C’est officiel. Yasmine est revenue d’Afrique. La conseillère n’avait pas attendue que la nouvelle tombe pour s’en réjouir mais, elle avait été tenue de garder le secret – de même qu’Hassan & Sohan – jusqu’à ce qu’elle puisse faire la surprise à ses parents. Clara savait très bien que même en en touchant un mot à une personne vivant à l’autre bout du pays, ou en chuchotant la nouvelle dans le vide sans personne pour l’entendre, Fatima la mère de l’intéressée allait tout de même percevoir la nouvelle. Il y’avait un truc chez cette femme où rien ne lui échappait jamais et c’était une libération pour Clara de pouvoir enfin annoncer la nouvelle à son père et Nicolas. Soulignons à quel point il peut comique de savoir que ce secret avait été lourd à porter quand l’on connait ceux de la jeune femme qui sont bien moins innocent, mais là n’est pas le sujet. Ce qui compte pour elle aujourd’hui, c’est qu’elle allait enfin pouvoir échanger avec son amie. Certes, elles avaient eu Skype. Yasmine avait eu la bonne volonté d’apprendre à utiliser correctement le logiciel pour ne pas laisser son entourage sans nouvelle, notamment parce que l’Afrique, c’est loin, inconnu et qu’en bonne petite australienne privilégiée, Clara se serait inquiétée pour à peu près n’importe quoi et ça, surtout si les infos avait passé la moindre information douteuse. Cependant, huit mois de communication via internet, ça ne rattrape pas huit mois de réalité, de vécu et là, il était grand temps de commencer à rattraper tout ça. Elle avait déjà prévenu Nicolas qu’elle ne serait pas disponible pour le voir ce soir, qu’elle préférait une soirée entre copine et si ça n’avait probablement pas ravi le garçon, il n’avait pas eu d’objection à lui donner car après tout, le motif est légitime et même sans accord, elle en aurait juste fait qu’à sa tête comme elle en est capable. Ce n’est pas un trait de caractère très simple à canalyser chez la blonde. Son père, en revanche, elle l’avait envoyé chez un de ses amis avec un pack de bière sans alcool, des grillades, pour aller regarder un match de foot, ou de rugby – elle ne sait plus vraiment – afin d’être tranquille à la maison. L’espace libéré, son emploi du temps aménagé, elle n’avait plus qu’à attendre l’arrivée de l’infirmière qui devait très probablement être encore en lutte avec le changement d’horaire et le sommeil qui pointe au moment où on en a le moins envie. Elle ne tarde pas à arriver et au moment où elle ouvre la porte, c’est une Yasmine avec laquelle elle n’a fait que correspondre et qu’elle n’a pas vu de ses yeux depuis des mois qui lui fait face, et le changement est très percevable. « Mais ta mère t’a laissé sortir avec la peau sur les os ? » Qu’elle s’écrie en riant, c’est probablement le détail qu’elle remarque en premier et qui fait sens, puisqu’elle n’a pas dû non plus mangé comme il fallait pendant son séjour. « Allez, entre, je suis contente de te voir. » Et forcément, c’est l’accolade, le bras qu’elle parvient à hisser sur les épaules de Yasmine, son amie lui avait beaucoup manqué et elle avait sûrement des tas de choses à raconter, à commencer par son séjour. Clara se rappelle encore l’état dans lequel elle était lorsqu’elle était revenue de sa propre expérience à l’étranger. « Alors ? Comment ils ont réagit ? » A propos de ses parents, parce que Clara aimerait au moins savoir qu’elle a tenu le secret pour une bonne raison.
Le retour au bercail s’était déroulé sans encombre. Il aurait pu se dérouler encore mieux si, la veille, Sohan avait été autorisé à rejoindre le reste de la famille pour profiter de sa sœur et de ses récits sur la vie au Niger. Yasmine avait édulcoré certaines parties de son histoire pour ne pas choquer Fatima, mais elle avait échangé plusieurs regards avec Hassan, des regards qui en disaient long sur ce qu’elle avait réellement vu là-bas. Des horreurs innommables qui continueraient à tourner longtemps dans son esprit, et pas seulement parce qu’elle avait la certitude d’avoir manqué de cran en partant après huit mois. D’autres défis l’attendaient ici, pour l’heure elle traînerait quelques jours encore le regret d’avoir abandonné Anita, l’équipe de bénévoles restés sur place, et surtout, ses patients. Même si le décalage horaire pesait lourd sur ses paupières, elle avait tenu à profiter de chaque instant avec ses proches, trouvant dans les plats épicés de sa mère le réconfort dont elle avait tant besoin. C’était une drôle de sensation. Sa tristesse d’être partie cohabitait avec sa joie d’être revenue, et quelques fois, elle s’était surprise à sentir des larmes gonfler au ras de ses cils – elle mettait ça sur le compte de la fatigue, s’attirant les œillades attendries de son père qui lui tapotait la tête en lui murmurant que ça se comprenait, et que tout irait bien. Dans ces cas-là, elle s’en remettait à ses sens ; elle avait pris les mains de sa mère pour les réchauffer et retrouver la douceur de ses paumes contre les siennes ; humé l’odeur si particulière, chargée de thé à la menthe, de son père ; et regardé longuement Hassan, plongeant son regard dans l’étendue sombre et tourmentée de ses iris, en quête de ce qu’elle avait annihilé un temps, confrontée à l’inconnu et à la maladie. Ce retour aux sources lui avait suffi à passer une bonne nuit, la première depuis des mois sans avoir un étau qui lui enserrait la poitrine et lui comprimait les poumons. Le confort de sa chambre d’adolescente l’avait apaisée et protégée comme un cocon douillet.
