We have GPS and yet, we're still lost And to a dog, dog food is just food And to a sock, a mansion's just a big shoe
Ouverte subitement, se rabattant presque aussi violemment sur le coin du crâne de Kelly, la porte heurta le mur de l'entrée avec un grand bruit mat qui la fit sursauter elle-même. Néanmoins, c'était le garçon qui s'était invité dans son allée de garage qui l'intéressait, et il releva la tête avec la vivacité d'un suricate. “Hé ! Toi !” Elle ne connaissait pas son nom, elle ne l'avait jamais vu dans le quartier auparavant. Et dans la mesure où elle était de ces personnes qui en savaient bien trop sur leurs voisins en se montrant simplement observateurs, dotée d'une inépuisable mémoire autant pour les grands événements que les petits détails, si Kelly Ward disait qu'elle n’avait jamais croisé le garnement par le passé, alors elle ne pouvait avoir tort. Un nouveau, donc, visiblement pressé de faire une bonne impression. Se sachant repéré, il prit ses jambes à son cou. Une éventualité à laquelle la brune n’avait pas songé. Les yeux ronds, elle ne put que constater que le temps que la surprise passe, l'adolescent avait rejoint le bout de la rue et s'apprêtait à disparaître dans l'angle. “Reviens ici !” Comme s'il s'était montré du genre à obéir à ses protestations. Kelly leva les yeux au ciel, soupira, exaspérée. Elle ne pouvait décemment pas laisser passer ceci ; sa voiture était l'un de ses bébés, sa Mini Cooper d'un vert pomme pop et acidulé qui la rendait remarquable à plusieurs centaines de mètres dans le rétroviseur. Impossible de la manquer, à vrai dire, tant sa conductrice avait tendance à changer d'avis au milieu des carrefours au dernier moment, mettre le mauvais clignotant, et passer vingt minutes sur ses créneaux. Un miracle, donc, que l'auto ait toujours été intacte jusqu'à ce jour. Le rebelle devait être puni, il ne pouvait en être autrement, et Lee se disait qu'elle devait au moins faire son possible afin que justice soit faite. C'est donc en chaussons qu'elle s'élança à la poursuite du garçon -qu’elle tenta, en tout cas, réalisant en bas de l'allée de garage qu'elle finirait bien vite par se prendre les pieds dans ses propres claquettes et s'étaler au milieu de la rue ; elle les ota donc sans une once d'hésitation, gonflée à bloc par sa détermination, et reprit sa course pieds nus sur le bitume. À grandes foulées, elle atteignit rapidement le bout de la rue, juste à temps pour voir le garnement tourner plus loin dans l'espoir de la semer -ou sans se douter, peut-être, que l'on puisse le pourchasser au milieu de Logan City en yoga pants. Manquant de se faire renverser à une ou deux reprises, ayant épargné à ses orteils le passage de roues de vélo de justesse mais pas à son talon de s'écraser sur un caillou qui la fit gémir de douleur entre ses dents, tout ceci en valait finalement le coup lorsque ses doigts se refermèrent sur le col du garnement. Elle l'avait, elle le tenait, et Lee en était si fière qu'elle ne songea pas, sur le moment, à ses pieds gris, ses joues rouges où perlaient de la sueur, et ses yeux écarquillés par l'envie de l'étrangler de ses propres mains pour lui avoir fait subir pareil périple. Ce qu'elle n’avait plus, outre sa dignité, c'était son souffle, et sa main aux doigts enfoncés dans l'épaule du garçon en fit peu à peu la béquille sur laquelle s'appuyer le temps de se remettre de ses émotions. “T-tu as... rayé... ma voiture. Je t'ai vu faire, espèce de… de… petit vandale !” Nul besoin de préciser que son éventail de jurons n’allait pas beaucoup plus loin que cela, et saperlipopette. “Tu sais que je pourrais en toucher un mot à la police ? reprit-elle en se redressant enfin. C'est un peu tôt pour débuter un casier judiciaire, tu trouves pas ?” Lee n’avait aucune intention d'atteindre cet extrême et avait parfaitement conscience que, de toute manière, les forces de l'ordre auraient bien mieux à faire. Elle espérait surtout que ses menaces fassent effet, ce dont elle n'était pas certaine tant sa priorité fut de ne pas mourir d'une crise d'asthme plutôt que de se montrer crédible. “Tu vas me conduire à tes parents, sur le champ. Allez, jeune homme, en avant, chop chop !” Si traîner un enfant par terre en le tirant par l'oreille était encore un truc politiquement correct, c'aurait sûrement été ainsi qu'ils auraient tous deux atteint le numéro cent de la rue où l'adolescent, dont elle n’avait pas pris le temps de demander le nom, déclarait vivre. Kelly n'était jamais venue dans cette maison et n'en connaissait pas les propriétaires, présents ou passés, ce qu'elle se justifiait intérieurement par la distance entre son chez elle et ce coin du quartier -qu'elle ferait en sorte d'entretenir afin de tenir le vandale à distance. Quiconque élevait un enfant capable de s'attaquer sciemment à une voiture ne méritait clairement pas son meilleur jour, et Lee ne voulait pas de pareils incompétents dans son entourage. Elle vociférait intérieurement comme rarement, blâmant les incapables qui, eux, étaient capables d'enfanter pour faire pulluler sur Terre ces marmots refusant de filer droit. C'était à cause d'eux que le monde partait à vau-l'eau, et ce dont ils avaient tous cruellement besoin, c'était de la miséricorde du seigneur le jour où Il leur ferait récolter ce qu'ils avaient semé fort loin du droit chemin. “Tu vas passer un sale quart d'heure, je te le garantis.” grommela Kelly avant d'appuyer sur la sonnette avec détermination, mais sans avoir l'ombre d'une idée sur la meilleure manière d'aborder le sujet. Cela ne fut pas un problème longtemps ; lorsque la porte s'ouvrit sur ce mystérieux voisin, ses yeux sortirent de leurs orbites et sa mâchoire se démit tandis qu'elle s'exclama d'un “Toi !” estomaqué. Tenant toujours le garçon par le blouson fermement, Lee le lui secoua sous le nez comme s'il avait égaré une chaussette sale ou laissé son chien crotter sur sa propriété. “C'est ta progéniture, ça ?!” demanda-t-elle, révoltée. Casey et elle, c'était une longue histoire. Une longue histoire de longue date. Cela faisait facilement dix ans qu'ils n'avaient pas croisé la route l'un de l'autre et qu'ils ne s'étaient pas manqués réciproquement. Ainsi, pour elle, le choc fut double ; avoir l’énergumène contre nature sous ses yeux, et constater qu’il avait un enfant à sa charge. “Je l’ai trouvé en train de rayer ma voiture.” ajouta-t-elle, puisque cela n’avait rien d’une visite de courtoisie. Il n’était désormais plus étonnant que celui-ci ait mal tourné. Décidément, le monde allait bien mal.
