I know what runs through your blood, you do this all in vain, because of you my mind is always racing and it gets under my skin to see you giving in. And now your trip begins, but it's all over for, it's all over for you, when you're on the edge and falling off it's all over for you. ☆☆☆
« C'est hors de question. » Telle avait été la première réaction de Tommy lorsque sa sœur aînée avait plaidé la cause de Marius et demandé son autorisation. Pas besoin de réfléchir, pas la peine de tergiverser, leur frère voulait voir Moïra mais leur frère pouvait surtout aller au Diable. Et Beth pouvait bien tenter d’arrondir les angles et de rattraper la bêtise d’avoir annoncé dans la même phrase que le fils prodigue était de retour au bercail ET qu’il demandait à voir sa nièce, le mal était déjà fait et rien de ce qu’elle avait ajouté ensuite n’avait suffit à faire changer Tommy d’avis, ou même à calmer la colère muette qui s’était aussitôt emparée de lui. Une colère qui à peine Beth repartie s’était muée en une angoisse profonde, tandis que des dizaines de scénarios catastrophe défilaient dans sa tête et qu’il s’imaginait déjà assis dans un tribunal à devoir défendre le droit d’élever sa fille. Il n’en avait pas dormi de la nuit, et c’est finalement des valises sous les yeux et avec une migraine bien installée qu’il avait conduit Moïra à l’école le lendemain matin. Au chapitre des relations fraternelles foireuses il était allé quémander les conseils de Lene, aussi calée que lui en aîné(e) qui pourrissait la vie, et presque rassuré de savoir que quelqu’un d’autre que lui trouvait qu’il y avait matière à se méfier et qu’il ne sombrait pas simplement dans la paranoïa, il avait passé les jours suivants à éviter toute tentative de discussion avec Beth et à craindre de voir Marius débarquer purement et simplement à l’appartement. À Beth s’était rapidement ajoutée leur mère, dans des formules plus accusatrices et moins diplomates, mais aussi plus culpabilisantes, et lorsqu’était arrivée la fin de la semaine Tommy en était tout bonnement réduit à vouloir que tous les Warren lui fichent purement et simplement la paix. Et puis, presque sournoisement, sa dernière discussion avec Matt lui était revenue en tête et l’avait fait douter. Matt qui avait merdé avec Ginny et qui regrettait, Matt qui vivait mal d’être privé de voir son neveu grandir, Matt qui n’avait pas un mauvais fond même dans les plus grosses de ses conneries. Et Moïra qui, du haut de ses neuf ans fêtés moins d’un mois avant, n’était plus la toute petite fille qu’il avait dû réapprivoiser à son retour deux ans et demi plus tôt, et que Tommy avait finalement choisi de consulter au moment de la mettre au lit. « C’est comme toi as envie. » lui avait-il assuré d’un ton doux, tout en l’aidant à défaire ses nattes avant de se glisser sous la couette. « Peu importe ce que tu décides, ni moi ni ton oncle Marius ne seront fâchés contre toi. » Et voilà comment il avait été décidé que la fillette passerait une après-midi avec son oncle dès que leurs emplois du temps le permettraient, Microbe s’invitant sur le lit en miaulant – plus le temps passait plus il prenait ses aises – et Tommy serrant probablement sa fille un peu plus fort et un peu plus longuement dans ses bras au moment de lui souhaiter bonne nuit.
La malchance – celle de Tommy tout du moins – avait voulu que le jour choisi soit un de ces jours de congés, et lui donne ainsi pleine possibilité de se ronger les sangs et de tourner en rond dans son appartement en imaginant les retrouvailles enclenchées chez Beth. Sa sœur avait tenté de montrer patte blanche en proposant de venir chercher Moïra et en assurant que Marius ne serait plus là lorsque Tommy viendrait la récupérer. Et fort bien, car le brun estimait avoir prouvé à la perfection que moins son aîné faisait partie de sa vie mieux il se portait. Tournant comme un lion en cage dans l’appartement il avait finalement décidé d’aller s’aérer, avait un temps songé passer voir Matt au DBD, et décidé qu’en fin de compte il n’avait envie de voir personne et serait de mauvaise compagnie. Au lieu de ça il s’était laissé guidé par ses pas le long du fleuve, les mains enfoncées dans les poches de son jean et le regard s'amusant de ces australiens qui portaient une veste par vingt degrés pour faire honneur à leur hiver bien installé. Comme si lui ne se sentait définitivement plus d’en être un, d'australien. Et c'est avec dix minutes de retard sur l’heure convenue que Tommy avait sonné à l’interphone de sa sœur, comme pour s'assurer que Marius serait véritablement parti. Rongeant l’un de ses ongles malgré lui en attendant l’ascenseur, il aurait juré entendre Beth demander « Tu peux aller ouvrir ? » et avait esquissé un sourire perdu presque aussitôt lorsque, de l’autre côté de la porte, ce n’était pas Moïra mais bien l’autre M. qui était venu l’accueillir. « C’est quoi ces conneries ? » Adressée à la sœur Warren, la question aurait probablement pu sortir de la bouche de Marius à en juger par le regard d’incrédulité qu’il lui avait également lancé, et d’un ton calme Beth avait asséné « Ces âneries, avait-elle corrigé tandis que la présence de Moïra se révélait sur le canapé du salon, c'est vous deux qui allez me faire le plaisir de prendre cinq minutes pour avoir une vraie discussion d'adultes et pour mettre les choses à plat, pendant que ma nièce et moi on va s’offrir une part de fraisier à la cuisine. » Docile, et comprenant sans doute que l’heure n’était pas à discuter, la petite avait saisi la main de sa tante sans broncher, laquelle avait marqué une pause sur son chemin et ajouté « Il y en aura peut-être une part pour vous si vous me prouvez que vous savez faire mieux que de vous disputer comme deux chiffonniers. » avant de disparaître à la cuisine avec Moïra. Mais elle pouvait bien se le garder son fraisier, en réalité, parce qu’à cet instant Tommy n'avait que le mot traîtresse à la bouche et s’était empressé de reporter sur Marius toute l’hostilité qu’il avait en magasin. Il avait bonne mine, pour un type que Beth lui avait présenté comme dépité et inconsolable face à son refus préalable – mais probablement en avait-elle rajouté un peu (beaucoup). Il avait vieilli, cela dit. Mais après tout il n’y avait pas de raison que Monsieur Marius Warren se paie le luxe d’échapper au temps qui passait, par-dessus le marché. « J’ai rien à dire. » avait-il finalement fait savoir avec froideur. Rien à te dire, aurait-il même pu préciser.
