Les soirées où je bossais dans l’un des bars de la ville étaient les meilleures soirées. Pas du tout payée, complètement en temps personnel, mais y’avait rien de plus fun que de m’installer au comptoir, choisir le scotch du moment qui me faisait le plus envie, et passer de longues heures à épier, à analyser, à noter les gens, les inconnus tout autour. J’en faisais mon rituel hebdomadaire, justifiant aussi ces moments où j’avais pas du tout envie de rester à l’appart à me faire chier devant un Vitto bécotant sa nouvelle flamme, à m’emmerder à texter Tad sans réponse, à passer au second rang quand Nadia, Hugo, qui que ce soit avait d’autre plans. Aujourd’hui, c’était l’Esquire. C’était la classe du bar à vin, des couples friqués, des mecs et de leurs maîtresses cambrées. C’était le menu à plusieurs 0, et les arachides salées complémentaires à mon verre que je gobais comme si y’avait que ça de disponible sur la planète. C’était aussi séance de test, tactiques à poser, techniques à essayer. J’avais pris le pari avec d’autres collègues au bureau que la franchise en drague restait toujours le truc avec lequel t’avais 50% de chance de réussite, et 50% de taux d’erreur. Ça pouvait être le déclencheur d’une grande histoire d’amour comme d’un refus catégorique, la raison qui provoque la rupture ou qui renforce les liens. Et le reste, c’était juste du facile, du simple, de l’évident. Ce soir donc, j’allais draguer en toute honnêteté - ce qui, en soit, m’allume parfaitement. Me casser la tête à jouer le jeu, à me plier à la game, à faire comme si j’étais une poupée si prévisible pour le bonheur de ces messieurs m’emmerdait royalement. Là, j’avais l’occasion d’y aller cash, de dire exactement ce qui me passe par la tête, de miser soit dans le mile direct, soit à des kilomètres à côté. Me restera toujours Glenlivet comme pote de fin d’aventure, toujours là, toujours corsé, toujours fidèle.
Puis, y’a lui qui arrive. Lui, c’est la gueule bien carrée, les épaules remontées, la posture classe. Le regard fermé, les traits d’expérience. Je prends le temps de l’observer une bonne minute maintenant qu’il est apparu dans mon champ de vision, détonnant avec les costards et les cravates tous en copier coller, alignés au bar comme de petits chiens de poche attendant que je batte des cils pour eux. Si je m’imaginais jouer le tout pour le tout ce soir ; et prouver aux autres de GQ ma théorie, valait mieux que je vise un gros poisson, une grosse pointure. Je sais pas ce qui me convainc d’aller le rejoindre, entre le verre qu’il se commande et qui tombe direct dans mes cordes, sa voix cassée qui monte à mes oreilles assez pour faire frissonner mon échine, ou ce mutisme dont il fait preuve et qui me souffle qu’il n’est pas particulièrement d’ici. Il m’achève alors que j’entends un mot ou deux qui me semblent bien être français, le truc cliché à souhait, qui lève mes fesses avec empressement de mon siège, m’intime à faire les quelques mètres nous séparant, me faufiler à sa gauche, la bouche en coeur.
« Alors, on peut faire ça the easy way. » la voix curieuse, l’intention d’exposer mes couleurs d’emblée sans plus de cérémonie, je poursuis lorsque je sens son regard qui se vrille dans ma direction. « Vous dites un truc mollement marrant, je rigole, vous prenez une seconde ou deux pour me détailler, vous vous présentez, me payez un verre. » ce qui en soit était le genre de tactique qui fonctionnait plutôt bien lorsqu’alignée correctement par la plus nunuche des femmes. « Ou alors, on peut faire ça the sneaky way. » et là, je laisse un sourire intéressé se dessiner sur mon visage, lèvres qui se retroussent au fil de mes paroles. « Je vous dis que je bosse pour un magazine du côté dating, que je compile des informations et que j’ai besoin de vous pour répondre à quelques questions bien peu pertinentes pour vous, mais alléchantes pour mes lecteurs. » les dés sont lancés, les deux options sont expliquées, et il sait d’ores et déjà sur quel pied je prévois danser. La franchise dont je veux jouer jusqu’au bout maintenant que je finis par poser mon verre sur le bois vernis, m’y appuyer même, pas tant prête à le lâcher si vite, plutôt patiente d’entendre sa réponse, son verdict. « L'un ou l'autre m’évitera d'avoir à avouer que je vous reluque depuis une bonne poignée de minutes et que j'en redemande. » et voilà, cartes sur table, et ma nuque s’arque maintenant que je ne prévois pas manquer une seule bribe de la suite.
Deux vis. Il me manquait deux f*cking vis pour terminer de monter la console industrielle de l'entrée, dernier meuble d'une (trop) longue liste destinée à réhabiliter l'appartement témoin qu'était devenu mon loft ces deux dernières années. J'avais bien tenté de le louer quelques temps, mais la réception de dossiers de colocations déguisées m'avait tant et si bien refroidi et j'avais fini par vendre la plupart des meubles et objets qui s'approchaient, de près ou de loin, du souvenir des derniers mois avant mon envol pour le pays des gaulois. Et hormis quelques tours de garde de ma soeur Beth pour relever les compteurs et autres jouissances administratives, le lieu était donc resté à l'abandon pendant vingt quatre mois - mon retour à Brisbane signifiait donc de le remettre en l'état, et au plus vite. Répondant à mon sens aigu de l'ordre, je m'étais donc activé pendant trois jours pour aérer, dépoussiérer, balayer, ranger, monter, démonter, remonter, ... en somme, redonner vie à cette terre désolée. Et si pour un homme aussi peu manuel que moi, cela tenait de l'incroyable, je devais cela à l'inédite certitude d'être au bon endroit, au bon moment. Et quand enfin, touchant mon but du bout des doigts, je découvris que je pourrais mettre un point d'orgue à cet emménagement avant le lendemain matin, ç'en fut trop. Je démontai, dans un agacement certain, le meuble bancal, fis glisser le dernier carton dans un coin, attrapai ma CB et claquai la porte. Merde. J'avais besoin de mettre le nez dehors, au moins le temps de rejoindre la porte d'entrée voisine : l'Esquire, un restaurant chic que j'avais jadis l'habitude de fréquenter. Comme un habitué, j'avais rejoint le comptoir en bois sans me préoccuper de l'allure que j'avais, moins guindée qu'à l'accoutumée ; un simple tee-shirt noir et un jean sombre qui tranchaient avec les clients aux costumes trois-pièces qui me suivaient du regard. Peu de gens le savent, mais dans un endroit pareil, ce sont leurs comparses à l'aspect décontracté et à l'air assuré qui inquiètent les mâles en quête de notoriété. Pour être aussi à l'aise sans costume, nul doute que je n'ai plus rien à prouver à personne. Et si je n'ai plus rien à prouver ici, c'est que je domine la chaine alimentaire. Faisant fi des convenances, je m'adossai au bar et demandai un verre de vin rouge. « Margaux 2015, Château Giscours, s'il vous plaît. » annonçai-je en français après avoir lu le prénom "Auguste" sur son uniforme. Il me répondit que mon choix était excellent, et nous échangeâmes quelques mots dans la langue de Molière tandis qu'il me servait, d'un geste magistralement contrôlé, cet elixir classieux, mûr et soyeux en bouche. L'élégance de ce moment, bercé par les douces notes de Bach jouées au piano, fut bientôt perturbé par l'irruption d'une tornade. « Alors, on peut faire ça the easy way. » Je reculai légèrement la tête, découvrant les cheveux flamboyants et le regard perçant de mon agresseur. « Vous dites un truc mollement marrant, je rigole, vous prenez une seconde ou deux pour me détailler, vous vous présentez, me payez un verre. » Les yeux écarquillés, ne sachant quoi répondre face à cette violation de mon espace vital, je demeurai immobile. « Ou alors, on peut faire ça the sneaky way. » Un sourire machiavélique se dessina sur cette créature fascinante et terrifiante, sans que je ne puisse comprendre le pourquoi du comment. « Je vous dis que je bosse pour un magazine du côté dating, que je compile des informations et que j’ai besoin de vous pour répondre à quelques questions bien peu pertinentes pour vous, mais alléchantes pour mes lecteurs. » J'arquai un sourcil, impassible. Elle s'adossa sur le comptoir en bois sombre, bien décidé à camper là. « L'un ou l'autre m’évitera d'avoir à avouer que je vous reluque depuis une bonne poignée de minutes et que j'en redemande. » Cette fois, je ne pus retenir un léger pouffement. Aussi folle soit-elle, cette femme avait su éveiller ma curiosité. Pour du rentre-dedans, c'était du rentre-dedans ! « Je dois avouer qu'il s'agit là d'une curieuse, mais néanmoins mémorable entrée en matière. » Je plongeai mon regard dans le verre à pied, faisant lentement tournoyer son pourpre contenu. Après une seconde de réflexion, j'en arrivai à la conclusion qu'en dépit de mon aversion pour ce genre de thématique, cette femme m'intriguait profondément. « Vous avez cinq minutes. » finis-je par lâcher en la défiant du regard.
