| | | (#)Sam 30 Juin - 1:46 | |
| | | fault line - I've been lying in the bright light. See my shadow from below? Never wanted anything from someone else, never wanted for my own. Through a window to the last mile, my living picture on the wall. From the banks on the far side. See the lights come ashore? |
Et le soleil de l’Australie brûlait la peau. Une de ces journées où la température était étouffante, où rester à l’intérieur résultait en un crime. La terrasse était overflowing de coussins, de parasols censés protéger des UV, calmant à peine les rayons qui perçaient jusqu’à nos épidermes libérées, allégées pour le confort de la cause de t-shirts amples, de jeans déchirés, pieds nus. C’était le genre d’après-midi qui commence un peu au hasard, qui s’accroche à une visite impromptue, la surprise de l’Aberline que je ne reconnais plus si elle était anticipée ou non. Est-ce que je l’avais invitée à passer, durant une journée de congé? Est-ce qu’elle était dans le voisinage? Est-ce la raison importait plus que le résultat, au final? Si les Street étaient doucement devenu un semblant de nouvelle famille pour moi, rares étaient les fois où je voyais les membres indépendants les uns des autres, hors des bars où on grattait quelques moments sur une scène à l'arrache, ou en salle de répèt à accorder nos instruments, les allier les uns aux autres. J’avais bien passé un moment à voguer avec Anwar, et un autre à discuter compositions originales avec Tad, mais aujourd’hui était probablement l’un des seuls moments où je me retrouvait seul à seule avec la chanteuse du groupe. L’entendre farfouiller à l’extérieur alors que je m’adonne moi-même à creuser les armoires et autres tiroirs en cuisine m'arrache un sourire, et une remarque glissée par la fenêtre ouverte, le ton qui chante. « Tu trouves ton bonheur? » anticipant son excitation, j’avais bien évidemment sorti dehors la grande malle à trésor, la caverne aux merveilles, le ramassis d’instruments de brocantes, du studio, de différents voyages, de dons & cadeaux reçus par ci par là, coffre à la disposition de la jeune femme pour qu’elle y déniche sa saveur du jour, pour qu’elle mette la main sur ce qu’elle voulait toucher, de quoi elle voulait jouer. Avec le deal venait une leçon de base si elle le demandait, ou quelques regards admiratifs et hochements de tête à la clé si elle se tâtait à se la jouer autodidacte. Puis, armé d’un plateau de métal aux allures d’argenterie des 70’s, je la rejoins au jardin, théière pleine et sachets variés, tasses mal assorties et sourire du coeur au visage. « J’savais pas trop quel thé tu préférais, alors j’ai fait tout ça. » et je dépose l’objet de mon labeur sous son nez, la petite table de bois recyclée qui siège tout au centre de l’espace à vivre en extérieur, où on organise des dîners, où on boit des bières et refait le monde jusqu’à pas d’heures avec les autres du quartier, avec les potes, avec les musiciens qui font déborder leur passage ici après être venus enregistrer à B&B. « Jack? J’prends tes clés, j’ai perdu les miennes j’veux pas me faire chier à chercher. » la voix d’Ellie perce, alors que je dénote d’un coup d’oeil par-dessus mon épaule qu’elle est appuyée dans le cadre de porte, qu’elle est déjà sur le départ. Étonnement, et même si elle ne demande pas et impose, c’est bien l’une des premières fois où ma gamine annonce son méfait avant de le faire, si méfait il s’agit. « Ellie, Lou. Lou, Ellie. » les présentations me semblent obsolètes, sachant qu’Ellie traînait pas mal toujours dans le coin lorsque les Street étaient de sortie, quoi qu’elle n’avait jamais vraiment tenu à les rencontrer, à leur parler, à tisser le moindre lien avec quiconque en avait avec moi, justement. « Donc? » et voilà qu’elle bombe le torse, salue à peine l’invitée du jour, lui accorde ne serait-ce qu’un maigre coup d’oeil voilé. La paume tendue, elle attend que mon trousseau se retrouve en sa possession, et que d’office je fasse les quelques pas nécessaires entre nous deux pour qu’elle n’ait pas à bouger d’un millimètre. « Tu prévois rentrer tard? » mon maigre relent d’autorité prudente qui lui esquisse un rire mauvais, et un roulement d’yeux pour le drame. « J’sais pas. » et la seconde d’après, Ellie est disparue, envolée. Le silence distinctif d’après-tempête s’abat doucement sur la maison, vide, et sur le jardin, où Lou a malheureusement dû assister à une énième scène père-fille tout sauf glorieuse. Un jour, Ellie et moi on se comprendrait, on se retrouverait à travers nos ressemblances et nos différences. Mais ce jour, c’était pas aujourd’hui. « Désolé pour ça. » un haussement d’épaule, et je la rejoins. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Jeu 16 Aoû - 11:38 | |
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J'aime à croire que ma rareté fait une partie de mon charme. L'honneur de ma présence ne la rend que plus appréciable, et je peux bien faire la princesse autant que je le souhaite. À s'y méprendre, ça me plaît, d'apparaître et disparaître dans un écran de fumée, la jouer David Copperfield avec tout le monde, tous les jours. L’impromptue, la surprise, le Pokémon sauvage qui sort d'un buisson. Je suis là pour le temps où je suis là, puis je n’y suis plus -elle est passée par ici, elle repassera par là… Le pendant n’a rien de drôle. Si vous croyez que c'est la grosse marade, de passer son temps libre entre quatre murs en attendant qu'ils ne se transforment en planches de bois. Être sage, bien rangée, faire les cent pas ou prendre racine devant l'écran cathodique à la réception terrible à regarder des émissions abrutissantes ou des vieux westerns dépoussiérés des placards pour remplir les cases des dernières heures de la nuit, les premières du matin, dédiées à ceux qui ne ferment pas l'oeil. Comme moi. Se donner l'air précieuse est presque trop facile, jusqu'à ce que se pointe la première raison de tomber le masque, et snap. Se rôle que je joue, cette comédie dont je me persuade, combien de temps durera-t-elle ? Je le réalise a chaque fois que je me meurs dans l'ennui et le presque silence du motel, dans les responsabilités et le travail, dans la régularité des heures de réveil et de couvre feu ; à chaque