Ce qu’il faisait doux pour une soirée d’hiver à Brisbane. L’air était frais, chatouillait la peau d’un vent léger et quelques rayons de soleil parvenaient tout de même à percer les nuages et venir se poser sur la figure des promeneurs. Ce samedi-là, pas mal de personnes se trouvaient du côté de Bayside. Cela n’avait, en réalité, rien d’étonnant. C’était le week-end et il faisait particulièrement beau pour une journée hivernale.

Pour Dean Maguire, c’était l’occasion rêvée de sortir un peu de chez soi et de s’aventurer dans les quartiers où il n’avait pas encore pris l’habitude d’y aller. Quelques jours plus tôt, il avait croisé sa cousine Eireen à un coin de rue de Fortitude Valley et, malgré la bonne volonté de chacun, leur discussion ne fut que brève suite aux emplois du temps de chacun. Seulement, le jeune Irlandais ne voulait pas en rester là : il lui avait proposé de faire un petit diner des familles dans les jours à venir. Après tout, pourquoi pas faire un restaurant entre cousins ? Depuis quelques années, les deux jeunes gens avaient fini par fortement se rapprocher. C’était tout de même étonnant, connaissant leur passé. Cela convenait tout de même très bien à Dean, qui ne voyait plus sa vie sans sa cousine à présent.

Le restaurant qu’il avait proposé à sa cousine était bien noté sur TripAdvisor. Le Chumley Warner’s Fish & Chips. C’était quelque chose d’assez british, ce dont ils avaient eu tous deux l’habitude de manger durant leur enfance. Alors, pourquoi ne pas tenter le coup ? Dean étant un passionné des restaurants, il n’était encore jamais venu avec celui-ci. C’était l’occasion d’élargir sa carte de restaurants déjà squattés et d’aller encore mettre un avis positif ou non sur son compte de jugement gastronomique.

L’heure du rendez-vous avait été fixée aux alentours des dix-neuf heures. Seulement, pour être sûr de ne pas arriver en retard, à cause de cette circulation de malade, Dean avait pris un peu d’avance, trop même. Il était arrivé une bonne demi-heure à l’avance, à tel point que le restaurant n’avait, hélas, pas encore ouvert ses portes. C’était l’occasion de se promener dans les rues de Bayside et de regarder un peu les boutiques, là où il allait encore bien chercher des souvenirs pour ses parents, retournés en Irlande. Bien évidemment, les époux Maguire-Walsh connaissaient bien l’Australie pour y avoir vécu durant des années, en particulier à Sydney. Seulement, le fait de leur envoyer un petit quelque chose de Brisbane de manière régulière, faisait rappeler au couple que leur fils allait bien et pensait fort à eux.

Enfin, les dix-neuf heures sonnèrent depuis les cloches d’une église, non loin de lui. Dean se rappela alors qu’Eireen n’était pas spécialement du genre à être en retard, qu’il avait alors plutôt intérêt à revenir sur ses pas pour entrer dans le restaurant. Le chemin du retour fut plus rapide que l’aller. Forcément, il n’allait pas regarder les vitrines des boutiques une seconde fois. Il les avait retenues.

Arrivé devant le restaurant, il poussa la porte et, aussitôt, un soupir de soulagement le gagna. Cela sentait particulièrement bon et lui donna aussitôt cette envie folle de tout dévorer maintenant. Quel défaut que d’aimer bien manger, à tout temps, à toute heure ! Un serveur arriva vers lui, il donna son nom pour confirmer la réservation. Visiblement, sa cousine n’était pas encore là. Dean espérait secrètement qu’elle ne se pointe pas avec du retard, lui qui avait déjà hâte de prendre l’apéro et de goûter aux mises en bouche proposées par le restaurant. Il s’installa à l’une des tables près de la fenêtre, comme l’avait invité le serveur à le faire, et attendit – non pas trop sagement – l’arrivée d’Eireen.