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TA PLUME. OMFG. C'est une des plus belles que j'ai croisé en plus de dix ans de rp, je crois c'est dynamique, construit, très riche, et on ressent teeeeellement ton personnage dans ses émotions, ses attitudes... pouah, j'ai la pression de fou
J’avais pas de temps à perdre à être subtile. À être détournée, à battre des cils, à cambrer comme il faut, à faire comme si c’était naturel, une coïncidence, un coup d’oeil à l’autre bout de la pièce que j’accroche comme par hasard même si calculé à la seconde près depuis plusieurs minutes. Un peu parce que je bosse là, et parce que chaque instant ici est à mon sens nécessaire pour faire de meilleurs articles, donner de meilleures réponses aux auditeurs. Surtout parce que le jeu de la drague, à force, ça blase. Prendre son temps, limiter les signaux, oser un petit pas avant d’en reculer quinze, j’avais déjà donné. Avec Tad, obvi. Ça avait été une brochette de premiers mois à tâtons des deux côtés, avant qu’on finisse par sauter à pieds joints dans notre couple en laissant l’appât du flirt désabusé - mais tellement anticipé - à d’autres. La flemme avait pris le dessus au moment où j’étais redevenu célibataire, et si j’avais à mon sens toute une panoplie de conseils allant de la plus innocente des dragues prévisibles au total plan de match de séduction réglé au quart de tour, quand il en venait à moi et à mes propres manières peu cavalières de conclure, rares étaient les fois où je prenais plus de 5 minutes avant d’étaler mes intentions et d’offrir l’unique option A à mon interlocuteur. Ce soir surtout, on sprintait contre la montre, on s’amusait à entrer dans le vif du sujet directement, et si je testais ma théorie foncièrement prouvée entre quelques étreintes étouffées dans ses draps, soit, je pouvais bien me sacrifier sans trop râler. Une première. « Et encore, je suis restée polie. » évidemment que je bats des cils avec sarcasme et condescendance, lorsqu’il salue mon arrivée en fanfare. Le pauvre, il n’avait pas eu une grande intro à la Ariane le pire, tant que je n’étais pas lancée en feu roulant d’insultes - ou de coups, tout dépendant si je m’amuse à piquer sur le ring, ou en dehors. Le verre à mes lèvres, j’immobilise tout de même son trajet lorsque le français se la pète façon mâle alpha au pouvoir, à me donner un ultimatum, à se caler dans son siège, le regard acéré et les intentions toutes aussi brouillées. « Vous avez devant vous un produit de la génération du moindre effort. Innocemment, je croyais que de simplement me regarder vous suffirait. » pas question que je lui fasse l’honneur de me dépêcher dans mon discours désormais, et encore moins de quitter ses côtés sans avoir tordu ses nerfs comme un vieux linge humide. Posant mes fesses avec une lenteur parfaitement maîtrisée sur le siège à ses côtés, je m’autorise une gorgée bien méritée avant d’inspirer longuement, et les arômes, et les goûts, et mon acide. Suffit que de reposer mon attention sur lui, langoureuse. « C’est risqué, de commander un français alors qu’ils vous diront que l’australien se défend mieux. » elle prend ses aises Ariane, elle aligne son français peaufiné le temps d'une phrase, elle place ses cartes, jauge du menton sa commande, et la robe sanglante d’un Bordeaux qui lui fait diamétralement envie tout à coup. La carte des vins à proximité qu’ils peuvent bien défendre, mon idée étant faite et confirmée depuis les nombreux allers retours en France et leurs vignobles à la clé. « Ce dont je doute encore. Ils font que de la piquette sur ce caillou. » et un sourire mauvais qui part dans la direction du barman, occupé à écouter ce qu’on a de bon à dire, lui-même errant ailleurs pour voir si j’y suis.
« Pourquoi est-ce que vous êtes seul? Par choix, ou par ennui? » son silence, sa solitude, le whole package me suggère qu’il répondra avec empressement par la première affirmative, avant de ravaler la deuxième de travers - et son vin avec. Les doigts qui tapent un rythme inventé sur le bois vernis, je reste fidèle aux couleurs affichées plus tôt, et me complais dans l’interrogatoire censé affiner le portrait du type, et préparer le jeu pour la suite si suite il y a. J’ai pas encore décidé si ses looks valent la peine que je me plie à sa rigueur et au fait qu’il me semble bien confortablement installé sur un long et dur manche de balai enfoncé là où je pense. À voir ce que le temps nous dira, pour l’instant, le scotch est bon, le bar est juste assez bondé, et je me contente de le relancer. Une expression à la limite de l’indifférence qui jure volontairement avec mes questions bien pointues. « Vous aviez l’air bien blasé même avant que j’arrive. Grosse journée ou drama avec chérie? » parce qu’on ne s’étale pas au bar pour penser à tout ce que se passe de beau dans son quotidien. Parce qu’on ne célèbre pas la vie avec une seule coupe de vin. Parce qu’il n’a aucune alliance, et aucune impression d’attendre qui que ce soit non plus. Juste un air las, fatigué, contrit qui guide ses traits, quand bien même soit-il chaud de chez chaud. « Puis sinon, le plus important. Vous deviez pas m'acheter un verre? » à mes mots, je termine le contenu de mon propre gobelet avant de le poser avec assurance sous ses yeux. Autant étirer sa patience le temps que tout ceci m’amuse.
