Week-end signifiait journée de repos. Une amie à toi t’avait invitée à fêter son anniversaire le soir même, une soirée qui devait à la base être intimiste mais qui était en train de se transformer en grosse fête vu que ses parents n’étaient pas là pour le week-end. Tu avais pas mal de choses à faire pour être prête lundi pour les scènes qui t’attendaient, notamment vérifier que tu connaissais bien ton texte sur le bout des doigts et que tu étais capable de le jouer comme tu l’avais imaginé. Peut-être que le réalisateur te demanderait autre chose mais pour l’instant il avait été plutôt réceptif à tes propositions ce qui te soulageait car cela signifiait que tu n’étais pas mauvaise non ? Pour l’instant, tu chassais les pensées du tournage de ton esprit car cela faisait une semaine que tu cherchais une idée de cadeau originale pour ton amie et tu n’avais toujours rien trouvé. D’où la recherche que tu étais en train de mener sur la rue commerçante principale de Brisbane qui concentrait le plus de magasins en tout genre. Vu comment tournait la soirée, tu aurais pu te contenter d’amener de l’alcool et quelque chose à manger mais tu faisais parti des gens qui aimaient recevoir des cadeaux pour leur anniversaire alors tu n’allais pas te déroger à cette tradition. Passant d’un magasin à l’autre, toujours peu convaincue des options qui s’offraient à toi, tu fus surprise de tomber dans un magasin sur Hassan. Enfin Hassan et une jeune femme qui l’accompagnait. Cela te fit sourire plus qu’autre chose. Est-ce que ton ancien professeur avait quelqu’un dans sa vie et tu n’en savais rien ? C’était fort possible, ce n’était pas comme si Hassan s’épanchait souvent sur sa vie personnelle quand vous vous rencontriez. Lors de votre dernière rencontre devant la porte de ton frère, il avait semblé tellement seul et mal en point que tu étais rassurée de voir qu’il avait des gens dans sa vie pour l’aider à traverser ce qui ressemblait à une mauvaise période. Tu les laissais donc à leurs affaires partant à la recherche de ton cadeau. Tu étais arrivée au rayon des livres et même si ce n’était pas très original, tu te dis qu’un livre et un petit quelque chose en plus comme le rouge à lèvres dont elle te parle depuis des mois pourraient être une bonne option. Au détour d’un rayon, tu rentrais dans quelqu’un et tu souris quand tu vis que c’était Hassan. Il était seul cette fois et tu n’hésitais pas à le draguer un peu, comme tu avais l’habitude de le faire. Tu ne t’attendais pas à accomplir quoi que ce soit avec ce genre d’action et tu doutais qu’Hassan cèderait un jour mais tu étais toujours amusée de voir son air gêné et de savoir que pendant quelques minutes tu pouvais n peu le déstabiliser. Et puis désormais il n’était plus ton professeur donc si quelqu’un te voyait en train de flirter avec ton ancien professeur, cela ne regardait que lui et toi. Finalement il te dit qu’il devait retrouver son amie et te fit promettre de saluer Priam pour lui. Tu évitais de lui dire que la situation entre Priam et toi ne s’était toujours pas arrangée mais il n’avait pas besoin de le savoir. Tu le laissais partir et te remit à la recherche d’un livre qui avait l’air correct pour ton amie. Alors que tu étais en train d’hésiter entre deux livres, tu sentis un regard appuyé posé sur toi. Décidant que tu étais en train de devenir paranoïaque, tu n’y prêtais pas attention. Mais une fois le livre choisi, tu te retournais et tu constatais qu’un regard était bien posé sur toi. Et ce regard appartenait à la jeune femme qui accompagnait Hassan quelques minutes plus tôt et qu’il était en train de chercher. Ou peut-être qu’il avait inventé cette excuse, tu ne savais pas très bien. T’approchant de la jeune femme, tu lui demandais : « Je peux faire quelque chose pour vous ? » Son regard était tout sauf cordial et tu avais du mal à comprendre pourquoi. Qu’avais-tu donc fait pour mériter ça ? « Si vous cherchez Hassan, il est parti vous chercher de l’autre côté du magasin. » Lui dis-tu en indiquant la direction dans laquelle il était parti. Tu ne pensais pas qu’elle ait vu votre échange mais peut-être que c’était le cas. Son regard te fit te demander si tu avais peut-être quelque chose à te reprocher mais tu ne voyais pas très bien ce que cette inconnue pouvait te vouloir.
