Besoin d’aide, de respirer, de ne penser à plus rien, me vider la tête simplement. Pour ça ? Mon meilleur partner in crime : Izy. J’avais une envie incontrôlable de dépenser de l’argent dont, j’avais sans doute besoin, mais dans du vent. Comme une envie compulsive. Aller au casino, ça faisait des mois enfin, plutôt des années que je n’y avais pas mis les pieds. Avant, je me réservais ce petit plaisir quand j’étais en vacances. Oui, pour moi casino rimait avec vacances et rien d’autre. Mais n’ayant pas eu l’occasion de partir ces dernières années, je brisais enfin cette vieille habitude. Et si casino rimait simplement avec détente ? J’avais proposé à Isaac de m’y rejoindre. Enfin, non, je lui avais dit de me rejoindre devant le casino sans lui préciser qu’on aller y passer la soirée. Je sentais que si non, il n’aurait pas été très chaud à l’idée de dépenser son argent dans le vent. Mais ça allait lui faire du bien, il avait besoin plus que qui qu’onques de se vider la tête. Par contre, hors de question ce soir de revenir sur les derniers événements tragiques qu’il avait connu. Non, j’avais envie d’une soirée sans drame, sans pleure. Je voulais de la légèreté. De mon côté, j’allais éviter d’aborder le crime que l’on voulait me coller sur le dos, le meurtre de ce jeune que j’avais eu le malheur de croiser une seule fois dans ma vie. D’ailleurs, j’avais passé mon après-midi dans le cabinet d’un avocat, sous les conseils d’Arthur. Et comme le chèque que j’avais signé n’était pas suffisamment gros, forcément, j’allais perdre encore plus d’argent aujourd’hui. ou alors au contraire, j’allais toucher le jackpot et faire en sorte de recouvrir ces dettes que j’allais avoir au cul.

J’attendais Izy evant l’enseigne lumineuse qui pourrait éblouir un malvoyant. Rouge, bleu, vert, jaune, toutes les couleurs clignotait pour attirer les passants. Personne ne pouvait passer devant sans le voir. Je scrutais chaque coin de rue pour voir si mon homme n’était pas dans les parages. Isaac était un assez passe partout, qui se cachait facilement dans la foule, sans attribue physique qui pouvait faire que je le remarquerais rapidement. Alors j’étais attentive pour ne pas le laisser passer sans le remarquer. Enfin, j’étais sûre qu’il me verrait en premier. Ah le voilà en approche ! Cinq, quatre, trois, deux, un… « Hey ! » je lui adresse une accolade. « J’espère que t’es prêt à faire chauffer ta carte. J’suis no limit ce soir ! » vue sa tête, il ne capte pas tout de suite de quoi je lui parle. Je lui fais un grand sourire tout innocent. « Bon, aller, on y va ! » je l’entraine avec moi à l’intérieur. « Pitié, joue le jeu ! » On présente nos cartes d’identité pour le contrôle habituel, histoire de voir si on n’est pas interdit des casinos. Une fois le contrôle terminé, nous voilà dans notre zone de jeu pour la soirée. « C’est partie ! » dis-je en sortant ma carte bleue et la secouant devant son nez. Il fallait d’abord que j’aille retirer quelques billets et ensuite, aller échanger ces mêmes billets contre des pièces pour les machines à sous.

N'oublie pas que t'as toujours en banque quelques jours de chance et un peu d'espérance.

Les journées se suivaient lâchement, monotones. Il fallait avouer qu'à mesure des matins qui se levaient sur Brisbane, j'avais de plus en plus de misère à m'extirper de mon lit. J'avais beau chercher, je ne dénichais strictement aucune motivation, harassé toutefois par de nombreux arguments me confortant dans l'idée de demeurer sous mes couvertures. Auparavant, mon emploi du temps était surchargé, animé, vivant. Aujourd'hui, toutes mes activités s'étaient vues décimées. J'étais en arrêt de travail et mes nombreux engagements bénévoles pâtissaient aussi de cette situation. Heureusement, je recevais régulièrement de la visite, ce qui coupait le silence régnant dans ma maison, mais réellement, des illusions grandioses me paraissaient parfois nécessaires pour me sortir du lit.

Debout, j'avais le sentiment d'errer dans une demeure fantôme, où les souvenirs rôdaient sans dessein. Je mettais un point d'honneur à respecter le peu de rendez-vous que l'on m'affublait, en arborant le masque le plus jovial possible. La vérité était que je ne voulais pas me noyer dans le passé. J'étais conscient qu'avancer en l'ignorant serait franchement ardu, voire impossible, mais je n'assimilais pas l'intérêt d'expliciter mon geste. J'avais déjà du mal à perpétuer mon présent en vivant dans cette maison teintée de passé, si bien que je fuyais les conversations portant sur ce que j'avais quelques semaines plus tôt estimé insurmontable. Une partie de moi reconnaissait que je devais des explications, bien que la raison pour laquelle j'avais voulu mettre un terme à mon histoire était claire pour tous mes proches. Je pressentais que je ne pourrais pas "m'en sortir comme ça" : personne n'est capable d'étouffer sa peine, ses peurs, ses chocs éternellement. Il faut excommunier ses démons. Toutefois, actuellement, j'étais encore au stade où je désirais berner mon psychiatre pour qu'il me juge "guéri" et m'accorde le droit de reprendre mon travail, où je pensais trouver salut. Effectivement, vêtu de ma blouse blanche, les journées passaient à vive allure. J'étais constamment entouré d'individus, inconnus ou pas, je n'avais aucune raison de sombrer dans mes pensées, aussi sombres soient-elles. Mais mon activité professionnelle était condamnée à rester en stand-by encore quelques temps. Le psychiatre qui me suivait n'avait même pas encore traité la lettre adressée à Chloe que j'avais laissé derrière moi. Elle reposait sournoisement dans mon dossier, menaçante, véritable couperet. Encore aujourd'hui, j'avais le loisir d'y poser mon regard, lors de ma rencontre avec le praticien. Elle ne semblait même pas avoir été ouverte, le psychiatre n'étant manifestement pas doté d'une curiosité sordide. Des mots couchés sur le papier, nés d'agissements inespérés, dont personne n'a daigné prendre connaissance.

Sur le retour vers mon domicile, je recevais un message de Noa. Je lisais les quelques termes m'invitant - ou plutôt, me sommant - de la retrouver devant le casino. Je fixais l'écran de mon smartphone quelques secondes sans trop réfléchir ni penser, puis annihilais les derniers mètres vers ma maison. Je me préparais docilement, attrapais le nécessaire à quelconque aventure dont mon ancienne colocataire avait le talent puis me rendais vers le fatidique lieu. J'avais la tête bourré des questions du psychiatre et de mes non-dits, ils m'accompagnèrent tenacement jusqu'au moment où la voix de ma meilleure amie parvienne à mes oreilles et m'informe que j'étais bien rendu à destination. « Salut. » La jeune femme m'étreignait et ni une ni deux, m'offrait déjà quelques éléments sur ses plans de la soirée à venir. Je fronçais les sourcils, interrogateur, et la Jacobs m'offrait le plus grand sourire innocent qu'elle a en réserve en guise de réponse. Elle m'attirait vers le casino, provoquant un air réticent contre mes traits.

Les jeux d'argent n'étaient pas ma tasse de thé. J'avais toujours été raisonnable, économe. Jamais je n'avais donné ma part du loyer en retard, j'étais toujours parvenu à avoir un compte épargne sur lequel de l'argent destiné aux catastrophes possibles de la vie reposait. Dès mon départ de Laidley, j'avais mis un point d'honneur à être indépendant. Ma bourse m'avait permis de suivre des cours à l'université et de vivre à Brisbane, néanmoins, elle n'assumait pas tout. J'avais dû travailler dur parce que mes parents n'avaient certainement pas les moyens de m'envoyer le moindre rond. Et par la suite, la mentalité était incrustée. Ce n'était pas en soi quelque chose de néfaste, cet argent m'avait permis en bout de ligne d'emprunter pour acheter une maison et envisager un mariage ainsi qu'un enfant.

« Pitié, joue le jeu ! » Je croisais le regard plein d'espoir de mon interlocutrice, qui devait bien se douter de mes états d'âme. Je balayais le casino du regard puis sortais mon porte-feuille de mon blouson. « T'es pas croyable. » Je tendais ma carte d'identité et me convainquais de me prêter à ce jeu. Ce n'était pas comme si les projets pour lesquels j'économisais allaient se concrétiser tout de suite, après tout. Je n'allais ni me marier, ni devenir père. Ainsi, l'argent qui dormait pour ces deux événements pouvaient bien finir dans la caisse de ce casino. Le pire, c'est que je n'envisageais même pas un gain, et si j'en obtenais un, j'ignorais prodigieusement ce que j'en ferai. Dans ma tête, je jetais littéralement cet argent par la fenêtre, persuadé qu'il ne reviendrait jamais vers moi sous quelconque forme. Si ça se trouve, si je gagnais quelque chose, je l'offrirai à Noa. Après tout, c'était grâce à elle que j'étais ici.

