C'était sous un ciel bien gris que Joanne poursuivait sa prospection en ville. Depuis qu'elle n'avait pas réussi à obtenirr le tableau qu'elle convoitait durant une vente aux enchères organisé par un collectionneur d'art qui vivait aux abords de Brisbane, elle s'était mise en tête de faire une acquisition pour le musée. C'était pour elle un objectif qu'elle devait à tout prix atteindre durant l'année. Ce n'était au début qu'une vague idée, qui avait par prendre de l'ampleur. Depuis, elle se rendait régulièrement chez des antiquaires. Elle ne se voyait pas aller à une nouvelle vente aux enchères et ressortir bredouille. C'était un challenge plus intéressant pour elle. De fouiller chez des antiquaires, de tomber sur une oeuvre que personne n'aurait tant elle était dissimulée par d'autres vieilleries inintéressantes. Il y avait peu de chances que ce soit le cas, mais elle ne voulait râter aucune opportunité. Et puis, elle adorait déambuler dans ce genre de magasins. Elle pourrait y passer des heures, et elle savait très bien que Jamie le pourrait également. Ils adoraient les vieux objets, ceux qui avaient une histoire, une prestance, beaucoup d'allure. La petite blonde se rendait bien compte que cela lui faisait faire des journées de plus en plus chargées. Sa pause déjeunait s'était écourtée de plus en plus, jusqu'à ne plus qu'acheter un sandwich qu'elle mangeait en marchant. Une rythme qui ne semblait pas la gêner, vu sa détermination. La semaine suivante, Jamie devait partir pour la Paris Fashion Week. C'étaitt la première fois qu'ils n'allaient pas se voir aussi longtemps depuis qu'ils étaient à nouveau ensemble. Elle en avait un petit pincement au coeur. Avec le décalage horaire conséquent, il allait être difficile même de s'appeler. Elle tentait de ne pas trop y penser. Alors qu'elle sortait de chez un antiquaire chez qui elle n'avait pas trouvé son bonheur, il s'était mis à pleuvoir des cordes. Il n'y avait que quelques personnes qui avaient pensé à emmener un parapluie avec eux. Les autres se réfugiaient comme ils le pouvaient sous le store des différentes enseignes et ceux qui ne craignaient pas ruiner leur coiffure marchait sur le trottoir sans le moindre soucis. Si Joanne faisait cela, il était certain qu'elle finirait par attraper la grippe, ou un bon gros rhume. Et elle ne voulait pas retomber malade comme elle avait pu l'être l'année passée. La petite blonde avait la santé fragile, et ce depuis sa plus tendre enfance. Elle espérait donc que la pluie ne s'éternise pas de trop, afin qu'elle puisse continuer à profiter de sa pause déjeuner pour aller voir encore quelques antiquaires. La pluie finit par cesser, telle une ondée passagère, et tous ceux qui étaient restés coincés un moment sous les stores reprenaient leur marche comme si de rien n'était. Par réflexe, elle jetait un dernier coup à la vitrine de l'antiquaire, se disant qu'elle avait peut-être manqué quelque chose. Mais c'était une personne qu'elle connaissait bien qui attirait son regard, et qui avait également trouvé refuge sous la toile étendue le temps de la pluie. "Stephen ?" dit Joanne, non sans surprise, afin de l'interpeller. Mais ça ne pouvait être personne d'autre que lui, elle l'avait reconnue au premier coup d'oeil. Elle avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis leur dernière rencontre. Cela devait remonter à février ou janvier, elle ne savait plus vraiment. Leurs rencontres s'étaient de plus en plus raréfiées depuis le début de l'année, jusqu'à ne même plus se croiser. Joanne avait pu voir le changement de son moral, de son attitude, les différences entre la période où il soignait son dos pendant qu'elle était enceinte et quand il devait s'occuper de son épouse en fin de vie. La petite blonde en avait toujours un pincement au coeur en y repensant. Mourir d'un cancer à ce si jeune âge... Elle avait ce sentiment d'injustice. Joanne avait fini par apprendre pour son décès, et tout ce qu'elle avait trouvé à faire était de lui envoyer une carte de condoléances et de lui écrire de temps en temps. Il ne répondait pas mais elle ne s'en était jamais vexée; elle se doutait bien que s'adapter à nouveau rythme de vie tout en faisant son deuil était quelque chose de particulièrement chronophage, et que de répondre à une femme qu'il ne connaissait pas tant que ça n'était pas une priorité. Elle esquissait un large sourire lorsque leur regard se croisait. Elle était véritablement heureuse de le revoir, qu'importe le temps passé, ou la fatigue qui se lisait sur son visage. "Ca fait tellement longtemps." dit-elle en se permettant de lui faire une légère étreinte. Pas trop longue, de peur de paraître trop invasive. Difficile pour Joanne de savoir comment aborder la suite de cette conversation. "Comment te sens-tu ?" Une question usuelle, souvent uniquement énoncée par politesse. Mais le ton qu'employait Joanne laissait amplement comprendre qu'elle pesait bien ses mots, qu'elle était véritablement soucieuse de son état. Sa femme n'était décédée qu'il y a quelques mois de cela et elle ignorait où lui en était. "Comment va Anabel ?" Juste quelques nouvelles, rien de plus. Il y avait un sourire encourageant sur ses lèvres. "Je suis si contente de te revoir." ajouta-t-elle. "Je ne voulais pas paraître trop invasive ou trop sur ton dos, c'est pourquoi je préférais t'envoyer des messages de temps en temps, plutôt que de te rendre visite." Et puis, chacun savait que l'autre avait un quotidien bien chargé. Et Joanne avait toujours eu cette crainte de déranger, surtout durant ce genre de situation, et les récents événements qui avaient totalement bouleversés la vie de son ancien kiné et voisin.
Ces derniers jours, le ciel australien semblait beaucoup s'amuser avec les Hommes. Tantôt orageux, tantôt clément, c'était le plus souvent de tonalités grisâtres qu'il se paraît pour mouvementer le quotidien des habitants de Brisbane, comme c'était le cas aujourd'hui. La journée avait pourtant bien commencé. Pas l'ombre d'un nuage pour filtrer les rayons solaires ; le temps aurait du être radieux. Stephen était d'ailleurs parti travailler sans emporter de veste ou de parapluie ; grosse erreur Holloway. Le temps avait commencé à se gâter en milieu de journée, alors que la foule se pressait hors des bureaux pour déjeuner, lui compris. En à peine quelques minutes, une énorme averse s'était abattue sur la ville, si bien que pour se réfugier, les malheureux qui n'avaient pas emporté de parapluie se retrouvaient obligés de s'abriter sous les devantures de magasin sous peine de finir trempés jusqu'à l'os. Stephen regrettait amèrement de n'avoir pas pensé à cette possibilité. Lui qui pensait que le temps serait doux se retrouve agglutiné à des dizaines d'autres personnes sans quoi il finirait les vêtements gorgés d'eau. Ce n'était qu'une averse, mais il mettrait des heures à sécher s'il s'aventurait hors de ce petit abri, alors il attendait, observant les trombes d'eau s'abattre sur le sol pendant ce qui lui avait paru être des heures ; la pluie avait finalement cessé après quelques minutes. Stephen jetait un rapide coup d'oeil à son téléphone ; il n'était pas en retard pour ses rendez vous. Miracle et les passants s'étaient de nouveau répartis sur toute la largeur du trottoir, reprenant leur vie comme si de rien n'était. En fin de compte, ce contre temps n'en avait pas été un, et alors qu'il s'apprêtait à repartir lui aussi, une voix l'interpella. Il se retournait quasi immédiatement, ne sachant pas exactement à quoi s'attendre avant d'entrevoir le visage de Joanne un peu plus loin. Joanne était ici, et c'était un océan de souvenirs qui refaisait soudainement surface. Stephen parcourut les quelques mètres qui les distancaient. Il ne savait pas exactement comment réagir. Ils ne s'étaient plus parlé depuis si longtemps. Sans le savoir, Joanne avait été présente à chaque grande étape de sa vie ; au tout début de sa carrière, lorsque Rachel est tombée malade, et quand il a fallu apprendre à être père. Elle qui lui semblait si fragile et indécise au début, était devenue une force quand il a fallu prendre le dessus sur la situation. La bienveillance de cette femme avait été un gilet de sauvetage pour Stephen. Sans elle il aurait probablement dérivé vers une vie rythmée de plats préparés à broyer du noir, il lui devait beaucoup. Une fois près d'elle, Stephen ne pût s'empêcher lui aussi de sourire. Joanne était un visage familier ; Il accueilli sa courte étreinte avec douceur avant de l'observer avec attention. Des grands yeux bleus et des cheveux blonds ; rien n'avait changé chez elle, bien qu'il ait l'impression qu'un millénaire les séparaient de leur dernière rencontre. Au décès de Rachel, tout était devenu plus compliqué. Stephen s'était muré dans le silence, refusant toute main tendue vers lui. Il n'avait pas la force de répondre aux inquiétudes de ses proches, ça aurait signifié que Rachel était bel et bien partie, et ça, il ne pouvait pas l'accepter à cette époque. "Excuse moi pour tout ça, fît il, tendu. C'est encore compliqué pour moi de.. enfin, de tourner la page. J'allais te répondre. J'aurai bien fini par le faire" finit il par dire, esquissant un sourire comme pour chasser toute once de nervosité sur son visage. Je me sens beaucoup mieux, si on peut dire ça comme ça, coupa t-il. Et toi ? tu as l'air fatiguée. Stephen n'avait pas pris de nouvelles de Joanne depuis quelques mois déjà, il n'avait pris des nouvelles de personnes d'ailleurs. Malgré toutes les cartes et tous les messages qu'elle avait pu lui envoyer ces dernières semaines, son monde s'était arrêté net en février dernier et quasiment plus rien n'avait filtré depuis. Il ne savait absolument pas comment la nouvelle vie de Joanne à Bayside pouvait se passer, ni même comment les choses allaient pour elle. "Raconte moi. Bayside, c'est mieux ? Pas de voisins à qui apprendre à préparer des lasagnes ?" s'enquit il avec amusement. Stephen était plus apaisé que jamais ces derniers jours. Il semblait avoir trouvé son équilibre et son envie de vivre. D'ailleurs, il était bien décidé à reprendre sa revanche sur la vie.