Elle ne s’était pas faite priée pour répondre aux tentatives de Fatima de la remplumer dès son réveil tardif. Elle la trouvait rachitique, et plusieurs fois, elle lui avait demandé si elle n’avait pas contracté un virus à la suite de son voyage là-bas. Le regard courroucé que sa fille lui lança mit fin à la conversation. Lorsqu’elle termina la vaisselle, et qu’elle tourna les talons pour se préparer à la matinée qui l’attendait – Clara lui avait donné rendez-vous en fin de matinée, son frère dans l’après-midi –, Fatima l’arrêta à la dernière seconde pour la serrer tendrement dans ses bras. Retrouver le foyer familial lui donnait le droit à ce genre de gestes affectueux ; c’était surtout son absence prolongée qui la plaçait en petite privilégiée, elle se demandait combien de temps cela durerait. Qu’importe, elle comptait bien se gaver de cette tendresse inopinée jusqu’à ce que sa jauge d’affection en soit pleine à craquer.
Après une douche rapide, malgré l’eau chaude à volonté et le savon au miel, c’est les cheveux encore mouillés que Yasmine quitta la maison pour s’engouffrer, à pieds, dans Logan City. Il faisait légèrement frais à l’extérieur. Elle accueillit cette fraîcheur avec un frisson qui lui fit glisser ses pointes humides dans le col de sa veste en jeans – le choc des températures, même si le printemps australien était doux, c’était peut-être ça le plus dur, finalement. Elle avait marché dans ce quartier des centaines de milliers de fois. Elle connaissait par cœur ses ruelles et ses voyettes-passages-secrets, l’odeur des fleurs des jardins voisins, et le déclic des arrosages automatiques. Pourtant, tout lui semblait différent, comme dans un rêve ; les couleurs étaient plus vives, l’arôme des plantes plus fort, et les petits bruits de la ville moins étouffés. Et d’ailleurs, depuis combien de temps exactement le quartier abritait-il autant d’adolescents ? Elle se posa vaguement cette question en montant, en petite foulée, les quelques marches du perron des Davis, et l’oublia sitôt le joli minois de Clara en face d’elle.
« J’ai dû longuement négocier. » rétorqua-t-elle en éclatant de rire à sa suite. Elle n’attendit pas, et se précipita dans les bras de la jeune femme « Tu t’es toujours pas mise à la soupe pour gagner quelques centimètres à ce que je vois. » Elle lui facilita donc la tache en se baissant légèrement pour raffermir leur étreinte, puis elle lui planta un baiser sur le sommet du crâne avant de sauter par-dessus le seuil de la porte pour rentrer. Clara était le genre de personne à vous insuffler une bonne dose de vitamine C à la seconde même où vous l’aperceviez. Un petit rayon de soleil qui lui avait manqué, malgré la visioconférence, et les quelques messages échangées. Rien ne valait le modèle grandeur nature – enfin grandeur nature, façon de parler. Yasmine retira ses cheveux humides de son col. Tout en suivant l’ondulation d’une mèche avec son doigt, elle emboîta le pas à Clara « Tu connais ma mère. Elle a un radar pour ce genre de choses, c’est difficile de la surprendre. Mais mon père, il a failli pleurer. T’as manqué quelque chose, qu’est-ce qui t’a retenue ? » lui demanda-t-elle en se retournant très furtivement pour la regarder par-dessus son épaule. Pendant un court instant, elle se demanda si ça n’avait pas un lien avec l’état de santé de son père, alors elle ajouta avec prudence « Ton père se sent comment en ce moment ? » Son expérience d’infirmière perça dans le ton de sa voix ; chassez le naturel…
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Dernière édition par Yasmine Khadji le Sam 30 Juin 2018, 17:15, édité 2 fois
Elle avait gardé un œil sur l’allée de rhododendron qui mène jusqu’à la porte de la maison afin de pourquoi guetter l’arrivée de son amie. Yasmine devait avoir tellement de choses à raconter, tellement de vécu que Clara avait envie de connaitre et elle-même avait tellement envie de revoir son amie. Elle lui avait manqué et son absence avait pesé, elle s’en rend compte maintenant qu’elle est revenue. Elle n’avait pas été seule durant ces derniers mois, elle avait Nicolas et même Ariane pour papoter et passer un bon moment, mais Yasmine, c’est la voix de la raison, c’est la personne la plus droite que Clara connaisse, celle qui montre l’exemple et donne envie à la blonde d’être une bien meilleure personne. C’est ridicule, mais Clara avait réalisé durant son absence qu’il manquait quelque chose et qu’elle avait dépassé beaucoup de borne et commis beaucoup d’écart parce qu’elle n’avait plus cette présence près d’elle qui lui donne autant envie d’être juste et honnête.
Enfin réunies, Clara n’avait pas pu s’empêcher, en guise de première réaction, de commenter le physique très changée de la jeune femme. Il faut dire que ça saute aux yeux quand on a connu l’infirmière et quand on a déjà goûté aux plats très fournis et généreux de la mère de cette dernière. Yasmine est désormais très maigre et porte sur elle une certaine fatigue, que Clara imagine être due au décalage horaire et un rythme de vie là-bas bien moins calme que celui que l’on peut avoir ici. Toutefois, ne voulant avoir l’air trop inquiet, elle avait choisi de commenter la chose à la rigolade. Après tout, Fatima ne laissait jamais personne quitter sa maison sans être repu. « J’ai dû longuement négocier. » avait répondu Yasmine avant de rire en renvoyant la monnaie de sa pièce à Clara en lui faisant à son tour une remarque sur son apparence. « Tu t’es toujours pas mise à la soupe pour gagner quelques centimètres à ce que je vois. » Elle l’avait sûrement mérité et à vrai dire, elle en rit plus qu’autre chose. A vingt-sept ans révolus, Clara peut maintenant se faire à l’idée qu’elle n’ira pas en grandissant et qu’elle aura toujours l’air d’une enfant dès qu’elle ira quelque part. « Disons que je doute encore de la véracité scientifique et du lien existant entre soupe et poussée de croissance » Qu’elle justifie affichant une petite moue avant d’ajouter « Et puis, être petite a son charme, j’adore quand Nicolas se sent obligé de se déplacer pour attraper ce qui n’est pas à ma hauteur. » Nicolas, ou tout autre homme, mais ça, elle va le garder pour elle. Place plutôt aux retrouvailles, à une étreinte de copine et à ce sentiment d’avoir retrouvé une part d’elle qui lui avait manqué pendant tous ces mois.
