Soirée Blind Test, ca faisait des années que j’en avais pas fais mais j’étais vraiment ravie de pouvoir passer cette soirée dans ce bar. J’avais été entrainée par une ancienne collègue avec qui j’avais gardé contact. On voulait se revoir et c’était l’occasion de passer une soirée sympa. On s’était trouvé quelques atomes crochus et j’avais que c’était elle qui me manquait le plus depuis mon départ. Elle n’avait pas vraiment compris pourquoi j’avais posé ma démission si rapidement mais je n’avais pas pu lui expliquer les raisons réelles. C’était impossible pour moi. La seule personne vraiment au courant était Arthur et mon avocat bien sûr. Je n’avais pas envie que la nouvelle se répande jusqu’à ne plus pouvoir rien contrôler. Mon avocat faisait un excellent travail, j’avais un nouvel interrogatoire d’ici peu de temps avec l’inspecteur Anwar et j’avais de bons conseils pour bien m’en sortir, de toutes façons, il sera toujours présent en cas de besoin. Enfin, bref, pour me défendre, j’avais fini par dire à mes collègues que j’étais fatiguée de ce travail et que j’avais besoin de voir du neuf, comme c’était compréhensible, même si les trois quarts de cette équipes étaient là depuis plus de dix ans et que moi, j’avais commencé il y a moins de quatre ans. Chacun son rythme comme on dit. Enfin, nous voilà donc dans ce bar, où l’ambiance battait son plein. Les équipes étaient faites et nous étions prête à faire exploser les scores. On était toutes les deux assez bonnes pour les chansons des années 80, 90 et 2000, moins pour les plus ressentes, mais après avoir discuté avec d’autres membres de notre équipe, il semblerait que les connaissances musicales des uns et des autres se complétaient assez bien. C’était enfin partie. Les Spices girls, Britney Spears, Beyonce, les frères Hanson, Céline Dion, ACDC, Les Beach Boys et bien d’autres n’avaient plus aucun secret pour nous. Nous étions à quelques points de la victoire, c’était assez sérés. J’aimais particulièrement l’ambiance festive et joyeuse qu’il y avait ici. Personne n’avait de mauvaises ondes, personne n’était forcément trop bourré au point de ne plus pouvoir se concentrer et rester tranquille. C’était agréable. Voilà le dernier titre, on était à égalité avec une autre team, depuis le début on ne faisait que se passer devant les uns et les autres mais là, c’était pour de bon, une dernière chanson pour nous départager. J’avais l’impression de jouer ma vie. L’oreille bien attentive, impossible de reconnaitre cette introduction et visiblement, le trouble était le même en face. Mais au bout de quelques longues seconde, un membre de mon équipe appuya sur son buzzer et hurla le nom de la chanson et des chanteurs. Et nous voilà donc officiellement vainqueur de ce blind test. Je saute alors de joie comme tous ceux de mon équipe et me retourne pour faire un calin et un bisous à ma collègue sauf qu’en réalité, elle n’était plus là et quelqu’un avait pris sa place sans que je ne m’en rende compte. Ce quelqu’un était Yasmine ! « oh ! » je fais un pas en arrière brusquement pour me détacher d’elle. « Désolée ! Je vous ai pris pour quelqu’un d’autre ! » et pourtant, elle n’avait rien à voir avec elle…
C’est au milieu du repas de rupture du jeûne que Yasmine sentit vibrer son téléphone portable contre sa cuisse. Comme si elle avait reçu une décharge électrique dans tout le corps, elle avait lâché sa fourchette dans son assiette, s’attirant les regards surpris de ses parents, présents autour de la table. Manipuler les derniers appareils high-tech n’avait jamais fait partie des compétences innées de la jeune infirmière qui, sitôt son téléphone extirpé de sa poche minuscule, dut s’y reprendre à deux fois (voire trois, ou quatre, mais soyons indulgents) pour le déverrouiller. Un silence de plombs tomba au centre de la pièce. Fatima et Amjad, aussi aimants et chaleureux qu’ils étaient, partaient avec l’idée bien ancrée dans la tête que chaque nouvelle qui tombait au sein de leur foyer devait impérativement leur revenir aux oreilles. Leur notion de l’intimité était brouillée par leur besoin compulsif d’assouvir leur curiosité. Ça avait déjà mené Yasmine à vivre des situations drôlement gênantes, car quand Fatima (surtout) voulait savoir quelque chose, elle ne lâchait pas le morceau aussi facilement. Son obstination à trouver un époux bien sous rapport à sa cadette était une preuve tangible de son caractère gentiment intrusif. Mais revenons à nos moutons. Hassan était déjà parti. Yasmine le regretta, l’imaginant prendre le taureau par les cornes en détournant l’attention des Khadji pour permettre à leur fille de se plonger dans la lecture de son message sans avoir l’impression de passer un oral d’examen. Là, elle était cernée par l’avidité qu’elle décelait dans leurs yeux, et la question fatidique tomba comme un couperet.