fois que l’appel d'un rail, d'un trip, d'une piquouse, du moindre bout de machin qui fait mal et soulage tout à la fois me presse la poitrine, me met la tête sous l'eau, m'empêche de dormir encore une fois. C'est une mascarade, une énième bravade ; fais-moi peur, karma. Tiens-moi en joue et presse la détente au bon moment. J'attends, un peu plus vide et tiède aujourd'hui que la veille, à peine réchauffée, réconfortée par le soleil de cet après-midi. Je cherche refuge et réconfort chez Jack. Le moindre psychologue de comptoir aimant écouter sa propre verve ne verrait là qu'une jeune femme paumée en recherche d'une nouvelle figure paternelle ; moi, je vois en lui un reflet, un écho, un murmure bouche fermée qui envoûte les vieux démons. Le calme et le silence sont moins pesants lorsqu'il se trouve dans le coin. L'un et l'autre ne durent jamais si longtemps que ça, et j’empoigne un instrument, lui un autre, et ainsi vont nos conversations. Je choisis mon arme au sein de la malle du roublard, manipulant chacun avec une délicatesse religieuse malgré mon enthousiasme d'en essayer quelques uns, dont certains que je n'ai jamais touchés auparavant. “Dans ton bric-à-brac, toujours.” Le bonheur est là. S'il faut me planquer, enfermez moi là. Je suis propre, sage et vaccinée. J’y serais mieux qu'au motel, même si la boîte fait un mètre cube. “T’as des trucs dont je connais même pas le nom.” je fais remarquer en brandissant un instrument bien haut pour que Jack puisse le voir depuis la fenêtre de sa cuisine. Je ne saurais même pas deviner comment faire pour en jouer. Puis je le dépose à sa place et renoue avec mon premier, seul et unique amour, son banjo qu'il le prête à chaque concert -devenu plus le mien que le sien au final, à en juger par la belle trace de rouge à lèvres qui orne sa membrane blanche. Et je me réinstalle dans un pouf qui m'engloutit, l'instrument tout contre moi, tandis que Jack revient avec le thé. Je ne sais pas pourquoi j'en ai accepté une tasse, moi qui n'en boit jamais. Dans sa bouche, ça paraissait être une bonne idée. Je le remercie d'un simple sourire, les doigts caressant déjà légèrement les cordes qui trainent sous mes doigts. L'intervention de sa gosse me fait relever la tête, le regard détaillant légèrement la jeune fille à l'allure trop sage pour être véritablement trash. Les airs qu'elle se donne, clairs comme de l'eau de roche, ne trouvent en moi qu'une parfaite indifférence et tantôt un brin de peine. Je la salue vaguement aux présentations et à son départ qui touchent visiblement bien plus le père. “C’est rien.” dis-je en haussant les épaules tandis que nous pouvons entendre, depuis le jardin, la porte d'entrée claquer dans un grand bruit signifiant “je te laisse derrière moi" sans gêne. “On dirait moi, à son âge. En moins détraquée.” Le commentaire pourrait avoir de quoi faire angoisser Jack, car je suis loin d'être la fille que tout père rêverait d'avoir. Le monstre que j'étais à l'adolescence s'est vu pousser des tentacules pour mieux baisser tous les leviers, prendre les mauvaises décisions, tester tout ce qui peut l'être, laisser tomber tous ceux qui pouvaient l'être. Mais ce ne sont pas les mauvaises fréquentations ou la facilité déconcertante avec laquelle l’australien moyen peut se fournir quelques grammes de coke qui m’ont retourné la tête, détruit la santé et pourri le cerveau. Ce n’est que moi. En ça, Ellie et moi sommes différentes. “Tu peux t’estimer heureux que ce soit pas pire que ça.” Elle n’a pas l'air d'avoir mauvais fond, elle me donne plutôt l'impression d'être inoffensive. Le genre de clébard qui aboie aussi bien devant la menace que pour signaler que tout va bien, juste pour faire du bruit, pour faire de l'effet. Jack tombe dans le panneau avec une passivité déconcertante. Mais je ne suis personne pour lui dire comment élever sa gamine -je ne m'y risquerais pas, histoire de ne pas faire plus de mal que de bien. “Et elle peut s’estimer heureuse que t’en ai quelque chose à cirer d’elle.” j'ajoute quand même. Ce vieux goût amer remonte au fond de ma bouche. Parce que je sais que je suis mauvaise, que j'ai tort ; mon père était comme lui, et lui aussi me subissait dans l'attente que la passade fasse son temps. L'adolescence, avait-il pensé, c'est ingrat. Et ce qui ne devait être l'affaire que d'une poignée d'années a pris possession de sa fille. Je me revois claquer des portes, lui cracher mes mots avec dédain, le menton haut qui met au défi. Attrape-moi si tu peux. “Tu peux encore la rattraper, si tu veux.” Elle ne doit pas être loin, sûrement à portée. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Mer 22 Aoû - 10:43 | |
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De la cuisine, c’est à peine si je garde un oeil, à peine si je dénote sa curiosité, y assiste. Elle a ma confiance absolue, entre les instruments qu’elle charrie, ceux qu’elle choisit, ou ignore. Sa curiosité me fait rire, son enthousiasme me fascine. Vieux de la vieille qui a tout vu, tout vécu, contre jeunesse étoilée qui s’y perd, qui s’amuse, qui roucoule devant tant de choix et mes rétines qui la couvent à travers. « Nom ou pas essaie, tente, teste. Tu verras s’ils te donnent envie de les rappeler la prochaine fois. » mon sourire en coin fait le reste maintenant que je m’active, arrête de traîner des pieds, ou alors traîne des pieds un peu plus vite. La théière sur le plateau, les tasses qui cognent, les sachets éparses et je finis par la rejoindre nus pieds dans l’herbe, le soleil qui se charge du reste. C’était une belle journée, de l’improvisé. C’était Lou qui passait dans le coin, qui s’accrochait à la maison, qui faisait du jardin le sien. Notre terrain de jeu, pas tant besoin de parler, simplement d’écouter ce que les doigts de l’autre formaient sur les différentes cordes. Y’avaient quelques sons, des chants, des murmures, un sifflement ou deux. Y’avait notre duo fortuit, qui n’avait rien à faire ensemble et pourtant qui s’y retrouvait si bien. On dit que les écorchés se reconnaissent, on dit que ceux qui ont eu mal, que ceux qui en ont bavé sont capables de se voir, de se comprendre, de s’allier. On dit bien des choses et honnêtement, j’aurais très bien pu m’en