C’était le genre d’après-midi que j’adorais. Ceux qui passent en vitesse, ceux qui rythment la semaine, le mois, l’année. Ceux qui amènent avec eux une vague, un raz-de-marée d’inspiration, de beau, de doux, de vrai. Ceux qui ont le goût de la nostalgie, qui sont marqués de coups de crayons, de cahiers bariolés, de mélodies reprises, comprises et encore rejouées, le bout des doigts qui saigne et les yeux qui brillent. On n’avait pas besoin de grand chose si ce n’est que de composer, que de laisser créer notre inspiration, de lui donner plein pouvoir, elle qui guide le reste. C’est un retour en arrière, c’est du souvenir riche et puissant et pur, c’est retrouver des potes rencontrés il y a plus d’une décennie à Londres, potes qui ont accroché leurs valises en Australie pour quelques mois, qui se sont incrustés au studio le temps dont ils avaient besoin, le temps que j’avais à leur accorder ; tout mon temps, en somme. Ils sont arrivés comme ça, ce matin, ils se sont étendus, ont sortis les guitares de leurs étuis, les partitions de leurs sacs, ont envahi l’étage pour mon plus grand plaisir, mis en berne, en aparté tout le travail qui semblait s’accumuler pour le mieux dans ma vie depuis quelques jours, et ils avaient proposé un jam. Une séance comme avant, une improvisation où je n’étais plus à la régie, où mes instruments n’étaient pas assemblages de boutons et de réglages, de fils et de tableaux de bord. Là, c’est moi, c’est eux, c’est nous et c’est tout ce qui compte. « Jack, la même mais en gamme mineure - t’es ok? » et le hochement de tête part tout naturellement, mon index qui se replace, et eux qui repartent, je suis, le son est mieux, le son est juste, le son est beau, et ça m’avait manqué, ça m’avait tellement manqué de jouer en ces murs, de jouer pour le plaisir, pas pour le résultat. « On reprend du début. » qui résonne comme une douce idée, comme un plan infaillible, qui s’étire sur un moment que je ne compte plus, mon regard qui n’a pas dérivé une seule fois vers le cadran obsolète accroché au-dessus de nos têtes, aiguilles qui tintent sur le mur du fond.
« Attendez, attendez. » et c’est ce qui ponctue le solo de l’un trop rapide, les balbutiements de l’autre trop vifs. On prend une pause, on en rigole, on gratte à l’aveuglette, on allume des cigarettes en évitant les détecteurs de fumée, il fait bon vivre, juste vivre avec eux. De vieux corps que les années n’ont pas épargnés, mais le coeur d’adolescents qui rend le tout tellement léger. Nos souvenirs qui remontent, les discussions doucement ponctuées des 6 cordes qui trouvent preneurs, qui relancent la machine, qui recréent des sons de jadis qu’on mélangent à nos idées d’aujourd’hui. Puis, y’a un autre visage familier qui se dresse dans l’embrasure de la porte, Tess qui arrive à l’improviste et qui m’encourage un sourire bien honnête, bien franc. « Hey. » à son intention, avant qu’ils tournent tous la tête vers elle, et qu’elle fasse déjà partie de la famille. L’amie d’un ami, la pote d’Anwar qui comprend, qui a l’oreille, qui parle de musique comme je l’aime, comme si elle l’avait vécue elle aussi, comme si ça lui parlait, ça la faisait vibrer. Et on se pousse tous, et on est prêts à recommencer à jouer, mais surtout, à accueillir une nouvelle dans nos rangs. Du menton, je désigne les quelques instruments restants, guitares pour la plupart, avant de lancer l’invitation, d’espérer qu’elle réponde de l’affirmative. « T’as le temps, t’as envie de jouer un peu avec nous? »
Sa guitare était posée dans son salon, sur son socle, depuis ce qui lui semblait être, une éternité. Tess n'arrivait pas à se souvenir de la dernière fois qu'elle avait jouée. Cela faisait plus d'un an qu'elle était rentrée de la capitale londonienne, et du jour au lendemain, elle avait tout arrêtée. Assise sur son canapé, en tailleur, un joint coincé entre les doigts, elle fixait cette Gibson L5 qu'elle s'était achetée il y a de nombreuses années maintenant. La trentenaire cherchait à comprendre pourquoi, laissant son regard se fondre dans le jaune de sa guitare électrique, elle l'avait totalement abandonné ? Elle se souvenait de sa vie à Londres. De son groupe de musique, des concerts, de la vie d'artiste en galère là-bas. Ca avait été les huit plus belles années de sa vie. Et puis il avait fallu rentrer, parce que Turner venait de perdre l'être le plus cher de son univers. La musique avait été rangée au placard. Un pincement au cœur la saisit, ses doigts lui apportèrent du réconfort en ce cône fumant et délirant. Elle recracha la fumée en se disant que oui, la musique lui faisait trop de mal. Ca lui rappelait la vie qu'elle n'avait pas pu choisir, à laquelle elle avait renoncé, pourtant, celle qui la rendait heureuse. La jeune femme avait envie de s'y remettre, mais elle avait trop peur. Dans sa tête, le schéma était clair, le bonheur, ce n'était pas fait pour elle. Si bien que si elle tentait d'être de nouveau heureuse, d'avoir sa part du gâteau ; quelque chose de dramatique allait se produire, comme se fût le cas lors du décès de sa maman. Tess se refusait le bonheur par crainte de recevoir le coup de massue, le coup de trop, le coup fatal. Elle soupira, expulsant la fumée toxique par ses narines, fixant toujours les deux « f » de sa guitare à corps creux. Elle ne bougeait pas de son canapé, n'arrivant pas à décoller ses yeux de sa gratte. La jeune femme se perdait, entre ses souvenirs et la réalité. Entre son passé et ses fantasmes d'avenir. Elle ne savait même plus ce qui avait été, vrai, et ce qui ne serait plus jamais. L'envie de jouer était là, presque tous les jours, à chaque fois que ses yeux se posaient sur cet instrument qui avait tant vécu à ses côtés. Mais elle se l'interdisait, comme une punition. Une punition pour sa quête de bonheur alors qu'elle ne le devrait pas, qu'elle ne le méritait pas. Turner s'interdisait toute forme de plaisir ou de bonheur, parce qu'elle se jugeait coupable de tout ce qu'il lui était arrivé dans la vie, de dramatique. Le départ de son père, son agression sexuelle, son échec scolaire, son absence de diplôme, la drogue, les mauvaises fréquentations, la mort de sa mère... tout était de sa faute. Sans elle, rien de tout cela n'aurait eu lieu. Alors que c'était strictement faux, mais la jeune femme pensait ainsi. Et se torturant davantage, elle tenait à garder sa guitare à vue d'oeil, afin de se rappeler chaque jour sa punition. Elle soupira en jetant sa tête en arrière, posée sur le dossier de son canapé. Fixant le plafond -qui commençait à sérieusement dépérir lui aussi- elle observa les fissures, les croisements, les lignes sinueuses du temps ravager cette surface blanche. Et tout d'un coup, ça fit tilt. Elle était comme ce plafond, elle aussi avait des fissures, pourtant, elle ne se tenait pas droite, fière et ne composait pas avec. Depuis quelques temps, la jeune femme réalisait elle avait été dure avec elle-même pendant près de quinze ans. Et si... et si juste une fois, elle faisait quelque chose parce qu'elle en avait envie ? Elle pouvait faire le test, non ? Elle se redressa et fixa sa guitare. Et puis d'un geste vif, elle posa le pétard dans le cendrier sur la table du salon et s'avança vers sa Gibson, la saisissant, ses mains partirent à la redécouverte de son bois vernis, de ses failles, de ses fissures à elle aussi. Les souvenirs de sa vie musicale londonienne ressurgirent. Comme ce concert dans un pub, après un soir de match, les gens étaient ivres, hystériques, ils avaient joués pendant des heures, tournant à la bière non stop et sur cette scène de trois mètres carrés, ils avaient réussi à foutre un bordel pas possible, fortement aidés par ces gens totalement bourrés qui avaient ravagés le bar. Ou bien alors ce concert -boeuf plutôt- à St James Park. Elle avait rejoint un mec qui jouait, et puis un autre était venu, et encore un et ils avaient