« Qui est-ce, ma chérie ? » demanda Fatima en arabe, rompant un morceau de pain qu’elle mâchonna, l’air de rien. Yasmine se raidit. Le regard alternant lecture de son texto, et coups d’œil à l’expression en suspens sur le visage tendu de ses parents, elle retint sa respiration. Depuis qu’elle était rentrée cependant, les Khadji se montraient moins insistants pour connaître les détails de la vie de leur fille, faisant passer leurs questions pour des façons détournées de combler la conversation, exactement comme maintenant. Après tout, ils l’avaient élevée comme il fallait, et tant qu’elle menait sa barque sans faire de vagues, ils n’avaient vraiment pas besoin de s’inquiéter. Ils faisaient probablement semblants de ne pas remarquer qu’elle dormait moins qu’avant, et que quand elle se laissait aller à fermer les yeux pour se reposer, son sommeil était agité par des gémissements. Ou alors, elle s’était aguerrie dans l’exercice de dissimuler ses difficultés de réadaptation, et un sentiment inattendu de fierté vint passer de la pommade sur ses nombreuses angoisses. Dans tous les cas, cette soudaine bouffée d’air dans le rapport qu’elle entretenait avec ses parents rassurait Yasmine. Elle avait redouté son retour momentanément dans le cocoon familial. Elle n’oubliait pas que parmi les dizaines de sujets qui les divisaient, il y en avait un qui les touchaient tous les trois à une intensité équivalente : Sohan aurait dut être ici avec eux, ce soir. D’ailleurs, le message que Yasmine se hâta de faire disparaître de son écran venait de lui, d’où la tension dans ses muscles, et l’urgence qui l’anima soudain quand elle se leva de table « Clara. Pardon, mais je dois sortir. Rien de grave, tout va bien. » anticipa-t-elle en anglais, voyant que son père se préparait à s’enquérir de la gravité de la nouvelle que sa fille venait visiblement de recevoir. Elle débarrassa son assiette, cueillit les clefs de sa voiture dans le fourre-tout en terre cuite de l’entrée, et revint vers ses parents pour les embrasser tous les deux « C’était délicieux, je ne rentre pas trop tard. » Le « mais » qu’elle vit se former sur les lèvres de sa mère ne la dissuada pas de les mettre au courant de l’endroit où elle se rendait. Et tandis qu’elle quittait la maison pour s’engouffrer dans sa vieille Jeep, elle se mit à grogner. Sohan n’avait jamais été du genre à s’attirer des ennuis. Il était le renfermé de la famille, celui qui était le moins susceptible de se faire poser un lapin, un soir comme celui-ci, au fin fond d’un bar de Fortitude Valley. Et pourtant. C’était un véritable SOS, bourré d’émojis parce qu’elle n’avait pas encore appris à lire le morse, qu’il venait d’envoyer à sa sœur, l’appelant à la rescousse. Et alors qu’elle estimait maladroitement l’épaisseur de la nuit, sa meilleure ennemie, elle se mit à redouter le trajet.
Ce n’était pas ce qu’elle aurait dut redouter, néanmoins. Les éclats de voix des occupants du bar en revanche, c’était une toute autre histoire. Un doigt posé sur le tragus, elle rentra dans le Canvas avec la ferme intention de mettre la main sur son frère. Il ne devait pas être bien loin. Considérant le contraste vivant qu’il formait avec l’endroit, sa silhouette maigrelette lui taperait dans l’œil sitôt qu’elle s’engagerait dans le bar. Les yeux plissés pour parer la déferlante de fausses notes qui lui arrivèrent par la droite, Yasmine scanna la pièce des yeux, tâtonnant sur le chemin, la tête tournant et retournant pour trouver Sohan au milieu de la cohue. Il devait s’être tassé dans un coin, aussi décida-t-elle se dégainer son téléphone qu’elle ficha à son oreille en continuant d’avancer, sans se rendre compte qu’elle rentrait dans une zone sensible. Elle s’en aperçut seulement quand une bouche humide lui laissa une trace baveuse sur la joue, et qu’un souffle chaud lui donna des frissons dans le cou. Elle lâcha brusquement son téléphone, qui tomba au sol. Yasmine fit un grand pas en arrière pour se défaire de l’étreinte de l’affectueuse jeune femme en question.