La corvée de ravitaillement du samedi matin était une tradition à laquelle elle s’était habituée avec le temps. Surtout en période de Ramadan durant lequel chaque centime dépensé en matière première laissait présager un festin à s’en faire péter le ventre dès le soir venu. Depuis qu’elle était rentrée, Yasmine avait repris quelques grammes, et ses joues, creuses à son débarquement de l’avion, foisonnaient de nouveau pour permettre à son visage de paraître moins marqué, plus doux malgré l’inclinaison naturellement acérée de son port de tête. Le manque de sommeil en revanche commençait à former des ombres bleues sous ses yeux. Mais elle n’en faisait pas toute une affaire, et tous les jours, elle était debout aux aurores, soucieuse de ne pas rester inactive jusqu’à ce qu’elle reprenne le travail aux urgences – une évaluation psychologique l’attendait dans le courant du mois, ainsi qu’un entretien individuel avec le chef de l’hôpital, et après on se demandait pourquoi elle avait tant de mal à trouver le sommeil. Ce samedi matin ne dérogeait pas à la règle, et parce que Sohan n’était pas disponible pour l’accompagner au centre-commercial, exclu des célébrations et donc peu enclin à participer aux emplettes de sa cadette malgré ses supplications déchirantes et ses promesses d’un service rendu en échange, c’était vers Hassan qu’elle s’était tournée pour remplir sa mission de la matinée. Gratter à sa porte faisait partie des nombreuses manies qu’il ne lui avait pas fallu longtemps à récupérer, à croire que c’était inscrit dans ses gènes de toujours s’en remettre à lui sans hésiter. Sur place, tout se déroulait donc comme prévu, la force de l’habitude leur permettant d’agir efficacement malgré l’affluence. Elle réussissait d’ailleurs à trouver un certain réconfort dans leur bonne méthode, et l’harmonisation qui régnait entre eux la rendait plus euphorique qu’elle ne l’avait jamais été depuis qu’elle était rentrée. Enfin, c’était avant de tomber sur la scène qui se jouait actuellement sous ses yeux.
Elle s’était séparée de Hassan le temps d’aller échanger un paquet de farine à demi ouvert. Et tandis qu’elle se frottait négligemment les mains sur l’arrière de son short en jeans pour se débarrasser des dernières traînées poudreuses au milieu de ses paumes, elle tourna à l’angle d’un rayon. Mais elle se ravisa d’un bond. Planquée derrière la première plante artificielle qui se dressa sur son chemin, c’est maintenant le menton rentré et le nez froncé aussi fort que ses sourcils épais que Yasmine émit un léger « pffft » de contestation. Elle n’avait pas beaucoup d’expérience en matière de drague, mais rien ne l’empêchait d’émettre un avis tranché sur la façon dont la jeune femme, s’adressant en temps réel à Hassan, minaudait pour attirer son attention. Elle avait les atouts qu’il fallait, le doute n’était pas permis, et d’ailleurs, elle la trouvait drôlement jolie. Aussi cela la contraria d’être confrontée à cet échange sans avoir eu le temps d’anticiper quoi que ce soit ; elle se mit à triturer son paquet de farine neuf, le passant d’une main à une autre, les yeux fixés entre les omoplates d’Hassan qui prenait congés. Pffft, en effet. Elle s’en fichait, le problème n’était pas là… alors il était où exactement, si ce n’était cette bouffée de chaleur impromptue qui lui colora les pommettes, la poussant impulsivement à sortir de sa cachette, une fois que le jeune homme tourna les talons ?