Joanne n'avait jamais eu beaucoup d'amis. Des connaissances, des collègues, ça oui. Mais ceux sur qui elle pouvait compter et qu'elle n'aurait jamais voulu perdre se comptait sur les doigts d'une main. On aurait pu croire que Stephen faisait partie de ces rencontres ponctuelles, limitées dans le temps. Mais le destin en avait apparemment voulu autrement concernant Stephen et elle. La surprise était on partagée. Vu le visage du brun, il ne s'attendait pas à la revoir un jour non plus. Elle l'avait aidé durant une période particulièrement difficile pour elle, et le temps avait fini par les empêcher de se voir, chacun ayant des occupations et des vies prenantes. Parfois, elle s'en voulait un petit peu, elle avait cette étrange impression de l'avoir abandonné, un petit peu. Il restait longuement silencieux, à la regarder longuement. Joanne gardait le sourire, quoi qu'un peu perplexe de la raison d'une telle contemplation. Cela faisait des mois qu'ils ne s'étaient plus vues, et elle en avait fait une simple remarque. Ce n'était pas un reproche, elle ne lui en voulait absolument pasa. Au contraire, elle se montrait particulièrement compréhensive face à la situation. Mais cela n'empêchait pas Stephen de se sentir particulièrement nerveux à ce sujet. "Tu n'as vraiment pas à t'excuser." lui dit-elle de sa voix douce, en posant une main amicale sur son bras, le sourire aux lèvres. "Je me doutais que tu avais besoin de temps. Et je ne me voyais pas t'appeler ou venir chez toi. Je me suis dit que tu aurais certainement besoin d'espace." Le temps de réaliser, d'assimiler, de faire avec. Et il fallait continuer de vivre à côté. Il avait sa fille, il avait des patients à soigner, une maison à gérer. Elle voyait bien qu'il n'était pas tout à fait l'aise. C'était tout récent, le sujet était encore bien sensible. Stephen savait qu'il pouvait compter sur elle s'il avait un jour besoin d'une oreille attentive pour écouter ses états d'âme, son vécu, ses tracas du quotidien. Il préférait rapidement changer de sujets et se concentrer sur son amie, qu'il trouvait fatiguée. Joanne haussait les épaules, le sourire au coin des lèvres. "J'avoue que je m'impose de grosses journées en ce moment. Mais j'ai un objectif en tête et je compte bien y parvenir. Alors je sacrifie un peu mes pauses déjeuner." Ce n'était pas la meilleure chose à faire, certes. "Je suis à la recherche d'une prochaine éventuelle acquisition pour le musée. Et au lieu d'aller supplier quelques collectionneurs d'art, je préfère faire une trouve chez des antiquaires, alors je m'y rends aussi souvent que possible, je fouine un petit peu. Souvent les personnes se débarrassent de vieilles choses sans connaître leur véritable valeur. Et je compte bien tomber sur cette perle rare, pour étoffer la collection du musée." Elle se sentait si déterminée, si optimiste pour ce projet. Elle voulait faire ses preuves, dépasser ses propres limites, montrer ce dont elle était capable. Ce n'était pas tous les jours que la petite Joanne désirait tant sortir de ses sentiers battus, surtout en ne choisissant pas la solution la plus facile. C'était très chronophage, comme projet, mais ce n'était jamais considéré comme étant du temps perdu. Stephen était curieux d'en savoir plus sur sa nouvelle vie à Bayside, avec une note d'humour. "Non, mais j'ai un mari qui m'en réclame de temps en temps." répondit-elle avec un rire. "Mais si mon voisin de Toowong venait à me demander quelques cours de cuisine supplémentaires, je suis certaine qu'il saurait que je serai incapable de le lui refuser." Autant en profiter pour lui rappeler qu'il pouvait toujours compter sur elle, en toute circonstance. "Bayside est un très joli quartier, cela dit." ajouta-t-elle avec un peu plus de sérieux. "C'est calme, les maisons sont bien espacées, on est juste à côté de la mer. Il nous faut quarante-cinq minutes de route pour aller au travail, mais nous avons un cadre de vie idéal. C'est un des rares inconvénients, mais cela en vaut largement la peine. Tu devrais venir, une fois, avec la petite, si tu veux." Il y avait de quoi faire à Bayside, et elle serait ravie de trouver de nouvelles opportunités de revoir Stephen. Certes, ils s'étaient à peine revues, mais toutes les occasions étaient bonnes à prendre. Elle pensait même à l'inviter à manger à la maison, elle savait que Jamie n'y verrait pas d'inconvénient. Un peu plus sérieuse, elle lui dit. "Je suis sincèrement soulagée de savoir que tu te sens mieux. Je m'étais faite du soucis pour toi." Joanne s'inquiétait facilement, elle avait certainement un peu trop d'empathie. Mais effectivement, il semblait aller beaucoup mieux. Il était souriant, il ne semblait pas si fatigué que ça – du moins, moins que ce que Joanne avait déjà pu voir en début d'année. "Tu as réussi à trouver un rythme, avec Anabel et avec ton boulot ?" lui demanda-t-elle, curieuse de savoir comment il se débrouillait, s'il sortait la tête de l'eau. "Je sais que je ne suis pas la personne qui est la plus proche de toi. Mais tu sais que tu pourras toujours compter sur moi, n'est-ce pas ?" Joanne ne se rendait certainement pas compte qu'elle était en première ligne pour voir comment il allait, comment il endurait chaque jour, à quel point il peinait à gérer toutes ses responsabilités. Ils avaient été plus proches que l'on ne puisse le croire. Et pourtant, elle ignorait s'il avait d'autres amis sur qui il pouvait compter, s'il avait un peu de famille qui l'aidait et le soutenait durant cette épreuve. Elle en savait beaucoup tout autant qu'elle n'en savait que très peu. Ils avaient cette proximité, d'avoir plus ou moins partagé un moment douloureux et important pour Stephen. Joanne adorerait partager ses moments de bonheur avec lui, lui dire qu'elle était mariée – à moins qu'il n'ait remarqué son alliance de lui-même. Mais elle avait tellement peur que cela ne l'attriste plus qu'autre chose.
Depuis février, l'univers entier semblait avoir changé de visage. Tout était presque inconnu, les rues, les magasins, les collègues ; ces endroits et personnes qui étaient autrefois si communs à Stephen avaient désormais quelque chose de différent, de plus terne, et au fil des semaines, il avait fini par délaisser ce petit monde qui autrefois était le sien. Revoir Joanne aujourd'hui c'était comme se faire rattraper par le passé. Elle avait été présente durant tant d'épreuves, et il se sentait pourtant si différent aujourd'hui. La peine qu'il essayait tant bien que mal de chasser n'était jamais bien loin, et son équilibre était aussi fragile qu'un château de cartes face au vent, mais il se sentait maintenant plus apaisé que jamais. Joanne n'avait pas changé d'un pouce, c'était plutôt lui qui avait encore franchi une étape. Une de plus. "Ces dernières semaines ont été plutôt intenses, finit il par dire pour justifier son silence, mais tout rentre dans l'ordre. On se débrouille bien Anabel et moi" Plus ou moins en fait. Entre les parents de Rachel qui réclamaient la garde de la petite et le cabinet qui ne désemplissait pas, tout était en roues libres. Mais ça, c'était une autre histoire. Anabel allait bien, et lui reprenait le dessus sur la vie. C'était tout ce qui comptait vraiment. Il était curieux de savoir ce qu'elle devenait, même si sa nervosité était encore palpable. Son ancienne voisine ne lui tenait pas rigueur de ses absences et non-réponses, elle semblait même ravie de le revoir après toutes ces semaines malgré la fatigue qui se lisait dans ses grands yeux bleus. "J'imagine que ça doit être énormément de travail.. trouver des pépites chez les antiquaires c'est un sacré challenge." Stephen ne connaissait absolument rien à l'art, c'était trop abstrait à ses yeux. Lui qui avait étudié le corps humain et qui ramenait tout au rationnel ne comprenait pas l'engouement qu'il pouvait y avoir sur certaines œuvres, mais Joanne mettait tellement de détermination et de passion en ce qu'elle faisait au Musée que Stephen ne pouvait que l'admirer. De façon générale, aux yeux de Stephen, Joanne était une sorte de miracle de l'organisation. Douée de ses dix doigts, accomplie dans sa vie de famille et dans son travail, elle était un ovni pour lui qui peinait encore à faire fonctionner le lave vaisselle. Même s'ils n'avaient pas eu l'occasion de beaucoup échanger sur ce point en fin de compte ; Stephen idéalisait un peu Joanne, même s'il ne connaissait que très peu de choses à son sujet. Maman comblée, mariée, accomplie dans son travail et vivant au bord de l'océan.. sa vie semblait être des plus parfaites, mais au fond il n'en savait que très peu. Ils n'avaient pas beaucoup eu l'occasion de converser sur ce point. "Je t'imagine bien à Bayside, ça doit être beaucoup plus apaisant que la ville, ajouta t-il en esquissant un sourire. J'essaierai de passer avec la petite, et tu n'as plus à t'en faire pour nous.. on maintient le cap." Il se voulait rassurant, même si la vérité n'était pas tout à fait semblable à ça. Il aurait aimé lui dire : "Anabel commence à comprendre que sa maman ne reviendra pas même si elle continue à demander à lui dire bonne nuit en regardant les étoiles au télescope. Ses grands parents lui font peur. Je pense prendre un apprenti parce que j'ai du boulot par dessus la tête. J'ai encore oublié de mettre le minuteur du four hier et ça a explosé. Je commence à ressentir d'autres choses qu'un trou immense dans ma poitrine et j'ai renversé quelqu'un en voiture." mais il n'en ferait rien sans risquer de perdre l'équilibre qu'il mettait tant de mal à conserver. Au fond, il se doutait bien que Joanne n'était pas dupe, personne ne se remet vraiment de la mort de sa moitié. Surtout pas en cinq mois."Tu sais, tu as fait énormément pour nous à une époque, bien plus que certains membres de ma famille, souffla t-il plus doucement Ce n'était pas juste ... m'apprendre à faire cuire quelque chose, tu as contribué à nous sortir hors d'un gouffre, Anabel et moi, et je ne pourrais sûrement jamais te rendre la pareille, enfin, j'espère ne pas avoir à le faire, d'ailleurs. Mais je suis heureux de t'avoir." C'était un petit aveu, et probablement le mieux qu'il puisse faire. Stephen ne s’épanchait jamais vraiment question sentiments, surtout depuis le décès de Rachel. "Mais parle moi de toi, de ta famille, ton petit bout, lança Stephen d'un ton bien plus assuré, tu aurais peut être le temps de prendre un café ? Les antiquaires pourraient peut être patienter un peu ?" s'enquit il avec amusement.
