| jaminny + flower of the Universe |
| | (#)Mar 17 Avr 2018 - 11:40 | |
| | Flower of the Universe - They come to see the fire burning in your heart They want to witness, this love from the start | | |
La galerie n'était ni trop, ni pas assez. Le monde réuni n'était ni trop, ni pas assez. Et il y avait dans la scène, l'ambiance, cette espèce de justesse harmonieuse nécessaire comme base de ma venue, un rassurant entourage bienveillant, envers elle, envers l'inconnu que je suis pour la plupart. D'une certaine manière, tout me paraît propice, tout paraît à sa place, et même si cela ne tait pas la nervosité qui m’anime à l'idée de m'inviter, d'être invité ici malgré tout, je ne m’y sens pas moins à ma place qu'ailleurs et cela soulage un peu mes épaules. Ignorant les boissons et les encas, ignorant aussi à peu près tous ceux qui sont présents et dont le visage ne m’est pas familier, j'effectue un tour des salles. Le long des murs, de toile en toile, de croquis en expérimentation, j'observe, le sourire en coin, le travail d'une Ginny que je connais déjà presque par cœur. Je souris surtout parce que ce monde là, cette beauté là, s'ouvre finalement aux autres, atteint leur regard, les touche peut-être, s'inscrit dans leur mémoire. Ces crayonnages, peintures, pastels, aquarelles ; ces états d'âmes sur papier, toile, carton, bois ; tout cela n’est plus mon privilège, ni celui de qui que ce soit dans le carcan des proches de l'artiste. Je ne la vois pas encore, je ne la cherche pas, et je ne souhaite pas être vu pour le moment. Je laisse simplement mes pas me conduire dans la galerie, intéressé ici, amusé là, touché parfois et nostalgique de certaines œuvres dont j'ai vu naître le premier coup de pinceau, voire même l'idée, l'étincelle. Le brouhaha ambiant des discussions, des bouches pleines, des verres qui tintent, la présence des silhouettes, les limites même des murs, n’est pas beaucoup plus à mes yeux qu'un léger brouillard flou. Mon attention reste focalisé sur les toiles, jusqu'à la fin du parcours. Alors je me dis que la jeune femme avait raison, que notre carnage sur canevas aurait pu se faire une place ici, qu'il manque à ce tout bien pensé. Que j'ai été stupide, trop réfléchi, trop rancunier, trop craintif. Arrivé au livre d'or, grand ouvert sur des dizaines d'empreintes manuscrites, les doigts frôlant le stylo, je ne sais que dire qui ne soit ni trop, ni pas assez. Et je ne suis pas un homme de beaucoup de mots lorsqu'il s'agit d'exprimer une pensée aussi intérieure, personnelle, une émotion comme celle qui gonfle mon cœur et tord mon ventre tout à la fois. Finalement, mes doigts saisissent le stylo, et je me penche sur une page encore vierge pour y noter ;“ Highly proud. Jamie”. Je peux enfin me mettre en quête de la vedette du jour. Les mains dans les poches, je survole du regard la salle par dessus les têtes, frôle des yeux le sommet des crânes des groupes qui se font et se défont par vagues, à la recherche de la silhouette familière de Ginny, d'une couleur de cheveux reconnaissable, d'une voix, d'un rire sûrement, qui puisse me mener à elle. La discrète mais généralement remarquable jeune femme s'avère plus difficile à dénicher à son propre vernissage que je ne l'aurais cru, jusqu'à ce que j'en vienne à la conclusion que si nous ne sommes pas actuellement en train de nous tourner autour et nous échapper l'un l'autre perpétuellement, alors c'est qu'elle ne se trouve ni dans cette pièce de la galerie, ni dehors. Apparaît alors un rictus au coin de ma bouche, tandis que je tourne les talons afin de me rendre au fond de l'exposition, derrière le dernier mur à travers une porte dont le petit écriteau “réservé au personnel” ne saurait me convaincre de retourner d'où je viens. Si je ne suis pas venu pour rien, elle non plus, et je sais exactement où elle se cache, pourquoi elle se cache. Comme prévu, là je la trouve, trop loin de ce moment de gloire tant appréhendé, excitant, terrifiant, et si mérité pourtant. Je referme la porte derrière moi, le bruit du loquet résonne jusqu'à elle et annonce furtivement l’intrus dans la salle. Malgré notre dernière conversation, j'ai soudainement l'impression que c'était hier, la dernière fois que je quittais son atelier, le cœur à peine plus léger mais moins seul sur Terre. La voir m'inspire soudainement sympathie et affection. Le reste s'est envolé. “Tu fuis tes propres invités, ou tu te repoudres le nez ?” je demande avec un fin sourire, sachant, naturellement, qu'elle ne m’accuserait pas de m'imposer ni ne me demanderait de quitter les lieux. “Ma foi, c'est cosy ici, je comprendrais que tu veilles rester là.” j'ajoute, plaisanterie douce que je souligne en jetant un coup d'oeil aux lieux, rien de plus qu'une réserve un peu poussiéreuse. Néanmoins, ici, l'ordre inspire le calme, et le monde derrière la porte n’est plus qu'un chuchotement. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Jeu 19 Avr 2018 - 2:13 | |
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Le temps est une bien drôle de chose, une donnée particulièrement étrange que j’apprends encore à apprivoiser au mieux. Des mois d’avance où Dannie m’a proposé l’exposition, où j'ai finalisé les oeuvres dans l’atelier. L’impression d’avoir tout le temps du monde, d’être au ralenti, de pouvoir prendre mes aises sur le calendrier, tester de nouvelles idées, colorer à l’extérieur des lignes, laisser l’inspiration monter quand elle le voulait, ne pas la presser surtout. Peu importe le blocage que j’avais pour boucler certains des canevas que je voulais présenter, rien n’arrivait vraiment à me bloquer dans mes élans créatifs, à rendre le tout difficile, oppressant. Puis, l’équation et les délais s’étaient réduits. Les appels avaient commencé à se rapprocher, les mois devenant des semaines. Jusqu’ici, c’était une question d’adaptation, de lâcher prise. J’avais une bonne partie de l’exposition en tête, les workshops avec mes étudiants m’avaient aidé à mettre en lumière les oeuvres auxquelles je tenais, contre celles qui alourdissaient mon oeil. Ce n’était pas facile de choisir, sachant que sous mes yeux se retrouvaient tous mes bébés, tous ces croquis dans lesquels j’avais donné tout ce que j’avais. Une première exposition, et un pas, timide dans un monde que j’avais quitté presque 10 ans plus tôt, qui miroitait à nouveau à ma portée. Les semaines étaient devenues des jours, si futiles, si peu nombreux que l’angoisse là, avait pris en ampleur. Ma silhouette qui fuyait le monde extérieur, mes mots qui se perdaient plus qu’à l’habitude. Les remises en question en pleine nuit, les insomnies que je ne compte plus, les textos envoyés à l’aide à Tad pour qu’il me raconte ses pires histoires à la morgue le temps que je me change les idées et pour de bon. Ça avait fonctionné, un temps. Jusqu’à ce qu’un simple coup d’oeil au calendrier scolaire de Noah me rappelle que la soirée d'ouverture à la galerie était le lendemain. Et là, le temps qui d’abord avait été au ralenti, véritable tortue, et qui ensuite était passé en vitesse effrénée, était venu complètement s’immobiliser. Arrêt sur image, blocking total. Mes pas qui claquent sur le parquet vernis de la salle qu’on m’a dédiée. Les poignées de mains officielles, les dernières présentations, l'installation des toiles que je supervisais d’un oeil distrait. Le cocktail privé que Dannie avait organisé quelques heures avant la soirée avec le personnel, les différents investisseurs principaux, d’autres artistes qu’elle exposait également. Les présentations bafouées, que j’avais fini par peaufiner en restant au plus simple, en répétant mon nom, une phrase ou deux sur mon style, mes inspirations, à qui voulait bien l’entendre. Le pilote automatique qui avait tenu bon entre l’ouverture des portes et l’arrivée de bon nombre d’inconnus, de visages familiers à travers. Bien sûr, les initiés savaient lire en moi comme dans un livre ouvert et avaient de suite remarqué l’air absent que j’arborais, le sourire plastique que j’avais maîtrisé du temps de Londres. Mais pour