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MAIS MAIS MAIS MAIS MAIS. Je fais que me laisser inspirer par ce RP et par ton perso, c'est tout ta faute au final
« Et encore, je suis restée polie. » Sous le coup de l'impertinence de cette jeune femme, mon sourcil gauche s'arqua automatiquement. S'attendait-elle à ce que je la félicite de n'avoir que frôler l'impolitesse ? « Vous avez devant vous un produit de la génération du moindre effort. Innocemment, je croyais que de simplement me regarder vous suffirait. » Consterné, j'observais le manège auquel se vouait celle qui se comportait comme une adolescente sous le feu d'un bombardement hormonal. Et alors que je l'imaginais entamer un monologue déconcertant, sa voix s'éteint et, avec la grâce et la délicatesse d'une nymphe, son corps se mut jusqu'à glisser sur le siège d'à côté. Si la situation n'avait pas été si déconcertante, j'en aurais été subjugué. Je restai néanmoins impassible, priant intimement pour que ces foutues cinq minutes passent plus vite lorsqu'elle me fit comprendre qu'elle comptait bien partager un verre avec moi. « C’est risqué, de commander un français alors qu’ils vous diront que l’australien se défend mieux. » « Vous trouvez ?! » répondis-je du tac au tac, ignorant presque les efforts qu'elle venait de déployer pour sortir quelques mots en français parfait. Cette question sur la défensive, dont l'intonation trahissait ma surprise, était spontanément sortie de ma bouche. Mes années passées à Paris m'avaient définitivement convaincu du fait que les gaulois avaient, sans nul doute, les meilleures vignes au monde - et il m'était inconcevable que d'autres pays croient encore en leurs chances. Je roulai des yeux, portant mon regard sur ma montre. Putain, à peine une minute. « Ce dont je doute encore. Ils font que de la piquette sur ce caillou. » Je relevai soudainement mon regard vers l'étrange créature qui avait pris place à mes côtés, l'air pantois. Loin de moi l'idée de lui donner du grain à moudre - j'avais encore quatre minutes à subir - je gardai fièrement le silence. Pour autant, j'étais agréablement surpris d'entendre quelqu'un dénigrer sans retenue l'alcool de raisins australien ; pour une fois, on soutenait ce que certains appelaient "ma politique viticole anti-patriotique". Et rien que pour ça, j'étais prêt à tenir jusqu'à ce que le dernier grain de sable ne tombe dans le sablier que j'avais mentalement tendu à mon interlocutrice, revigorée par sa gorgée de vin rouge. « Pourquoi est-ce que vous êtes seul? Par choix, ou par ennui? » Malheureusement pour moi, cette entrée en matière sonnait comme le début d'une liste exhaustive de questions intrusives et autant dire que je détestai ça. Afin d'éviter tout risque d'engager une réelle conversation, je me contentai d'inspirer profondément, de manière volontairement bruyante - ce que la plupart des gens doués de conscience aurait pris pour un avertissement. Mais c'était sans compter sur la verve et l'aplomb du volcan qui jaillissait à côté de moi. « Vous aviez l’air bien blasé même avant que j’arrive. Grosse journée ou drama avec chérie? » Sur les termes "bien blasé", mon regard s'était dramatiquement fixé sur celui de cette femme. Sans même vouloir lui faire passer le message, n'importe qui aurait compris que l'apparence froide et solitaire que j'avais pu donner en arrivant dans ce restaurant n'était rien comparé au désespoir et à l'exaspération qui commençaient désormais à me gagner. Je jetai un dernier coup d'oeil à ma montre et constatai que nous venions de passer la mi-temps. Courage, pas d'esclandre. Je m'apprêtai à lui répondre de manière aussi polie que possible, mais elle ne m'en laissa guère le temps. « Puis sinon, le plus important. Vous deviez pas m'acheter un verre? » Je finis par lâcher un rire nerveux. Bordel, je n'avais jamais croisé de femme aussi exaspérante que celle-ci mais il fallait avouer que son audace était remarquable. « Bien, on va faire court. » annonçai-je en prélude, en tapotant ma montre du bout des doigts. « Je suis adepte de l'adage : mieux vaut être seul que mal accompagné. Et aujourd'hui, plus que jamais. » Son sarcasme m'avait contaminé. « J'avais juste besoin de boire un verre. Les cartons, le rangement, les démarches administratives... ras-le-bol. J'aspirais simplement à me détendre sur ce bar, avec un bon verre de fin français... au calme. » J'insistai sur ces deux derniers mots, avant de comprendre que, merde, elle avait réussi à obtenir toutes ses réponses. Son regard satisfait confirma mon impression. « Ok, vous êtes douée. Insupportable, mais douée. » Coup d'oeil à ma montre : une bonne poignée de secondes me séparait de ma liberté. « Désolé, time is over. » lançai-je en haussant les épaules, absolument pas déçu de lui refuser sa proposition forcée. Curieusement, j'affichai désormais un sourire amusé.
Oh qu’il pense faire son effet, avec son plaidoyer, avec son mutisme. Oh qu’il se la joue adulte à gogo, autorité à rallonge, maintenant qu’il se cambre de suffisance pour m’expliquer à quel point il est pressé, à quel point faire ça court lui convient. « Vous m’en voyez bien déçue. » et évidemment que j’insiste de la façon la plus racoleuse possible, que je flirte gros comme le bras, que je le détaille plus lourdement que nécessaire. De son historique d’une journée étreinte où, le pauvre, a dû s’occuper de ses cartons et se rabaisser à une tâche semble-t-il souligner faite pour les paysans, je préfère commenter d’un « Un nouveau, alors. » même pas curieux, même pas piquant, juste faisant état de la situation, sous-entendus en prime. Il me donne l’impression d’adorer s’entendre parler comme de se lasser de faire le moindre effort vocal, ce qui, en un sens comme dans l’autre, m’amuse. En voilà un qui s’est de suite dit que parce que je proposais A, il devait aller à B. En voilà un qui teste les limites, qui teste tout court, et qui se satisfait du dernier mot et de celui-là seul. Oh le pauvre, s’il savait ce dans quoi il vient de plonger nez devant.
« C'est qu'on dirait presqu'un compliment. » insupportable, mais douée, c’est ça? Ça me convenait comme descriptif, c’était en plein dans ma description de tâches, dans l’essentiel qu’on pouvait lire sous mon synopsis de vie. Même, il avait usé de mots beaucoup plus polis que ceux qu’on prenait quand on me qualifiait, habituellement. « Your lost. » il termine le tout d’un soupir, d’un non, d’un haussement d’épaules. Son sourire s’assure de gagner la manche, son franc-parler confirme qu’il a la balle dans son camp et que surtout, il la garde. D’un ennui à l’autre, j’en profite pour soutenir son regard plus longtemps que l’étiquette le suggère, lorsqu’on conclut une conversation sans la moindre intention de la relancer. C’est que malgré tout ce qu’il a dit, j’ai pas du tout l’intention de me lever. J’ai une technique à prouver, j’ai une façon de faire à décrire, j’ai un article à rédiger et j’ai surtout un ego à couver. Ceci expliquant cela, s’il se contente de boire son vin avec détachement, je m’assure de le détailler avec médisance.
« Vous réglez la note de monsieur? » le pied de sa coupe qui cogne contre le comptoir de bois vernis, le barman qui se pose devant moi, l’incompréhension totale qu’on peut lire sur mon visage et surtout le rire, mauvais, que je dédie à la scène la seconde suivante. « Ah, la douce ironie. » parce que confondre le tout me fait marrer, parce que nous associer me faire rigoler encore plus. Il est toujours installé au bar lorsque je fais tourner mon siège vers le sien, attendant qu’il cède à mon coup d’oeil le toisant pour au moins rester dans les règles de l’art - et de l’intrusion. « Insupportable, douée, et assurément pas là pour payer votre soirée détente loin de peu importe c’que vous voulez laisser derrière. » le gamble est gros, autant que le portrait hypothétique que je me suis tissé le mettant en vedette. Je l’imagine avoir quitté son pays, avoir quitté la France même, soyons fous. S’être posé ici par regret, par défaitisme. S’installer en rageant, regretter chaque centimètre de la ville, les maudire au passage. Cacher ses regrets et sa peine derrière un masque impassible, cracher sa rage et ses déceptions dans une conversation lasse et dissipée. « Je souligne tout de même que vous n’avez pas bougé d’un centimètre. J’en reste presque flattée. » et toujours aucune intention de sortir ma carte bleue pour payer son poison.
