Ce n’était pas toujours facile de trouver une solution aux problèmes des adolescents. Ils vivent dans le moment présent et ce qui est un problème aujourd’hui doit avoir une solution pour demain, sinon, vous êtes jugé inefficace. Et puis, ils passent tous par tout un tas d’émotion et de drame et si Clara comprend le désarroi pour l’avoir vécu, elle ne peut s’empêcher d’être quelque peu impatiente que ceux-ci grandissent et voient avec un œil adulte que, tout finit toujours par s’arranger. Evidemment, c’est une opinion très facile à avoir de sa place et qui, comme on s’y attendrait de la part d’une conseillère, manque tout de même de pas mal de psychologie. Elliott était apparu dans son bureau la veille, sans rendez-vous, sans prévenir, il avait poussé la porte et avait déchargé toute sa colère et ses problèmes sur le bureau d’une Clara attentive et même pas mal courroucé par les propos de l’adolescent. Nouvellement admis dans l’établissement, il avait eu droit à un traitement particulièrement cruel de la part de certains de ses camarades et d’autres, soucieux de leurs réputations avaient participé également, amenant l’étudiant à n’avoir aucun repère et à faire face au harcèlement des autres quotidiennement. Ce qui dérange toujours Clara quand elle prend connaissance de ses cas, c’est l’absence de professeur qui bien que non-équipé pour gérer ces problèmes, pourraient les reporter afin que ceux dont s’est le travail s’en occupe. Mais non, force lui est de constater qu’elle a beau vouloir lancer des projets, le silence accompagne toujours ces cas-là et bien qu’elle serait tentée d’appeler les parents des enfants concernés, elle sait que ça ne règle jamais le souci car soit les parents appuient leurs têtes blondes et nient toute accusation, soit ils ne le font pas et c’est la punition à la maison qui va amener plus de violence. Et toute cette conversation avec Elliott la dresse devant un constat qui lui déplait. Elle ne peut rien faire. Le garçon avait pris congé après s’être calmé, après qu’elle l’ait écouté et qu’elle ait promis d’ouvrir l’œil au moindre comportement. Elle s’était engagée à prévenir les professeurs, mais beaucoup d’entre eux n’arrivent déjà pas à gérer une classe donc, sanctionner un comportement et prendre le risque de perdre tout le monde. Impossible. Ne sachant pas comment intervenir, elle avait fait appel à Leena, dont le numéro était toujours dans son agenda et avec laquelle elle montait des projets déjà, touchant à ce problème. Après tout, l’anglaise était bien plus habituée qu’elle et savait probablement faire preuve de plus de psychologie, là où Clara était du genre à tout brûler sur son passage pour éviter les problèmes. Le rendez-vous avait été donné au pub McTavish, près de la plage. Un endroit que Clara affectionne et plutôt tranquille, en fonction de l’heure certes, mais surtout quand il est tôt. A l’heure, Clara avait pris une limonade pour attendre son amie qui fait son apparition quelques minutes après. Un grand signe de la main suffit et les voilà face à face. Fidèle à elle-même, Clara ne tourne pas autour du pot. « Et bien, je suis contente que tu aies pu te libérer. Je ne voulais pas trop faire traîner la chose, tu connais les ados. » Sous-entendu que les situations échappent bien rapidement à leur contrôle et que les solutions ne peuvent jamais attendre trop longtemps, sinon, on prend le risque d’avoir à gérer des conséquences beaucoup plus dramatique. « Puis, ça nous donnera l’occasion de creuser un peu plus le projet, je pense qu’il est important de mettre les choses en place et tant pis l’accord de la direction, je l’obtiendrais plus tard. »