les autres, le masque semblait passer crème. Un peu trop, et c’est bien ça qui m’alarme, alors que je m’attendais à être mise à l’écart assez vite, insipide petite artiste des bacs à sable qui n’avait rien de bien différent de qui que ce soit d’autre, si ce n’est en pire. Étonnant, donc, qu’on vienne me murmurer à l’oreille qu’un acheteur potentiel souhaite me parler. J'avais en tête que lorsqu'on viendrait me trouver, ce serait plutôt pour m'annoncer que le tout était un flop monumental. Et l’instant d’après, je me retrouve dans ce qui semble être un placard, un vestiaire, un débarras, qu’en sais-je. J’ignore le chemin que j’ai pris, l’excuse que j’ai trouvée pour me libérer. J’ignore même j’y suis depuis combien de temps, lorsque le loquet de la porte me force à lever le regard tout au-dessus, maintenant que je suis recroquevillée au sol, pensive, entre les cartons et autres amas d’objets non identifiés par manque d’intérêt. La voix de Jamie l’annonce avant même que je ne vois son visage, et de suite, je sais qu’il n’est pas là pour un round two bien amer, ou du moins, je l’espère de tout coeur. J’en ai pas la force, là. « Un peu des deux? » que je tente, j’hésite, sachant très bien qu’il me fournit là des excuses bidon qui feront un temps avant que la vérité ne sorte au grand jour. « En plus, le wifi ne s’attrape même pas ici, du coup c’est l’idéal pour se couper du monde. » et il est jaune, le rire qui glisse de mes lèvres, qui annonce mes couleurs, à savoir que je cherchais clairement à fuir quelque chose, à me planquer le temps que ça passe, le temps que je réalise ce qui arrive, que je l’assume un peu mieux. Il s’approche, il ne s’impose pas mais attend ne serait-ce qu’une réponse un peu plus honnête, un peu plus valable. Ce qui ne tarde pas à monter, maintenant que je me dis au final que de l’articuler m’aidera sûrement. « Pour tout te dire, je suis plutôt venue réfléchir dans mon coin. Ça fait moins louche que de fixer le fond du mur de la galerie pendant des heures. » Dieu sait que j’aurais très bien pu ne pas avoir la décence de penser à ce à quoi ça aurait eu l’air, en public, une Ginny la tête dans les nuages, le filet de bave au coin des lèvres, le regard de coton et la mine perdue dans les limbes. Au moins ici, dans la pénombre, c’est viable. « J’ai eu une offre d’achat pour l’une de mes toiles. » et voilà qu’elle sort, la bombe qui à mes yeux a l’air beaucoup plus grosse que ce que c’est en réalité. Je devrais célébrer, je devrais avoir une énième flûte de champagne entre les doigts, je devrais agiter les gros billets aux yeux de tous, planifier une façon complètement immature et enfantine de dépenser cet argent qui tombe de nulle part, sauf que. Sauf qu’il s’agit de ma première offre, à vie. Et que ça vient avec son lot de questionnements, de remises en question, de syndrome de l’imposteur. Jamie sait déjà que je n’ai jamais même pensé vendre la moindre de mes toiles. Qu’une simple exposition déjà me prenait toute l’énergie du monde, et que si en plus je devais mettre une valeur sur mon art, on en avait pour toute la nuit. « Le type veut savoir s’il peut négocier. Et si je ne reprends pas mes esprits, je suis persuadée que je vais le négocier à la baisse. » à nouveau, c’est un rire faiblard, incertain qui perce le silence, et un soupir qui l’accompagne. Elle est où, la Ginny qui papillonnait de groupe en groupe tout à l’heure? Celle avait la fierté de tatouée sur le visage d’avoir enfin réussi à réaliser son rêve? Et je secoue ma tête, et je me lève d’un bond, faussement déterminée, fake it 'til you make it. « Pardon, je… » j’ai pas à te bombarder de mes doutes, encore. J’ai pas à me confier à toi alors que justement, tu m’as déjà clairement dit que tu ne voulais pas entendre parler de mes questionnements, de mes craintes. Une longue inspiration plus tard, et on y croit presque, alors que je me poste devant lui, et sent un sourire un peu plus sain, un peu plus naturel orner mes lèvres. « T’es venu. » LOONYWALTZ
Dernière édition par Ginny McGrath le Ven 4 Mai 2018 - 8:46, édité 1 fois |
| | | | (#)Jeu 3 Mai 2018 - 14:33 | |
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Malgré toute ma sympathie retrouvée pour la jeune femme, m’asseoir à même le sol dans cet endroit est absolument hors de question. J'hésite un peu, d'ailleurs, lorsque je décide de m'appuyer le long d'un mur, les mains dans les poches, un brin nonchalant -et inquiet pour l'état de la manche de ma veste après coup. Et si je ne suis pas ici pour une nouvelle joute verbale amère, à voir le léger sourire que j'adresse à Ginny, elle ne devrait guère tarder à comprendre que je compte la traîner hors de ce débarras où elle n’a strictement rien à faire, encore moins par terre, sans trop attendre. Qu'elle ne gâche pas son moment de gloire en se cachant dans un coin, en attendant qu'il se passe sans elle, car elle le regretterait bien trop, bien assez tôt. C'est ce que font les amis, dit-on ; ils se tirent vers le haut. Je ne m'encombre de rien de plus qu'un regard lourd de sens et de bienveillance qui pousse la brune à abandonner sa coquille, évacuer son angoisse et m'en dire plus à propos de ce qui la provoque. Un besoin de s'isoler pour réfléchir plutôt que d'afficher la panique transcendante qui la paralyse à tous ses invités. Un mouvement de sourcil, un battement de paupières, creuse un peu plus, demande qu'elle explicite, jusqu'à ce qu'elle m'avoue avoir eu une offre d'achat pour l'une de ses œuvres. Ce qui est une bonne chose, meilleure que ce que Ginny ne fait paraître, et moi non plus, derrière cette face stoïque. Mes bras se croisent en un “really ?” intraitable à l'idée que l'on veuille négocier son travail et qu'elle puisse se laisser faire. Not on my watch. Alors j'ai une idée très claire de ce qu'il me reste à faire. La bouche toujours scellée, j'observe la jeune femme qui se reprend au moins assez pour se remettre sur ses deux jambes. Mon rictus devient un sourire qui s'élargit en un petit rire, quoi qu'il n’y ait rien de spécifiquement amusant, si ce n’est que je ne sais pas trop moi-même pourquoi je suis venu, pourquoi je fais comme si de rien n'était, et pourtant, pourquoi cela ne semble étonner qu'elle. “On dirait bien que je n'avais pas mieux à faire.” je réponds en haussant les épaules. Mais je pourrais être ailleurs. Si l'envie du jour était de mettre le nez dehors, il y avait une foule d'options. Ou je pourrais être chez moi avec femme et enfant à profiter de ce que la vie prodigue de mieux. Néanmoins, je suis là. “Je n’ai pas pu m'empêcher de remarquer qu'il manquait cruellement une œuvre et que j'avais été un parfait abruti.” J'imagine que cela ressemble à ce que Ginny aura de plus approchant à des excuses, une volonté d'enterrer la hache de guerre. Même si faire le tour de la galerie n’a pas suffi à me faire changer d'avis à ce sujet. “Tu devrais te réjouir, à propos de l'acheteur, je reprends, puisque je ne suis pas devant elle pour faire la sourde oreille face à ce qui la tiraille. Tu n’as pas fait tout ça pour rien. Ou aurais-tu préféré que cette expo soit un échec cuisant ?” Nous savons tous les deux que non. Accepter de montrer ses toiles a été une première difficulté, puis elle a travaillé dur pour être à la hauteur de la confiance placée en elle. Cette opportunité n’est qu'une preuve de sa réussite. Une réussite qui ne sera totale qu'à condition de ne pas se laisser démonter. “Combien tu en veux, pour le tableau en question ?” je demande, aussi sérieux qu'à chaque fois qu'il est question de parler affaires. “Et je ne te demande pas combien tu crois mériter, n’oses pas me sortir le moindre commentaire dépréciatif pour ne pas assumer tes ambitions, tu sais que je déteste autant la perte de temps que le gâchis de salive. Je te parle du prix objectif que vaut ton investissement dans cette toile en tant qu'une véritable artiste crédible qui se respecte.” Aucune pudeur ne sera tolérée ; j'ai vu dans ma vie des nombres alignant plus de chiffres que ce que la décence ne devrait permettre, ce ne sont pas une poignée de dollars qui me feront sourciller et juger les prétentions de Ginny qui, de toute manière, se montrera sûrement trop modeste. Mon index pointant sa clavicule la pousse un brin comme pour la secouer. Seigneur, elle est molle et moite comme du pudding. “Parce que toi et moi, nous allons voir cet acheteur, et nous allons avoir ton prix. Pas un centime de moins.” LOONYWALTZ |