We have GPS and yet, we're still lost And to a dog, dog food is just food And to a sock, a mansion's just a big shoe
Installé sur la terrasse de la maison, à l’abri du vent, tu dessines. C’est le week-end, les trois adolescents que tu héberges sont donc à la maison. Enfin, en quelques sortes. Tu as amené Julia à son cours de danse un peu plus tôt et cette dernière s’étant fait une amie t’avait averti qu’elles iraient boire un smoothie à la fin avant que son amie ne la raccompagne. Il y avait Matthew qui lui était bel et bien à la maison, dans sa chambre à faire tu ne savais quoi. Tu n’avais toujours pas décidé si c’était mieux de savoir ou de ne pas savoir ce que tes adolescents faisaient dans leur chambre. Pour l’instant, ne pas savoir te convenait amplement surtout que Matthew s’était contre toute attente plutôt bien adapté au quartier qu’il allait devoir quitter à la fin de l’année scolaire vu qu’il avait atteint la majorité. Et puis il y avait Elio, le nouveau venu. Lui était parti faire un tour, tu ne savais où mais c’était un comportement normal pour un adolescent qui venait d’arriver. Ne pas rester à l’intérieur, refuser de faire confiance à un nouvel adulte qui allait les renvoyer dans le système. Du moins, ça c’était ce qu’ils pensaient. Tu étais plutôt fier de n’avoir jamais eu à renvoyer un de tes pensionnaires dans le système les gardant avec toi jusqu’à leur majorité. Alors que chacun vaguait à ses occupations, tu en profitais pour vaguer aux tiennes. Les occasions étaient rares et tu savais que dans quelques heures ils demanderaient toute ton attention pour une raison ou une autre alors tu profitais de ce moment de répit pour dessiner. L’essai que tu avais envoyé pour un auteur qui te l’avait demandé avait payé et il te confiait son histoire. Tu étais heureux de te plonger dans ce nouveau projet où tu avais pour l’instant toutes les libertés. Tu aimais préparer le premier jet des dessins. La partie la plus pénible était quand les auteurs demandaient modifications sur modifications mais n’ayant jamais travaillé avec cet auteur, tu ne savais pas à quoi t’attendre. Tu commençais par esquisser les personnages. Ce livre étant destiné à des enfants de cinq ou six ans, les dessins se devaient d’être travaillés. Pour les tous petits, c’était différent, les dessins devaient être plus flous, devaient être des formes facilement reconnaissables pour ce qu’elles étaient. Apprendre à dessiner pour la littérature jeunesse n’avait pas été simple mais tu avais toujours aimé les enfants alors avec un peu de travail, ces contraintes étaient devenues des règles avec lesquelles tu aimais jouer de temps en temps. En fonction de l’auteur, cela passait ou non, c’était un risque que tu pouvais largement prendre vu que tout ce que tu dessinais était vu et revu avant publication. Mais tu aurais dû te douter que le calme ne dure jamais longtemps, surtout depuis ton déménagement à Logan City. Tu venais de finir d’esquisser la seconde planche quand la sonnette retentit violemment. Tu posais ton crayon à papier avant de venir appuyer un poids pour que les feuilles ne risquent rien. Tu n’eus pas le temps d’arriver au salon que la sonnette retentit à nouveau. Tu fronçais les sourcils car qui pouvait bien s’acharner ainsi sur ta sonnette ? Tu n’attendais pas de visites et Matthew ne t’avait rien dit. Tu allais tout de même ouvrir la porte et pendant quelques secondes, tu eus l’impression d’être entré dans une réalité parallèle. Sur le pas de ta porte se tenait Kelly Ward et elle tenait fermement le bras d’Elio. Tu allais fermer les yeux pour les rouvrir quand elle dit : « Toi ! C'est ta progéniture, ça ?! » Non, la voix était trop près et trop énervée pour que cette dernière ne soit qu’un rêve. Kelly se trouvait donc bien devant toi après des années passées en dehors de ta vie. Tu avais espéré que vos chemins ne se recroisent jamais mais après être tombé sur Chad quelques jours plus tôt, tu aurais dû te douter que Kelly serait dans les parages, divorce ou pas. « Je l’ai trouvé en train de rayer ma voiture. » Tu te retiens de pousser un soupir. De toutes les voitures qu’Elio pouvait rayer, il fallait que ce soit la voiture de Kelly ? Tu avais réellement envie de t’enterrer au fond d’un trou car cette situation signifiait que tu allais devoir quelque chose à Kelly et cette pensée te donnait envie de vomir. Tu regardais Elio avec un regard rempli de colère très certainement. Son adaptation ne se passait pas à merveille, ça tu le savais mais vous entriez avec cet incident dans un autre problème. « Kelly. Quel plaisir de te voir. » Lui dis-tu avec ton sourire le plus faux. Sa voiture n’étant pas garée devant chez toi, elle avait dû traîner Elio à pied ce qui signifiait qu’elle habitait certainement le quartier. « Je suis désolé pour ta voiture. Je paierai les réparations bien entendu. Et Elio s’excusera comme il se doit une fois qu’on se sera expliqué. » Dis-tu à l’attention de l’adolescent qui semblait reprendre des couleurs au vu de cet échange fort peu cordial. Kelly connaissait la base de ton histoire, elle t’avait connu fauché, tu t’attendais à ce qu’elle te rit au nez plus qu’autre chose. « Vu que nous allons être voisins, je préfère t’annoncer que je n’ai pas de progéniture. Je suis cependant famille d’accueil pour des jeunes ayant besoin de soutien. » Dis-tu simplement à la jeune femme. A vrai dire, tu ne savais pas quoi lui dire d’autre mais tu connaissais assez bien Kelly pour savoir qu’elle n’allait pas en rester là. Cette femme était une acharnée et encore aujourd’hui tu ne comprenais pas comment Chad pouvait avoir été mariée avec elle.
