And what's the point in all of this now, and all this time ?

Hassan & Sohan

AVENGEDINCHAINS

Sohan était sur un problème compliqué ce matin, un petit malin avait tenté de hacker les serveurs de la police de Brisbane, le genre de truc qui n'arrive même pas une fois par an, mais qui est toujours bien embêtant. Le problème avec ce genre de pirate, c'est qu'ils sont doués, ils arrivent en général à faire tomber les premiers pares-feu et les premières sécurités mises en place par le service informatique, ce qui a tendance à dérégler un peu tout le système et c'est ensuite à Sohan, entre autre, de tout remettre en ordre. Le pire dans les cas comme celui-ci c'est que les hackers sont vraiment juste des petits malins qui n'ont aucune raison de vouloir hacker la police. Ils font ça par pur amusement, par défi, pour prouver quelque chose à leurs potes, ce genre de choses. Ce n'est pas l'affaire d'un criminel qui voudrait tenter d'effacer son casier judiciaire, ou faire disparaitre des pièces à conviction. C'est pour ça que ça a le don d'agacer Sohan. Il a l'impression de perdre son temps à nettoyer derrière des enfants qui auraient fini de s'amuser et n'auraient pas rangé le bazar derrière eux. Pourtant, à une époque, il faisait partie des petits malins du genre. Il n'avait jamais été un grand délinquant, pas de vol à l'arrachée pour lui, pas de racket rien de tout ça. Par contre, il devait bien avouer qu'avec ses amis au lycée, il leur arrivait de se lancer des petits défis. C'était à celui qui arriverait à s'introduire en premier sur tel ou tel réseau. Une petite compétition, qui bien que totalement illégale, restait bon enfant. Cela n'avait jamais pour but d'aller dérober des informations ou tout autre document. Le but était simplement de s'introduire et de ressortir comme si de rien était. Ca l'agaçait donc de se retrouver de l'autre côté du miroir, mais dans un sens, il ne pouvait pas s'énerver puisqu'il faisait la même chose quand il était plus jeune. Tout un paradoxe. Enfin, la situation était telle que tout seul il ne s'en sortait pas, il y avait beaucoup trop de choses à réinitialiser et ça prenait vraiment beaucoup trop de temps. Il avait donc dû aller chercher du renfort auprès de Peter. L'arrachant à la section homicides pour quelques heures, avec la promesse de l'inviter à manger chez lui pour le remercier.

Ca faisait deux bonnes heures qu'ils étaient maintenant deux à tenter de résoudre les problèmes créés par les hackers. A force de rester concentrer sur son écran, Sohan commençait à bailler de plus en plus. Il avait besoin de faire une pause, histoire d'aller respirer un bon bol d'air et de boire un grand café. Peter aussi avait besoin d'un café visiblement, mais il passait son tour pour le bol d'air frais. C'était comme ça que Sohan c'était retrouvé dans le café trois rues plus loin. Ce n'était pas le plus proche, mais ça lui permettait de se dégourdir un peu les jambes et de faire une bonne pause. Surtout qu'il y avait encore du travail pour une bonne partie de la journée. Une pause café était la bienvenue, si en plus il pouvait en profiter pour prendre l'air en même temps, il n'allait pas s'en priver. Le café était relativement vide quand il entra à l'intérieur, il y avait une jeune femme devant lui qui récupérait sa commande au moment où lui arrivait au comptoir. La commande était simple pour lui. Deux cafés noisette avec double dose d'expresso, double dose grandement appréciée pour pouvoir garder les yeux ouverts devant un écran rempli de codes parmi lesquels il faut faire le ménage. Il faut au moins ça pour pouvoir tenir jusqu'à ce soir quand il va enfin pouvoir se laisser tomber dans son canapé et passer la soirée tranquille chez lui devant son pc, car oui même après une journée entière à travailler sur un ordinateur, il n'en a pas eu assez. La serveuse lui donne ses deux cafés sur un porte-gobelets et il se retourne pour se diriger sur la sortie. Il s'arrête net en revanche quand il voit le visage de la personne qui était derrière lui. Il n'était pas prêt pour ça et ça se voit."Hassan." parvient il à dire, se passant une main dans les cheveux. Il baisse la tête ensuite, comme s'il ne pouvait pas regarder dans les yeux celui qui était comme son frère. Ca faisait un moment qu'il ne l'avait pas croisé, tout aussi longtemps qu'il ne lui avait pas parlé. C'était idiot, mais il ne savait pas réellement par où commencer. C'était la facilité de ne pas croiser Hassan, de ne pas le contacter. Ca évite de devoir trouver les bons mots et mettre les choses à plat. "Tu vas bien ?" Oué il y avait sûrement une bonne centaine de phrases qu'il aurait pu choisir, mais c'était celle-ci qui était sortie. Il ne pouvait pas ignorer Hassan maintenant qu'il était devant lui et il fallait bien commencer quelque part.

Etait-ce l’ennui profond ou simplement le fait de s’être levé tôt pour quelque chose dont il aurait volontiers préféré être dispensé ? Toujours est-il que dans un cas comme dans l’autre Hassan peinait à garder les yeux ouverts et avait depuis longtemps abandonné l’idée de suivre avec concentration ce qui sortait de la bouche du bonhomme s’exprimant face à eux. Quelque part c’était profondément injuste, c’était à cela qu’était supposé lui servir son statut de consultant, à pouvoir le sortir tel une carte joker en cas d’obligation rasoir de ce genre au prétexte que de n’être que ça – « que consultant, merci au revoir ». Mais soucieux de conserver de bonnes relations avec la chaîne, et puisqu’on lui avait fait comprendre que sa présence était souhaitée bien qu’il n’ait probablement rien à y gagner, le brun s’était exécuté non sans faire preuve de la même mauvaise grâce qui touchait les professeurs lorsque l’administration universitaire leur collait des réunions de fin d’année bourrées de statistiques et de blabla inutile alors que tous ne rêvaient que d’une seule chose : être enfin en vacances. Prenant finalement la place des élèves dissipés du fond de la classe, sa voisine de table et lui avaient passé les vingt minutes suivantes à tenter de reproduire dans la marge de leur calepin le profil ingrat de celui qui les ennuyait, s’enfonçant un peu plus sur leur siège lorsqu’un éclat de rire étouffé commun leur avait valu un regard sévère de la part du dindon de la farce. Seul et unique instant de ces deux heures de réunion qui n’avait pas respiré l’ennui mortel, et lorsqu’Hassan avait finalement quitté les locaux d’ABC peu après c’était avec l’impression d’être encore moins frais et réveillé qu’avant d’y être entré. Décrétant alors qu’un véritable petit déjeuner ne serait pas de trop s’il espérait tenir jusqu’à la fin de la journée sans piquer du nez face aux élèves de son dernier cours, le professeur avait tourné au coin de la rue à la recherche d’un coffee shop pour palier à la fermeture pour travaux de celui dans lequel il avait ses habitudes à proximité d’ABC.