Une fois le contrôle terminé, nous étions invités à pénétrer la zone des jeux. La mélodie des machines à sous, le tintement des pièces, les ambiances tantôt tamisées, tantôt électriques, le bourdonnement des joueurs envahis par l'adrénaline insufflée par le hasard des jeux. Il y en avait pour tous les goûts, on se croirait vraiment dans un tout autre univers. Noa m'agita sous le nez sa carte bleue, la prochaine étape étant celle de se procurer les fameux jetons. Je constatais la somme que l'éducatrice spécialisée était prête à métamorphoser en probable néant et l'imitais. Une fois les jetons colorés en main, j'interrogeais : « A quoi veux-tu jouer ? Je mets mon droit de véto sur les tables de poker » Rabat-joie ou pas, rester assis à regarder les autres dans le blanc des yeux ne me disait rien. Qui plus est, j'avais le sentiment de jouer au poker constamment avec mon psychiatre.

Un groupe de jeunes touristes nous invita avec enthousiasme à participer à leur partie de roulette. Je lançais un regard interrogatif à Noa qui semblait approuver cette idée. Nous prîmes ainsi place avec les autres joueurs autour de la roulette, quasiment en face du croupier. Les étrangers parlaient une langue dont je ne comprenais strictement aucun mot, pire, j'étais incapable de déterminer même son origine. Ils choisissaient les numéros sur lesquels ils voulaient miser en les déclamant dans un anglais écorché, mais compréhensible, à leur plus grand bonheur. Ça me faisait doucement sourire, avant que je n'attire de nouveau mon attention vers Noa. « Je suis reconnaissant que tu me traînes ici plutôt que dans des magasins de vêtements pour assouvir ton envie thérapeutique de dépenses, mais il faut que je te le demande : est-ce que je dois m'inquiéter pour toi, ou le plan est de se lâcher complètement ce soir ? » Je n'étais pas du genre à cuisiner Noa pour qu'elle me dise ce qu'elle avait sur le cœur, bien que j'écoutais toujours attentivement tout ce qu'elle me confiait. Seulement, ça n'avait jamais été dans ma nature de forcer les gens à parler. Je les laissais communiquer librement, lorsqu'ils étaient prêts, lorsque l'envie ou le besoin étaient réellement présents. Néanmoins, il était impératif pour moi de savoir si Noa se mettait en danger d'une manière ou d'une autre en claquant de l'argent ainsi, et s'il valait mieux que je mette un terme aux dépenses au bout d'un moment.  

J’étais allée rendre visite à Isaac bon nombre de fois lorsqu’il était à l’hôpital. Parfois seule, parfois accompagnée d’Arthur, de Loan ou encore de Nicolas. Apprendre la nouvelle de sa tentative de suicide avait été très douloureux. J’avais souvent cette réflexion : comment la vie peut-elle nous pousser à vouloir se la retirer. Je pensais être tout à fait légitime pour me permettre de me poser cette question. La vie ne m’ayant pas réellement épargnée et ce tout de suite à ma naissance. Enfin, même avant en réalité. L’annonce de la grossesse de ma mère a eut l’effet d’un raz de marée qui a dû faire tomber plus d’une personne à l’époque. Balader de foyer en familles d’accueil puis de nouveau en foyer, famille d’accueil encore… pour finir par être adoptée à l’âge de 10 ans. Cet Aiden qui a rendu ma vie infernale les deux années où nous avons partagé la même maison. Cette Stella qui n’a pas hésité un seul instant à me foutre dehors dès lors qu’elle a appris être enceinte à son tour. Bon, j’avoue, j’ai fini par m’en sortir, avoir la tête haute car j’ai eu la chance d’être adoptée par une famille merveilleuse mais je porte encore aujourd’hui les cicatrices de blessures assez profondes vécues durant ma jeunesse. C’est assez bien connu d’ailleurs, les troubles que l’on peut rencontrer étant enfant auront un impact sur notre vie d’adulte. Alors oui, ils m’aident à être plus forte aujourd’hui, à prendre la vie autrement mais si seulement j’avais pu avoir une vie facile, une enfance heureuse dès mon plus jeune âge, me sentir aimé par mes propres parents. Et pourtant non, rien de tout ça ne s’est passé. Cette impression de ne pas être entière à 35 ans, cette impression qu’il manque encore un bout du puzzle. J’ai beau avoir rencontré ma vraie mère il y a quelques mois maintenant, je n’ai toujours aucune idée de qui est mon père. La prochaine étape ? Oui. Mais est ce que finalement, j’en ai vraiment envie si c’est pour de nouveau faire face à une déception comme ça l’a été pour ma mère, Caitlin. Cette femme, enfermée dans sa notoriété, enfermée dans son amour propre, semblant être incapable d’aimer quelqu’un d’autre qu’elle, même sa propre fille, Nina, qui a eu le privilège – visiblement – de vivre avec elle. Pourtant, elle-même n’a jamais connu ce qu’était l’amour d’une mère. Qui était la plus chanceuse ? Bonne question. Aujourd’hui, je ne l’envie pas pour autant. Je crois que les Jacobs sont par défaut, les meilleurs parents du monde. Bref, tout ça pour dire que j’avais moi aussi déjà pensé à me donner la mort et pourtant, je m’y suis accroché. Le plus triste, c’est bien que ces idées noires m’aient traversé l’esprit il y a plus de vingt ans maintenant. J’avais encore la vie devant moi et quelle belle vie… Aujourd’hui, je n’avais plus vraiment à me plaindre. Enfin, jusqu’à ces quelques dernières semaines en tout cas car je n’aurais jamais pensé qu’un jour j’aurai affaire à la police pour une accusation aussi grave. Je devais bien me rendre à l’idée que sans l’intervention d’Arthur, à aucun moment je ne me serai mis la pression sur les épaules. J’étais allée à la rencontre de cet avocat à qui j’avais apporté tous les éléments essentiels à l’enquête. Une copie du rapport que j’avais fais le lendemain de cette altercation, l’ensemble de ce que j’avais également fournis à l’inspecteur Anwar. Pour lui, j’étais tout à fait défendable. Il m’avait demandé droit dans les yeux si oui ou non j’étais coupable, si oui ou non j’avais tué ce jeune. Merde, bien sûre que non je n’avais tué personne ! Moi qui avait du scrupule rien qu’en tuant un escargot perdu sur un trottoir que je n’avais pas eu le temps de voir… Je me demandais comment j’allais pouvoir sortir de cet enfer et j’espérais vraiment que cette histoire ai enfin une issue. Que le coupable soir retrouvé, ou que au moins, une preuve puisse m’innocenter aussitôt. L’arme du crime, des empruntes, peu importe… Je n’avais bien entendu pas du tout parler de cette histoire à Izy, le laissant loin de mes problèmes, il avait bien d’autres chats à fouetter plutôt que d’encombrer son esprit de soucis supplémentaires.
Ma première victoire aujourd’hui, c’était de le voir tendre sa carte d’identité à cette personne qui contrôlait chaque entrée dans le casino. Il aurait très bien pu faire demi-tour aussitôt qu’il comprit ce que nous allions faire ce soir. Mais ami fidèle qu’il est, il est bien sûr resté avec moi et je savais bien que je pouvais miser sur sa loyauté. « T'es pas croyable. » j’haussais les épaules, petit air innocent. « tu me remercieras quand on ressortira de là avec le gros lot ! » quelle belle phrase plein d’optimisme. Une fois à l’intérieur pour de bon, face à toutes ces machines à sous, un frisson me parcouru, une telle excitation, je pouvais être prêtre à vider mon compte en banque tiens. Ca irait assez vite dans ce cas… « A quoi veux-tu jouer ? Je mets mon droit de véto sur les tables de poker » je secouais la tête, un coup à droite, un coup à gauche. « t’en fais pas. J’suis une quiche en bluff, le poker, c’est pas pour moi. Je préfère les jeux de hasard. » enfin, hasard… quand on sait que tout est parfaitement programmé pour vous faire perdre un maximum de pognon…
Du coup, cette proposition de jouer à la roulette m’emballait carrément. M’asseoir sur ce tabouret et poser des jetons sur un tapis vert, regarder cette boule tourner et ressentir l’excitation du suspens. C’était pour moi le jeu sur lequel on pouvait prendre le plus de plaisir et où on pouvait encore contrôler un peu l’argent qu’on perdait et qu’on pouvait encore miser. C’était les montagnes russes, un coup tu perds, un coup tu gagnes, plus tu gagnes plus tu veux rejouer, plus tu perds, plus tu t’accroches en disant que tu vas bien finir par gagner… et plus rien. Mais ce soir, aller, j’y croyais. Je m’apprêtai à poser mes premiers jetons sur le tapis lors du nouveau tour, quand Izy m’interpella. « Je suis reconnaissant que tu me traînes ici plutôt que dans des magasins de vêtements pour assouvir ton envie thérapeutique de dépenses, mais il faut que je te le demande : est-ce que je dois m'inquiéter pour toi, ou le plan est de se lâcher complètement ce soir ? » Je n’ai pas pu retenir mon rire après cette question. Après tout, il faisait bien de la poser. Est-ce qu’il me connaissait aussi bien que moi-même je pouvais le connaitre ? J’avais décidé de mettre de côté certains sujets de conversation ce soir. J’étais peut-être grillée. Mais j’allais rester dans cette optique. « le seul et unique but ce soir, c’est de ramener un max de fric ! Ne t’inquiète pas, tout va bien ! » et c’était partie, les jetons étaient posés. « Suspens. » La roulette se met à tourner, la boule sort et c’est partie pour quelques secondes d’attente. 28 noir. « Pair, je gagne ! » j’avais commencé doucement en posant un seul jeton sur le pair, je double alors ma mise. Ca aurait pu être intéressant si je n’avais pas mis qu’un seul dollar mais c’était déjà ça. « Tu vois, ça commence bien ! Aller, j’te laisse miser le prochain. Pose deux jetons ! On reste cinq minutes et on va boire un verre. Et détend toi un peu… »