| | | | (#)Jeu 3 Mai 2018 - 17:28 | |
| C’est Hassan qui lui avait parlé de l’exposition, en soulignant qu’elle aurait tort de ne pas y faire un tour et que sa présence, vu qu’elle n’a pas les moyens ou la sensibilité nécessaire pour faire l’acquisition d’une œuvre, aurait au moins le mérite de soutenir une artiste locale dans ses entreprises. Et bon, c’est le genre d’argument auquel elle est plutôt réceptive parce que se soutenir les uns les autres, même si ça passe par un passage dans une galerie dans le but d’augmenter le nombre de visiteur, c’est toujours mieux que de passer à côté sans même prendre le peine d’entrer. Evidemment, très peu réceptive à l’art quand celui-ci n’est pas culinaire, elle se sent comme un poisson en dehors de son bocal à déambuler à travers les œuvres sans trouver une seule chose à dire, ou même à observer. Non pas que le travail soit mauvais, mais elle ne sait juste pas et dès qu’elle passe quelque part, derrière d’autres personnes et qu’elle entend des remarques, elle se sent encore plus isolée qu’au moment où elle a franchi la porte. Elle regrette de ne pas avoir pensé à demander à Hassan s’il voudrait se joindre à elle, au moins parce qu’elle ne serait pas seule, qu’il aurait quelque chose à lui apprendre et aussi parce que c’est lui qui lui a parlé de tout ça donc, ça aurait été logique qu’il l’accompagne. Mais bon, elle essaie de ne pas être de trop mauvaise foi et à vrai dire, rien ne la retient vraiment ici. A force de marcher sans même s’arrêter devant un seul tableau, elle commence à se dire que ça se voit vraiment qu’elle est là en touriste total et qu’elle ferait mieux de partir. Elle décide d’en profiter tout de même pour se rafraîchir et n’ayant pas surveillé les lieux, elle ignore où sont les toilettes. C’est devant un couple qui semble en désaccord qu’elle s’arrête, qu’elle ose le dérangement, interrompant visiblement quelque chose et arborant un sourire maladroit pour ne pas être trop foudroyée du regard. « Excuse-moi, je cherche la salle de bain. » Ouais, salle de bain. Parce quand dans sa vision des choses, le monde de l’Art, c’est beaucoup de bourgeois qui rougirait si elle prononçait le mot toilette. Un index est rapidement pointé en direction de l’endroit, qui n’était pas si évident que ça quand même. Un « Merci » avec un grand sourire est rendu en guise de gratitude avant qu’elle ne s’envole pour de bon vers d’autres horizon.
- Spoiler:
COUCOU
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| | | | (#)Dim 6 Mai 2018 - 22:21 | |
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La pénombre caresse sa joue, mon regard brille à travers. Jamie qui n’était plus de ma vie depuis une bonne poignée de semaines maintenant. Jamie qui, la dernière fois où je l’avais vu, avait rendu les choses très claires, limpides entre nous. Pourtant, c’est différent là de suite, c’est doux, c’est caché, c’est suffisant. Il est là et il comprend, il est là et il ne bouge pas, il est là, et je n’ai pas besoin de plus. Certains, et lui le premier, diraient que j’étais trop naïve, que je faisais trop confiance, trop vite, trop facilement. Qu’on pouvait me traîner dans la boue sans que je dise quoique ce soit, qu’une attaque faite à mon égard s’en retrouvait trop vite pardonnée. Et même si je prenais plus que la majorité des parts sur la situation entre le Keynes et moi, et même si je savais que j’étais la cause principale de la débandade entre lui, entre moi, entre Saul au théâtre, loin de moi était l’idée de lui tourner le dos quand il faisait un pas timide dans ma direction. Ce qui a été fait est fait, ce qui a été dit l’est tout autant, et je préfère l’avoir comme allié envers et contre tout maintenant que quoique ce soit d’autre. Les yeux qui s’accrochent aux siens et je finis par me lever, par tenter de reprendre contenance, et d’éviter de retomber dans un flot de pensées incessant qui déclenchera fortement une respiration un peu trop haletante pour ce dont mon petit coeur est capable sur l’instant. « Tu m’en vois flattée. » son ironie, le sourcil qu’il hausse, et mon rire qui lui répond. Parce qu’il n’a pas besoin de s’excuser, parce qu’on est deux là-dedans, et parce que je ne lui en tiendrai jamais rigueur. Aucune envie de ressasser à mal, aucune intention de lui reprocher quoi que ce soit si ce n’est de ne pas m’avoir trouvée dans mon placard plus tôt - ou de m’avoir empêché d’y fuir au préalable. « Nah, elle est bien là où elle est maintenant. Et puis, ça laisse la chance à de nouveaux tableaux du même genre. » j’avais bien compris que Jamie ne voulait absolument pas être exposé, et ça m’allait amplement de ne pas forcer la chose. Qu’il le mentionne là ouvre bien sûr la porte à de nouvelles négociations un jour, lorsque j’aurai repris des forces, lorsque j’aurai du nerf, lorsque j’aurai l’idée, l’inspiration, et qu’il voudra y plonger tête première, et je me jure qu’un jour, on vivra ça à deux - mais pour le moment, j’ai l’esprit qui se triture à propos d’un seul et unique tableau. Autant ne pas abuser en y ajoutant une nouvelle collection à créer en plus. « L’échec cuisant aurait au moins pu être essuyé par quelques frites, des cookies au chocolat. Là, j’ai l’estomac noué pour des jours. » et il se moque l’anglais, il me pousse dans mes retranchements aussi lorsqu’il me demande franchement si je préférais que tout ceci ne soit qu’un flop total. Ce à quoi, bien lâchement, je m’attendais. Conditionnée depuis toujours à ne jamais vraiment voir la valeur dans peu importe ce que je faisais, j’avais gardé mes attentes très, très, très basses face à ce soir, me permettant ainsi de garder la tête froide en croyant humblement que la galerie ne serait pas aussi pleine qu’elle l’est, et surtout, qu’aucun acheteur n’aurait vraiment cru en la crédibilité de mes oeuvres. Et je m’étouffe dans ma réponse, maintenant qu’il ne semble pas acheter mon sarcasme, qu’il doit bien retenir un roulement d’yeux ou deux devant l’air pitoyable que j'affiche. La surprise, la sortie de zone, le malaise et encore un peu trop de doutes qui suffisent à ce que je tente une réponse, ne sachant pas trop par où commencer. « Jamie, je... » par chance, je n’ai pas à faire à nouveau une bien faible interlocutrice alors que le loquet du placard s’ouvre à nouveau, que la porte craque, que je sursaute au passage. Une tête blonde qui s’immisce dans notre soirée, un visage que je crois connaître mais que je n’arrive pas à replacer si vite, et l’indication automatique que je lance à la dérobée avant qu’elle ne file de suite. « Au fond, à gauche, juste avant la grande porte de verre. » c’est que j’avais envisagé d’aller me cacher à la salle de bain avant de dériver ici, mais l’idée d’être prise sur le fait, l’idée d’être trop facilement repérée m’avait arrêté dans l’élan. Une minute et le regard de Jamie est toujours sur moi, dans l’attente, ayant bien mentionné qu’il ne voulait absolument rien savoir de mon discours molasse, de mes remises en question, de ma dévaluation. Et je tente fort de lui faire honneur, lorsque mes neurones passent en vitesse supérieure, compilent les factures, les coûts, le temps, les données, esprit linéaire, mathématiques que je me force en situation de crise ; ou presque. « Le cadre a coûté 350$, c’est un vintage. L’huile, le canevas, les pinceaux, la gratte, tout le matériel tourne autour de 200$ à chaque fois. » ma voix est monotone, un peu trop sérieuse, concentrée. Mais s’il veut vraiment m’aider, s’il tient vraiment à le faire, c’est que je dois me secouer, c’est que je dois reprendre mes esprits, c’est que je dois assumer aussi. C’est ton rêve depuis gamine, Ginny, de