Elle referme la porte derrière elle et amène la demoiselle jusqu’au salon, demandant enfin comment c’était passé les retrouvailles en famille, si son retour avait bien été accueilli. Elle se doute qu’il l’était. « Tu connais ma mère. Elle a un radar pour ce genre de choses, c’est difficile de la surprendre. Mais mon père, il a failli pleurer. T’as manqué quelque chose, qu’est-ce qui t’a retenue ? » Et le sourire de Clara, apparu pendant le récit de Yasmine disparaît à sa question. Qu’est-ce qui l’a retenu ? Bonne question. Un entretien plutôt immoral dans un bar avec un inconnu, voilà ce qui l’avait fait décliné l’invitation de se joindre aux Khadji mais si Yasmine était sa meilleure amie, Clara appréhende encore plus sa réaction à elle si elle venait à apprendre la vérité que celle de Nicolas. Elle s’interdit, avant de répondre en haussant les épaules. « Le travail. C’est la période où on essaie de voir quels projets sont réalisables dans l’école et lesquelles attendront l’année prochaine. » Ce qui n’est pas tout à fait un mensonge, puisque c’est le cas. Ce n’est juste pas ce qui l’avait retenu. « Ton père se sent comment en ce moment ? » Nouvelle réserve. Difficile pour elle de parler de papa parce qu’il ne l’autorise pas à grand-chose. Mais, Yasmine sait ce que c’est. Davis père affiche la même réserve qu’avait eue Hassan à propos de sa situation et elle peut certainement deviner l’état des choses en observant le visage de la blonde. Il ne sert à rien de faire tant de cachotterie. « Il est toujours en rémission, selon le médecin mais il n’apprend pas de ce qui lui est arrivé et ne fait plus vraiment attention à son train de vie. Ce qui est assez agaçant, car ce n’est pas parce qu’il a survécu à un cancer que le pire est passé. » Elle s’agace en répondant mais surtout parce qu’elle n’a eu que trop peu l’occasion d’en parler parce qu’elle n’aime pas ça. Là, elle a l’impression que même en se taisant, Yasmine saura trouver réponse à ses questions. « Enfin, il sera content de te revoir. Là, il est partie à la pêche avec des copains. Je pense que si la prise est bonne, il passera chez tes parents. » Elle suppose. Il n’aimait pas gâcher ce qu’il attrapait et parfois, c’était bien trop pour lui et sa fille. « Tu verras par toi-même à ce moment là. En attendant, j’ai préparé des lasagnes pour nous. Je pense qu’on va bosser à ce que tu retrouves ta forme, sinon tu survivras pas au ramadan. »
Dernière édition par Clara Davis le Mer 23 Mai 2018, 14:24, édité 2 fois
« Nicolas, hein ? » Yasmine fit danser ses sourcils épais, mimant le sous-entendu, puis se mit à rire en renversant la tête en arrière. Vite rattrapée par son penchant pour la discrétion face à ce genre de sujets, elle retrouva son sérieux. Clara avait rencontré la perle rare, il n’y avait aucun doute là-dessus. Elle semblait heureuse et épanouie aux côtés du jeune homme. Yasmine le connaissait peu en vérité, elle était néanmoins convaincue que pour avoir autant d’importance aux yeux de Clara, il fallait respecter une certaine liste bien définie de qualités pour mieux contrebalancer avec les quelques défauts qu’elle se reconnaissait et qu’elle n’essayait pas – pas tout le temps du moins – de cacher. De son côté, elle préférait garder pour elle son caractère fleur bleue, renouant avec ses habitudes d’enfant légèrement rebelle, et roulant des yeux chaque fois que Fatima lui répétait pour la énième fois de sa vie qu’elle devrait tôt ou tard s’occuper un peu de sa vie amoureuse, et de préférence, en prenant en compte tous ses critères. Mais dans le fond, l’idylle que vivait la jeune femme avec son prince charmant avait de quoi la rendre envieuse, même si elle n’avouerait jamais à quiconque à quel point ça lui plairait de vivre, rien qu’une fois seulement, une histoire aussi intense que la leur. Sa propre vie privée était un sujet tabou, un temple aux portes scellées que personne n’avait jamais réussi à défoncer tant elle s’obstinait à se protéger ; d’une certaine vérité, de cette évidence enfouie au creux de sa poitrine, près de son cœur qui bondissait chaque fois que l’idée lui effleurait l’esprit.
De toute façon, elle n’y pensait même pas à cet instant, pas vraiment. Suivant Clara avec élan, elle s’enquit rapidement des raisons de son absence lors de son atterrissage à l’aéroport, craignant que cela puisse à voir avec la santé de son père « Déjà ? Mais on est en mai, c’est pas un peu tôt pour étudier des projets pour l’an prochain ? » s’autorisa-t-elle à lui demander innocemment, tout en suivant le chemin tracé par la silhouette menue de Clara. Finalement, elle haussa les épaules, la bouche légèrement affaissée par la perplexité. Pour ce qu’elle en savait après tout. S’installant sur la première causeuse qu’elle rencontra en entrant dans le salon, elle soupira de soulagement, rassérénée sur la santé du malade. Elle retira sa veste, et restant un instant à réfléchir à la suite de la réponse de son amie à qui elle adressa un regard distrait. Ce serait certainement agaçant pour son entourage à l’heure de son retour, mais Yasmine avait l’impression, à cause de son séjour et des situations difficiles qu’elle avait affrontées, d’être la détentrice d’un secret qu’elle savait qu’elle aurait dû mal à ne pas partager sans être taxée d’insupportable arrogante ; il y avait toujours pire ailleurs, on ne pouvait absolument pas se mettre à la place de quelqu’un qui avait vécu l’horreur et la maladie, la souffrance et l’infamie. Si elle avait une leçon à retenir au contact de la population qu’elle avait eu à soigner, c’était qu’importe l’inquiétude et qu’importe l’empathie, il fallait les utiliser avec parcimonie pour ne pas interférer avec la gestion de la maladie et de la douleur d’autrui.