« Hein ? » Elle s’arrêta soudain de balancer son paquet de farine de tous les côtés, et cligna frénétiquement des yeux en prenant conscience que c’était la jeune femme qu’elle fixait depuis dix bonnes secondes qui s’adressait à elle « Ah, non ! » Illumination soudaine ayant pour effet de la faire écarquiller, alors qu’elle la fixait toujours avec hébétude : si elle avait plus de la vingtaine, son visage avait gardé les rondeurs de l’enfance. Elle se mordit l’intérieur de la joue. Certainement que l’épaisse couche de maquillage qu’elle portait avait pour effet de la faire paraître plus âgée ; elle se surprit à être profondément dérangée par l’idée qu’elle soit plus jeune que ce qu'elle tentait de le faire croire. C’est pourquoi, sans l’avoir prémédité, bien qu’elle jetât un regard derrière sa propre épaule pour s’assurer qu’Hassan n’avait pas fait demi-tour, elle lui demanda, un œil plissé, et sur un ton qui ne laissait transparaître rien d’autre que de la curiosité sincère « Je me demandais juste, t’as quel âge en fait ? » Elle replaça sa queue de cheval dans son dos, penchant la tête sur le côté en même temps. Fermant brièvement les yeux en tendant sa main libre devant elle comme pour tempérer la conversation qui pointait, Yasmine ajouta précipitamment « Parce que sans vouloir t’offenser, à l’œil, il a l’air plus proche d’être ton père qu’autre chose. » Nouveau coup d’œil furtif par-dessus son épaule.
AVENGEDINCHAINS
Dernière édition par Yasmine Khadji le Dim 24 Juin 2018 - 17:00, édité 2 fois
A vrai dire, tu ne te souviens même plus comment ça avait commencé. Tu avais rencontré Hassan lors de ton premier jour à l’université de Brisbane que tu rejoignais en cours d’année. Tu n’avais eu aucune envie de t’inscrire à l’université ici aussi et tu n’as aucun mal à te souvenir de la nonchalance dont tu avais fait preuve. Tu ne lui avais pas parlé ce jour là mais tu te souviens que c’était pendant ce premier cours que tu avais décidé de voir si tu ne pouvais pas t’amuser un peu. Tu ignorais à ce moment là que c’était un bon ami de ton frère. Ce dernier ne s’épanchant pas sur sa vie privée ou ses amis, en arrivant à Brisbane tu ne savais rien de son entourage, à part pour Cora que tu avais eu la chance de pouvoir connaître. Tu t’étais déjà mis à flirter de manière discrète d’abord après chaque cours en allant lui demander des explications sur telle ou telle chose et puis tu avais fini par appendre que c’était un très bon ami de ton frère et cela n’avait fait que renforcer ta détermination. En réalité, au fil des mois, c’était plus devenu un jeu qu’autre chose. Mettre Hassan mal à l’aise, le voir essayer de repousser tes avances sans te blesser, cela t’amusait énormément. Tu avais bien conscience que comme Priam, il te voyait comme une gamine ou du moins la petite sœur de son ami et cela t’enfermait dans une case où tu pouvais dire au revoir à tout espoir de quoi que ce soit. Mais tu continuais, encore aujourd’hui parce que cela t’amusait. Cependant, vos dernières rencontres avaient été anti climatiques. D’habitude, c’était toi qui draguais, lui qui se défilait et vous vous sépariez là-dessus. Dernièrement, il avait pris le temps de discuter avec toi, d’apprendre à te connaître en quelques sortes et inversement. La dernière fois il avait même accepté de rentrer chez toi au lieu de rester seul dans le couloir. Et ce comportement t’avait plus inquiété qu’autre chose. Voilà pourquoi le voir aujourd’hui accompagné d’une belle jeune femme te rassurait. Mais cela ne t’empêcha pas de flirter avec Hassan quand vos chemins se croisèrent. Après tout, s’il était en couple ou si l’attention le gênait ou pouvait lui nuire, il n’avait qu’à te le dire. Tu n’étais pas quelqu’un de méchant qui voulait faire du mal à son entourage. Surtout pas à Hassan qui se montrait bien plus compréhensif que ton frère et d’une manière assez paradoxale te soutenait plus que lui ces derniers temps. Parce que oui, au fil du temps tu t’étais attaché à cet homme. Non, tu n’en étais pas amoureuse mais le voir disparaître complètement de ta vie te ferait de la peine. Quand Hassan te quitta