Elle avait pris les quelques minutes d’attentes avant l’arrivée de Leena pour réfléchir sur ce qui est en train de se tramer dans l’une de ses classes. Elle avait beau réfléchir à des solutions pour anticiper des cas d’harcèlement, maintenant qu’elle y est confronté, Clara se rend vite compte qu’il est très difficile de se battre contre ce problème. Il y’a dans la société comme une sorte de hiérarchie, une liste de défaut et de comportement qui s’ils nous sont propres légitimisent le fait que l’on puisse s’en prendre à vous. C’est tellement injuste et quelque part, tellement ancré. Ce n’est pas le genre de chose à laquelle on se prépare et là, elle s’en rend compte un peu brutalement. Leena la rejoint, elle semble pressée. Certainement parce qu’elle ne voulait pas la faire attendre. « Coucou ! Ça me fait plaisir de te voir ! » Qu’elle annonce en prenant place. « Je suis contente que tu aies pu te libérer. » Parce que ça n’avait déjà pas été facile de promettre au garçon qu’elle aurait une solution, mais surtout lui faire attendre vingt-quatre heures, c’était bien trop pour lui qui était venu désespéré pour lui parler de ses problèmes. C’est ça qui fait mal avec les adolescents, ils ne viennent qu’au dernier moment.  « Attendez, je n'ai pas encore choisi ce que j'allais boire... » Qu’elle indique à la serveuse, qui avait déjà repris les cartes et déposé le verre de la blonde. Clara prend alors la parole, elle demandera plus tard à Leena comment elle va, dans un moment comme celui-ci, elle ne capte pas l’intérêt de prendre des nouvelles de l’autre alors qu’il y’a plus urgent. « Tu penses bien que je n'allais pas te faire attendre là-dessus ! C'est trop important. » Lui répond-elle, visiblement bien plus consciente des enjeux que sa direction, qui trouve toujours des excuses aux brutes comme si c’était la faute de l’élève si une poignée d’autres avaient décidé de faire de lui leur bête noire. « Raconte-moi tout ? En tout cas c'est quand même un super point positif qu'il soit venu te voir toi, ça veut dire déjà dire qu'il est confiant te concernant... » Oui, c’est vrai. Confiant, ou alors, désespéré. Elle les connait ces petits Clara, et jamais, ils ne viennent lui parler pour le plaisir de sa conversation mais toujours parce qu’il une obligation ou une urgence. Parlant d’urgence, la conseillère en profite pour remettre sur le tapis leur projet, que sa direction a décidé de « remettre à plus tard » mais de façon permanente. « Ça marche ! J'ai pas mal avancé de mon côté » ajoute Leena, ce qui devrait pousser Clara à prendre les choses en mains. « Je te montrerai, j'ai apporté tout ce que j'ai commencé à noter ! » Bien, elles pouvaient commencer le travail. Ce n’était pas facile pour Clara de trouver un début à son histoire. « Elliott est un nouvel élève, plutôt discret, élève moyen mais il a ses matières où il excelle,  en Arts particulièrement. Ses parents viennent de se séparer donc, il ne parle pas beaucoup, c’est quelque chose qui doit être respecté. » N’étant pas d’un naturel bavarde elle-même, elle avait toujours eu en horreur ces professeurs qui pointaient un manque de verve par forcément de l’introversion. « Il est venu me voir ce matin, après que des élèves aient trouvé le moyen de dégrader tousses manuels, le lycée lui demande  de payer pour tous les remplacer. Il n’était pas bien et il m’a dit que ça durait déjà depuis la rentrée. » Elle soupire, en reprenant. « J’ai parlé à ses professeurs, j’ai demandé des détails mais, ce sont les mêmes biques depuis trente ans alors forcément, un élève introverti, c’est un antisocial dont c’est la faute si les autres s’en prennent à lui, et ça m’énerve parce que j’ai beau essayer de me préparer à ces cas là, convoquer des parents, ça ne résoud rien. » Au contraire, ça peut envenimer les choses. Le visage pris entre ses mains, Clara se sent totalement dépourvue de solution.