balancer ou pire, avoir peur de sombrer à nouveau. Si ça n’avait pas été du caractère de feu de Lou, et de cette poigne que je lui enviais, de ce courage, cette drive qu’elle avait, le tout ponctué d’une si grande dose de je m’en foutisme qui me fascinait à chaque fois. Je serais resté là, à boire du thé, à l’entendre jacasser, à composer, sous la brise, sous les rayons. Je serai resté là à être heureux sans rien demander de plus, si Ellie n’était pas passée en coup de vent, amenant avec elle tout ce qui faisait mal, tout ce que j’excellais à garder de côté, à ne pas mettre de l’avant, à faire fi. Lâchement. « Elle a le dos large, la crise d’adolescence. » que j’ajoute, le sourire qui lutte pour revenir, et la tasse avec laquelle je joue une fois ma fille disparue de notre champ de vision, et Lou qui juge bon d’y mettre son grain de sel. Je l’écoute attentivement, pieux, pas nécessairement désespéré, mais toujours à l’affût de quelque détail que ce soit qui pourrait m’aider à y voir plus clair. « Y’a ce qu’elle montre, et y’a ce qu’elle cache aussi. » à savoir si Ellie est foutue ou si y’a espoir, je ne sais trop. Aberline semble plutôt confiante qu’il ne s’agit que de frasques, que d’une phase, mais bien évidemment, le père en moi, le fourbe, celui qui se questionne, le paumé qui doute tant n’est pas plus rassuré. Quand la brunette insiste sur le fait que je ne m’en balance pas particulièrement, je sens mon corps qui tente de se replacer, mon regard qui essaie de soutenir le sien. C’est peut-être ce qui se dégage maintenant, mais ça n’a pas toujours été le cas. Et ça, je l’ai compris. Et ça, je l’assume, mal, mais un peu plus chaque jour. Et ça, c’est une histoire de toujours qui fera mal, celle d’avoir pas été là, d’avoir été si loin quand on me voulait tellement proche. « J’ai… pas été très présent, avant qu’on emménage à Brisbane. Et maintenant, elle doit m’avoir dans les pattes presque 24 heures sur 24. Le contraste lui plaît pas. » que j’explique, que je narre, espérant résumer au mieux la situation non sans alourdir l’ambiance. Les notes ont depuis longtemps arrêté de ponctuer nos phrases, les mélodies sont bien loin des mots que j’ajoute, et je m’en veux de lui imposer ça quand, au final, Lou n’a rien à faire dans ma situation familiale boboche, n'a pas à subir mes tares et mes erreurs sous prétexte qu'elle était là au mauvais endroit au mauvais moment par ma faute. Tout sauf agressif, à peine le ton interloqué, juste las, si fatigué. « Et lui dire quoi? » la rattraper serait utopique, la retenir serait obsolète. Ellie est déjà loin d’ici, et loin de moi, et chaque effort mis en sa direction n’est accueilli que par refus sur refus. Puis, je respire, puis je lâche prise. Parce que ce ne serait pas aujourd'hui que je sauverai 16 ans de distance, de déni. De petits gestes, de petits pas, un effort constant et peut-être qu’un jour, ce que Lou avance sera vrai. Ellie ne sera plus irrécupérable - et je serai là pour l'aimer mieux. « Alors, t’étais une terreur à son âge? » j’hausse le sourcil, relance la conversation ailleurs, non sans laisser planer une bribe d’humour, de doux. « Je devrais peut-être lui donner accès à la malle aux trésors. Ça marche bien avec toi. » et le pire, c’est que je l’entends bien, gratter la guitare qu’elle m’a piquée, un peu chaque matin. Ellie la musicienne dans l’âme qui a l’oreille absolue ; ma fierté, à distance. Impossible à empêcher de glisser entre mes doigts. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Ven 28 Sep - 11:13 | |
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Le passif entre Jack et sa gosse, je ne le connais pas, je n’ai pas demandé. Je connais à peine l’homme, quand j’y pense, et je découvre le musicien petit à petit. Je n’attends pas de lui d’être quoi que ce soit d’autre à mes yeux. D’une certaine manière, l’être caché derrière la malle d’instruments de musique se dévoile à moi sans un mot, comme s’ils n’étaient pas nécessaires. Je ne sais pas s’il est un livre ouvert pour tous ou si ce n’est que moi qui croit lire en lui. Cependant, je ne peux pas deviner son passé, ni dans les pattes d’oie au coin de ses lèvres, ni dans les lignes de sa main. Tout ce qui explique la colère de la fille et le dos courbé du père démuni est un mystère que je n’approfondis pas. Je n’ai pas d’enfant, je n’ai aucune légitimité à le conseiller à ce sujet. Mais j’ai été une ado, et une sacré peste avant de virer sauvageonne. Pour ça, j’en connais un rayon. Tout ce que je peux suggérer à Jack c’est de la rattraper, juste cette fois, qu’elle ne lui glisse pas totalement entre les doigts. Pas de poing tapé sur la table, pas d’injonctions aux points finaux ; une invitation, une tentative de l’atteindre, la frôler, attraper le courant d’air. Il n’en fait rien. Je crois qu’il a peur de mal faire, peur du rejet. “Je sais pas. Tu peux lui dire qu'elle dérange pas et qu'on peut parler tous les trois, qu'elle peut expérimenter les instruments, et qu'après le thé on aura quelque chose de plus fort.” Je crois que j’aurais voulu boire avec mon propre père. Juste lui et moi, et un doigt d’un de ses whiskys hors de prix. Même pour ne rien dire et se regarder dans le blanc de l’oeil. Ou peut-être qu’il a essayé, et je ne m’en souviens pas, parce qu’il est plus facile d’oublier ses fautes, ou parce que j’étais défoncée. “Si on veut, ouais.” je souffle sans trop faire dans le sarcasme. Je n’ai pas de quoi me vanter d’avoir été une terreur, comme il dit, et je n’ai pas envie de souligner que j’étais plus que ça. Jack finit éventuellement par admettre qu’il devrait partager sa malle aux trésors avec sa fille. “Comme jt'ai dit.” dis-je avant de prendre une gorgée de thé. Brûlant, un peu trop, mais cela n’a pas d’importance une fois la grimace passée. “Mon précédent banjo, qui était aussi mon premier, c'était un cadeau de mon père.” je confie à Jack, la nostalgie bordant mes lèvres dans un fin sourire, l’amertume des regrets sur le bout de la langue, et la conscience du temps qui passe, qui ne se rattrape pas, qui me pèse sur le coeur. Mon père m’avait initié à cet instrument, et sur le moment, je me souviens avoir été ingrate. J’avais qualifié son cadeau de stupide