Je n’avais jamais ressenti de joie aussi intense que celle de retrouver Moïra après plus de deux ans de séparation forcée. J’attendais sagement dans l’appartement de Beth, me faisant un sang d’encre à l’idée que la petite fille que j’avais quitté n’apprécie pas ma compagnie, quand enfin ma sœur poussa la porte d’entrée. Mon cœur, qui battait déjà la chamade, fut mis à rude épreuve lorsque cette jeune demoiselle aux cheveux dorés courut dans mes bras. Jamais, jamais je n’aurais cru avoir les yeux embués. Et pourtant, ces retrouvailles m’envahissaient de sentiments contradictoires : la joie, la nostalgie, le regret. Je profitai pleinement de cette douce étreinte, sous les yeux émerveillés – et mouillés – de ma sœur, fièrement à l’origine de cette démarche. Rompant malgré moi cette parenthèse enchanteresse, je tentai de reprendre mes esprits pour faire bonne impression à mon ancienne colocataire. « Laisse-moi un peu te regarder, comme tu as grandi ! » dis-je tout sourire, heureux de constater qu’elle se portait toujours aussi bien. La petite blondinette que j’avais quitté n’était plus haute comme trois pommes, mais elle avait toujours son regard vif, malicieux, et surtout… son caractère. Elle m’assura, tout de go, que la jeunesse éternelle n’existait que dans les contes de fées pour enfant. Mon cœur se serra davantage devant tant de maturité. « Tu m’as tellement manqué, ma grande. » Succombant de nouveau à l’envie de la sentir près de moi, je la serrai chaleureusement dans mes bras. « Pardon d’avoir mis autant de temps à revenir… je ne partirai plus, c’est promis. » lui susurrai-je dans le creux de l’oreille, sans que Beth ne puisse l’entendre. Loin de moi l’idée de lui cacher quoi que ce soit, mais je voulais que ce moment n’appartienne qu’à Moïra et moi. Cette petite était extraordinaire, et le moins que je pouvais faire était de m’excuser d’avoir mis des milliers de kilomètres entre nous.
Si chaque étreinte avec ma nièce, qui semblait tout aussi touchée de me retrouver, semblait être un moment suspendu dans le temps, l’après-midi passa à une vitesse folle. Contrairement aux pires scénarios que j’avais pu m’imaginer avant que Beth ne pousse cette fichue porte d’entrées, il n’y avait pas eu un seul moment de gêne entre nous. La discussion allait bon train : je lui appris que les français, en dépit de leur excellente gastronomie, avait l’étrange habitude de cuisiner des escargots – ce qui donna à Moïra un haut-le-cœur ; puis, elle me conta ses histoires d’école comme si nous ne nous étions jamais séparés. Tout cela tantôt en jouant à un jeu de société, tantôt en peignant. Beth, plus discrète que jamais, ne nous lâchait pas du regard. Elle avait attendu mon retour depuis si longtemps que je la soupçonnais d’avoir la gorge serrée devant cette scène romanesque. Quant à moi, j’aurais voulu que cette journée ne se finisse jamais. Que rien ne vienne perturber nos retrouvailles. C’était sans compter sur le secret de ma sœur, qui me demanda, étrangement et alors qu’elle était inoccupée, d’aller ouvrir la porte à l’individu qui venait de sonner. Sans toutefois trop me poser de questions, j’enjambai les affaires éparpillées sur le sol du salon et attrapai la poignée, que j’actionnai prestement. Le large sourire que j’affichais depuis des heures mourut instantanément sur mes lèvres. « C’est quoi ces conneries ? » Bordel, c’était Thomas. Figé, tenant fermement la poignée dans ma main, je luttais contre l’irrémédiable envie de lui claquer la porte au nez. « Ces âneries, corrigea Beth, comme pour nous avertir de la présence de Moïra. J’adressai un regard noir à ma sœur, qui m’avait assuré que notre frère ne se pointerait pas avant une bonne heure. J’étais au pied du mur mais cette fois, il était hors de question de fuir. J’avais besoin de voir ma nièce grandir, comme elle avait besoin de me trouver à ses côtés. Non, je ne bougerai pas. c'est vous deux qui allez me faire le plaisir de prendre cinq minutes pour avoir une vraie discussion d'adultes et pour mettre les choses à plat, pendant que ma nièce et moi on va s’offrir une part de fraisier à la cuisine. » Une discussion d’adulte ? Si je n’avais pas été énervé à ce point et si Moïra ne nous regardait pas avec ses grands yeux inquiets, j’aurais sans doute répliqué. « Il y en aura peut-être une part pour vous si vous me prouvez que vous savez faire mieux que de vous disputer comme deux chiffonniers. » lança Beth avant de disparaître avec Moïra, tenant dans ses bras la peluche – peut-être moins adapté à son âge que ce que j’aurais imaginé – que je lui avais offerte pour l’occasion. « J’ai rien à dire. » précisa mon cadet. Puis, le silence. N’ayant pas bougé d’un millimètre depuis l’ouverture de la porte, je barrais complètement le passage à mon cadet. L’envie de lui coller mon poing dans la figure, pour m’avoir privé de la petite fille que j’avais élevé en son absence, me démangeait furieusement. Je serrai la mâchoire à m’en la décrocher. « Moi, j’en aurais des choses à dire. » finis-je par lâcher en fixant mon frère d’un regard assassin. Beth n’avait sûrement pas pris la mesure des retrouvailles explosives qu’elle venait de déclencher.