C’est parce que le problème lui parait insoluble qu’elle a fait appel à Leena. Il en va de sa responsabilité de régler la situation, mais forcément parvenir à faire entendre raison à une bande d’adolescent qui cherche ses limites en brutalisant un de leur camarade reviendrait à trouver la solution magique à cette tendance qu’à l’être humain à toujours s’en prendre à plus faible que lui et si Gandhi n’a pas réussi à soigner l’humanité de ce mal qui l’habite, elle doute sérieusement d’en être capable, même à l’échelle de son petit lycée. Rien n’est jamais simple et l’expérience aura montré qu’il n’y a jamais qu’un responsable et qu’un coupable peut aussi être victime. « Il a des amis ou des camarades, au lycée ? Tu l'as déjà vu entouré, ou il est toujours solitaire ? » Elle s’attendait à ce que Leena pose cette question et avant même qu’elle termine sa phrase, elle hoche la tête pour lui répondre avant d’avoir à préciser verbalement la situation de l’adolescent. « Il a quelques affinités mais je pense qu’il reste très seul malgré tout. C’est le genre d’élève avec qui les ados essaient d’être amis pour justement lui éviter d’être seul et de se faire embêter mais si tu prends le fond de la chose, ils n’arrivent pas à se lier à lui parce qu’ils ne sont pas sur la même longueur d’onde. » Elle hausse les épaules. C’est parfois plus dur pour certains de se faire des amis, c’est juste la réalité aussi tragique qu’elle soit, mais ça ne justifie pas qu’il doit servir de bête noire aux autres. Elle a consciente d’être un peu trop terre à terre, mais d’être trop émotive dans ce genre de situation n’aide jamais à s’en défaire. « C'est une blague, ils ne vont quand même pas lui faire payer les bouquins... Ce n’est pas possible d'être si archaïque. » Elle hoche la tête en soupirant quand Leena s’insurge. Evidemment que ça n’est pas juste et stupide mais que peut-on attendre d’un équipe éducative qui répond aux enfants qu’ils n’ont qu’à pas être gros s’ils ne veulent pas d’ennuis ?  « Je lui ai dit que ça ne serait pas nécessaire. Je m’en occupe en interne. » Qu’elle assure, parce qu’elle n’a pas non plus envie de coller d’autres soucis au gamin. C’est une punition bête qu’elle peut facilement levée, même s’il devrait sûrement terminer l’année avec ses livres tout dégradé. « J'imagine que si tu avais des preuves flagrantes de ce qui se passe, l'équipe te suivrait un peu plus ? Tu penses qu'il leur faudrait quoi pour se bouger ? En plus si les parents divorcent les convoquer ne va pas simplifier les choses... Hmm... » demande Leena, anticipant sur une question que Clara aurait bien posé à sa place. Sans solution qui tombe du ciel, elle se permet de poser de façon sarcastique. « Changer toute mon équipe ? » Mais ça, c’est pas possible. On ne vire pas des profs parce qu’ils sont des vieux de la vieille et que pour eux, il est normal que des gamins subissent une violence qu’ils ont probablement eux aussi vécu en pensant que c’était la norme. Les mentalités, c’est long à éduquer. « Je plaisante, mais je ne pense pas que c’est eux dans l’immédiat. Ce qui est primordial, je pense, c’est de lui faire sentir qu’il n’est pas tout seul et qu’aucun adulte ne cautionne ce qui lui arrive. C’est primordial qu’il ait du soutien et c’est en cela que j’ai pensé à toi en premier lieu. » Parce que ce serait, sa première action : protéger le gamin. Lui faire sentir qu’il n’est pas seul, que d’autres partagent son vécu et que des adultes sont là pour le protéger. Sauf que, c’est jamais aussi facile. « Tu connais les élèves dont il parle ? Tu sais s’ils auraient déjà pu faire des choses comme ça, ou bien si c'est la première fois ? Tu as quelle relation avec eux ? Je me souviens d'un reportage très intéressant que j'avais vu, qui expliquait qu'il y avait toujours une personne plus sensible que les autres dans le groupe des harceleurs, et que si tu arrivais à lui parler un peu tu pouvais la faire basculer et elle pouvait soit apaiser le groupe, soit parler contre eux, ce qui renversait toute la balance. Ça pourrait être une piste... » Qu’elle propose, mais la solution ne parait réalisable, parce que justement elle connait les élèves en question et que punir, c’est pas toujours la tactique qui l’emporte, autrement ce serait déjà fait. « Je connais les élèves. » Qu’elle répond, sans en dire plus sur leur cas pendant que Leena continue de poser des questions. « Quant à Elliott, peut-être qu'en Arts les profs pourraient le mettre un peu plus en avant et le récompenser