fini à une dizaine à jouer des airs, chantés des medleys sans se connaître ni d'Eve, ni d'Adam. C'était ça Londres, tout n'avait jamais été aussi normal. Les souvenirs de ces huit années la firent sourire et sa main tenant toujours sa guitare par le manche, la jeune femme eut envie de jouer, de chanter, de retrouver ces sensations. Elle se souvint alors de sa rencontre avec Jack, l'ami d'Anwar. Il lui avait parlé d'un studio, il l'avait invité à venir le voir à son travail, pour juste voir, ou pour jouer, ou pour discuter, bref, il l'avait invité là-bas. Tess n'y avait encore jamais mis un pied, trop angoissée à l'idée de rejouer. Il fallait qu'elle retrouve la carte qu'il lui avait donné. La jeune femme posa sa guitare sur son canapé et se mit en quête de la fameuse carte de visite de Jack. Impossible de foutre la main dessus. Pas le temps de niaiser, elle prit son téléphone et envoya un message à son meilleur ami Anwar, afin d'obtenir l'adresse. Ca serait plus simple. En attendant la réponse de son meilleur ami, la jeune femme grimpa dans sa chambre pour enfiler autre chose que son tee-shirt de NBA. Elle opta pour une robe de hippie, comme à son habitude. Une robe longue aux teintes forestières (mystérieux tout ça) et puis quand elle entendit son portable sonner d'en bas, elle se jeta dessus pour y lire l'adresse. Parfait. Elle prit sa guitare sans même penser à prendre son étuis et puis quitta sa maison pour foncer dans sa jeep. Posant sa gratte sur la banquette arrière, elle se mit en route vers le studio de Jack.
Une fois arrivée, la jeune femme se sentit intimidé, se demandant presque ce qu'elle fichait ici. Elle entra dans le studio, elle salua la fille qui passait par là au même moment, lui demandant simplement si Jack était là. Elle lui répondit que oui, il était dans son studio, avec des amis. Ah merde, il devait être en plein boulot. Elle aurait du appeler, quelle idiote. Elle se posa sincèrement la question de savoir si elle restait ou non, et se dit qu'elle allait au moins jeter un coup d'oeil, il n'y avait rien de mal à ça, non ? Elle se dirigea vers le studio de Jack, il n'y a pas d'indication d'enregistrement devant la porte. Elle l'entrouvre légèrement et voit tout de suite Jack, devant sa table de mixage. Devant lui, tout plein de musiciens. Un silence, des regards tournés vers elle. Oh merde, elle a l'impression d'avoir interrompu quelque chose, elle se sent mal et elle déteste que tout le monde la regarde comme ça. Jack lui sourit, il la salut très vite après s'être rendu compte de sa présence. « Salut, je vous dérange pas ? » demande t-elle à voix basse mais avec son plus franc sourire, pour être sûre, vraiment. La jolie métisse pousse plus largement la porte, alors que Jack lui demande si elle veut se joindre à eux. Elle sourit et laisse apapraître sa guitare qu'elle tient toujours par le manche, comme si elle n'avait aucune valeur sentimentale, comme si un pète de plus, ou de moins, ça n'était pas grave. Elle se tourna vers les musiciens, sourit à son tour face à leurs sourires et leva sa main pour les saluer « salut les gars ». Elle s'approcha alors, timidement, tenant sa guitare fermement contre elle. Si elle veut jouer ? Elle prend une grande inspiration et regarde Jack « j'veux prendre le temps ouais » rigola t-elle. Elle se fraya un chemin, se trouvant un perchoir au fond, comme si elle s'y sentait mieux et regarda les instruments des types déjà présents « vous étiez en train de jouer quoi ? » demanda t-elle. Ils lui répondirent et très vite, la jeune femme sourit en clignant d'un œil. Cela faisait plus d'un an qu'elle n'avait pas joué, ça n'allait pas être terrible tout de suite, probablement. Elle avait peur de jouer devant d'autres musiciens et en même temps, c'était comme une grande famille. Eux aussi, probablement, ils avaient déjà connu ça, ces périodes de creux total où l'on boude son instrument. La jeune femme accorda correctement son instrument, posée sur une enceinte assez large pour en tenir deux des comme elle. Un type lui proposa de choisir la prochaine chanson, de se lancer, de leur montrer ce qu'elle savait faire. C'était un peu comme ça que ça fonctionnait, on lançait un air et chacun venait y ajouter sa pâte. La première chanson qui lui vint en tête, ce n'était pas une chanson d'elle, mais une de ses chansons favorites du groupe REM - « Belong ». Elle commença alors, redécouvrant la pression de ses doigts sur ses cordes, tandis que sa voix se préparait à accompagner son instrument sur cet air dont elle ne pouvait plus se passer depuis des années.
La matinée qui s’étire au midi, à l’aprem, et pas le moins du monde l’envie de sortir du studio, d’aller faire autre chose, de ne plus profiter. La proximité du band qui est à mes côtés aujourd’hui est toute rare, et si ma vieille mémoire ne me fait pas défaut, une tranche de près de dix ans s’est étendue depuis la dernière fois où on s’est tous retrouvés dans la même pièce. Rencontrés dans un vieux pub anglais, ils étaient passé obligé enregistrer quelques tracks avec nous du temps où j’avais encore un groupe solide, où la place et la possibilité, la latitude de faire ce qu’on voulait de nos albums n'était pas juste un mirage. C’était beau, à l’époque. Les soirées qui duraient jusqu’aux petites heures du matin, les compositions qu’on raturait, les mélodies qui finissaient par s’accrocher les unes aux autres et donner un résultat auquel on ne s’attendait pas, mais qui avait tout son sens. Ils avaient aidé à créer de petits chefs-d’oeuvres à mes yeux, même si rares étaient les chansons que je ne trouvais pas parfaites dans leurs imperfections. Puis, nos chemins s’étaient séparés quand notre tournée nous avait menés ailleurs, et qu’ils étaient eux-même partis sur un autre front. On avait gardé contact, s’envoyant d’un côté comme de l’autre des billets pour assister à nos shows respectifs, garder la fibre artistique présente, l’inspiration aussi. La vie ayant choisie que la gérance et la production étaient devenues mes deux nouveaux gagne-pains, ce n’était que maintenant bien établi dans mes locaux et à l’aise de recevoir pareille visite que je leur avais fait signe, les invitant à se poser ici pour aussi longtemps qu’ils le voulaient. C’était comme ça de toute façon chez B&B, pour mon plus grand plaisir. On entrait dans le studio comme dans un moulin, on venait y puiser un peu de calme, ou alors une grosse dose de musique au creux des veines. On venait y jouer, y écouter, y partager un peu plus de sa passion, et j’avais la chance, que dis-je, le privilège de tout voir, de tout vivre avec les belles âmes qui mettaient le pied dans mon quotidien en me laissant faire de même dans le leur. « Au contraire, allez, entre. » un sourire doux orne mon visage quand je reconnais Tess dans l’angle, toujours plus à même de lui faire de la place, d’aider à ce qu’elle se sente comme à la maison ici. C’est le mouvement du groupe qui se dégage, l’invite à leur tour à venir parmi nous. Sans perdre espoir de la voir dans le coin, j’avais depuis longtemps laisser le hasard et le timing se charger de la placer sur mon chemin - ou l’inverse - attendant patiemment qu’elle vienne mettre son nez ici. La jeune femme qui se greffait bien souvent aux soirées d’après-show avec les Street, qui restait jusqu’à pas d’heure bière en main et sourire aux lèvres, ça avait suffit à créer des liens, à nourrir la discussion. Et de savoir que jadis elle jouait de la guitare et chantait elle aussi n’avait fait qu’attiser un peu plus ma curiosité de l’entendre. « C’est tout ce dont on a besoin. » de temps, qu’elle le prenne. Soulagé qu’elle ne s’est pas senti overwhelmed avec toutes ces paires d’yeux dans sa direction, je laisse les musiciens guider la note qu’elle propose, quittant au passage la régie pour passer du côté de la salle d’enregistrement, et prendre place parmi eux.