Manquant presque passer devant sans s’arrêter, il en avait finalement trouvé un dont la carte parvienne à l’inspirer – pour ce qu’il parvenait à en déchiffrer depuis l’extérieur – et poussant la porte en faisant tinter la sonnette il s’était glissé à la suite de la file d’attente, le nez penché sur son téléphone et sur les mails qu’il avait reçu depuis le début de la matinée. Quelques newsletters sans intérêt, un rappel du garagiste pour la révision de sa moto qui approchait, deux ou trois mails d’élèves à propos d’un devoir à rendre … « Hassan. » Relevant le nez en entendant son prénom, le brun s’était retrouvé face à Sohan avec stupeur, et assailli la seconde suivante par tout un tas de sentiments contradictoires. Parce qu’il se sentait bête, tout d’abord – d’avoir dû à nouveau laisser le karma se charger de faire ce qu’il n’aurait pas fait lui-même, comme si Jamie n’avait pas été une leçon suffisante. Parce qu’il se sentait fautif, surtout, et parce qu’il se désolait de ne pas trouver le moindre mot à formuler en réponse alors qu’avant la communication avec Sohan n’avait jamais été un problème. Avant. « Tu vas bien ? » Les lèvres tentant de formuler une réponse Hassan avait été coupé dans son élan par la façon dont la personne derrière lui dans la file d’attente s’était raclée la gorge pour faire comprendre qu’elle n’avait pas toute la matinée, et lui offrant un regard confus le professeur s’était décalé pour la laisser passer, avant de reporter son attention sur Sohan. « Oui je … ça va. Et toi ? » Il se serait mis deux claques, tant cette réponse sonnait creux. Plus de trente ans d’amitié et ils n’étaient pas capables de mieux que ça ? Il pouvait presque entendre Yasmine soupirer dans un coin de sa tête. Et les secondes défilant il avait la sensation que s’il ne disait rien de plus la conversation s’arrêterait là, et que c’en serait définitivement terminé de sa relation avec Sohan. « T’as le temps pour … ? » Un café, de toute évidence, mais alors qu’il n’en était qu’à la moitié de la question le regard du professeur s’était arrêté sur le porte gobelet et les deux cafés posés dessus « Enfin non, tu as l’air pressé … oublie. » Pressé ou attendu, voir les deux à la fois, et lentement la fenêtre de possibilité se refermait déjà tandis qu’une seconde personne passait devant Hassan pour commander au comptoir. Fais un effort, trouve quelque chose, n’importe quoi. « Tu fais quelque chose ce midi ? » Bon, cela ressemblait un peu à du reculer pour mieux sauter, mais enfin. « On pourrait manger ensemble … on pourra discuter. Je pense qu’on a tous les deux des choses à dire. » Pas forcément toutes agréables à mettre sur le tapis ou à entendre, l’un et l’autre en avaient probablement conscience, mais peut-être était-ce enfin le moment de prendre leurs responsabilités et de tenter de régler les choses comme deux adultes, comme l’avait déjà suggéré à plusieurs reprises leur petite brune commune.

Il se sentait un peu bête sur le coup. Il avait plusieurs fois imaginé ce qu'il dirait à Hassan quand il le croiserait. Ou du moins quand sa soeur ferait en sorte qu'ils se croisent tous les deux l'air de rien. Il avait toujours imaginé que ça se passerait comme ça, qu'elle finirait par en avoir marre de cette histoire qui n'a absolument aucun sens et qu'elle forcerait le destin. Plusieurs fois il avait préparé dans sa tête ce qu'il pourrait bien lui dire et pourtant, à ce moment précis, il est tellement pris par surprise qu'il ne sait pas quoi dire. Ce n'était pas son genre pourtant de ne pas savoir comment entamer la conversation avec Hassan, il ne pensait pas oublier comment faire et pourtant. Il avait dit la première chose qui lui était passée par la tête, les premiers mots qui avaient quitté sa bouche. S'il avait eu le temps d'y penser il aurait sûrement pu dire quelque chose de moins générique, mais pour le moment, ça ferait certainement l'affaire et de toute façon, il était trop tard pour revenir en arrière. Hassan semble tout aussi surpris que lui, du moins c'est ce que Sohan en déduit et malgré tout, ça ne l'étonne pas trop. "Oui ça va aussi." lui répond il ayant le plus grand mal du monde à soutenir son regard. Il ne peut s'empêcher de se demander comment ils ont pu en arriver là, car sur le moment, il en vient à se demander si ça n'aurait pas été plus simple de ne pas croiser Hassan. Jusqu'à aujourd'hui, ils n'avaient jamais eu de soucis pour communiquer tous les deux, c'est fou ce que le temps peut faire à une relation. Hassan lui demande s'il a le temps pour un café. "Euh ... c'est que ..." il est partagé sur le moment, d'où son hésitation. "Non non j'ai le temps." S'empresse t-il de dire ensuite. Peter attend son café, mais ce n'est pas bien grave, il est sûrement occupé et ne doit même pas se rendre compte que le temps passe et puis si le café finit froid, il lui en achètera un autre, ce n'est pas plus compliqué que ça. Surtout, est-ce qu'il est réellement prêt à passer un repas entier avec Hassan sans que ça ne soit bizarre ? Pas sûr. Il est là, autant en profiter. Décaler ce serait comme repousser un peu plus l'échéance et ça ne sert à rien. Il peut donc bien prendre quelques minutes pour discuter avec celui qui est très certainement son plus vieil ami. "On est là tous les deux autant en profiter. A midi je sais pas si j'aurai le temps. Je préfère qu'on discute maintenant si ça te gène pas." Pas totalement vrai, mais pas totalement faux non plus. Il s'assoit donc à la table qui se trouve juste à côté d'eux sans vraiment attendre que Hassan lui réponde. Il n'était pas forcément prêt à parler maintenant, mais il ne le serait pas plus à l'heure du repas, ni demain, ni un autre jour alors autant crever l'abcès tout de suite comme ça ce sera fait.