pour ses travaux, pour essayer de le valoriser ? Ça lui ferait du bien. » « Je ne pense pas que ça règlerait le problème, ça soignerait juste les symptômes mais j’ai déjà fait savoir aux professeurs qu’ils devaient montrer une présence et un soutien, ce gamin a besoin de sentir que personne ne cautionne ce qui arrive et qu’il est protégé. » Qu’elle répète, en pensant que ce n’est pas avec de la valorisation qu’on obtient des résultats. Il est même probable que ce soit ses capacités qui l’ait foutu là-dedans en premier lieu. « Il aura besoin d’être suivi, je pense » Elle le précise, parce qu’il avait l’air à bout et que le mal fait est sûrement plus profond que ce que l’on pense. « Pour la bande d’harceleur, en revanche. Le problème n’est pas d’avoir des retours ou des témoignages. Honnêtement, je pourrais exclure toute la bande pendant plusieurs jours pour les remettre à leur place, seulement ces gamins ont des parents qui vont venir faire chier parce que pour eux, ça sera inconcevable que leur tête blonde ait fait du mal à qui que ce soit et qui vont protester contre la mesure, ou alors, les parents vont sévir et à leur retour, Elliott en prendra deux fois plus dans la face. Je connais le scénario. » Et c’est qui l’amène à la pensée précedente, que punir n’est pas la solution. Qu’il faut d’abord comprendre. « C’est avec eux, qu’il faut parler. »

Son calme est olympien. Dans ce genre, elle sait qu’il faut toujours savoir maitriser ses émotions et ne pas adopter la première solution qui s’impose, car forcément c’est toujours la plus rapide qui est la plus précipité et la moins bonne. Elle en sait quelque chose. Les situations difficiles ont besoin d’être mûrement réfléchie et étudiée avec un côté terre à terre très affirmé. Il faut une solution logique, qui ne laisse aucun choix aux différents protagonistes de l’histoire. Parier sur une réaction positive d’autrui, c’est s’assurer de l’échec parce que les gens ne réagissent jamais comme on le souhaite. Sa priorité pour le moment, c’est de rassurer son élève. Le blinder face à ce qui lui arrive et le conforter dans l’idée que ça n’est pas sa faute et qu’il a du soutien. Elle sait qu’il faut mener l’affaire avec beaucoup de psychologie et que punir, ça n’amènera pas les autres à se calmer. A cet âge, on est stupide et on n’assume pas. Il faut une solution qui ne leur permette pas d’être de mauvaise foi. « Je suis d’accord avec toi. Déjà, il t’a toi, ce qui n’est pas négligeable. Parfois la parole ou le soutien d’une personne autre qu’un prof, cantonné à son rôle, a plus de valeur. Enfin je trouve… Et puis tu es jeune, c’est con mais ça peut compter, c’est plus simple pour un ado. » Certainement. Mais c’est à double tranchant, parce que de par son âge (et sa taille, son mètre cinquante-six n’aide pas) ses élèves gardent la tendance à plus la voir comme une copine qu’une professeure et cela nuit très souvent à son autorité. Elle se contente d’hausser les épaules, parce qu’elle sait que ça la dessert autant que ça l’avantage et parce que ce fait n’a pas à être placé dans cette conversation. Un jour, il y’aura moins urgent et là, Clara pourra se permettre de parler d’elle. En attendant, il y’a un gosse qui a besoin de soutien.  « Ça me rend folle, ça, je ne comprendrais jamais je crois. Mais bon. Ce n’est pas le moment de s’énerver » Non, et elle apprécie que Leena soit en train de maitriser ses émotions sur le sujet. Elle aussi, elle trouve ça chiant, cette manie qu’on les gens à penser que leur môme est une personne bien sous prétexte qu’ils les ont pondu alors que well, chacun son libre arbitre. « C'est ça, il faut leur parler. Est-ce que tu crois qu’on ne devrait pas commencer par là ? Je peux même venir avec toi si tu veux, une personne extérieure apaise parfois un peu les choses ? Tu en penses quoi ? Et on tourne ça comme un échange, pas du tout comme des remontrances. Pour comprendre et pour leur faire comprendre en retour… » « A vrai dire … » Elle s’interrompt un instant avant de s’asseoir plus confortablement sur sa chaise, elle avait pensé à la façon dont elle voulait gérer les choses et pour ce qui est de gérer ses élèves harceleur, elle préfère que les choses se fassent en interne à l’école. Rien que pour éviter la mauvaise foi des parents et d’autres soucis de hiérarchie. « J’avais pensé que tu accompagnes Elliott. Je gèrerais les autres de l’autre côté. » Lui déléguer une partie pour mieux se concentrer sur l’autre. «Il est primordial d’aider Elliott dans ce qu’il traverse et de lui faire avoir du recul par rapport à la situation et je pense que tu es mieux placée pour cette accompagnement. De mon côté, je garde le cul entre deux chaises. Je sais que je vais trouver une façon pour amener les autres à réfléchir sur leurs actes mais ça me tranquilliserait de me concentrer sur eux et de gérer le problème à sa source. »