devenir artiste, d’être peintre. Et maintenant, tu as trop peur pour faire un pas supplémentaire? Oui, bien sûr, Jamie est ma béquille aujourd’hui, mais au moins, il me pointe la bonne direction. « Professeur Wyler suggérait de lancer les enchères à 50$ l’heure de travail, si je me souviens bien. Ça fait du sens? » si seulement il était présent aujourd’hui, Aaron. Si seulement il voyait que malgré tout, j’étais là, j’étais bien là, à faire mes débuts timides dans le milieu. Et j’inspire, et j’invite Jamie à me suivre, et je laisse le brainstorm monter, les prix se confirmer, les calculs se faire. C’est lorsque nous arrivons en retrait de la salle où mes oeuvres sont accrochées aux murs que je finis par tourner la tête dans la direction du Keynes, forçant un sourire sur mes lèvres pincées, ignorant mon coeur qui bat la chamade d’avoir repéré plus loin le fameux acheteur potentiel. « Sinon, il pourrait me payer strictement en figurines Nintendo aussi, ce serait... » et je rigole, avant de ravaler mon éclat d’un coup sec devant Jamie qui, j’anticipe, s’attend à ce que j’arrête mes conneries et que je prenne la situation en main. De ce fait, je ravale, allonge le dos, ouvre les épaules, hoche de la tête avec ferveur. « Pardon. Poker face, i got it. » et une seconde plus tard, j’engage le mouvement vers la salle. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Mer 23 Mai 2018 - 13:16 | |
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À la place de Ginny, peut-être que moi aussi je serais assis par terre à me laisser posséder par un vent de panique. La peinture à toujours été une corde sensible. L'appréciation de son propre talent se situant souvent trop au dessus ou en dessous de la réalité, difficile de savoir ce que l'on vaut véritablement, et l’un dans l’autre nous cherchons à nous rassurer quitte à parfois s’éloigner de la réalité. Il y aura toujours les uns pour trouver de l'intérêt dans le pire, et les autres qui prendront plaisir à laminer le meilleur de ce qu'un artiste ait pu fournir de lui-même. Se lancer dedans revenait à miser à la roulette d'un casino et croiser les doigts. Cependant, la chance a souri à la jeune femme, et ce que je comprends, c'est que mon job, à cet instant, est de lui faire vendre cette toile et gagner en confiance en elle avant que l'opportunité ne lui passe sous le nez -car elle passera, si elle reste là. Je comprends la nervosité et l’excitation tous à la fois qui donnent la nausée lorsque l'on s'apprête à sauter vers l'avant de cette manière. Je ne me montre pas attendri pour autant par les insécurités de la brune, cela ne serait pas lui rendre service. “Tu m'étonnes, vu la médiocrité du champagne.” j’ironise, je taquine, l'air bourgeois qui esquive avec souplesse et balaye ce qui doit l'être. Bien que la question soit abrupte et qu'elle ne laisse place à aucun sentimentalisme, il est absolument nécessaire que Ginny me donne une première idée du prix auquel elle estime sa toile, avec bon espoir de l’augmenter facilement. Les années passées à traîner dans les pattes d'Edward Keynes chez Christie’s doivent bien avoir une utilité, et jusqu’à présent ces enseignements ne m’ont pas rendu médiocre en affaires. Sans commenter, j'approuve d'un signe de tête la valeur du cadre, du matériel, des heures de travail. A l’inconnue qui déboule et nous interrompt, visiblement aussi incapable que nous de respecter un simple panneau d’accès restreint au personnel de la zone, je n’accorde pas un mot et me contente d’un regard de bas en haut, le sourcil levé, avant que la porte ne se referme aussi vite qu’elle s’était ouverte. Sur ce, je me décolle du mur, époussette légèrement ma veste et invite Ginny à sortir de sa grotte. “Bien. Allons te dégoter un chèque à quatre chiffres.” Sa tentative de décompresser par une plaisanterie que je soupçonne de ne pas totalement en être une ne reçoit de ma part que cette expression de paternel désapprobateur forçant la jeune femme à se tenir à carreau ; fini de rire. Un crochet par la gérante de la galerie et nous sommes menés jusqu’à l’acheteur en question. La main que je lui tends me précède ; “Bonjour, Monsieur… ?” “Summers.” Et il me sert la main, courtois malgré la suspicion dans le coin de son oeil. “Jamie Keynes. Miss McGrath vient de m'informer que vous êtes intéressé par une oeuvre. C'est celle-ci ?” je demande en indiquant la toile devant laquelle il stationne comme un chien montant la garde. D’une certaine manière, cela sentait l’évidence. “Absolument. Vous travaillez pour la galerie ?” Est-ce que j’ai l’air de travailler dans une galerie ? Idiot. “Oh non, du tout. À vrai dire j'avais également jeté mon dévolu sur cette toile. Puisque je doute que la garde alternée soit une option, j'ai proposé à Ginny de me caler sur votre offre, mais elle n’avait pas encore de prix de votre part. Alors j'écoute. Faisons vite, je suis attendu.” Le sourire n’a pas duré longtemps. Le mensonge glissé là ne vise qu’à appliquer une forme de pression, un maintenant ou jamais qui tend à désactiver certaines pensées dont l’instinct de survie du compte en banque. C’est le principe d’une enchère, des soldes, et des voyants clignotants sur les sites marchands vous indiquant qu’il ne reste que deux exemplaires en stock de cet objet que vous ne vouliez pas tant que ça avant d’en craindre la rareté, voire la disparition du marché. “Je propose six cent.” Un léger rire est soufflé entre mes lèvres. “Ah, je suis soulagé. L'espace d'un instant j'ai cru m'adresser à un quelconque connaisseur.” Puis je me tourne vers Ginny, comme décrétant que l’autre homme n’a finalement pas d’intérêt. “Je vous signe neuf et n'en parlons plus, d'accord ?” “Je peux monter à mille.” Mes yeux roulent vers le pigeon avec insolence. Au moins, s’il comptait vraiment brader le talent de cette jeune femme intentionnellement, c’est peut-être qu’il a une idée de la valeur des choses. “Ecoutez, je n’ai vraiment pas que ça à faire. Vous avez trente secondes pour clôturer ce deal avec un vrai prix, ou le perdre. Parlez bien ou laissez tomber. Disons mille cent, dear, vous avez un stylo ?” Ma main plonge dans ma veste, à la recherche d’un chéquier qui n’existe pas. L’homme n’a pas l’air assez coriace pour ne pas se coucher à la prochaine surenchère. “Mille deux.” Je lâche un gros soupir, et un “fine” résigné. L’air vaincu, je me retire après avoir salué Ginny et Summers une dernière fois, disparaissant de leur vue le temps que la vente soit actée, patientant tranquillement avec une coupe de champagne médiocre goût victoire. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Lun 28 Mai 2018 - 4:30 | |
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Il semble savoir exactement quoi faire, quoi dire, comment procéder, alors que je ne réalise enfin que Jamie m’a guidée jusqu’à Dannie, pour finir notre course à la hauteur du potentiel acheteur. À peine essoufflée, un peu trop perdue dans ma tête pour servir à quoi que ce soit d’autre qu’à les observer, interdite, décelant dans chaque mot, chaque geste du Keynes son poise d’anglais qu’il laissait de côté chaque fois qu’on se retrouvait à l’atelier jadis. Et j’assiste, attentive, calculant tout ce qu’il dit comme arme nouvelle, anticipant le mouvement au mieux, décelant la lutte interne à laquelle se dédie le fameux Summers le temps que Jamie se donne à la perfection. Partie de ping pong verbal que mes rétines ne lâchent pas d’une seconde, piètre spectatrice qui réalise également que ça, c’est le monde dans lequel je viens de sauter à pieds joints, presque volontairement. Que je n’aurai pas toujours un Jamie à mes côtés pour assumer mon prix, pour en demander un peu plus. Que ce n’est pas tout, d’avoir un coup de pinceau conséquent, quelques idées guidées par l’inspiration du moment. Que si je veux vraiment faire de tout ça mon gagne-pain, que si j’y tiens autant que je m’en targue depuis des années, c’est là où jamais le moment d’arrêter d’agir à titre de témoin, de planche sans vie aucune, incapable de prendre position si ce n’est celle de