Il ne lâche pas ses gobelets des yeux pendant que Hassan commande son café, il essaye de préparer dans sa tête ce qu'il va bien pouvoir dire. Comment commencer la conversation surtout. C'est ça le plus compliqué. Quand il n'y a plus de communication le plus dur est de relancer le contact, une fois ça fait en général, tout devrait repartir et être beaucoup plus simple. Doit-il s'excuser ? Il ne sait pas trop. Ca lui parait débile. Pourquoi pourrait il bien s'excuser ? Pour avoir eu besoin de tomber sur lui par hasard pour renouer le dialogue ? Pour ne pas lui avoir parlé depuis un moment ? Pour cette histoire idiote dont il ne se souvient même plus l'origine ? S'excuser semblerait pas mal, mais il ne le sent pas spécialement. S'excuser demande des explications et lui, il n'en a pas réellement à donner pour sa défense. "Je sais pas trop par où commencer." Dit-il en levant timidement la tête vers Hassan quand celui-ci revient vers lui. Ca n'avance pas beaucoup les choses, mais il préfère être honnête plutôt que de sortir quelque chose de bateau ou bidon. "Je sais même plus comment on en est arrivé là, mais j'ai du mal à voir comment on peut revenir en arrière." Bon si, il se souvient bien quand même de cette suite d'évènements qui a fait qu'ils se sont éloignés petit à petit, mais il ne sait pas réellement comment ça a pu prendre une telle ampleur. "J'ai jamais voulu ça." Ca, qu'ils finissent par ne plus se parler du tout et que leur relation ne soit plus comme avant. "Je me dis qu'on aurait jamais dû laisser les choses se dégrader à ce point." C'est sûr qu'il aurait été bien plus facile de discuter au tout début, dès les premiers non-dits que maintenant, mais ils ont été bien trop têtus pour ça et il fallait donc assumer maintenant.

Combien de fois déjà Hassan était-il passé par Toowong et ses environs, la moto ralentissant même presque malgré lui lorsque la rue où vivait Sohan se retrouvait à portée de main – de roue ? Combien de fois, passés les premiers mois de grogne réciproque, s’était-il résolu à enterrer la hache de guerre en prenant lui-même les devants, avant de faire marche arrière sous de faux prétextes ou de piètres excuses ? Il ne savait même plus, mais la réponse était trop, beaucoup trop. Et alors que le karma se chargeait de faire ce que ni l’un ni l’autre n’avait été capable d’entreprendre tout seul, Hassan se sentait terriblement stupide. Stupide, et un brin fautif aussi, sans doute. Au  « ça va » bafouillé machinalement Sohan s’était fendu d’un « Oui ça va aussi. » presque identique, au regard fuyant et à la gêne à laquelle s’était substituée la surprise lorsqu’en désespoir de cause le professeur avait voulu proposer qu’ils se posent un moment, avant de se rétracter à la dernière seconde, planqué derrière une nouvelle excuse vaine « Euh ... c'est que … Non non j'ai le temps. » Le cœur balançant entre surprise et soulagement, remplacé presque aussitôt par l’appréhension d’une discussion qu’ils n’avaient que trop repoussée, il s’était néanmoins rangé sans broncher à l’avis de Sohan lorsque ce dernier avait ajouté « On est là tous les deux autant en profiter. A midi je sais pas si j'aurai le temps. Je préfère qu'on discute maintenant si ça te gêne pas. » Il ne pouvait décemment pas lui jeter la pierre quant au fait d’avoir d’autres chats à fouetter que lui et ses états d’âme. « Non, ça me va. » avait-il alors assuré, d’un ton probablement plus incertain qu’il ne l’aurait souhaité, avant d’ajouter un peu précipitamment « Juste … je prends vite fait un truc à boire, j’ai rien avalé depuis ce matin. » comme dans une ultime tentative de repousser l’inévitable de quelques minutes, avec l’espoir d’avoir d’ici là trouvé quoi dire, quoi faire. Son English Breakfast Latte dans les mains, il ne s’était pourtant pas trouvé plus avancé lorsque Sohan et lui avaient trouvé une table ou s’installer et s’étaient l’un et l’autre assis sans dire un mot, se retrouvant face à face avec le choix de se regarder dans le blanc des yeux ou de s’éviter du regard. « Je sais pas trop quoi d-… » - « Je sais pas trop par où commencer. » s’étaient-ils finalement télescopés tous les deux après quelques instants de silence, Hassan secouant la tête et faisant signe à Sohan de continuer. « Je sais même plus comment on en est arrivé là, mais j'ai du mal à voir comment on peut revenir en arrière. » Penaud, ne s’attendant peut-être pas à autant de pessimisme d’un seul coup, le brun avait enroulé ses doigts autour de son gobelet de thé brûlant pour chercher un réconfort au frisson qui lui avait parcouru l’échine. « J'ai jamais voulu ça. » avait en tout cas repris Sohan « Je me dis qu'on aurait jamais dû laisser les choses se dégrader à ce point. » C’était une certitude, oui, une certitude que Yasmine ne s’était pas gênée pour lui rappeler à bon nombre de reprises ; Et dont il ne doutait pas un instant qu’elle avait usé des mêmes phrases et des mêmes arguments avec Sohan, désespérée de faire bouger l’un ou l’autre. « Je sais. Moi non plus j’ai jamais voulu ça. » Il ne se l’expliquait même pas, en réalité. Comment leurs egos respectifs avaient pu à ce point prendre le pas sur leur relation, et sur une amitié dont ils s’étaient si souvent vantés jadis qu’elle était à toute épreuve ? « C’est juste que … À un moment je ne savais plus trop si c’était question de fierté et de ne pas céder le premier, ou si j’avais simplement peur de me faire jeter si je le faisais. » Et s’il savait une chose c’était qu’un rejet net et définitif de Sohan aurait été encore plus difficile à encaisser que le stoïcisme dans lequel ils s’étaient laissé glisser. « Et je sais pas si c’est ça ou si je suis totalement à côté de la plaque, mais je … Je suis désolé de pas avoir été moi-même ces deux – trois – dernières années. J’ai pas vraiment d’explication. Je sais pas vraiment comment redevenir ce gars-là. » Le nez trempant dans son thé, Hassan tentait de démêler ses impressions et ce qu’il pensait savoir des choses que Sohan pourrait avoir à lui reprocher. S’excuser d’être la personne qu’il était devenu c’était admettre qu’il ne reviendrait peut-être jamais en arrière, qu’il resterait peut-être pour toujours ce Hassan-là, celui dont Joanne ne voulait plus, celui que Yasmine gardait à distance raisonnable, celui auquel Sohan ne s’acclimatait pas. « Et je suis désolé de pas avoir été là, à propos d’Andre. T’étais là quand j’ai dû digérer mon divorce, et j’aurais dû … J’aurais dû ravaler mon ego à ce moment-là. » Au lieu de ça il avait fui. Accepté le poste temporaire qu’on lui proposait à Téhéran avec la certitude que s’il fuyait ses problèmes assez longtemps ils ne seraient plus là à son retour, et finalement quitté son pays d’origine avec pertes et fracas et retrouver à Brisbane rien de plus que la bulle de solitude qu’il s’était créé avant son départ.