« Amuses-toi. » que je finis par l'encourager de bon coeur, alors que je la vois commencer à apposer ses doigts, ajoutant d’abord timidement sa voix aux notes. Lui offrant toute la latitude dont elle a besoin pour être le moindrement confortable, les gars finissent par la rejoindre un à un, enchaînant la mélodie, un classique dont on ne se lasse pas, qui montre bien que Tess est autant sur la même longueur d’ondes que nous tous. « Y'a pas assez de percussion, là. » que Clive dénote, et je souris, anticipe la prochaine question, ponctuée d’un « Jack? » qui me fait éclater de rire. « À vos ordres. » et le jam se poursuit maintenant que je suis aller dégoter un vieux tam tam tout poussiéreux du débarras, celui-là même qu’on a usé pour la dernière fois il y a quelques mois, un enregistrement en solo auquel on voulait ajouter une touche un peu plus ethnique. La chanson se poursuit en successions d’hautes et d’aigus, un ou deux fous rires devant des manoeuvres cowboy de reproduire un solo qu’ils tirent par les cheveux juste pour faire bonne impression, ou simplement parce qu’ils ne sont pas capables de faire dans la demie-mesure, et qu’avec eux tout doit toujours être poussé à l’extrême. « Ça manquait, une voix féminine. » je sais bien qu’en le précisant, y’aura un ou deux regards des boys lancés à mon intention, des blagues au bout des lèvres mais surtout une profonde curiosité de poursuivre le tout le plus longtemps possible, de voir jusqu’où la séance improvisée peut nous amener. « Ils râlent mais ils sont d’accord. » tous finissent bien sûr par hocher de la tête de la positive, c’était une famille qu'on formait là, pas un clan. Adam poursuit avec un autre classique, et ce sont les notes de Your Party de Ween qui s’entament, auxquelles le grand barbu s’amuse à ajouter sa touche, trompette sortie et assumée. « C’était à Londres hen, ton groupe? » la conversation avec Tess qui coule tout naturellement, entre les paroles et le rythme répétitif qu'on arrivera sans doute à bien suivre. Toutes oreilles dehors, la suite nous intéresse amplement.
Made by Neon Demon
Dernière édition par Jack Epstein le Mar 19 Juin 2018 - 3:27, édité 1 fois
Au gré de la musique, des notes, des essais que chacun essaye d'amener, il y a quelque chose qui se créer. Quelque chose de différent de R.E.M., quelque chose de différent de ce qu'ils connaissaient tous. Et c'était ce qui manquait à la jeune femme, un écho. Une résonance, de l'un, à l'autre. Un musicien n'entendra pas forcément la même chose qu'un autre, ne verra pas la même suite, le même arrangement, le même instrument. L'un répondra à l'autre, qui entamera un nouveau discours à son tour. Tout n'était qu'une conversation, totalement hasardeuse, totalement impulsive. Comme si c'était autre chose en eux qui parlait, comme s'ils étaient là, sans être là. La jeune femme sourit lorsqu'elle réalisa ce qu'ils étaient en train de créer, tous ensemble. Chacun y apportant sa touche, brodant ainsi une tapisserie aux différents fils, aux multiples couleurs, mais au tissage invraisemblable, mais pur. Pur tout simplement parce qu'il était vrai, authentique. Et puis vraiment, ce répondant. Cette balle qui nous revient, transformée, dans une nouvelle trajectoire, provoquant une nouvelle tactique, un nouveau geste. Ensemble, ça devenait une vraie chorégraphie. Et Tess, si elle fermait les yeux, pouvait se croire de nouveau à Londres. Londres était pour elle, la meilleure période toute sa vie. Ce fût huit années merveilleuses, huit années à oublier son passé, à vivre pour elle, normalement. Elle ne s'était jamais sentie ainsi, nul part ailleurs. La musique, l'esprit de groupe, la cohésion, la créativité... les musiciens avaient ce petit quelque chose que les autres n'avaient pas. Ce regard que les artistes portent sur le monde, sur les sons, sur les bruits, sur tout ce qui les entourait. La jeune femme ressentait tout, tellement plus intensément. Rigolant alors quand les musiciens entamèrent le solo, elle croisa le regard de Jack et croiser son regard à ce moment là, lui fit le meilleur bien du monde. Jack avait un regard bienveillant envers elle, et il y avait ce petit quelque chose dans son œil, ce petit quelque chose de créatif, de plaisir partagé à juste jouer de la musique, à kiffer ajouter des notes, des effets, des ajustements. Ils étaient tous en plein kiff sur le moment qu'ils étaient en train de partager ensemble, et la musique, c'était ça. Le partage, la bienveillance, l'authenticité du moment. Et chez Tess, ça résonnait tellement, ces valeurs étaient des valeurs auxquelles elle croyait plus que tout. La jeune femme prend énormément de plaisir à jouer ce grand classique en compagnie de ces hommes qui l'impressionnent, forcément. Lorsqu'ils en arrivent à la fin, la voix de Tess se fait plus confiante, partagée entre rire et chanson. Et lorsque fut le temps de jouer autre chose, la jeune femme ne pu que fermer ses yeux en secouant légèrement la tête et les épaules sur cet air que les autres entament. Elle adore cette chanson. Elle sourit, sans pour autant jouer de sa guitare pour le moment. Par contre, elle accompagne l'un des chanteurs pour chanter en sa compagnie, se partageant les paroles, la jeune femme ne tarde pas à poser sa guitare près d'elle, sur un socle tout près de son enceinte qui lui servait de chaise. Elle frappe légèrement dans ses mains, comme un rythme, et puis fait danser ses bras, lentement, au rythme des instruments qui la font vibrer sur le moment, parfois les yeux clos, comme si cela donnait encore plus de passion aux notes qu'elle entendait. Elle rigole à la remarque que fait Jack, sur le fait qu'ils sont d'accord pour dire qu'une présence féminine manquait. Elle sourit tout en mimant une négation avec son visage. Elle, féminine ? Elle était persuadée qu'il y avait un mec plus féminin qu'elle ici, dans cette pièce, qu'il s'agisse de sa voix, de sa posture, de sa façon de parler. Mais l'idée la fit sourire. Jack lui parla, elle laissa donc à l'autre chanteur de soin de reprendre les paroles pour hocher positivement la tête en continuant de danser sur son enceinte, lentement « yep, en plein Londres, jusqu'en 2013 » précisa t-elle en souriant. Pourquoi lui posait-il cette question ? Est-ce qu'ils venaient de Londres ? Tess observa les musiciens et ne tarda pas à comprendre, en souriant, elle demanda alors « vous êtes londoniens ? » heureuse de pouvoir rencontrer des musiciens de la capitale anglaise. C'était comme se retrouver dans un mood si heureux de son passé et bon sang, que c'était rare.