Les serveurs allaient et venaient entre les différentes tables dans le restaurant. Tantôt, ils avaient des plats dans les mains, avec une fumée manifestant la chaleur de ces derniers – les plats, au passage, avaient l’air tous aussi bons les uns que les autres. Tantôt, c’était des boissons qui allaient se poser sur les tables. Entre les verres de vin bien ronds et les cocktails notés sur la carte des suggestions, Dean se demandait où il avait bien la tête. Diable quand est-ce qu’Eireen allait arriver ? Il avait tellement hâte de commander !

Au même moment où cette pensée le traversa, il vit la jeune femme débarquer depuis un taxi. Un soupir de soulagement et de satisfaction l’envahit. Ah, enfin ils allaient pouvoir manger ! Enfin, ils allaient surtout enfin pouvoir se détendre et profiter d’un bon moment ensemble. Alors qu’elle était en train de dire le nom de la réservation pour qu’on l’amène à la table, Dean se mit à agiter les bras comme un enfant pour lui indiquer sa direction. Au lieu d’attirer l’attention d’Eireen, cela percuta plutôt celle d’un jeune couple assis non loin de leur table. Tous deux regardèrent bizarrement Dean, en se demandant s’ils se connaissent ou non. Mais Dean n’en avait que faire à ce moment-là, Eireen venait d’arriver à sa hauteur, c’était tout ce qui l’importait à cet instant : « Hey, toi ! » . « Bonjour, vous ! » répondit-il aussitôt, se laissant complètement faire par rapport à l’étreinte de sa cousine. « Désolée. Y'a eu un accident sur la route. Le taxi a été obligé de faire un détour. Tu vas bien toi ? » lui dit-elle avec un débit si rapide qu’il eut du mal à suivre. Ah, ces taxis ! C’était toujours le problème à Brisbane. Ils allaient dans tous les sens, voulaient toujours passer alors que le feu était rouge, c’était le bordel. Heureusement, pour le travail, Dean et le procureur voyageaient beaucoup avec des chauffeurs privés. A la limite, il préférait aller à pieds plutôt que de prendre un taxi. « Et si on commandait un petit quelque chose pour commencer ? » - « En voilà une très bonne idée ! Cela va me faire dire que moi, je vais toujours bien, surtout quand je suis au restaurant ». Il ne mentait quasiment pas là-dessus. Même si croiser Heidi et Benjamin dans les rues de Brisbane le rendait en mille morceaux à chaque fois, une des choses qui le consolait facilement était les restaurants, la bonne bouffe et l’excès.

La serveuse revint vers eux avec deux cartes pour qu’ils puissent choisir leur plat et tout ce qui pouvait leur faire envie. « Souhaitez-vous un petit apéro pour commencer ? » - « Mais très certainement ! » s’enchanta alors le jeune Irlandais, comme si elle venait de lui dire les mots magiques pour le faire exploser de joie. « Ce sera un bon Gin tonic pour moi, pour commencer ! ». En laissant ensuite Eireen demander sa boisson, il ouvrit aussitôt la carte pour regarder ce qu’il y avait de bon au menu. C’était juste, qu’avec le ventre vide, Dean avait toujours cette envie de faire le combo entrée-plat, en commandant bien évidemment toutes les entrées, tous les plats et refaire un tour. La réalité en aurait été tout autre, bien entendu. « Hm… tu prends quoi, toi ? Et tiens… » lui dit-il avant même qu’elle n’ait eu le temps de répondre, comme si quelque chose lui sautait aux yeux : « Et comment va Kaleb ? Il n’avait pas envie de venir, lui aussi ? ». Ah, Kaleb et Eireen. Ils étaient parfaits ensemble, Dean avait été si content d’assister au mariage, au point qu’il en oubliait que le sien était tombé à l’eau… Enfin, presque.