Il y avait toute une vie à réorganiser et Stephen affirmait que sa fille et lui commençaient à s'y retrouver. Il reconnaissait que c'était loin d'être tout repos. Il restait particulièrement évasif malgré tout sur le sujet, il ne désirait pas s'étendre. Sûrement parce que c'était encore trop difficile, ou qu'il ne voulait pas mettre certains points peut-être plus fâcheux en avant. Elle acquiesça d'un signe de tête tout en souriant. A partir du moment qu'ils s'en sortaient, Joanne était contente, et surtout rassurée. Le brun ne semblait pas parfaitement à l'aise avec son interlocutrice et celle-ci ne comprenait pas véritablement pourquoi. A moins que ce ne soit la longue période pendant laquelle ils ne s'étaient pas parlés qui le faisait culpabiliser, elle n'en savait trop rien. "J'ai bien conscience que je ne choisis vraiment pas la facilité, mais c'est un challenge que je me sens prête à relever." dit-elle d'un air véritablement motivé. "Ca va certainement prendre beaucoup de temps, mais on me connaît pour ma persévérance." dit-elle avec un rire nerveux, se rappelant que ce trait de caractère pouvait facilement devenir un défaut selon les situations. Mais cette fois-ci, elle l'utilisait à bon escient. Ils avaient déjà parler de son métier ensemble, et Joanne avait à l'époque rapidement compris que l'art n'était pas vraiment sa tasse de thé. C'est pourquoi elle faisait attention à ne pas employer de termes trop techniques ou de se plonger trop dans les détails des heures durant – ce qui arrivait quasi systématiquement lorsqu'on la lançait sur le sujet. Elle savait qu'avec Jamie, elle n'avait pas besoin de faire attention à ce genre de choses. Et à l'époque, Hassan avait fini par apprendre ce propre langage tout comme elle avait pu se familiariser avec la géopolitque. Là, Stephen n'y connaissait rien et ne semblait pas vraiment s'y intéresser. Ce n'était tout simplement pas son truc. Il tenait à lui assurer que tout allait bien, que la vie menait son cours. Ce n'était certainement pas ausssi idéal qu'il pouvait le prétendre, elle en avait bien conscience. "Tu n'as pas à te sentir redevable." lui assura-t-elle. "Je sais combien il est important de sentir entouré, même si on se rend compte combien cela nous a aidé souvent bien après les faits." Hassan avait été là, quand Jamie avait fait son arrêt. Il avait été une présence rassurante. Malgré toute la situation, il avait été là, d'un grand soutien durant ces longues heures d'attente. "Etre seul ne fait toujours pas bon ménage, même si on pense que c'est le mieux à faire, le mieux pour soi ou pour les autres." Bien sûr qu'elle parlait d'expérience. Stephen ne semblait pas à l'aise lorsqu'il exprimait ses sentiments, comme des aveux qu'il avait précieusement gardé pour lui jusque là. Elle comprenait dans son ton gêné qu'il ne devait pas y être habitué, ou peut-être qu'il n'osait plus vraiment s'ouvrir. Toujours est-il que Joanne en fut particulièrement touchée. Il ne se renfermait pas totalement sur lui-même, et ça, c'était une bonne ch ose. "Tu pourras toujours compter sur moi." lui assura-t-elle, le sourire assuré. Il préférait malgré tout se concentrer sur la petite blonde et sur sa vie à elle autour d'un café. "Les antiquaires attendront demain." répondit-elle en riant. "Et pour le café, ce serait avec plaisir, j'ai encore un peu de temps devant moi." Ainsi, elle l'invita tacitement à reprendre la marche avec elle pour trouver un salon de thé à proximité. "Mon petit bout va bien. Mon mari et moi commençons à lui chercher une école maternelle pour la rentrée." Rien qu'à cette idée, Joanne était émue. Le temps passait tellement vite. "Nous aimerions beaucoup avoir un deuxième enfant. Nous essayons." Stephen ayant été son kinésithérapeute, il avait informé, de fil en aiguille, des nombreuses fausses couches de Joanne. Et pourtant, elle n'osait pas lui dire qu'elle en avait faite une il n'y a pas si longtemps que ça. "J'aimerais beaucoup faire construire une maison. J'ai emménagé avec Jamie, mais la maison devient un petit peu petite avec une famille constituée de trois personnes et de quatre chiens. Nous n'avons pas vraiment eu le temps d'en parler et il ne semblait pas vraiment emballé au premier abord. Mais nous avons tous les deux des emplois particulièrement prenants." Les journées étaient longues et les weekends lui semblaient être de plus en plus courts. Jamie faisait régulièrement des déplacements dans d'autres pays, à assister à des fashion weeks ou autres événements durant lesquels QG devait à tout prix être représenté. Ce n'était souvent que quelques jours, mais c'était amplement suffisant pour qu'il lui manque énormément à chaque fois. Ils finirent par arriver devant un salon de thé dans lequel ils purent choisir la boisson qu'ils désiraient boire et s'installaient sur l'une des nombreuses tables disponibles. "La vie normale de deux parent actifs, je suppose." dit-elle avec un rire nerveux. Ils n'allaient bientôt plus pouvoir partir en vacances quand ils le désiraient, devant respecter les dates des vacances scolaires. Et les deux ayant été particulièrement absent fin 2017, ils ne se pouvaient pas se permettre de partir quand bon leur semblait. Ils tenaient tous les deux à faire leurs preuves. Cela dit, Joanne ne se rappelait plus à quand remontait leur dernière sortie en amoureux. Beaucoup trop longtemps, et ça aussi, ça lui manquait beaucoup. Elle sirotait sa boisson. "Nous sommes heureux. Nous n'avons pas la relation la plus... normale qui soit, nous avons traversé des épreuves difficiles, mais nous nous en sommes toujours sortis." Stephen était vraiment loin de tout savoir. Joanne se disait que le simple fait de la savoir mariée alors qu'il l'avait vu pendant toute une année seule à Toowong à s'occuper de sa vie personnelle et professionnelle, ponctuée avec les visites d'Hassan, d'Irene et d'autres connaissances. Elle se demandait ce qu'il en pensait de tout ça, alors qu'il ne savait pas grand chose de sa vie de couple. Il l'avait connu fiancée à Jamie, puis séparée, puis finalement mariée. Ca n'avait certainement aucun sens pour lui. "Tu as aussi été là durant des périodes bien différentes de ma vie." finit-elle par réaliser en riant nerveusement. "Et toi, au boulot, comment ça se passe ? La rééducation pédiatrique te plaît toujours autant ?" demanda-t-elle finalement, curieuse de ce qu'il devenait de ce côté là. Intérieurement, Joanne espérait pouvoir faire appel le jour où elle serait à nouveau enceinte. Ayant du mal à placer sa confiance envers le personnel médical qu'elle ne connaissait pas.
D'ordinaire, quand on lui disait "Je sais ce que tu ressens", Stephen n'en croyait pas un mot. Personne ne pouvait savoir et encore moins comprendre ce qu'il traversait. A ses yeux son deuil était la chose la plus difficile à encaisser, et aucune personne au monde n'avait été confrontée à une telle douleur, même si c'est environ 59 millions de personnes qui trouvent la mort chaque année. Celle de Rachel était la seule qui comptait à ses yeux. Malgré tout, il sentait bien que Joanne était sincère ; ce n'était pas dans ses habitudes, ni même dans son tempérament de mentir ou de dire quelque chose qu'elle ne pouvait pas concevoir, et ça, Stephen l'avait remarqué lors de leur première rencontre. Elle n'était pas la première à lui dire que rester seul était une mauvaise chose, ou qu'il pouvait compter sur elle, mais c'était bien l'une des rares personnes qu'il pouvait croire, même si pour le moment il ne se sentait pas capable de parler avec plus de recul de tout ce à quoi il avait été confronté depuis février. "Tu sais, ce n'est pas parce que je n'ai pas répondu à tes lettres que je ne pensais pas à toi. Encore maintenant, je ne sais pas ce que j'ai besoin d'entendre pour me sentir mieux", il marqua une pause. "Peut être que le temps me fait prendre conscience que ce n'est pas ma vie qui a été stoppée, en tout cas je suis heureux de te revoir aujourd'hui. Et je suis ravi d'avoir remporté la bataille face aux antiquaires" lui répondit il en esquissant un sourire, avant de poursuivre la marche à ses côtés.C'est une Joanne souriante et solaire qui lui donnait des nouvelles de ce qui faisait désormais son quotidien. Son petit garçon se portait à merveille et il allait entrer à l'école maternelle à la rentrée prochaine. C'était une bonne chose, songeait Stephen, il allait s'éveiller et découvrir d'autres enfants. Il se réjouissait de savoir que la vie que menait Joanne à Bayside lui permettait de s'épanouir totalement, puis elle annonça qu'avec son mari, ils essayaient d'agrandir leur petite famille. Cette information interpella Stephen, qui se souvenait très bien de la difficulté qu'avait eu Joanne à concevoir son premier bébé. De nombreuses fausses couches étaient venues entraver sa volonté d'être maman, et Stephen ne pouvait imaginer ce que ce devait être de replonger dans de tels souvenirs. Pour certaines femmes, donner la vie n'était pas simple ; et malheureusement, Joanne faisait partie de cette minorité. Alors qu'ils marchaient toujours en quête d'un petit café, il glissa un regard vers elle. Tout comme il refusait qu'on le plaigne de la situation qu'il traversait, il n'imaginait pas faire pire que mieux en assurant à Joanne que tout irait bien cette fois ci car c'était probablement faux, la nature ne se souciait pas du karma ; elle éliminait les êtres les plus faibles sans faire de sentiments, tout était question de génétique et non de mérite. Stephen ne savait pas quoi répondre à une telle annonce ; après tout, peut être qu'il n'y avait rien à dire, Joanne savait ce à quoi elle se confrontait en essayant d'être de nouveau mère, et ce ne serait certainement pas simple cette fois ci non plus. Finalement, il prit sa main qu'il pressa quelques secondes avant de la relâcher. Il ne pouvait pas dire que tout irait bien, mais il pouvait au moins lui faire comprendre qu'il la trouvait assez courageuse pour surmonter tout ça. "J'imagine que c'est beaucoup de stress, faire construire une maison tout en gérant vos deux carrières.. tu as beaucoup de projets, et avec la rentrée en maternelle de ton petit tu verras que ce ne sera pas de tout repos. Tu as les épaules pour surmonter tout ça, mais tu as l'air d'avoir enfin trouvé ton équilibre. Ce serait dommage d'y laisser des plumes en brûlant les étapes." Stephen avait toujours eu du mal à cerner la vie sentimentale de Joanne ; ce n'était pas le genre d'homme à poser des questions , mais cela ne l'empêchait pas de s’interroger. Lorsqu'ils étaient voisins, il avait vu son couple traverser plusieurs étapes, même si elle continuait de vivre seule. Quand finalement elle quitta Toowong pour Bayside, Stephen s'était imaginé que tout allait pour le mieux et que le couple qu'elle formait avec Jamie (du moins, si ça mémoire ne lui faisait pas défaut) avait finalement enfin trouvé un équilibre qui leur convenait. Aujourd'hui, il n'en était plus certain. Joanne ne semblait être sûre de rien ; certes c'était sa nature, mais elle déclenchait des signaux en s'engageant sur la construction d'une maison et le souhait d'un nouvel enfant. "J'espère que tu es heureuse" il marqua une pause. "Mais j'imagine que le bonheur découle des ressentis. Tu as traversé des moments compliqués et tu t'apprêtes à en traverser d'autres qui le sont peut être encore plus. Parfois les épreuves ne renforcent pas les liens, elles peuvent aussi les détruire." Stephen aurait aimé dire quelque chose de plus réjouissant, mais il ne pouvait que s'inquiéter pour son ancienne voisine. Il appréciait Joanne ; certaines personnes vous sont plus proches que d'autres sans que vous ne sachiez vraiment pourquoi. On pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert ; ses réactions faisaient d'elle quelqu'un d'attachant et d'une profonde bienveillance. Comme tout le monde elle avait des défauts et des qualités, mais Stephen trouvait que ses défauts et ses qualités s'accordaient bien avec les siens. "Le cabinet se porte bien, je n'avais pas imaginé que me spécialiser aurait amené autant de clients. J'envisage d'embaucher une nouvelle personne pour réduire le temps d'attente entre chaque rendez vous, et.. me permettre de souffler un peu", fît il avec un petit rire. Stephen avait travaillé d'arrache pied pour hisser son cabinet parmi les meilleurs de la ville. Pour éviter de penser au cancer, pour compenser le manque, il avait placé toute son énergie dans les consultations, les suivis et autres nouveaux traitements. A force de vivre dans le feu de l'action il avait finalement presque réussi à combler le vide laissé par Rachel, mais maintenant que l'équilibre revenait doucement à lui, il se rendait compte qu'il était au bord de l'épuisement. "D'ailleurs" poursuit il, "si tu rencontres les mêmes problèmes de dos, tu sais que tu peux passer. Je n'ai pas totalement oublié la kinésithérapie générale et j'aurai toujours du temps pour toi. Le cabinet est rempli de jouets, ton fils ne verrait pas le temps passer." Finalement, à mesure qu'ils longeaient la rue principale, ils étaient arrivés devant un petit café qui semblait également faire librairie. Stephen n'y était jamais allé mais ça avait l'air d'être un endroit calme et délaissé par les employés de bureau du quartier ; visiblement ici on ne servait que du café et des petites choses à grignoter. "Est ce que ça te va ici ?" lui demanda t'il en se tournant vers elle.