N'oublie pas que t'as toujours en banque quelques jours de chance et un peu d'espérance.

Docile, j'avais tendu ma carte d'identité au responsable des entrées du casino, non sans commenter toutefois le caractère incroyable de Noa. Ma meilleure amie semblait plus que satisfaite de son plan, tout en m'agitant sous le nez l'éventualité que j'aurais à la remercier lorsque le gros lot nous serait attribué. Un sourire en coin se dessina sur mes lèvres devant tant d'aplomb, qui s'évapora néanmoins lorsque je mettais mon droit de veto sur les tables de poker. Bien heureusement, la Jacobs partageait ma préférence pour les jeux de hasard lors de ces sorties. Sincèrement, je n'avais pas envie de jouer à faire semblant d'avoir une bonne ou mauvaise main dans ce casino, surtout lorsque je le faisais déjà beaucoup ces derniers temps. Quitte à dépenser cet argent transformé en jetons colorés, que ce soit sans réfléchir, en se livrant au destin. Celui-ci s'était bien moqué de moi dernièrement et stupidement, je lui en voulais. Toutefois, il avait peut-être de bonnes surprises en réserve au nom de ma petite personne.

Je suggérais, suite à l'invitation exaltée de touristes étrangers, que l'on s'installe à une table où avait lieu un jeu de roulette. Cette proposition enthousiasma Noa qui ne tarda pas à miser son premier jeton. De mon côté, je fixais les aléas de la boule blanche, avant de m'enquérir sur les motivations de l'éducatrice spécialisée et m'inquiéter de son éventuelle impulsivité. Bien sûr, de nous deux, Noa était celle qui savait le mieux s'amuser. J'étais toujours réticent à dépenser de l'argent pour le plaisir, aussi fou cela puisse paraître. Je venais d'une famille où la moindre pièce de monnaie est valorisée et est conservée pour les imprévus ou les besoins vitaux. Alors, même si je pouvais me le permettre, claquer de l'argent dans le vent allait contre des années d'éducation imposée.

Noa me rassurait, tout en m'informant que l'objectif principal de cette virée était d'amasser un max de fric. Je me retenais de lui faire remarquer que ce n'était possiblement pas le meilleure stratagème pour parvenir à ces fins, ne souhaitant pas spécialement recevoir un coup de sa part. Les yeux en amande de mon interlocutrice se posèrent de nouveau sur la boule blanche, dont elle commentait les méandres avant de s'exclamer : « Pair, je gagne ! » Un léger rire sincère fila entre mes lèvres devant la réaction de mon amie, qui eut un goût aussi étranger qu'agréable. Ça faisait quelques semaines que je n'avais pas eu l'occasion de sentir un rire se dérober de mes lippes. « Tu vois, ça commence bien ! Aller, j’te laisse miser le prochain. Pose deux jetons ! On reste cinq minutes et on va boire un verre. Et détend toi un peu… » Je ne pus retenir un rictus agacé par son dernier commentaire, même s'il me permettait de réaliser qu'en effet, j'étais tendu, crispé même. J'inspirais profondément pour décontracter mes muscles et cessais d'imiter l'allure d'un commandant de gendarmerie. Puis, je prenais deux jetons de ma pile, sans trop vérifier leur montant, et les déposais sur deux numéros qu'arboraient des joueurs de football australien que j'avais connus. Je ne pouvais pas me refaire, il fallait toujours que chaque choix ait une raison avec moi. Peu à peu, les cases se comblèrent de jetons, autorisant ultimement le croupier à relancer sa boule blanche. Je regardais quelques secondes celle-ci rebondir d'un chiffre à un nombre avant de prononcer à l'adresse de Noa : « Juste pour information et sans vouloir briser l'ambiance ou nous attirer de la malchance, sache que si on part d'ici sans le moindre gain, il me reste encore des économies que je peux te filer si tu en as besoin. » Je plantais mon regard dans celui de Noa, lui certifiant que mes propos étaient véridiques. Puis, évitant de m'épancher plus qu'il ne le fallait à mon sens sur les sujets qui peuvent éventuellement fâcher, je reportais mon attention sur le jeu. Un joueur se ravit d'empocher la grosse somme de ce tour et imitant Noa, je positionnais mon jeton sur un nouveau numéro. Les cinq minutes prévues plus ou moins écoulées, je lançais : « On va prendre un verre ? » Pour l'alcool, sans être un ivrogne, je n'avais jamais eu de mal à dépenser mon argent, toutefois. Une fois au bar, je questionnais : « Tu veux boire quoi ? »

l’excitation du jeu était bien présente. Voir toutes ces machines partout, ces lumières qui clignotent et ces bruits de jetons qui tombent, tout était fait pour se laisser aller à la tentation. Tout me disait «  aller, Noa laisse toi aller, tu vas voir, tu vas tout gagner »  et il ne m’en fallait pas plus pour que je me laisser aller en effet. La déconnexion totale de la réalité. Je voulais me changer les idées, c’était chose faite, je ne pouvais peut être pas trouver mieux. Mais j’allais sans doute être rapidement rattrapée une fois que j’aurai de nouveau mis un pied dehors. Ce n’était pas le moment donc autant ne pas y penser. C’est au tour d’Isaac de jouer à présent, de faire les bonnes mises. J’avais foi en lui, j’avais foi en cette soirée pour rafler la mise. La boule est lancée, le suspens est à son comble, une fois de plus. Surtout que Isaac avait tout de suite misé sur une chiffre précis et non sur simplement une couleur. Les chances de remporter la mise était plus faible par contre, les chances de gonfler la mise étaient bien plus élevées ! « Juste pour information et sans vouloir briser l'ambiance ou nous attirer de la malchance, sache que si on part d'ici sans le moindre gain, il me reste encore des économies que je peux te filer si tu en as besoin. » Je quittais la roulette des yeux pour regarder mon ami. Je secouais la tête, il me faisait rire. « mais ! A quoi tu penses ?!  » non, je n’étais pas ici pour lui faire passer le message que j’avais besoin d’argent et qu’il devait donc me filer ses économies. « pas besoin de tes thunes ! Laissons le hasard décider pour nous ! » Le croupier repris les jetons que Isaac avait posé sur le tapis, c’était pas pour cette fois. Par contre, un autre joueur avait lui gagner le gros lot.  « Dommage ! » Izy semblait se prendre au jeu puisque sans que je n’ai rien à dire, il rejoue directement. Et je le suivi aussitôt. Ce n’était encore pas la bonne. « On va prendre un verre ? » j’acquiesçais, il fallait s’avouer vaincu de temps en temps, c’était une bataille de perdu mais surement pas la guerre. On se trouvera d’autres jeux à faire plus tard ! « Tu veux boire quoi ? » je jetais un œil à la carte de leurs cocktails bien que je savais d’avance ce que j’allais prendre. « un mojito, mais royale, s’il te plait » tant qu’à se faire plaisir, autant ajouter une touche de champagne dans mon cocktail préféré. Je n’étais pas très original sur ce point, mais un bon mojito, c’était juste la base ! Je le laisse passer commande, s’il paie celle-ci, la deuxième tournée sera pour moi. Pas besoin de le préciser, il savait comment on fonctionnait. « j’espère que tu m’en veux pas de t’avoir entrainer la dedans ! C’est pas un piège ou quoi… »enfin, partant du principe où je ne lui avais rien dit avant.. peut être bien que c’en était un. « mais ca m’fait plaisir de pouvoir passer du temps avec toi dans ce genre d’endroit. J’veux dire, quelques part où un peu de folie est autorisé ! »

N'oublie pas que t'as toujours en banque quelques jours de chance et un peu d'espérance.