Un bel hasard, une douce addition. Si Tess était encore une créature à part que je ne cernais pas assez à mon sens, n’en restait pas que de la découvrir entre les mélodies, les rythmes et les paroles me suffisait. Elle avait ce naturel qui rendait son arrivée inopinée obsolète la seconde suivante. Ces rires qu'elle laissait aller, cette mouvance qui la bougeait entre les différentes notes qu’elle entamait, ou laissait passer. C’était facile de voir, de constater, de savoir directement qui aimait la musique, qui ls'y vouait foncièrement avec passion et nécessité, et qui n’en faisait qu’un passe-temps. Bien sûr, y’a mon oeil de producteur qui est toujours alerte, mon coeur d’artiste qui ne manque rien, mon oreille absolue qui est attentive, décortique. Mais c’est loin d’être scientifique, c’est loin d’être du boulot au final, maintenant que je me réjouis de voir que l’assemblage de cet après-midi s’en sort plus que bien. L’enchaînement entre les chansons se fait tout seul, les cuivres sortent, et une voix en confiance guide une note plus forte, plus puissante, les murs en tremblent presque, on est bien. Si les conversations volent doucement au-dessus du jam qu’on s’autorise le coeur léger, j’en profite pour discuter un brin avec la nouvelle venue, pour faire des liens, tisser des ressemblances, des accroches entre elle et ceux de passage. La musique est un monde de connexion, de timing, d’endroits partagés, de moments racontés. C’est un art qu’on ne connaît vraiment que lorsqu’on s’y dédie corps et âme, et à les voir tous ensembles sur la même longueur d’onde, sur un diapason d’une égalité impressionnante, ça me semble plus que logique de relier les derniers points restants, de m’assurer que tout se sache dans la plus légère et évidente des ambiances. « On préfère dire Brighton. » que Clive précise, l’air narquois et l’oeil malicieux, avant de sourire de plus belle.
« Mais ouais. On est à Londres depuis 15 ans. » ils y tenaient, à la vie du sud, à l’eau bleue, glacée, à leur nature, leurs paysages bien loin de l’architecture de la capitale. Ils y avaient grandi, ils y avaient tout vu, mais la scène les avait postés à Londres en toute logique, leur style qui se prêtait bien plus à ce marché-là qu’à un autre sur l’île. « Jack s’est greffé à nous quand il était de passage avec son band, on lui rend la pareille. » alors que je m’occupe d’ajuster distraitement la six cordes de Josh laissée dans un coin de la pièce, on poursuit le semblant de présentations, on continue à rechercher des similitudes, à dresser le portrait de tous ces liens qui se sont tissés, certain en une poignée de minutes, d’autres qui oeuvrent depuis une décennie. J’écoute, attentif, sans ressentir le besoin de m’imposer autre que de m’assurer que Tess se sente à l’aise, qu’elle n’est pas intimidée par les questions qui pullulent à son encontre, qu’elle n’a pas envie de simplement jouer, et de laisser les banalités pour un autre jour. D’un coup d’oeil, je valide qu’elle est bel et bien attentive, que les échanges lui conviennent, qu’elle se laisse autant porter par la musique que par les interrogations et autres affirmations qui volent d’un côté à l’autre de la pièce. « Tu es à Brisbane depuis longtemps, alors? » et je renchéris, la question que je n’avais jamais vraiment posée à la jeune femme, elle qui avait lâché l’information sur son band, sur Londres entre une bière et une autre. Sachant que j’étais membre des Street Cats depuis un maigre nombre de mois à peine, ce n’était pas non plus assuré que je pourrais refaire sa généalogie musicale et savoir exactement d’où, de quand et de pourquoi elle avait mis le pied ici. « Et le groupe t’as suivie ici? » Clive rattrape une question que je gardais en suspens, ayant bien vu dans les réticences précédentes de Tess et ses quelques non-dits que le fameux groupe semblait avoir été laissé derrière. D’un geste du menton, je fais signe à la jeune femme qu’elle peut très bien éviter la question si elle n’a pas envie de poursuivre sur cette lancée que j’ai, bien mollement et maintenant avec un brin de culpabilité, initiée.
Brighton, Tess hocha la tête en retenant un sourire. Bien sûr qu'elle connaissait cette petite ville au bord de l'eau, elle s'était perdue sur sa grande roue, sur le Brighton Pier, ou dans ses ruelles colorées. La jeune femme lança « j'y suis passée rapidement » avant de se reconcentrer sur le rythme de la musique qu'ils étaient en train de jouer, à la fois comme un fond sonore, comme la BO du film de leur vie, qu'ils se racontaient à la fois en parlant, et surtout en musique. Les musiciens lui confirmèrent donc qu'ils étaient Londoniens, et ce depuis quinze ans. Elle sourit, la vie à Londres avait été tellement belle pour elle, ça lui manquait. Très souvent, seule ou avec Leena, elles regrettaient cette époque et Tess avait souvent envie d'y retourner, mais elle savait que désormais les choses seraient différentes, que dans tous les cas, ça ne serait plus jamais comme avant. Seuls les souvenirs persistaient, lui donnant à rêver, à fantasmer une vie qui n'existerait plus. L'un des musiciens expliqua que Jack les avait rencontré là-bas, à Londres. Le regard de la métisse se posa à nouveau sur l'ami de son meilleur ami. Ils s'étaient vu plusieurs fois, avaient passés plusieurs soirées ensemble, mais jamais elle n'avait su qu'il avait vécu à Londres. Et elle trouvait ça presque extraordinaire qu'ils aient été dans la même ville européenne, si loin d'ici. Elle se tourna vers le producteur de musique et lui lança « tu as vécu à Londres pendant longtemps ? » parce qu'après tout, elle ne connaissait pas grand chose de lui, si ce n'était carrément rien. Peut-être était-il anglais ? Peut-être que tout comme elle, il y avait vécu quelques années ? Mais l'idée d'avoir Londres en commun avec lui, inconsciemment, ça la rapprochait de lui. Parce que Londres était un merveilleux souvenir et que pour elle, toute personne ayant vécu là-bas avait ce petit quelque chose de magique, qu'elle collait à cette ville en toutes occasions. Pour elle, la capitale anglaise avait ce petit quelque chose de magique, qu'elle avait également retrouvé lors de son passage en France. Peut-être était-ce l'air européen ? Mais il y avait cette âme, ce caractère, cette histoire, cette bienveillance qui était là, un peu partout et qui avait rendu son voyage dans l'ancien continent, que plus beau encore. Tess continue de chanter quelques paroles, ici et là, tout en essayant de tenir la conversation et continuant de se remuer légèrement, toujours assise sur son enceinte. Elle ne tarde pas à prendre sa guitare à nouveau contre elle, créant quelques notes, quelques accords légers. Puis ses doigts serrant les cordes contre le bois vernis de sa guitare électrique, ses autres doigts pinçant les cordes, les faisant vibrer sensuellement presque, elle commença à jouer quelques notes. Des ntes un peu gipsy qu'elle avait entendu en Europe, qui lui rappelait ces souvenirs qui la rendait si nostalgique. Parler, raconter son histoire, autrement que par des mots. Jouer sur la corde sensible, sur les impressions, ressentis, sensations de cette époque, celles qui l'avaient animée, celles qui l'avaient faite vibrer. La trentenaire releva ensuite la tête, souriant doucement, pour répondre à Jack. « J'suis née ici en fait, à Samsonvale précisément » commença t-elle en parlant de sa petite bourgade dans laquelle elle vivait toujours « j'suis partie à dix-huit ans à Londres, pendant huit ans » sourit-elle. Parler de la plus belle période de sa vie... ça lui faisait toujours plaisir et surtout, ça lui donnait toujours autant envie de repartir. L'un des musiciens lui demanda si son groupe l'avait suivi, Tess fit quelques accords sur sa guitare à corps creux, laissant résonner comme un son métallique et après avoir sourit elle répondit « non... on va dire que j'ai du rentrer dans la précipitation et... et c'était juste comme ça » elle pinça ses lèvres. Elle avait du rentrer du jour au lendemain pour enterrer sa mère, elle avait abandonné le groupe. C'était triste, mais il n'y avait pas eu d'autres options à ce moment là. Ils n'étaient pas musiciens professionnels, ils parvenaient à jouer et gagner un peu d'argent, mais les gars étaient tous autre chose que de simples musiciens. Ils s'étaient rencontrés par hasard, ils avaient joués ensemble et puis ça s'était terminé, comme un rêve, comme une chanson. Une chanson aux notes sublimes, au rythme endiablé, qui se termine brutalement, mais que l'on prend plaisir à réécouter, encore et encore. « Et vous, vous jouez ensemble depuis longtemps ? » sourit-elle en continuant de laisser ses doigts proposer des accords, souriant aussi à ce que proposait les autres musiciens autour d'elle. C'était tellement simple et tellement plaisant, tout simplement, tout naturellement.