pour retrouver la jeune femme, tu t’étais de nouveau tournée vers les livres que tu regardais sentant un regard posé sur toi. Tu ne tardais pas à voir que c’était la jeune femme qu’Hassan était parti chercher qui te regardait de manière soutenue et au bout d’un moment, tu finis par l’interpeler. « Hein ? Ah, non ! » Un sourire en coin se dessina sur ton visage. Touché … Elle ne s’attendait certainement pas à ce que tu lui adresses la parole ce qui t’amusas. Tu venais de la prendre la main dans le sac. Il était évident qu’elle avait dû assister à ton échange avec Hassan et vu le regard qu’elle te lançait, elle n’avait pas vraiment apprécié. Tu lui indiquais qu’Hassan la cherchait de l’autre côté du magasin ce qui à ta plus grande surprise ne la fit pas bouger d’un pouce. Tu en déduisis donc qu’elle avait certainement quelque chose à dire et en la regardant, tu pus voir qu’elle hésitait quelques peu avant de lâcher : « Je me demandais juste, t’as quel âge en fait ? Parce que sans vouloir t’offenser, à l’œil, il a l’air plus proche d’être ton père qu’autre chose. » Tu ne pus t’empêcher de lui sourire de toutes tes dents. Elle venait de se trahir et son côté nerveux à vérifier qu’Hassan n’était pas dans les parages répondait aux questions que tu pouvais te poser. Tu ne savais pas qui était cette femme pour le jeune homme mais clairement, elle tenait beaucoup à lui. Si elle pensait t’offenser, elle se mettait le doigt dans l’œil cependant car tu connaissais très bien l’âge d’Hassan et tu n’avais pas besoin qu’on te rappelle votre différence d’âge. « Je pense que c’est à Hassan de décider si je suis trop jeune ou non. Mais pour ton information, je vais bientôt fêter mes vingt-quatre ans. » Tu savais que tu étais jeune, tu n’avais pas besoin qu’on te le répète sans cesse. Voilà aussi pourquoi draguer Hassan était plus un jeu qu’une réelle tactique de séduction qui devait mener à plus. Tu aurais sans doute dû continuer à la vouvoyer mais tu n’en avais pas réellement envie. « A ta place je garderai ma jalousie pour d’autres. Je ne suis que la petite sœur d’un de ses amis. Mia Strand. » Dis-tu en lui tendant la main. Autant bien faire les choses non ? « Et tu es ? » Ne pus-tu t’empêcher de lui demander. Tu voulais savoir à qui exactement tu avais affaire et tu espérais que la jeune femme jouerait elle aussi le jeu. « En tout cas je suis contente de voir qu’Hassan est bien entouré, il en a besoin. » Tu ne savais pas pourquoi il en avait besoin, jamais il ne t’aurait raconté sa vie mais tu avais bien compris que ce n’était pas une période facile pour lui ces derniers temps. Et peu importe qui était cette femme, elle jouait sans doute un rôle important dans la vie d’Hassan.
Entre inquiétude et jalousie, la frontière était souvent floutée, gommée par les réticences qu’éprouvait Yasmine à s’avouer trop impliquée dans la vie privée de Hassan. Elle avait assisté à sa longue relation avec Joanne, spectatrice asservie à cause de leur proximité. Au point qu’à un moment donné, et ce malgré son goût certain pour la neutralité, elle s’était rangée du côté du jeune homme – elle était loyale, elle ne pouvait le nier. Elle avait longtemps ressenti une rancœur tenace à l’égard de son ex-femme, lui reprochant son obstination à le faire souffrir, volontairement ou pas d’ailleurs. Et la vérité, c’est qu’elle ne s’y était jamais habituée, à cette hostilité, en bonne partisane de la solidarité féminine qu’elle était. Ce sentiment de se trahir elle-même l’avait beaucoup aidée à prendre la décision finale de partir au Niger, consciente que mettre de la distance pour se reprendre et exhaler lui permettrait de faire le point, de se recentrer, et même de faire la paix avec des paroles qu’elle avait prononcées sous le coup de la colère, ce qui la dérangeait. Ça avait fonctionné un temps, et puis Hassan et sa famille avaient commencé à lui manquer, et elle était rentrée sans tarder, pensant laisser derrière elle la pelote de contradictions qu’elle avait toujours traînée avec elle comme un boulet – mais qui en réalité, s’était glissée dans ses valises et attendait d’être déliée.