J'appréciais Noa pour une large quantité de raisons, ce n'était pas anodin que je la considérais telle une meilleure amie depuis plus d'une décennie. La hasard nous avait réuni par l'intermédiaire d'une petite annonce de colocation qui résulta d'une longue amitié, rythmée d'événements dotés de teintes aussi différentes les uns que les autres.

J'étais déjà reconnaissant envers la jeune femme de m'avoir piégé jusqu'à l'intérieur de ce casino, à jeter de l'argent dans l'avide antre de la chance. Ce soir, j'étais loin de mon domicile, loin de mon quotidien où le moindre petit détail pouvait me désoler. Ce soir, j'avais un peu le sentiment de vivre une vie parallèle, d'exister différemment sous les lumières électrisantes de ce casino qui inspirait autant pertes que richesse. C'était comme si Noa me permettait d'avoir une coupure, une pause le temps d'une soirée, où l'on pouvait se permettre des folies dont on aurait bien le temps d'assumer les conséquences plus tard.

Alors, je me prêtais au jeu, je l'imitais et misais sur des numéros certes bien sélectionnés par mon cœur. Alors que la boule rebondissait le long de la roulette, je clarifiais ma conscience, signifiant à mon amie que si elle avait vraiment besoin d'argent, j'étais là pour elle. J'étais incapable de chasser mon naturel complètement et sans scrupule, elle pouvait bien m'utiliser comme banque. Quel meilleur investissement, après tout ? Bien vite, Noa rejeta mon offre, avec des propos colorés qui me firent sourire. A l'entendre, le hasard était le seul maître de cette soirée. Ça me plaisait assez, de pouvoir lui confier tous mes soucis, tous mes problèmes, toutes mes appréhensions. Qui sait, peut-être se perdraient-ils dans les rouages d'une machine à sous et nous ferait décrocher un jackpot ?  

Manifestement, ce n'était pas la roulette qui allait nous apporter un gain ce soir. J'invitais l'éducatrice spécialisée à ce qu'on aille prendre un verre, ce qu'elle acceptait. Parfois, il fallait savoir prendre une pause et revenir plus chanceux. Elle m'arracha un nouveau sourire lorsqu'elle me précisa qu'elle voulait un mojito royal et je passais commande pour nous deux. « J’espère que tu m’en veux pas de t’avoir entraîné là-dedans ! C’est pas un piège ou quoi…  Mais ça m’fait plaisir de pouvoir passer du temps avec toi dans ce genre d’endroit. J’veux dire, quelque part où un peu de folie est autorisé ! » Je songeais que mon interlocutrice et moi-même n'avions pas la même définition de piège, après tout, Noa ne m'avait pas vraiment laissé le choix d'embarquer dans ce plan extravaguant. Néanmoins, c'était impossible pour moi de lui en vouloir, en particulier après ses aveux. « T'inquiètes, je t'en veux pas. Au contraire, je suis content que tu m'aies appelé et qu'on soit ici. C'est une idée déjantée, mais c'est pour ça que je te garde dans ma vie. » Je lançais un regard taquin à mon interlocutrice, lui démontrant bien que je la charriais. Bien évidemment, je l'appréciais bien plus que pour son attitude de tête brûlée. Je reprenais, assurant : « Plus sérieusement, c'est cool. Je suis très content de vivre cette déchéance avec toi. » Un nouveau sourire narquois. Même lorsque j'essayais d'être sérieux, je ne pouvais offrir des paroles aussi belles que Noa, il fallait toujours que je dérive à la bêtise. Je fus sauvé par le serveur qui déposait nos verres, je réglais cette première tournée et tendais sa boisson à Noa. « Madame sa majesté. » Je me tournais de manière à faire totalement face à l'australienne. « A notre futur jackpot ? » proposais-je en toast. Je plissais les yeux, interrogeant : « Tu ferais quoi, d'ailleurs, si tu gagnais le gros lot ? » Une fois que nos verres retentirent, je bus une gorgée de ma boisson alcoolisée. « Et si on disait que si l'un de nous gagnait un gros lot, il devrait accomplir un défi complètement dingue ? » Pourquoi pas corser les choses, après tout ?

Bon c’est vrai, je n’avais pas laissé le choix à Izy, il devait me rejoindre dans un endroit inconnu et ensuite me suivre sans dire un mot. Obligé à sortir sa carte d’identité à l’entrée, obligé de jouer le jeu, alors oui c’était peut être un piège. Mais ce n’était pas une mauvaise intention en tout cas. Il ne fallait pas voir le côté négatif de ce mot. « T'inquiètes, je t'en veux pas. Au contraire, je suis content que tu m'aies appelé et qu'on soit ici. C'est une idée déjantée, mais c'est pour ça que je te garde dans ma vie. Plus sérieusement, c'est cool. Je suis très content de vivre cette déchéance avec toi. »  Je souris, haussant les épaules et ravie de l’entendre dire. Je me penche alors vers lui pour le prendre dans mes bras.  « c’est bon d’être avec toi ce soir ! et c’est bon de pouvoir souffler un peu, ensemble ! » Isaac m’était très cher et tous les événements qu’il avait vécu ces derniers temps m’avaient profondément touché. Le savoir dans une telle détresse qu’il avait préféré se donner la vie plutôt que de s’accrocher aux petites victoires du quotidien, ces petites choses qui font qu’on se sent malgré tout bien… non. Le dernier parachute du pissenlit s’était envolé et le voilà totalement lâché en plein vol, en chute libre, prêt à s’écraser par terre, la sensation de ne plus être utile pour personne. Grave erreur. La tristesse était déjà si intense de le savoir mal, quelle aurait été la peine s’il n’était plus là aujourd’hui. Je le serai fort contre moi pour profiter de cet instant-là, de sa présence puis j’embrassais sa joue amicalement. « on a tous besoin de toi Izy ! » je ne voulais pas rendre la scène trop dramatique, trop émotionnelle, juste lui exprimer sans artifice ce que j’avais sur le cœur.
Nos cocktails étaient servis et il était temps alors d’oublier cette petite accolade pour reprendre la soirée délirante. « Madame sa majesté. » je fais la révérence et prends mon verre. Un mojito royale pour une reine bien entendu. « A notre futur jackpot ? » je lève mon verre et répète alors. « à notre futur jackpot ! » mais ce n’était plus une question, j’étais bien sûre de moi ! Je jetais un œil derrière l’épaule d’Izy et regarda toutes ces machines aussi déjantée les unes que les autres. Certains avaient pour thème le seigneur des anneaux, Harry Potter, les leprechaunes d’Irlande, les chevaliers de la table ronde, les licornes et même les Pokémons. Isaac me ramena à notre conversation quand il me demanda ce que je ferai si je gagnais le gros lot. « Bonne question ! Mais sans hésité dans un premier temps j’me barre ! J’me barre d’ici, je refais mes valises et je repars à l’autre bout du monde! J'achete un avion, un hélicoptère, c'que tu veux, quelques chose pour partir quand t'en as envie sans contrainte! Et toi ?» depuis le temps que je rêvais de partir à nouveau. C’était de plus en plus compliqué de l’envisager. « Et si on disait que si l'un de nous gagnait un gros lot, il devrait accomplir un défi complètement dingue ? » je le regardais, intriguée par ce qu’il voulait dire par défi complètement dingue. « du genre ? »

N'oublie pas que t'as toujours en banque quelques jours de chance et un peu d'espérance.

J'étais sincèrement content de passer cette soirée avec Noa. Elle avait sélectionné sans doute la meilleure activité, bien que je m'étais énormément méfié de celle-ci en premier lieu. En effet, en allant dans ce casino, je rompais totalement avec mon quotidien et mes habitudes, ce qui m'autorisait en quelque sorte à flouter les démons qui m'habitaient. Toutefois, rares étaient les fois où j'avais pénétré un casino : je n'étais franchement pas le genre d'individu qui s'adonne aux jeux d'argent. J'aimais savoir où je plaçais mes économies, sans être radin néanmoins. Par exemple, si demain un proche me demandait de l'argent, je lui ouvrirai mon porte-feuilles sans hésitation.