HRP : Haha je suis contente que ça te plaise alors :)
Accompagné des différentes mélodies qui s’entremêlent, des essais des uns, des conversations des autres, j’en apprends un peu plus sur Tess, ce qu’elle veut laisser aller non sans la mettre au pied du mur. Je me surprends à être de plus en plus attentif à chaque parcelle de détail qu'elle cède, comme si chaque information se devait d'être méritée. Elle se sent suffisamment à l’aise pour prendre le pouls de la discussion, pour y parler de son passé, non sans garder une pointe de mystère là où je ne force pas, ni les autres présents avec nous. C’est pas nos affaires ce qu'elle ne veut pas dire, et puis au final, si elle le garde pour elle, ses raisons sont on ne peut plus honorables. À sa question sur une potentielle vie que j’aurais bâtie à Londres, je secoue doucement la tête de la négative, en profitant pour tendre la guitare que j’accordais à qui de droit avant de poursuivre, mon attention un peu moins divisée entre les musiciens et les instruments. « Jamais vécu ; on y a été à chaque fois que pour une poignée de semaines. » bien que Londres et l’Angleterre en soit aient été de véritables coups de coeur, rares avaient été les pays où j’avais eu une adresse civique, où j’étais resté assez longtemps pour en faire un chez moi officiel. C’était depuis le Canada, depuis l'adolescence sur la base militaire, depuis toutes ces années passées à garder à l’intérieur mon besoin de bouger, à calmer les fourmis dans mes jambes, jusqu’à ce que ce soit impossible à nier, jusqu’à ce que la tournée avec le band prenne de l’ampleur, et qu’on sillonne le pays avant de s’attaquer à plus gros, au monde tout court. « C’est un nomade, s’il avait pas Ellie il serait encore parti. » qu’on ajoute alors que je me perds en pensée dans ces récits de voyage que j’avais accumulés au fil des années, ces paysages que j’avais vus, ces levers de soleil que j’avais emmagasinés. L’entendre me file moins le cafard que le jour où j’avais réalisé que s’établir à Brisbane devrait être officiel et pas qu’officieux pour Ellie, et que si je voulais faire les choses bien avec la gamine fallait que je me plante les pieds bien comme il faut ici sans aucune possibilité d’envoyer mes racines ailleurs. Elle avait besoin de repères, elle avait besoin de racines, elle avait besoin de solidité et c’était bien ce que je n’avais jamais représenté pour elle ; jusqu’à aujourd’hui, et encore. « D’ailleurs, faudrait que tu l’invites à passer Jack ; paraît qu’elle maîtrise le solo de Little giant à la perfection. » mon silence agit comme un engrais à small talk, et les gars renchérissent eux qui, sans le savoir, m’apprennent que ma fille a non seulement passé plus de temps sur sa guitare que ce que je pouvais croire, mais qu’elle leur en a même également fait la démo. C’était pas rare de la voir traîner ici, et je pouvais parier qu’elle avait même profité de la visite du groupe pour leur faire amende honorable, s’assurant au passage que son vieux père ne soit pas dans les parages question de ne pas la gêner là aussi, mais reste qu’encore une fois, que comme avec Clara ou même Sam, je sentais Ellie beaucoup plus ouverte et facile à côtoyer du moment où je n’étais pas dans ses pattes. « Je… oui, c’est vrai. » un vague soupir, et mes prunelles qui dérivent vers n’importe quoi, une colonne de son, un filage à ranger, de quoi occuper mes doigts et mes pensées. « Ça s'est pas trop amélioré entre vous deux, depuis que vous êtes emménagés à Brisbane? » comme un livre ouvert, et la présence de Tess ne semble pas déranger les autres guitaristes à me renvoyer sous le spotlight, à m’accorder mon pesant de conversation, ce à quoi je réponds d’un haussement incertain de l’épaule. « Ça se maintient. » parce que ce n’était pas pire, mais que ce n’était pas mieux non plus. Ellie était complexe, Ellie était tellement semblable à moi et en même temps tellement différente à part entière que de l’apprivoiser me semblait être déjà une tâche difficile ; autant ne pas me tâter à apprendre à la connaître en plus, trop vite. « C’est ma fille, Ellie. » à l’intention de Tess, pour la situer un peu, doutant qu’elle sache ce qu’il advient de ma fille puisque ce n’est jamais un sujet facile à aborder, sujet intimement relié à la perte de Jude et à tout ce que ça implique. « Elle a 15 ans et… ça paraît. » elle tente de s’amuser ma voix, elle tente d’expliquer au mieux, mais on voit tout de suite que ce n’est pas encore tout à fait ça, et que j’ai plusieurs croûtes à manger avant de m’en sortir convenablement comme paternel potable. « Je m’y fais encore, c’est pas tout, mais ça s’améliore un peu chaque jour. Je pense. » chaque effort compte, chaque question, chaque détail appris. Miss Davis avait insisté pour que je me fasse plus attentif, plus à l’écoute et je tentais de m’y appliquer le plus possible. Voyons voir jusqu’où ça me mènerait. « Et toi, tu as des frères et soeurs? » qui sait, peut-être que Tess vit aussi sa propre crise d’adolescence avec un sibling ou un autre, et qu'elle aurait de quoi m’aider à comprendre ce qui devrait être (mieux) fait.