La perte d'un être cher était d'une souffrance que personne ne pouvait comprendre ou concevoir tant que l'on ne l'avait pas vécu. Chacun vivait sa douleur différemment. Joanne avait été profondément touché par la disparition de sa grand-mère un an et demi plus tôt. Elle aurait très bien pu se tuer à la tâche lorsque Jamie était inconscient, au fond de son lit d'hôpital. Joanne ne voulait pas envisager de perdre Jamie un jour, c'était inconcevable pour elle. Alors oui, elle ne pouvait pas même deviner ce que Stephen était en train de traverser. Face à cette évidence, elle réalisait combien Hassan avait eu raison de demander le divorce plutôt que de lui permettre d'être restée à ses côtés pour l'accompagner dans la maladie. D'une manière ou d'une autre, elle n'y aurait pas survécu. Ou elle n'aurait plus été la même, dans un état bien plus désastreux que celui dans lequel elle était après leur séparation. Joanne avait exprimé son inquiétude quant au fait qu'elle n'avait pas eu de nouvelles de Stephen. Celui-ci préférait préciser que ce n'était pas parce qu'il ne donnait pas de nouvelles qu'il n'avait pas de pensées pour elle. Quelque part, ses paroles la rassuraient et elle esquissa un sourire timide en entendant ses paroles. "Peut-être qu'il n'y a arien à dire ou entendre non plus." lui répondit-elle avec un ton doux, compréhensive. Elle haussait les épaules. "Peut-être que tu avais justement besoin de t'isoler un petit peu pour te recentrer, mettre un peu d'ordre dans tout ça. C'est juste que... Je me faisais du soucis pour toi, tout simplement. Beaucoup aiment se contenter du dicton pas de nouvelles, bonne nouvelle, mais ce n'est pas vraiment mon cas." ajouta-t-elle avec un rire nerveux. Entre Stephen et les antiquaires, Le choix était tout fait lorsqu'elle avait vu Stephen. Ils ne s'étaient pas vu durant des mois, elle s'était inquiétée pour lui et était on ne peut plus ravi de profiter de cette rencontre inopinée pour prendre de ses nouvelles. Il semblait rejoindre à nouveau le monde des vivants, peu à peu. Ainsi, il en apprenait davantage sur la vie de la petite blonde depuis plusieurs mois. "J'avoue ne pas avoir le temps d'être stressée. Comme tu as dit, nous avons tous les deux des emplois très prenants, nous rentrons tard le soir. Nous ne voyons pas les semaines défiler." Finalement, Jamie et Joanne avaient bien peu de temps pour leur vie de couple. Si ce n'était pas le travail, c'était le petit. Si ce n'était pas le petit, c'était les chiens. Si ce n'était pas les chiens, c'était des tâches à réaliser pour que la maison tienne toujours bien debout. Quelque part, Jamie lui manquait. Ils se voyaient tous les jours, ils discutaient de leurs journées respectives, mais ils n'avaient jamais véritablement de temps pour eux. Elle ne savait plus à quand remontait leur dernier restaurant en amoureux, leur dernière soirée à ne penser à rien d'autre qu'à eux. Stephen était de ceux qui était persuadé que Joanne était capable de supporter beaucoup de choses. Elle ne l'avait réalisé que durant l'année passée, lorsqu'elle était seule à devoir tout gérer avec son fils. Cela avait un petit peu boosté sa confiance et son assurance, mais cela restait à améliorer tout de même. "Je suis heureuse." lui assura-t-elle avec un sourire confiant. Néanmoins, Joanne avait perdu ce rictus l'espace d'un instant. De moments compliqués, elle en a déjà eu quelques uns, le premier étant bien évidemment sa récente fausse-couche. Elle ignorait si Stephen avait peur pour elle. Du moins, dans ses paroles, c'était comme s'il avait peur pour son mariage. Il savait que sa relation avec Jamie était tumultueuse même s'il ne savait pas tout. Il était certainement normal qu'il se fasse du soucis, au fond. Elle avait serré la main de Stephen dès qu'il la lui avait prise, échangeant un sourire avec. Il était un petit peu protecteur. "Notre couple est solide." lui assura-t-elle avec certitude "Depuis que nous sommes mariés, tout va pour le mieux." Stephen et Joanne s'étaient rapidement rapprochés, depuis qu'ils se connaissaient. Ils s'appréciaient tous les deux énormément et s'inquiétaient pour l'un l'autre. Dans un premier temps, elle hésitait tout de même à lui dire qu'elle avait eu une nouvelle fausse-couche. Pourtant il faisait partie de ceux qui en savaient plus sur son état de santé et de sa difficulté à avoir un enfant. Elle craignait que cela ne l'attriste, d'une façon ou d'une autre. "J'espère que tu te trouveras rapidement quelqu'un, dans ce cas. Histoire que tu puisses te permettre quelques vacances dès que l'occasion se présentera." dit-elle non sans enthousiasme. "Quand ça sera le cas, je pourrais t'organiser une après-midi de cours culinaires." ajouta-t-elle sur le ton de la plaisanterie, suivi d'un petit rire. C'était une blague, mais le fond de sa pensée restait le même : elle espérait qu'ils puissent se revoir plus régulièrement à partir de ces retrouvailles après plusieurs mois sans même se voir. Le regard de la jeune femme s'illumina lorsqu'il lui proposa de lui-même de continuer à être son kiné lorsqu'elle en aurait à nouveau besoin. "J'avais un peu peur de te le demander, j'avoue." reconnut-elle en riant nerveusement. "Je n'aurais pas fait appel à qui que que ce soit d'autre de toute manière." De base, Joanne avait du mal à faire confiance au personnel soignant. Alors elle s'accrochait d'autant qu'elle le pouvait à ceux avec qui il y avait un bon rapport. Stephen en faisait partie. Ils avaient enfin trouvé une place dans un café qui convint parfaitement à la petite blonde. "C'est très bien !" confirma-t-elle avant de s'installer. Elle regardait ensuite longuement Stephen. Il n'y avait plus qu'à attendre qu'un serveur ne vienne prendre commande. "A vrai dire, nous avons déjà eu un moment compliqué, depuis notre mariage." finit-elle par lui dire. Si Stephen allait à nouveau la prendre en charge, il allait forcément être mis au courant d'une façon ou d'une autre et elle ne voulait pas qu'il l'apprenne en lisant son dossier médical. "J'ai fait une fausse-couche, il n'y a pas si longtemps." confessa-t-elle dans un murmure, quasi honteuse. Bien qu'elle n'y pouvait rien. "Jamie était là, c'était la première fois qu'il était témoin de ... ça. Qu'il le voyait de ses propres yeux. Jamais je n'aurai voulu qu'il endure pareil instant. Il en a beaucoup souffert." Elle aussi. Autant physiquement que moralement. "J'ai l'impression que parfois, ça m'épuise, tu vois ? A force de les cumuler. Mais j'ai tellement envie d'avoir un autre enfant. Je sais que j'en suis capable, Daniel en est la preuve vivante. Et je sais que je peux tenir le coup et je n'ai pas envie de perdre espoir. C'est juste que..." Elle haussa les épaules, peinant à trouver ses mots. "J'aimerais juste que les fausse-couches s'arrêtent. Je donnerai n'importe quoi juste pour tomber enceinte normalement, avoir un accouchement normal." Malheureusement, Joanne n'y pouvait pas grand chose. Elle avait beaucoup de volonté et de détermination, sinon elle ne se risquerait pas à persévérer. Mais cela n'était pas suffisant pour empêcher l''interruption d'une grossesse pourtant si attendue. "J'essaie de ne pas trop y penser, de ne pas me focaliser dessus. D'un côté, heureusement que le boulot m'occupe pas mal l'esprit." On disait que certaines choses arrivaient lorsque l'on ne les attendait plus vraiment. Cela avait été le cas avec Daniel. Et elle ne voulait pas que son garçon soit fils unique. Jamie et elle rêvaient d'une famille nombreuse, c'était un objectif et ils avaient conscience qu'il y avait une probabilité que cela n'arrive jamais. Alors pour le moment, ils espéraient simplement que leur fils ait au moins un petit frère ou une petite soeur.