Maintenant qu'il était en face de Hassan, il n'y avait plus moyen de se défiler, pas moyen d'inventer une quelconque excuse pour ne pas lui adresser la parole. Autant saisir l'opportunité. Hassan semble aussi enclin à discuter maintenant, même si Sohan décèle une certaine incertitude dans sa réponse. A croire que, l'un comme l'autre ne sait pas tellement comment se positionner dans cette affaire. Sohan acquiesce d'un signe de la tête quand Hassan lui dit qu'il se commande rapidement quelque chose. Ca lui laisse de temps de trouver quoi dire ou ne serait ce que par où commencer. Ou du moins, c'est ce qu'il se dit sur le moment, mais quand ils s'assoient tous les deux à une table. Sohan se rend inévitablement compte du fait qu'il ne sait pas quoi dire. Ca fait tellement longtemps qu'il n'a pas vu Hassan, qu'il ne lui a pas parlé, c'est presque comme s'il avait oublié comment faire. C'est idiot et il le sait, mais il a comme perdu toute faculté de commencer une conversation avec son plus vieil ami. Lorsqu'il se lance enfin, le silence se faisant bien trop pesant pour lui, Hassan semble avoir la même idée que lui. Etonnement, après tout ce temps, ils étaient toujours sur la même longueur d'onde apparemment. Aucun des deux ne sachant par où commencer. Hassan laisse cependant Sohan continuer. Sohan lui en est presque reconnaissant, car il se dit que s'il ne dit pas ce qu'il a à dire là, tout de suite, il ne le dira peut-être jamais. Il s'en veut presque d'être aussi pessimiste. Ce n'est pas réellement voulu. Les mots sont sortis tous seuls. Il a juste laissé libre cours au fil de sa pensée. C'était Hassan après tout et même s'ils étaient en froid depuis un très long moment, il n'y avait pas de raison qu'ils n'arrivent pas à arranger les choses entre eux. Ce ne serait peut-être pas l'histoire d'un jour, mais ce n'était clairement pas impossible. Pas pour eux deux. Hassan non plus n'a jamais voulu ça. Sohan hoche la tête. Il sait bien que ni l'un ni l'autre n'a voulu cette situation. C'était plus un concours de circonstances qu'autre chose. C'était d'ailleurs ça le plus triste là dedans. "Je t'aurai jamais jeté, tu le sais bien." S'empresse t-il de répondre quand Hassan exprime ses sentiments à son tour. Cette remarque ne peut empêcher un sentiment de culpabilité de s'emparer de lui. Si Hassan avait peur de se faire jeter, c'était sans doute sa faute à lui, après tout, cette idée ne devait pas sortir de nulle part. "Mais je suis désolé si j'ai pu faire quelque chose qui t'aurait laissé penser ça." Il ne savait pas trop, ou même, il ne savait plus trop ce qu'il en était de cette situation. En réalité, il n'avait presque pas vu leur relation se dégrader avant qu'il ne soit trop tard pour faire marche arrière. "C'est ma faute aussi." Dit Sohan, il ne veut pas laisser Hassan penser que c'est entièrement sa faute, surtout que ce ne serait pas vrai. "J'veux dire, j'aurai pu apprendre à connaitre le gars que t'es devenu." Oué il aurait pu faire un effort lui aussi, après tout, les gens changent avec le temps, c'est la logique de la vie. Sohan avait dû changer lui aussi, d'une certaine façon. "T'as pas forcément besoin de redevenir la personne que t'étais avant." Pourquoi ce serait une mauvaise chose de changer ? "T'es heureux comme ça ?" lui demande t-il avant d'ajouter. "Si t'es heureux comme ça, c'est que t'es celui que tu devais être." Il ne disait pas ça juste comme ça, mais bien parce qu'il le pensait sincèrement.