Ainsi, je faisais comprendre aussi bien que possible à Noa qu'elle n'avait pas à s'excuser d'avoir organisé cette sortie, bien au contraire, je lui en étais reconnaissant. De plus, ça me faisait du bien de passer du temps avec la jeune femme. Cette année, cela allait faire dix ans que nous nous connaissions, dix ans qu'elle m'avait intégré dans sa colocation. J'étais proche de Noa comme je ne le suis avec personne d'autre depuis une décennie. Je soupçonnais que mon interlocutrice eut compris mes bons sentiments malgré mes paroles maladroites, car cette première me prit dans les bras amicalement, avant de déposer un baiser sur ma joue. Je savais pertinemment que me tentative de suicide l'avait affectée et je m'en sentais profondément coupable, tout comme j'étais soulagé que la Jacobs ne m'ait pas tourné le dos suite à mon geste et qu'elle fasse preuve d'autant de patience et d'amitié à mon égard. Noa composait une amie inestimable et j'étais chanceux de l'avoir dans ma vie, tout comme j'étais aussi reconnaissant d'être épaulé par les autres membres du Big Bang Crew.

Un fin sourire étira mes lèvres alors que l'australienne me faisait part du fait que j'étais nécessaire. Sans me qualifier ainsi, j'avais pu ouvrir les yeux - et les écarquiller - sur le nombre de personnes qui tenait vraiment à moi. J'avais envie de m'excuser à chacune d'entre elles pour les avoir fait subir mon besoin de mettre un terme à ma vie, mais j'étais aussi ému de constater que j'étais apprécié de la sorte. « Merci d'être là, Noa, » prononçais-je honnêtement alors que la principale intéressée reprenait place au bar, où nos commandes étaient servies.

L'objectif de cette soirée n'étant pas d'aborder des sujets sérieux, je réorientais notre conversation, tendant sa boisson à la trentenaire. Je proposais que l'on trinque à notre futur jackot, ce qui fut approuvé. Une gorgée de whiskey réchauffant ma gorge, je demandais à Noa ce qu'elle aimerait réaliser si elle gagnait le gros lot ce soir. Je l'écoutais me parler d'évasion, ce qui ce soir me paraissait très alléchant. J'aimais beaucoup faire des road trip, cependant, depuis mon installation à Brisbane, j'avais quasiment jamais quitté cette ville. D'abord, il y avait eu le football australien pour quoi je donnais tout mon temps libre, puis, je m'étais investi à corps perdu dans ma profession paramédicale, ajoutant au fil du temps des activités bénévoles. J'avais aussi eu Chloe, qui n'avait jamais évoqué l'éventualité du moindre voyage. Et aussi fou cela puisse paraître, je m'étais plu comme ça, à ne jamais visiter le monde qui m'entoure. Ce soir, cependant, je pouvais rejoindre Noa sur son désir de changer d'air et être capable de le faire dès que son cœur l'en dit. Je demeurais songeur quelques secondes, prenant une nouvelle gorgée de mon verre, tout en réfléchissant à une réponse que je pouvais lui fournir quant à ce que je ferai d'un éventuel gros lot. La vérité, c'est que j'en avais strictement aucune idée, je n'avais plus de projet concret, aucune envie impulsive, je me sentais prodigieusement vide, à essayer simplement d'avancer, un jour à la fois. « Je ne sais pas... » Je lui lançais un regard désolé et rattrapais la conversation en proposant que si l'un de nous gagnait, il devrait réaliser un défi complètement dingue. Autant vivre cette folle nuit pleinement, non ? Ce n'était pas comme si cette occasion se présentait tous les jours, ou que c'était raisonnable de se rendre régulièrement dans un casino dans l'optique d'amasser des tonnes d'argent. J'avais intrigué Noa, puisqu'elle me demandait davantage de précisions. Je réfléchis quelques instants, avant de répliquer : « Je ne sais pas... Qu'est-ce que tu aurais envie de faire, mais que tu n'oses pas faire ? Ou qu'est-ce que tu aurais envie de me voir faire, mais qui te semble trop fou pour que je le fasse ? » Un sourire espiègle se dessinait sur mes lippes. « Ou sinon, si on gagne une grosse somme, on prend un billet aller-retour vers la destination qu'on peut et on se barre le temps d'un jour ou deux. » Je ne manquais pas de propositions, à croire que l'ambiance déchaînée me donnait des ailes, avec ses lumières flashies, ses sons métalliques, la cohue des gens excités de jouer. Je balayais les salles animées du regard, observant les différentes machines et tables de jeu. « A quoi aimerais-tu jouer après ? » J'offrais un léger sourire moqueur, avant de préciser : « Ton intuition féminine te dit quoi ? » Après tout, elle avait tendance à faire des ravages, celle-ci, si bien qu'elle pouvait peut-être nous envoyer vers un gain intéressant dans sa lancée.

« Merci d'être là, Noa, » je n’y répondais rien, je crois qu’aucun mot ne pouvait vraiment qualifié cette amitié qui nous unissait depuis plusieurs années. Depuis qu’Isaac avait répondu à mon annonce de colocation. Cette période où j’avais besoin de partager mon quotidien. Pas avec un mec ou une nana de façon officielle, pas besoin d’être en couple, juste quelqu’un qui serait là, le soir ou n’importe quoi et avec qui je pourrais discuter au quotidien. Avec qui je pourrais aussi partager des moments sympas, de détentes, d’amusement, quelques engueulades pour le bien-être de tous forcément. Puis, j’avais finalement trouvé bien plus que ça : un ami, un ami très cher. Même si aujourd’hui nous n’habitions plus ensemble – et que j’avais pu lui en vouloir un peu de m’abandonner de la sorte – notre amitié était toujours aussi intouchable et infaillible et je m’en réjouissais. Alors vite, reprenons le cours de notre soirée. Cette soirée qui n’était que lâché prise et bonheur. Nous trinquons, nous buvons à notre jackpot que nous allons peut-être – ou pas – remporter. Il est beau de rêver et là nous étions loin dans notre utopie. Partir à bord d’un hélicoptère, partir à l’autre bout du monde. Mais pas pour toujours, non, j’aimais ma ville, j’aimais mon pays. Mais simplement avoir la chance de pouvoir partir à tout moment, quand tu veux, sans contrainte. Alors que je donne ma réponse à Isaac, lui ne semble pas vraiment capable de me donner sa réponse. Peut être était-ce difficile pour lui de se projeter pour le moment. Il y a encore quelques jours il avait voulu mettre fin à ses jours, je ne lui en voulais pas de penser au moment présent depuis. Mais je suis sûre que s’il avait à gagner une belle somme d’argent, il saurait rapidement quoi en faire. On parle alors de ce défi qu’on pourrait se donner si l’un d’entre nous gagnait, pour le coup, Isaac me surprenait et je sentais que la soirée commençait à prendre un autre tournant. Il était là le lâché prise ! « Je ne sais pas... Qu'est-ce que tu aurais envie de faire, mais que tu n'oses pas faire ? Ou qu'est-ce que tu aurais envie de me voir faire, mais qui te semble trop fou pour que je le fasse ? Ou sinon, si on gagne une grosse somme, on prend un billet aller-retour vers la destination qu'on peut et on se barre le temps d'un jour ou deux » un ou deux jours seulement ? « tu rêves ! On se casse au moins une semaine, qu’on profite pour de bon ! Un jour… c’est comme avoir le meilleur gâteau devant toi mais qu’on te dit « tu n’as le droit d’en prendre qu’une cuillère ! » impossible ! » ceci dit, je réfléchissais quand même à son histoire de défi. « bon… si non ! je te donne un défi, tu m’en donne un ! » Je le regarde, intriguée, réfléchissant à ce que je voudrais voir de lui, ce que j’aimais qu’il fasse, pour dépasser ses limites. « J’voudrai que tu cesses de penser aux autres, de faire les choses pour les autres. J’veux que pour une fois, tu penses à toi et rien qu’à toi ! Tu lâches tout, ton hôpital, ton rugby. Tu fais ce qui te ferais vraiment plaisir ! Et pour couronner le tout, tu montes dans un avions, et tu sautes en parachute ! donc à toi de me dire maintenant ! » j’étais vraiment sincère pour ce qui était de prendre du temps pour lui. La générosité d’Issac l’avait surement mené dans son gouffre, difficile de ne pas tomber quand on prend déception sur déception mais ça arrive surtout aux personnes qui donnent beaucoup et finalement se rendent compte qu’elles ne reçoivent pas énormément en échange… un jour, ca vous explose en pleine figure et ça fait mal. Puis, le saut en parachute, j’étais certaine que ca lui ferait le plus grand bien. C’est le genre de limite dont on est très fier d’avoir dépassé ! « A quoi aimerais-tu jouer après ? Ton intuition féminine te dit quoi ? » « Mon intuition féminine me dit d’aller dépenser mes sous dans une machine ! Mais j’espère que mon intuition ne se trompera pas ! » je prends mon verre avec moi et je me lève, entraînant alors Isy avec moi. Nous avions le droit de boire à côté des machines et tant mieux. Avant il fallait échanger nos billets contre des jetons argentés pour pouvoir jouer. Une fois chose faite, je me pose devant une machine un peu girly. « voilà ton intuition féminine ! » j’avais bien compris qu’il se moquait de moi donc autant rentrer dans son jeu. « par contre, je t’avoue que je n’ai jamais rien compris à ces machines là… »

N'oublie pas que t'as toujours en banque quelques jours de chance et un peu d'espérance.