L’agressivité qui émanait de Mia ne lui plaisait pas. Mais après tout, c’était mérité. Elle avait beau s’en tenir à sa ligne de conduite, gardant respectueusement son calme pour ne pas faire de vagues, peu encline à vivre un esclandre dans l’allée du centre-commercial, elle venait tout de même de lui lancer une pique. Pique qui, soit dit en passant, ne lui permettait pas de faire des suppositions comme elle le faisait maintenant. On en revenait à la jalousie, devait-elle le placer dans la liste de ses mots interdits ? Car chaque fois qu’il était prononcé par autrui, son cœur manquait un battement et le malaise faisait son œuvre. Elle haussa les épaules, mettant fin à sa bataille intérieure en même temps qu’elle éconduisait les remontrances de Mia. Se détournant de trois quarts pour s’intéresser distraitement au rayon débordant de livres, le paquet de farine qu’elle tenait toujours dans les mains prit soudain des allures de balles anti-stress. Peut-être devenait-elle trop âgée pour comprendre cet inextricable besoin ressenti par la génération de Mia de monter au créneau à chaque coup de vent dans leur direction. Soit, elle ne répliqua pas, se contentant d’opiner du chef, le paquet de farine se balançant d’une main à l’autre, pas le moins du monde rassurée sur le fait qu’elle restait beaucoup trop jeune pour lui. Mais ne dit-on pas que l’amour n’a pas d’âge ? Vraiment, elle ne voulait pas tenir le rôle de la rabat-joie de service auprès de la jeune femme. Mais des souvenirs se mirent en marche dans son esprit, et préoccupée par les paroles qui lui venait de la gauche, elle se raidit imperceptiblement. C’était un fait : elle avait été le témoin privilégié de la débandade sentimentale de Hassan. Et ça avait été éprouvant, particulièrement pour elle qui le connaissait bien, et qui estimait qu’il ne méritait pas de souffrir autant. Hassan était une perle, un homme entier avec quelques principes et une gentillesse dont il était facile d’abuser. C’était davantage cette conclusion qui la faisait grincer des dents quand elle voyait quelqu’un parader à ses côtés, tachant de s’attirer ses faveurs. Elle savait à quel point il avait aimé Joanne, à quel point il avait été meurtri par son divorce et sa décision de refaire sa vie, et très franchement, elle se posa brièvement la question de savoir si elle était belle et bien jalouse, ou si tout simplement, elle voulait lui éviter une autre chute dont il ne se relèverait pas cette fois-ci. Car elle le revoyait, déprimé, prêt à en finir, et même si elle serait toujours à ses côtés, elle devinait qu’elle non plus ne pourrait plus supporter de jouer à la rafistoleuse, ramassant des bouts de lui, les colmatant maladroitement pour qu’il tienne le coup et retrouve goût à la vie.
Tout ça, elle ne pouvait pas l’expliquer à Mia. Non seulement, elle ne la connaissait pas, mais en plus, la parole de Yasmine était d’or ; alors elle rongea son frein, et parce que mettre des mots sur ce que Hassan représentait pour elle lui avait toujours demandé beaucoup d’efforts, elle ne se présenta pas tout de suite à la jeune femme. Elle pesa mentalement chaque qualificatif avec soin, insatisfaite quand ce n’était pas assez fort, confuse quand ça l’était un peu trop ; plus qu’un ami, mais moins qu’un amoureux ; plus qu’un cousin, mais moins qu’un frère – elle se décida néanmoins à lui répondre, la tête tournée dans sa direction.