Clara avait tenté de fomenter son plan d’attaque, point par point, tout en utilisant les points forts de chacun. Une situation comme celle-ci demande un certain doigté et il est bien triste d’admettre qu’elle ne peut pas gérer les deux côtés en même temps. Elliott est une priorité. Ce gamin a besoin d’être soutenu et aidé, seulement elle n’est pas certaine d’y parvenir si l’autre côté n’est pas pris en charge non plus. Il faut que cette histoire cesse sans que le gamin ne soit mis en avant ou dans une situation qui n’arrangera rien le contexte général. C’est pourquoi, elle avait naturellement fait appel à Leena qui était plus à même de gérer l’une des parties. « C'est gentil, de me faire confiance comme ça. » Elle répond d’un sourire. A vrai dire, cela avait une décision facile. De par ses expériences, Leena est la plus capable des deux à apporter du soutien à Elliott. Elle savait ce qu’il traversait, Clara non. Et malgré tout la bonne volonté qu’elle pouvait mettre dans sa prise en charge, elle ne pourrait jamais remplacer quelqu’un qui sait de quoi il parle. « Bref, je suis d'accord ! » Elle n’avait pas mis longtemps à accepter, ce qui dans le fond n’a rien de surprenant. C’était pour l’aider dans ces cas-là, qu’elle avait fait la démarche de lui proposer son aide. « Je suis libre quand tu veux. Avec mon mi-temps, ça va être plutôt facile de trouver un créneau. Ça sera ok avec l'établissement tu crois, que j'intervienne comme ça ? Si Elliott accepte et eux aussi, faisons-le sans plus attendre. Il n'y aura qu'à voir avec lui ce qui l'arrange. » « Je peux te le présenter dès demain. L’équipe pédagogique est déjà au courant qu’une médiatrice doit intervenir. » Qu’elle enchaine, elle avait déjà pris les devants auprès de l’école qui n’avait pas forcément envie qu’une inconnue se balade dans les couloirs. Clara explique très rapidement. « Oui, c’est comme ça que je t’ai présenté, ils ne poseront pas de question. » Parce que ça ne les intéressait pas. Ses explications avaient été convaincantes et l’investissement de Leena avait déjà été abordé juste avant. « C’est vraiment important de balayer ses doutes. Quant aux autres, on fera un travail de fond sur ce qui les pousse à agir comme ça. En espérant que je ne déniche pas de sociopathe. » Pour donner un peu plus de précision sur ses plans. Sa dernière précision incarnant un dernier souhait, une personne charismatique avec un sérieux besoin de faire souffrir les autres. C’était bien la dernière chose dont elle pouvait avoir besoin. « Tu as fait quoi comme études pour avoir ce poste, au fait ? Ça fait longtemps que tu bosses ici ? » ajoute Leena, devenue plus curieuse sur ses qualifications, elle imagine. La question la surprend mais ne la brusque pas assez pour qu’elle n’y réponde pas. « Psychologie. » Autrement dit, la première voie de garage qu’on nous vend à la fin du lycée en promettant que ça sera fun, alors qu’il n’y a rien de plus malsain que d’étudier ce dont un esprit humain est capable. C’est du moins l’opinion de Clara et du fait que le monde soit bien trop noir pour elle et qu’elle aurait aimé ne jamais le savoir. « C’est ma troisième année au lycée, avant ça, j’ai fait des stages dans des structures qui accueillent des enfants en difficulté. » Ainsi qu’un mémoire sur le sujet, mais elle n’éprouve aucun intérêt à aller plus loin dans le domaine. Pour le moment, elle se satisfait de son poste mais elle a bel et bien pris le mauvais chemin de vie. « En dehors des choses de ce type, un peu lourdes, ça te plaît ? » Elle pourrait mentir et clamer que son métier, c’est tout une vie. Elle pourrait raconter combien elle se sent entière quand elle aide un gamin à trouver un sens à sa vie alors qu’elle n’a pas été foutu d’en faire autant. Mais Clara est plutôt honnête, enfin sur ce sujet. « Je sais que je ne vais pas faire ça toute ma vie. J’aime le contact avec les ados mais je sais que c’est parce que je suis jeune et que je n’ai pas de réelles motivations à faire autre chose de ma vie. » Ce n’est peut-être pas la réponse qu’elle attendait. Elle trouve une compensation dans le fait d’aider autrui, mais elle ne s’épanouit pas.