la jeune artiste muette, stoïque, dans l’attente. Ma prise de conscience se solde par une remarque de Summers à mon intention, une fois le chèque signé, échangé, et l’anglais rusé reparti vers d’autres contrées le temps de nous laisser régler les derniers détails d’un cadeau inestimable qu’il vient de me faire. La première fois où je laisse qui que ce soit mettre une valeur sur mon travail, sur mon art, aussi humble soit-il. « Si j’avais su que les enchères étaient si agressives, je serais venu vous voir plus tôt. » et je ravale, et je retiens un soubresaut, soupir de surprise de trahir la mise en scène qui m’a permis de tenir entre mes doigts tremblants un premier pas vers la carrière que j’ai toujours voulue. « Dannie s’occupera de voir avec vous pour la livraison. » me semble tout à propos, maintenant que je ravale, relaxe mes épaules, allonge mon dos. Elle reprend contenance la petite, elle a le moindrement confiance en sa valeur maintenant qu’on y a mis un prix, et pas un timide. « Ma carte ; tenez-moi au courant de la prochaine exposition. » bien sûr, que mon regard souffle, que mon sourire posé lui répond, alors qu’à l’intérieur, c’est succession de feux d’artifices, de cris aigus et autres synonymes de danse de la victoire. Je cours, que dis-je, je vole vers Jamie une fois Summers hors de la galerie, ignorant même sans le vouloir un étudiant des workshops qui me fait signe à l’autre bout de la pièce. « Gosh. » à sa hauteur, je reconnais l’accent britannique développé durant mes années à Londres, celui que j’utilise parfois pour faire rire Noah, insistant trop sur les intonations pour que ce soit réaliste. M'enfin, il roule sur ma langue et avec lui entraîne un petit rire nerveux de soulagement. « Tu chargerais combien, si je te gardais toujours comme ça sous la main, à chaque fois qu’un potentiel acheteur apparaît? » et même si la question est rhétorique, posée à la blague parce que je ne l’imagine absolument pas se prostituer de la sorte pour mes beaux yeux. Parce qu’au final, c’est à moi de gérer le tout plus qu’à lui de se voir déléguer la fâcheuse tâche de prendre mon parti. Surtout dans l’état où les choses ont été laissées dernièrement. « Merci Jamie, je… merci, vraiment. » mon regard brille à son intention, mon sourire pourrait difficilement être plus grand, et c’est pleine de gratitude, incapable de dire plus pour lui montrer à quel point tout ça signifie énormément pour moi, que j’en reste au plus simple, au plus honnête. On passe à notre hauteur nous servir deux nouvelles coupes de champagne - j’ai totalement oublié où j’ai laissé traîner l’autre toujours pleine que je trimballe depuis mon arrivée ici. « Ça te rappelle pas Londres? » que je m’entends demander, une fois la première et timide gorgée de bulles ayant frôlé mes lèvres. Quand on complotait à deux, qu’on refaisait le monde. C’est ce souvenir de s’être trouvés dans la masse qui remonte, d’avoir laissé l’art parler pour nous, quand on ne nous demandait que des conventions, du trop hautain, des apparences à la place. Quand on se cachait dans la salle exhibant le plus de tableaux, et qu’on y restait de longues minutes simplement pour en faire notre oasis, notre bouffée d’air. « J’aurais pas vu ma soirée sans toi. » une confession qui n’en est pas vraiment une, puisqu’il sait déjà tout ça. Néanmoins, il me tardait d’avoir un petit moment pour le lui rappeler, maintenant que l'achat est derrière nous, et que je peux souffler un peu. « Et pas juste parce que tu viens d’aider une pauvre artiste de la relève à financer son rêve. » mon sourire est complice, j’accroche mes prunelles aux siennes pour la peine. « Mais parce que tout ça, c’est nous. » peu de gens dans mon entourage comprenaient vraiment ce que la peinture signifiait pour moi, ce qu’elle avait toujours pu résumer comme échappatoire, comme façon de tartiner mes émotions, mon ressenti, mes bonheurs, mes douleurs sur de grands canevas qui agissaient à titre de miroir le temps que je me vide le coeur et l’esprit. Peu de gens, sauf Jamie. « T’es le seul qui comprend ce que ça veut dire, pour moi. » un doux soupir, rien de trop larmoyant, juste assez soulageant pour secouer la tête, afficher à nouveau le sourire le plus naturel du monde, parce qu’il est honnête, parce qu’il est authentique. « C’est bon, l’instant émotion a le potentiel de te convaincre de te joindre à moi pour une exposition, un jour? » oups, la voilà qui tente à nouveau, et l’air malin que j’affiche sans la moindre honte. « Tu sais que je ne lâcherai jamais vraiment le morceau. » et un clin d'oeil, pour la forme. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Dim 10 Juin 2018 - 19:03 | |
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Le coup d’oeil curieux, bien caché, je surveille la transaction qui se finalise, le chèque bien signé, passé dans les mains de Ginny ; pas de nouvelle négociation à la baisse, pas de regrets, de rétractation. L’affaire est rondement menée est la peinture trouve en Summers un nouveau propriétaire. Mission accomplie, fêtée par une gorgée de champagne et un sourire satisfait. La jeune femme me retrouve sans mal parmi le reste des invités, les joues rosies par l’émotion, l’adrénaline, le regard encore un peu vitreux, attendrissante comme tout. Je dois avouer que ce cirque était divertissant et qu’il m’a plu d’y jouer mon rôle, car voilà longtemps que je n’ai pas eu l’occasion de montrer les dents en dehors du cadre du travail, de faire jongler des dollars comme on échange des bonbons dans la cour de récréation. Peut-être suis-je plus sage, ou plus las. « Bien trop cher, je réponds à l’artiste qui me propose, pour plaisanter, de m’engager comme négociateur à temps plein, lui adressant un clin d’oeil soulignant l’humour sérieux dont le ton assuré on pourrait parfois faire douter. Mais je ne préfère pas prendre le risque de toute manière, je pourrais me prendre à mon propre jeu et finir par acheter toutes tes toiles moi-même. » Et cela ne parait pas moins plausible que l’hallucinante facture que Ginny recevrait de ma part pour jouir de mes services, ce qui laisse, l’un dans l’autre, plutôt perplexe. J’hausse les épaules à ses remerciements, les balayant tout en les acceptant d’un rictus discret, un « pas de quoi » qui ne s’attarde pas ; la brune avait besoin de ce coup de pouce, j’ai fait ce que j’avais à faire en tant qu’ami en position d’aider, et je ne l’ai pas fait pour qu’elle m’en soit redevable outre mesure. Synchrones, nos coupes frôlent nos lèvres une fois la main de Ginny à nouveau pleine. Mon regard glisse sur le monde autour, ceux qui s’attardent sur les œuvres, ceux qui sont venus échanger, parler d’art ou de conjoncture ; forcément, le public est à l’image de toutes les facettes de l’artiste, celles de sa vie et de sa personnalité, de l’éclectisme et du contraste, tous les univers qui se retrouvent. C’est le signe d’un événement réussi, à mes yeux ; lorsque rien ni personne ne détonne, lorsque tous les invités, comme des notes de musique, trouvent leur place dans la partition, la mélodie des discussions qui montent dans l’air comme une harmonie qui nous contamine tout un chacun. De Londres, cela ne me rappelle que les moments où nous étions entre nous, avec nos allures de naufragés dans la marre de costumes et de cigares, et quand nos faisons passer les heures en nous échappant dans d’autres propos que ceux des financiers, avocats, politiques, ces belles gens terre à terre comme des boulets à leurs propres chevilles. « Un peu. En mieux. » j’acquiesce. Parce que je crois que nous avons tous les deux trouvé, à l’autre bout du monde, quelque chose qui nous convient mieux, un environnement qui nous ressemble, et nous y avons forgé nos propres conventions. Nous nous sommes entourés de ceux qui nous ressemblent, nous complètent. Nous avons repris nos vies en main pour en faire ce que nous rêvions. Tout ce dont nous parlions, au vieux continent, tout ce qui avait l’air impossible, trop rêveur et presque futile ; nous l’avions soupiré dans des rires sans convictions