« Sa cousine. » se contenta-t-elle de dire, ravalant sa rhétorique concernant, de fait, son commentaire plus que mal placé sur sa prétendue jalousie – elle espérait que ça la mettrait mal à l’aise d’avoir fait des conclusions hâtives, et intérieurement, elle sourit. Ses paumes étant blanchies par la farine, elle ne lui serra pas la main en retour, les lui montrant pour qu’elle comprenne et ne s’offusque pas de son manque de politesse. Puis elle haussa de nouveau les épaules lorsqu’elle sembla donner son avis sur l’entourage du sujet de leur conversation « Je ne vous savez pas aussi proches. » rétorqua-t-elle, d’une voix blanche, concédant que le meilleur ami en question était sans doute Priam, mais faisant chou blanc en tachant de se souvenir si elle avait déjà entendu le prénom de Mia ne serait-ce qu’une fois dans sa vie. Elle ne s’y appesantit pas cependant, et pivota sur ses pieds pour lui faire de nouveau face. Faisant basculer pour la dernière fois son paquet de farine d’une main à l’autre, elle ajouta sur le ton calme et serein qui était le sien « Tout ce que je te demande, c’est d’être droite et honnête avec lui. Comme tu l’as dit, je n’ai pas à donner mon avis, n’empêche que je le connais plutôt bien, et que lui, il fera toujours en sorte de l’être avec toi. » Mauvais tic ou pas, elle haussa les épaules pour la troisième fois « N’en abuse pas. » C’était aussi simple que ça, inutile de s’attarder. Sur le départ, Yasmine inspira une courte goulée d’air, puis ponctuant le tout par un signe de tête poli en direction de Mia, elle se détourna d’un bloc avec l’intention de rejoindre Hassan.
Toi qui pensais que ton plus gros problème allait être quel cadeau tu allais pouvoir offrir à ton amie, tu t’étais trompée. Tu n’avais pas pensé croiser Hassan dans ce magasin mais depuis que tu avais quitté l’université, tu le croisais par hasard aux quatre coins de Brisbane. Vu là où en était votre relation, tu ne te voyais pas lui donner rendez-vous un jour pour vous retrouver mais on ne sait jamais ce qui peut arriver, il y a des choses bien plus étranges qui peuvent se passer. Lors de vos échanges, tu avais été égale à toi même n’hésitant pas à flirter avec l’ami de ton frère ce qui semblait toujours le mettre mal à l’aise et ce qui t’amusait beaucoup. Parce que oui, c’était avant tout un jeu et tu savais pertinemment qu’Hassan l’avait compris. Même si mettre Priam hors de lui semblait ta spécialité ces derniers temps, tu n’avais nullement envie de venir jouer un rôle perturbateur dans leur amitié car aucun des deux ne méritait cela. Ce à quoi tu ne t’étais pas attendue cependant c’est d’être interpelée par une jeune femme que tu ne connaissais pas mais qui accompagnait Hassan. Tu avais paniqué pendant quelques secondes avant de voir qu’aucune bague n’ornait son doigt et en te disant que tu étais une idiote car Hassan te l’aurait certainement dit s’il était marié. Cela aurait mis un stop immédiat à toutes tes tentatives de flirt parce que tu n’étais pas prête de te marier ni sûre de te marier un jour mais c’était une institution que tu respectais et tu ne te serais jamais permise de jouer les troubles fêtes dans cette situation. Mais peut-être qu’Hassan pensait que tu continuerais malgré tout, vous n’aviez jamais abordé le sujet. En tout cas, il était clair pour toi que la jeune femme, avec cette interpellation, était gênée par la scène à laquelle elle venait d’assister et tu ne pus t’empêcher de lui mettre sa jalousie sous le nez. La vérité c’était que tu ignorais si elle était jalouse mais ce genre d’attaque et de remarque te faisait penser à une amie amoureuse de l’homme en question qui cherche à le protéger des jeunes pousses comme toi mais qui cherche surtout à le