Le jeune Irlandais jouait distraitement avec la carte des menus. C’était de toute évidence l’un des meilleurs moments de sa journée, lui qui ne vivait que pour la nourriture et les restaurants. Autant il aimait bien se faire à manger, autant aller manger, trainer à table et accompagner le tout de bon vin était ce qu’il préférait. Lorsque sa cousine parla de prendre un Martini, il y réfléchit longtemps. Bien qu’il eut l’envie de prendre la tête chose qu’elle, quelque chose le retenait particulièrement : la cuite au Martini était encore trop récente que pour tenter le coup. Il fallait toujours attendre un peu avant de s’en remettre… pour ensuite recommencer ! « Je ne me souviens pas être venu ici… Tu connais les lieux ? J’espère que leur Gin Tonic est bon ». C’était, en effet, toujours à double tranchant : soit le Gin Tonic était dans un beau verre sur pied, une forme bien ronde comme un ballon, de belles rondelles de citron et quelques épices entourant la paille épaisse et noire. Dans certaines brasseries, Dean avait eu droit à un fin verre à eau, avec bêtement du tonic tiède, ce qui faisait que son argent partait dans quelque chose de scandaleux. « Sinon, je me sentirais obligé de boire ton Martini », finit-il par dire, sur un ton de plaisanterie. « Il est à l'étranger actuellement. Pour préparer le prochain grand prix » - « Quel homme ! Mais il aurait pu t’amener avec lui, vous m’aurez envoyé une carte postale ». Il se caressa le menton, songeur : « En réalité, je pourrais toujours lui demander moi-même. Pas obligé que tu sois avec lui » - « Mais il m'a promis qu'il essayerait d'organiser un petit quelque chose. Il a envie de te connaître. C'est juste ... comme il est souvent sur la route, c'est compliqué » - « Ce serait parfait. En attendant, je t’ai pour moi tout seul ». A ces mots, il afficha un large sourire, alors que le serveur revenait avec leurs deux boissons. Par chance, le gin tonic ressemblait à ceux apparaissant dans les rêves les plus fous du jeune Irlandais. « J'me laisserais bien tenter par un bon morceau de viande » entendit-il de la part de sa cousine alors qu’il avait de nouveau plongé son nez dans la carte. « Hm, de la viande. Quelle bonne idée ! La bonne grosse entrecôte bleu avec une bonne sauce au poivre… ». Mais tout bas, il pensait que ce restaurant n’était peut-être pas spécialisé en grillades, était-ce là une bonne idée du coup ? Les yeux plissés sur les différents plats, Dean tenta de ne pas montrer que choisir son plat était là une tâche plus compliquée qu’un cas de tribunal. « Quoi, je ne sais pas encore. » - « Moi non plus… bon allez, essayons l’entrecôte ! Bleue, frites, sauce maison, mettez-moi la totale ! » dit-il comme un enfant avec de reprendre plus sérieusement : « S’il vous plait ». Enfin, après avoir laissé le temps à sa cousine de choisir son plat, il leva son verre – avec bien des étoiles dans les yeux à l’idée de boire ce dernier – pour trinquer avec elle. « A la tienne, cousine ! ». Leurs verres se cognèrent légèrement et Dean put boire les premières gorgées de son apéritif. Enfin, ils reprirent : « Pour en revenir à Kaleb, il te passe le bonjour toutefois » - « Oui, Kaleb… l’est bien gentil ce coco. Remets-lui mon bonjour aussi, une grosse lèche sur sa joue ». Il but de nouvelles gorgées de son verre, avant de poursuivre : « Je ne me souviens pas de la dernière fois que je l’ai vu… sans doute au mariage en fait. Alors c’est sûr, je serai bien content de le revoir aussi ».