Dernière édition par Marius Warren le Dim 30 Sep 2018 - 17:29, édité 1 fois
Aucun doute que Beth pensait bien faire, malgré son caractère diablement décisionnaire leur sœur aînée agissait toujours avec bonnes intentions et dans la certitude d’agir pour le mieux. Mais à cet instant Tommy n’y voyait pourtant rien d’autre un piège bête et méchant tendu par son aînée en abusant de la confiance qu’il lui accordait, particulièrement lorsqu’il était question de sa fille. C’était à la condition non-négociable de sa présence qu’il avait accepté que Marius passe quelques heures en compagnie de Moïra, et compte tenu de leurs antécédents fraternels le brun estimait avoir déjà été magnanime et énormément pris sur lui ; Mais non, il fallait que Beth se soit sentie d’humeur à jouer les mères la Morale. Qu’elle traite ses deux frères comme deux enfants au cœur d’une querelle sans importance, comme si tout cela n’était qu’une vaste blague et leurs comportements basés sur du vent ou de mauvaises excuses, mettait Tommy dans une colère noire et lui faisait regretter de s’être ainsi laissé berner à croire qu’il agissait pour le mieux. Il en avait ras-le-bol des Warren, ras-le-bol que l’on vienne sans cesse tenter de s’immiscer dans ce qu’il essayait difficilement de garder sur pieds entre sa fille et lui, entre ce boulot dont les horaires le forçaient à sacrifier une partie du temps qu’il voulait consacrer à Moïra, les regards réprobateurs des mères de famille bienpensantes lorsqu’il patientait devant la sortie de l’école et dont il se demandait encore par quel – mauvais – miracle elles avaient pu être mises au courant de ses antécédents judiciaires, et sa propre mère qui attendait au tournant la moindre de ses erreurs pour pouvoir lui faire remarquer l’air de rien que s’il avait fait des études « comme Marius et Elisabeth » il ne serait peut-être pas dans une situation aussi compliquée. Leur mère – ainsi que leur père – avait toujours quelque chose à dire, un avis à donner ou un élément qu’ils estimaient indispensable à apporter, et parce qu’il se surprenait à y penser le « Moi, j’en aurais des choses à dire. » de Marius venait de lui arracher un rictus moqueur, tant l’aîné de leur fratrie semblait s’être affublé en vieillissant de tout ce qui rendait déjà leurs parents insupportables. Immobile, son frère le fixait d’un regard mauvais sans doute dans l’espoir de l’intimider, mais ce qui fonctionnait déjà moyennement vingt ans en arrière n’avait plus le moindre effet sur lui, et armé d’un rictus cynique Tommy avait laissé échapper un « Bien sûr, le contraire m’aurait étonné. » moqueur, avant de faire quelques pas dans la pièce. L’appartement de Beth ressemblait à un appartement de magazine de décoration, épuré à l’extrême et aussi harmonieux qu’impersonnel ; A peine quelques photos sur la console près du canapé. Une preuve du peu de temps qu’elle accordait à sa vie privée, mais aussi un contraste saisissant avec l’appartement beaucoup plus modeste dans lequel Tommy élevait sa fille. S’asseyant sur le bord de l’un des accoudoirs du canapé, le brun avait de nouveau croisé les bras en relevant les yeux vers son frère « Mais vas-y, fais-toi plaisir. Je suis toute ouïe. » C’était sa spécialité, après tout, dispenser la bonne parole avec la certitude d’être dans la vérité absolue. Syndrome de l’aîné dans toute sa splendeur et manifestation du manque flagrant d’humilité dont était doté Marius. « Mais si t’attends que je pleure sur ton triste sort, tu peux économiser ta salive. Maman m’a déjà suffisamment suriné ce numéro, ça ne prend pas avec moi. » Marius était malheureux, Marius avait quitté le pays pas sa faute, Marius ne méritait pas ça, Marius ceci, Marius cela … Pour sûr qu’elle n’avait pas dû dépenser autant de temps et d’énergie pour tenter de ramener son fils aîné à la raison, lorsqu’il avait décidé de s’accaparer une enfant qui n’était pas la sienne simplement pour soigner ses propres blessures d’ego. Que Tommy ait été désemparé – et même désespéré – face à l’impuissance qui était la sienne, cloîtré dans une cellule de prison à l’autre bout du monde, ne semblait pas avoir ému leur mère, en revanche.