garder pour elle. Tu finis par lui demander qui elle était par rapport à Hassan et tu ne cachais pas ta surprise quand elle te dit : « Sa cousine. » Une cousine ? Ouais c’est ça … Elle n’avait pas l’air de te mentir et semblait bien trop fière de sa réponse pour cela mais tu avais tout de même du mal à la croire. Est-ce qu’une cousine aurait ce genre de réaction ? Peut-être, tu n’avais jamais connu les tiens ou de loin donc tu n’avais aucune idée de la proximité qui pouvait exister dans une telle relation. La jeune femme pouvait simplement chercher à protéger son cousin de mauvaises intentions mais tu n’arrivais pas à te sortir de la tête ce ton qu’elle avait employé pour t’aborder la première fois et tu restais persuadée qu’il y avait une histoire là-dessous. Tu préférais ne rien ajouter, la laissant apprécier ce qu’elle allait voir comme une victoire. A la place, tu préférais lui dire que tu étais heureuse de voir qu’Hassan était entouré et qu’il en avait besoin. Cela surpris beaucoup ton interlocutrice qui te dit : « Je ne vous savez pas aussi proches. » Tu levais les yeux au ciel à ces paroles. Proches, vous ne l’étiez pas. Du moins pas vraiment. Enfin c’était un peu plus compliqué que ça parce qu’il y avait tellement de choses que tu ne savais pas sur Hassan mais en même temps, quand il avait accepté de rentrer dans ton loft quelques temps plus tôt, il t’avait permis, sans doute sans le savoir, d’entrer dans certaines confidences et il t’avait laissé voir cette solitude qui lui pesait mais dont il n’aimait pas se plaindre. « Nos n’avons pas besoin d’être proches. Je vois plus de choses que certains peuvent le penser et Hassan a besoin d’être entouré, je suis donc heureuse que cela soit le cas. » Personne ne méritait de se retrouver seul, perdu au milieu de la foule. Tu avais cette sensation parfois mais elle s’atténuait rapidement car tu avais toujours des amis ou des connaissances pour venir à la rescousse. N’étant pas amoureuse de l’homme avec lequel tu flirtais constamment, tu ne te sentais pas jalouse qu’une autre soit plus proche de lui. Ca tu t’en doutais de toute manière. « Tout ce que je te demande, c’est d’être droite et honnête avec lui. Comme tu l’as dit, je n’ai pas à donner mon avis, n’empêche que je le connais plutôt bien, et que lui, il fera toujours en sorte de l’être avec toi. N’en abuse pas. » Tu regardes la jeune femme perplexe. Elle pense que tu fais quoi au juste ? Tu n’essaies pas de te jouer d’Hassan ou de le rouler dans la farine pour ton plaisir. Certes, tu aimes le mettre mal à l’aise quand tu flirtes avec lui mais sans jamais pousser le bouchon non plus. Et tu sais t’arrêter quand cela est nécessaire. Ton but n’est nullement de le faire souffrir et la jeune femme en face de toi semble penser que c’est inévitable. Elle se retourne pour partir mais avant qu’elle n’ait le temps de s’enfuir, tu lui dis : « Je n’ai jamais eu l’intention d’abuser d’Hassan ou de qui que ce soit d’ailleurs. Ce n’est pas parce que je flirte avec lui que je compte l’attirer dans mes filets et le faire tomber. » Dis-tu incrédule. Tu sais très bien que la différence d’âge que tu as avec Hassan ferait jaser n’importe qui mais tu t’en fiches. « Mais cousine ou pas, je ne crois pas une seule seconde qu’il n’y ait pas un peu de jalousie qui se cache sous cette protection. » Lui dis-tu un sourire en coin sur les lèvres. « C’est vraiment louable mais je pense que j’arrêterai le jour où Hassan me le demandera. » Dis-tu en haussant les épaules. Du moins le jour où il te le demandera avec une bonne excuse. Ou tu arrêteras avant, tu n’en sais rien, cela va dépendre de vos vies mais tu ne le voyais pas assez souvent pour que ton flirt est une grande incidence sur sa vie.