et ringard, et j’étais persuadée que cela n’était qu’une preuve supplémentaire que mes parents ne me connaissaient pas, ne me comprenaient pas. J’avais déjà pris des cours de piano quand j’étais gamine, que j’avais quittés une fois adolescente, juste pour confronter l’autorité. Ce n’était pas pour apprendre à jouer d’un instrument aussi rustique que le banjo. Mais j’y avais touché un jour, par curiosité. J’en ai aimé le son qui arrachait la Nouvelle-Orléans à son bayou droit vers ma tour d’ivoire d’Australie, et ce n’était pas fancy, pas classe, pas girly -ce qui était tout ce que je recherchais en ce temps-là ; être tout l’opposé de l’environnement où j’évoluais. Ca a résonné en moi, et j’ai pratiqué dans mon coin jusqu’à en avoir mal aux doigts. “Il pensait que ça nous connecterait, la musique, je reprends, pas sûre de l’avoir compris à l’époque. Il chantait bien. Tous les noëls, on donnait une grande fête et le moment où il se mettait au piano pour chanter, c'était vraiment le point culminant. Et une année, il a abandonné son piano, et il m’a demandé de l’accompagner au banjo. Tout le monde a applaudit.” Je porte furtivement ma tasse de thé à mes lèvres et trouve un brin de réconfort dans la chaleur qui glisse dans ma gorge, un léger frisson dressant mes poils sur mes bras. “Après la fête, j’ai fait une scène. Il m’avait pris au dépourvu, il m’avait fait jouer devant tout le monde, et à ce moment-là, c’était un drame pour moi. Mais je ne suis plus sûre de savoir pourquoi.” J’ai réalisé trop tard que ce Noël était supposé devenir un bon souvenir. Il avait tout le potentiel pour me faire renouer avec ma famille. C’était un moment spécial avec mon père, ma mère était émue, tout le monde était fier, et pour trois minutes je n’étais plus la junkie qu’ils connaissaient tous. C’aurait pu être le début de quelque chose si mon orgueil n’avait pas noirci le tableau, le transformant en honte, en piège mis au point pour me montrer comme un animal de cirque. J’étais paranoïaque et en colère. Avaient-ils seulement applaudi, ou s’étaient-ils moqués de moi derrière leurs sourires attendris ? “C'était qu'un pansement sur le problème, le banjo. Mais quand ma mère m'a virée de la maison et qu'il a laissé faire, je l'ai emporté, et il m'a pas quitté un seul jour.” Il n’a pas survécu à ma dernière désintox. Le bras de la colocataire de chambre qui l’avait cassé non plus. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Sam 13 Oct - 1:53 | |
| | | fault line - I've been lying in the bright light. See my shadow from below? Never wanted anything from someone else, never wanted for my own. Through a window to the last mile, my living picture on the wall. From the banks on the far side. See the lights come ashore? |
Pas une fois il n’arrête de porter son attention sur elle, pas un mot passe sans qu’il ne le retienne, sans qu’il n’imagine la gamine à cet âge, à l’âge d’Ellie, à l’âge ingrat, le banjo au bout des bras. Il entend les cris à travers comme ceux auxquels il se heurte chaque jour, il voit passer un voile bref, vif, apparu pour déjà disparaître sur le regard de Lou lorsqu’il ressent lui-même une vague de mélancolie l’assaillir. Chaque histoire de famille avait ses hauts et ses bas, chaque problème reprenait échos, chaque souvenir se mélangeait. Et si le thé goûtait un peu plus sucré qu’à son habitude, c’était bien parce que Jack n’avait pas remarqué en être à y ajouter 3 cubes de plus que la tradition le voulait, et qu’il se perdait dans les paroles de son interlocutrice avec un peu trop d’empathie. Pour elle ou pour le père, il n’en sait que trop rien. Mais ce n’est pas ce qui l’empêchera de souffler lorsqu'elle finit par conclure, lorsqu’elle lui aligne les frasques que sa gamine pourrait bien faire elle-même si son impulsivité frisait celle de la Aberline. Jack ne doutait pas une seule seconde qu’Ellie avait pensé à de nombreuses reprises à se tirer en pleine nuit, en plein jour, sans rien cacher de son envie de l’abandonner derrière, n’ayant plus rien à vivre, à voir, à ressentir aux côtés d’un homme qu'elle ne connaissait pas, qu'elle ne voulait pas connaître. Et pourtant, de toute l’histoire qu’il vient d’entendre, n’en reste que la pression qui naît de ses épaules à sa nuque, qu'il tente de se chasser d’un bref rire, un soupir additionné à un coup d’oeil, curieux, aspirant à lui rappeler toutes ces fois où en effet, il trouvait que le banjo de Lou agissait plus comme une prolongation de son bras qu'autre chose. « Je me disais aussi, qu’il avait du vécu. » qu’il en avait vu, qu’il avait été là, ironiquement au bout de ses doigts, lui rappelant peut-être même son paternel en de bien tristes moments. Reprenant une longue gorgée de thé pourtant, il laisse le silence suivre la confession, il juge que si Lou a été jouer de ce côté-là de sa vie, et flirter avec des souvenirs qui n’ont pas dû être faciles à avaler, à digérer, à laisser mariner, n’en faut pas plus pour qu’il tente de s’ouvrir un peu. Et il se sent à l’aise Jack, avec elle. Il reconnaît le lien immuable, il reconnaît la proximité étrange, le coup d’oeil qui confirme qu’ils en ont vécu, eux aussi. Qu’ils sont écorchés, mais encore là pour en parler. Pour s’en parler, du moins. « Ellie pige dans mes guitares. Elle veut apprendre seule, mais elle apprend vite, bien. » et voilà le grand drame de sa vie, au Epstein. D’assister aux premiers pas de sa gamine dans un monde, un univers, un galaxie que lui-même chérit depuis si longtemps, en guise de vulgaire spectateur, et encore, lorsque l’adolescente est dans ses bons jours. « Et c’est pas rare qu’elle passe, quand on joue dans les bars qui la laissent entrer. » qu’il ajoute, sachant exactement quand elle est dans la salle, sentant son regard qui se détourne du moment où il cherche ses prunelles à elle, où il se risque à un coup d’oeil, même bref, même désabusé et distrait, dans la direction d’une Ellie qu’il jauge à tort comme ouverte à la discussion, à créer un lien, quel qu’il soit. « Mais je pense que de me plonger le nez là-dedans avec elle, ça serait gage qu’elle lâche l’affaire. » à l’instar du père de Lou, y'a cette réserve qui garde Jack de faire un pas de plus, prudent et fort