dans le passé, nous nous étions éloignés, et nous avons finalement trouvé nos voies, témoins l’un et l’autre d’aspirations enfin concrétisées bien des années plus tard. Et malgré tout ce qui nous sourit, je nous sens toujours un peu naufragés, comme s’il s’agit plus que d’une humeur liée à Londres, comme si cela nous suit partout où nous allons. « Well, si tout le monde comprenait, il n’y aurait plus vraiment d’intérêt à être un artiste. C’est tout le drame de la chose. » je réponds, esquivant le sentimentalisme dans lequel je pourrais facilement m’embourber alors que la pièce est bien trop remplie d’inconnus. Le regard se posant sur Ginny et son sourire léger, simple, je réponds d’un rictus complice qui lève un coin du flegme opaque dissimulant ma véritable envie de l’étreindre une minute pour lui dire qu’elle m’avait manqué. La jeune femme saute sur l’occasion, ma garde baissée après ses confidences pour remettre la proposition d’exposition à deux sur la table, et j’hausse un sourcil, amusé de constater que je ne suis pas seul tenace en négociation. « Je constate, oui. » Elle ne lâche pas, elle n’a pas oublié, et les récents heurts ne lui ont pas fait passer l’envie de me pousser à exposer à mon tour, nous deux, ensemble ; d’une certaine manière cela serait le seul moyen pour moi d’y adhérer, avoir son épaule, son soutien, sa capacité à comprendre et rassurer cette partie de moi timide, craintive et à fleur de peau. Je roule des yeux, soupire, parce que je la sens gagner du terrain, graver l’idée dans un coin de mon crâne comme on gratte ses initiales sur un arbre, la patience et la détermination face à des années de conviction. « Je dois y réfléchir. » dis-je. Je cède la main, je m’attends à ce qu’elle réclame le bras la prochaine fois pour le tirer dans sa direction, m’entraîner là-dedans, et je m’accrocherais sûrement à elle de mes dix doigts pour ne pas finir assis par terre dans un débarras du fond d’une galerie. « Je dois me remettre à peindre pour commencer, et ce n’est pas une mince affaire. » Mon dernier coup de pinceau remonte non loin de mon dernier passage à l’atelier de Ginny. Il m’aurait sûrement été particulièrement utile de coucher mes émotions sur une toile durant toute cette période, néanmoins je ne me suis pas offert cette échappatoire, cet exutoire. Les carnets de croquis prennent la poussière et le matériel s’est entassé dans une armoire. Je me dis que je n’ai pas le temps, et que je me trouve ainsi des excuses. Je me dis que je n’en ai plus besoin maintenant je que suis plus heureux, et qu’il y a pourtant des affaires enfouies, des différends internes qui méritent un moyen de faire la paix. Et qu’il n’y a jamais vraiment besoin d’un motif pour simplement faire du beau. « Si je n’y arrive pas et que tu te montres patiente, c’est à Daniel que tu pourras proposer une collaboration. Il a déjà les crayons dans les mains et beaucoup d’enthousiasme. » Vernissage pour 2035 en perspective. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Mar 12 Juin 2018 - 18:41 | |
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Et j’inspire profondément, tourne le regard, toute l’attention qu'il me reste vers Jamie maintenant que j’ai fait un pas, un grand saut même diront certains, vers ce qui un jour sera mon quotidien. C’est à la fois marrant et nostalgique, c’est un aller vers le passé qui fait du bien, enfin un, et c'est surtout la confirmation que le temps a tant filé, que les choses ont changé, mais que ce qui reste est encore plus important, plus vital qu’avant. Même si adolescente, j’avais baratiné la majorité de mon entourage au sujet de mes aspirations, mon envie, mon besoin de faire carrière dans l’art, Jamie était l’un des seuls si ce n’est le seul qui connaissait le revers de la médaille, la frousse, les craintes, les doutes, mes doutes. Lui-même avait assisté à cette remise en question que je lui avais imposée quelques mois plus tôt, débarquant chez lui à l’improviste pour venir chercher réconfort. Son mutisme ce jour-là avait été plus que révélateur, nécessaire. S’il m’avait dit ce que j’avais envie d’entendre, s’il avait été poli, s’il avait été bonasse, jamais je n'aurais été ici aujourd’hui. S’il avait pris des pincettes, tenté d’arrondir les coins, s’il n’avait pas mêlé ma trouille à tout le reste, mis le doigt sur ma frousse de gamine encore si peu assumée, jamais je n’aurais été assez solide pour y croire. Jamais je n’aurais eu cette impulsion de me prouver à moi-même que j’en étais capable. Jamais je ne tiendrais entre mes doigts la carte d’un acheteur intéressé à acheter plus, la tête qui déborde d’idées pour une prochaine exposition, et le coeur qui doucement reprend un rythme normal. « Bon point. Et puis, qu’est-ce qui se retrouverait sur nos toiles si on n’avait pas l’incompréhension du monde à porter sur nos épaules? » à ma demande rhétorique sur ce passé qu’on a en commun, ces cachettes et ces discussions sans fin, ces idéaux et ce besoin viscéral de trouver en l’autre de quoi rebondir, de quoi rêver, aspirer à mieux, il joue d’humour et de sarcasme plutôt que de lamentations. J’apprécie, comme mon visage en témoigne, un fin sourire qui orne mes lèvres. C’est là toute la beauté de la chose, de voir l’univers qui nous entoure en camaïeux de couleurs, palettes barbouillées qui se retrouvent livrées sur un canevas avec toute la puissance de nos émotions refoulées, libérées. Bien sûr, que je regrette ses passages à l’atelier. Bien sûr, que je ressasse ces moments où même dans le plus profond des silences, on jouait à mieux se connaître, à se découvrir, à se livrer du bout du pinceau. « J’apprends vite. » et elle est complice, l’expression qu’il verra prendre forme sur mon visage. S’il avait prouvé en une poignée de minutes son pouvoir de négociateur, je n’étais pas loin derrière dans la quête de le rejoindre et d’ainsi peaufiner mes techniques pour ne plus avoir besoin de personne le jour où je jouerai vraiment dans la cours des grands. D’entendre que Jamie a mis la peinture en berne arrête mon élan, la flûte de champagne qui trouve à peine le chemin de mes lèvres pour finir par reprendre sa course l’instant d’après. « L’atelier t’es toujours ouvert, tu sais. » et si je me souviens bien, il a même encore les clés de l’ancien, du 18 Logan City, paix à son âme. « Autant à toi qu’à Daniel. » un clin d’oeil et j’imagine déjà son gamin courir entre les tableaux et les croquis, lui qui à chaque fois où j’avais pu le croiser m’avait toujours épatée par sa vive curiosité. « L’adresse est différente, mais le fonctionnement est encore le même. » petit rappel de cette place que je lui ai toujours laissée, malgré tout ce qui a pu se passer entre nous. De cet espace où il peut aller et venir, sans même le besoin de justifier. Qu’il préfère passer seul ou lorsque l’endroit est animé m’importe peu ; le simple fait de le savoir intéressé à reprendre là où on l’avait laissé me contente amplement. « Je suis persuadée que Noah se fera un plaisir d’accompagner Daniel vers son premier vernissage. » comme argument même pas forcé, mon fils qui n’en pouvait plus de jouer à l’artiste aux activités créatives organisées à l’hôpital, lui qui prenait son rôle de tuteur à la perfection et qui, j’en étais absolument certaine, ferait un boulot impeccable avec Daniel en apprenti. « … et pour ce qui est de toi… on va devoir voir si tu es bien rouillé ou s’il y a de l’espoir. » et j’ose un rire, un petit coup d’épaule à la dérobée sur un Jamie perdu dans ses pensées, un Jamie qui s’ouvre un peu, un Jamie qui affirme y penser, sans vraiment le faire. « Alors, tu as arrêté complètement? » elles sont longues les minutes avant que je relance, avant que j’attrape son regard pour y apposer mes prunelles concernées, bienveillantes. « C’est le temps, ou l’inspiration? Ou un peu des deux? » LOONYWALTZ |
| | | | (#)Ven 22 Juin 2018 - 19:14 | |