« Vous m’en voyez bien déçue. » Déçue ou non, le temps filait à toute vitesse et puisqu'elle avait accepté le sablier que je lui avais tendu, je n'eus aucun scrupule à poursuivre. Sans presque m'en rendre compte, j'étais là à déblatérer mes petites histoires de la fin d'après-midi, d'un air lasse et fatigué qui pouvait laisser supposer un besoin de me confier. Cette soudaine prise de conscience m'envahit lorsque, sans comprendre le pourquoi du comment, la rouquine commenta un simple : « Un nouveau, alors. », tellement naturel qu'il me fit craindre d'être tombé dans un piège. Je détestais l'idée de suivre les lignes que cette inconnue avait fixées pour moi, tant et si bien que je finis par changer mon fusil d'épaule : d'homme distant et lassé, je devins franc et (légèrement) souriant. « C'est qu'on dirait presqu'un compliment. » C'était plus qu'un compliment, c'était un effort herculéen que je fournissais 1. en supportant la présence indésirée d'une humanoïde à mes côtés ce soir et 2. en acceptant, bien que temporairement, son petit manège de lycéenne. Reprendre les rênes de cette discussion qui n'avait déjà que trop durer, voilà l'objectif. « Your lost. » J'arquai un sourcil, laissant la place à un regard écarquillé devant tant d'aberration. « Your crazy. » ajoutai-je non sans une once de mépris - quoique, à la réflexion, j'étais véritablement perdu. Perdu entre l'envie de me barrer en courant pour retrouver le calme de mon loft qui n'était qu'à quelques pas, et l'envie de voir jusqu'où cette femme était capable d'aller "pour les lecteurs de sa rubrique dating". Pathétique. Je jetai mon regard et, comme une moule sur son rocher, m'accrochai de toutes mes forces à celui du serveur qui ne mit guère plus longtemps à nous rejoindre. « Vous réglez la note de monsieur? » Putain, il a rien compris. Respiration retenue, sourire plus que crispé, regard vide. « Ah, la douce ironie. » Son sourire mauvais ne présageait rien de bon, et elle jubilait clairement de la situation. De mon côté, je devais la supporter, et payer pour ça en plus. Ah, elle a bon dos l'égalité des sexes. « Insupportable, douée, et assurément pas là pour payer votre soirée détente loin de peu importe c’que vous voulez laisser derrière. » Cet air d'adolescente rebelle commençait à me taper sur le système. Je n'avais pas encore repris le chemin de l'université que, déjà, je devais m'occuper d'une élève surdouée - sachez que ce sont les plus infernaux, ils ont toujours quelque chose à dire. C'est épuisant, et je sais de quoi je parle. Pour autant, je n'avais ni l'envie, ni l'énergie de faire une esclandre dans cet endroit que je comptais bien réinvestir dans les prochaines semaines, en croisant les doigts pour que cette tornade n'y mette plus les pieds. Pour cette raison et par la galanterie que mon éducation m'empêchait de retenir, je finis par céder et, contraint et forcé, à lui offrir ce verre. Offrir, un bien grand mot, mais passons. Je profitai d'un instant d'égarement de sa part pour tendre, discrètement, ma CB au serveur. Hors de question de prendre le risque que sa couleur dorée ne révèle son plafond bancaire inexistant, et que ce soit une raison de plus de chercher ma compagnie. « Je souligne tout de même que vous n’avez pas bougé d’un centimètre. J’en reste presque flattée. » Le fait qu'elle ait raison donna du grain à moudre au petit diable qui commençait à s'emparer de mon esprit, faisant peu à peu taire l'ange qui me sommait jusqu'à lors de prendre du recul et d'apprécier au moins l'élixir pourpre que je faisais nerveusement tourner dans mon verre à pied. « Je ne compte pas partir d'ici sans avoir terminé ce grand cru. » La réaction de mon inconnue, aussi belle soit-elle, me fit craindre de lui avoir laissé une porte ouverte. Je me repris presque aussitôt : « N'allez vraiment pas croire que c'est une invitation. » Je ne pouvais pas être plus clair.
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Il ne parle pas beaucoup, mais c'est bien volontaire hein Il commence déjà à saturer de ta rouquine
Mes soupirs accompagnent les siens, et même s’il prend ses aises et tous les moyens possible pour casser l’ambiance, je le vois bien que le reste du bar est d’un ennui mortel, que toute la salle est morne, et que si je le quitte ne serait-ce que d’un centimètre, la soirée aura un goût amer en bouche. Dès le moment où il a refusé, où il s’est enlisé dans sa mauvais foi ; j’en redemandais. Et partir là alors qu’il bat lui-même en retraite ressemblerait beaucoup trop à un coït interrompu pour que je me contente de si peu. Le serveur qui s’immisce dans notre non-conversation pour me refiler sa note m’arrache tout de même un éclat de rire, jaune, et entre mes dents qui sifflent c’est déjà ça qui amuse, qui secoue un peu, pimente. Ses goûts de riche artisto resteront pour son compte en banque, le mien a même pas la force de voir le total imprimé en noir de jais sur le papier blanc ciré, néanmoins je préfère savourer chaque gorgée en planifiant la sortie d’urgence si telle est la dernière option. Mais pas besoin de manifester ma fuite, pas le moins du monde intéressée par les portes de secours menant au stationnement. C'est que le brun renchérit, qu’il arrête de se la jouer buté, qu’il me donne un peu de matière, sous mon air racoleur et ma nuque bien arquée, toute attention levée. « Il a bon dos, le grand cru. » ah ouais alors c’est pour ça que chaque gorgée qu’il prenait avait des airs de dégustation de vins de la vigne à la coupe, du vigneron à ses discours pédants sur le pourquoi du comment. Merde, que j’aime le vin. Et autant je peux entendre ma langue qui claque, mes propos qui débordent d’acide, autant rien que les parfums suffisent à ce que je me calme l’espace d’une seconde, faible seconde. Pourtant, il a de quoi rallumer le feu à la seconde où il se ravise, tente de jouer les figures paternelles presque autoritaires. N'allez vraiment pas croire que c'est une invitation. « C’est pas comme si j’en avais besoin d’une de toute façon. » et je chante, et je roucoule, et je bats des cils, et un sourire empli de malice. M’installant à nouveau confortablement dans mon siège ne suggère qu’une chose ; c’est que je suis bien là pour rester, et que peu importe à quel point il flirte entre l’attitude de gamin gâté ou de vieux chieur en fin de vie, je m’éclate beaucoup trop pour penser ne serait-ce qu’à changer de cible.
Retour au traitement du silence de sa part, à l’ignorance même. Appuyant avec une lenteur calculée mon menton dans ma paume, je vrille mon regard perçant dans sa direction, l'observant à nouveau sans vergogne, épatée que malgré ses traits durs et son attitude imbuvable je le trouve encore canon. « Oh, allez, faites pas le difficile. » elle en rajoute Ariane, elle continue de piquer tant qu’il y a à faire, et croyez-moi, y’a du contenu pour jouer toute la nuit. « Vous auriez préféré que je sois comment? Subtile, langoureuse, ingénue? » plus les qualificatifs glissent sur mes lèvres, plus on peut sentir le sarcasme dans ma voix, l’ennui, l’énervement. L'idée de devoir me plier à personnifier une fausse fillette écervelée qui se touche les cheveuxà outrance, qui gambade en format licorne, qui envoie des paillettes à chaque mot, qui donne l’impression d’être la fusion parfaite entre un Pokemon et une jeune pucelle me répugne. « Personne n’a de temps à perdre à battre des cils et à rire à des blagues même pas drôles. » ni moi, et encore moins lui à le voir calculer chaque parcelle d’oxygène que je lui gobe comme s’il s’agissait d’un vol passible de peine mortelle. « Sauf lui, mais il le fait pour le pourboire, c’est legit. » et un baiser soufflé, amusé, à l’intention du barman qui revient à nos côtés, déposant l’état d’une facture payée sous le regard de mon interlocuteur borné. Ah bah voilà, la galanterie n’était pas encore morte, et au final, ça payait d’être directe, non? Verre gratuit à la clé, je prends.