probablement trop. Il sait qu’il n’est qu’à un soupir de tout gâcher pour sa fille, qu’à un regard noir du revers. Il sait aussi qu’il s’en voudrait toute sa vie si Ellie ne laissait pas son âme d’artiste se découvrir une guitare à la main. Qu’il s’en voudrait de l’avoir dégoûtée, s’il en faisait un geste de trop, s’il en posait une question de trop aussi. Alors il prend son trou, il ronge son frein, il boit du thé, il le sucre trop, il pense à tout sauf à ça. Il gratte un ukulele aussi, parce que la petitesse de l’instrument et son son si aigu, si joueur, si naïf le prend par les tripes, le calme l’espace d’un sol, d’un la. « Ou pire, qu’elle parte. Mais la guitare qu’elle aime c’est aussi ma préférée. Deux peines d’amour en un jour, t’imagines. » s’il se tâte à en faire une blague, il sait bien que son coeur ne se serre pas pour rien, que ses mots ne sont pas si désabusés pour autre chose que pour l’aider à souffler, à arrêter de s’en faire, à tenter de relativiser, d’adoucir un peu. Dans l’angle, il n’entend même plus la voix d’Ellie ni celle des potes venus la chercher, il n’entend plus rien d'autre que ses notes, les mots de Lou, leur respiration, le vide, le silence aussi. « Il sait que la musique est restée dans ta vie? T’aimerais qu’il le sache, seulement? » par deux fois il se reprend dans sa tête avant d’articuler sa question. Mais évidemment, le coup d’oeil qui appuie ses mots veut tout dire, entre son besoin de savoir pour elle, et surtout de savoir pour lui. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Mer 19 Déc - 9:35 | |
| | | fault line - I've been lying in the bright light. See my shadow from below? Never wanted anything from someone else, never wanted for my own. Through a window to the last mile, my living picture on the wall. From the banks on the far side. See the lights come ashore? |
J’évoque mon père avec une certaine tendresse, les miettes de l’affection que j’avais plus pour lui que pour ma mère ramassées du bout de l’index comme pour ne pas en perdre une seule. Bien assez a été gâché, ruiné par ma faute ; ce qu’il en reste menace de s’envoler, s’effacer, tandis que je devine qu’il m’oublie. Les années passant sans un contact, sans une image, sans un son, à en douter de la couleur exacte de ses yeux. Mais je me souviens de la manière dont sa barbe piquait sur mes joues, le sentiment de sécurité qui m’escortait jusqu’au pays des rêves quand il fermait la porte de ma chambre en soufflant “bonne nuit”. Je revois mes tout petits doigts engloutis par sa grande paume chaude, et les mimiques qui tiraient les traits de son visage lorsqu’il donnait différentes voix à mon théâtre de peluches. Les sensations demeurent, teintées tantôt de naïveté, tantôt de regrets, et le reste s’efface avec le temps. Je m’accroche, mais je ne suis plus une enfant. Je me suis donné beaucoup de mal pour ne plus l’être le plus tôt possible, quitte à aller trop vite, trop loin. Ce n’était plus si drôle lorsqu’à la moitié du chemin, quand le retour en arrière n’était plus possible, il a refermé la porte derrière moi. Je ne crois pas jack capable de cette cruauté là, de cette résignation, quand bien même son dos est arqué, ses épaules voûtés, lourdes d’impuissance face à sa tornade de fille. Même si Elie partait, que son orgueil prendrait le pas sur les véritables valeurs qui devraient être les siennes, il y aurait perpétuellement une bougie à la fenêtre, comme un repère, une invitation à entrer. Une pensée pour elle. Les profondes angoisses de Jack sont couvertes d’un mouchoir blanc, un sourire, une subtile ironie. Et je souris, discrètement, les lèvres au bord de ma tasse. Je me suffis d’un chemin de croix pour laisser le brun au sien. Mon coeur, en revanche, est avec lui, et mon regard croit en des jours plus cléments. “Il sait même pas si je suis en vie tout court, je pense.” dis-je à voix basse, en ce qui concerne mon cas et ce lien mort entre mon paternel et moi auquel je suis résignée. Un peu avant que ma mère prenne la décision qu’il était temps que je fasse ma vie de mon côté, leur épargnant plus d’inquiétudes et de peines, j’étais dans une chambre d’hôpital. Première overdose, la seule à laquelle ils voulurent assister et dont ils acceptaient d’être les dommages collatéraux. Mon père a toutes les raisons du monde de penser qu’il n’a plus de fille depuis longtemps. Ou seulement l’ombre de celle qu’il avait vu pour la dernière fois. “J’ai pas forcément envie de le revoir non plus, je reprends, la poitrine lourde de cette demi-vérité qui est un fait de raison. Les choses sont à leur place telles qu'elles sont.” Moi, de mon côté, gâchant ma vie, ruinant tout ce que je touche, véritable danger ambulant pour qui m’approche. Eux, dans le confort de leur tour d’ivoire, les œillères bien en place de part et d’autre de leur visage. Chacun poursuivant son existence sur son propre chemin, comme des inconnus aux destins dont la seule parallèle est un point dans le globe. “Ce que j'aimerais, c'est revenir en arrière, jusqu'à ce Noël. Que la Lou de cette époque pige à quel point c'est un moment agréable et précieux, et qu'elle ne gâche pas tout plus tard.” Qu’importe si cela ne doit rien changer au reste des événements, s’il y a toujours Jimmy, s’il y a toujours les cures, les rechutes, l’overdose, la scission familiale. Simplement sauvegarder ce moment, ce souvenir, comme Rose sur sa foutue porte. “Même si ça ne changerait sûrement rien au temps présent. Ça ferait un regret en moins sur le cœur, tu vois.” Il voit. A l’âge de Jack, on a des regrets à la pelle. On baigne dedans sans les laisser nous couler. Mais c’est à peu près tout ce qui résume une vie ; les choix manqués, les erreurs avec lesquelles on compose, faisant en sorte de s’en dépêtrer en un morceau pour un nouveau lever de soleil. “Et toi, si tu pouvais changer quelque chose, qu'est-ce que ça serait ?” je demande, le ton doux, la curiosité se faufilant dans la conversation, soulevant le mouchoir dans l’espoir d’en voir plus. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Dim 6 Jan - 19:00 | |
| | | fault line - I've been lying in the bright light. See my shadow from below? Never wanted anything from someone else, never wanted for my own. Through a window to the last mile, my living picture on the wall. From the banks on the far side. See the lights come ashore? |