« Laisse-lui le temps, il le comprendra par lui-même. Je sais que c’est dur. » Elle lui prit la main, serrant ses doigts entre les siens pour la rassurer. Elle le savait plus que n’importe qui d’ailleurs, mais elle non plus, elle n’avait pas envie d’en parler. Ressasser n’était pas ce qu’elle faisait de mieux, ainsi son visage s’illumina à la mention de ses retrouvailles avec le père de la jeune femme, et davantage lorsqu’elle lui avoua avoir préparé quelque chose à manger. Non sans s’offusquer avant toute chose, commençant à ressentir une pointe de vexation à propos de tous ces gens qui la disaient trop maigre « Ca vaaaa, je suis pas si squelettique. Et regarde comme mes cheveux ont poussés. On avait une bénévole super douée pour les nattes ! Ils ont pas trop souffert du soleil, ça doit être dans les gènes. » Le seul trait de vanité de Yasmine : sa chevelure qu’elle n’avait pas coupée depuis huit mois, et qui lui tombait bien en-dessous des épaules désormais. Triturant paresseusement, et la moue légèrement boudeuse, ses pointes humides, c’est avec un sourire qu’elle releva la tête pour lui dire « Ne le dis à personne – surtout pas à ma mère ! » insista-t-elle en faisant de gros yeux, et en se redressant, droite comme un i « Mais tes lasagnes seront le meilleur cadeau de retour qu’on m’a fait jusqu’à maintenant. » Elle sourit plus fort, et profitant de sa proximité avec Clara pour la prendre dans ses bras, elle entoura ses petites épaules en minaudant « Je suis tellement contente de te voir. »
AVENGEDINCHAINS
Dernière édition par Yasmine Khadji le Sam 30 Juin 2018, 17:15, édité 1 fois
« Nicolas, hein ? » Et les sourcils de Yasmine disent tout du sujet de conversation qui s’installe, Clara se contente de sourire fièrement parce qu’elle a réussi à décocher le petit ami parfait et que malgré tout ce qu’elle lui cache, elle en est très amoureuse. Les jeunes femmes n’étaient pas le genre d’ordinaire à parler garçon, notamment parce que Yasmine n’est pas aussi portée sur le sujet que Clara et parce que Clara de son côté déteste aborder le moindre sujet de sa vie privée, et même à une personne aussi proche, mais depuis que le pilote avait fait son entrée dans sa vie, c’était différent. Elle avait eu envie d’essayer de construire quelque chose et de l’intégrer à son quotidien, à ses proches et malgré son échec masqué (parce que voilà plus d’un an qu’elle lui ment, tout de même), c’est toujours le cas quelque part. « Celui-là même ! » Qu’elle répond, avant d’avancer. « Je lui aurais proposé de se joindre à nous mais il a un vol. » Elle fait la moue tout en espérant que Yasmine ne prenne pas cette excuse comme une raison pour ne pas lui présenter le garçon. Clara a conscience qu’elle ne l’exhibe pas autant qu’il le faudrait pour un couple normal, qu’on ne le voit pas aussi souvent que l’on s’y attendrait mais elle reste sincère en sous-entendant qu’elle aurait voulu qu’il soit là, au moins pour revoir Yasmine.
« Déjà ? Mais on est en mai, c’est pas un peu tôt pour étudier des projets pour l’an prochain ? » Qu’elle fait remarquer à la seconde excuse de Clara concernant son absence lors des retrouvailles Khadjaafari. Là, c’est beaucoup moins simple de mentir parce qu’en vérité, elle aurait pu venir, elle n’avait juste pas osé et savait déjà qu’elle aurait sa meilleure amie pour elle le lendemain midi. « Non, on sait déjà à peu près ce qu’on aura l’argent de financer et ce qui n’en aura pas. Du coup, faut préparer les activités qui rapportent un peu dans les caisses. Bref, on est pauvre et faut faire la manche. » Qu’elle résume rapidement, voulant laisser ses problèmes professionnel au lycée. Personne n’a jusque-là faire preuve de sérendipité dans ces réunions là et Clara sait très bien qu’il faudra mettre la main aux fourneaux pour amener les parents à déposer quelques pièces dans les caisses de l’école donc autant profiter de ses moments de repos pour ne pas trop penser à ça. Cela viendra bien assez vite. Pour le moment, elles ont mieux à rattraper, comme la maladie de Davis père, dont Clara s’était évertué à ne pas parler via Skype tandis que Yasmine était témoin de chose bien pire et révoltante. De plus, la blonde n’avait jamais beaucoup de bonne foi à parler de ce sujet. Comme son père, quand on y pense. « Laisse-lui le temps, il le comprendra par lui-même. Je sais que c’est dur. » Ouais, c’est ce qu’avait aussi dit Hassan mais ce n’est jamais chose simple à faire que de se convaincre que tout va bien. On parle de cancer et Clara se refuse à minimiser la chose, son père est gravement malade et il devrait prendre soin de lui. Ombre au tableau : Ce dernier a décidé d’agir comme un adolescent à la moindre remarque de Clara. Une façon déguisée, elle en est certaine, de se venger de tout ce qu’elle lui aura fait subit à l’adolescence.