S'être muré dans le silence n'avait pas été l'idée du siècle, et Stephen s'en était voulu d'avoir laissé les lettres de Joanne sans réponse. Il avait bien essayé de lui écrire quelque chose en retour, mais ces tentatives n'avaient pas été une franche réussite, alors il avait abandonné l'idée. Lui dire que tout allait bien aurait été un mensonge, mais au contraire, dire que tout allait mal aurait sûrement causé plus d'inquiétude chez son amie qu'il ne l'aurait souhaité. C'était une sorte de cycle duquel il ne se serait sans doute pas encore sorti si Joanne ne s'était pas trouvée sur son chemin aujourd'hui. "Je m'en veux d'avoir pu te causer quelques inquiétudes. J'aurais du t'écrire en retour, mais ... ces derniers mois ont été plus compliqués que je ne l'aurais jamais imaginé." Car ce n'était plus seulement un deuil que Stephen devait affronter. Comme si se remettre de la perte de sa moitié n'était pas suffisant, ses anciens beaux parents avaient formulé un recours au tribunal pour récupérer la garde de la petite Anabel. L'annonce de ce procès avait suffit à réduire définitivement toutes les chances que le jeune père improvisé avait d'entrevoir la fin de ce cauchemar. Penser à la perte de la garde de la fillette lui semblait encore plus cruel que le décès de Rachel lui même. C'était une enfant si fragile et à laquelle il s'était déjà tant attachée qu'il ne pouvait s'imaginer vivre sans elle désormais. "Je... il faudrait que je te parle de quelque chose. Mais pas maintenant." avait il soufflé plus doucement. Stephen avait toujours eu un profond respect pour Joanne. Il aimait sa bienveillance, et son objectivité, alors lui parler du procès était sans doute une bonne idée, mais pour le moment il n'avait pas envie de gâcher ces belles retrouvailles par une nouvelle aussi triste.
L'entendre parler de son quotidien était rassurant, même s'il ne pouvait s'empêcher de se demander si elle était vraiment satisfaite de cette situation. Beaucoup de stress, de travail, et le petit Daniel qui devait certainement terminer de combler le peu de vides que laissaient leurs emplois, le couple que formait Jamie et Joanne semblait être soumis à tant de contraintes qu'il ne pouvait que s'inquiéter pour la petite blonde. Elle lui assurait pourtant que leur mariage était solide. Il n'en doutait pas. S'il y a bien une chose qui se lisait sur le visage de Joanne, c'était tout l'amour qu'elle portait pour la famille qu'ils avaient créée. "Vous avez tous les deux des jobs qui occupent une bonne partie de votre temps. Je ne suis pas un exemple en la matière, mais se déconnecter.. ça peut être une bonne chose de temps en temps. Pour ta santé également." Il avait hésité avant d'aborder ce sujet. Stephen avait beau ne pas être médecin, il n'en restait pas moins au courant de l’antécédent médical de Joanne. Il savait à quel point il lui était compliqué de concevoir un enfant, même s'il n'avait aucun doute sur le fait qu'elle soit déjà informée que le stress accentuait les risques de fausse couche. "Tu sais bien que ça ne me dérange pas de t'avoir comme patiente, au contraire. Ce sera l'occasion de te voir plus souvent." Et ce serait sans doute aussi l'occasion de parler. Parler n'était pas un exercice des plus simples, surtout lorsqu'il s'agissait de sujets aussi tristes que la perte d'une épouse ou d'un enfant à naître, il ne le savait que trop bien.
Après avoir marché quelques mètres, ils avaient trouvé l'endroit parfait pour prendre un café. Par chance, il n'y avait pas trop de monde et trouver une table au calme ne fut pas bien compliqué. Alors qu'ils s'installaient, Joanne avait avoué à mi-voix que quelque chose était venu perturber son mariage dernièrement : elle avait de nouveau perdu un bébé. Cette fois ci, Jamie avait été présent. Ça avait été un événement traumatisant, autant pour lui que pour elle. "Oh Joanne.." Stephen avait l'impression que le sort s'acharnait sur cette famille, comme si le destin avait décidé que les Keynes avaient déjà tout pour être heureux et qu'un enfant était superflu. Il trouvait cela injuste, tellement injuste. La petite blonde était une mère formidable, et une si belle âme. Il aurait aimé la rassurer, et lui dire que tout finirait par s'arranger un jour, mais la conception d'un bébé était si aléatoire et dépendait de tant de facteurs.. Joanne en était consciente, et c'était le principal. Elle savait que son tour viendrait, mais pour le moment elle semblait être à deux doigts de sombrer. "La nature est parfois cruelle. Souvent même. Mais laisse toi du temps, ne te mets pas trop de pression sur les épaules." Stephen prêchait un peu le contraire de ce qu'il avait fait ces derniers mois. Il avait noyé son chagrin dans le travail, s'était coupé du monde et avait totalement négligé son bien être pour surmonter sa peine. Aujourd'hui, et avec le recul, il savait que ce n'était pas la meilleure façon de faire. "Tu dois te détendre, te débarrasser de toute cette pression et laisser le temps faire son travail. Si ça peut t'aider, on peut programmer des séances de relaxation au cabinet. Les antiquités peuvent bien attendre un peu que tu sois parfaitement remise sur pieds. Tu as l'air d'être au bord du gouffre." Stephen s'inquiétait pour Joanne. Il savait que Daniel était un miracle, qu'elle et Jamie avaient traversé tant d'épreuves pour qu'il soit auprès d'eux. Cette seconde grossesse serait sans doute au moins aussi compliquée que la première, et il imaginait bien que c'était une foule de souvenirs douloureux qui refaisait surface pour le couple.
"Tu n'as pas à te sentir mal par rapport à ça." lui dit-elle d'une voix, dans l'espoir de faire disparaître ce début de culpabilité de sa tête. "Tu avais bien d'autres choses à faire, à penser, et à affronter. Je devais être le cadet de tes soucis." C'était plus fort que Joanne, de s'inquiéter pour les personnes qu'elle appréciait. Elle ne s'était pas sentie vexée de n'avoir aucune nouvelle, elle se faisait simplement du soucis. La petite blonde avait légèrement froncé les sourcils lorsque Stephen lui révéla qu'il désirait lui parler de quelque chose. Apparemment, ce n'était ni le bon lieu, ni le bon moment pour cela. Peut-être qu'il ne voulait pas en discuter parce qu'ils étaient dans la rue et qu'il y avait peut-être des oreilles bien trop indiscrètes qui traînaient, prêtes à se satisfaire du moindre ragot, du moindre soupçon de drame. "Quand tu voudras, dans ce cas." lui assura-t-elle avec un sourire plus franc. Rien ne pressait après tout, pas vrai ? Joanne était dotée d'une bonne écoute et d'une très grande patience. Attendre ne l'effrayait pas, alors le brun pouvait prendre tout son temps pour lui parler de ce sujet qui semblait sensible. Il était en revanche bien plus enclin à entendre Joanne parler de sa famille, de son emploi du temps particulièrement chargé. Des projets plein la tête, certes, mais peu de temps pour pouvoir les exécuter. Et à son tour, il ne pouvait pas s'empêcher de se faire de soucis pour elle, pour sa santé. "Nous n'avons pas vraiment le temps de nous déconnecter." admit-elle avec un sourire. Les soirs en semaine étaient quasi protocolaires, des habitudes dans lesquelles se glissaient quelques imprévus; L'un des parents qui rentraient plus tard que prévu, un petit garçon plus ou moins fatigué, des chiens qui pouvaient avoir fait quelques bêtises dans la maison. Mais tout tournait, et fonctionnait à merveille. Le seul hic était bien le fait que le couple ne pouvait pas avoir de véritable moment juste pour eux. Pour être véritablement tranquilles, il fallait peut-être être en dehors de la maison, avec quelqu'un pour veiller sur Daniel. Sauf qu'ils ne laissaient pas n'importe qui approcher leur petit trésor, quelle que soit la durée. Leur dernier restaurant remontait certainement au soir de leur mariage. Stephen semblait beaucoup miser sur ces fameuses séances de kiné. Peut-être qu'il avait besoin de quelque chose, en plus de la volonté de veiller sur Joanne, de prendre soin d'elle. Installés dans le café sur lequel ils avaient jeté leur dévolu, la petite blonde avait fini par avouer qu'elle avait du vivre, avec Jamie, une nouvelle fausse-couche un peu plus tôt dans l'année. Joanne avait alors ce vague sourire, ce haussement d'épaules peut-être un peu las. Elle n'y pouvait rien, personne ne pouvait faire quoi que ce soit. "Je n'ai pas vraiment le temps d'y penser, à vrai dire. Ce n'est pas un mal, d'avoir des journées chargées dans ce cas." lui assura-t-elle. "Et pour quand j'y pense, je suis plutôt du genre à espérer que la prochaine fois sera la bonne, plutôt que de m'attarder sur les précédents échecs." Car oui, Joanne voyait chaque fausse-couche comme une sorte d'échec. C'était plus fort qu'elle, ce fond de sentiment de culpabilité qui refaisait surface à chaque fois. "Je sais que j'en suis capable." dit-elle en regardant dans le vide pendant quelques instants. "Mais ce dont j'ai l'impression, c'est de ne pas avoir de temps. Je ne parle pas de nos semaines chargées. C'est plus... par rapport à mon âge." C'était là sa principale inquiétude. "Tout le monde me dit, mais tu es encore jeune, Joanne. Mais quand tu vois le temps que ça a pris pour avoir Daniel, finalement non, je n'ai pas tant de temps que ça. Et il viendra un moment, bien plus vite qu'on ne puisse l'imaginer, où ça ne sera absolument plus possible." Elle haussait les épaules, avec cet air qui disait "c'est la vie". Alors oui, peut-être que cela devenait quasiment une obsession pour elle. Jamie et elle désiraient une famille nombreuse, Jamie rêverait d'avoir une fille. Elle aussi. Désormais, ils réduisaient leur désir à faire au moins en sorte que Daniel ne soit pas fils unique.Cette pression que Joanne se faisait toute seule, Stephen l'avait bien remarqué. Il mettait même le doigt bien dessus. Elle esquissa un sourire triste. L'idée des séances étaient particulièrement tentantes cela dit. Elle se demandait si Stephen retrouvait un certain réconfort à soigner les maux des autres, afin de peut-être chercher à soigner les siens. Le regard de Joanne se fit déjà plus reconnaissante. "Nous pourrions essayer, oui." dit-elle finalement. Ca allait lui coûter quelques séances, écourter quelques pauses déjeuner durant la semaine. C'était le seul créneau qu'elle se permettait. Le soir, elle avait beaucoup à faire et elle consacrait ses weekends à Jamie et Daniel. "Ca devrait être à quelle fréquence, ces fameuses séances dont tu me parles ?" lui demanda-t-elle, en quête de conseils et d'informations. Elle se sentait prête à prendre un peu de ce temps, si cela lui permettait un peu d'alléger ses épaules, ou rien que de penser à autre chose. Joanne rêvait de revivre une grossesse, la maternité. Il y avait eu quelques tracas, certes, mais à côté du bonheur qu'elle vivait, c'était trois fois rien. "Mais ça ne va pas m'empêcher de trouver ce que je veux chez les antiquaires, tu le sais bien." dit-elle dans un rire. Joanne était têtue. Elle avait une idée en tête, elle s'y tenait jusqu'à trouver satisfaction. "Ce poste que j'ai, m'offre bien plus de possibilités que je n'en ai jamais eu et je compte bien en profiter. Ca aussi, je sais que j'en suis capable. Et puis, ça me fait sentir un petit peu aventurière. Ce n'est pas si mal que ça." dit-elle, dans le but de le rassurer. Joanne allait bien. "J'en ai besoin, Stephen." Joanne se sentait depuis l'année passée plus libre de ce qu'elle faisait, elle avait compris qu'elle pouvait faire de grandes choses. Même si les chemins n'étaient pas toujours faciles, elle y parvenait avec brio. Alors pourquoi pas cette fois-ci ? "Tout autant que j'ai besoin de Jamie, de Daniel, de ma maison, de ma famille." C'était ce tout qui la rendait heureuse. "Et peut-être que j'ai effectivement besoin de ces séances." Mais elle ne voulait pas que cela empiète de trop sur ce projet professionnel qu'elle s'est fixée toute seule. Malgré tout, Joanne venait à se demander s'il ne se focalisait pas un petit peu trop sur ce récent drame pour occulter ses propres soucis. Elle trouvait cela un peu louche et supposait que ça devait être en rapport avec ce dont il désirait lui parler une autre. La serveuse arrivait enfin prendre commande : Joanne, ne buvant pas de café, opta pour un thé. Elle laissait ensuite Stephen choisir et la serveuse repartir avant de reprendre. "Nous profiterons de ces moments là pour que tu me parles de ce qui a l'air de tant te tracasser." lui suggéra-t-elle. "Je veux juste que tu ne te fasses pas trop de soucis pour moi non plus. J'accepte volontiers ton aide, et je t'en suis reconnaissante, mais il faut aussi que tu penses à toi, et à Anabel. Nous avons chacun nos tracas et notre manière de les gérer. Mais malgré ça, je t'assure que je vais bien. Mieux que je ne l'ai été depuis très longtemps." Elle posa délicatement sa main sur la sienne, captant son regard afin qu'il comprenne bien le sens de ses mots. Stephen avait déjà beaucoup de choses à gérer, et cela pesait très lourd ses épaules, c'était évident. Il ne fallait pas qu'il s'encombre des soucis de Joanne, alors qu'elle avait son mari et un entourage – dont Stephen faisait partie– qui était prêt à la soutenir. Elle savait que le brun était plus isolé qu'elle. Et elle espérait que ces retrouvailles permettent de lui faire voir une issue, un brin de lumière dans une brume dans laquelle il semblait s'être perdu dès qu'il avait perdu sa femme.