Quand Hassan parle de Andre, Sohan hoche les épaules. Non pas qu'il cherche à minimiser l'absence de Hassan à cette période de sa vie, mais parce qu'il ne lui en veut pas pour ça. Il ne lui en veut pas de ne pas avoir été là pour lui, car inconsciemment, Sohan c'était déjà distancé de lui. "C'était pas un divorce tu sais." Tente t-il. Non ce n'était pas un divorce avec Andre, mais ça n'en avait pas été moins douloureux pour autant, cependant, il ne voulait pas faire culpabiliser Hassan plus que ça. "Puis, j'imagine que j'ai dû loupé des mauvaises passes dans ta vie ces dernières années aussi, donc l'un dans l'autre, t'as rien à te reprocher ... Je peux rien te reprocher." Non pas qu'il voudrait lui reprocher quoi que ce soit. "On aura surement le temps de se rattraper dans le futur non ?" demande t-il comme un espoir qu'ils vont réussir à arranger leur relation et qu'avec un peu de travail, ils finiront par être aussi proches qu'ils ne l'étaient. Sohan n'a pas envie de rester en froid avec Hassan et maintenant qu'un pas a été fait dans la bonne direction, il espère qu'ils vont continuer ainsi. "Tu sais que Yasmine me tanne depuis qu'elle est rentrée pour que je reprenne contact avec toi ? Je crois que c'est la plus mature de nous trois malgré que ce soit la plus jeune." Dit il. Comme un moyen pour lui de détendre l'atmosphère, d'alléger un peu le ton de la conversation. Il n'avait jamais été très doué pour les discussions sérieuses, en particulier celles qui nécessitaient de parler de ses sentiments.

Des scénarios sur ses retrouvailles avec Sohan, Hassan en avait déjà imaginé des tas : Certains où il prenait les devants, d’autres ou c’était plutôt que Khadji qui faisait le premier pas, et même quelques-uns ou l’un d’eux forçait artificiellement le hasard d’une rencontre. Mais jamais pourtant n’avait-il envisagé la possibilité que le hasard en soit vraiment un, que tomber l’un sur l’autre ne soit pas quelque chose que Sohan ou lui aurait délibérément provoqué pour pallier à l’immensité de la ville et de ses habitants. Il ne s’était pas préparé à cela – si tenté que c’eut été possible – et lui qui n’avait d’ordinaire jamais aucun mal à verbaliser ses émotions se retrouvait face à son ami – son meilleur ami – sans être capable de mettre des mots sur à quel point leur situation lui faisait du mal. « Je t'aurai jamais jeté, tu le sais bien. Mais je suis désolé si j'ai pu faire quelque chose qui t'aurait laissé penser ça. » Aussitôt Hassan avait secoué la tête avec négation, ne souhaitant pas laisser Sohan croire un seul instant qu’il avait une quelconque responsabilité dans ces conclusions pessimistes. « Non c’est pas … T’y es pour rien. C’est pas ta faute. » Pas de sa faute si Hassan s’était stupidement laissé glisser dans ce genre d’angoisses basées sur presque rien, pas de sa faute non plus si l’abandon de Joanne, en définitive, avait fait plus de dommages collatéraux sur le brun qu’il n’en avait pleinement conscience. Pas sa faute enfin, si le professeur peinait à conjuguer celui qu’il avait été pendant trente-trois ans et celui qu’il était désormais, incapable de redevenir le premier tant le second lui collait à la peau avec ses nouveaux défauts, ses nouvelles désillusions. « C'est ma faute aussi. » Qu’avait pourtant affirmé Sohan « J'veux dire, j'aurai pu apprendre à connaitre le gars que t'es devenu. T'as pas forcément besoin de redevenir la personne que t'étais avant. » arrachant à Hassan un regard interrogatif tandis que sa gorgée de thé passait avec un peu plus de difficulté que les précédentes. « T'es heureux comme ça ? Si t'es heureux comme ça, c'est que t'es celui que tu devrais être. » Les mots du Khadji lui serrant la gorge, Hassan avait baissé les yeux un instant vers sa tasse de thé d’un air penaud avant de réaliser que la réponse à cette question n’était plus aussi décevante qu’elle ne l’avait été fut un temps. Qu’il avait un peu mieux qu’un vague silence gêné à offrir, comme s’y était heurtée Yasmine presque deux ans plus tôt en tentant de savoir si l’idée d’en finir était toujours là, dans un coin de son esprit. « On y vient doucement, je suppose. » avait-il alors admis à demi-mot, un sourire s’étirant avec prudence sur ses lèvres mais tout en sachant que Sohan aurait des raisons de ne pas le croire s’il forçait un sourire plus grand que celui-là. « Mais ça serait plus simple en t’ayant à nouveau dans les parages. » Déglutissant à nouveau avec hésitation, il avait abandonné l’idée de boire son thé et repoussé la tasse un peu plus loin de lui sur la table. Il y avait des choses qu’Hassan avait dû régler seul, des problèmes dont la solution ne se trouvait qu’au fond de lui-même et nulle part ailleurs … Mais la solitude, malgré tout, restait à l’opposé de son état naturel. Et le manque d’une personne aussi chère que pouvait l’être Sohan à ses yeux n’était pas le genre de chose qu’il parvenait à compenser. Le dilemme était d’autant plus grand pour Hassan que lui aussi avait des choses à se reprocher, lui aussi avait laissé sa fierté se mettre au travers de leur amitié au point de ne pas répondre présent à des périodes où l’aîné Khadji aurait mérité qu’il le soit. Sa séparation avec Andre, bien qu’elle n’en soit pas l’unique exemple, était le plus évident. Et quand bien même le concerné avait minimisé la chose d’un « C'était pas un divorce tu sais. » évasif avant d’ajouter « Puis, j'imagine que j'ai dû loupé des mauvaises passes dans ta vie ces dernières années aussi, donc l'un dans l'autre, t'as rien à te reprocher ... Je peux rien te reprocher. » sur le même ton, il n’en demeurait pas moins aux yeux d’Hassan qu’il aurait dû faire ce que tout ami digne de ce nom aurait fait en pareille situation : être présent. « Moi je me le reproche. » qu’il avait alors admis dans un vague haussement d’épaules, néanmoins disposé à en faire table rase si Sohan était plus à l’aise avec cette idée. « On aura surement le temps de se rattraper dans le futur non ? » Acquiesçant d’un signe de tête, le visage du brun s’était illuminé d’un sourire plus franc et d’un regard plein du soulagement et de la reconnaissance que lui inspirait la visible volonté de son ami à passer à autre chose. « Tu sais que Yasmine me tanne depuis qu'elle est rentrée pour que je reprenne contact avec toi ? Je crois que c'est la plus mature de nous trois malgré que ce soit la plus jeune. » Contre toute attente, le professeur avait laissé échapper un léger rire tout en secouant la tête « Probablement oui. Mais je me demande si ça n’a pas toujours été un peu le cas. » En parallèle s’était développé son côté un brin mère poule, très probablement hérité de sa mère et qu’Hassan tendait à trouver attendrissant même – mais ça il ne l’avouerait jamais – lorsqu’il était dirigé contre lui. « Je pense qu’elle nous tient le même discours à l’un et à l’autre depuis un moment, et que le fait qu’elle n’ait pas encore perdu patience relève du miracle. » Dieu sait qu’elle ne devait pas s’être sentie aidée par leur bougonnerie respective. Pensif, laissant un bref instant ses pensées vagabonder, le brun avait finalement admis « J’ai vraiment eu peur qu’elle décide de ne pas revenir, tu sais … » sans être certain de l’assumer entièrement. N’était-ce pas un peu égoïste d’avoir ainsi craint qu’elle ne rentre jamais, quand pourtant elle semblait tellement se plaire là-bas, à l’autre bout du monde ? S’éclaircissant la gorge comme pour tenter de dissiper sa gêne, il s’était à nouveau saisi de son thé pour en boire une grande lampée, les yeux se posant sur le second gobelet de café commandé par Sohan mais auquel ce dernier n’avait pas touché « La nuit a été trop courte pour qu’une seule dose de caféine fasse le job, ou bien tu es en train de faire attendre quelqu’un ? » Loin de lui l’envie de monopoliser son temps s’il avait à faire ailleurs.