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Il y a un peu de ce elle et moi contre le monde qui rappelle un temps que je croyais révolu. Des sourires en coin, complices, des coups d’oeils qui renvoient des messages tacites. Une émotion pudique qui ne se prononce pas, et se montre dans le pli des yeux. J’esquive les flatteries de Ginny et remercie à ma façon de cette verve faussement détachée qu’elle connaît depuis Londres -depuis toujours pour nous deux donc- et qu’elle sait lire des deux sens. Elle accentue la caricature de l’artiste maudit, tantôt soumis au poids de l’existence sur ses épaules, ou victime de ses propres états d’âme nourris des aléas de la vie ; au fond, l’un ne va pas sans l’autre, il faut se l’avouer. “Du monochrome et de l'art contemporain.” je réponds à l’hypothèse de la jeune femme, d’un monde où tout irait bien et nous n’aurions plus rien à peindre d’autre que des concepts compris de nous seuls, ou de leur absence. Le dédain exagéré dont je fais preuve est un brin ironique, dans la mesure où mes propres peintures sont assez rarement figuratives d’un point de vue naturaliste. Et quand le point de départ d’une composition ne fait pas partie du réel, alors tout n’est que formes et couleurs plaisantes qui collent à une émotion passée ou présente. Certains savent mettre leur joie ou leur peine dans la représentation d’un vase rempli de fleurs ; je préfère laisser parler le pinceau au bout de mes doigts pour moi, laisser aller, sans contours et sans contrôle. Néanmoins, du portrait aux éclaboussures, la palette est grande. Le fait est que depuis un an, bien que la liste des sujets méritant d’être mis sur canevas était longue comme le bras, rien n’a été couché dans la peinture. Et cela s’est perdu comme on oublie une bonne résolution de début d’année. Je plaisante, mais il est vrai que cela me manque cruellement, de peindre. Joanne en a conscience et m’attire dans son projet de construction d’une maison avec cet argument ; avoir à nouveau de la place pour un atelier, le matériel, les toiles, cet espace qui n’appartient qu’à moi et que je ne m’autorise plus. Le froid ambiant avec Ginny, jusqu’à ce jour, m’avait tenu éloigné de l’atelier de celle-ci. Aujourd’hui, elle m’invite à revenir, ou plutôt découvrir le nouveau, tout neuf et frais qu’elle a installé récemment. Je souris face à l’opportunité, mais bien vite, le pragmatisme revient au galop ; “Oh, je dois te rendre l'ancienne clé, du coup.” Mais le trousseau est dans la voiture, il n’y a rien d’autre sur moi que mon téléphone. Cela me quittera sûrement l’esprit dans quelques minutes, et je repartirais avec, jusqu’à la prochaine fois où nous nous verrons. Malgré la précédente feinte du papa fier qui met le sujet de son fils sur le tapis dès que l’occasion se présente, bien sûr Ginny ne se laisse pas duper. Me voilà interrogé sur le pourquoi du comment je ne touche plus à la peinture, et je grimace un peu. Rouillé, je le suis, et je crois qu’il y a un petit espoir tout de même ; ce qui manque, c’est élan. “J’ai envie de dire un peu des deux. Mais la vérité c'est que tout est question de priorités, et que ça a cessé d'en faire partie pendant l'année passée.” je réponds sans chercher à me trouver des excuses ou me voiler la face. L’épisode de longue séparation et de crises avec Joanne m’avait laissé dans un état tel qu’il était impensable de me mettre devant une toile blanche. A ce moment-là, peu de choses avaient de sens, et pour ma créativité morte, même dessiner en faisait partie. Pas assez de joie pour y prendre du plaisir, trop triste et désemparé pour faire quoi que ce soit, je traversais les jours comme un automate, sans plus savoir le sens de tout ce que nous nous faisions l’un à l’autre, et jusqu’à n’en plus pouvoir. Cela ne remonte pas à si longtemps que ça, et même la décharge qui a eu lieu à la fin de l’année n’aura pas suffi à me faire plonger dans la couleur à nouveau. J’occulte bien des émotions à ce sujet dans le but de noyer la peur dans l’optimisme, mais ce dos tourné au problème étouffe bien d’autres choses. “Dans ma hâte de déménager de Logan City, j'ai tiré un trait sur la place pour un atelier, alors il n’y en a pas dans la nouvelle maison. Du coup j'ai tout remis dans un placard, et je ne l'ai pas ouvert depuis. Les tableaux sont dans un garde meuble, ça me brise un peu le cœur.” Mais c’est comme ça, disent mes épaules qui se haussent avec dépits. Je reprends ; “Et puis l'inspiration… L’inspiration est là, je n’arrive simplement pas à me mettre dedans.” Une gorgée de champagne fait passer l’euphémisme que, cette fois, je n’avoue pas. Je ne sais pas ce qui peut faire office de déclencheur, si tout n’est que question de place et d’isolement que l’atelier de Ginny pourrait résoudre sans mal. Il y a forcément plus que ça, il y a toujours plus que ça. Parce que ce n’est pas tant que l’espace et le matériel qui forment de réelles contraintes pour qui souhaite s’exprimer ; un crayon et un coin de cahier font l’affaire. “Ne t'en fais pas, ça finira par revenir.” j’assure avec la certitude que la situation est temporaire. Si ce n’est pas aujourd’hui ou demain, ce sera dans un mois, dans un an, quand l’assurance du coup de pinceau sera revenue, car pareille nature finit toujours par revenir au galop. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Mar 26 Juin 2018 - 7:53 | |
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Cette pause, cet aparté dans la soirée me fait plus de bien que ce que j’aurais cru. Loin de ma cachette en retrait mal éclairé, maintenant particulièrement à la vue de potentiels invités autres qu’amis et artistes, je trouve auprès de Jamie une force tranquille beaucoup plus puissante que de nombreuses fois avant. J’y retrouve nos débuts, j’y retrouve ce qu’on était avant la tempête. Néanmoins, bien loin de moi l’idée d’aller trop vite ou de brûler des étapes, et même si doucement je réalise les pas que nous faisons à deux dans une direction beaucoup plus enviable pour notre relation que ceux faits à l'envers durant les précédents mois, n’en reste que je m’adapte à son ton, flirte avec son humour, tâte à peine plus loin que la latitude qu’il me donne dans la crainte de tout gâcher à nouveau. Château de cartes qui prend à nouveau des allures nostalgiques à la mention de mon ancien atelier, celui où Jamie avait mis le pied avant tout le monde, celui où il m’avait guidée au mieux de ses mots pour m’aider à en faire un chez-moi à l’époque. « Le nouveau propriétaire a fait changer les serrures de toute façon, j’avais perdu mes clés entre temps... » et je pouffe d'un rire jaune, typique de la Ginny dans son habitat naturel de perdre quoi que ce soit en sa possession. Aucune surprise, et le Keynes risque de simplement balayer la suite sans y accorder la moindre importance sachant que le tout était bien entreposé dans une boîte à souvenirs, un chapitre aussi doux qu’émotif et un oasis que son trousseau symbolisera pour toujours, ce que j'espère. « Garde-la comme relique du temps où on était jeunes et fous. » si l’anglais était de quelques années mon aîné, je n’avais jamais manqué une fois l’occasion de jouer à la vieille âme, d’être à ses côtés beaucoup plus posée et moins dissipée, ancrée dans mes valeurs, dans ces comportements matures cachés par mes frasques et mon humour douteux du quotidien. Une drôle de symbiose et pourtant, jouer à l’adulte avec Jamie dans les parages m’était toujours apparu comme naturel. Attentive, je lui laisse toute la place dont il a besoin pour me parler de son historique créatif des derniers mois, de l’année qui vient de s’écouler. Bien sûr qu’il a eu son lots d’aléas et de tracas, et que l’art a rapidement été balayé pour laisser plus de place à ses urgences, ces crises qu’il a dû gérer au mieux de ses capacités, de ses forces. À chaque nouveau mot qu’il place, je reconnais quelques bribes que j’ai moins même partagées, je reconnais ces paroles que j’ai toutes autant tenues, et l’impression de vide, de trop plein, et de toutes ces sensations opposées et difficiles à cerner à travers qui s'immiscent lorsqu’on se refuse un hobby si salvateur pour une durée indéterminée. « Il n’y a pas si longtemps, je tenais le