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ooooooooooooh déjà elle me rend bien fière la petite là
L'esquire avait toujours été, aussi loin que remontaient mes souvenirs, un endroit calme et paisible. L'aspect élitiste de ce restaurant gastronomique m'avait tant et si vite plu que je l'avais élevé au rang de quartier général quelques jours à peine après l'acquisition du loft que je venais d'ailleurs de réinvestir l'été dernier. De l'eau avait coulé sous les ponts depuis mon dernier verre à l'Esquire mais jamais, ô grand jamais, je n'aurais imaginé me retrouver dans pareille situation. Ce soir, il n'était nullement question de profiter du talent de ce pianiste serbe, dont les doigts entrèrent voluptueusement en contact avec les touches du piano à queue des années 1900, laissant un flot de notes harmonieuses emplir l'air de la salle. Non, ce soir, j'étais visiblement condamné à déguster. Et pas dans le sens premier, pas dans l'action de goûter et savourer un vin pour juger de sa qualité, mais dans son sens familier : bon dieu, que je dégustais ! « Il a bon dos, le grand cru. » Je soupirai, tentant en vain de faire abstraction de son attitude de gamine capricieuse. « C’est pas comme si j’en avais besoin d’une de toute façon. » Ça, c'était sûr, elle n'avait eu besoin d'invitation ni pour prendre place à côté de moi, ni pour se révéler oppressante et effrontée, ni pour camper là coûte que coûte. « Oh, allez, faites pas le difficile. » Je laissai échapper un petit rire jaune, agacé par l'impertinence dont elle faisait preuve à mon égard - nous ne connaissions ni d'Ève ni d'Adam, mais visiblement le savoir-être avait échappé à son éducation. Je fis tournoyer mon Château Giscours, profitant d'une seconde de répit pour plonger mon nez dans le coeur de mon verre et humer avec délice les parfums qu'il dégageait. Mon esprit commençait à s'évader dans les vignes françaises lorsqu'une voix, désormais bien trop familière, me tira sur terre. « Vous auriez préféré que je sois comment? Subtile, langoureuse, ingénue ? » Elle était avachie, la tête posée dans le creux de sa main et l'air ennuyé. J'eus un léger mouvement de recul face à cette femme qui, en dépit de sa majorité apparente, n'avait pas l'air plus mature qu'une gamine de trois ans. « Mais regardez-vous, même ma nièce de neuf ans serait atterrée devant votre comportement. » Ma main balaya l'espace d'un revers de la main, et mon regard se fit bien plus noir. Cette fois, ç'en était trop. Je n'étais pas là pour jouer les babysitters pour jeune femme en perdition. Exaspéré jusqu'à l'idée que cette rouquine ait gâché mon vin français, je bus une nouvelle gorgée de ce verre qui n'en finissait plus en regardant droit devant moi. « Personne n’a de temps à perdre à battre des cils et à rire à des blagues même pas drôles. Sauf lui, mais il le fait pour le pourboire, c’est legit. » Le serveur, gêné par l'attitude charmeuse et désinvolte de ma voisine, prit soin d'éviter mon regard comme s'il associait cette femme à moi. Cet instant de lucidité mit un point d'orgue à cette situation dans laquelle je m'enlisais depuis bien trop longtemps. Il était hors de question que nous soyons associés l'un à l'autre. J'avançai aussitôt mon verre inachevé sur le comptoir, sans faire attention au rebord contre lequel il vint malencontreusement se cogner. Le verre tomba, se brisa dans un court fracas et se vida tant sur le bois sombre du bar que sur mon tee-shirt. « ET MERDE ! » criai-je sans en avoir quoi que ce soit à faire du regard des autres. Là, le karma se foutait de ma gueule. Et aussi noir mon tee-shirt eut été, je ne pouvais décemment rester sans rien faire. Je n'habitai qu'à quelques pas d'ici, mais l'apprenti serveur était parti dans l'arrière-salle avec ma carte bancaire et le socle qui ne fonctionnait plus. « Mais quelle soirée de merde. » ajoutai-je dans ma barbe sans la moindre retenue. Le savoir être que les parents Warren avaient su m'inculquer avait été totalement absorbé par l'énervement, laissant apparaître une facette bien moins guindée que celle que j'arborais habituellement. Et à en lire le visage de la rouquine, cela lui plaisait - dans quelle mesure, ça je l'ignorais - et c'était bien le cadet de mes soucis. « Je peux vous laisser toute seule une seconde ou vous allez me suivre aussi ? » lançai-je sur un ton presque agressif, avant de rejoindre les toilettes des hommes d'un pas décidé.
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Je te laisse le choix, soit on poursuit dans les toilettes genre chic, hein et advienne que pourra, maybe ça peut finir en Mr & Mrs Smith :
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ou alors elle lui prend encore plus la tête sans pensée obscène et il se barre chez lui au prochain post ou tu clôtures en faisant abandonner Ariane ou autre chose d'ailleurs
Le français est excédé, c’est bon, j’ai compris. Il est poussé à bout, il en peut plus, ma présence l’exaspère, il ignore ce qu’il a bien pu faire pour que je me pointe là, que dis-je, pour que j’existe en tout et en totalité. Que je me matérialise sous ses yeux le répugne, que je lui adresse la parole le révulse. Et vous savez quoi? C’est que je préfère. Déranger. Je le fais plus trop souvent maintenant. J’ai perdu la fougue d’avant, celle qui me faisait piquer les verres des inconnus, embrasser le premier du bord, soulever mon t-shirt quand la musique était bonne. Elle prend en âge ou en maturité, Ariane? Pas du tout. Elle n’a juste aucun adversaire à sa taille, aucun caractère assez buté et acide pour renchérir, aucun compatriote tellement blasé que ça en devient un jeu, et que le prix au final réside dans ma capacité à pousser mes limites, et les siennes, les leurs. J’assiste à sa scène comme on assiste à un film d’un oeil distrait, pendant qu’on pioche dans le sac de pop corn, pendant que la chanson du générique nous rappelle un autre morceau, qu’on dégaine Shazam pour la peine. Je le regarde faire comme je m’en balance, je l’écoute attentivement tout en laissant passer, échapper volontairement de ses mots, le filtre qui se fait avec naturel et condescendance. Son complexe du papa autoritaire serait presque attendrissant si au fond je n’avais pas toutes mes daddy issues qui s'activaient avec osmose, et je me garde de le lui souligner de peur que de nouvelles esquisses de cheveux blancs viennent encore plus embellir son look d’adulte accompli. La gymnastique de la facture est en elle aussi un spectacle plutôt marrant, et bien sûr, je reste pour le moins satisfaite de voir que mon portefeuille reposera sagement au fond de mon sac pour le reste de la soirée à ce rythme. Néanmoins, la gaffe qui fait déborder son vin - et littéralement - lui arrache un râle beaucoup plus violent que ce à quoi je m'attendais pour un dude qui faisait du niveau de la maîtrise d’émotions depuis le tout début. Oui, il était amer, et oui, il avait clairement envie que je débarrasse. Mais de là à s’emporter à ce point pour une cuvée de rouge qui n’avait rien demandé d’autre que d’être dégustée? Come on, une chill pill quelqu’un? « Mais regardez-vous, même votre nièce de neuf ans serait atterrée devant votre comportement. » et je me fais le plus grand plaisir de souligner à quel point il fait une scène pour si peu, usant de ses propres paroles, la teinte de sa chemise pas du tout troublée par quoi que ce soit. Celle de son visage par contre, vire au cramoisie ascendant bordeaux, et le voilà qui se lève, s’extirpe de son siège, se rue vers les toilettes non sans s’assurer de mon bon vouloir de rester derrière. « L’adulte s’inquiète? » toujours un peu plus piquante, toujours un peu plus amusée, mon sourcil s’hausse sous la question, et mes prunelles le suivent dans son mouvement de fuite sans perdre le moindre pas. Il sait aussi bien que moi que ce n’est pas parce qu’il sort de mon champ de vision que je le prendrai comme la fin d’un duel, la conclusion d’un chapitre.