Dernière édition par Tommy Warren le Jeu 29 Nov 2018 - 14:29, édité 1 fois
En poussant le vice jusqu'à déclencher des retrouvailles-surprises avec mon cadet, Beth n'y était pas allée de main morte. Depuis les prémices du conflit fraternel qui avait bouleversé l'équilibre - qui avait néanmoins toujours été fragile - du clan Warren, elle avait multiplié les infructueuses tentatives de réconciliation. Je n'avais, pour ma part, j'avais été enclin à faire un pas vers mon traitre de frère. J'estimai, à juste titre, avoir suffisamment ravalé ma fierté pour lui venir en aide, après qu'il m'ait planté un couteau dans le dos et sans qu'il n'y ait jamais eu le moindre remerciement. Aujourd'hui, le fait d'être au pied du mur me donnait la furieuse envie de régler mes comptes une bonne fois pour toutes. Si lui n'avait rien à dire, c'était loin d'être mon cas : j'avais la quarantaine, et il était hors de question qu'un gamin, et qui plus est mon frère (quand bien même cette qualité avait disparu depuis bien longtemps), me prenne de haut. « Bien sûr, le contraire m’aurait étonné. » Le son de sa voix effrontée m'hérissa le poil. « Mais vas-y, fais-toi plaisir. Je suis tout ouïe. » La jalousie maladive que nourrissait Thomas à mon égard depuis l'enfance ne s'était jamais amoindrie. Pire encore : au fil des années, de ses désillusions et des mes réussites professionnelles, elle s'était exacerbée. Comme un adolescent rebelle, il criait à l'injustice et à l'ingratitude imaginaire que nous formulions à son égard. Et comme une compétition de testostérones malsaine, il m'avait élu comme principal rival, rejetant sur moi ses erreurs et son manque d'ambition. Une lutte à sens unique s'était engagée, tandis que je poursuivais mon chemin sous les encouragements de nos parents. L'indifférence que nous avions fini par porter à l'égard des sottises et des complaintes perpétuelles de Thomas avaient eu pour effet de nourrir, de manière presque paranoïaque, la rivalité qu'il s'était imaginée... jusqu'à ce que cette obsession eut raison de ma patience. Bien écorchée, notre relation fraternelle entama une descente vers les abîmes. Et encore aujourd'hui, alors que toute personne censée aurait gagné en maturité, je constatai sans grand étonnement que ce n'était pas le cas du Caliméro de bas étage qui se tenait en face de moi. « Mais si t’attends que je pleure sur ton triste sort, tu peux économiser ta salive. Maman m’a déjà suffisamment suriné ce numéro, ça ne prend pas avec moi. » Dans la pièce de théâtre qu'était notre vie, il jouait le rôle récurrent du vilain petit canard : celui qui se plaint à longueur de journée, mais qui ne se donne jamais les moyens de prendre sa vie en mains. C'était tout bonnement infernal, et il était temps que j'ouvre la bouche à mon tour. « Ton égo t'étouffe, mon pauvre. J'en ai rien à faire de toi, je me contre-fiche de ce que tu penses de moi. Contrairement à toi, je suis droit dans mes bottes. » Qui a brisé la confiance de son frère, et son coeur au passage ? Qui a mis en péril les études de l'autre à cause de ses frasques ? Qui a pris détourné des fonds au risque de passer deux ans derrière les barreaux et de bouleverser l'équilibre de sa fille ? Je me retenais de tout lui balancer dans la tronche, avec un uppercut crochet au passage, pour le bien de Moïra qui jouait dans la pièce juste à côté. Et autant dire qu'il était particulièrement difficile de ne pas céder à la tentation, après tant d'années à ruminer. « Et grandis un peu, c'est entre toi et moi. Maman n'a rien à voir là-dedans. » lançai-je comme l'ordre d'un parent qui tente de remettre son enfant dans le droit chemin avant d'atteindre le point de non-retour. « Maintenant je vais te dire une chose : t'es un enfoiré. » Je marquai une pause pour éviter de sombrer vers de plus bas instincts. « Et je ne sais pas par quel miracle Moïra est aussi exceptionnelle, mais je compte bien faire de nouveau partie de sa vie. Que ça te plaise ou non. » Sans moi, cette petite aurait vécu les pires années de sa vie lors de l'incarcération de son père. Sans moi, elle aurait pu déclencher une haine viscérale pour son paternel. Et quoiqu'il en dise, j'étais persuadé que Thomas connaissait l'importance que m'accordait Moïra. Et c'était sûrement quelque chose qui le rendait fou.
Dernière édition par Marius Warren le Dim 30 Sep 2018 - 17:29, édité 1 fois
Y’avait cette tendance perpétuelle de l’aîné Warren à se croire dans son bon droit en toutes circonstances, encouragé par la partialité de parents qui auraient donné le bon dieu sans confession à Marius sur la simple excuse de son intelligence académique. Est-ce qu’être un élève studieux et un homme intelligent suffisait à en faire une bonne personne ? Certains faits d’armes avaient vaillamment prouvé que non, et de la manière dont le professeur s’était dédouané d’un « Ton égo t'étouffe, mon pauvre. J'en ai rien à faire de toi, je me contre-fiche de ce que tu penses de moi. Contrairement à toi, je suis droit dans mes bottes. » arrogant, Tommy n’avait retenu que la fin de la phrase et le culot immense avec lequel son aîné se présentait blanc comme neige, certain de son bon droit et de ses bonnes intentions. « T’as raison, avoir tenté de séparer une enfant du seul parent qu’il lui reste, ça mérite au moins une médaille. » Et c’était lui qui osait parler d’ego, après avoir fait passer le sien avant les intérêts d’une enfant dont le seul tort était de lui rappeler qu’à une époque lui aussi avait connu un échec et une désillusion. Marius et son bref passage dans le même sac que le commun des mortels, un traumatisme dont son caractère orgueilleux ne s’était à l’évidence pas encore relevé. Beth était trop optimiste, ou simplement trop aveugle pour se rendre compte que la cause était perdue et qu’une réconciliation – même minime – n’était pas à l’ordre du jour. Elle se laissait guider par cette volonté illusoire d’obtenir un jour la famille harmonieuse pour aller avec la décoration immaculée de son appartement, mais elle rêvait éveillée et la seule chose que Tommy pouvait lui reconnaître c’était de vouloir le