We have GPS and yet, we're still lost And to a dog, dog food is just food And to a sock, a mansion's just a big shoe
Oui, lui. Lui pour qui elle n’avait pas de masque, pas de filtre, et rien d'autre qu'une profonde révulsion. Lui qui ne lui avait pas laissé de chance, qui refusait en bloc ses apparences depuis toujours, qui ne jouait pas le jeu. Lui la brebis égarée, loup sous la peau de mouton à la génétique dégénérée, à la nature perverse, au regard pernicieux, au sourire vicieux. Son nom était banni, exorcisé de sa vie depuis des années qui ne semblaient finalement plus suffisantes, une respiration devenue simple hoquet dans la vie de Kelly maintenant qu'elle l’avait trouvé là, et que ses deux pieds nus étaient sur son paillasson. Sa simple pensée lui donnait la nausée, le prétendu ordre des choses si profondément ancré dans son cerveau ; Casey était malade, sale, habité par des passions allant à l'encontre de la nature, de la manière dont le monde avait été créé. Il ne pouvait être sauvé, il avait amplement démontré qu'il ne le voulait, et Lee ne ressentait pas de peine à son égard. Seulement le rejet, d'une violence que lui seul était capable de lui inspirer. Dix ans de recul leur avait fait passer le stade des faux semblants et de l'hypocrisie ; la brune, mise devant le fait accompli, ne pouvait ni ne voulait peser ses mots. Elle était déchaussée, décoiffée, mal vêtue, en sueur et particulièrement remontée ; il n’était de toute manière aucun stratagème à mettre en place pour faire illusion désormais. À vif, dénuée de son voile de perfection, son costume caméléon d'apparences et ses répliques toutes faites, il y avait là quelque chose de plus vrai, un craquement sur la surface, et plus que tout, Kelly ne supportait pas cette aigreur dans son ventre apparue dès lors qu'elle eût posé les yeux sur ce fantôme du passé. L'espace d'une seconde, elle s'imaginait lui laminer le visage de ses ongles, sentir les lambeaux de sa peau sous sa manucure rose saumon, enfoncer ses pouces dans ses yeux jusqu'à les ressortir dans sa bouche à travers sa gorge afin d'arracher ce sourire disgracieux de sa face tandis qu'elle lui décollerait les oreilles avec des dents fraîchement blanchies. Et le sang serait du glitter. Puisque terminer ses jours en prison ne faisait pas partie de ses plans, c'est pour un rictus tout aussi faux qu'elle opta. « Peut-être que je pourrais prétendre la même chose dans d’autres circonstances. » Cependant, avoir simplement connaissance que cet homme faisait partie de son voisinage formait un véritable drame à côté duquel la longue rayure sur sa voiture n’allait pas à la cheville. Chaque bonheur ne pouvant être trop petit afin de se consoler de cette réalité, Lee se satisfaisait d'entendre Casey s'excuser platement et assurer qu'il payerait les réparations -elle se fichait comment, tant que cela soit fait, et ce dans les plus brefs délais. Par ailleurs, le vandale qu'elle avait renvoyé à l'intérieur méritait une punition exemplaire, mais la brune ne comptait sûrement pas sur l'incapable face à elle pour faire le nécessaire. « Je n’en attends pas moins. » acquiesça-t-elle néanmoins, faisant de son mieux pour se radoucir. L'effort fut vain et la décrispation de son visage de très courte durée ; à dire vrai, il suffisait du son de la voix de son voisin pour la faire grimacer, mais ce fut surtout les quelques informations qu'il tint à lui préciser pour l'avenir -bien qu'elle ne comptait pas croiser son chemin de sitôt- qui la révoltèrent au plus haut point. Les yeux écarquillés, la bouche en un O impeccable, elle retint une exclamation, un appel au scandale. Les mots échappèrent malgré tout à son flux de pensées injurieuses dans leur version la plus édulcorée qu'elle puisse articuler ; « On laisse les gens comme toi endosser ce rôle ? » Comme lui, oui, l’accent qu'elle lit sur ce terme suffisant à traduire ce qu'il se trouvait entre les lignes dans toutes les langues du monde. Un homosexuel, concrètement. C'était au-delà de sa compréhension, de toute logique. Comment un homme incapable de concevoir au sein de son couple, d'avoir un enfant à lui avec la personne partageant sa vie, pouvait s'occuper de ceux des autres ? Que pouvait-il y comprendre ? Il était une vérité universelle et immuable ; les bambins avaient besoin d'un père et d'une mère dans leur foyer, dans leur éducation, afin de devenir de bonnes personnes, de se développer correctement et obtenir des références vis-à-vis des deux sexes. Si les escargots étaient capables de changer de genre selon leur bon vouloir, grand bien leur fasse, mais même l'allure de mollusque de Casey ne pouvait justifier sa sexualité. C'était ce qu'il leur apprenait aux jeunes sous son toit ? La dégénérescence des sodomites qui se démocratisait au désespoir des justes qui, comme Kelly, mettaient tout en œuvre pour rester sur le droit chemin. Celui qui avait besoin de soutien, dans un premier temps, était en face d'elle. Celui qui prétendait en donner aux autres. Seigneur, ces jeunes brûleraient en enfer par sa faute, son cœur s'en brisait. Comment pouvait-on laisser faire ? « Quoi qu’il en soit, je ne peux pas dire que ce soit une franche réussite. » cracha Lee en le toisant, le dégoût à peine masqué derrière ses bras croisés, les traits durs, la bouche pincée, et le jugement divin dans le regard.