Dean avait tellement attendu pour ce moment entre cousins. Il fallait dire que leur relation n’avait pas été aussi facile ni agréable avant ces quelques années. Après tout, sur le sol irlandais, combien de fois s’étaient-ils vus, en dehors des réunions familiales pour les anniversaires, les fêtes de fin d’année et autres événements ? Au moins, là, ils avaient grandi. Et si Dean voyait sa cousine, c’était bien par plaisir et non par obligation familiale. C’était bien là la preuve que bien des choses avaient changé entre eux. « Profite du fait que tu m'as pour toi tout seul. Parce que ça arrivera pas toujours ». Et il rit à cette remarque. Forcément, malgré cette situation qui se profilait à eux, ce n’en était pas plus facile pour autant. Contrairement à lui, Eireen entamait une vie à deux, une vie de famille et vivait sa trentaine de la plus belle manière que lui aurait pu espérer. Si lui pouvait encore se permettre des conneries comme s’il avait encore dix-huit ans, Eireen, elle, n’avait peut-être plus cette même philosophie de vie. Alors, lorsque des occasions comme celle-ci se présentait, Dean s’efforçait de ne pas la laisser partir. Après tout, dans les moments down, la famille était là. « On devrait faire ça un peu plus souvent, je trouve » - « Tu as entièrement raison ». C’était exactement le genre de pensées qui le parcourait à cet instant, alors que les gorgées de son Gin tonic traversaient sa gorge et allaient lui dégourdir les jambes d’ici quelques minutes. C’était comme un moment de répit parmi les quelques tracas de sa vie. C’était là quelque chose de difficile à concilier. Son arrivée à Brisbane était purement pour son meilleur ami, du moins, la personne qui l’avait été depuis le jardin d’enfants. Benjamin Brody, du haut de sa connerie et de son air déluré, pouvait jouer avec Dean comme avec un pantin et le rendre complètement vulnérable alors que Dean se sentait pousser des ailes la seconde avant. « Je lui ferais même un gros câlin de ta part la prochaine fois que je le vois ». Eireen venait de le faire sortir de ses pensées. « Les beaux jours vont revenir. Et il va terminer la saison. J'l'aurais pour moi, à la maison. Et il sera là plus souvent. Et on trouvera un moment pour qu'on se fasse un quelque chose. Genre un bon barbecue » - « En voilà une très bonne idée ! » s’exclama Dean, lui qui trouvait toujours n’importe quelle raison pour la fête. Mais pour le coup, cela semblait bien plus important qu’une simple raison : c’était sympathiser avec Kaleb, la personne qui partageait le quotidien de sa propre cousine. « Après tout, il fait partie de la famille maintenant, non ? ». Et la famille, bon sang ce que cela pouvait être important aux yeux de Dean pour le moment. « Et il a déjà été en Irlande avec toi ? Maintenant qu’ils sont de nouveau tous là-bas, je pense qu’on va se faire rappeler comme au bon vieux temps dans la maison des grands-parents, à fêter l’un ou l’autre événement qu’on ne savait même plus pourquoi on était là. Pas vrai ? C’est comme la fois... » et là, Dean partit dans l’explication de l’un de ces souvenirs familiaux qui ressortaient à chaque fois. C’était l’anniversaire de son oncle, le père d’Eireen. Ca avait été folklorique du début à la fin, notamment parce que Dean comme Eireen touchaient à peine à la dizaine. Ils couraient partout, ils avaient renversé des nappes et des plats. Ce n’était pas le genre d’événements qui s’oubliait facilement. Il rit à plusieurs reprises dans son discours, sachant très bien que ce moment serait partagé par sa cousine. Après plusieurs minutes, pour ne pas dire une bonne quinzaine, de partages de souvenirs, leurs plats arrivèrent. Pour Dean, ce fut comme si les cloches de Rome sonnaient rien que pour lui. C’était ce qu’il préférait dans la journée : manger. « Merci, merci » tenta-t-il de dire sérieusement au serveur, alors que cette excitation à l’idée de manger le trahissait. Alors que le serveur tendait l’assiette de bavette à Eireen, le jeune Irlandais reprit avec un air qu’il voulait tout aussi sérieux, plissant les yeux. « Vous nous mettez une bouteille du vin rouge du patron avec ceci ? ». Forcément, qui était assez bête pour manger une bonne viande cuite « de manière bleue », sans un bon vin rouge ? C’était le genre de question que se posait souvent l’Irlandais. « Bon appétit, cousine ! » déclara-t-il, voyant que son plat avait l’air aussi bon que le sien, avant de se mettre à engloutir son entrecôte.