faire pour un noble dessein. Bien plus noble que celui poursuivi par leur mère chaque fois qu’elle se sentait obligée de mentionner les malheurs de son aîné face à Tommy, dans l’espoir de provoquer un semblant de culpabilité qui jusqu’à présent se faisait attendre. « Et grandis un peu, c'est entre toi et moi. Maman n'a rien à voir là-dedans. » avait alors grincé Marius, sans doute bien content malgré tout que leur génitrice se range de son côté plutôt que du petit frère. « T’oublieras pas de le lui mentionner la prochaine fois que tu la vois, visiblement elle n’a pas eu le mémo. » Et c’était bien le plus agaçant, au fond. Leur mère n’avait pas besoin que Marius vienne chouiner dans ses jupons pour s’être donnée comme mission de le défendre bec et ongles, elle partait du postulat perpétuel que son petit protégé n’était coupable de rien mais victime de tout. Une justification bancale ou une excuse ridicule valait mieux que d’admettre le moindre tort émanant de son rejeton, et probablement que si elle l’avait entendu vociférer « Maintenant je vais te dire une chose : t'es un enfoiré. » elle aurait encore trouvé le moyen de lui donner raison les yeux fermés. « Et je ne sais pas par quel miracle Moïra est aussi exceptionnelle, mais je compte bien faire de nouveau partie de sa vie. Que ça te plaise ou non. » Était-ce une menace ? Dans un coin de sa tête la brève discussion qu’il avait eu avec une avocate deux ans plus tôt était revenue grincer, et s’il avait senti la chair de poule lui parcourir un bref instant l’échine le barman était demeuré impassible. « On sait tous les deux de qui elle le tient. » avait-il seulement fait remarquer, n’ayant pas besoin de mentionner Alice pour que sa silhouette diaphane ne vienne planer au-dessus de la discussion. « Mais tu oublies une chose, Marius. C’est ma fille, pas la tienne, et que ça te plaise ou non si elle peut te voir c’est uniquement parce que je l’accepte. Je laisse faire parce que je sais que ça lui tient à cœur, mais avise toi de lui bourrer le crâne de conneries et tu pourras faire une croix dessus. On recommence tout juste à trouver un équilibre après tout ce qui s’est passé, je te laisserai pas tout gâcher. » Il avait fallu des mois pour que se referment les plaies du retour du père et de la fuite de l’oncle, où Tommy avait dû apprivoiser une petite fille qui n’avait plus rien à voir avec celle haute comme trois pommes qu’il avait quitté deux ans et demi plus tôt, elle-même méfiante face à ce père qu’elle ne connaissait plus vraiment. Puis étaient venues les angoisses successives de la fillette face aux hospitalisations de son père au printemps 2016 puis de Noah, son copain de classe, au printemps suivant, des insomnies aux larmes face auxquelles Tommy s’était parfois senti démuni mais dont ils étaient cahin-caha réussis à se sortir. Et maintenant … Marius. Revenu semer la zizanie avec ce qui semblait être une pointe de satisfaction, sous couvert du ton moralisateur et de la menace employés en pensant faire flancher le cadet. Mais il n’aurait pas gain de cause, pas cette fois-ci.
Dernière édition par Tommy Warren le Jeu 29 Nov 2018 - 14:30, édité 1 fois
Nul ami tel qu'un frère ; nul ennemi comme un frère. Aussi loin que je m'en souvienne, ma relation fraternelle avec mon cadet n'avait jamais été au beau fixe ; nous n'avions jamais su faire de nos différences une force, bien au contraire. Nos caractères, aux antipodes l'un de l'autre, ne cessaient de creuser le fossé qui nous séparait ; c'était aujourd'hui un grand canyon dont les seules évolutions envisageables se résumaient aux mouvements puissants de deux plaques tectoniques. Et aujourd'hui, nous entrions de nouveau en collision. « T’as raison, avoir tenté de séparer une enfant du seul parent qu’il lui reste, ça mérite au moins une médaille. » Mes ongles vinrent se loger dans le creux de ma main, cisaillant légèrement ma peau, pour m'empêcher de rétorquer quelque chose qui mettrait le feu aux poudres. Pense à Moïra, pense à Moïra. Métaphoriquement, le monde autour de nous vacillait. Beth tremblait certainement, de peur, à l'autre bout de l'appartement tandis que Moïra tentait de jouer l'impertinente - dans le simple but, plutôt malin, de contrecarrer les angoisses de sa tante adorée... tandis que l'ombre d'une guerre fratricide surplombait le hall d'entrée. « T’oublieras pas de le lui mentionner la prochaine fois que tu la vois, visiblement elle n’a pas eu le mémo. » Une brève expiration nasale brève dénota une certaine méprise pour mon cadet, dont la jalousie ne m'étonnait plus. « Il faudra penser à résoudre ton complexe d'Oedipe. » dis-je avec un sourire mauvais en coin, agrippant un temps de parole suffisant pour lui dire ses quatre vérités. « On sait tous les deux de qui elle le tient. » Un instant de flottement pendant lequel les plaques se stabilisèrent, sans éteindre le feu de la défiance. Oui, nous savions parfaitement de qui Moïra tenait cette incroyable aura. Alice n'aurait jamais voulu que les choses tournent ainsi, que sa fille soit au centre d'une insoluble querelle entre l'homme de sa vie et ... qu'avais-je été pour elle ? Un amant de passage, un amour sincère et fugace, une histoire inachevée ? Cette question m'avait hanté pendant des années. Multiples avaient été les efforts pour tenter de tourner la page, mais il suffisait que le processus soit amorcé pour qu'il soit aussitôt avorté par l'intervention d'Alice. Des années durant, je n'avais été que l'ombre de moi-même, le coeur en bandoulière, lacéré par quelques minces espoirs dont mon frère ignorait l'existence. Une situation tenue secrète qui, par le jeu de l'effet papillon, avait sans doute accentué ma rivalité envers Tommy. D'autant plus depuis qu'il m'avait privé d'un droit de visite auprès de la douce héritière d'Alice, celle que j'avais éduqué à sa place pendant dix huit mois. « Mais tu oublies une chose, Marius. C’est ma fille, pas la tienne, et que ça te plaise ou non si elle peut te voir c’est uniquement parce que je l’accepte. Je laisse faire parce que je sais que ça lui tient à cœur, mais avise toi de lui