« Ca vaaaa, je suis pas si squelettique. Et regarde comme mes cheveux ont poussés. On avait une bénévole super douée pour les nattes ! Ils ont pas trop souffert du soleil, ça doit être dans les gènes. » Qu’elle répond à la nouvelle remarque de Clara sur son apparence. Elle sait que c’est inapproprié et qu’après tout, Yasmine a l’air très bien et pas malade mais elle ne peut s’en empêcher de remonter le sujet, quelque chose, elle s’inquiète très probablement que les conditions là bas aient plus dures que ce qu’elle veut lui faire croire et quand même que Clara ait eu une version pas trop édulcorée du séjour. « J’ai vu ça ! » Qu’elle répond en tendant la main pour sentir le cheveu de son amie. « On aurait quinze ans de moins, je serais en train d’insister pour te les coiffer je crois. » Qu’elle annonce en riant avant de la rassurer. « Mais, je me contrôle, t’inquiète. » Quoiqu’à la regarder passer doucement ses doigts dans sa chevelure, il y’a vraiment de quoi vouloir retomber en enfance. « Ne le dis à personne – surtout pas à ma mère ! » Elle s’approche, observant derrière elle pour vérifier que l’ombre fantomatique de Fatima ne soit pas derrière à épier le secret de Yasmine. « Mais tes lasagnes seront le meilleur cadeau de retour qu’on m’a fait jusqu’à maintenant. » Ah oui, tu parles que là, Fatima n’en entendra pas parler. Elle est une cuisinière de folie avec une hospitalité qui réchauffe tout. La comparaison est presque improbable. « Promis, je ne lui dirais rien. » Elle fait le signe d’un motus et bouche cousu avant de jeter la clé fictive derrière elle. « Je suis tellement contente de te voir. » lui confie Yasmine, et Clara soupire, si elle savait combien son aura lui avait manqué également. Malheureusement, c’est très peu avouable. « A moi aussi. J’ai l’impression que tu es partie une éternité. C’était vraiment pas simple, j’aurais bien eu besoin de tes grands et sages conseils. » Notamment pour tout ce qui est raccord à Nicolas, leur relation et ses problèmes d’engagement. « Mais bon, je crois que tu en avais besoin de ce voyage, j’espère juste que tu ne repartiras pas trop vite. »
Dernière édition par Clara Davis le Mer 23 Mai 2018, 14:28, édité 2 fois
Si les premiers temps après son départ de Brisbane, un sentiment de culpabilité tenace s’était vicieusement emparé d’elle, Yasmine avait finalement réussi à endosser son nouveau rôle de bénévole en se répétant inlassablement que c’était un mal pour un bien, que personne ne lui en voudrait de tout quitter momentanément pour s’occuper d’une ribambelle d’inconnus, et que la distance ne ferait que confirmer l’affection sincère qu’elle entretenait à l’égard de ses proches. Elle s’était montrée magnanime dans sa façon de présenter sa mission humanitaire à Diffa, répétant à qui voulait bien l’entendre que ça représentait une sacrée opportunité pour elle que de s’envoler vers d’autres contrées où il ne faisait pas toujours bon vivre, et même qu’elle avait hâte d’être dans le cœur de l’action. Cette vérité qu’elle avait tenté de dépeindre avant de s’en aller, elle l’avait modelée de façon à ce que la crainte latente de faire une erreur en choisissant de s’éloigner ne vienne gâcher l’expérience qu’elle avait fini par vivre, coupée de son petit monde, souvent seule avec sa conscience. Ses intentions en partant à des milliers de kilomètres n’étaient pas que louables en vérité, et elle avait eu peur d’être percée à jour. Dans le fond, elle savait parfaitement qu’elle avait choisi de fuir une quantité de soucis, devenus trop lourds à porter pour elle ; elle avait mal vécu la maladie d’Hassan et sa tentative de suicide, puis cette proximité qu’elle tentait de déchiffrer sans trop creuser non plus, effrayée par ce qu’elle remonterait à la surface un jour ou l’autre ; la petite santé de son père pesait dans la balance aussi, tandis qu’elle avait redouté une nouvelle plongée dans cet univers rude et anxiogène qu’était la menace de la perte imminente d’un être cher ; mais c’était les différents conflits – entre Sohan et ses parents, entre elle et Joanne, entre elle et son dernier petit ami aussi – qui avaient jalonné son parcours ces dernières années, et cette angoisse – constante, imprévisible – qui l’oppressaient. En d’autres termes, elle avait eu besoin de s’aérer, sauf qu’au lieu de l’assumer ouvertement, elle avait préféré prendre sa profession comme excuse pour se retrouver et faire le point. Alors, son retour, Yasmine ne l’avait pas abordé aussi sereinement qu’elle tachait de le faire croire. Consciente qu’elle n’avait fait que mettre en stand-by certains de ses états d’âme, elle l’avait chaque fois repoussé, toujours tourmentée par ce qui l’avait fait boucler ses valises et se perdre corps et âme dans la pratique de son métier. Et sans le savoir, Clara venait de le lui rappeler en pointant du doigt la durée interminable de son absence – pour quoi finalement ? Elle tenta de ne pas perdre son sourire tout de suite.