« C’est rien, ça arrive. » marmonna-t-elle sans conviction, reculant encore d’un pas et tirant sur les manches de sa veste comme pour se protéger d’une autre attaque de tendresse. Préférant ne pas s’attarder sur l’incident, et sur le visage de la jeune femme en face d’elle, elle s’accroupit rapidement pour ramasser son téléphone, dont l’écran s’était fissuré sur tout un côté. Elle soupira, remarquant au passage que son appel en cours restait sans réponse.
AVENGEDINCHAINS
Dernière édition par Yasmine Khadji le Jeu 28 Juin 2018 - 12:40, édité 1 fois
Quelle belle idiote. Je me demandais bien où était passée Linda, ma collègue. Peut être s’était-elle volatilisée aux toilettes un court instant, un instant mal choisi puisque nous étions sur le point de gagner. C’est bien pour cela que j’avais cette envie soudaine de partager ma réjouissance avec elle. Une étreinte, rien de bien méchant, ce que l’on peut faire entre amis lorsqu’on est content. Comme si d’ailleurs nous avions gagné la coupe du monde du blind test. Pourtant, il n’y avait rien d’autre à clé que la seule satisfaction de remporter la manche, même pas un petit réconfort pécunier à la fin, même pas un verre offert. Seulement un bien fou pour son égo et la confirmation que notre culture musicale était toujours aussi intouchable : grosse fierté. La fierté qui avait rapidement laissé place à ce sentiment de gêne intense et d’autant plus lorsque Yasmine se releva avec son téléphone dans la main. Visiblement, mon éteinte inattendue lui avait fait perdre son smartphone et celui-ci se retrouvait la vitre brisée. « Oh merde ! » pour le coup, la culpabilité s’empara de moi et à part me confondre en excuse, je n’étais pas bien capable de plus. Ce n’était clairement pas dans mes moyens de lui proposer de rembourser les dégâts et pourtant j’étais bien la cause de cet accident. « Est ce que je peux faire quelques choses ? » je sentais cette distance entre elle et moi. Mes lèvres collées à sa joue ne lui avaient pas fait plaisir visiblement. « Je pensais en réalité qu’une amie se trouvait juste là… enfin, elle était là quelques secondes avant toi… » je me permettais de la tutoyer pour la bonne raison que même si elle ne me connaissait sans doute pas, nous avions déjà échanger quelques mots ensemble. Et de ça non plus je n’en étais pas franchement très fière. La surprise était la plus totale. Il fallait que celle qui avait pris la place de Linda soit Yasmine Khadji, une collègue d’Isaac sur qui j’avais complètement craqué dès la première seconde où je l’avais vu. Izy était bien au courant que mon dévolu s’était posé sur elle mais surtout il s’en était amusé, me rappelant à quel point je pouvais être un vrai cœur d'artichaut. Il m’avait également bien précisé que sans vouloir jouer dans le cliché, j’avais surement peu de chance avec la jeune femme au vu de ses origines et de sa famille assez conservatrice. C’est bien pour cette raison que la jeune femme n’était devenue à mes yeux qu’un simple fantasme comme on peut en avoir… enfin, comme je pouvais en avoir pas mal en tout cas. Mais alors qu’elle était partie en voyage, j’avais surpris des mails qu’elle avait échangé avec mon ami. Je ne lui avais rien dit bien sûr mais ce n’était pas non plus top secret si non, il aurait pris la peine de se déconnecter de sa boite mail et de fermer son ordinateur portable également. Je m’étais amusée à lire leurs échanges, assez intéressants, peu croustillants mais riches en partage. Il m’avait fallu moins de cinq secondes pour faire une photo de l’adresse mail de la jeune femme pour ensuite tenter d’entrer en contact avec elle. C’était débile ce type d’approche : je lance une bouteille à la mer. Bien entendu qu’elle n’y avait pas répondu. Jusqu’à ce que mes tentatives répétées la fassent réagir avec un gros « foutez moi la paix ». On ne pouvait être plus clair… Etait-ce le moment de me confessée alors qu’elle était en tête à tête avec son téléphone en souffrance ? Juste derrière son épaule, j’aperçois Linda à nouveau, je pensais qu’elle était aux toilettes mais vue que ceux-ci étaient à l’opposé dans le bar, je semblais avoir vu faux. Et quand ce mec brandit sa langue pour la fourrer dans sa bouche, tout était bien plus clair. « Elle a osé… » dis-je en fronçant les sourcils. J’avais comme l’impression qu’elle avait trouvé mieux à faire que de gagner un blind test. « Moi c’est Noa ! » dis-je en la regardant à nouveau. « Noa Jacobs… » et c’était exactement cette signature qui apparaissaient sur les mails qu’elle avait reçu de ma part à plusieurs reprises… Mais pouvait-elle vraiment s’en rappeler ?