bourrer le crâne de conneries et tu pourras faire une croix dessus. On recommence tout juste à trouver un équilibre après tout ce qui s’est passé, je te laisserai pas tout gâcher. » D'un air de défi, je me rapprochai sensiblement de lui. « Ne me menace pas, d'aucune façon. » Je serrai les dents, prêt à lâcher les chevaux à tout instant, en vengeance des dernières années qu'il s'était acharné à me pourrir. « Et je te rappelle que si elle n'a pas été embarquée par les services sociaux, c'est aussi parce que j'ai maintenu son équilibre pendant que tu dormais derrière des barreaux. » Les yeux plissés tel un prédateur prêt à bondir sur sa proie, je me ravisai soudainement après avoir entendu des bruits de casseroles. J'aurais parié que Beth nous observait depuis la fente de la porte de la cuisine, et que ce vacarme avait pour seul but de nous rappeler sa présence et celle de la petite fille pour laquelle nous étions sur le point d'en venir aux mains. « Moïra, ma puce, donne-moi du beurre. » Impossible d'oublier la présence de notre médiatrice, aussi inutile eût-elle été jusqu'à aujourd'hui et ce, en dépit des efforts déployés. « Il ne faudrait pas jeter de l'huile sur le feu ! » Sa voix portante et la métaphore exagérément insistante qu'elle avait utilisée ne nous laissaient guère le choix. J'inspirai et, sans lâcher Tommy du regard, annonçai sans détour : « Je n'ai pas besoin de bourrer le crâne de qui que ce soit, moi. Je suis revenu pour Moïra, parce qu'elle ne mérite pas le quart de ce qu'elle vit. » J'aurais aimé pouvoir dire la même chose de mon frère, mais je ne le pensais pas le moins du monde. « Laisse-moi revenir dans sa vie et tout se passera bien. » Une façon détournée de lui faire comprendre qu'il n'avait pas intérêt à me mettre des bâtons dans les roues parce que contrairement à lui, je n'avais rien à perdre. « Et sois-en rassuré, je ne t'inviterai jamais à un repas de famille. » Que ce soit juste chez moi ou avec les grands-parents de sa fille, puisque Tommy avait toujours oeuvré pour mettre de la distance avec ses proches.
Spoiler:
Tout est en hide, si j'ai bien réussi à mettre le code
PS : et oui, j'ai changé de couleur de dialogue #rouquinpower
Deux années passées en France n’avaient pas suffi à persuader Marius de mettre de l’eau dans son vin, et là où le temps et la distance auraient pu faire leur œuvre, les deux hommes se regardaient en chien de faïence avec le même désaveu, la même rancune tenace qui les tenait déjà au corps la dernière fois que leurs chemins s’étaient croisés. Prompt à partager le fond de sa pensée quand bien même Tommy s’en serait volontiers passé, l’aîné avait distillé son venin avec hostilité sans pour autant accepter l’idée d’offrir au cadet un droit de réponse, et lorsque le barman avait remis les choses à leur place sans se laisser impressionner par les simagrées de son frère, la véritable nature d’un Marius qui ne supportait pas qu’on lui tienne tête était ressortie de plus belle « Ne me menace pas, d'aucune façon. » était-il venu siffler d’un ton mauvais, se rapprochant de Tommy sans que ce dernier ne batte en retraite ; Hors de question de céder ne serait-ce qu’un centimètre. « Et je te rappelle que si elle n'a pas été embarquée par les services sociaux, c'est aussi parce que j'ai maintenu son équilibre pendant que tu dormais derrière des barreaux. » Les narines pincées et la mâchoire crispée, Marius ressemblait à ces chiens d’attaque que seule une chaine ou un grillage empêchait de sauter sur leur proie ; Là, dans ce genre d’instants où l’aîné semblait perdre une partie de son self-control, il semblait à Tommy que la véritable nature de son frère se révélait, moins lisse et moins glorieuse qu’il ne tentait d’en maintenir l’illusion auprès de ceux prêts à lui donner le bon Dieu sans confession. « Tu te donnes trop d’importance, Marius. » s’était-il malgré tout contenté d’asséner d’un ton tranchant, avant que la voix de Beth ne les rappelle à l’ordre sans vrai tact et ne l’empêche d’aller au bout de sa pensée. « Il ne faudrait pas jeter de l'huile sur le feu ! » Ironique, venant de celle qui avait provoqué la situation en sachant pourtant très bien à quels risques elle s’exposait. Profitant qu’elle ne soit pas dans la pièce pour le voir Tommy s’en était finalement tiré avec un roulement d’yeux à la mesure de l’exaspération que lui inspirait à cet instant les idées de leur sœur. La seule à encore croire à une illusion paix familiale qui ne reviendrait jamais – si tenté qu’elle ait même existé un jour. Secouant la tête, le brun avait fait quelques pas dans la pièce, les mains glissant dans les poches de son blouson tandis qu’il tournait finalement le dos à Marius. « Je n'ai pas besoin de bourrer le crâne de qui que ce soit, moi. Je suis revenu pour Moïra, parce qu'elle ne mérite pas le quart de ce qu'elle vit. » C’était tout de même un comble, que son frère ose avancer ce genre d’argument quand absolument tout dans cette mascarade prouvait que la seule et unique personne pour le compte de qui il agissait était lui-même, et personne d’autre. « Laisse-moi revenir dans sa vie et tout se passera bien. Et sois-en rassuré, je ne t'inviterai jamais à un repas de famille. » Dans les poches de son blouson Tommy avait senti ses poings se serrer avec frustration, les muscles de ses épaules semblant se tendre pour maintenir le semblant de contrôle qu’il tentait de conserver sur sa colère. « Et là, qui est en train de menacer qui, uh ? » Faisant volte-face dans une lenteur calculée, il avait offert à son frère le regard qu’il réservait à ce – et ceux – qu’il trouvait de plus méprisable. « Ce n’est pas toi qui fixe les règles, mets-toi le dans le crâne une bonne fois pour toutes. » Et cela pouvait bien l’insupporter tant qu’il voulait, il pourrait bien mettre au point la version adulte du caprice d’allée de supermarché, il n’aurait pas gain de cause. Pas cette fois-ci. « Si elle le souhaite, tu pourras voir Moïra. Mais ça sera avec mon accord, à condition que ça ne perturbe pas le reste de son emploi du temps, et uniquement en présence de Beth. Et ce n’est