Eireen et Kaleb, ce petit couple bien heureux qui était le contraste de ce que Dean pouvait avoir comme relation ces temps-ci. « Une fois toutes les deux semaines, ça pourrait être sympa. Tu ne trouves pas ? Un déjeuner. Un diner. Ou une activité sportive. Qu’importe. Après, quand c’est l’hiver, faire du sport en dehors, j’dis pas. On ne va pas non plus tomber malade. Mais on pourrait faire des choses chouettes. » - « Tu as raison » avait-il calmement répondu à ce moment-là. « Oui, il fait partie de la famille. A la vie à la mort, j’espère. » - « Ca, ce sera à vous de vous le prouver. » - « Oh, on a été à quelques endroits. Mais pas en Irlande. Ca ne veut pas dire qu’on ne le fera pas à un moment ou à un autre. » - « C’est sûr, il n’est jamais trop tard pour tomber amoureux de l’Irlande. » Et c’était peu dire. Malgré qu’il était en Australie depuis maintenant presque vingt ans, il aurait dû s’y faire à ce pays du kangourou. Le problème était qu’il se sentait bien trop Irlandais pour cela et que la Guinness lui semblait bien plus savoureuse que l’une de ses pils australiennes. D’ailleurs, son envie de retourner au bercail se manifestait dans le récit des histoires de son enfance, celles où Eireen était inévitablement mêlée. Son enthousiasme ne pouvait que nourrir celui du jeune homme, bien trop content de pouvoir encore s’en souvenir comme si c’était hier. Mais leurs plats arrivèrent enfin et ce n’était pas trop tôt. « Oh, une bouteille, carrément ? » - « Et pourquoi pas ? » avait-il répondu. C’était de toute façon l’expérience qui lui montrait que les plats étaient bien plus savoureux une fois qu’ils étaient accompagnés d’un bon verre de vin. Et comme il était bien connu qu’une bouteille se divisait en six verres également, Dean et Eireen allaient pouvoir en boire trois chacun en mangeant. Mais enfin, Dean avait seulement mangé quelques premières bouchées que la bouteille arrivait enfin : « Tu as dû faire bonne impression pour qu’il te ramène une bouteille aussi vite. » C’était certain. « Il as dû comprendre que tu allais le harceler jusqu’à ce que tu aies ta bouteille. » - « On ne badine pas avec le vin, crois-moi. » dit-il alors que le serveur lui fit goûter le vin, comme les techniques de l’horeca lui avait sans doute appris durant ses années de formation. Une fois que Dean eut acquiescé pour signaler qu’il n’était pas bouchonné, le serveur entreprit de servir Eireen d’un bon verre, avant de faire de même avec le sien. Enfin, une fois qu’il eut tourné les talons pour retourner à son servir en vitesse grand V, Dean leva son verre pour trinquer en compagnie de sa cousine, silencieusement cette fois-ci, car trinquer sans occasion en était une également. Une fois qu’il but quelques fines gorgées de son verre de vin, le serveur revint pour reprendre leur verre d’apéritif vide, alors qu’Eireen s’exclamait : « Pas mauvais, ils n’ont pas déconné avec la bouteille. » – « Ils doivent avoir un bon fournisseur ou avoir trouvé un bon plan, en effet. » Pour lui, boire le vin du patron reviendrait à choisir par défaut le choix de la maison. Non seulement c’était bien souvent l’un des moins chers à la carte mais cela montrait toute la capacité de l’établissement à choisir un vin et le proposer comme « le vin du patron ». Et pour le coup, « Le patron a bon goût, right ? » Il ne regretta pas du tout son choix. Le repas s’en suivit alors de la manière la plus classique : manger à son aise, rire de tout comme de rien, parler encore de souvenirs liés aux fêtes de famille, finir le premier verre de vin, resservir deux verres pour Eireen et lui, finir le repas, picorer dans le plat de sa cousine pour la taquiner, finir son accompagnement de frites, boire de nouvelles gorgées et finir son plat avec l’impression d’avoir englouti un bœuf entier. « Ah, j’en peux plus. » En face de lui, Eireen semblait finir également son assiette. Pour un petit fish and chips australien, la viande se défendait pas mal. Certes, ce n’était pas une entrecôte irlandaise, mais cela avait pu faire l’affaire. « Alors, bien mangé ? » lui demanda-t-il tout simplement, alors que les serveurs allaient et venaient dans les allées du restaurant, bien plus pressés que Dean qui s’affala sur le dossier de sa chaise. Il reprit son verre de bin pour terminer son second verre, attendant à ce qu’Eireen fasse de même pour diviser le restant de la bouteille en deux. « Un dessert? »