Stephen ne savait pas exactement comment aborder le sujet du procès avec Joanne. Il avait besoin d'avoir un avis extérieur, et pourtant aucune envie de s'épancher davantage sur cet événement qui l'empêchait de dormir convenablement depuis près de six mois. C'était douloureux. Il était terrorisé à l'idée qu'on puisse lui retirer sa petite tête blonde, Anabel était tout ce que Rachel lui avait laissé. Pour lui ce procès équivalait à remettre en cause sa capacité à être le père d'une enfant qu'il chérissait plus que tout au monde, et plus la date de l'audience approchait, moins ses réactions devenaient cohérentes. La peur avait pris le contrôle et il était en roues libres, s'imaginant mille scénarios tous plus terribles les uns que les autres. Les parents de Rachel ne vivaient pas à Brisbane, ils louaient un appartement en ville le temps du procès, mais s'ils venaient à obtenir la garde d'Anabel ils retourneraient à Comburra. Stephen n'était pas certain qu'il surmonterait cette option. "J'aimerais juste avoir ton avis sur quelque chose" avait il dit pour minimiser l'importance de la chose. Il ne voulait pas faire de suspens inutile, simplement attendre le bon moment, même si d'un autre côté, il lui était aussi beaucoup plus simple de parler de Joanne. C'était une façon un peu maladroite de se focaliser sur autre chose que son propre quotidien chaotique sur lequel il y aurait pourtant beaucoup à dire. Depuis la mort de Rachel, il s'était déjà passé tant de choses. Réapprendre à vivre seul n'avait pas été un exercice facile. Les journées s'étaient enchaînées comme autant de nouvelles épreuves. C'était épuisant physiquement et psychologiquement mais il ne doutait pas qu'un jour il réussirait à tourner la page sur cet événement tragique. Pour le moment il tentait déjà d'évoluer dans cette nouvelle vie qu'il ne connaissait pas tout à fait, et c'était déjà un énorme travail. "Deux semaines à Bali, sans téléphone, dans un super hôtel où le bar se situerait directement dans la piscine" suggérait il en esquissant un sourire. "Je te l'accorde, ce n'est pas aussi époustouflant que la circulation dense et la météo grisonnante de Brisbane mais que veux tu, ton bien être avant tout." haussant doucement les épaules, il était venu prendre l'une des deux cartes qui était disposée sur leur table avant qu'une serveuse ne vienne prendre leur commande. "Plus sérieusement, tout va bien finir par se mettre en place un jour. Ce n'est qu'une question de temps, tu dois continuer d'y croire. Tu t'épanouis dans ton job, Daniel est en bonne santé, tu t'es mariée cette année.. les beaux événements sont plus nombreux que les mauvais. Et puis, qu'est ce que tu dis la... tu es encore jeune. Tu as au moins quinze ans devant toi. Je sais que tu préférerais que la différence d'âge entre ton petit bout et ce bébé soit réduite, mais malheureusement ce n'est pas toi qui décide. Tu dois avoir confiance." Il tenait du bout des doigts la petite fiche plastifiée sans pour autant la consulter, c'était un réflexe inutile de l'avoir pris. Stephen avait ses habitudes, et chaque fois qu'il essayait de déroger au traditionnel café filtre, c'était un massacre. Les fantaisies n'étaient pas pour lui. Finalement, la serveuse était revenue. Joanne avait commandé un thé, et lui un café noir. Ce sont des étirements, des exercices de respiration. Tu peux même le faire de chez toi. Je peux te montrer quelques enchaînements, et te prêter du matériel à l'occasion. Tant que tu fais bien attention à ne pas te faire mal au dos." D'aussi longtemps qu'il s'en souvienne, Stephen avait toujours baigné dans l'univers de la médecine douce, persuadé que certaines pathologies étaient davantage lié à un mal être qu'à un réel problème moteur. Sa mère enseigne le Yoga depuis presque trente ans, tout comme sa tante et sa cousine, une affaire de famille en somme. En tant que kinésithérapeute, il ne pouvait qu'approuver cette discipline qui alliait respiration et renforcement musculaire, c'était l'idéal pour dénouer les tensions et se ressourcer. Il s'était d'ailleurs beaucoup inspiré des cours qu'elles dispensaient pour le cabinet, qui proposait certes une atmosphère bien moins feutrée et zen que celles des studios de Yoga, mais qui permettait de travailler davantage en profondeur. "Ce n'est pas miraculeux, mais prendre du temps pour toi et pour écouter ce que te dit ton corps ne peut que te faire du bien." Ce conseil, Stephen aurait visiblement besoin de se le donner à lui aussi. Joanne avait vu juste en lui rappelant de penser aussi à sa petite famille, de passer du temps avec Anabel. La petite blonde l'avait rassuré en lui disant qu'elle se sentait bien mieux maintenant qu'à une certaine époque. C'était sûrement lui qui projetait sa propre détresse sur les autres, qui voyait la catastrophe arriver partout autour de lui. Lorsque Joanne avait posé sa main sur la sienne, il avait relevé le regard vers elle, et soudainement la nervosité était revenue. "Les parents de Rachel réclament la garde de la petite" avait il soufflé. "Ils veulent me la prendre. Je ne supporterais pas de la perdre elle aussi." Stephen avait beau être confronté à la préparation du dossier qu'il défendrait devant le juge quotidiennement, en parler était une autre paire de manches. Jusqu'à présent, sa vie de famille n'avait été qu'un gigantesque échec. Il n'avait pas réussi à sauver Rachel, il était sur le point de perdre Anabel.. quel genre de mari avait-il été en fin de compte ?