pas. Négociable. » L’offre était à prendre ou à laisser, soit Marius apprenait à s’en contenter soit il serait le perdant de l’équation ; Tommy n’autoriserait pas de troisième option. Quant aux accusations proférées un peu plus tôt, elles avaient suffisamment contrarié le père de famille pour lui faire secouer la tête avec lassitude en ressortant les mains de ses poches « Ça flatte sans doute ton ego, de croire que tu étais mon dernier recours quand il a fallu s’occuper d’elle. Mais je l’aurais confiée à Beth les yeux fermés, sans la moindre inquiétude. Ma seule erreur ça a été de penser que tu respecterais suffisamment le souvenir de sa mère pour t’occuper d’elle avec la même attention que si c’était elle qui te l’avait demandé … Au lieu de ça tu as vu dans cette petite fille une manière bête et méchante de te venger des misères du vilain Tommy. Au moment où il aurait fallu penser à son bien à elle, tu n’as pensé qu’à toi, et ça Alice ne te l’aurait jamais pardonné. » La gorge serrée, les mains tremblant dans un mélange de colère et de déception dont il aurait préféré ne pas se rendre coupable devant témoin, Tommy avait ravalé la bile venue brûler le fond de sa gorge et les larmes que chaque mention de son épouse continuait de tirer. Il ne perdrait pas la face devant Marius, pas cette fois-ci, pas alors qu’il menaçait ce qu’il avait de plus précieux.
De tous les scénarios que je m'étais imaginés, celui-là était sans doute le pire. Face à mon frère ennemi, je devais composer avec le lot de sentiments négatifs que sa simple présence m'inspirait : le dégoût, la méprise, la colère, la frustration. Tant d'émotions qui me poussait vers le chemin d'une rancune tenace, que rien ni personne ne saurait jamais soulager... et qui ne faisait que grandir à mesure que nous nous échangions des joyeusetés. « Tu te donnes trop d’importance, Marius. » J'expirai un petit rire jaune, épaté devant le culot de celui qui s'était jadis bien satisfait de la maturité qu'il critiquait aujourd'hui. Le fossé entre nous se creusait chaque jour un peu plus. Les efforts de Beth pour tenter de ramener un souffle d'harmonie dans la famille étaient vains, je le savais, il le savait, Scarlett et nos parents aussi. À l'exception peut-être de Moïra qui, dans sa naïveté de petite fille, espérait encore rosir son monde en un claquement de doigts, Beth était visiblement la seule à y croire encore. Ma patience avait ses limites, et Tommy les avait largement atteintes. « Et là, qui est en train de menacer qui, uh ? » Je ne desserrai pas les dents, prêt à lâcher les chiens à tout moment. « Ce n’est pas toi qui fixe les règles, mets-toi le dans le crâne une bonne fois pour toutes. » Parfaitement stoïque, le visage glacial que je laissai paraître était en absolue contradiction avec ce qui, à l'intérieur de moi, bouillonnait comme de la lave en fusion. « Si elle le souhaite, tu pourras voir Moïra. Mais ça sera avec mon accord, à condition que ça ne perturbe pas le reste de son emploi du temps, et uniquement en présence de Beth. Et ce n’est pas. Négociable. » Le père de famille en herbe qu'il se croyait être aurait pu me faire décrocher un large sourire, tant sa conviction de façade me semblait pathétique. Mais pour l'heure, je misais davantage sur mon silence, ce silence quand bien même enragé, pour entendre ses complaintes d'une oreille sourde. « Ça flatte sans doute ton ego, de croire que tu étais mon dernier recours quand il a fallu s’occuper d’elle. Mais je l’aurais confiée à Beth les yeux fermés, sans la moindre inquiétude. Ma seule erreur ça a été de penser que tu respecterais suffisamment le souvenir de sa mère pour t’occuper d’elle avec la même attention que si c’était elle qui te l’avait demandé … Au lieu de ça tu as vu dans cette petite fille une manière bête et méchante de te venger des misères du vilain Tommy. Au moment où il aurait fallu penser à son bien à elle, tu n’as pensé qu’à toi, et ça Alice ne te l’aurait jamais pardonné. » Les yeux plissés de tant de mépris, la mâchoire serrée de tant de colère, j'en oublis même de respirer. La seconde la plus tendue s'écoula dans le plus grand silence. Tommy accusait encore le coup du souvenir d'Alice qu'il venait de déclencher, nourrissant davantage le monstre haineux qui avait pris place dans mon coeur en lieu et place de notre chère relation fraternelle. « Qui de nous deux l'aurait plus blessée, à ton avis ? » La question risquait de mettre le feu aux poudres, mais je n'en avais rien à faire - peut-être même qu'au fond, je n'attendais que ça : que tout explose une bonne fois pour toutes. « Le taulard qui a abandonné sa fille ou celui qui l'a soutenue et écartée d'un monde en ruines ? » sifflai-je sur le ton hautain que Tommy exécrait. Cette fois, nous n'avion jamais été aussi prêts d'en venir aux mains. Sentant le vent tourner depuis la cuisine, Beth se hâta de confier une tâche à Moïra pour quitter les fourneaux et s'interposer entre les mâles dominants que nous étions. Il lui fallut redoubler d'efforts pour faire redescendre un tant soit peu la pression, juste suffisamment pour que la marmite n'explose pas aux yeux et au nez de la petite fille - c'était la seule arme capable de nous raisonner. Pour la première fois, je reculai d'un pas et rompis le regard noir, assassin, que nous tenions depuis de longues minutes. « C'est bon, Beth. » soufflai-je à ma soeur, lui intimant l'ordre discret de nous laisser seuls. Ses yeux rougis par la tristesse de la situation me contrarièrent. Craignant qu'il ne s'agisse que d'une simple tentative d'éloignement de ma part, Beth campa entre nous. Je finis par lui confirmer, d'un bref hochement de tête, qu'elle pouvait me faire confiance. Notre soeur s'éclipsa alors, gardant un oeil inquiet sur ses frères depuis la porte de la pièce voisine. Mon regard, assombri de nouveau, se posa sur celui de Tommy. « Les seuls efforts que je suis prêt à consentir sont pour elles. Simplement pour elles. » Cela me rongeait d'avoir à céder face à l'ennemi, mais je n'avais aujourd'hui plus d'autre choix sur celui-ci pour espérer maintenir un lien avec Moïra.