Yasmine était rentrée depuis moins deux semaines, et pourtant Sohan lui devait déjà une fière chandelle. Encore heureux qu’il avait le réseau nécessaire pour faire rapidement réparer l’objet qui s’étalait face contre terre à ses pieds. Préoccupée par l’état dudit objet, elle s’accroupit, et tenta le tout pour le tout en le retournant du bout des doigts dans une tentative magnanime de ne pas étendre les dégâts. Sa préciosité ne dura qu’un quart de seconde : le récupérant, elle le secoua comme s’il s’agissait d’une ardoise magique, mais la fissure qui barrait son écran ne s’effaça pas pour autant. En fait, maintenant qu’elle avait le nez collé dessus, elle lui paraissait même plus importante qu’elle ne l’avait cru de prime abord. Un autre soupir fendit l’air en partance de ses lèvres, et elle leva la tête vers la jeune femme qui l’avait étreinte quelques secondes plus tôt. Elle ne pouvait pas la tenir pour responsable de cet incident, même si foncièrement, c’était sous la puissance de ses embrassades inopinées qu’elle avait lâché prise sur son téléphone toujours illuminé par l’appel qu’elle était en train de passer. A la vue de l’indisponibilité de son frère, elle se fit une raison et raccrocha d’une pression du pouce tout se redressant lentement.
« A part prononcer l’heure du décès, je crois qu’on ne peut plus rien faire pour lui malheureusement. » Bien qu’elle restât à bonne distance de la jeune femme, gênée par l’intimité qu’elle lui avait imposée en se jetant dans ses bras, elle lui adressa néanmoins un sourire pour adoucir la culpabilité qu’elle pensait déceler dans sa démarche brouillonne de s’expliquer « On se ressemble tous dans l’obscurité, ce sera ton excuse. » lui lança-t-elle, pince-sans-rire. Elle lui fit alors un signe de tête, s’apprêtant à prendre congés d’elle, bien déterminée à oublier cet incident embarrassant et prête repartir à la recherche de Sohan – qui ne payait rien pour attendre, lui qui lui avait promis de l’attendre de pied ferme pour ne pas s’attarder davantage dans le lieu de sa débâcle sentimentale. Cependant, avant qu’elle ne fasse demi-tour, son œil clair fût attiré par le profil qu’elle avait devant elle. En tant qu’infirmière, elle avait appris à faire travailler sa mémoire pour ne pas s’empêtrer dans des situations délicates. Il arrivait parfois que les gens se ressemblent, que les prénoms encore plus, et dans l’urgence d’une prise en charge tout allait beaucoup trop vite parfois, alors elle s’était obstinée à s’entraîner pour s’éviter de la creuser trop fort ; merci aux heures de potassage pendant ses études, et à la masse importante de termes et de procédures qu’elle avait dû assimiler. En plus, elle pouvait se targuer d’être plutôt bonne physionomiste, c’est ce sur quoi elle se reposa pour affirmer, un sourcil dressé.