Mon sifflement épaté précède mon arrivée et déjà, j’anticipe avec le sourire le soupir de désolation qu’il fera. « Whoa, ils ont mis la totale dites donc. » et je prends le temps d’entrer dans la grande pièce de marbre aux teintes de nuit. Les miroirs décorés de fioritures, les dorures de fils de riche, le plancher aux nervures naturelles. Je jette à peine un coup d’oeil dans la glace pour voir l’étendue des dégâts sur monsieur additionnés de son mécontentement, franchement épatée de la quantité de fric qui a été injecté dans une pièce où les gens vont se délester de la plus basique des façons. « Y’a même le parfum à disposition. » un pas de plus et je retrouve le comptoir, m’y installe rapidement, jambes ballantes et attention diluée à travers tous les flacons, les bouteilles de designer, les couleurs et les noms, les marques et les motifs. Mon choix s’arrête sur la fragrance qui lui ressemble le plus, un truc noir et pompeux, un sigle sec, une essence entre le bois, le cuir, et l’agressivité refoulée. « Vous avez pas répondu. » jouant avec le bouchon, j’ai tout de même une question pour renchérir, attendant le verdict, attendant de savoir ce qu’il ajoutera, et si la mention occasionnera la possibilité que je fasse de la bouteille entre mes paumes un précieux cocktail Molotov. « Vous les préférez ingénues, ou pas du tout? »
Made by Neon Demon
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bon ok j'avoue, la salle de bain de riche bourgeois direct tu as su me charmer j'espère qu'elle aura pas besoin de sortir les armes en tout cas
et puis really, Ariane, abandonner? t'es mignonne toi
Les leçons de chimie élémentaire sont formelles : les matières colorantes ont la propriété de s'unir aux différents tissus et de former des composés plus ou moins stables, ce qui suppose que quand vous laissez tomber par mégarde du vin rouge sur un tissu, fut-il aussi sombre que la teinte du tee-shirt que je portais ce soir, une tache rouge ou violette assez persistante se forme instantanément. Je n'eus guère le temps de me lever que déjà, la couleur s'installa durablement sur le tissu. Puis, du coeur de la tâche vers l'extérieur, le liquide, ainsi dépouillé de sa couleur, se répandit comme une auréole. Mon degré de patience atteignant sa limite haute, je ne pus contenir ma colère. « Mais regardez-vous, même votre nièce de neuf ans serait atterrée devant votre comportement. » Je jetai un regard noir à mon poison nocturne qui, de surcroît, avait raison. La garce. Je quittai le bar en direction des toilettes pour hommes, sans autre espoir que celui de freiner la coloration et, peut-être même en priorité, de m'éloigner de cette folle. « L’adulte s’inquiète ? » s'enquit-elle quand je m'assurai qu'elle ne me suivît pas. La moue renfrognée, je pressai le pas pour rejoindre les toilettes. Porte fermée, le tee-shirt tendu sous le jet d'eau tiède du robinet, je tentai de rattraper ce qui était rattrapable. « Whoa, ils ont mis la totale dites donc. » Je sursautai, éclaboussant le sol au passage. « Mais vous êtes pire qu'une verrue ! » Je ne connaissais cette femme que depuis quelques (trop longues) minutes, mais elle avait le don de me pousser à bout. « Et vous êtes dans les toilettes des hommes. » grommelai-je, pourtant persuadé que cela ne lui ferait ni chaud, ni froid. « Y’a même le parfum à disposition. » Comme une touriste, la rouquine faisait le tour du propriétaire. Explorant les recoins d'un air désinvolte, faussement intéressé, elle observa les petites appliques feutrées accrochées, effleura du bout des doigts le papier peint chic, puis le marbre noir et blanc. Un peu plus et j'aurais parié qu'elle jouerait avec les petites serviettes individuelles roulées mises à disposition sur le bord des lavabos. Je quittai l'observation scientifique de ce cas d'école pour me concentrer sur l'objet de ma présence en ces lieux. Faire abstraction. C'était le seul moyen de résister à l'envie de lui coller la tête dans la cuvette ou de l'égorger sur place. Mais c'était sans compter sur sa détermination à me pourrir la soirée. « Vous avez pas répondu. » Le cliquetis du bouchon d'une fragrance qu'elle s'amusait à faire pivoter me hérissa le poil. Faire abstraction. Subitement dépourvu de la moindre retenue, j'ôtai nerveusement mon tee-shirt. Torse nu, visage fermé comme une huitre, je m'acharnai sur le tissu. « Vous les préférez ingénues, ou pas du tout ? » Mes nerfs lâchèrent. Je jetai mon tee-shirt dans le fond du lavabo et m'époumonai : « STOP ! » Je fis volte-face vers la rouquine. Cette réaction inattendue la fit naturellement reculer d'un pas, tandis que je plantai le poing droit de mon bras tendu dans le mur. Seuls quelques centimètres séparaient désormais mon visage excédé du sien. « Vous êtes une grande malade. » parvins-je à grogner entre mes dents serrées. Jamais, jamais, je n'avais rencontré quelqu'un d'aussi ... il n'y avait même pas de mot pour la décrire. Elle était un poison, une gamine mal-élevée, une garce insolente, une tornade qui bousille tout sur son passage, une tête à claques, une nymphe dont la verve était une torture, une alliance de composés chimiques sans commune mesure avec l'arme nucléaire, ... putain, elle m'énervait tellement que ça m'attirait. Une lueur lubrique dans son regard transforma ma rage en une incroyable tension sexuelle. Mon regard noir, furieux, fixa le sien. Mon poing se serra davantage. Son souffle vint caresser ma peau. Ma mâchoire se crispa. Son assurance me désarçonna - non, elle me mit dans un état d'exaspération totale. Dans une pulsion sauvage, sa chevelure flamboyante écrasée contre le mur, je l'embrassai fougueusement.
Son accueil manque cruellement de chaleur et de politesse, faut dire. Pas que je m’attendais à ce qu’il soit heureux que je l’ai suivi, bien au contraire, et de ce fait je pense même que plus son visage se crispe, tant que ses poings se serrent, j’y trouverai mon dû le sourire aux lèvres. Entre sa métaphore de verrue - big up pour mon insistance, maman serait fière de ma persévérance à obtenir ce que je veux une fois de plus - il renchérit platement de l’évidence. Cap’tain obvious que je pense, soupirant à peine, rôdant autour de lui comme un prédateur, mon regard acéré se charge du reste. « Perspicace, et observateur. Joli combo. » son traitement du silence totalement enfantin me fait rire, et entre tous les items que je touche du bout des doigts, la bouteille de parfum et les quelques barres de savon que je pique du revers pour avoir des trucs gratuits à exhiber à Vitto la fierté au coeur, n’en reste que de l’observer faire me donne pas mal d’arsenal, de munitions.
Il est pointilleux, il est caractériel. Il est linéaire, il est concentré, il a érigé un mur entre nous et grand bien lui en fasse, c’est peut-être ce qui le protégera d’une de mes prochaines attaques. Sauf que j’ai pas envie d'abandonner en si bonne manche, j’ai pas tant le goût de l’avoir autant embêté pour finir par revenir bredouille à GQ en disant que “oh, le pauvre adulte trop pincé trop friqué trop huppé à qui j’ai parlé au bar hier m’a dit non c’est non, du coup j’ai remballé mes affaires et je suis rentrée tôt à la maison pour ne pas manquer la finale de Masterchef”. Le défi de piquer encore plus, le besoin d’avoir tout de même une réponse même s’il me la crachera au visage, même si je recevrai un des items à sa portée par la tête. Même s’il finit par me faire sursauter le con, en frappant de toutes ses forces à quelques centimètres à peine de mon visage. Y’a toute une séquence de coups qui me monte à la tête, je sais exactement que mon direct entre ses deux yeux le projetterait en arrière, que mon uppercut sous sa mâchoire découpée au couteau lui filerait un goût de fer en bouche. Je suis persuadée qu’un genou en pleine pomme d’Adam suffirait à lui couper le souffle, le temps que mon pied se charge de lui casser quelques côtes en guise d’au revoir mémorable. J’attends que ça, qu’il me frappe, qu’il reprenne en tentant de mieux viser, qu’il ose le salaud, qu’il perde son sang-froid pour des balivernes.