We have GPS and yet, we're still lost And to a dog, dog food is just food And to a sock, a mansion's just a big shoe
S’il y avait bien une personne que tu avais prié pour ne jamais recroiser, c’était bien Kelly Ward. Tu te souviens de votre rencontre comme si c’était hier. Organisée par Chad qui tenait à te faire rencontrer son groupe d’amis, tu n’avais pas imaginé une seule seconde te retrouver devant une version plus jeune de ta mère. Tu te souviens avoir pensé qu’elle était jolie mais il y avait eu cette expression sur son visage qui te mit sur tes gardes. Tu ne saurais la décrire aujourd’hui mais tu avais eu raison d’être sur tes gardes. La jeune femme s’était montrée hautaine et désobligeante dès le départ donc cela ne te surprend pas qu’aujourd’hui, sur le pas de ta porte, elle se montre particulièrement détestable. Les cheveux en batailles, arborant une tenue de yoga et les pieds nus qui laissaient des petites taches de sang sur ton entrée, elle était toujours égale à elle-même et cela te faisait réellement peur car plus de dix années venaient de s’écouler et elle semblait ne pas avoir évolué. L’idée de lui proposer de quoi soulager ses pieds ne te traversa même pas l’esprit, tu refusais d’accorder une aide quelconque à cette femme dont les premiers mots qu’elle t’adressait depuis des années étaient une insulte. Oh tu étais habitué à ce genre de comportement, particulièrement de sa part mais aujourd’hui, tu étais bien conscient de ne pas avoir l’avantage vu qu’elle te ramenait Elio qui venait de lui rayer sa voiture. Il avait bien entendu fallu que ce soit la voiture de Kelly et pas d’un inconnu du quartier … D’abord Chad puis Kelly, tu commençais à te demander si déménager dans ce quartier avait finalement été un bon choix. Il était parfait pour ton projet de vie mais le voisinage commençait à te peser. Tu notais d’ailleurs que même divorcés, Chad et Kelly vivaient toujours dans le même quartier ce qui te laissait penser que la jeune femme devait toujours avoir ce pouvoir sur Chad qui consistait à le maintenir dans l’idée que ce qu’il était, c’était une abomination. Elle te l’avait craché assez de fois au visage. Il fut un temps où tu te serais énervé mais tu n’avais qu’une envie, qu’elle fiche le camps et qu’elle te laisse tranquille. Te faire insulter sur le pas de ta porte n’était pas quelque chose que tu adorais. « Peut-être que je pourrais prétendre la même chose dans d’autres circonstances. » Tu ne peux t’empêcher de lever un sourcil en laissant échapper un rictus. Sérieusement ? Et dans quelles circonstances est-ce qu’elle aurait été heureuse de te recroiser ? A la fête des voisins ? Tu ne pus t’empêcher de penser que de te croiser derrière les barreaux d’une prison lui ferait sans doute plaisir mais tu étais heureux de vivre dans un temps où aimer un homme n’était pas un crime qui vous envoyait en prison. Tu préférais ne rien répondre pour ne pas la lancer dans une tirade insultante. Tu n’eus d’autres choix que de t’excuser pour Elio parce que tu ne pouvais pas faire autrement mais c’était comme avoir des graviers dans la bouche et tu espérais ne pas avoir à le refaire. « Je n’en attends pas moins. » Elle non plus n’avait pas le choix que d’accepter que tu paies pour les dommages causés. Ce serait bête de se priver d’une réparation gratuite non ? Cependant, tu ne manquais pas la crispation de son visage quand tu lui annonçais que tu étais famille d’accueil. Cela t’amusa énormément de voir son visage se transformer mais ton amusement s’arrêta net quand elle te dit : « On laisse les gens comme toi endosser ce rôle ? » Il ne fallait pas être un génie pour comprendre de quoi elle était en train de te parler. Tu étais un citoyen exemplaire, tu n’avais jamais été arrêté, tu n’avais jamais fraudé, tu avais toujours suivi les règles, sauf celles de l’hétérosexualité qui semblaient être si sacrées pour Kelly. Tu ne pus t’empêcher de sourire car elle avait été mariée à un homme qui pendant des années avait couché avec toi et continuait certainement à coucher avec des hommes maintenant qu’ils n’étaient plus mariés. Est-ce qu’il avait continué pendant leur mariage ? Cela ne t’intéressait pas et ne te regardait pas. Tu ne pus t’empêcher de te demander ce que serait la réaction de Kelly si elle apprenait que son cher et tendre faisait lui aussi parti des abominations de ce monde. « Les gens homosexuels tu veux dire ? » Ne pus-tu t’empêcher de lui demander. Croisant les bras sur ton torse, tu ajoutais : « On confie ce rôle à des gens disponibles, des gens prêts à donner de leur personne, de leur temps et de leur argent pour aider des adolescents qui n’ont pas eu de chance. Cela ne m’étonne pas que tu ne puisses pas comprendre vu que tu ne rentres dans aucune de ses cases. L’égoïsme avant tout n’est-ce pas ? » Elle n’avait jamais supporté que tu sois ami avec Chad. Chaque occasion était bonne pour l’éloigner de toi à l’époque alors même qu’elle pensait que vous n’étiez que des amis. Une vrai psychopathe à ton avis, un avis que tu avais gardé pour toi pendant longtemps avant de le jeter au visage de Chad quand il t’avait annoncé ses fiançailles. Mais Kelly n’en avait pas encore fini ce qui ne te surprit guère. « Quoi qu’il en soit, je ne peux pas dire que ce soit une franche réussite. » Si elle avait voulu te blesser, c’était loupé. Tu n’étais pas surpris que la jeune femme ne comprenne pas que tout ne pouvait pas fonctionner comme elle l’entendait dans la vie. Elle ne savait pas depuis combien de temps Elio était chez toi, elle ne savait pas ce qu’il avait vécu, elle ne savait rien. Mais cela ne l’empêchait pas de juger avec aplomb. Plus que t’énerver, cela t’agaçait et tu aurais aimé qu’elle te laisse en paix. S’il y avait une personne sur terre à qui ne te devais rien, c’était bien Kelly qui avait fini par gagner car c’était dans sa vie que Chad était resté et pas dans la tienne. « Ah j’avais oublié … Miss parfaite et control freak est incapable de comprendre que tout ne peut pas être parfait et contrôlable dans la vie. Je pense que tu es très mal placée pour juger de la réussite ou non de mon action Kelly. » Lui dis-tu d’un ton sec et froid. Elle qui avait toujours vécue entourée de sa famille, ne manquant de rien, dans un monde aseptisé cultivant une fermeture d’esprit sans pareille, elle était bien la dernière personne sur terre à pouvoir comprendre.