Si on lui avait dit qu'il finirait par croiser Hassan par le fruit du hasard, il ne l'aurait pas cru. D'ailleurs il hésiterait presque à vérifier si ce n'était pas l'oeuvre de sa soeur qui aurait tout fait pour qu'ils se croisent aujourd'hui, à cet endroit et à ce moment précis. C'était bien trop gros pour être seulement le hasard, dans une ville aussi grande que Brisbane et pourtant. C'était sans doute ce qu'il leur manquait. Ils n'avaient plus le choix que de s'adresser la parole. Ils étaient bien trop respectueux l'un comme l'autre et trop bien élevés pour faire comme s'ils ne se connaissaient pas. L'univers ne le savait probablement pas, mais les faire se croiser comme ça était probablement ce qui leur manquait pour qu'ils renouent enfin le contact après ces quelques années passées sans s'adresser la parole. Hassan avait beau lui dire que toute cette histoire n'était pas sa faute, Sohan ne s'en sentait pas moins fautif dans une certaine mesure. Il n'y avait jamais un seul coupable. Les tords étaient partagés et Sohan reconnaissait volontiers qu'il aurait pu faire plus pour ne pas que leur relation se détériore à ce point. Enfin, cela ne servait à rien de débattre sur ce sujet. Ce qui avait été fait, avait été fait de toute façon et il n'y avait pas de moyen de revenir en arrière pour changer les choses, ils pouvaient simplement aller de l'avant et recoller les pots cassés au fur et à mesure. C'était une bonne chose malgré tout. Quand Sohan demande à Hassan s'il est heureux maintenant, il est réellement curieux de la réponse. Il espère réellement que son meilleur ami est enfin heureux dans sa vie. Il espère que le changement lui a fait du bien. Il remarque le sourire sincère sur les lèvres de Hassan quand celui-ci lui dit qu'il y arrive doucement. C'est toujours mieux que rien. Un sourire se dessine ensuite sur ses lèvres sans qu'il ne puisse le cacher ou le contenir quand il lui dit que ce serait plus simple d'arriver à cette fin avec lui dans sa vie. "Je crois que c'est faisable non ?" lui répond-il quasiment du tac au tac, son sourire toujours vissé sur ses lèvres. Il ne saurait dire pourquoi ça lui fait autant plaisir d'entendre Hassan dire ça. Ils ont toujours été amis. Il ne doutait donc pas que malgré la situation de ces dernières années il en soit toujours de même et pourtant, ça lui faisait un bien fou de l'entendre de vive voix. C'était l'assurance que malgré tout, même s'ils avaient tous les deux changés, ils avaient toujours de la place pour l'autre dans leur vie. Sohan ne reproche pas à Hassan de ne pas avoir été là pour lui dans les moments difficiles de sa vie ses dernières années, peut-être qu'il devrait. Peut-être que quelqu'un d'autre serait capable d'en vouloir à son meilleur ami pour ça, mais pas Sohan. "Tu devrais pas." Se contente t-il de lui dire ensuite le plus naturellement du monde. C'est en toute sincérité qu'il lui dit ça et non pas pour le brosser dans le sens du poil ou même le faire déculpabiliser. C'est juste la réalité de la situation. Hassan n'a pas été là, mais Sohan ne le lui reproche absolument pas et c'est aussi simple que ça dans son esprit.