La jeune femme était confiante, par rapport à Stephen. Elle n'avait aucun doute sur le fait qu'il allait s'en sortir. Il s'en sortait déjà bien, d'ailleurs. Bien d'autres se seraient laissés sombrer des mois durant après le décès de sa propre moitié. Le fait qu'il ait Anabel l'avait énormément aidée. Cette petite comptait sur lui et lui comptait sur elle. C'était toujours incroyable, l'énergie que ces petits bouts de choux transmettaient sans le savoir à ses parents. Ceux-ci étaient alors dotés d'une force inimaginables. Joanne pourrait bouger des montagnes si cela était pour le bénéfice de son fils. L'année passée, elle s'était surpassée pour pouvoir lui offrir une vie heureuse, un quotidien qui lui correspondait et où il pouvait s'épanouir jour après jour. C'était au fond grâce à lui, qu'elle avait pu voir ce dont elle était capable. Joanne s'était redécouverte et cela lui avait fait le plus grand. Elle fronçait légèrement les sourcils lorsque son interlocuteur avouait qu'il devait demander son avis pour quelque chose. La petite blonde parvenait à donner des conseils. Il y avait des choses pour lesquelles elle restait campéee sur sa position; c'était le cas surtout quand c'était très personnel. Lorsqu'il s'agissait des autres, elle tentait de leur faire voir son propre point de vue sans avoir d'avis trop tranchés. Elle leur donnait simplement plus d'éléments sur lesquels se pencher, peut-être des idées qui n'avaient pas encore été abordés jusque là, afin d'élargie l'éventail des possibilités, et ainsi permettre toute une palette de choix dans laquelle il sera peut-être plus facile de prendre une décision. Elle acquiesça ensuite d'un signe de tête, ne désirant pas insister sur le sujet. Stephen allait lui en parler quand il en aurait envie, elle ne voulait pas le forcer à quoi que ce soit. "Tu devrais te les permettre toi, ces deux semaines de vacances." proposa-t-elle avec un sourire malicieux. "Permets-toi cette pause, va voir un peu du pays avec la petite Anabel, allez en prendre plein les yeux." Cette idée de vacances était brillante et Stephen devait s'y plonger plus sérieusement. "Peut-être pas à Bali, mais quelque part d'autres en Australie, ou un peu plus loin de Brisbane. Pas besoin d'aller bien loin, à partir du moment que c'est dépaysant." A force d'en parler, la suggestion lui semblait de plus en plus brillante et surtout adaptée pour le jeune homme et sa fille. "Sérieusement, fais-le, Stephen. Même si c'est qu'une semaine, ou un weekend prolongé. Mais décrocher un peu te ferait aussi certainement de bien, à n'en pas douter." insista-t-elle, avec certitude. Cela l'aiderait à aller mieux. Au même moment, Joanne se rappelait que son mari et elle n'avaient jamais véritablement parlé de l'arrêt cardiaque de Jamie. Il s'était remis en selle, il travaillait d'arrache-pied, son quotidien et sa vie étaient désormais plus que bien construits. Pendant longtemps, Joanne avait pensé que s'il avait besoin d'en parler, il viendrait vers elle. Elle avait tendance à oublier que lui aussi, intériorisait beaucoup. Il devait voir cet incident comme un signe de faiblesse, et même s'il acceptait de montrer une partie de sa vulnérabilité à son épouse, il n'en fera jamais part entièrement. Joanne avait décidé, quelques temps plus tôt, de trouver un moment pour en discuter, là où ils pourraient avoir le temps d'en discuter tranquillement, sans être dérangé par qui que ce soit. La communication n'était pas vraiment le point fort de ce couple et ils avaient tous les deux convenus de faire le plus d'efforts possibles. Si seulement ils avaient un peu plus de temps pour eux. Joanne avouait être un brin déçue en constatant que Stephen faisait partie de ceux qui lui disaient qu'elle était encore jeune pour avoir d'autres enfants. Certes, elle avait encore quelques années devant elle, mais si l'on se rappelait le temps pour n'avoir qu'un seul enfant, sachant qu'après son mariage avec Hassan, elle avait également essayé. Elle aurait bien aimé que quelqu'un la comprenne sur ce sentiment parfois un peu oppressif pour elle. Elle força un sourire, acquiesça d'un signe de tête sans dire mot. Elle ne voulait plus vraiment en parler. "Ca vaut le coup d'essayer, au moins." dit-elle alors par rapport à ces fameuses séances de relaxation. Joanne était volontaire et s'ouvrait bien plus aux nouvelles activités ces dernières semaines. Elle voyait bien plus de monde, élargissait son entourage. Elle s'en sortait plutôt bien, pour quelqu'un de réservé et de timide. Après un long moment de silence, Stephen abordait un sujet bien plus déroutant. La petite blonde supposait qu'il s'agissait de ce dont il voulait parler durant une autre occasion. Il semblerait qu'il ne voulait plus le garder pour lui plus longtemps. Joanne le regardait d'abord d'un air désolé. Puis, il y avait de l'incompréhension. "Et sur quoi se reposent-ils pour demander la garde ?" demanda-t-elle, bien perplexe. Elle fronçait les sourcils, se doutant qu'il lui manquait beaucoup d'éléments avant de pouvoir juger quoi que ce soit. "Tu n'es pas en bon terme avec eux ?" Il était quasi évident qu'ils ne devaient pas particulièrement s'entendre pour générer ce genre de tension. "Je... Je ne comprends pas leur manoeuvre, à vrai dire." Certes, tout grand-parent cherchait à chérir et espérer le mieux pour ses petits-enfants – quoi que les parents de Joanne n'étaient pas un véritable exemple à ce sujet dernièrement. Mais de là à demander la garde alors que l'un des parents était encore en vie. "Tu ne la perdras pas." lui dit-elle avec certitude. "Tu as fait tes preuves ces derniers mois, Stephen. Ca n'a pas été facile, tu as eu besoin de coups de main de temps en temps. Celui qui n'a pas besoin d'aide doit certainement être un robot. Tu as jonglé entre ton deuil, ton boulot, et Anabel. Le juge verra ça. Si tu as besoin d'un témoignage de ma part, je suis là." Joanne n'osait imaginer ce que sa vie serait si quelqu'un osait lui prendre Daniel. Il suffisait de se rappeler de la fois où Jamie avait insinué qu'elle était une mauvaise mère. Il avait eu droit, ce jour-là, à la seule gifle que Joanne ait pu lui faire. Pour une femme que l'on mettait très difficilement en colère, il s'agissait d'une sorte d'exploit. "Tu as une situation stable avec ton boulot, tu as une maison qui convient parfaitement à la petite. Je ne vois pas pourquoi on te la retirerait." affirma-t-elle avec détermination, les sourcils légèrement froncés. A moins que Stephen ne lui avait pas tout dit par rapport à sa situation. A peine quelques secondes plus tard la serveuse arrivait avec les boissons chaudes commandées. Joanne, en toute spontanéité, lui tendit un billet pour régler la note, et la petite différence qu'il y avait faisait office de pourboire. Comme ça, ils n'avaient pas à s'en soucier durant le reste de leur conversation.
Stephen se sentait nerveux à l'idée de connaître l'avis de Joanne sur le procès. Il savait pertinemment qu'il n'avait aucune raison de l'être, mais c'était plus fort que lui. L'opinion de la petite blonde comptait aux yeux du jeune papa. Depuis qu'ils se connaissaient, elle avait toujours montré qu'elle était une femme réfléchie, raisonnée. Son point de vue était toujours cohérent, alors dans l'hypothèse où elle venait à lui dire que les parents de Rachel avaient raison de réclamer un droit de regard sur Anabel, sa confiance en lui en aurait sûrement pris un coup. Stephen entretenait une relation particulière avec ses anciens beaux parents. Le couple avait toujours considéré son mariage avec leur fille comme un replâtrage. Ils ne s'étaient jamais investis dans leur vie, et encore moins dans celle de la petite. Au delà de la peur, c'était surtout de l'amertume que le brun ressentait à ce sujet. En parler lui ferait le plus grand bien, mais peut être pas pour le moment. Il avait rapidement reporté son attention sur Joanne, lui soumettant l'idée de prendre des vacances amplement méritées. En retour, c'était elle qui lui avait suggéré que quelques jours loin de Brisbane lui feraient le plus grand bien. Cette remarque l'avait fait sourire : il n'avait songé à quitté l'Australie qu'une fois au cours de sa vie, et c'était justement en début d'année, quelques jours après le décès de Rachel. Ce n'est pas le genre d'homme passionné par le voyage. Il n'avait pris l'avion qu'une fois dans sa vie pour faire le trajet de son Irlande natale à Bisbane, et depuis plus rien. Il avait grandi et trouvé son équilibre à Brisbane, mais quand sa femme est partie, cet équilibre s'était brisé net. Fuir était une option alléchante pour noyer sa peine, mais il s'était rapidement raisonné. Tout abandonner n'aurait rimé à rien, alors il était resté. "Je n'ai pas mis un orteil en dehors de ce pays depuis vingt trois ans. Ce n'est pas prêt de changer." fît il avec un petit rire. "Mais je garde l'idée sous le coude, pour plus tard, quand Annie sera un peu plus grande. Quand tout sera derrière nous pour de bon." Stephen espérait secrètement que sa fille serait plus aventurière que lui à l'âge adulte, mais pour le moment, à tout juste quatre ans, il fallait encore attendre un peu pour que ce trait de caractère se développe. "Je suis certain qu'avec l'arrivée de l'assistante au cabinet j'aurais plus de temps libre pour qu'on puisse se retrouver. En attendant on se balade sur la côte aussi souvent que possible, on va au parc.. J'essaie d'optimiser au maximum le temps que nous passons ensemble, et ça suffit à me déconnecter pour l'instant." Les moments que le jeune trentenaire passait avec sa petite tête blonde étaient précieux, d'autant plus qu'ils se faisaient de plus en plus rare maintenant que le juge avait provisoirement accordé à ses anciens beaux parents un semblant de garde alternée, mais rapidement ce n'était plus le sujet. La difficulté qu'avait Joanne à concevoir était un vrai problème, mais à ses yeux, comme à ceux de ses proches visiblement, elle était encore jeune. Il ne savait pas avec exactitude combien de temps avait été nécessaire pour accueillir le petit Daniel, ils n'en avaient jamais parlés, c'était un sujet délicat après tout, mais pour lui, elle était une femme en pleine santé. La génétique ne jouait pas en sa faveur c'était indéniable, mais elle avait encore de nombreuses années devant elle avant d'être infertile. Stephen comprenait sa déception, alors il n'avait pas cherché à relever davantage. La nature prendrait le temps qu'il lui faudrait, en attendant, tant qu'il pouvait l'aider il le ferait. "Tu ne pourras pas regretter de ne pas avoir essayé au moins." Stephen croyait dur comme fer aux bienfaits sur l'organisme de la relaxation. Bien respirer aider à se remettre les idées en place, prioriser, prendre du recul sur les événements. Ce n'était pas une recette miracle, mais ce ne pouvait faire que du bien à la jeune maman. Quelques secondes de silence s'étaient installées ensuite. Il n'y avait pas grand chose à dire de plus sur les séances après tout, et finalement le brun avait senti qu'il était temps de parler de ce qui lui rongeait les sangs depuis quelques mois. A cette annonce, Joanne semblait d'abord désolée, et puis finalement, l'incompréhension l'avait gagnée. "Je ne l'ai pas adoptée. Quand on a su pour le cancer... ça n'a pas été dans nos priorités. On pensait pouvoir surmonter ça. Je pensais qu'elle pouvait y survivre." Stephen ne s'en voudrait jamais assez d'avoir été si naïf. Rachel avait su se résoudre bien avant son mari que la bataille qu'elle menait n'avait qu'une issue possible. Le mal était trop agressif, mais il n'en avait fait qu'à sa tête. "Ils ont le droit légalement. Mais ce qui me tue, c'est que ses parents n'ont jamais été présents. Pour eux Rachel était une ratée depuis le jour ou elle leur a annoncé qu'elle était enceinte et que ce bébé n'avait pas de père. Ils n'étaient pas la à notre mariage, et c'est tout juste si Anabel reçoit une carte pour son anniversaire." répondit il. A sa façon d'en parler, on sentait bien que le jeune homme contenait beaucoup de rancoeur envers ses beaux parents. Stephen avait beau être quelqu'un de très pacifique, le mal qu'ils infligeaient à la famille que son couple construit était de moins en moins supportable, et l'annonce de ce procès était la goutte de trop dans cet océan de méchancetés. "Nous n'avons pas fait les papiers pour l'adoption." répétait il, comme pour se rappeler avec amertume de l'énorme bêtise qu'il avait fait. "Je ne comprends pas pourquoi ils réclament la garde. Sûrement pour lui faire du mal une dernière fois. Pour montrer à Rachel à qu'ils élèveront la petite sans l'avoir pour exemple." Il secouait doucement la tête. Toute cette histoire n'était qu'un gigantesque cauchemar duquel il ne voyait pas le fond. Joanne avait beau le rassurer sur ce point il avait pourtant du mal à croire qu'une issue positive pourrait résulter de cette lente descente aux enfers. "J'aurai sûrement besoin de témoignages, mais je ne veux pas t'embêter avec ça. Pour le moment nous n'en sommes qu'au début. Une enquête sociale est en cours, je te donnerais des nouvelles." lui répondit il en esquissant un sourire. Joanne avait toujours été quelqu'un sur qui il pouvait compter. Déjà lorsque Rachel était tombée malade et qu'il peinait à y voir clair entre le travail, l'hôpital et la maison elle avait été un soutien de taille. En dehors de tout ce qu'elle avait pu lui apprendre sur le fonctionnement de l’électroménager, la petite blonde avait su lui changer les idées à une époque où rien n'était simple. La revoir aujourd'hui lui faisait le plus grand bien, et pouvoir se confier le soulageait plus qu'il ne le pensait. Stephen avait tendance à minimiser ce qu'il ressentait pour faire passer le bien être des autres avant, et en l’occurrence, depuis l'annonce du procès, sa peur de perdre Anabel passait avant tout. "Je ne sais pas faire cuire un plat sans le brûler, j'arrive toujours en retard à l'école et... enfin, je ne suis pas son père." soufflait il. Nul doute que les parents de Rachel joueraient sur ce point. Pour eux le jeune homme n'était rien de plus que le dernier amant en date de leur fille. Ils étaient loin de se douter que pour Stephen, son mariage et l'arrivée de la petite Anabel avaient bouleversé son existence. Un tintement de porcelaine l'avait tiré de ses réflexions : la serveuse avait amené leur commande sur un plateau qu'elle avait disposé devant eux. Avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, Joanne avait déjà réglé la note pour eux deux. "Merci, la prochaine fois ce sera pour moi." lui avait il dit en esquissant un sourire. Il y en aurait sûrement une autre d'ailleurs. Stephen n'était pas au bout de ses peines avec cette histoire, et se confier lui faisait le plus grand bien.