We have GPS and yet, we're still lost And to a dog, dog food is just food And to a sock, a mansion's just a big shoe
Elle aurait pu prétendre, oui. Ou aurait-elle pu vraiment ? Casey étaient de ceux qui arrachaient à Kelly les vraies émotions et les pensées qui la traversaient, celles qu'elle taisait la plupart du temps, qu'elle étouffait et ignorait au profit de la réflexion. Car tout était réfléchi, travaillé, prévu. On lui avait assez répété qu'il fallait tourner sa langue dans sa bouche avant de parler, et que si l'on avait rien d'aimable à dire, mieux valait ne rien prononcer du tout. Elle avait retenu toutes les leçons de la dizaine de livres de coaching qu'elle dévorait à la pelle tous les ans, noté dans un coin de sa tête les astuces, les formulations, les clés de la bonne entente, de l'harmonie, du politiquement correct et de tout ce qui était bien vu. S'il fallait absolument nommer une passion chez Lee, alors il s'agissait de la culture des apparences. Alors elle aurait pu prétendre, en voyant Casey, qu'elle était ravie de le voir. Elle aurait souligné qu'ils ne s'étaient pas vus depuis si longtemps, que le passé était passé désormais, qu'ils pouvaient être de bons voisins maintenant. Un grand sourire, un battement de cils, de grands yeux de chat et le tour aurait été joué. La vérité était un élément trop relatif pour qu'elle s'en encombre, l'important était d'être agréable à tous, de gagner l'estime et les coeurs. Être là Kelly parfait que tous connaissaient, et ne jamais faillir, ne jamais baisser la garde, ne jamais se laisser percer à jour. Cette fraude était sa vie, et sa vie une fraude, un mensonge cultivé comme une système de survie désormais. Seul Casey ne l’achetait pas. Et pour lui seul se fichait-elle d'être gentille, agréable, polie et mesurée. Les leçons, les morales, les rituels volaient en éclats ; son rejet pour lui était plus fort que le reste, plus fort que ses apparences rodées, plus fort qu'elle. Qu'elle détestait ses yeux, son regard qui la perçait de part en part ; elle était, face à lui, comme la carrosserie de sa voiture -éraflée. Elle ne pouvait ni le nier, ni le cacher. Sa langue claquait des mots durs que personne n'était supposé entendre, donnant du blanc et du noir sans nuances aucunes, des opinions tranchées qui ne venaient même pas d'elle finalement, mais qui en faisaient partie malgré tout. Homosexuels, le mot la fit tressaillir, comme si Casey avait bravé un énième interdit. Homosexuels, même le mot était laid, désagréable, ni rond, ni doux, mais sec et sale comme de la terre dans un bol de mâche. Homosexuels, elle ne le disait jamais tout haut, mais elle le pensait bien assez fort, avec un dégoût qui se lisait sur chaque trait de son visage. “Exactement. Si on peut vous qualifier de “gens”.” Lee avait bien des noms pour eux, mais aucun qui ne méritait de salir sa bouche et heurter ses oreilles. La seule présence de Casey était une épreuve bien assez difficile -et quelque chose dont elle espérait ne pas refaire l'expérience de si tôt. L'amertume était partagée, cela ne faisait aucun doute, et tout comme la brune ne ménageait pas son interlocuteur, celui-ci l'attaquait volontiers à son tour. Elle avait croisé les bras, et son cou se désarticulait comme elle avait parfois vu les real housewives le faire à la télévision durant leurs crêpages de chignon scénarisés. “Je te prie de noter que malgré l'égoïsme dont tu m’estampille, c'est ici que j'ai ramené ton vandale, et pas à la police. Alors tout doux.” Et puis, il n’y avait rien d'égoïste à apprécier le confort -la maison seule de Casey laissait deviner qu'il serait hypocrite de prétendre le contraire, mais elle n'aurait guère été étonnée de l'entendre tenter de le faire croire dans le seul but de marquer un point. Pouvait-on la blâmer de ne pas renoncer à cela pour les enfants des autres ? Alors Casey avait bien du monde à pointer du doigt. Kelly ne se gênait pas pour lui jeter la pierre en revanche, sans accepter le retour de flamme pour autant. “Et je pense que tu es très mal placé pour me juger moi. Tu ne sais rien à mon sujet, Casey. Plus maintenant.” Tandis qu'elle, au contraire, savait tout ce qu'il importait de savoir, et cela lui était amplement suffisant. De toute manière, toute autre information ne l'intéressait pas. Il était malade, défectueux, et cela se résumait à ça. Elle reprit ; “Moi, je suis celle avec une voiture abîmée et qui a poursuivi ton protégé en fuite sur deux blocs, alors je me trouve particulièrement bien placée pour dire que tu ne sais pas surveiller ce garçon. Mais il ne faudrait surtout pas le cadrer, n'est-ce-pas, ce serait du contrôle, et un adolescent n’a absolument pas besoin de ça, a dit le dégénéré qui se prend pour un parent.” Il ne l'avait pas dit. Elle faisait le raccourci parce qu'elle le pouvait et cela servait sa joute. Encore une fois, la vérité était relative. “Tu sais, il y a des gens qui feraient n'importe quoi pour avoir des enfants à prendre soin, sifflait-elle entre ses dents, l'index accusateur. Et toi, tu vas gâcher ceux-là. Parce que c'est ce que tu fais, tu salis tout ce que tu touches.” Kelly avait de la peine pour eux. Pas assez pour y changer quoi que ce soit. Juste assez pour l'agiter sous le nez du premier concerné et traduire son aversion. Parce qu'elle laissait aller, elle disait ce qu'elle pensait, ce que son fort intérieur hurlait, et cette vérité était une denrée rare qui faisait du bien, elle l'avouait. “Alors tu peux dire ce que tu veux, moi, je ne suis pas une erreur de la nature. Toi, tu es un danger pour ces enfants.”