même discours. Tu te souviens? » si lorsque j’avais rencontré Jamie je peignais toujours timidement, longues avaient été les années où tout avait été mis en berne le temps que Noah aille mieux, qu’il s’en sorte. L’inspiration s’était volatilisée, laissant place à une lourdeur dans mes épaules, une difficulté d’agir autrement qu’en mode survie. Puis, sous ses yeux, j’avais recommencé à peindre, je m’y étais replongée complètement. Et ce soir, face à la consécration de toutes ces heures à retoucher du bout d’un pinceau à la plus belle histoire d’amour de ma vie, j’entends mon ami avoir cette même réflexion, repasser par toutes ces interrogations qui m’avaient hantée jadis. « Je sais. » tout ça et rien que ça à la fois. Sans m’éterniser, sans jouer à celle qui a la réponse à tout, à celle qui peut se vanter de poser des lettres sur ce qui se trame en lui - ce que, de toute façon, jamais je n’oserais. Mais à mon air, à ma voix, à ce regard que je lui dédie, j’espère qu’il comprend qu’il n’est pas seul ou du moins, qu’il ne l’est plus. « Tu… tu serais à l’aise, que je passe? » je finis par demander, à demi-mots, optant pour un saut dans le vide alors que jusqu’à maintenant les banalités nous allaient mieux que la relation plus fusionnelle que nous entretenions des mois auparavant. « Voir ce fameux placard, et admirer ses recoins? » et j’adoucis volontairement, j’applique une couche de subtilité, une tentative de dédramatiser la possibilité, lui offrant une porte de sortie l’instant d’après dans un rire honnête et je le souhaite de tout coeur, communicatif. « Il a des croûtes à manger avant d’être aussi sympa que celui qu’on m’offre ici je pense, mais je suis prête à ouvrir mes horizons. » d’un haussement d’épaule, j’essaie de banaliser, encore un peu surprise d’être allée là, d’avoir osé même. Pourtant, son inspiration me tient à coeur, tout comme cette passion, cette étincelle que j’avais vue briller dans son oeil, que j’aurais tant aimé déceler ici si notre tableau commun avait fini par se tailler une place sur l’un des murs qu’on m’avait réservés. « Peut-être que si on s’y met ensemble, on pourrait aménager un petit espace à ta nouvelle maison. Relancer le flux créatif. » même si je me doute que s’il ne l’a pas déjà fait, s’il le mentionne ainsi, c’est qu’en effet la place lui manque. Et malgré tout, la possibilité flotte, ambiante et sans pression aucune, mais une main tendue pour l'entraîner au rythme qu'il voudra, s’il le veut bien sûr. « En attendant, au cas où ça pourrait t'intéresser, l’atelier est toujours vide le mardi et le mercredi. » je me rappelle bien que l’art est quelque chose qu’il vit principalement en solo, avant de le partager à ses initiés. Peut-être que de réitérer qu’il garde cet aspect de safe spot que je le soupçonnais d’aimer tout particulièrement aiderait à peser dans la balance. L’instant d’après, Dannie me fait signe d’approcher. Mais il est hors de question que je quitte Jamie sans avoir une petite parcelle, un détail, une assurance que ceci n’est que la première ligne d’un tout nouveau chapitre nous concernant. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Lun 16 Juil 2018 - 20:50 | |
| | Flower of the Universe - They come to see the fire burning in your heart They want to witness, this love from the start | | |
Quand les rôles étaient inversés, je me targuais d'être de bon conseils auprès d'une Ginny peu sûre d'elle. Bien qu'elle fut la seule à douter de son talent et de l'intérêt de ses œuvres, j'avais poussé, encouragé et poussé encore. Parce que c'est ce que je fais. Aujourd'hui, dans la peau de l'artiste aux toiles en berne, pinceaux et crayons rangés, la couleur manquante dans mon petit monde, je souris en y songeant, en me voyant incapable de m'appliquer moi-même mes paroles d'antan. Mais Ginny n’a pas oublié, elle. Le regard amusé tout au coin des yeux, le visage restant droit et stoïque comme si accorder plus de mots à ce constat accentuerait une forme d'échec et d'hypocrisie, j'acquiesce seulement intérieurement. L'envie avait fini par lui revenir, alors je ne doute pas que moi aussi. J'ai toute la vie pour m'y remettre, me dis-je. Toute la vie pour coucher sur le lin et le coton mes hauts et mes bas, en formes, en huile, en acrylique, en pastel. Tout le temps du monde pour avoir les doigts sales, des traces sur les joues, des taches sur la chemise. Et puis j'ai ce frisson électrique qui remonte mon échine ; toute la vie, c'est un concept fort relatif, tout compte fait. Le temps ? Il file, bien trop vite. Semaines, mois, années, et soudain vous avez un fils, soudain il a deux ans, soudain vous vous mariez, soudain vous êtes vieux, si vous arrivez jusque là. C'est mon cœur qui se serre, comme à chaque fois que la pensée me traverse, furtive, déboulant du brouillard de la pensée et disparaissant dans un écho presque aussitôt. Coucher tout ceci sur une toile pourrait m'aider à faire la paix avec cette angoisse persistante qui me remonte de temps en temps jusqu'au fond de la gorge. Pourtant l'autre crainte m'empêche d'attraper un crayon. La peur sotte de toute personne qui tâte son propre mode d'expression ; la peur de gâcher une feuille, une toile, utiliser de la peinture pour rien, n’arriver à rien, se sentir imposteur et devoir tout jeter. Comme si cela était important. Ce qu'il me faut, c'est désacraliser le tout. Un test est un test, et chaque trait de crayon n’a pas à être parfait, et chaque couleur n’a pas à être précisément celle que j'avais en tête. C'est par là qu'on passe. Ginny sait tout ceci. Elle sera forcément celle qui se proposera de me remettre sur rails, celle qui sera patiente et exigeante à la fois. Elle aura les mots, le sourire, la tape à l'épaule adéquats. Je peux lui faire confiance -et il y a une bonne dose de soulagement de pouvoir le penser à nouveau. “J’en serais honoré.” je réponds donc trop humblement à sa proposition de jeter un œil à la poussière qui s'accumule sur le matériel et les toiles vierges, bien que je ne sache pas ce qu'elle espère y trouver. Elle se propose d'installer un petit atelier dans la maison qui manque déjà d'espace, gratte petit bout par petit bout. Je ris légèrement. “J’ai quatre chiens et un bambin, bon courage pour trouver la place.” Ça, et la tranquillité nécessaire. Cette atmosphère qui permet de s'entendre penser, s'écouter et s'ouvrir. “Joanne voudrait que nous déménagions, je reprends, expliquant succinctement le projet à venir qui absorbera une bonne partie de mon temps libre à venir. Nous sommes un peu les uns sur les autres. Peut-être que trouver la place pour un atelier ne sera plus un problème assez vite.” Il suffit donc d'être patient. Cela peut me laisser le temps de commencer petit. Ginny propose son atelier comme solution de dépannage et bien que j'apprécie le geste, je demeure sur la réserve. Car je dois déjà diviser mon temps entre le travail, Joanne, Daniel et notre avenir. Il reste peu d'énergie pour mes crises existentielles, roulées en boule et remisées dans un coin. La vie s'accélère, et l'on se découvre toujours plus de capacité à se mettre de côté. “Je vais y réfléchir.” dis-je alors. Ce ne sont jamais des paroles en l'air, bien polies et complaisantes. Je n’ai pas de salive à perdre pour ce que je ne pense pas, alors Ginny peut compter dessus. Tout comme elle, mon regard est attiré par l'autre femme qui lui fait signe d'approcher, et je la sens hésiter à la rejoindre. M'imposer et l'empêcher de profiter de toutes les facettes de sa soirée me gênerait bien trop, si bien que je l'encourage à filer ; “Vas-y, je t’en prie. Je ne vais pas te monopoliser plus longtemps. Je devrais rentrer de toute manière.” Une partie de moi réclame la maison, le confort de mon chez moi. C'est peut-être l'effet que fait d'avoir une famille à soi. Ce que l'on cherchait autrefois dehors se niche désormais dans un foyer. Mais je ne regrette pas le moins du monde d'être venu pour Ginny. LOONYWALTZ |
| | | | | | | | jaminny + flower of the Universe |
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