Une enfant. Yasmine avait affaire à une enfant. Cette conclusion qui l’avait frappée en l’observant discuter avec Hassan, à moitié planquée derrière les feuilles d’une plante artificielle, se confirmait par le parler puérile de son interlocutrice et par ses mimiques qui l’étaient tout autant. A partir d’un certain âge, quand vous rouliez des yeux, tout ce que vous réussissiez à faire c’était agacer profondément votre entourage – à ce moment-là, Yasmine aurait pu apposer sa signature au bas du document officiel qui l’attestait, tant la vision du blanc de l’œil révulsé de Mia lui donna envie de grogner aussi fort que le fit son estomac, vide depuis la veille. Néanmoins, l’heure n’était pas à l’Iftar, et encore moins au conflit. Estimant qu’elle avait assez donné à ce sujet par le passé, ses échanges avec Joanne l’ayant plus ébranlés qu’elle n’oserait jamais l’avouer, et son voyage au Niger l’ayant éclairée sur l’inutilité de ce genre de bagarre secrète, elle décida de mettre un terme au dialogue de sourd qui était en train de se jouer au milieu de l’allée du magasin. Finalement, que ce soit du côté de Mia ou du sien, la relation qu’elles entretenaient avec Hassan ne regardait personne. Elle l’admettait volontiers, elle avait eu tort de s’en mêler, alors battre en retraite et retourner à ses petites emplettes lui semblait être la meilleure chose à décider pour faire amende honorable, et profiter de la belle journée qui l’attendait ; et puis jalousie ou non, elle n’avait pas pensé que ses inquiétudes seraient aussi mal accueillies. Et parce que vouloir remporter à tout prix la main ne l’avait jamais fait rêver, plutôt bonne perdante, elle étouffa la tentation de renchérir aux propos de la jeune femme. Néanmoins, ce fût le plus discrètement possible qu’elle enfonça progressivement ses ongles courts dans l’emballage tout mou de son paquet de farine, espérant apaiser la multitude de fourmillements qui lui chatouillaient les nerfs. Tachant de conserver le rôle de l’adulte terre-à-terre qu’elle était, elle la salua donc d’un signe de tête poli et respectueux. Dans le fond, elle était légèrement rassérénée par les résultats de son analyse fugace concernant Mia Strand ; comme un nez disgracieux au milieu d’un joli visage, son immaturité la faisait paraître plus vilaine qu’elle ne l’était. Mais ça, Yasmine se garda bien de le lui dire à haute voix.
Toupillant sur la semelle de ses chaussures qui crissa contre le balatum, elle retarda son départ d’une longue minute. La raison ? Son regard translucide crocheta la couverture d’un livre vers lequel elle tendit prudemment la main. Grow The F*ck Up : What Your Parents Should Have Taught You And School Never Did – c’était si délicieusement à propos qu’elle ne put retenir le léger rire qui se forma dans le creux de sa poitrine, mais qu’elle rattrapa aussi rapidement qu’il lui avait échappé. Pendant que Mia s’évertuait à lui répéter que Hassan était le seul à qui revenait le droit de l’éconduire – elle n’avait jamais prétendu le contraire, mais elle ne s’était franchement pas attendue à ce qu’elle prenne en compte la défense qu’elle lui avait joliment servie, la gamine lui paraissait très bornée – elle fit doucement volte-face. Ses arguments avaient beaux être justes, ils étaient débités avec tant de candeur et d’obstination infantile que, cette fois-ci, Yasmine ne sut faire preuve de raison. Elle allongea son bras pour lui mettre le livre, qu’elle avait harponné dans le rayon à côté d’elles, droit dans ses mains. Et pour toute réponse, elle lui lança, avec une bienveillance qui aurait été moins vexante si elle avait été feinte : « Bonne chance, Mia. » C’est tout. Elle ne s’échina pas à lui répéter ce qu’elle lui avait déjà dit, n’essaya même pas de rebondir sur sa prétendue jalousie ; elle ne lui accorda même pas un regard avant de se retourner de nouveau pour partir, le paquet de farine alternant entre sa main gauche et sa main droite avec rythme et agilité.