Et à la place d’une claque, je reçois une insulte de base, un truc presque triste pour toute la tension qu’il a entretenue jusque là. « Oh, arrêtez, vous allez me faire rougir. » que j’avance, prête à battre des cils et à attendre la suite. Mais la suite, ce sont ses lèvres qui se braquent sur les miennes, qui pressent et oppressent, qui empêchent le moindre mot de sortir de ma bouche, à son plus grand bonheur je présume. Il étouffe mon souffle autant qu’il joue avec mes nerfs, et même si je réponds aussi férocement que lui à son baiser avec le simple plaisir de lui mordre la langue par pure vengeance, la seconde suivante mon visage se détache du sien. Et mon regard, oh mon regard. Il est noir, et il veut tout dire. « Alors, vous les préférez directe, je note. » clin d’oeil d’office, une petite tape prude à souhait sur son torse, et je me faufile sous son épaule sans demander mon reste. « Merci pour l’étude de cas plus qu’intéressante. » je pense même à ajouter une révérence bien pompeuse à mes mots, question de parler son langage de bourgeois. Avant que j’oublie toutefois, y’a la précision qui me semble être nécessaire. « Et pour info, c’est moi qui embrasse la première habituellement. » il a à peine le temps de répliquer, de m’emmerder avec ses accusations à deux balles, que je le plaque à mon tour au mur, un round two un brin plus passionné que le précédent, juste parce que j’aime prouver que j’embrasse mieux que quiconque, juste parce que je suis imbue comme ça.
La plupart des gens que je croisais dans ma vie, dans mon quotidien, me jugeaient sévèrement ; froid, solitaire, hautain, je-sais-tout étaient les qualificatifs les plus fréquents. Et si aujourd'hui, les critiques des personnes pour qui je n'avais pas la moindre affection glissaient sur moi comme des gouttes d'eau sur du verre, je n'en demeurais pas moins gonflé de fierté lorsqu'il s'agissait, principalement, de ma vie professionnelle. Ce soir, pourtant, ma fierté s'était trouvée sévèrement ébranlée pour une raison inédite : le lead que cette rouquine cherchait à prendre sur moi, par des tas de combines douteuses. Ma première erreur avait été de lui accorder un minimum d'importance, ces cinq foutues minutes qui me couteraient un pressing ... et mon sang-froid, évaporé à l'instant même où je l'avais plaqué contre le mur pour lui adresser une ultime parole. Oh, arrêtez, vous allez me faire rougir. » La goutte d'eau, cette fois, fit déborder le vase de mes émotions. Et pour la première fois de la soirée, je savourai le silence que notre baiser sauvage lui imposait et auquel elle répondait goulûment. Une imperceptible micro-expression, crispée, marqua mon visage lorsque qu'elle vint me mordre la langue. Ce que je supposais être le retour de flammes d'une meneuse prise à son propre jeu aurait pu me faire fuir à grandes enjambées, mais c'était trop tard : elle m'avait rendu fou. « Alors, vous les préférez directe, je note. » souffla-t-elle à peine nos langues déliées. « Merci pour l’étude de cas plus qu’intéressante. » Mes mains, de nouveau plantées dans le mur derrière elle, se crispaient davantage à mesure qu'elle débitait son insupportable flot de paroles. Là encore, si fuir cette femme eût été une sage hypothèse, je ne l'envisageai plus une seule seconde. Je ne l'entendais plus, je remarquai à peine le regard lubrique, de ses yeux sombres plissés, qu'elle me renvoyait. Je ne voyais plus que ses lèvres carmin danser au rythme de ses paroles, crevant d'envie d'y mettre fin. « Et pour info, c’est moi qui embrasse la première habituellement. » Je n'eus guère le temps de répliquer quoi que ce soit qu'elle reprit, à son grand plaisir, les rênes de cette épopée lascive. La rousse plaqua ses lèvres contre les miennes pour engager un baiser plus sauvage encore que le premier, sans autre retenue que celle de nos propres corps. Ce retournement de situation fit bondir mon thermomètre interne, si bien que l'excitation devint bientôt incontrôlable. Le dos plaqué contre le mur, à mon tour, je la poussai vers les lavabos, quittant une seconde à peine notre échange langoureux, le temps de se jeter le regard noir de deux prédateurs, avant de la soulever pour l'installer sur le marbre, faisant valser tous les éléments qui trainaient autour. Une main contre sa nuque, dans ses cheveux violemment emmêlés, l'autre relevant sauvagement le bas de sa jupe jusqu'au creux de ses reins, révélant une lingerie fine qui enterra définitivement mon sang-froid. Ses jambes fines dénudées, l'excitation à son paroxysme, je vins détacher la boucle de ma ceinture et fis tomber la derrière barrière qui se dressait entre nos corps brûlants. Sans autre forme de procès, je lui adressai des yeux incendiés, rageurs, avant d'entamer le round three de notre combat charnel. Nos corps ne firent plus qu'un, et dans le désir d'imprimer un rythme sauvage à cette folle union, j'entamai l'ultime assaut fougueux et sans concession. Nos respirations, intenses, courtes, accompagnèrent les ondulations démoniaques de son bassin, le mouvement lascif de ses hanches et les tremblements de sa poitrine. Je mordis, à mon tour, sa langue insolente. Tous mes muscles se contractèrent de désir, de plaisir, partageant l'ivresse charnelle de ma partenaire à qui, sous sa chevelure flamboyante en bataille, je susurrai suavement : « Je gagne. » Cette ultime parole avant l'explosion charnelle n'avait d'autre but que de rendre à cette femme, semblable à un nymphe qui m'aurait ensorcelé, la monnaie de sa pièce. Et, bonus non négligeable, cela flattait mon égo.