« Je t’ai déjà vue à l’hôpital. » déclara-elle d’abord. Jusqu’à ce que Noa – donc – s’échine à faire les présentations de façon plus traditionnelle et que son nom se mit à lui tourner dans la tête comme un refrain particulièrement entraînant. Trouver un semblant de concentration dans cet endroit où les effusions de joie, la musique de fond et les casseroles du coin karaoké cohabitaient n’était pas chose aisée. Néanmoins, une alarme rugissante s’enclencha dans son esprit à l’instant où elle se revit ouvrir sa boîte mail. Dans la chaleur étouffante de Diffa, les yeux gonflés par le manque de sommeil et le nez retroussé pour parer l’attaque des moustiques, c’était un rituel qu’elle avait su apprécier pour mieux correspondre avec ses proches. Ses débuts avec toute cette technologie avaient été laborieux, même si Sohan s’était fait d’une mission de la briefer avant le grand départ. Ça avait été son seul réconfort de se plonger dans la lecture de ces mails et les larmes lui étaient souvent montés aux yeux ; larmes qu’elle se hâtait de sécher quand l’heure des visioconférences avec Hassan, Clara ou Sohan avait sonnée. Enfoncée dans cette subite cinématique, un flash qu’elle accompagna d’un pas en arrière et d’une secousse de tête la fit revenir dans le moment présent « Je dois y aller, mon frère a besoin que je le ramène. » se justifia-t-elle sans faire de vagues, une bouffée de pression lui montant jusqu’aux oreilles, bourdonnantes. Elle ne savait pas par quel malheureux hasard ce nom s’était retrouvé dans ce que Sohan avait considéré comme des spams ni comment c’était possible que le patronyme de vrais gens se voient utilisés par des robots. Toujours est-il que Yasmine prit peur, et qu’elle fit volte-face pour s’éloigner, les doigts fermement resserrés autour de son téléphone abîmé.
AVENGEDINCHAINS
Dernière édition par Yasmine Khadji le Jeu 28 Juin 2018 - 12:41, édité 1 fois
J’étais assez déstabilisée par cette froideur, cette distance que je n’avais pas l’habitude d’instaurer avec mes interlocuteurs. Ca passe ou ça casse me direz vous et on passe à autre chose, mais j’ai ce sentiment de m’être fait roulée dans la farine. D’avoir été dupe, trompée par une image de sa majesté Yasmine, cette image que j’avais construit uniquement sur des impressions, sur des regards furtivement échangés dans cet hôpital. Dans sa blouse blanche, souvent le sourire aux lèvres, cette proximité qu’elle instaurait avec les patients… là, ca me semblait être tout le contraire. Alors peut être choquée, perturbée par cette accolade surprise, puis furieuse pour son téléphone éclaté en mille morceau. Okay, il y avait peut-être de quoi être froissée, mais maintenant, c’était comme si j’avais passée des heures et des heures à construire un château de carte et que soudainement, il s’écroulait parce qu’une porte avait claquée trop fort. J’étais déçue. « On se ressemble tous dans l’obscurité, ce sera ton excuse. » et une fois de plus, le ton qu’elle avait emprunté, cette ironie non dissimulée me laissait de marbre, d’autant que si j’allais lui répondre, je pourrais bégayer. J’avais cette impression qu’elle était pressée et bien sûre qu’elle n’était pas ici pour jouer à ce blind test. Mais elle m’accrocha à son tour. « Je t’ai déjà vue à l’hôpital. » bien vu. « Un de mes meilleurs ami y travaille… » Ajoutais-je après m’être présentée. Mais je n’étais pas sûre que ce soit réellement une bonne idée finalement. Je sentie dans ses yeux qu’elle réfléchissait, elle cherchait, peut-être avait-elle déjà fait le lien entre qui j’étais et les mails que je lui avais envoyé. La honte. Franchement, je n’étais pas fière du tout, de plus en plus mal à l’aise d’ailleurs. « Je dois y aller, mon frère a besoin que je le ramène. » elle me passe devant aussi vite qu’elle n’était arrivée derrière moi sans doute. Me voilà comme soulagée. J’étais contente de ne plus être obligée de faire semblant, de faire la conversation. Mon regard ne pu s’empêcher toute fois de la suivre traverser le bar pour arriver au niveau d’un homme qu’elle semblait connaitre, vu son attitude à la fois agacée et protectrice envers lui et bien sûre, si j'avais mieux écouter, j'aurai capté tout de suite que c'était lui son frère. L’homme en question ne semblait pas être dans son assiette, pale, complètement bourré en réalité. C’était tout juste s’il avait la forcé de se relever de sa chaise et je voyais bien que Yasmine peinait à le faire bouger de là. Sous les regards amusés et franchement rageant des mecs qui les entouraient, elle n’avait pas l’air de plaisanter. Je me décidais enfin à bouger de là, non sans vouloir jouer à Wonder Woman mais j’avais comme l’impression qu’un coup de pouce ne lui serait pas de refus. Glissant assez facilement entre les épaules des uns et des autres, j’arrivais à leur hauteur. « un coup de main ? »
Yasmine glissa son téléphone portable cassé dans la poche arrière de son pantalon, replaçant une longue mèche de cheveux derrière son oreille, et fixant un point devant elle pour ne pas vaciller pendant la recherche de son frère. La foule ne désemplissait pas dans Le Canvas. La température devint insupportable, au point qu’une pellicule de moiteur se forma le long de sa colonne vertébrale raidie par la panique soudaine. Discrètement, elle contrôla son souffle en inspirant une profonde goulée d’air trop tiède, fût toutefois rassurée par le bon fonctionnement de ses poumons qui, en cas de crise, se rétractaient tellement qu’elle avait l’impression de mourir. A cet instant, ce n’était pas le cas. Elle s’obstina néanmoins à vouloir s’échapper de l’étuve créée par son face à face inconfortable avec Noa Jacobs.