Le maître mot de cette soirée était la détente. Noa avait sélectionné un lieu idéal pour que l'on crée une réelle rupture avec notre quotidien et que l'on puisse lâcher prise sur nos tracas le temps d'une soirée. Dans cet univers électrifiant, il me semblait bien facile de me voiler la face et de me concentrer intégralement sur l'instant présent. Ce comportement était si attrayant avec l'ambiance qui régnait dans le casino, les décorations hautes-en-couleurs, la frénésie des joueurs. J'avais du mal à concevoir que certains individus parvenaient à se concentrer en vue de calculer des probabilités de gains en ce lieu où la folie régnait en puissance. Toutefois, je ne perdais pas de vue la gratitude que j'entretenais à l'égard de Noa et le fait qu'elle n'ait jamais pensé à me laisser tomber dans cette période de ma vie où j'avais cruellement besoin d'elle. Mes propos restèrent sans réponse, mais je me doutais bien que ma meilleure amie les avait enregistrés et j'enchaînais sur mon idée de défis, lui exposant ce que j'avais en tête.

Je ris sincèrement lorsqu'elle s'offusqua de ma proposition d'un voyage ne durant qu'un jour ou deux si nous gagnions une grosse somme d'argent ce soir puis rectifiais : « Ok, assez longtemps pour se lasser de cette nouvelle destination et vouloir rentrer chez nous ! » J'approuvais d'un signe de tête quand elle me suggéra me donner un défi et en attendre un de ma part en échange. Je pris une gorgée de ma boisson alcoolisée pendant que Noa réfléchissait à son gage puis l'entendais déclarer : « J’voudrai que tu cesses de penser aux autres, de faire les choses pour les autres. J’veux que pour une fois, tu penses à toi et rien qu’à toi ! Tu lâches tout, ton hôpital, ton rugby. Tu fais ce qui te ferais vraiment plaisir ! Et pour couronner le tout, tu montes dans un avion, et tu sautes en parachute ! donc à toi de me dire maintenant ! » J'observais la Jacobs de longues minutes, réfléchissant à ce défi de taille qu'elle venait de me lancer. Je me doutais bien qu'elle avait profité du petit jeu que j'avais lancé pour m'énoncer le fond de sa pensée, et bien entendu, comme d'habitude, Noa avait raison sur mon cas. Il était vrai que je pensais tant aux autres que je m'oubliais prodigieusement. Cela avait été originaire de mon malheur. J'ignorais complètement comment faire la part des choses. Je m'épanouissais en épaulant Autrui : je me sentais important et utile de cette manière. Néanmoins, j'étais incapable de me mettre un frein, de prendre soin de moi, de me poser quelques minutes pour m'assurer que de mon côté, je me portais bien. Par ailleurs, j'avais organisé toute ma vie personnelle autour de Chloe, si bien que lorsque notre histoire s'effondra, j'étais inapte à percevoir le moindre futur valable. Je n'étais pas sûr de pouvoir promettre à mon interlocutrice que j'allais parvenir à relever son défi tout de suite, mais je le gardais en mémoire, percevant bien qu'il était sensé et orchestré pour mon propre bien-être. En quelques sortes, elle me conseillait pour l'avenir, pour ma convalescence. Et puis, qui sait, un saut en parachute semblait aussi une bonne chose à expérimenter au moins une fois dans sa vie. « Droit au but, comme toujours, » commentais-je la franchise de mon amie, un sourire aux lèvres en prenant une nouvelle gorgée de ma boisson. J'avais pensé en premier lieu à une action totalement déjantée, mais maintenant que Noa avait parlé, je préférais la voie franche qu'elle avait empruntée. « Je veux que si t'as des problèmes, tu m'en parles pour au moins pouvoir t'en libérer un peu à quelqu'un et me donner la possibilité de t'aider. Je t'ai caché beaucoup de trucs en pensant que j'allais te faire du mal et t'inquiéter pour rien en te les révélant, et de toute évidence, ça a pas été le choix du siècle. Je sais qu'on est différent, mais je veux pas que tu fasses comme moi, à garder les problèmes pour toi et te ronger les sangs dans ton coin quand je peux être là pour t'aider. Et c'est valable en tout temps ! » Parce que même si je n'étais pas au sommet de ma forme, même si j'avais du mal à me projeter dans l'avenir, je n'aurais absolument aucun mal à mettre mes états d'âme de côté pour ma meilleure amie. Parfois, l'on pense que l'on protège ses proches en leur cachant des choses, mais souvent, l'on ne fait qu'empirer les circonstances et amplifier le problème initial.

Afin de ne pas s'éterniser dans une conversation beaucoup trop sérieuse pour les ambitions premières de cette virée au casino, j'attirais l'attention de la trentenaire sur les autres jeux, usant narquoisement de son intuition féminine. La brune balaya l'immense pièce du regard avant d'opter pour les diverses machines à sous. Je suivais Noa vers le bureau où nous devions de nouveau échanger de l'argent contre des jetons argentés et me plaçais à côté de sa machine. Je ris lorsqu'elle m'avoua ne jamais avoir totalement compris le fonctionnement de ces machines et plaisantais : « Et dire que je comptais sur toi pour faire de moi un roi des casinos ! » Je posais mon regard sur la machine qui me faisait face. Elles étaient célèbres et devaient exister depuis des décennies. J'en avais même vu des répliques sous forme de jouets pour les enfants. De plus, un des bars de la petite ville d'où je venais en détenait quelques uns, qui étaient d'ailleurs souvent occupés par les mêmes clients qui m'avaient tout le temps parus accrocs à ces jeux d'argent. « La seule connaissance que j'en ai, c'est de tirer sur le levier et espérer que les mêmes symboles s'affichent. » Je glissais un jeton dans la fente de la machine devant moi et mettais mes conjectures en action. Les différents rubans se mirent à tourner à vive allure avant de s'arrêter, dans un certain suspens, un à un. Trois cerises s'alignèrent, une petite clochette retentit à trois reprises et le même montant que j'avais mis pour jouer ce tour sortit de la machine. Une partie qui ne valait rien en soi, mais j'obtenais quand même la satisfaction d'avoir vaincu la machine, non ? « Ton intuition féminine a senti quelque chose ! Maintenant, booste-la un peu pour que l'on gagne vraiment plus que la somme qu'on a mise en jeu ! » Je souris à Noa, mon côté moqueur en plein essor.

« Ok, assez longtemps pour se lasser de cette nouvelle destination et vouloir rentrer chez nous ! »  Je souris à cette remarque mais si vraiment il fallait partir assez longtemps pour se lasser d'une destination, il ne fallait pas compter sur moi pour ne partir qu'une semaine. J'avais tendance, quand je partais en vacances dans un pays inconnu, à vouloir explorer les moindres secrets de ces destinations. Que ce soit les endroits très touristiques, attirants une foule monstre qui pourrait faire peur à n'importe qui, ou même les endroits plus insolites, plus discrets, les petits coins de paradis que seuls les locaux s'offraient. J'aimais rencontrer les habitants, partager leurs coutumes et à force de rencontre, de discutions et d'échanges divers, je finissais toujours par avoir un petit tuyau sympa. Alors en effet, pour découvrir tout ça et finir par se lasser... une semaine était loin d'être suffisant. «dans ce cas, prépare tes valises pour trois mois!»  et encore.
Je lui lançais ensuite son défi, son regard en disait long sur la difficulté de ce défi d'ailleurs. Difficile de changer quelqu'un et sa nature, mais avec un peu d'exercice, peut être réussira-t-il à prendre de la hauteur et du recule sur tout ca. C'est tout ce que j'espérais. Je n'avais pas envie de faire de lui quelqu'un de différent, quelqu'un de froid et distant, loin de là. Juste le préserver, un tout petit peu, l'espace de quelques temps. Car j'ai bien conscience que tôt ou tard, le naturel reviendra au galop. A son tour à présent de me dire ce qu'il attendait de moi. « Je veux que si t'as des problèmes, tu m'en parles pour au moins pouvoir t'en libérer un peu à quelqu'un et me donner la possibilité de t'aider. Je t'ai caché beaucoup de trucs en pensant que j'allais te faire du mal et t'inquiéter pour rien en te les révélant, et de toute évidence, ça a pas été le choix du siècle. Je sais qu'on est différent, mais je veux pas que tu fasses comme moi, à garder les problèmes pour toi et te ronger les sangs dans ton coin quand je peux être là pour t'aider. Et c'est valable en tout temps ! » je tentais tant bien que mal de cacher ce qui me perturbais ces derniers temps, les raisons qui me poussaient à vouloir me changer les esprits. Il était facile de lui dire que si nous étions là c'était avant tout pour lui, pour qu'il puisse le temps d'une soirée ne pus penser à ces soucis. Mais tout ça, c'était aussi pour moi. Une sorte de thérapie en duo, quoi de mieux finalement? Je pris une petite inspiration. « promis! mais pas ce soir, ok?! » lui demandais-je tel un service. Il était sans doute inutile de lui cacher quoi que ce soit, puisque comme je pouvais le faire envers lui, il lisait aussi en moi comme dans un livre ouvert. « On est pas là pour pleurer hein? » dis-je en forçant un peu le trait.