Il n’avait jamais vraiment eu cette facilité de parler, encore moins de trouver quelconque genre d’écoute. Rares étaient les moments qu’il prenait pour exposer à voix haute ses échecs, pour les étaler sur la place publique, lui-même incapable de faire face depuis tant d’années que le simple fait de le réaliser lui donnait la nausée. Jack n’avait rien de mauvais en lui, pas même une parcelle de malice, beaucoup trop doux, considéré parfois de bonnasse, trop naïf, un caractère en long fleuve tranquille qui jamais ne s’haussait, surtout pas depuis qu’il avait lâché les drogues dures, et que la cocaïne ne dirigeait plus ses soubresauts. Sa relation avec Ellie ayant toujours été au statu quo, jamais s’améliorant, sa fille qui ne daignait si peu lui accorder la moindre attention qu’il ne pouvait même pas se permettre de croire qu’elle le détestait, qu’elle y mettait de la force, de l’énergie. À ses yeux, l’adolescente l’avait juste enterré, oublié, nié en prétextant que le manque de père n’avait pas lieu d’être, elle qui n’en avait jamais vraiment eu. Et comme à chaque fois, ses silences invitent aux confidences, Epstein se sent choyé que Lou prenne la parole, qu’elle y aille de son propre récit, précise ses détails à elle qui, malgré la désinvolture avec laquelle elle tente d’apporter les diverses informations, résonnent en Jack bien plus qu’il ne le réalise. Chaque parole, chaque souvenir, chaque ressemblance qu’il cache derrière un coup d’oeil profond, une longue gorgée de thé épicé. Il chérit les confessions, son oreille à lui plus attentive que jamais, habitué à servir de confident, à se complaire dans le rôle neutre de l’auditeur, de l’allié, du porteur de message, porteur qui le garde pour lui pour toujours. Et dans la voix de Lou, il dénote un soupir de plus, de trop. Il remarque un changement de ton, une étincelle qui passe dans son regard, lumière qu’il n’a jamais vraiment vue là sous faute de ne pas l’observer d’assez prêt. « Ils te manquent? Les bons souvenirs, j’veux dire. Avant que les choses trouvent leur place. » qu’il ose, jugeant que si elle s’ouvre ainsi et qu’il lui rend la pareille dès lors les questions s’alignent vers sa propre relation père-fille dysfonctionnelle, la musicienne ne verra pas d’objection à préciser sa pensée. L’entendre confirmer lui provoque un hochement de tête presque trop subtil pour être remarqué, et il encaisse Jack, il y voit un miroir, il y voit les seules bribes desquelles il peut résonner au sujet d’Ellie, depuis bien, bien longtemps. « Probablement que tu l’as pas pigé parce que t’avais à voir autre chose et à vivre autre chose, d’abord. » vieux sage, qui gratte sa guitare comme il multiplie ses mots, tourne ses pensées sept fois dans sa tête avant de les articuler. « Et ta vérité de l’époque, elle est pas la même qu’aujourd’hui. » pas besoin de l’excuser et ce n’est pas ce qu’il fait, néanmoins, il y va de sa propre logique, laissant les notes qu’il improvise se mélanger à celles que Lou tire de son propre instrument emprunté. « Qu’est-ce qui a changé? Qu’est-ce qui a changé une impulsion de survie en un regret? » surfant sur les mots de la brunette, il se complaît dans l’interview à double sens, réfléchissant déjà à ce qu’il répondrait si telle question lui était posée, si on proposait telle interrogation à sa gamine. Pourtant, Lou y va de son propre chef, faisant remonter en Jack une vague de nostalgie qu’il ne connaît que trop bien, gorge serrée et yeux humides, qu’il noie lorsque ses iris fatigués repèrent le paquet de clopes traînant parmi les ratures d’herbe à ses pieds. « Je serais là. J'aurais été là. » et comme elle est évidente la réponse, comme elle est ennuyante aussi, quand, dans les faits, il est physiquement présent dans la vie d’Ellie depuis ses neuf ans et qu’avant cela, ses souvenirs doivent bien se mêler. « Même quand j’étais avec elles, quand je suis revenu d’Australie et que j’ai emménagé tout près, je l’étais pas vraiment. » il explique, le bruit du briquet craquant l’étincelle salvatrice d’une première bouffée. Il ne propose pas de cigarette à son interlocutrice, jugeant que si elle en veut une, elle sera assez à l’aise et se sentira suffisamment chez elle pour se servir à son tour. « Ellie a toujours eu droit à des bribes d’un père. » inspiration, longue, feutrée. Le goût de la nicotine descend de ses lèvres à sa gorge, enfume ses poumons, calme ses nerfs. « Elle a entendu ce que sa mère a bien voulu lui dire de gentil sur moi. » et Dieu seul sait à quel point Jude aurait bien pu colporter les pires horreurs - vraies - au sujet de son ex-mari, éternel amour de jeunesse. Pourtant, jamais elle n’avait été méchante, mesquine. Jude l’aimait foncièrement, elle croyait en lui, elle avait toujours cru en Jack, malgré le fait que lui, l’aimait tellement, tellement mal. « Et elle a compris le reste, toute seule. » elle a vu à travers lui comme on voit à travers l’eau limpide des lacs les plus glacés, les plus traîtres du Canada. Sa gamine l’avait cerné d’un coup d’oeil, des années empilées de rejet qu’elle expliquait dans sa désinvolture, un manque d’amour et d’attention, de considération qu’il ne comprenait que parfois, par bribes, se cherchant encore tellement comme père. Toujours. « Parfois, j’me dis que j’ai eu une chance, une seule de faire quelque chose de bien avec ma vie. Ellie. Que j’aurais bien pu foutre en l’air le reste, y’aurait toujours eu elle pour me convaincre que j’ai pas tout merdé. » parce qu’il en avait fait des erreurs, parce que fût un temps, Jack était celui toujours fourré dans les mauvais plans, celui à qui les malheurs arrivaient par pocheté, celui qui ne voyait jamais la lumière, trop occupé à choisir pauvrement, à multiplier les erreurs, les échecs, le côté impair de la pièce. « L’impulsion de survie de pas lui imposer le mess que j’étais à l’époque en est devenu un regret amer. » qu’il précise, un sourire triste caché par une énième bouffée de cigarette. Et derrière lui, par la fenêtre de la cuisine, il ne remarque pas, Ellie qui est revenue à la maison, Ellie qui passait à la cuisine chercher sa veste, Ellie qui a tout entendu. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Mar 16 Avr - 6:14 | |