We have GPS and yet, we're still lost And to a dog, dog food is just food And to a sock, a mansion's just a big shoe
Kelly, Kelly, Kelly … Tu avais évolué dans ta vie en pensant que ta génération et les générations après toi ne pourraient jamais être comme tes parents. Mais tu t’étais trompé, Kelly était certainement encore plus extrémiste que toute ta famille réunie. Tu te souviens de votre première rencontre comme si c’était hier. Chad avait tenu à te présenter son amie la plus chère. Dès que tu l’avais vue, tu avais compris. Il n’y avait pas un cheveu qui dépassait de sa coiffure, pas un pli sur ses vêtements, pas une courbure dans sa posture. Droite, la tête haute, elle était l’image de ce que certains appellent la perfection. Mais toi, tu n’y as pas cru une seconde. S’il y a une chose que ta vie difficile l’a appris c’est que personne n’est parfait. Certains meurent d’envie de l’être mais personne n’est parfait. Pourquoi ? Parce que la perfection ne se définit pas de la même manière pour tout le monde. Ce que toi tu trouves parfaite doit être l’inverse de ce que Kelly trouve parfait. Et la perfection gomme toute impression de naturel et tu détestes les gens qui jouent un rôle. Et Kelly Ward ? Elle passait son temps à jouer un rôle. S’il y a une chose que tu dois lui reconnaître, c’est que c’est une très bonne actrice et qu’elle ne fait pas les choses à moitié. Mais tu ne peux t’empêcher de te demander si ce n’est pas épuisant à force. Après cette première rencontre tu avais tout fait pour la voir le moins possible mais c’était déjà trop pour toi. Et comme à son habitude, elle n’avait pu s’empêcher de faire une remarque sur ta sexualité. C’était certainement ton plus grand grief à ses yeux, ça et le fait que tu n’achetais pas une seule seconde le fait qu’elle soit aussi parfaite qu’elle voulait vous le faire croire. Tu trouvais cela étrange à l’époque d’être le seul à voir clair dans son jeu mais si les autres avaient envie de se laisser berner alors grand bien leur fasse. « Exactement. Si on peut vous qualifier de “gens”. » Tu lèves un sourcil. C’est tout ce qu’elle avait en réserve ? Elle n’avait pas vraiment de chance de ce côté là. Tu avais grandi dans une famille homophobe, toutes les insultes qui pouvaient être promulguées et jetées à la tête d’un homosexuel, tu les avais entendues. D’abord sur d’autres et puis ensuite sur toi. Ce n’était jamais agréable mais comme tout, on finit par s’y faire. « J’ai déjà entendu cette rengaine Kelly. Je sais que tu rêves d’un génocide mais malheureusement pour toi, être homosexuel est légal dans ce pays. Accepter que certaines personnes ne rentrent pas dans ta perfectitude s’appelle la tolérance, tu devrais essayer. » Lui dis-tu calmement. Kelly était le genre de personne qui te mettait hors de toi mais elle ne pourra jamais te blesser. Plus maintenant en tout cas. Parce qu’elle t’avait blessée par le passé en t’enlevant Chad. Tu ne savais pas si elle savait à quel point, certainement pas et tu préférais que cela reste ainsi pour ne pas lui donner plus de raisons de se réjouir. « Je te prie de noter que malgré l'égoïsme dont tu m’estampille, c'est ici que j'ai ramené ton vandale, et pas à la police. Alors tout doux. » Cette fois tu laissais presque échapper un rire. C’est vrai qu’elle aurait pu aller voir la police mais si elle pensait une seule seconde que tu allais la remercier de ne pas l’avoir fait, elle se mettait le doigt dans l’œil. Parce que tu savais très bien que si elle avait su que c’était toi qui avais la tutelle d’Elio, elle aurait couru l’amener au commissariat. « Si tu avais su que j’étais le tuteur d’Elio, nous savons tous les deux que tu l’aurais amené au poste donc je ne pense pas me tromper beaucoup dans mon jugement. » Dis-tu en la regardant dans les yeux. Tout ce qui pouvait te causer des soucis ou te faire chier, Kelly le faisait avec brio. Voilà pourquoi tu comptais avoir une discussion avec Elio pour le prier d’éviter la jeune femme le plus possible. Mais tu commençais presque à être satisfait qu’il ait rayé la voiture de miss parfaite. Un peu d’imperfection dans sa vie ne lui fera pas de mal. « Et je pense que tu es très mal placé pour me juger moi. Tu ne sais rien à mon sujet, Casey. Plus maintenant. » Tu la regardais incrédule. Elle était sérieuse ? Donc toi tu n’avais pas le droit de la juger mais elle oui ? Cette femme ne cessait de t’étonner … Tu ne pensais pas que des gens pouvaient être si autocentrés mais apparemment c’était le cas. « J’aimerais te faire remarquer que toi non plus tu ne sais pas grand chose de moi aujourd’hui mais cela ne semble pas te gêner. » Lui dis-tu en maintenant son regard comme un défi que tu lui donnais. Tout n’allait pas à sens unique dans la vie, cela ne fonctionnait pas comme ça. Tu ne t’attendais pas à ce qu’elle te donne un cours d’éducation des enfants cependant. « Moi, je suis celle avec une voiture abîmée et qui a poursuivi ton protégé en fuite sur deux blocs, alors je me trouve particulièrement bien placée pour dire que tu ne sais pas surveiller ce garçon. Mais il ne faudrait surtout pas le cadrer, n'est-ce-pas, ce serait du contrôle, et un adolescent n’a absolument pas besoin de ça, a dit le dégénéré qui se prend pour un parent. Tu sais, il y a des gens qui feraient n'importe quoi pour avoir des enfants à prendre soin. Et toi, tu vas gâcher ceux-là. Parce que c'est ce que tu