« Mais je suis rentrée, maintenant, et mes grands et sages conseils n’ont pas de date de péremption. Si t’en as besoin, suffit de me raconter. » Elle haussa les épaules pour ponctuer sa phrase, l’air de ne pas y toucher. Défaisant l’étreinte qui la liait à Clara, le sourire moins ouvert, elle se laissa asseoir plus profondément dans la causeuse. S’intéressant une longue seconde à ses fourches, elle finit par plisser les yeux en l’entendant lui prétendre un autre voyage. Alors suspicieuse, elle lui demanda « Qu’est-ce qui te dit que je vais repartir ? J’ai peut-être des projets ici. » Yasmine savait que Clara ne lâcherait pas l’affaire tant qu’elle ne lui dirait pas de quoi il en retournait exactement. C’était un trait de caractère qu’elle appréciait chez elle, sa pugnacité à tirer les vers du nez de ceux à qui elle tenait – et le pire, c’est qu’elle était douée, elle en avait quasiment fait son métier. De son côté, et ce même si elle savait que de jouer la réserve lui donnerait un avantage considérable sur la suite de leur journée, elle n’était pas assez vicieuse pour en profiter – en lui soutirant une plus grosse part de lasagnes contre ce petit secret qu’elle gardait précieusement, par exemple. De ce fait, à peine discrète quant au fait qu’elle se trouvait mauvaise au chantage, elle roula des yeux, se laissant tomber de côté dans le fauteuil. Retenant sa tête, qui ballotta un instant, en posant son menton dans le creux de sa paume, elle marmonna timidement « J’ai peut-être l’intention de reprendre la fac. C’est pas vraiment un secret, mais si tu pouvais ne pas trop l’ébruiter pour le moment, ça empêcherait aux parents de se faire du souci. »
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Dernière édition par Yasmine Khadji le Sam 30 Juin 2018, 17:15, édité 1 fois
« Mais je suis rentrée, maintenant, et mes grands et sages conseils n’ont pas de date de péremption. Si t’en as besoin, suffit de me raconter. » Et c’est là tout le dilemme. Si Clara est sincère en disant qu’elle aurait eu besoin de la sagesse de Yasmine à ses côtés dernièrement, elle sait que le gros sa demande d’attention tourne autour de sa situation avec Nicolas et les quelques hommes qu’elle a fréquenté ces derniers mois et là, elle se ravise doucement, ne voulant pas raconter la situation de peur d’être vite jugée, ou que Yasmine lui remette les idées en place –comme elle aimerait qu’elle fasse mais qu’en même temps, non – et qu’elle soit obligée de tout avouer à Nicolas. Clara n’est pas prête et cette angoisse, elle sait qu’elle aimerait la partager mais, elle revient au point de départ : elle ne peut pas car elle connait la suite juste des évènements, de la marche à suivre et que pour l’instant, son égoïsme est beaucoup trop fort pour ça. Et c’est parce que l’altruisme de Yasmine met tout ça en lumière qu’elle change rapidement de sujet, qu’elle n’entreprend pas de raconter quoi que ce soit de ses soucis et qu’elle décide de tourner le sujet vers elle, son voyage, ce qu’il lui a apporté. « Qu’est-ce qui te dit que je vais repartir ? J’ai peut-être des projets ici. » Le visage de la blonde se détend. Sans qu’elle n’ait à dire quoi que ce soit, Yasmine est probablement déjà entendre le tell me more, tell me more sous des airs de Grease. Ce n’est jamais une bonne idée de susciter la curiosité de Clara de la sorte, parce qu’elle finit toujours par découvrir ce qui se cache derrière les mystères. Elle a assez de tempérament pour ne jamais lâcher le morceau, et c’est tout à son honneur qu’elle ne divulgue jamais les précieuses informations qui lui sont confiés. « J’ai peut-être l’intention de reprendre la fac. C’est pas vraiment un secret, mais si tu pouvais ne pas trop l’ébruiter pour le moment, ça empêcherait aux parents de se faire du souci. » Ses doigts dessinent une petite clé autour de ses lèvres qu’elle fait mine de jeter dans le vide, signe qu’elle ne dira rien tant que ça ne sera pas annoncé officiellement. C’est bien, qu’elle ait pris cette décision et qu’elle ait encore des projets. En un sens, Clara l’envie un peu parce qu’il y’a toutes ces opportunités qui s’ouvrent à elle et que c’est une chance. « Promis, je ne dirais rien. » Qu’elle assure, avant de venir sur ses grands chevaux. « Mais en échange, je veux en savoir plus. Tu dois déjà savoir où t’orienter j’imagine. » Et là, c’est peut-être un brin de déformation professionnel qui prend possession d’elle quand elle pose la question, mais elle est certaine que toutes les portes sont ouvertes à Yasmine et qu’elle ne doit avoir que l’embarras du choix. Oui, elle a tendance à très rapidement idéaliser son amie. « Tu en as déjà parlé à quelqu’un ? Sohan ou Hassan ? »
Yasmine n’en attendait pas moins de Clara. Néanmoins, le fait qu’elle lui assure qu’elle ne dirait rien pour le moment la soulagea de quelques grammes et la fit sourire derrière la paume de sa main, qu’elle finit par écarter de sa bouche en prenant une très grande et très profonde inspiration « C’était prévu que je fasse médecine après le lycée. » C’était une rumeur qui courrait dans le cercle très fermé du clan KhadJaafari. Clan que Clara avait indirectement rejoint grâce à l’union de sa sœur avec Qasim – comme quoi les liens sacrés du mariage faisaient drôlement bien les choses. Un haussement d’épaules après, un point imaginaire, presque sentencieux, se dissémina dans l’air. Allongeant de fait la pause qu’elle marqua, Yasmine reprit enfin, tout en se redressant sur son séant qui fit crisser la causeuse sous son poids plume « On dit que l’argent ne fait pas le bonheur, mais quand tu grandis avec certaines ambitions, c’est quand même bien pratique d’avoir de quoi assurer tes arrières. » Ce qu’elle n’avait pas pu faire, les finances des Khadji reposant entièrement sur le succès de la cordonnerie d’Amjad et les petits boulots éphémères de ses enfants dont l’adolescence avait été jalonnée de tâches ingrates dans les stands de nourritures bordant Queen Street Mall.
Ils n’avaient jamais été pauvres, ils n’avaient jamais été riches non plus. Parce que vivre dans un entre-deux s’avérait plus frustrant qu’autre chose, chacun s’était donné les moyens de vivre une belle vie sans faire toute une affaire des mois difficiles et des privations occasionnelles. Sohan et Yasmine n’avaient manqué de rien, c’était l’essentiel, et même si cette dernière n’avait jamais nourri aucune amertume à propos de son rêve avorté de devenir médecin, elle avait trouvé ça injuste de devoir y renoncer pour une histoire de gros sous. Elle l’avait fait néanmoins, quelques mois avant l’obtention de son diplôme. S’engager dans une voie qui lui avait permis de côtoyer ce monde de très près l’avait réconfortée, lui permettant de s’épanouir et d’oublier qu’à un moment de sa vie, elle avait eu la prétention de penser qu’elle pourrait, peut-être… Son expérience au Niger l’avait fait renouer avec ses anciennes velléités – on l’avait félicité pour son savoir-faire et sa dextérité, s’effarant à l’idée qu’un tel potentiel était sous-exploité, et l’encourageant à se donner toujours plus pour exceller sous la contrainte de l’urgence et de la misère. Alors elle ne savait pas si elle oserait mener à bien son projet. Des variables étaient à prendre en considération, sans compter qu’elle n’était pas plus riche qu’à l’époque de l’adolescence. Pourtant, elle avait besoin de s’y accrocher, à ce projet. De se dire qu’elle finirait par démarcher, juste pour se conforter dans l’idée que son voyage n’avait pas été vain, et que, malgré ce qu’elle avait affirmé à sa meilleure amie pour la sécuriser, elle pourrait y retourner avec son propre stéthoscope.