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Et il a fait pire maintenant Il n'allait quand même pas se laisser faire
Même pas peur, l’air de défi qui prend d’office sa place sur mon visage, le sourcil arqué dans la plus puérile des provocations. Il se croit tout permis à tempêter, à grogner, à rager, mais il est comme les autres. À celui qui brouhasse le plus fort, à celui qui fait trembler les murs et les montagnes et les coeurs. À celui qui montre à quel point il détient tout le pouvoir du monde entre ses mains. Et ça m’agresse, ça m’en brûle tellement ça m’agresse. C’est inné, viscéral, c’est décidé et il m’est tout sauf égal. De haut, je le regarde de ma tête de moins que lui, je m’en balance de mes prunelles qui bouillent vers son visage fermé. Je l’ignore, son râle rauque, à peine je sursaute lorsque sa paume me bloque le passage, la peau qui frôle ma joue, le soubresaut que je ravale comme une bonne élève l’instant d’après. Oh, que je ne lui ferai pas ce plaisir de céder à son chantage, à ses conneries. D’un oeil brillant je l’observe tenter de contenir son calme, comptant les secondes, les fractions, les hâles hâtifs qu’il laisse aller dans ses élans de rage, anticipant l’explosion le sourire aux lèvres, l’attention rivée sur le compte à rebours imaginaire, les chiffres hypothétiques qui se succèdent à la baisse contre les parois de mon esprit tordu. Son souffle se casse sur ma nuque, ses lèvres s’empresse sur les miennes, c’est l’adrénaline qui pousse trop vite et trop fort, l’instinct - de survie, du reste - qui justifie la relance, le robinet qu’il laisse couler comme un fils de riche qui perd pas son temps à penser aux Africains en manque d’eau potable. Tout m’exaspère, tout me répugne, tout me dégoûte dans ses gestes et ses mimiques et son audace de bourgeois, de playboy jadis dans la fleur de l’âge. Il se replace les vêtements et les esprits, j’ai déjà plus rien à faire ici. Sauf qu’elle pique Ariane, elle est abrasive, elle joue avec le feu, parce qu’elle se considère le plus égoïstement du monde comme de ces flammes qui ne s’éteignent pas, qui terrassent tout, sournoisement, laissent rien derrière. Des vestiges sur mon chemin quand je le plaque à son tour, quand j’y vais un peu plus fort que prévu rien que pour entendre le craquement d’un os et d’un autre contre le mur de pierre, la salvation instantanée. Et le reste déferle, il s’en occupe, il croit qu’il mène la danse, j’éclate de rire contre sa bouche suffocante, contre son haleine révoltante de vin de milord et de pulsions presqu’animales. Ses paumes se risquent sur mes hanches, se referment dans un bruissement de tissus, mes doigts s’enfoncent dans sa nuque et la saisissent en s’y plantant ongles premiers. La valse de celui ou celle - évidemment, celle - qui a le plus de pouvoir des deux s’entame sous mon courroux, mes cambrures qui s’adaptent aux siennes pour mieux m’y arracher dès que je le sens plus faible, plus vulnérable. Il reprend la cadence d’un coup d’oeil carnassier, vulgaire pièce de viande entre ses mains que je roucoule, que j’insiste, impatiente, trop. Et mes vêtements volent au sol, j’ignore où, comment, quand, les siens ne font bientôt plus barrière, le froid sur comptoir m’arrache un cri ou deux, la chaleur de son corps rattrape le tir. La seconde d’après, s’échoue en échos tout autour de nous une plainte de plus, celle qui accompagne notre union improbable, posture désarticulée qui apparemment n’est pas prête de lâcher prise ni d’un côté ni de l’autre. Mes lèvres en son otage que je tente de dérober, qu’il force plus fort encore, et il mord le salaud. Il me rend la monnaie de ma pièce dans un éclat de rire supplémentaire, ses cheveux que je tire, son dos où j’arrive à me faufiler sans grande difficulté pour y laisser une marque ou dix. Pas une seule âme qui vive ose entrer dans notre périmètre, c’en est presque trop beau et à peine décevant, c’en est ridicule à entendre les gémissements qu’il occasionne, que je lui renchéris. Et lorsque je sens le poids de son corps qui finit par prendre un rythme plus lent, lorsqu’il atteint son apogée alors que j’en suis déjà la mienne, ma nuque se relâche, ma tête s’abat sur le miroir derrière nous, ma respiration s’intensifie pour mieux se calmer, reprendre contenance. Ses mots, piqures d’acide, qui me ramènent plus vite encore à ici, à maintenant, et un roulement d’yeux d’office dont il doit être blasé, à force. Pas moi. « Ah ouais, à celui qui est le plus rapide, c’est la médaille d’or assurée. » bien sûr que tu gagnes bonhomme, si c’est ce que tu as besoin d’entendre pour te coucher ravi de vivre ta crise de la quarantaine à plein, dans les chiottes de ton restaurant de luxe pref. « Ça m’a presque donné envie de censurer votre nom dans mon article. » le dépit et la pitié était deux armes redoutables. Et le barman qui avait manqué de tact en laissant la carte bleue de monsieur traîner un peu trop longtemps sur le comptoir, sous mes yeux de biche, avides. « Mais ça serait trop facile. » on croirait presque que je l’ai mémorisé, le nom qu’il m’a sans doute entendu murmurer, entre deux expirations enflammées.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette femme et moi avions trouvé un terrain d'entente. L'espace de quelques mouvements enflammés, le temps d'une éruption. Et puis, comme un soufflé, tout était retombé. Le voile d'une émotion sauvage et spontanée, dans l'instant, se dissipa peu à peu. L'aube, vraie, clairvoyante, détrôna le crépuscule dont nous nous étions enfoncés les yeux fermés, et m'embarqua dans une dérangeante prise de conscience. Depuis mon retour à Brisbane, celui qui devait être définitif, la première femme avec qui j'avais partagé un moment intensément charnel était une folle à lier, qui plus est chroniqueuse dans la rubrique love d'un journal que je ne lirais sans doute jamais ... à l'inverse d'un large panel de femmes de 25-45 ans. Les ménagères, comme les médias aimaient en faire tantôt la publicité, tantôt l'acerbe critique, seraient sans doute ravies de lire comment leur porte-parole est parvenue à faire craquer le professeur solitaire au séduisant accent français. Et j'en avais suffisamment entendu de sa part pour espérer que l'incandescente dresse un délicat portrait de moi. « Ah ouais, à celui qui est le plus rapide, c’est la médaille d’or assurée. » Je redressai vers elle un regard perfide. Si je n'avais guère accordé d'importance au contenu de ses propos jusqu'à présent, cette ultime provocation vint titiller mon orgueil. Gonflant sensiblement mon torse, symbole d'une virilité exagérément assumée, je rebouclai nerveusement ma ceinture. « Un podium que vous sembliez ravie d'avoir gravi il y a encore deux minutes. » Quoiqu'il en soit, dans un moment de fébrilité qui n'avait appartenu qu'à nos corps embrasés, je je demeurais convaincu que le plaisir n'avait pas été feint. Et honnêtement, je n'aurais jamais accepté qu'il en soit autrement. Niant alors toute autre hypothèse qui réduirait mon égo à néant, je campai littéralement sur mes positions, sans piper mot. « Ça m’a presque donné envie de censurer votre nom dans mon article. » J'arquai un sourcil, cherchant dans son regard mesquin une lueur qui me confirmerait, ou m'infirmerait, qu'elle en avait réellement connaissance. Il n'y avait pas la moindre raison qu'elle puisse connaître mon identité, à moins de fréquenter l'université à ses heures perdues, mais quelque chose me poussait à me méfier. La petite avait plus d'un tour dans son sac, et elle semblait tout autant habile dans le bluff d'une reine du poker que dans la précision intrusive d'une journaliste sans scrupules. « Mais ça serait trop facile. » Elle me provoquait encore, celle-là. « Vous ne vous arrêtez donc jamais ? » lançai-je en soupirant, excédé et désemparé par cette tornade qui ne cessait d'aboyer comme un petit chien hargneux. Je lançai un dernier regard agacé à mon tee-shirt auréolé d'une tâche rougeâtre, qui m'avait valu bien plus que prévu, avant d'inspecter mon apparence générale dans le miroir. Hors de question que mes cheveux soient un peu ébouriffés, que la fermeture éclair de mon jean soit entrouverte ou qu'une trace de rouge à lèvres carmin se soit glissée quelque part. Hors de question d'attirer l'attention de quiconque en sortant de ces toilettes, et plus largement, de ce restaurant que je comptais bien réélire comme mon quartier général. Après quelques brefs contrôles qualité, je me rinçai méticuleusement les mains, comme un criminel qui souhaiterait faire disparaître les traces du pêché qu'il venait de commettre. « Je pense que vos cinq minutes sont largement écoulées. » Je devais avouer, non sans mal, qu'elle était douée, la bougre. « Allez, n'abusons pas des bonnes choses ! » L'ironie à son paroxysme, j'adressai à la rouquine une geste de la main, que j'espérais être un adieu, et tournai les talons vers la sortie pour quitter, en toute hâte, les lieux du crime.
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Je te laisse voir si tu veux faire réagir Ariane pour clôturer ou si tu préfères qu'on en reste sur ce post ? Marius va limite s'enfuir en courant à cause d'elle