fais, tu salis tout ce que tu touches. » Tu ne pensais pas avoir fait quelque chose pour métier tant de méchanceté, particulièrement sa dernière phrase. Tu savais que ce n’était pas vrai mais elle faisait appel à des insécurités qui étaient gravées en toi depuis des années. Pourtant, les jeunes que tu avais hébergés s’en sortaient plutôt bien après être passés chez toi mais tu n’étais pas parfait, tu étais le premier à le reconnaître. « Alors tu peux dire ce que tu veux, moi, je ne suis pas une erreur de la nature. Toi, tu es un danger pour ces enfants. » Une erreur de la nature, un danger pour les enfants … Contrairement à ce qu’elle pensait, tu étais persuadée que c’était des gens comme elle qui étaient un danger pour des enfants. Avec un esprit fermé pareil, comment des enfants pouvaient-ils grandir normalement ? « Tu es bien la dernière personne au monde dont je suivrai les conseils d’éducation. Je gâche des enfants depuis assez longtemps pour savoir ce que je fais. As-tu au moins des enfants pour me faire tous ces raisonnements ? » Lui dis-tu en reprenant ses mots. Il ne servait à rien d’essayer de la faire changer d’avis, elle ne changera pas d’avis donc autant aller dans son sens ce sera plus simple. T’avançant, tu attrapais le doigt menaçant de la jeune femme dans ta main pour le faire retomber. « J’espère que tu te sens salie maintenant que je viens de te toucher. » Lui dis-tu un sourire satisfait sur le visage. « Mais dis-moi Kelly … Comment est-ce qu’un divorce entre dans ton histoire parfaite ? Quand on est parfait, on ne divorce pas il me semble, on arrive à faire fonctionner son mariage. » Dis-tu d’un ton froid. Chad t’avait dit qu’ils n’étaient plus mariés et contrairement à ce que tu avais pensé pendant des années, cela ne t’avait pas apporté une grande satisfaction. « Avant de venir me traiter de monstruosité sur le pas de ma porte, je te conseille de bien regarder autour de toi. Il se pourrait bien que certains se soient infiltrés dans ta vie depuis des années sans que tu ne t’en rendes compte. » Tu ne peux t’empêcher d’imaginer le masque tomber, même quelques secondes si Kelly apprenait que Chad était comme toi ou du moins bisexuel, tu ne lui avais jamais demandé.
We have GPS and yet, we're still lost And to a dog, dog food is just food And to a sock, a mansion's just a big shoe
C’était lorsque les lois humaines allaient à l’encontre de celles de Dieu que l’on pouvait considérer qu’une cause était perdue, et Kelly avait bien conscience qu’il était impossible de revenir au temps où jadis on punissait les Casey et ses semblables au même titre que les païens et autres malfaiteurs. On appelait cela la modernité, le monde contemporain, une évolution de la société ; pour elle, ce n’était qu’une incitation à s’éloigner du droit chemin, une légitimation même, de tout ce qui souille l’âme et vous referme les portes du Paradis sur le bout du museau. Aujourd’hui, les hommes pouvaient se marier entre eux, les femmes entre elles, et elle avait entendu parler d’histoires sordides de personnes ayant épousé un mort ou même un objet. Un objet ! Elle ne doutait pas qu’un jour, un mouvement ferait légaliser plus de divergences encore, et que bientôt l’on trouvera des excuses à ceux qui s’accouplent avec des animaux ou des cadavres (après tout, n’est-ce pas l’exercice du droit conjugal tout à fait normal lors d’une nuit de noces avec un époux ou une femme morte ?). Mais ce qui était légal n’était pas naturellement moral, il suffisait d’inspecter acabit des politiciens pour s’en convaincre, et de regarder les infos. Tous immoraux, tous égoïstes… Lee n’avait aucune implication politique particulière et ne participait guère à toute sorte de débat, mais elle savait une chose malgré tout : ce pays partait en cacahuète. Faire partie de la même génération perdue que Casey la désolait. « Au moins, tu ne nies pas que c’est une tare. » soupira-t-elle tandis qu’il faisait appel à la tolérance qu’elle n’estimait pas lui devoir. Lui n’en avait pas eu pour elle non plus. Elle leva également les yeux au ciel quand il tenta de la mettre face à son hypocrisie et la réalité, qu’elle ne pouvait nier avec des mots sans se parjurer, selon laquelle ses choix auraient été tout autres si elle avait su par avance qu’Elio était sous la tutelle du brun. Elle haussait les épaules, innocemment, l’air de le lui accorder juste pour lui faire plaisir, au nom de leur haine réciproque. Kelly ne comptait pas perdre plus de salive à répondre aux interruptions de Casey de toute manière, car ils savaient l’un comme l’autre que la discussion demeurerait stérile. Elle poursuivait son discours, crachait crapauds et couleuvres sur le le seuil de la porte, parfaitement conscience que cela ne servait à rien d’autre qu’à décharger ses nerfs sur lui puis s’en porter mieux. Lee se croyait assez douée en matière de joute verbale assassine pour que Casey n’ait rien à répondre d’autre que le bruit de sa porte se claquant devant elle, et cela était mal connaître la ténacité de son interlocuteur pour son esprit revanchard réclamant la réparation des propos insultants qu’elle proférait à foison depuis un trop long moment désormais. Et il n’y manqua pas -il ne manqua rien, à vrai dire. Pas une pique à lancer, pas un sujet fâcheux à aborder, coup sur coup jusqu’à l’assommer. Elle avait les yeux écarquillés face à son audace, son impertinence