Très vite, au cours de la discussion, la jeune métisse pu se faire une idée plus précise de la vie de Jack. Bien qu'ils se soient croisés à plusieurs reprises, elle ne connaissait rien de lui, hormis sa passion musicale qu'ils avaient rapidement partagé après les concerts des Street Cats. Mais entre ce que l'on dit au bout de comptoir, après plusieurs bières et la voix grasse et puis ce qui se dit presque comme une confession, au cœur d'un studio comme celui-ci, ce n'est pas la même chose, ni le même contenu. Ici, ce qui est dit semble à la fois plus intimiste -ce qui est d'autant plus drôle qu'il s'agit d'un studio d'enregistrement et qu'il y ait du monde- et aussi plus profond -sans pour autant rentrer dans les détails. Tout est survolé, ce qui laisse une place à l'imagination, pour la moindre anecdote. Jack parle de sa fille, oui, elle en a déjà entendu parlé. Tess a fini par comprendre que Jack ne parlait jamais de la maman, et pour sa fille... ça avait l'air d'être compliqué. Tess n'écoutait pas les conversations qu'elle ne devait pas, mais il arrivait toujours à un moment donné en soirée où certains sujets étaient vaguement évoqués, sans pour autant qu'une étrangère comme elle arrive à y comprendre quelque chose. Le seul élément qu'elle avait réellement capté finalement, c'était qu'il avait une fille à peu près du même âge que son filleul, Tarek. Lorsque ses amis évoquèrent la vie de nomade, elle ne pu s'empêcher de sourire en regardant les musiciens, avant de tourner doucement son regard sur Jack. Un regard et un sourire bienveillants, tout simplement. Très vite, Tess comprit que la fille de Jack, Ellie, était elle aussi une musicienne. Ca c'était chouette, d'avoir une passion à partager avec son enfant. Enfin, rien que le principe d'avoir un enfant semblait déjà fou en soi. Tess n'en était pas là. Elle n'avait jamais pu imaginer avoir des enfants du temps qu'elle était terrorisée par tous les hommes qui l'approchaient. Aujourd'hui, depuis sa rencontre avec Lemmy, les choses semblaient... différentes. En compagnie du beau brun, tout semblait moins terrifiant, et surtout, plus facile. Elle baissa la tête, alors que les flash de son tout premier baiser, avec lui, lui revinrent en mémoire. Elle sourit, sans même s'en rendre compte. Tess reprit le fil de la conversation, la relation entre Jack et sa fille semblait compliquée. Elle fit mine de suivre, essayant de comprendre mais elle ne voulait pas être intrusive, ni même parler de quelque chose qui ne la concernait pas. Elle était là, certes, mais cette conversation ne le regardait pas (c'était du moins ce qu'elle se disait). Lorsque Jack lui confirma l'identité de sa fille, elle hocha la tête en souriant et répondit « j'avais cru comprendre, mais j'crois que Tarek a du déjà m'en parler » ajouta t-elle. Et c'était le cas, son filleul avait déjà évoqué le fort caractère de la jeune fille en sa compagnie, mais elle se garderait bien d'entrer dans les détails en compagnie de Jack. Quinze ans, mon dieu. L'âge ingrat. Tess ne pu s'empêcher de rire en bougeant sa tête, laissant ses tresses tomber sur sa guitare. Elle s'arrêta de jouer un instant, pour prendre la totalité de ses cheveux et les balancer dans son dos et puis elle soupira « c'est pas du tout la meilleure période pour une jeune fille, effectivement » précisa t-elle. Quoi qu'elle, ça avait été le dernier moment d'une vie innocente, à seize ans, tout avait changé. Elle toussa, histoire de chasser les mauvais souvenirs et mauvais sentiments qui s'apprêtaient à ressurgir, comme d'habitude. Il fallait faire bonne figure, ne pas montrer que notre passé nous terrorise, nous effraie et nous rend complètement fou. Elle reprend sa guitare, essaie de reprendre le rythme tout en se laissant aller à jouer selon son état d'esprit. Quelque chose de pur, de lent et de violent dans sa gestuelle. Quelques notes, quelques enchaînements qui ne restent pas, qu'elle ne poursuit pas, mais qui se sont fait entendre. Une façon de parler de son passé sans pour autant trop en dire. Pourtant, tout était dans ces quelques notes. Jack était un profond optimiste, en tous cas, c'était ce qu'il laissait croire à la jolie métisse. Tess ne tarda pas à lui dire « tu es seul avec ta fille? » histoire de savoir s'il avait un soutien féminin. Parce qu'une fille à quinze ans, elle a besoin d'une mère. Tess s'était toujours senti chanceuse d'avoir eu sa mère à cette époque. Sans elle... non, elle n'aurait pas du tout eu la même vie, ça n'aurait pas été cette version de Tess Turner qu'elle serait devenue. Jack changea de sujet, et sa question fit sourire Tess en arquant un sourcil « hum... pas que je sache » lança t-elle pour commencer « peut-être du côté de mon père, j'en sais rien » lâcha t-elle de bute en blanc, sans filtre, sans retenue. Autant parler d'un chat, en utilisant le mot chat. Sa maman lui avait toujours dit que son père les avait abandonné, et qu'il était mort. Il n'en était rien, mais Tess ignorait tout de son père. De toute façon, il était mort, elle ne saurait jamais répondre à cette question si elle a des frères ou des sœurs. Peut-être que oui, quelque part, elle a une certaine famille. Mais bon, ce n'est même pas la sienne. Tess n'a rien à voir avec son père... pas vrai ? « J'ai vécu seule avec ma mère jusqu'à ce que je parte à Londres et puis... je suis revenue pour l'enterrer » avoua t-elle alors simplement. Sa maman était morte il y avait un petit peu plus d'un an déjà, presque un an et demi. Aujourd'hui, dans ce studio, étrangement, elle arrivait à le dire sans avoir le cœur en miette. C'était donc ça, ce dont ses amis parlaient quand ils disaient que la douleur serait toujours là, mais qu'un jour... ça ferait un tout petit moins mal ? La jeune femme commença à faire quelques notes de musique sur sa guitare, tout en fredonnant un air une chanson qui lui était venu en tête, et qui allait faire passer la douleur qui restait. « Du coup j'suis seule » ajouta t-elle en souriant à Jack « enfin non, j'ai Anwar, Tarek et puis Leena, on est amis d'enfance » ouais. Ils s'étaient rencontrés peu après l'arrivée d'Anwar à Samsonvale, quand il avait autour de ses sept ans. Du coup, les trois gamins de Samsonvale avaient grandit ensemble, et puis quand Anwar avait eu Tarek, quand le frère de Leena avait disparu... ils avaient toujours été là. Ses meilleurs amis étaient sa famille aujourd'hui. Elle laissa ses doigts glisser sur le manche de sa guitare et ne tarda pas à chanter, doucement, laissant plutôt sa guitare chanter pour elle. clique
Le jam qui suit son cours naturellement, c’était bien ce que je préférais. Les discussions se mélangent aux percussions, les instruments s’accordent les uns les autres sans grands efforts, et c’est tout simplement que les gars posent différentes questions à Tess, que je renchéris à leur suite. Elle est foncièrement généreuse de ce qu’elle relance, reste dans ce qui la rend confortable, ce que je ne teste pas, n’insiste pas plus qu’il ne le faut. Quand on mentionne Ellie et la tornade qu’elle représente dans ma vie, c’est tout juste si je me braque. Bien sûr, j’appréciais pas les difficultés qui occasionnaient cette relation dans laquelle je ne m’étais jamais suffisamment investi, et qui encore aujourd’hui, après un trio d’années passées aux côtés l’un de l’autre, on gardait des blocages trop bien enfouis pour être faciles à chasser du revers. « J’essaie de le voir comme ça ; une période. » j’insiste sur les mots de la musicienne, comme un échappatoire, sachant bien sûr que c’est plus profond que ça. Plus difficile que ça. Ce n’est pas une partie d’un mouvement et d’un autre pour recoller les pots cassés et assumer la dizaine et des poussières d’années que j’ai manquées dans la vie de l’adolescente ; mais j’ose espérer qu’un jour, elle sera un peu moins abrupte, qu’à force, j’arriverai avec le temps à la comprendre un peu mieux, à cerner ce dont elle a besoin, ce que je peux lui offrir, lui apporter de meilleur. Le plus naturellement du monde, Tess demande le statut de la chose, si la maman ou toute autre figure complémentaire m’accompagne dans les défis de l’adolescence d’Ellie et là encore, j’en reste bredouille. « Oui. Je… sa mère est partie il y a un peu plus de trois ans. On a quitté le Canada pour changer un peu, avoir des racines ailleurs. » je les entends, les mélodies qui baissent d’un cran, comme un signal, comme une oraison presque. Tout le monde savait pour Jude, à quel point elle avait été l’amour de ma vie, la seule à ce point, dès le premier coup d’oeil. Un peu de douceur supplémentaire dans la pièce, ils n’écoutent pas, ou du moins, ils sont respectueux, discrets.