« Tu parles, ils s’inquièteraient autant que les anciens. » Ce n’était pourtant pas nécessaire – sauf qu’elle était la seule fille de la famille, la petite sœur pour laquelle on se rongeait les sangs même si elle était sensée et cohérente dans sa façon de vivre sa vie « Hassan en est encore à devoir se pincer pour être sûr qu’il n’a pas rêvé mon retour. » En même temps, elle n’était rentrée que la veille. Elle laissa échapper un ricanement attendri, et puis « Je préfère les ménager, je viens juste de rentrer. Je le ferai plus tard, quand ma présence redeviendra une habitude. » Et qu’ils ne l’accuseront pas d’agir sous le coup d’une lubie passagère, fruit du choc secret qu’elle ressentait de plus en plus entre ici et là-bas. Elle croisa les jambes, se calant plus élégamment dans le fond de la causeuse, et riva son regard translucide sur le visage de Clara. En l’observant, elle eut la certitude ancrée que d’une façon qu’elle n’expliquait pas, elle comprendrait son envie d’en donner plus, d’en avoir plus si elle s’évertuait à le lui expliquer – mais ce n’était pas le bon moment, l’heure du déjeuner approchait. Mentalement, Yasmine revint sur le silence inhabituel de la blondinette lorsqu’elle lui avait proposé ses sages conseils. Sans y réfléchir, et dans un plissement de paupières légèrement suspicieux, elle lui demanda doucement « Tu me le dirais si quelque chose n’allait pas de ton côté ? » Elle marqua un temps. Reprit tout aussi doucement « Je peux encaisser tu sais. »
Sa curiosité naturelle prend vite le dessus sur tout ce qu’elle pouvait avoir en tête avant que Yasmine n’aborde l’idée de reprendre la fac. C’est une décision qu’elle trouve très courageuse. Non pas parce qu’elle émet le simple doute quant aux chances de réussite de son entreprise mais bien parce que reprendre les bancs scolaires à la trentaine est beaucoup moins aisé qu’il n’y parait. Il y’a tout le décalage générationnel à gérer et en plus de ça, une question financière non négligeable. Ce que Clara en sait, c’est qu’elle n’aurait jamais le courage ou l’ambition d’en faire autant. Son diplôme, chose était assurée qu’elle ne remettrait jamais les pieds à l’école. Décision bien ironique quand on sait l’emploi qu’elle occupe désormais. « C’était prévu que je fasse médecine après le lycée. » La réponse de Yasmine met en parallèle le côté un peu stupide de la question de Clara. Bien sûr que si elle comptait reprendre des études, ça n’allait pas être dans un domaine à mille lieues du siens et ayant eu vent à l’époque des ambitions avortées de la jeune femme, elle aurait pu se douter qu’elle reviendrait à ses amours. Le silence est là, marqué par Yasmine et auquel Clara ne sait pas comment l’interrompre. « On dit que l’argent ne fait pas le bonheur, mais quand tu grandis avec certaines ambitions, c’est quand même bien pratique d’avoir de quoi assurer tes arrières. » Qu’elle ajoute, anticipant la question de la blonde sur les raisons l’ayant amené à ne pas poursuivre cette voie, bien qu’elle ne l’aurait pas posé, s’imaginant bien que c’était soit une question d’argent, soit une réticence de la part de Fatimah de voir sa fille unique consacrer plus de dix ans de sa vie à la médecine et non à la fondation d’une famille. Du moins, c’est ce qu’elle aurait pensé mais n’aurait pas eu l’impudence de formuler à haute voix. Quelque part, la précision de Yasmine lui retire une épine du pied. « Et maintenant ? Tu as de quoi ? » Qu’elle demande le plus sérieusement du monde, parce que si les rêves de sa meilleure amie ne tiennent qu’à une question financière, Clara est bien décidée à l’aider à trouver un moyen d’y venir à bout. Quitte à prendre elle-même un crédit. Evidemment, cette question est importante à élucider et avant d’en apprendre plus, il est assez primordial pour Clara de savoir si la question a été abordée avec son frère ou même Hassan. Histoire de savoir où Yasmine se situe. « Tu parles, ils s’inquièteraient autant que les anciens. » Elle étouffe un rire. Pas parce que c’est drôle mais parce que cette risible cette manie à être autant à jouer les mères poules autour de Yasmine comme si cette dernière était en verre. « Hassan en est encore à devoir se pincer pour être sûr qu’il n’a pas rêvé mon retour. » En même temps, Hassan avait pas mal attendu et lui avait fait savoir à Noël que la présence de Yasmine lui manquait, aucune surprise pour elle qu’il ait du mal à réaliser compte tenu du fait que Yasmine n’est pas là depuis plus de 48h. Concernant leur précédente conversation au sujet de ses ambitions, Clara garde son opinion pour elle vu qu’après tout, si Yasmine doit faire quelque chose, elle n’attendra pas qu’on lui en donne le droit. « Je préfère les ménager, je viens juste de rentrer. Je le ferai plus tard, quand ma présence redeviendra une habitude. » Elle acquiesce, déposant un « ça marche ! » au passage. « Tu me diras quand tu auras abordé le sujet, mais si jamais t’as besoin, je te soutiens.» Même si Yasmine devrait le savoir, cela ne fait pas de mal de le dire à haute voix et en le faisant, Clara soutient du regard que peu importe la nature de l’aide, elle est là. « Tu me le dirais si quelque chose n’allait pas de ton côté ? » Qu’elle reprend, amenant la blonde à hausser les épaules, montrant de cette façon qu’il y’a quelque chose mais qu’elle n’est pas déterminée à le dire. C’est un sentiment, mais pas une certitude alors elle ignore si elle doit réellement en parler. Vu de l’extérieur, rien peut ne pas aller chez Clara. Un boulot. Un copain parfait. Des copines. Et même si la santé de son père est source d’inquiétude, il va mieux. « Je peux encaisser tu sais. » C’est le silence. Un qui a trop duré pour qu’elle puisse rattraper et lui faire croire que tout va bien. Pour autant, elle n’est pas décidée à tout lui dire. « C’est rien, je me pose juste plein de question en ce moment et j’arrive pas à savoir ce que je veux vraiment. » A savoir, Nicolas ou sa liberté après laquelle elle passe son temps à courir. « J’ai juste le sentiment qu’un truc cloche chez moi, mais je ne sais pas d’où ça vient et pourquoi c’est comme ça. C’est comme si ma situation me convenait pas et qu’en même temps, je reste là où je devrais être. » Du charabia qu’elle raconte. Mais s’il y’a une personne pour traduire ses propos dans un langage compréhensible, ça reste Yasmine. « Au moins, y’en a une de nous deux qui a une de là où elle veut aller. »