"Tu sais, il n'y a pas besoin d'aller bien loin pour se sentir dépaysé." renchérit Joanne avec un sourire discret. "Mon mari et moi avions cette maison de campagne, à deux heures à peine de Brisbane, isolée de tout. Nous nous y rendions chaque weekend où nous étions disponibles, et nous étions coupés de tout. Du monde, du travail, c'était un détachement total qui nous faisait à chaque fois le plus grand bien." Parce que s'ils restaient à Brisbane, ABC contactait Jamie sans se soucier de l'heure ou du jour à laquelle ils l'appelaient. Il mettait souvent son téléphone sur silencieux, à l'époque, et se sentait parfois obligée d'y répondre. Une fois dans leur maison de campagne, il laissait le téléphone de côté, qu'importe l'hécatombe qu'il pouvait y avoir dans les studios. Il consacrait deux jours entiers à sa famille. Cette règle était toujours d'actualité. En semaine, ils n'avaient pas vraiment le temps. "Tu peux voyager et changer d'air tout en restant dans le pays. Parfois, ça aide à faire preuve de discernement. S'éloigner un peu de son quotidien fait du bien, qu'importe l'âge d'Anabel." Elle était peut-être encore un peu petite pour se faire de précieux souvenirs, mais elle serait heureuse de passer du temps avec Stephen et de découvrir de nouveaux paysages, de nouveaux jeux... La petite blonde espérait qu'ils finissent par s'accorder ce temps là. Joanne adorerait avoir ne serait-ce qu'une semaine de vacances avec son mari et son fils, mais elle ignorait quand elle pouvait demander à son supérieur d'avoir une journée de congés. Depuis l'année passée, elle n'osait pas vraiment aborder ce sujet. Pourtant elle y avait droit, comme tout le monde. Elle croyait Stephen lorsqu'il disait qu'il parvenait à être détaché de son quotidien en passant son temps libre avec Anabel, mais elle se demandait si c'était suffisant. Le sujet des grossesses de Joanne passés, Stephen abordait un autre sujet, tout aussi délicat. La jeune femme ne comprenait pas en quoi les grands-parents d'Anabel pouvait obtenir sa garde. Et comme elle l'avait imaginé, il lui manquait grand nombre d'informations. Joanne ignorait tout ce qui pouvait concerner l'adoption – car elle ne voulait pas envisager cette option pour elle. L'attitude des grands-parents lui faisait froncer les sourcils. Ils semblaient bien hypocrites, à s'intéresser soudainement à la fillette, alors qu'ils ne s'en souciaient guère auparavant. Comme s'ils cherchaient à troubler tout le monde. A moins que le décès de Rachel ne leur ai fait réaliser quelques évidences qui ne devraient pas être oubliées si facilement. "Et... Rachel n'a pas fait une sorte de testament, à ce sujet ?" se risqua-t-elle à demander. "Une note, quelque part, où elle dit clairement qui doit avoir la garde d'Anabel ?" L'administration n'était une partie de plaisir pour personne, encore moins lors de situations si étriquées et complexes. Toutes les pistes étaient bonnes à prendre. Stephen n'était véritablement pas optimiste, ne voyant que le mal dans ce qu'il faisait au quotidien. "Mais tu es là quand elle en a besoin. Tu as ton deuil à gérer et une petite fille sur les bras qui doit comprendre que sa mère ne reviendra pas. Ca te fait deux deuils à gérer, avec une maison, un emploi. Alors oui, il y a quelques tares, mais tu es ouvert à l'apprentissage. Tu as conscience de ce que tu dois améliorer, et parfois, ça prend énormément de temps. Mais tu en as conscience." L'encourager était une tâche bien difficile. "C'était toi qui était là ces derniers mois, pour elle, rien que pour elle. Pas eux." Joanne pensait être une bonne mère. C'était l'une des très rares choses qu'elle regardait d'un air plutôt critique. Elle se remettait en question justement et tenter de s'améliorer au possible pour être le plus juste possible en matière d'éducation et d'épanouissement. "Je pense qu'elle te voit comme un père. Tu es celui qui est là dans son quotidien. S'il y a des ratés, elle te le pardonnera. C'est bien plus compréhensif qu'on le pense, un enfant. Et particulièrement tolérant aussi." lui assura-t-elle. Elle parlait d'expérience. Daniel avait été des plus adorables l'année passée, alors qu'elle avait tout à gérer toute seule. "Le plus important, c'est qu'il faut que tu t'accroches. La cuisine ça s'apprend, les faux pas aussi. Je pourrai revenir à l'occasion pour te montrer d'autres repas simples et sains à faire si tu veux, si ça peut t'aider. Il faut que tu aies confiance en ce que tu fais." Joanne devrait sérieusement prendre note de ce conseil parce qu'elle n'était vraiment pas un exemple en la matière, elle le savait bien. Joanne avait payé leur consommation et son ami comptait bien rendre la pareille à la prochaine occasion. "Avec grand plaisir." s'enthousiasma-t-elle. Joanne regardait sa montre. Elle ne pouvait pas non plus s'éterniser trop longtemps avec son ami, devant bien retourner au travail à un moment ou à un autre. Mais elle était déjà bien heureuse de l'avoir revu et de renouer un petit peu avec lui. Elle but quelques gorgées de sa boisson chaud, qui avait eu le temps de tiédir un peu depuis que ça avait été servi. "Et surtout, n'oublie pas que si tu as besoin d'aide, tu peux faire appel à moi." Joanne l'avait déjà dit plusieurs. Elle savait que Stephen ne voulait pas trop déranger, sachant qu'elle avait aussi une vie de famille à gérer. Il n'avait pas besoin d'une présence quotidienne, juste d'un petit coup de pouce, de temps en temps.
Depuis qu'il était à Brisbane, Stephen n'avait pas vu les années passer. Il n'avait jamais ressenti le besoin d'aller ailleurs, cette ville était la sienne. Il en connaissait chaque rue, chaque particularité, c'était son équilibre et il ne l'aurait quitté pour rien au monde. De son enfance en Irlande il ne retenait que la fraîcheur et l'humidité, c'était sûrement pour ça que le voyage ne l'inspirait pas plus que ça, mais malgré tout, les alternatives proposées par Joanne avaient au moins le mérite d'être envisagées. "Tu crois que ça ira avec la petite ? Je veux dire... " cesse d'avoir peur Holloway "Je crois que je lui dois bien ça. Je me dois bien ça, peut être aussi. Nous déconnecter, être tous les deux." Ce serait la première fois qu'Anabel et lui seraient coupés du monde, sans avoir l'impression d'être épié par ses beaux parents, par un juge, par la terre entière. Ils méritaient ce repos, et soudainement, ce voyage semblait être la meilleure idée sur terre. "Je te promets d'y songer" lançait le brun avec un petit sourire alors qu'il faisait doucement tourner sa tasse entre ses doigts, attendant que le café brûlant refroidisse. C'était un tic, mais aussi une façon de chasser la nervosité. Stephen était quelqu'un qui ne savait pas dissimuler ses émotions. Et en ce moment, être nerveux faisait partie de son quotidien. Le combat qu'il avait mené avec Rachel l'avait épuisé. Apprendre à être un père célibataire avait ajouté davantage de fatigue sur ses épaules, et l'annonce du procès avait suffit à faire s’effondrer toute la confiance qu'il pouvait s'accorder. Il était à bout de nerfs. "Non. Notre mariage est le seul lien administratif qui nous relie. Qui nous reliait." répondit il. Le jeune homme était conscient que Rachel et lui auraient du en faire plus, bien plus. C'était idiot, de s'être risqué à croire que la situation n'évoluerait pas dans ce sens. Même si au fond, il savait pertinemment que s'il n'avait rien fait, c'est parce qu'il pensait que Rachel survivrait. Il avait fait une sacré erreur en agissant ainsi, alors ce qui est sûr, c'est qu'il se battrait pour Anabel. Il ne laisserait pas ses propres erreurs détruire l'enfance de cette fillette qu'il aimait tant. "J'espère sincèrement qu'elle ne m'en tiendra pas rigueur Joanne. Rachel était bien plus douée que moi avec elle." le brun esquissait un sourire amer. Il savait bien qu'il devait avoir foi en l'avenir, mais c'était loin d'être un exercice évident. Encore une fois, le temps devait faire son travail. Attendre encore et encore faisait partie de son lot quotidien maintenant. "Je n'oublie pas. On s'appelle, de toute façon." La petite blonde avait été plus rapide que lui à terminer sa boisson. Elle avait de nombreux antiquaires à visiter après tout. "Je ne te retiens pas, j'ai encore un peu de temps devant moi avant mon prochain rendez vous." lança t-il avec un petit sourire. " A bientôt Joanne" Il avait été content de la voir aujourd'hui. Parler de ce qui le tourmentait lui avait fait du bien en fin de compte. S'enfermer le chagrin toutes ces semaines n'avait pas été si bénéfique.