Je ne ressens pas le besoin de me censurer, ni de m’éterniser sur le sujet de la mère d’Ellie. Tess, elle, en profite pour rattraper la conversation au sujet de sa propre potentielle fratrie. Attentif, j’hoche simplement de la tête lorsque je réalise qu’elle doit elle-même avoir un rapport particulier avec son père selon ce qu’elle me répond ; en espérant que mes mentions sur ma fille ne l’ont pas mise mal à l’aise plus que de raisons. « Peut-être que tu auras la surprise un jour. » parce que peu importe ses rapports familiaux, le fait d’ajouter de nouveaux visages à une famille n’avait rien de malheureux en soit. De nouvelles têtes, de nouvelles âmes, de nouvelles chances ; une seconde partie à une vie de famille bafouée au-delà. On ne tient pas rigueur à un frère ou une soeur cachée, si les parents ont cru bon refaire leur vie avec ou non l’intention de. C’est mettre un innocent sur le bûcher que de lui filer sur les épaules les tares de ses géniteurs à mon sens, et l’optimisme, la candeur dans ma voix le suggère amplement. « Je suis désolé... » à son tour, elle me confie à demi-mot le décès de sa mère, et tout le chamboulement que ça a entraîné. L’équation se fait rapidement, elle explique Londres et la fuite qui a fait du bien, qui a été nécessaire à l’époque, probablement ce qui fait qu’aujourd’hui elle s’en est sorti plus forte, une battante. Ça, et les amis d’enfance qui sont toujours là. Un coup d’oeil aux autres musiciens qui nous accompagnent me confirme qu’à mon tour, ce sont eux ma famille, et les artistes qui passent ici, ceux qui passent dans ma vie depuis toujours. « Ce genre de famille, ça fonctionne très bien aussi. » parce que de base, les liens du sang étaient pas plus importants à mes yeux que ceux d’amis, de frères et soeurs pas le moindrement biologiques. « Vous êtes chanceux de vous avoir. » ça fonctionne dans les deux sens, et mon sourire complice ne lui affirme que trop. « Hey, ça va vous deux? Vous avez une drôle de mine! » Paul demande, pas foncièrement inquiet, mais s’assurant que nos sujets un brin plus sérieux qu’à l’habitude n’entachent pas l’après-midi. « Attention, quand Jack est émotif, c’est là où il s’enferme pour écrire. » et je laisse échapper un rire, le carnet jamais bien loin en effet, quand le coeur parle à la place du reste.
La mère de sa fille était partie, que devait-elle comprendre par ça ? Elle n'en savait rien, dans sa tête, elle était partie, genre, elle les avait abandonnée. Et si ce n'était pas ça, Tess n'était pas le genre de personne a fouiner, à poser trop de questions. Pendant de longues années, elle n'avait pas aimé qu'on lui en pose. Depuis sa rencontre avec Lemmy, elle s'ouvrait davantage aux autres, se braquait moins, et espérait plus. Elle baissa la tête, laissant ses doigts jouer sur les cordes, des notes un peu perdue, désinvoltes, éphémères. Lorsqu'ils évoquèrent le fait que Tess puisse avoir de la famille, quelque part, qui lui serait inconnue, Jack lui fit par de son sentiment : celui que ça pourrait être une bonne nouvelle. Tess ne savait pas quoi en penser. Est-ce que son père avait eu le temps de refaire sa vie après les avoir abandonné ? Sa mère lui avait dit qu'il était partit sans raison, et après quelques années, qu'il était mort. Tess ignorait pourtant, qu'il était toujours vivant, quelque part. Pour elle, elle était orpheline, elle n'avait plus de famille biologique. Désormais, sa famille était composée de ses amis les plus proches, avec lesquels elle avait grandit, et traversé tant de choses. La question de savoir si son père avait eu une autre famille ne lui avait jamais vraiment traversé l'esprit. Mais maintenant que la question avait été soulevée, elle essaya d'imaginer un instant l'arrivée d'une fille, ou d'un mec, qui lui annoncerait leur lien de parenté. Comment réagirait-elle ? Clairement, elle le vivrait mal. Parce que son père l'avait abandonné pour se créer une nouvelle famille ? Pourquoi ? Elle n'était pas assez bien, celle qu'elle avait avec sa mère ? Ce n'était pas assez bien pour lui ? Non, tout cela allait l'énerver. Elle espérait ne jamais vivre ça. Le temps avait passé, la page était tournée, ça ne servait plus à rien. Lorsqu'elle lui avoua ne plus avoir sa maman, Jack s'excusa, mais il n'avait pourtant pas à le faire. Tess haussa les épaules en esquissant un léger sourire comme pour adoucir ce moment. Pour elle, il n'avait rien dit de mal. Il ne pouvait pas savoir, il n'était pas devin. Même si la douleur était encore vive, personne n'y pouvait plus rien désormais. Et puis très vite, elle sourit en acquiesçant, oui, elle avait beaucoup de chance d'avoir Anwar, Leena et Tarek dans sa vie. Depuis surtout, aussi longtemps. Elle avait passé plus de temps avec eux qu'avec son père. Elle avait passé plus de temps avec eux que n'importe qui. Pour Leena, c'était presque depuis toujours et pour Anwar, c'était presque depuis le départ de son père. Donc plus de vingt ans. Et des amitiés comme ça, clairement, ça forge. Surtout avec tout ce qu'ils avaient pu vivre ensemble. Tess était chanceuse, heureuse aussi de les avoir et de parvenir à les garder malgré toutes ces barrières qu'elle se construisait un peu plus chaque jour. Les autres musiciens commencèrent à s'inquiéter quant aux visages que Jack et Tess devaient tirer à ce moment là, la jeune femme ne pu s'empêcher de rire franchement et puis lança pour rire « on attendait que vous vous énerviez un peu côté musique ». Souriant malicieusement, la jeune femme se leva de son enceinte pour passer la lanière de sa gratte autour d'elle afin qu'elle puisse être plus libre de ses mouvements. Enchaînant quelques notes précises, rapides, fortes et presque virulentes, elle sembla réveiller ce studio un peu trop endormi à son goût. Ils voulaient jouer plus fort ? Ils voulaient que ça dérape un peu ? Il n'y avait pas de souci pour ça, bien au contraire. Commençant alors quelques notes plus lentes, presque plus angoissante, la jeune femme se plaça devant son micro pour chanter lentement une chanson qu'elle adorait en ce moment. Une chanson de rap « LSD » de l'américain A$AP Rocky. Fan du clip, la jeune femme sentait sa voix suave se faire entendre au micro et en quelques secondes seulement, cette ambiance lui rappela Londres. Souriant alors devant le micro, laissant quelques bruitages agrémenter ses paroles, la jeune femme continuait de rapper lentement, laissant son corps suivre la douce et lente cadence de la musique, presque comme une danse sensuelle et en même temps sauvage.
