandade, aux soirées où j’écumais les bars, finissait la tête dans le cul, et Edward qui avait à sauver les apparences, et à me ficher au lit avant l’aube. Ça me ramène à la première vague de culpabilité, difficile, amère, acide, quand j’avais réalisé que ce que j’avais fait à ma soeur était pire encore que ce que je croyais. Puis, j’avais annihilé le tout, j’avais bu comme un trou, j’avais fait ce que je savais le mieux faire ; me ficher le crâne dans le sable en attendant que ça passe. Et ça avait passé. Jusqu’à ce que tout éclate à nouveau, mais en pire. « Je sais pas ce que je vais faire si c’est trop tard Tommy. » le cri du coeur murmuré à peine le long de mes lèvres. Rien me confirmait que ça se calmerait un jour. Malgré les bons mots de mon ami, malgré ma petite voix qui espérait encore un miracle, rien n’était moins sûr en ce moment. Autant prendre pour acquis que je repartais sur des bases, pas des bonnes, mais des bases tout de même. Construire par-dessus, tenter de. « Mais t’as raison. Faut que je sois fixé. » ce que le Warren dit fait du sens, ce qu’il annonce est pas hyper facile à entendre, mais il est nécessaire. Vivre dans le brouillard n’est pas une option, rester là à attendre et me voiler la face sous prétexte qu’on m’a mis de côté n’est pas non plus viable. Sans trop négocier, sans vouloir même défendre mes positions jusqu’à maintenant plutôt lamentables, je laisse mes iris suivre les bulles, la mousse au collet de ma bière, tout de même pensif pour ce qu’il me reste de forces. « Et c’est pas à en parlant à tout le monde sauf à elle que ça va le faire. » Jill et moi avions toujours été les deux plus loquaces de la famille. Le reste des McGrath adorait garder les faits pour eux, les secrets aussi, sauver la pointe de l'iceberg et en dire le moins possible. Voilà que je réalisais aussi qu’être une pie n’était peut-être pas la stratégie la plus efficace pour régler mes soucis à la source. La source, comme d’aller directement au vernissage de ma soeur pour une confrontation que je me jure pacifique. « Bien sûr. » il met le doigt sur ce que je pense tout bas, que ça peut facilement partir en vrille. Mais reste un détail, bien trop égoïste pour que je ne l’assume, même une fois affirmé du bout de le langue. « Pourtant, j’me pardonnerais jamais de pas être là, pour cette soirée, pour elle. » même si c’est juste en périphérie, même si c’est juste pour y assister en silence, en retrait, sans même qu’elle le sache. Je m’en fiche de passer pour un creep, si au moins je sais que j’ai été dans la même pièce que Ginny pour appuyer enfin ce lancement de carrière que je lui ai moi-même retardé sauvagement jadis. « Si je vois qu’elle est heureuse, que tout va bien, peut-être que j’irai même pas lui parler. » ce qui me semblerait être de la torture sur le moment, mais qui, à l’instant me semblait être faisable. On verra bien à quel point je me mets le doigt dans l’oeil. Tommy n’aurait jamais le culot de m’imposer un choix, Tommy ne forcerait jamais rien, mais je dénote dans sa voix qu’il n'est pas d’accord, ou du moins, qu’il ne pensait pas à un plan de ce genre lorsqu’il m’a proposé de parler directement à ma soeur, au départ. « Je… j’ignore si c’est une bonne ou une mauvaise idée. Ça mérite d’être réfléchi. » ce qui est vrai. Je vais me laisser jusqu’au matin fatidique pour y penser. Comme si ce délai allait m’empêcher de faire une connerie ; c’était bien mal me connaître. « Un jour, l’ancien Matt va revenir. » et j’inspire, et je finis par accrocher mon regard à celui de mon ami de longue date, fatigué, blasé, épuisé d’être une carcasse lourde à porter. « Un jour, je serai plus juste une loque humaine qui se traîne les pieds pour tout. » le sourire en coin est mauvais, parce que merde que je me juge, merde que je sais aussi que je vaux pas cher aujourd’hui, et que le chemin sera long avant que je retrouve contenance. « Ça sera pas ce soir, c’est sûr. » un petit rire mal assuré, mais un petit rire tout de même. « Mais ça arrivera. » la gorgée de bière qui suit fait du bien, rafraîchit mes sens, ou les endort un peu plus, c’est selon. « Et promis, quand je serai quelqu’un de bien et de cool à nouveau, c’est moi qui paie la prochaine tournée, et la suivante. » parce que mes parents sont deux êtres horribles oui, mais qu’ils n’ont au moins pas failli à leur tâche de m’apprendre la politesse.