Pourquoi avait-il fallu qu’il revienne ? Pourquoi Marius n’avait-il pas simplement continué de se terrer en Europe, faisant sa vie de son côté comme eux faisaient la leur et sans que se croiser ne redevienne un risque calculé ? Là, entre les lignes du regard mauvais que lui lançait son aîné avec véhémence, Tommy avait la certitude que se cachait le projet de faire voler en éclat l’équilibre précaire que père et fille étaient parvenus à mettre sur pieds en son absence. Comme un besoin de venir jouer le chien au milieu du jeu de quilles, faute d’avoir obtenu gain de cause en attendant sagement depuis l’autre bout du monde que Tommy se vautre en beauté sans son intervention. Et il tenait bon, le canadien d’adoption, gardait le cap malgré les creux et les vagues, à la grande stupeur de ceux qui l’en auraient cru incapable – lui-même le premier – il tenait bon … Mais il suffisait que Marius et son arrogance naturelle débarquent avec leurs gros sabots pour qu’il se sente à nouveau comme le bon à rien de service. L’outsider à la peau dont on ne donnait pas cher, maintenant que son épouse n’était plus là pour ménager et redorer son estime chancelante ; Et au fond Tommy savait bien que sans Alice il n’était plus capable que de la moitié de ce qu’il aurait pu faire si elle avait été là, qu’il n’était plus que le quart de celui qu’il parvenait à être pour elle. Alors le « Qui de nous deux l'aurait plus blessée, à ton avis ? » jeté en pâture par un Marius débordant de colère c’était un peu comme la lame qui rouvrait une plaie béante, et le « Le taulard qui a abandonné sa fille ou celui qui l'a soutenue et écartée d'un monde en ruines ? » le sel versé sur sa chair à vif, la colère brouillant un instant sa vision en y faisant danser des étoiles tandis que leur sœur faisait irruption dans la pièce avec urgence pour s’interposer comme on séparerait deux coqs dans une basse-cour. Le souffle court et les narines sifflant avec rage, Tommy avait passé les secondes suivantes à tenter de calmer le tremblement de ses poings et finalement fait un pas en arrière en maronnant « T’étais pas là. T’as aucune idée, aucune idée de ce dont t’es en train de parler. » Ravalant larmes et voix qui déraillait, il avait jeté à Beth un regard entendu auquel cette dernière avait répondu d’un bref signe de tête, la tristesse et la déception que semblaient lui inspirer la situation tranchant avec l’atmosphère de guerre ouverte qui alourdissait la pièce. « C'est bon, Beth. » Comme si elle craignait un débordement à peine le dos tourné, la journaliste n’avait pas bougé d’un pouce et leur avait lancé à tous les deux un regard d’une sévérité comme rarement elle l’employait dans un cadre privé. Le nouveau pas en arrière de Tommy et le signe de tête de Marius semblant finalement la convaincre, elle avait alors consenti à tourner les talons, rejoignant une cuisine d’où n’émanait plus que le silence – et la preuve que l’oreille tendue Moïra veillait. « Les seuls efforts que je suis prêt à consentir sont pour elles. Simplement pour elles. » La réflexion arrachant au cadet un sourire amer tandis que son regard continuait de fixer la porte par laquelle Beth venait de disparaître, il avait enfoncé les mais dans les poches de son blouson « Imprime le en toutes lettres dans un coin de ton crâne, pour éviter de l’oublier à nouveau. » Se refusant à un moins regard supplémentaire du côté de son frère, le brun avait pris une inspiration et poussé la porte de la cuisine pour y passer simplement la tête dans l’encablure « Cœur, je vais aller t’attendre dans le square en bas. Mais prends le temps de terminer de goûter ça ne presse pas, tante Beth descendra avec toi quand tu auras fini, d’accord ? » Ne laissant pas la place à la négociation, soucieux de quitter au plus vite cet appartement où il avait maintenant l’impression d’étouffer, Tommy avait traversé le salon sans un mot de plus et dégagé son bras lorsque de retour hors de la cuisine Beth avait tenté de le rattraper « Je connais le chemin. » Honteux, malade de devoir ainsi battre en retraite en évitant le regard de Marius faute de pouvoir – ou vouloir – continuer à l’affronter, le père de famille avait utilisé tout ce qui lui restait de contrôle pour s’empêcher de claquer la porte de l’appartement en sortant, et dévalant les étages comme si le diable était à ses trousses il avait surgi à l’extérieur de l’immeuble le souffle court, et la nausée déversant dans le caniveau le repas de midi auquel il avait à peine touché.