« Demain c’est parfait, je termine en début d’après-midi, je peux passer juste après 14h. » Elle approuve, signe que l’affaire semble réglé et qu’elles procèderont comme il l’a été annoncé. Pour Clara, c’est une chose en moins à se préoccuper et elle se dit que, si ça marche bien avec Leena, alors elle aura un exemple de protocole à présenter pour endiguer le problème. Le fait de faire intervenir des gens de l’extérieur étant de toute façon, à son opinion, la chose la plus légitime à faire. Les professeurs sont débordés et ne savent pas gérer la question. Visiblement, Leena semble approuver son plan d’attaque et alors que le sujet est clos, elle se prend de curiosité sur les raisons qui ont amené Clara à prendre ce chemin précis et si elle aime ça. Sa réponse est directe et brusque. Cela n’a jamais été le genre de la blonde que de traîner autour du pot et ce n’est pas un sujet sur lequel elle jugerait nécessaire de mentir. Si elle aime son métier, elle ne dirait pas non mais que ce n’est pas non plus le job de ses rêves. La réaction de Leena est en un sens, logique, parce que bien que dépourvue d’ambition, Clara reste doté d’éthique et d’une réelle envie d’aider ses gamins. « Je ne m’attendais pas à une telle réponse, désolée ! » « Y’a pas de mal. » Qu’elle répond aussitôt, alors que la brune est encore en train d’assimiler la réponse. Sa réaction n’avait pour pas de quoi la vexer et en attendant, Clara continue de siroter son verre. « Ça a le mérite d’être honnête ! » Elle hausse la tête, comme si l’honnêteté venant d’elle était une surprise. Elle n’a jamais eu de mal à dire les choses comme elles sont même les plus difficiles. (Enfin, si on exclut ses infidélités.) « De toute façon, je ne sais pas si c’est à souhaiter, de faire ça toute sa vie. Déjà je suis persuadée que c’est bien d’avoir plusieurs activités professionnelles dans au cours de son existence… » Et elle approuve. C’est d’ailleurs ce qu’elle tente d’expliquer à ses élèves, que quand on ne sait pas sa voie, il ne faut pas se prendre la tête. On peut être parfaitement heureux en faisant plein de boulot un peu partout. De plus, le marché de l’emploi ne permet aujourd’hui qu’à très peu de personne d’avoir une carrière dans un domaine précis sur le long terme. C’est juste le monde moderne et il faut s’habituer. Clara ne déroge pas à la règle. « Ou au moins de se renouveler dans son domaine. Et puis, ça doit être lourd à la longue. » De devoir démêler des embrouilles de collégien et supporter une administration lourde et procédurière ? Oui. Mais, comme elle répond. Pour le moment, elle a encore la patience. La suite se dessinera le moment venu. « Je me suis lancée très tard aussi, il a fallu que je me pose à Londres pour avoir le cran de lancer ma boutique. Je ne suis pas sûre qu’on sache vraiment ce qu’on veut faire un jour… Enfin, sauf exceptions, évidemment. » Elle esquisse un sourire à sa précision. Forcément, il y’a toujours des domaines où on sait, mais ça ne la touche. « Si tout était possible, tu aurais envie de faire quoi ? » reprend Leena, perdant Clara encore plus au passage. Tout ce truc-là, de parler d’elle. Ça la met un peu mal à l’aise mais ne voulant pas vexer Leena, elle répond, sans conviction. « Je n’en ai aucune idée pour tout te dire. » Et elle est parfaitement sérieuse. Bien que dénuée d’ambition, dès qu’elle avait quelque chose en tête, elle ne l’avait pas ailleurs et il pouvait être certain que si Clara avait une idée de ce qu’elle aimerait faire, elle ne serait pas là aujourd’hui. « Tu sais … Je n’ai pas de passion précise, pas de talent