Un haussement d’épaules de plus, et Yasmine entama, d’abord sur le ton serein de la conversation « Pas vraiment, mais je dépends plus de mes parents. » Tout le problème avait été là à l’époque des grands choix d’orientation que son interlocutrice connaissait si bien : elle avait beau ne pas rechigner devant le travail ingrat et les salaires de misère pour s’assurer un peu d’argent de poche, Yasmine avait pressenti que ça n’aurait pas suffi, et qu’une partie des revenus de son père, modeste cordonnier qui ne comptait par ses heures de travail pour faire vivre un foyer de quatre personnes, serait passée dans le règlement de ses frais de scolarité. Et parce qu’elle n’était pas fille unique, elle avait préféré passer son tour et envisager une carrière toute aussi prestigieuse sans être obligée de vendre un rein au marché noir, ou de faire l’impasse sur les bons repas de Fatima. Elle verrouilla son regard déterminé à celui de Clara « Rien ne m’empêche de contracter un prêt étudiant en gardant à l’esprit que je finirai par le rembourser dans sa totalité après mes études. » renchérit-elle de but en blanc, prouvant de fait à quel point elle avait songé à tout ça, et combien ça la rendait fébrile d’en discuter à haute voix. C’était la grande différence entre faire des projets de ce genre à 18 ans et en faire de plus gros à 30 ans. A 18 ans, la pression familiale est telle que revoir ses ambitions à la baisse devient obligatoire pour ne pas mettre ses tuteurs légaux dans la panade en les poussant à contracter des prêts étudiants trop coûteux qui les suivent jusque dans la tombe, mais à 30 ans, même si c’est toujours tortueux de se lancer dans des crédits de ce genre, personne d’autre ne risque de pâtir de l’excès de zèle d’un étudiant trentenaire à en devenir. Et puisque le sacrifice était une notion que Yasmine avait apprise très tôt, se nourrir de plâtrée de pâtes jusqu’à la fin de ses études ne l’empêcheraient pas de savourer le plaisir d’enfin pouvoir prétendre au rêve qui l’avait animé durant de nombreuses années ; elle n’avait plus 15 ans, elle saurait assumer. C’était risqué, elle le concevait sans tortiller, mais sa situation ne resterait pas sans issue. Sa fierté en ressortirait meurtrie en cas d’échec, elle saurait s’en accommoder et vivre avec, ce n’était pas la première fois qu’elle aurait à traiter avec la déception. Elle opina du chef, reconnaissante quand Clara lui apporta son soutien « Le plus tôt possible, je te le promets, et merci, princesse. » Elle faillit ajouter quelque chose, lui demander si elle pouvait éventuellement la rancarder sur les différentes bourses et crédits auxquels elle pouvait prétendre dans sa situation, mais elle fit une volte-face mentale ; il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation, elle n’était rentrée depuis la veille que déjà, elle se montait le bourrichon toute seule en s’imaginant occuper de nouveau les bancs de la fac. Chaque chose en son temps.
Elle exhala, doucement, sûrement, prenant le temps d’observer le visage de celle qui lui faisait face. D’ailleurs, elle remarqua que quelque chose n’était pas comme d’habitude. Simple mauvais pressentiment ou pas, elle veilla à ce que Clara ne lui dissimule rien en lui posant ouvertement la question, et la réponse qu’elle lui adressa la laissa interdite une, deux trois, secondes, et puis… « Ça se passe pas bien entre vous, il est gentil au moins ? » Elle s’entendit émettre cette question, un tantinet naïve, et dans le ton de sa voix, mais aussi dans le froncement de sourcils qu’elle emprunta, elle reconnut les intonations de la maman orientales qui avaient pris soin d’elle toute sa vie – ça n’avait rien de rassurant, même si elle vouait un respect incommensurable à Fatima. Pour échapper à cette introspection de la femme qu’elle était condamnée à devenir si elle ne se reprenait pas un peu, elle se leva pour venir s’asseoir plus près de Clara qu’elle enlaça de biais. Posant sa tête contre la sienne, elle affaissa les commissures de sa bouche, feintant la tristesse, en ne disant rien sur le moment ; parce qu’elle la comprenait en vérité, sans avoir besoin qu’elle explicite ses pensées – elles étaient toutes deux des éternelles insatisfaites, incapables de se contenter d’un seul coin de paradis quand le monde entier leur tendait chaleureusement les bras « Un truc cloche chez toi, c’est ce qui fait tout ton charme. » Elle faisait mine de ne pas s’inquiéter, mais les doutes de Clara la contrariaient vraiment : si elle, elle perdait espoir, qui autour pouvait encore y croire ? Elle ferma brièvement les yeux, avant de sourire. Se redressant pour la regarder, Yasmine tapota la cuisse de la jeune femme en se levant d’un bond, et lui demanda « Depuis quand on est devenues aussi sérieuses ? Allez, on se bouge, blondie, tes lasagnes vont refroidir ! » Yasmine n’avait jamais été autre chose que sérieuse, Clara le savait très bien, et c’était pour cette raison qu’elles s’entendaient si bien.