Sohan préfère ensuite rendre la situation un peu plus légère, il n'était pas forcément doué pour les discussions toutes en émotions. Il ne savait jamais trop quoi dire, sans doute un peu trop pudique pour ça, même avec Hassan. "Oh si, surement, mais ça faut surtout pas lui dire, elle serait trop fière de l'entendre." Bien sûr que Yasmine avait toujours été plus mature. Ces dernières années elle avait été la voix de la raison pour Sohan, elle n'avait jamais lâché l'affaire que ce soit quant à Hassan ou quant à ses parents. Elle continuait de le cuisiner à chaque fois qu'ils pouvaient se voir. Elle était comme ça et ça pouvait être un peu agaçant parfois, mais c'était quand même tout à son honneur. Au moins, elle, elle ne s'était pas brouillée avec Hassan pour des bêtises. "J'crois que ça lui tenait vraiment à coeur." Répond Sohan quand Hassan mentionne que le fait que Yasmine n'ait jamais arrêté de les tanner sans perdre patience relève du miracle. "D'un côté je suis quand même content qu'elle ait pas perdu patience, je sais pas, tant qu'elle insistait c'était qu'il y avait encore de l'espoir tu vois ?" il ne savait pas trop exprimer ce qu'il voulait réellement dire, mais pour lui le jour où Yasmine aurait arrêté de lui parler de Hassan aurait été le jour où même elle n'aurait plus cru qu'ils finiraient par se rabibocher. Pour Sohan, ça aurait été extrêmement dur à vivre. "Moi aussi." Avoue t-il sans hésiter quand Hassan mentionne le voyage au Niger de sa soeur. "J'ai aussi un peu peur qu'elle veuille repartir. Enfin je sais qu'elle voudra repartir à un moment ou un autre, mais j'ai peur qu'elle parte vraiment longtemps." Au fond de lui il savait que sa soeur était faite pour être sur le terrain, mais être si loin d'elle pendant des mois et des mois était dur à accepter, d'autant plus qu'il s'inquiétait pour elle quand elle n'était pas là. Sohan laissa échapper un petit rire quand Hassan le questionna sur le deuxième gobelet posé sur la table. "Je fais attendre un de mes collègues, mais c'est pas si grave, il se passera de son café je crois. Ou alors il ira en chercher un à la machine à café s'il trouve le temps trop long." Lui répond-il. Peter était sûrement en train de bûcher sur leur soucis informatique et ne devait même pas se rendre compte que Sohan mettait bien plus de temps que prévu pour revenir avec les cafés de toute façon.

Yasmine avait œuvré plus que quiconque pour tenter d’amorcer une réconciliation entre son frère et son ami, sans doute parce qu’elle lui tenait plus à cœur que quiconque également – en dehors des deux intéressés. Elle avait fait preuve d’une sagesse d’esprit et d’une maturité qui avait assurément fait défaut aux deux hommes, et malgré cela il avait encore fallu attendre que le hasard et un besoin commun de boisson chaude ne les poussent l’un vers l’autre avec autant de délicatesse qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Et Yasmine, si elle avait été là, les aurait probablement gratifiés d’un roulement d’yeux et luttant avec elle-même pour ne pas leur asséner le « je vous l’avais bien dit » qu’ils auraient pourtant mérité. Parce que des trois elle avait toujours été la plus clairvoyante. « Oh si, surement, mais ça faut surtout pas lui dire, elle serait trop fière de l'entendre. » qu’avait d’ailleurs commenté Sohan à ce sujet, arrachant à Hassan un sourire amusé tandis que son regard se perdait une demi-seconde à travers la vitre du coffee shop donnant sur la rue. « J'crois que ça lui tenait vraiment à cœur. D'un côté je suis quand même content qu'elle ait pas perdu patience, je sais pas, tant qu'elle insistait c'était qu'il y avait encore de l'espoir tu vois ? » Il voyait, oui, comme en avait attesté le signe de tête adressé en guise de confirmation. « Mais le pire c'est que j'ai jamais cru que ce serait éternel. Je me disais que … je sais pas. Que les choses finiraient par s'arranger, d'une manière ou d'une autre. » Ce qui donnait encore moins de sens à cette querelle en fin de compte, à moins que tout cela n'ait jamais été qu'une manière pour Hassan de se rassurer concernant Sohan. Concernant le fait qu'ils s'étaient éloignés mais que la roue finirait forcément par tourner de nouveau en leur sens, parce qu'ils étaient Sohan et Hassan, right ? Et malgré l’éternité qui semblait s’être écoulée entre eux ils parvenaient encore à s’inquiéter des mêmes choses, et à s’en soucier de la même manière. Comme de Yasmine, et de cette crainte partagée qu’ils avaient eu de ne pas la voir revenir d’Afrique, où elle avait semblé avoir tellement à faire « Moi aussi. J'ai aussi un peu peur qu'elle veuille repartir. Enfin je sais qu'elle voudra repartir à un moment ou un autre, mais j'ai peur qu'elle parte vraiment longtemps. » Pinçant légèrement ses lèvres l’une contre l’autre, il avait trahi sans avoir besoin de le dire le fait que cette crainte l’habitait tout autant que lui. Il le savait bien pourtant, qu’il n’avait pas voix au chapitre à ce sujet et qu’il n’avait aucun droit d’espérer de Yasmine qu’elle reste dans les parages pour leur bien à eux … Mais était-ce un crime que de ne pas vouloir qu’un autre Khadji lui file entre les doigts après avoir passé si longtemps du premier ? « Son séjour a vraiment l’air de l’avoir changée. » avait-il en tout cas fini par commenter, d’un ton pensif. Jusqu’à quel point, ça il n’en savait rien. « Elle t’en a parlé un peu ? » Sans l’admettre sans doute espérait-il ainsi parer au fait que la jeune femme fuyait et éludait chaque tentative, chaque question jetée à la volée dans l’espoir de la voir réagir autrement qu’en se fermant comme une huître tel qu’elle semblait se plaire à le faire en permanence depuis son retour sur le continent. La vérité c’est qu’il s’inquiétait, mais avec cette impression qu’elle ne l’en pensait pas légitime, et qu’il n’en avait pas réellement le droit. Pas autant qu’un Khadji, en tout cas. S’éclaircissant la gorge comme pour chasser son trouble Hassan avait bifurqué vers quelque chose de plus léger, questionnant son ami sur le second gobelet de café, celui qui ne pouvait s’expliquer que de deux manières « Je fais attendre un de mes collègues, mais c'est pas si grave, il se passera de son café je crois. Ou alors il ira en chercher un à la machine à café s'il trouve le temps trop long. » Risquant un léger sourire, le barbu s’était gentiment moqué « J’espère pour lui qu’il est meilleur que celui des machines chez ABC, leur café a le goût de soupe. » et avait finalement récupéré son gobelet de thé désormais tiède pour terminer ce qu’il en restait d’un trait. « Je ne voudrais pas le priver de toi trop longtemps, malgré tout … Et puis, j’ai un cours à dix heures et demi. » Risquant un nouveau sourire, il avait marqué une courte pause avant de proposer d’un ton prudent « On devrait se caler un moment tous les deux ... Pour aller courir, voir un match, ou autre chose. Essayer de reprendre les choses en douceur, tu vois ? Si tu es d’accord. » Loin de lui l’envie de vouloir brusquer Sohan, et dans un sens il semblait difficilement imaginable de pouvoir simplement reprendre les choses comme si de rien n’était, et comme s’il n’y avait pas toujours ce vide de deux années entières entre eux … Autant essayer d’y ériger un pont, brique après brique, à défaut de pouvoir colmater la brèche.