particuliers, rien qui m’amènerait vers une carrière. J’ai choisi mes études sans convictions, je les ai validés sans effort et je ne compte pas m’en servir parce que je n’aime même pas le domaine. Ce que je sais, c’est qu’un jour, j’en aurais marre et que je ferais autre chose. » Elle se replie au fond de son fauteuil. Les choses sont aussi simples que ça pour elle, Clara, elle se laisse porter par la vie, tout simplement. « Je sais, c’est pas du tout une optique dont on s’attendrait de la part de quelqu’un dont le boulot est de conseiller des gosses sur leur avenir, mais avec eux, je suis un peu plus optimiste. »

Elle se tient droite. Le pragmatisme de Clara en avait toujours choqué plus d’un. Les personnes qui s’étaient jusque-là risquées à lui poser des questions sur sa vie professionnelle et l’épanouissement qu’elle en retire avait toujours été déçus de se retrouver face à ce discours terriblement réaliste et peu engageant. Ainsi, elle n’avait pas d’ambition et se contentait d’être portée par les évènements jusqu’à ce que la situation ne lui convienne plus. Elle ne voit pas le problème. Il existe tant de personne qui place beaucoup d’espoir dans leur vie professionnelle et en fond le leitmotiv de leur vie pour finalement se retrouver déçus et finir en dépression, complètement à la dérive parce que le cap qu’ils avaient fixé n’était pas au rendez-vous. Elle ne fait simplement par partie de ces gens-là et ça lui va très bien, son crédo, c’est de savoir où elle met les pieds pour éviter les imprévus. Ainsi, le jour où les choses changeront, elle n’aura pas à passer à travers une longue remise en question. « C’est vrai qu’au final… On se met une pression de malade à ce sujet, mais parfois… » Leena semble néanmoins comprendre son point de vue. Clara irait pas jusqu’à dire qu’elle l’en remercie de se sentir enfin comprise mais au moins, elle est soulagée de ne pas avoir droit cette fois au laïus sur le fait qu’il faut faire ce qu’on aime dans la vie et tout la tatouin. « Pour quelqu’un de stressé comme moi, c’est cool de voir quelqu’un penser comme toi ! Après tout on n’est pas obligés de se définir par le travail, il y a d’autres choses à côté, tout aussi importantes. Mais bon, j’imagine que ce n’est pas le genre de trucs que tu peux dire d’emblée à tes élèves, sinon ils vont carrément arrêter de bosser ! » Le sourire qu’elle trace sur son visage indique Leena l’a mis en plein dans le mille. Forcément que ce discours-là, elle ne peut pas le tenir avec ses adolescents à la recherche de la moindre excuse pour ne rien devenir et bousiller leur vie. Son discours est ce qu’il est mais il ne s’applique sûrement pas à quelqu’un dont le level de maturité privilégie des likes sur les réseaux sociaux au moyen qui va leur permettre toute leur vie de vivre décemment. « Remarque, peut-être que à leur âge ça m'aurait rassurée de savoir que ma conseillère d'orientation n'avait pas en tête une voie toute tracée. » Elle hausse les épaules. Les jeunes sont différents. Certains ont déjà une vision des choses toute tracée, d’autres ont des rêves auxquels ils s’accrochent et le reste se laisse vivre en attendant que ça tombe du ciel. Cela parait malhonnête mais son discours change en fonction de celui qu’elle a en face. Son métier n’est pas de conforter mais d’en faire des adultes responsables. « Bon, je ne vais pas t'embêter plus longtemps avec mes questions » annonce finalement Leena en reprenant ses affaires. Clara se contente d’acquiescer et son salut « On se voit demain de toute façon ! » avant de lui répondre un « A demain, passe une bonne soirée. »