La froideur n’était pas un état qui s’harmonisait avec le teint aux reflets caramel de Yasmine. Son père avait pour coutume de déclamer des histoires au sujet de la ferveur instinctive des maghrébins, utilisant le soleil impérissable de leur ciel et la douceur de leurs gourmandises pour mieux l’expliquer. Parfois même pour l’enjoliver, en conteur hors-pair qu’il était – il en faisait un don inné, un super-pouvoir rare et précieux que ses enfants enviaient à quiconque le possédant. Amjad et Fatima avaient élevés Sohan et Yasmine dans le principe de la générosité, leur rappelant que se comporter avec gentillesse, même si certain la considérait comme un gage de faiblesse, c’était s’assurer d’être toujours remercié en conséquence. Yasmine l’avait vérifié à plusieurs reprises au cours de sa jeune vie, davantage depuis qu’elle était infirmière, et que l’idée même de traiter ses patients avec animosité la mettait profondément mal à l’aise. Elle ne jugeait pas ceux qui préféraient la distance induite par l’exercice d’une fonction aussi importante que celle de ses supérieurs, mais elle s’évertuait souvent à trouver des excuses aux changements d’humeurs impromptus de ces derniers, qu’elle n’hésitait d’ailleurs pas à remettre à leur place en privé pour leur éviter l’opprobre de se faire réprimander par une vulgaire infirmière. L’égo d’un médecin devait être choyé, comme une petite plante, pour bourgeonner et produire une fleur, elle l’avait appris à ses dépens, sans pour autant faire de la flagornerie une pratique récurrente, loin de là ; même dans ses moments de remontage de bretelles, elle faisait preuve d’une certaine forme de mansuétude – au service des urgences, on l’appelait « la force tranquille ». Alors son attitude vis-à-vis de la jeune femme était loin d’être banal. Le caractère peu naturel du ton qu’elle employa pour prendre congés d’elle lui hérissa les poils, la rendant inconfortable au beau milieu de cet endroit exigu et bruyant. Un seul sentiment la poussait parfois à mettre son affabilité de côté, et ce sentiment était la peur. Passant devant la jeune femme pour repartir à la recherche de Sohan, elle se demanda si elle avait déjà été frappée par une telle coïncidence. Noa Jacobs était bien la signature qui clôturait les nombreux mails qu’elle avait reçu à Diffa, elle en était certaine désormais, sa mémoire tournant à plein régime. Elle se faufila entre les silhouettes qui s’entassaient près du bar, l’expression de son visage oscillant entre la concentration et l’irritation grandissante d’avoir l’impression que le hasard se jouait d’elle. Car elle ne croyait pas en ce concept de loterie. La part scientifique de sa personnalité n’était pas apte à accepter la fortune comme une explication logique. Un homme deux fois plus grand qu’elle s’écarta du chemin qu’elle s’apprêtait à fouler, la laissant passer avec une déférence de dragueur du dimanche, et alors qu’elle rassemblait les lignes des mails qu’elle avait lus plusieurs mois auparavant pour y refaire le point, ce fût nez-à-nez avec Sohan qu’elle tomba.