Parler de l’Irlande avec sa cousine avait pour effet de le ramener sans hésitation à la case « enfance », là où tout lui semblait beau et innocent. Forcément, malgré les nombreuses années passées en Australie, Dean ne se sentait pas pour autant Australien. Son cœur allait toujours à la couleur verte de l’Irlande, comme une évidence. Savoir qu’« un petit séjour pourrait nous faire du bien » en parlant de Kaleb et d’elle, cela donnait de toute évidence envie au jeune homme d’y retourner, encore et toujours. Fort heureusement, cette nostalgie l’avait quitté au moment du repas, qu’il avait savouré en sa compagnie, à parler de tout et de rien. Leur discussion sur le vin semblait banale, mais Dean ne rigolait pas avec l’œnologie. « En même temps, il vaut mieux qu’ils aient un bon fournisseur. Imagine qu’ils perdent des clients parce qu’ils ont du vin bon marché ou vraiment… pas bon en bouche. » Il avait partagé son avis, par un hochement de tête : « Il a très bon goût, effectivement. On pourra revenir ici. » Pour sûr, surtout que le repas touchait à sa fin. Et Dean n’en pouvait littéralement plus. Visiblement, Eireen non plus, ce qui le fit éclater de rire. « Moi non plus. Ca faisait beaucoup. Il va falloir que tu me roules pour sortir d’ici. » Il ne put s’empêcher de sourire à cette idée, imaginant très bien trimballer sa cousine comme un tonneau sur plusieurs rues avant d’essayer de la faire entrer tant bien que mal dans un taxi. La réalité était toute autre :  Eireen avait une taille de guêpe et ce n’était pas un restaurant qui allait lui donner l’impression de gonfler jusqu’à exploser. Du moins, pas à ses yeux. « Très bien mangé, je dirais. Et je me doute que c’en est de même pour toi. » - « Exactement. » dit-il en montrant son assiette avant que le serveur ne commence à venir, si rapidement, les débarrasser. Le service semblait tourner à la vitesse grand V. « D’ailleurs, y’avait plus rien. » Mais c’était certain qu’il fallait poser la question du dessert, avant que le serveur ne vienne la poser lui-même. Au moins, il serait raccord sur la réponse et c’était du temps gagné pour tout le monde, surtout pour les serveurs qui semblaient courir d’une table à l’autre, en plein rush. Il ne leur manquait plus que des patins à roulettes. « Honnêtement, non. Ca serait pas raisonnable. » - « Et tu as bien raison. » lui répondit-il tout sérieusement, comme s’il voulait pendant un instant avoir la voix de la sagesse. Mais c’était mal le connaître, ce fut pourquoi un sourire malicieux s’étira sur ses lèvres pour contraster avec la tonalité utilisée. « Je ne compte pas en prendre non plus. Je ne suis pas trop sucré, je préfère à la limite finir sur un digestif. Mais si j’en bois un maintenant, je risque de tomber là. » Il hocha la tête pour acquiescer à ses propres dires, pour se convaincre lui-même de ne pas en prendre. Le serveur, comme prévu, revint vers eux pour débarrasser le restant des assiettes, demandant s’ils voulaient qu’il leur amène la carte des desserts. « Non, merci. Vous pouvez mettre l’addition. » dit-il, tout en sortant son portefeuille pour le poser sur la table. Une fois que le serveur fut parti, il murmura à l’adresse de sa cousine : « Plutôt speed lui, non ? Il a dû carburer à la caféine pour en arriver là. Enfin soit… » Il se laissa tomber contre le dossier de sa chaise, les bras croisés sur son torse. « Et il est évident que c’est moi qui paie, cousine ! » lui dit-il avant de tendre sa carte au serveur une fois que celui-ci vint avec la souche.