lorsqu’il la mit face au fait qu’elle n’avait pas d’enfants à elle et donc aucune expérience en la matière. Elle ne s’entendit souffler qu’un « Non, mais... » qui s’évanouit sans suite. Il prit l’index accusateur de Lee qui fut prise d’un mouvement de recul, une révulsion totale, le dégoût se lisant clairement sur son visage à la bouche grimaçante s’écriant « NE ME - » -avorté là aussi par un Casey bien fier de lui. Elle était tombée dans le panneau. Puis ce fut le mot qui commence par D. Ce mot qui avait été comme marqué au fer sur sa peau, comme on marquait les sorcières du temps qu’elle regrettait parfois à tort. Un mot sale, gluant, collant, comme ce petit bout de scotch qui refuse de vous lâcher les doigts alors que vous secouez énergiquement la main, pas loin de vous dire qu’il vous faudra vivre avec ce bout de scotch pour toujours peut-être. Le Divorce, à son initiative, qui était sa honte, marquait sa disgrâce, qu’elle avait décidé pour le bien de tous, et qui ne lui avait, jusqu’à présent, pas permis de s’approcher d’une quelconque forme de bonheur ou d’épanouissement. C’était son plus grand sacrifice. Sûrement le seul qu’elle ait jamais fait. Et il était utilisé contre elle par Casey qui n’avait pas la moindre idée de ce que ceci lui avait coûté, de l’état de sa vie et de son moral depuis lors. Tout était ruiné, oui, voilà. « Tu… te... » Une boule de colère s’était formée dans son ventre, remontait sa trachée et se logeait dans le fond de sa gorge ; elle la réprimait, la ravalait, serrait les dents, les poings, tous ses maigres membres crispés par cette envie de sauter au cou de Casey et l’étrangler. L’étrangler si longtemps et si fort que ses yeux sortiraient de leurs orbites, que ses mains rompraient la frontière de sa peau , et qu’elle puisse se saisir de ses cordes vocales pour s’en faire un collier sanglant. Mais il était un monstre, comment le qualifier autrement ? Plus seulement parce qu’il était de cette espèce, mais parce qu’il avait cette cruauté qu’il appliquait sur Lee avec un regard froid, se délectant de son silence, jouissant des multiples coups qu’il assénait sans aucune pitié. Elle avait ses préjugés, elle avait ses convictions. Lui avait cette méchanceté profonde de la mettre avec autant de zèle face à chacun des échecs qui lui avaient brisé le coeur en un an de temps, en une minute de parole. Alors elle ne tint plus. « T-T-TU TE TAIS. » s’époumona-t-elle, un pied tapant sur le paillasson afin d’évacuer ce submergement de rage. « Tu te tais, je ne veux plus t’entendre ! Le son de ta voix est un supplice et les absurdités qui sortent de ta bouche ne sont que les mots du sombre idiot malfaisant que tu es ! » On notait que sa voix s’envolait dans les aigus, les voyelles frôlant le cri de souris. Ah, qu’est-ce qu’elle aurait préféré ne jamais le savoir dans le quartier. Elle s’en portait si bien. Bien mieux que maintenant. Qu’est-ce qui pouvait bien s’ajouter à son malheur pour parfaire le tableau désormais ? « Crois-moi, ce n’est pas fini, Casey, reprit-elle, marquant le retour de l’index accusateur pointé droit sur lui. Je vais te pourrir, toi et ta bande de petits délinquants, jusqu’à ce que vous rampiez tous en vous cassant les ongles sur le trottoir hors de cette partie de la ville. » Ou jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à liguer tout le quartier contre eux, à les transformer en foule de villageois en colère armés de fourches, de piques et de torches, à l’assaut de cette maison du diable. Oui, c’était ça, le plan. Elle le ferait déguerpir et elle aurait la paix. Tout ira mieux après. Ses soucis s’envoleront avec lui. « Et en attendant, tu gardes ta mauvaise influence de… de... » Great Scott, qu’est-ce qu’elle s’agaçait elle-même à ne pas trouver ses mots dans son minuscule répertoire d’insultes, rien qui puisse qualifier Casey dans toute la grosseur de son ignominie aussi abjecte qu’une tumeur grossissant sur son front. « Oh, bon, tu sais ce que tu es ! » fit-elle avec impatience, laissant tomber la partie juron provocateur de sa tirade pour aller droit au but. « Tu restes loin de Chad, c’est tout ! » Kelly savait que deux et deux faisaient quatre, et que l’unique moyen pour Casey d’être au courant pour le Divorce était par l’autre parti de cette histoire. Ce qui signifiait également que son ex-mari avait revu son ancien ami et s’était bien gardé de le lui dire tandis qu’il lui avait déballé leur vie privée. Et c’était une erreur qui se payerait. Kelly s’éloigna finalement de la porte, furieuse et le regard noir toujours posé sur Casey. Puis elle longea l’allée de garage en inspectant le jardin cette fois, parce qu’en plus de gâcher des enfants il devait sûrement ruiner son carré de verdure -et un jardin en disait long sur son propriétaire. Elle fit alors volte-face, hurlant plus fort encore ; « ET SOIGNE CES HORTENSIAS, TU FAIS HONTE AU VOISINAGE. » Cela lui fit presque plus de bien que tout ce qu’elle avait pu fulminer jusqu’à présent, et ce fut sur ses deux pieds nus qu’elle battait le bitume jusqu’à chez elle. Ce fut une fois assez éloignée de ce voisin cauchemardesque qu’elle nota la buée en travers de son champ de vision, flouant grossièrement le paysage si furtivement que lorsqu’elle croisa Mr. Johnson en haut de la rue, celui-ci ne vit que sa voisine aussi polie, agréable et souriante que d’habitude, lisse et élégante, même en yoga pants.