« Tu devais m’attendre à l’entrée. » l’interpella-t-elle lorsqu’il se retourna, et il posa sur sa sœur un regard vitreux. Se souler, surtout en cette période de l’année, ne ressemblait pas à Sohan, si bien que Yasmine redouta qu’une raison plus profonde qu’une réponse impulsive à un rendez-vous fixé sur la messagerie d’un site de rencontres – sur lequel elle l’avait inscrit il y avait bien une éternité par ailleurs – l’ait amené dans ce bar. Il avait toujours été le moins enclin à se plier aux conventions sociales de sa génération, et l’inquiétude chassa Noa de son esprit pendant un temps « T’as mis des plombes à arriver ! Et j’avais trèèèès soif. » lui répondit-il en pouffant de rire, chipant une mèche de cheveux de la jeune femme pour s’en faire une moustache épaisse et fourchue. Il la maintint sous ses naseaux en battant des cils et en la regardant avec une expression de personnage de dessin-animé que ses yeux légèrement globuleux accentuèrent « Tu trouves pas que ça m’irait trop bien, hein ? » La perplexité sur le visage de sa sœur le fit redescendre de son tabouret en titubant – elle le retint de justesse, vacillant d’un côté en le retenant tant bien que mal « Je trouve que t’es très bien comme t’es. Assez plaisanté, c’est l’heure de rentrer. » Sohan bougonna un « T’es pas marrante en plus d’être jalouse. » puérile, qui arracha cependant un sourire en biais à Yasmine. Mais elle déchanta tout net en tournant la tête vers une Noa rentrant de nouveau dans son champ de vision « OH ELLE A DE GRANDS YEUX LA DAME ! » s’exclama Sohan en pointant ses propres yeux avec deux de ses doigts – l’index et le majeur – un air de dire « bienvenue au club, ma sœur ! » « Ça va aller, il peut marcher. » répondit Yasmine à Noa, évitant d’attarder son regard dans sa direction et poursuivant avec une rigidité involontaire « Va rejoindre ton amie, elle va se demander où t’es passée. » Elle s’aperçut de sa morgue empruntée. De ce fait, et pendant qu’elle aidait Sohan à faire un premier pas, elle conclut avec, l’espérait-elle, reconnaissance « C’est – c’est gentil d’avoir proposé. »
lui venir en aide m'avait paru assez normal, comme une sorte de solidarité féminine. Je savais que trop bien comme on pouvait facilement etre des proies faciles dans ce genre de bar. Les mecs qui entouraient le frère de Yasmine avaient tout l’air d’être des prédateurs en chasse. Mon soutien pourrait lui être d'une bonne aide, pas forcément la bienvenue par contre. Yasmine avait clairement tenté de me fuir et me voilà de nouveau à ses côtés et si finalement, l'animal en chasse ce n’était pas moi ? Quelle idée… « OH ELLE A DE GRANDS YEUX LA DAME ! » me lança son frère en me faisant comprendre qu’on faisait partie de la même équipe. Bien que ses yeux m'avaient l'air bien plus fatigués que les miens, rouges et puant l'alcool. Ça faisait bien longtemps qu’on ne m’avait pas fait ce genre de remarque, sûrement du lycée mais je ne lui en tenais pas rigueur, à vrai dire, c’était même plutôt risible, amusant. Je lui lançais un clin d'œil en échange, pour la compassion et en même temps, ne voulant pas lui répondre totalement. De son côté, Yasmine est plutôt expéditive, me faisant comprendre qu'elle n’avait pas besoin de ce coup de main que je lui avais proposé. J’étais devenue ce genre de nana un peu trop collante ? Peut être. « Va rejoindre ton amie, elle va se demander où t’es passée. » sa réponse m'obligea à laisser échapper un petit soupire, regardant en la direction où j’avais passé un bon bout de soirée. « J'en suis pas si sûre… » vu qu’elle avait trouvé meilleure compagnie que la mienne. Enfin bon, peu importe, son frere semblait en effet tenir sur ses pieds, quoi qu’il ai pu boire et maintenant, la priorité de la belle brune était sûrement de sorti d’ici avec son frère. « C’est – c’est gentil d’avoir proposé. » ah, voilà que pour une fois je me sentais enfin être une femme à part entière et pas un parasite qui lui faisait peur. D'un signe de la tete, je lui répondis « pas de soucis. » regardant à nouveau en arrière, il semblerait que ma collègue ait congédié la personne qui lui tenait compagnie jusqu’à présent. « bon courage… » voilà pour moi l’heure de tirer ma révérence. Je tournai les talons et rejoignais mon amie.