Installés devant notre machine, Isaac se lança alors en m'expliquant bien que pour gagner, il fallait aligner les mêmes symboles. « Jusque là, je crois que j'avais suivi. » dis-je en riant. Mais c'est vrai que cette machine là n'était pas bien compliquée. Celle par contre, juste à notre droite était remplies de boutons, environ 5 lignes de dessins et le double de colonnes. Des lignes colorés apparaissaient au fur et à mesure que la dame appuyait sur les boutons. Je n'y comprenais rien mais tant pis, je me concentrais sur la notre. Isaac inséra sa pièce et actionna le levier. C'était partie... les symboles défilent à une vitesse folle et la première colonne s'arrête... suivi de la deuxième... puis trois cerises! J'avais l'impression d'avoir gagner le gros lot! « Ton intuition féminine a senti quelque chose ! Maintenant, booste-la un peu pour que l'on gagne vraiment plus que la somme qu'on a mise en jeu ! » je sautillais même si j'avais compris finalement que la somme gagnée n'était pas énorme! « C'est un bon début! à mon tour... » jeton inséré... levier baissé. « Voyons voir... » puis finalement rien. je fis la moue, sur ma chaise. « le mieux c'est peut être de dilapider tout notre argent dans des cocktails non? » lui dis-je en plaisantant. Bon, il nous restait l'équivalent de 18 dollars en jeton. "Aller on finis ca d'abord." Je retente mon tour et toujours rien. " a toi, t'as visiblement plus de chance que moi!"

N'oublie pas que t'as toujours en banque quelques jours de chance et un peu d'espérance.

Il était ainsi décrété que si l'un de nous remportait ce soir le gros lot, ce dernier serait employé à la réalisation d'un voyage en contrée inconnue. Lorsque Noa m'indiquait qu'il fallait au moins trois mois d'expédition pour réellement découvrir un nouveau territoire, je hochais la tête, conciliant. Après tout, je n'avais jamais voyagé hors de l'Australie, qu'en savais-je des aventures internationales ? Il me semblait raisonnable de me fier à l'expérience de ma meilleure amie. « Ça marche. Une escapade au moins trimestrielle ! »

Joueur, je suggérais à mon interlocutrice que nous nous lançâmes des défis. Promptement, la Jacobs su viser en plein dans le mille, me priant de prendre du temps pour moi afin de cesser de me consacrer entièrement et toujours aux autres. C'était plutôt ardu de changer ce comportement qui était naturel chez ma personne, néanmoins, je reconnaissais que bien qu'il puisse sembler admirable, il était aussi très dangereux. La preuve étant qu'il m'avait conduit à un geste impardonnable. Quitte à apprendre de mes erreurs, je désirais en faire part à l'une des personnes qui m'était les plus chères. Sincère, je sollicitais la trentenaire pour qu'elle me confie les importantes problématiques de sa vie, même lorsque celles-ci semblent trop lourdes pour être partagées. J'avais voulu gérer seul mes démons, ce qui m'avait conduit vers une fatale défaite. Je ne souhaitais en aucun cas que ma meilleure amie connaisse ce même sort, bien que nous ayons tous les deux des manières bien différentes d'appréhender nos problèmes et contrariétés. Au moins, je désirais qu'elle ait conscience que peu importe ses tracas et leur gravité, je demeurais à son écoute. Je voulais qu'elle puisse s'en libérer un peu et l'aider dans la mesure de mon possible, sans jugement aucun. Un sourire à la fois satisfait et soulagé étira mes lèvres lorsqu'elle accepta ce gage et promit de le suivre à partir de demain. Je ris doucement lorsqu'elle argumenta que nous n'étions pas là pour pleurer, ce qui eut toutefois le don de faire naître en moi une pointe d'inquiétude. Y avait-il un malheur si imposant dans la vie de Noa qu'il susciterait des larmes ? « Marché conclu, » admis-je quoi qu'il en soit.

Installé devant les machines que je jugeais les plus populaires du domaine des casinos, j'expliquais mes faibles connaissances sur celles-ci à ma confidente. Je rejoins son rire lorsqu'elle m'informa qu'elle disposait aussi de ces informations et mettant en oeuvre mes paroles, je glissais un jeton dans la fente métallique qui recracha quelques pièces, une fois trois cerises affichées. Moqueur, je commentais l'intuition féminine de Noa ainsi que l'attisais un peu afin d'obtenir davantage de gains. Après tout, nous avions un voyage à planifier. Noa prit la relève, son jeton n'apportant néanmoins aucun avantage. J'eus un rictus lorsqu'elle proposa que l'on dilapide notre argent dans les cocktails plutôt que dans les jeux. Cette alternative me semblait plutôt judicieuse, au moins, il y aurait une notion de troc avec notre argent. « Ouais... » Je laissais Noa compter le restant de nos jetons. « C'est sûr que ce serait dommage de ne pas les utiliser. » J'eus un rire légèrement jaune lorsque Noa m'invita à tirer sur le levier, ayant eu plus de chance qu'elle jusqu'ici. « Heureux au jeu, c'est ça ? » L'humour, même noir, jouissait de facultés d'exutoire, paraît-il. Les symboles se relayèrent à vive allure, sans que des suites ne se dessinent. Je partageais les jetons restants et m'installais à la machine à côté de celle de Noa, de manière à ce que nous jouions tous les deux simultanément. « Rio dreams, ça me semble pas mal, » commentais-je avec humour le thème de la machine. Je doutais que beaucoup d'hommes s'en approchaient vu toute la féminité autour de sa décoration. La machine en elle-même était dans les tons de rose ou violet pétants, comblée d'étoiles et paillettes et dotée d'une femme à la poitrine généreuse habillée comme les danseuses du carnaval de Rio. Je mettais tous mes jetons en jeu et enclenchais le tourniquet des symboles, réalisant que ceux-ci ne se ressemblaient quasiment jamais. Il y avait des robes, des lettres, des instruments de musique, des chiffres, et tout cela en différentes couleurs. « Je suis complètement largué, » avouais-je à Noa en observant le spectacle de lueurs  frisant l'épileptique se déroulant devant mes yeux. Puis, lorsque des suites de symboles similaires apparurent, la même femme représentant les Rio Dreams apparut, se dandinant sous la musique de l'hymne nation australien, quelques feux d'artifice éclatant autour d'elle. Je ne pus m'empêcher d'éclater de rire : « Regarde Noa ! » Je levais les yeux sur quelques joueurs aux alentours qui me fixaient de manière incrédule et attendais patiemment que la danse de Rio se termine pour continuer d'écouler mon stock de jetons. Après cinq minutes de danse haute-en-couleurs, je relançais le bal des symboles. La danseuse apparut une nouvelle fois, bien que plus brièvement, puis un nouveau concert débuta lors du lancé acheté par mon dernier jeton. C'était reparti pour l'hymne national australien et des feux d'artifice. « Oh lala, » Je posais une main une poignée de secondes sur mon front, détenant un peu l'impression de me payer l'affiche. Puis, je me concentrais sur la musique, le regard d'Autrui n'étant de toute façon pas important : « Our land abounds in nature's gifts of beauty rich and rare. » chantonnais-je avec la machine. « Tu crois que je gagne un truc quand ça fait ça ? » J'éclatais de rire et repris place sur mon siège le temps de mascarade de Rio. Une fois celle-ci à son terme, l'écran de la machine vira au noir, un message en lettres majuscules blanches s'affichant, priant le client d'appeler un préposé. « Si ça se trouve j'ai cassé la machine, » redoutais-je.