| | | fault line - I've been lying in the bright light. See my shadow from below? Never wanted anything from someone else, never wanted for my own. Through a window to the last mile, my living picture on the wall. From the banks on the far side. See the lights come ashore? |
Avec Jack, il est facile de revenir sur le passé, ce qui était, s’est évaporé et ne sera plus jamais. Les actes manqués, les occasions gâchées, les mauvais choix. Car il porte sur son corps, ses épaules, son visage, les marques de décisions regrettables. Dans son regard, une autre vie, plus qu’un chapitre mais un livre entier précédent et forgeant la silhouette du type bohème et cool qui se prélasse dans son jardin face à moi et le banjo que je taquine du bout des doigts, songe musical qui accompagne mes pensées, mes paroles, ces confessions à voix basse que je n’accorde à quasiment personne. Je suis peu de choses face à lui, je devine. Mes anecdotes amères et mes petits regrets d’enfant mal aimée sonnent comme une mignonne petite fable, sûrement, tant il reste calme, doux. Qu’est-ce qui pourrait le choquer, le Jack ? Qu’est-ce qu’il n’aurait pas déjà fait, vu, entendu ? Je me demande, parfois je devine, jamais à voix haute, laissant planer autour de lui cette brume de mystère qui le rend presque spécial à mes yeux. J’idéalise peut-être, je ne paternalise absolument pas. Je m’imagine plutôt un alter ego, masculin, plus âgé, comme un reflet déformé. Je me sens un peu chez moi, chez lui, à squatter l’extérieur, partager un thé, un moment. Il y a moins de bruit dans ma tête, moins de larsen dans mes pensées ; place faite à cette lucidité, cette pointe de recul témoin d’un brin de maturité rarement entraperçu du reste du monde. Je sais pourquoi et comment j’en suis arrivée où j’en suis aujourd’hui. Et je pense que lorsque l’on se donne la peine de regarder en arrière objectivement, nous savons tous exactement d’où nous venons, et où nous allons. Un désastre anticipé, pour ma part, comme éclairé un peu plus fort sous le prisme de cette courte rétrospective d’une enfance frustrée. Je ne dis pas que si je meurs demain d’une balle dans la tête bien méritée, ce sera à cause de mon père et de cette stupide soirée de Noël. Mais chaque événement, chaque choix, dessine des chemins qui se précisent jusqu’à former une route unique, vers une destination finale. L’horizon rougeoyant parle de lui-même. « Y’en a pas beaucoup, de bons souvenirs, je réponds dans un haussement d’épaules. Mes parents étaient pas les plus présents du monde. » Ils avaient du travail, beaucoup de travail -autant qu’il en faut pour entretenir un niveau de vie tel que le leur. Ils se démenaient, pour sûr, mais pour les bonnes raisons ? Personnellement, la pensée de tous ces gamins qui se sentent profondément délaissés comme je l’ai été parce que papa et maman se crèvent à la tâche pour leur offrir de quoi compenser leur absence dans un cercle vicieux sans queue ni tête me rend malade. Ils ont besoin de parents, pas d’Iphone. Ils veulent que leur mère vienne les chercher à la sortie de l’école, que leur père leur apprenne quoi faire avec leurs mains, des trucs manuels, utiles et qui forgent pour le monde. Google n’a jamais forgé rien d’autre que de multiples portails d’accès directs vers les pires travers humains, et c’est une armée d’enfants livrés à eux-mêmes qui baigne dans un monde où la touche entrée permet de trouver tantôt du porno, tantôt du chat-tartine-de-l’espace-chantant. Et on s’étonne que tout va mal. « Mais j’aime pas les pointer du doigt comme ça. Ca fait longtemps que je m’occupe moi-même de générer mes petits désastres. » J’ai appris à ne plus leur en vouloir. Ce n’est pas leur faute. C’est la course au chiffre comme celle au Caucus, ridicule et saugrenue, qui fait perdre le Nord, les priorités, le goût de la vie vraie. « Je ne pensais qu’à ma gueule à l’époque, ça tournait uniquement autour de moi. Je me sentais agressée de tous les côtés. » Comme tous les ados, qu’on me dira. « Je vais pas faire genre que cette vérité-là a changé entre temps. » j’ajoute avec une pincée de sarcasme. Je suis toujours cette égoïste de service qui pense à sa peau avant celle des autres. Je me balade littéralement avec une cible dans le dos. Il y a une douce ironie dans l’escalade des événements, et, sans doute, un revers de la main du karma droit sur ma joue rose. « C’était pas de la survie. C’était une crise d’égo de gosse pourrie. J’étais une peste, j’avais mauvais fond. Entre temps, on m’a remise à ma place. Plusieurs fois. » Correction sur correction, il faudrait être particulièrement stupide pour ne pas saisir le message en lettres rouges sur le billboard en bord d’autoroute après une longue traversée du désert : arrête tes conneries. J’ai pas d’avis à donner, encore moins de conseils. Je demande parce que je m’intéresse et que j’ose, pour une fois, creuser le personnage de Jack. De grandes lignes qui épaississent des mystères, des mésaventures entre les lignes d’un récit flou, des bribes de biographie à picorer comme un jeu de phrases à compléter. Mais je laisse les blancs vides sans avoir la prétention de savoir, de deviner. Les regrets du brun dessinent simplement des contours plus précis aux rides sur son visage comme perpétuellement fatigué du mois de chaque heure qui passe. Avoir été un père absent est un remords que j’espère que mon propre père a, ou a eu, au moins une fois. Qu’il est aussi lucide que moi sur tous les facteurs d’éclatement de notre famille. Et dans tous les mots de Jack, je fais des parallèles, je me projette et ainsi, j’imagine tout ce qu’il se passe dans la tête d’une gamine comme Ellie. Il y a des tâches dans l’estime de Jack envers lui-même qui sont autant de portes ouvertes au doute de la jeune fille vis-à-vis de lui. Elle qui veut se sentir en sécurité et en confiance ne peut se reposer sur un homme adulte qui se sent à peine légitime dans sa paternité, son autorité. Je songe que s’il ressent ce désarmement, c’est qu’il est de son propre fait. Mais je garde la réflexion pour moi tandis que je devine la porte d’entrée s’ouvrir à nouveau et le museau de l’adolescente dépasser de la fenêtre, l’oreille tendue, curieuse, vers notre conversation. « T’as fait ce que tu pensais être le mieux. C’est ce que tu fais toujours. C’est plus que pas mal d’autres paternels. » Car dans mes pérégrinations de junkie, j’en ai entendu, des histoires glauques, macabres, terrifiantes et pathétiques sur les pères, des mères, et autres irresponsables que la nature a doté du don de créer la vie mais pas d’assez de bon sens ni de neurones pour en faire quelque chose de décent. « Tant que tu lui tournes pas le dos, ça ira en s’arrangeant. » j’ajoute, le double sens subtil souligné d’un signe de tête vers la porte vitrée dans le cadre de laquelle Ellie s’est statufiée. Dégainant un paquet de cigarettes, j’en pose une au bord de mes lèvres et en tend une à la jeune fille tout naturellement. « Hé, gamine. T’en veux une ? » LOONYWALTZ |