J’aimais profondément ces petits moments d’inspiration. Ces courtepointes de talents, de voix, de sons, de notes qui se retrouvaient chez moi, que ce soit au studio ou à la maison. On avait juste besoin d'instruments, on avait juste besoin de créativité, de temps. Tout le temps du monde quand on passe ma porte, aucune raison de se presser tant l’imagination était la valeur la plus importante à mes yeux. Entre les mélodies et les discussions, je réalise bien trop tard que ma conversation avec Tess a pris des airs un peu plus mélancoliques que prévu. Aborder Ellie, aborder Jude, aborder tout ce pan de ma vie avec lequel je suis tout sauf en paix est bien sûr difficile, et quelque chose me dit que la jeune femme à mes côtés est elle aussi à même de ressasser des moments qui ne font pas nécessairement du bien lorsqu’elle parle d’une famille éclatée, recollée avec des amis de plusieurs décennies. Les gars remarquent nos voix basses et nos yeux voilés, y voient l’occasion parfaite de taquiner et en tout bien tout honneur, je les sais sans malice aucune, assez pour laisser échapper un rire d’entre mes lèvres jusque là scellées douloureusement. Quand la musicienne se lève de son siège pour passer sa guitare à son cou, et qu’elle les vanne le sourire aux lèvres, je me cale sur mon siège, ne la lâche pas des yeux, m’amuse de la voir si à l’aise tout autant que dans son élément. « C’est qu’elle nous cherche la petite. » et je le vois directement, qu’ils apprécient. Qu’ils aiment autant sa voix que ses manières, son attitude doublée de son talent. « Et elle vous a trouvés. » je complète, chantonne, moqueur, avant de leur laisser toute la place pour reprendre une version beaucoup plus douce et à mon goût d’une chanson que je connais pour l’avoir entendue distraitement une fois ou deux à la radio. C’est un plaisir de voir leur dynamique se construire, de les écouter comme spectateurs, de cumuler leurs sons les uns aux autres en imaginant déjà ce que cela donnerait, s’ils se mettaient à composer tous ensemble. Loin de moi l’idée de les forcer à quoi que ce soit, mais l’idée commence doucement à germer.
Je suis perdu dans mes pensées jusqu’à ce qu’on toque doucement à la porte, mon attention qui passe doucement du band du jour au visage souriant de la réceptionniste que s’excuse d’un signe de main d’interrompre whatever we were doing. « Jack, y’a Adam sur la une. » hochant lentement de la tête, je finis par me lever de mon installation improvisée. D’un air intéressé, je confirme à Tess et aux autres qu’ils peuvent prendre tout le temps du monde alors que je dois aller remplir mes fonctions d’adulte, et prendre un appel qui fait partie des maigres tâches que je n’apprécie pas fondamentalement à B&B. Les responsabilités, les attentes, les finances, l’administratif, et ma tête de rêveur qui serait beaucoup mieux à simplement rester ici, gratter de mes dix doigts ma guitare, coucher sur papier de quoi en faire une chanson, un album. Dans un soupir je couve l’assemblage incongru mais déjà si prometteur devant moi d’un regard tendre, chaleureux. « Si je vous laisse, y’a des chances que je vous retrouve avec un album complet à mon retour? » la blague sonne bien sur mes lèvres, et même si je ne leur impose strictement rien, la possibilité me plaisait bien, qu’ils créent ensemble, qu’ils voient là où ils peuvent bien se rendre. L’instant d’après, je quitte la salle avec le bon sentiment au coeur, et l’envie d’une clope de la victoire par la bande.
Quelqu'un toqua à la porte, pour signaler à Jack ses obligations. Ce dernier quitta le studio -non sans une certaine flemme notoire- laissant alors la jolie métisse seule avec les musiciens. Très vite, elle ne se sentit pas spécialement très à l'aise, parce qu'ils s'agissait d'hommes -qui plus est des inconnus- et que la pièce se retrouvait fermée. Jack n'avait pas fait attention et dans tous les cas, il n'aurait pas pu savoir que ce simple détail était en train de terroriser la jeune femme. Elle se retrouva dès lors bien moins confiante qu'elle avait pu l'être un peu plus tôt. Tess essaya de prendre sur elle, de calmer ses angoisses. Dans ce studio, ils se tenaient loin d'elle. Installée près de l'enceinte, sa guitare pas très loin, elle se sentait dans son petit monde. Les autres musiciens se tenaient un peu à l'écart, comme si chacun respectait l'environnement de l'autre. Et cela allait très bien à la jolie métisse. Finalement, très vite, l'inspiration dont n'avait pas douté Jack en partant, commença à s'essouffler dans le studio, en tous cas, de la part de Tess. Moins à l'aise que lorsque l'ami de son meilleur ami était là, elle était plus discrète, elle osait moins, elle levait moins le nez. Souriant quand même aux musiciens et répondant à leurs blagues, ou leurs questions, la jeune femme essayait de faire en sorte que sa gêne ne se voit pas. Pourtant, ça ne passait pas. La jeune femme se mit à regarder la porte, de plus en plus, et puis finalement, proposa « ça vous dit pas un p'tit café clope ? » histoire de leur proposer de quitter le studio pour prendre un peu l'air. Oui, l'air frais lui ferait du bien, c'était certain. La jeune femme éteignit son micro et très vite, caressa sa guitare alors qu'elle la contournait, histoire d'avancer vers la porte du studio. La jeune femme attendit les deux musiciens et lorsqu'elle tomba sur la secrétaire dans le hall, Tess commença à se détendre. Elle n'était plus seule avec deux hommes, et même si elle n'avait strictement rien à craindre d'eux, son traumatisme la persuadait que si. C'était idiot, absolument pas logique et totalement dénué de raison, mais c'était ce qu'elle ressentait. Les trois musiciens retrouvèrent aussitôt sortis du studio, l'humour qui avait caractérisé leurs échanges musicaux. Un peu bruyants peut-être, ils se dirigèrent vers la machine à café pour prendre chacun à leur tour quelque chose à boire. Son double à la main, noir et sans sucre, la jeune femme sortit ses clopes de son petit sac pour en glisser une entre ses lèvres, attendant ses deux comparses. Ils s'intéressaient à ce qu'elle faisait actuellement, c'est à dire tout sauf de la musique. « Ca ne te manque pas, la vie d'artiste ? » lui demanda l'un d'eux. « En plus tu l'as vécu à Londres, c'est ce que tu nous disais ? » ajouta le second. Tess sourit et répondit « j'étais pas une rock star là-bas non plus hein, c'était un p'tit truc » chercha t-elle à s'expliquer tout d'abord. Elle ne répondait même pas à la véritable question. Est-ce que ça lui manquait ? Bien sûr que oui ça lui manquait, mais Tess avait laissé quelque chose à Londres, ou si ce n'était en enterrant sa mère. La musique faisait partie de son deuil, de sa culpabilité. Si elle n'avait pas été heureuse grâce à la musique à Londres, sa mère ne serait pas morte seule ici, sans avoir vu sa fille pendant huit ans. Et ça, Tess n'acceptait pas de l'avoir fait, d'en avoir été capable. Elle avait abandonné la seule personne qui avait toujours été là pour elle. L'ingrate. Alors comme punition, elle s'interdisait de remonter sur une scène. « Si ça me manque, tous les jours même » sourit-elle enfin. C'était à ne rien y comprendre. Finalement, une fois servis, les trois musiciens allèrent devant le bâtiment afin d'allumer leurs clopes.