Une escapade trimestrielle, au moins, ce que ca pouvait me faire rêver. Ca faisait maintenant bien trop longtemps que je n’étais pas monté dans un avion en direction d’une destination exotique. Malgré mon amour inconditionnel pour l’Australie, pays que pour rien au monde je ne quitterai définitivement, il était bien temps pour moi de le quitter quelques temps. Ne serait-ce qu’une semaine à vrai dire. Puisque mon budget actuel ne me permettait sans doute rien de plus. Alors trois mois… le pied. Mais il s’agissait là d’un rêve, l’utopie à son apogée. Enfin, peut être que la chance d’Isaac allait nous conduire tout droit à l’aéroport, sautant dans le premier avion en direction d’un pays inconnu.
Nous voilà bien déterminé à dilapidé ces jetons en notre possession. Une poigné de pièce en argent qui nous donnerait peut être ces billets tant convoités. « Heureux au jeu, c'est ça ? » Mon regard en disait long sur cet humour noir de la part de mon ami. Et finalement, s’il pouvait enfin rire de sa situation, n’était-ce là pas un bon signe ? Je l’espérais. Je le laissais actionner ce levier mais malheureusement, rien n’en sortait de bon. Ce n’était pas le jackpot. « Malheureux en jeu, du coup ! » Il avait alors encore toutes ses chances en amour ! Et pour ça, je ne m’en faisais pas. Il faudra laisser le temps au temps comme on dit, mais pour moi, Isaac avait le profil parfait du petit ami qu’on voulait toutes ! Mais je pense en savoir bien trop à son sujet, je laissais passer mon tour. Mais il y avait bien quelque part une nana qui lui correspondait aussi bien. Peut être bien cette brésilienne qui servait d’effigie à la machine qu’il avait choisi. Allons voir si elle allait lui rendre la pareille. J’étais encore concentré sur ma machine quand l’hymne Australie retenti, me sortant de ma bulle et me laissant assez… me laissant sans voix devant tant de grabuge. Toute la salle avait les yeux tournés vers Isaac et sa danseuse. « qu’est ce que c’est que ça ? » dis-je amusée. « tu m’étonnes que personne n’ai voulu s’installer ici. » les quelques connaisseurs devaient savoir que cette machine était avant tout une attraction, plus que pour réellement gagner quelques dollars. Pour autant, le spectacle semblait lui plaire puisqu’il vida son seau de pièce avec cette belle brune. La musique raisonna à nouveau. « c’est une grosse blague ! Si un jour on doit aller à Rio ensemble, promet moi de partir à la recherche de cette nana ! » et le voilà qu’il se mis à chanter à son tour, impossible pour moi de retenir mon rire. « Tu crois que je gagne un truc quand ça fait ça ? » Surement pas. « t’aurais déjà entendu une rafale de pièce jaillir de cette fente ! » et malheureusement, ce n’était pas le cas. Les lumières éblouissantes de la machine laissèrent place à un écran totalement noir, recommandant de faire appel à un personnel du casino. « Si ça se trouve j'ai cassé la machine, » Et si en plus il fallait payer pour les réparations, ce n’était vraiment pas l’endroit pour passer la soirée. Mauvais deal. Un homme s’approcha de nous sans rien dire, son uniforme et son badge sur son boléro confirmait qu’il travaillait bien ici. « Melissa a encore fait des siennes ! » il pianota sur l’appareil et un ticket sortie de la machine, les symboles multicolores réapparus aussitôt. « Ca c’est pour vous ! » dit-il en tenant le ticket en direction d’Isaac. Ma curiosité me fit pencher sur bout de papier et mes yeux s’écarquillèrent aussitôt. « Ca paiera pas trois mois de vacances mais avec ça, tu vas pouvoir te faire plaisir ! » j’étais comme une gamine toute excitée sur sa chaise. Isaac venait de gagner 500 dollars. « C’était peut être bien la danse de la joie ! » Il n'avait plus qu'à aller échanger ce morceau de papier contre de vrais billets tout frais!

N'oublie pas que t'as toujours en banque quelques jours de chance et un peu d'espérance.

Je me fixais sur l'ambition d'une escapade trimestrielle avec Noa, bien qu'il fallait l'avouer, entre le budget et les emplois du temps bien remplis de chacun, cela risquait d'être assez intéressant à programmer. Néanmoins, il paraissait que rien n'était impossible et à défaut de pouvoir concrétiser ce projet prochainement, je le conservais en mémoire.

L'intuition de ma meilleure amie nous conduisit vers les machines à sous, chacune aussi différente que la précédente, rejetant couleurs, artifices et mélodies électroniques. Certains joueurs s'exclamaient en percevant des pièces jaillir de l'engin leur faisant face, tandis que d'autres semblaient tantôt blasés, tantôt désespérés. Quand je pensais qu'il y avait sans doutes des individus présents dans ce casino qui souffraient d'une dépendance au jeu et dilapidaient sans merci l'argent sensé les aider à vivre, je ne pus m'empêcher d'avoir un rictus. Mais la soirée n'était pas à se lamenter sur le sort d'Autrui, surtout après que Noa m'ait fait promettre d'essayer de me recentrer sur ma propre personne, mon bien-être, plutôt que de me lancer à cœur perdu dans la résolution des problématiques subies par mon entourage. Je jouais de l'humour noir alors que mes tentatives de gain s'avèrent vaines et souris doucement à l'adresse de mon interlocutrice lorsqu'elle me renvoya la balle, remarquant que j'étais en réalité malheureux au jeu.

Je m'installais par la suite sur la machine à côté de la Jacobs. Rio dreams, à défaut de devenir riche, je pouvais toujours profiter de la jolie fille embellissant la carcasse métallique. Promptement, je constatais que je m'étais en réalité épris du jeu le plus bruyant des alentours mais au lieu de m'en embarrasser, je préférais prendre cette plausible honte du bon côté. Je ris devant l'étonnement de Noah qui commentait qu'elle n'était pas étonnée que personne n'ait désiré jouer avec cette véritable fanfare à pièces. L'australienne s'amusait du comportement de l'appareil et je chantonnais l'hymne national australien avec celui-ci, intensifiant le rire de ma meilleure amie. Puis, lorsque les symboles se mirent à virevolter, s'agiter, endiablés, je sollicitais la compréhension de la trentenaire, lui demandant si elle pensait que je gagnais quelque chose lorsque la machine s'enthousiasmait autant. « T’aurais déjà entendu une rafale de pièce jaillir de cette fente ! » Je ris doucement, hochant la tête, approbateur. « Ouais, t'as sans doute raison. » Avant que je ne puisse commenter davantage l'engin, un écran noir s'afficha sous mon regard désormais écarquillé. Je craignais avoir cassé la machine, ce dont je faisais part à Noa. Quelques minutes plus tard, un employé du casino nous rejoint, nous informant que "Melissa" faisait des siennes. « Melissa, ça lui va plutôt bien, » prononçais-je alors que le jeune homme me tendait un ticket annonçant que j'avais remporté la somme de 500 dollars australien. Je haussais les sourcils, aussi surpris qu'incrédule. « Ça paiera pas trois mois de vacances mais avec ça, tu vas pouvoir te faire plaisir ! » L'excitation de Noa fit naître un large sourire sur mes lippes. Je ris sincèrement lorsqu'elle me dit que nous avions peut-être eu le droit à une danse de la joie. « Peut-être ! » Je me plaçais à côté de Noa, appuyé sur sa machine. « Ça valait le coup d'attirer l'attention sur nous avec tout ce remue-ménage. » Ce n'était pas un jackpot, mais jamais n'avais-je gagné autant à un jeu de hasard. « Tu sais quoi ? Je vais le mettre de côté pour notre futur aventure. Il faut bien commencer quelque part après tout ? Et on l'a gagné ensemble, ce chèque ! Sans toi, je ne serais pas ici. » Et c'était vrai bien au-delà de cette simple soirée. Noa détenait une place importante dans ma vie et son amitié m'était plus que précieuse. Je n'imaginais pas mon existence sans la présence de la jeune femme que je considérais comme ma meilleure amie, les mots me semblant parfois même trop faibles tant j'étais proche d'elle. Après tout, en dépit de ma tentative de suicide, elle était celle à qui je me confiais et à qui je demandais conseil - bien que je ne les écoutais pas toujours -. Qui plus est, de tout l'Australie, je pense qu'elle était celle qui me connaissait le mieux, tant j'étais discret et réservé sur ma vie privée et mes sentiments avec les autres en règle générale. « On met les voiles maintenant qu'on est à sec ? » proposais-je. La nuit était désormais installée sur Brisbane et une chose était sûre, je me souviendrai longtemps de cette soirée atypique.