| | | | (#)Jeu 9 Mai - 20:33 | |
| | | fault line - I've been lying in the bright light. See my shadow from below? Never wanted anything from someone else, never wanted for my own. Through a window to the last mile, my living picture on the wall. From the banks on the far side. See the lights come ashore? |
Et son discours, plus elle s’avance, plus elle lui fait du bien à Jack. C’est pas tout, c’est encore loin de ce qu’il pourrait espérer voir comme comportement venant de Ellie, mais il se rattache, il sait faire que ça. Il note mentalement tous les points que Lou amène, la sagesse un brin cassée mais toujours stoïque qu’elle semble avoir développée avec le temps, les mauvaises expériences, les blessures encore sûrement un peu à vif. Ce qui l’étonne le plus dans la discussion qui se dessine par contre, c’est qu’elle en vient à dire que le tout est réglé d’une certaine façon, qu’elle avance, qu’elle accepte vraisemblablement. Et il mâche ses mots Jack, il réfléchit en silence, il cogite à outrance, avant de finalement demander, la tasse de thé qui roule entre ses paumes et le liquide infusé qui n’est plus du tout chaud sans qu’il ne s’en barde plus qu’il ne faut. « Ils savent ? Que tu as pardonné, que tu as… compris ? » compris est un bien grand mot, pourtant, il semble l’avoir vu dans son regard à Lou, il semble l’avoir reconnu, le déclic, celui qui guide son récit, celui qui l’amène à reconnaître ses torts aussi, sans qu’il n’ait rien demandé de tel. Il a l’oreille attentive plus que jamais Jack, parce que c’est un peu la marche à suivre qu’elle lui dresse, la carte au trésor, les étapes les unes après les autres vers la chute d’abord, mais surtout vers la résolution, vers l’espoir. Ses lèvres se pincent sans qu’il ne le réalise, ses sourcils se froncent. La voix de la Aberline qui s’occupe de combler les moments de mutisme, les chants des oiseaux tout autour du jardin qui adoucissent un peu, suffisamment l’ambiance qu’il a instauré avec ses questions à demi-mots et ses regards voilés. « Ça venait pas de nulle part, sois pas si dure avec toi. Ça peut vite devenir un travail d’équipe, du moins, autant dans les bons jours que dans les mauvais. » même s’il aime voir miroiter la possibilité qu’Ellie comme Lou dédouane ses parents des mauvaises réactions et des crises douloureuses, n’en reste qu’il sait jouer fair Jack, qu’il est au courant que sur toute la durée de vie de sa fille, il cumule beaucoup plus de mauvais coups que de bons, il multiplie les décisions douteuses et les constats foireux, et que malgré le caractère bouillant de sa gamine, il est tout sauf innocent. Ses erreurs, ses blocages, sa façon de pousser Ellie à bout, dans des retranchements qu’il a lui-même creuser, et Lou en vient à peindre un portait beaucoup plus doux de lui que jamais personne n’aurait pu dresser. « C’est pas suffisant, mais c’est tout ce que j’ai. » faire de son mieux – la rhétorique fait mal, parce qu’elle est tellement relative. Il faisait de son mieux, oui, mais il était à ce point noyé dans les doutes et dans la retenue que rien ni personne ne pouvait avancer avec honnêteté et assurance qu’il était vraiment au bout de ses actions, qu’il posait les meilleurs gestes. Et c’était ça son soucis à Jack, remettre en cause, remettre en question toutes les actions qu’il pouvait bien faire, tout ce qu’il pouvait dire, par où et par comment il tentait jour après jour de s’améliorer non sans toujours finir par toucher un peu, beaucoup le fond. « Même si je voulais, j’en serais pas capable. On a vécu tellement de choses, même si on en parle pas, même si on s’évite… on peut pas revenir indemnes de ça, pas séparés. » et ça, il l’ajoute un voile de nostalgie au visage. La peine de perdre Jude, la rage de quitter leurs racines, la frousse de s’établir ici. Les sentiments négatifs qui ont guidé leurs retrouvailles et la puissance des mauvais souvenirs qui les lient faisaient pour beaucoup dans cette relation, dans ce lien père-fille qui se définissait à travers les pires moments, via les épreuves que la vie leur avait mis en travers des pattes mais qu’ils avaient su braver non sans relever le menton un peu trop haut à de nombreuses reprises. Parlant d’elle, justement. Ellie qui apparaît plus loin, Jack qui sent sa présence, Lou qui l’invite. « Yeah, sure. » et elle est blasée la brune, elle arrive au jardin les yeux fixés sur la clope qu’on lui offre, Jack ne dit rien, fumeur depuis pas d’âge, en profitant pour dégainer son briquet et allumer la cigarette que la jeune fille a accepté sans en faire plus de cérémonies. « Vous faites quoi? » et il arque le sourcil Jack, il est perdu un peu plus que d’habitude, de voir sa fille qui questionne, qui tinte sa voix d’une octave de moins, qui est curieuse. Pas des masses, pas trop non plus, mais elle demande, elle s’intéresse. Elle ne regarde pas une fois son père par contre, elle reste là à fixer Lou, mais c’est déjà ça, c’est déjà beaucoup. « Un peu de tout. Y’a de la place si tu veux. » Jack qui pointe du menton les instruments pêle-mêle autour d’eux, et qui se décale sur les coussins, qui fait de la place maintenant qu'elle se pose au sol à son tour, qui savoure le moment surtout, qui apprécie en silence. LOONYWALTZ |
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