Parler de Yasmine était facile. Bien plus facile que de parler de ses sentiments. Sohan n'avait jamais été doué pour ça et que ce soit Hassan ou quelqu'un d'autre en face de lui, ça ne faisait pas vraiment de différence. Surtout qu'il n'avait pas vraiment envie de s'étaler. Pour lui, cette histoire avait assez duré, maintenant que le destin avait forcé les choses et qu'ils avaient brisé la glace, il n'y avait plus de raison de rester froid ou de ressasser tout ce qui a bien pu se passer ces dernières années. C'était contre-productif selon lui et puis à ce stade, ça n'avait pas grand intérêt. Du moins, c'est comme ça qu'il voyait les choses. En revanche, il était content de revoir Hassan après tout ce temps. C'était sans doute débile que ce soit à seulement grâce à une coïncidence et pas organisé, mais c'était mieux que rien et c'était sans doute ce qu'il leur manquait pour revenir l'un vers l'autre. Car oui, Sohan ne s'était jamais vraiment posé la question. Pour lui aussi, à un moment ou un autre il aurait fini par reparler à son ami. C'était logique pour lui. Il ne pouvait pas affirmer la même chose avec certitude quant à sa relation avec ses parents, mais pour Hassan, il savait que ça allait s'arranger. Pour lui ce n'était qu'une question de temps et de circonstances. Il fallait simplement attendre que les deux se rejoignent pour que tout se débloque et ce jour, s'était aujourd'hui. "Je me suis toujours dit ça aussi. Pour moi c'était une certitude." D'ailleurs cette certitude avait peut-être joué quant au fait qu'ils avaient mis autant de temps à reprendre contact. Il y avait cette certitude que ça allait s'arranger. Il fallait être patient. A être patient, il n'avait pas jugé utile de forcer le destin et de prendre son téléphone pour contacter Hassan. Enfin, ça lui avait traversé l'esprit, puis il s'était dégonflé à chaque fois. Si le destin allait finir par les rapprocher pourquoi se faire violence ? C'était idiot comme raisonnement et pourtant c'était celui qu'il avait eu à chaque fois, comme pour justifier ses échecs. Enfin, ce qui était fait était fait ça ne servait à rien de se lamenter.

Sohan ne peut s'empêcher de hocher la tête de haut en bas en guise d'acquiescement quand Hassan dit que Yasmine semble changée depuis son voyage au Niger. Il est d'accord avec ça. Il ne saurait cependant pas l'expliquer totalement. Il a beau être proche de sa soeur, il y a malgré tout des choses qu'elle ne lui dit pas. Son ressenti depuis son retour étant l'une d'elle. "Elle m'a pas dit grand-chose. Elle évite un peu le sujet j'ai l'impression. Je veux pas trop la forcer. Après tout, elle a pas à tout me raconter et puis tu sais comment elle est. Si elle veut pas parler, elle ne parlera pas." Lui répond-il en haussant les épaules. Si Yasmine n'avait pas envie de parler des sujets un peu sensibles, elle détournerait la conversation avec une aisance sans pareil ou elle donnerait une réponse approximative ayant pour seul et unique but de satisfaire son interlocuteur. C'était rageant parfois, mais c'était comme ça. Ce n'était sans doute pas maintenant qu'il pourrait la changer.

Un sourire se dessine sur les lèvres de Sohan quand Hassan mentionne le café d'ABC. Visiblement le mauvais café c'était monnaie courante à Brisbane sur les lieux de travail. C'était un bon moyen de faire marcher les cafés de quartier. "J'ai bien peur qu'on ait la même soupe au commissariat." Répond-il à Hassan en riant. C'était d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il était venu jusque là pour acheter son café. Outre la pause que ça lui permettait de prendre, ça lui permettait aussi de boire du bon café, ce qui n'était pas négligeable du tout comme avantage. "Je vais pas te retenir trop alors, puis je pense que même sans café il sera content de me voir revenir pour l'aider." Dit il. Deux personnes n'étaient pas de trop pour régler le problème de taille auquel ils avaient à faire aujourd'hui. Surtout que de base, c'était à Sohan de s'en charger. Il ne fallait peut-être pas abuser de la gentillesse de Peter. Malgré leur échange, Sohan est agréablement surpris par la proposition de Hassan. Un large sourire se dessine de nouveau sur ses lèvres alors qu'il hoche la tête de haut en bas. "Bien sûr que je suis d'accord." Ca allait de soi. "On pourrait peut-être se voir un soir pour diner ? Chez moi ou dehors, peu importe." Lui propose t-il avant de finir son café et de récupérer ses affaires. "On se tient au courant ?" lance t-il à Hassan en se levant. "Ca m'a fait plaisir de te voir." Ajoute t-il sincèrement avant de jeter son gobelet et de sortir du café, un large sourire toujours dessiné sur ses lèvres.