- Va doucement avec ça chérie, lança Stephen depuis le banc où il s'était installé
Pas encore tout à fait sorti des bras de morphée après avoir passé la nuit entière à boucler la mise à jour des contrats pour le cabinet, Stephen luttait contre le sommeil en surveillant sa petite tête blonde qui jouait dans l'aire de jeux. Neuf heures quarante trois, encore quatre heures à tenir avant la sieste, courage Holloway. Ça n'avait pas été l'idée la plus brillante au monde, ramener du travail administratif un vendredi soir, puisque ce qui ne devait prendre initialement "qu'une heure tout au plus" s'était transformé en six heures de paperasse. Adieu nuit de sommeil réparatrice ; Stephen l'avait apprit à ses dépens : ne jamais sous estimer le pouvoir assommant des CERFA.
- Mais je vais doucement ! ronchonna à distance la fillette de quatre ans - Va plus doucement alors... souffla t-il
Cette matinée au parc s'inscrivait dans une sorte de rituel : Stephen et Anabel s'y rendaient systématiquement chaque samedi matin. C'était une tradition qu'il n'annulerait pour rien au monde. Déjà parce que la petite fille ne l'oubliait pas et ne manquait pas de le lui rappeler en venant sauter sur son lit à peine levée, et ensuite parce que c'était peut être le seul moment de la semaine ou elle pouvait jouer en étant totalement elle même. Stephen savait mieux que personne ce qu'elle ressentait, ils avaient tous les deux perdu leur moitié. La fillette n'avait pas à porter de masque lorsqu'elle était avec lui, ni même à justifier ses sourires ou ses absences. Elle était elle même ; une fillette de quatre ans qui trouvait tant bien que mal son équilibre sans sa maman. C'était compliqué, mais elle s'en tirait bien, et Stephen y veillait soigneusement. Le bien être d'Anabel était la chose la plus importante à ses yeux. C'était pour elle qu'il travaillait autant, pour elle aussi qu'il n'avait pas tout plaqué pour partir vivre ailleurs. Anabel avait beau ne pas être sa fille, tous les deux partageaient la même peine, et c'était elle son équilibre désormais.
- Shhhilaaaaaaas !
Une voix d'enfant sortit Stephen de ses rêveries, après réflexion, la voix de son enfant. Malgré l'americano venti qu'il avait embarqué avec lui avant de se rendre à l'aire de jeu, il n'était pas encore tout à fait sorti de sa dernière phase de sommeil. Qu'est ce qu'elle venait de dire la ? Haussant un sourcil, il se releva finalement du banc pour parcourir les quelques mètres qui les séparaient.
- Regarde, c'est Silas ! s'obstinait à dire Anabel.
Arrivé près d'elle, Stephen observait la fillette prendre dans ses bras un énorme golden retriever. Elle connait ce chien ? J'ai loupé un épisode moi ? Désarçonné, il releva finalement le regard vers la propriétaire de la paire de pieds féminins qui était à côté du chien. C'était une femme qu'il avait déjà vue.. grande, brune, au teint mat.. bien sûr. Ils s'étaient déjà croisés la semaine dernière ! Le chien s'appelait Silas et elle... Sarah ? Trisha ? Chada... réveille toi idiot !
- Vous faites de nouveau une heureuse, lança t-il finalement en reportant son attention sur la petite fille, vous êtes Chadna, c'est ça ?
« Oui, c’est bon, je suis réveillée » Chad maugrée péniblement à l’attaque de son ami à quatre pattes excité comme une puce si tôt le matin. A moitié endormie, Chad se traîne tant bien que mal jusqu’à sa cuisine où elle se sert un café, breuvage nécessaire au bon fonctionnement de son organisme et dépose par la suite sa carcasse fatiguée d’une nuit agitée sur le balcon. Ses prunelles endormies croisent celles de son voisin qui apparait toujours au même moment, à croire qu’il avait savamment étudié ses habitudes. Il est là pour te mater avait dit Carment et un haussement d’épaules fut l’unique réponse de Chad. Elle n’en fait pas grand cas, qu’il regarde, elle commencerait à s’en inquiéter le jour où il se décidera à traverser le vide qui sépare son immeuble du sien. Des années que son regard la détaille, pourtant aucun mot n’a été échangé, Chad ne souvient pas l’avoir jamais croisé dehors autant lui offrir un spectacle digne de ce nom s’il est prisonnier de son appartement. « Je sais, je sais » riposte lasse à l’excitation croissante de Silas qui fait des allers retours entre le balcon et la porte d’entrée, s’il pouvait parler, il lui aurait sans doute ordonné de bouger son gros cul –le langage de l’indienne aurait déteint sur lui.
Café ; check. Cigarette ; check. Pantalon ; check –il lui est déjà arrivé de l’oublier, son cerveau ayant rendu les armes après deux nuits blanches. « Oui, oui, on y va » Chad n’a pas à le dire deux fois que l’animal l’entraîne déjà sa course, un éclat furtif de son reflet dans le miroir du couloir lui fait prendre conscience de son air cadavérique, la vieillesse au pas de sa porte rend la récupération de plus en plus difficile. « Aujourd’hui, on va aller revoir Annabel, s’il-te plait garde ton énergie pour elle » ses paroles sont censées calmer la fougue de son ami à poils qui oppose résistance pour monter dans ce tas de ferraille qui lui sert de voiture. « Et je t’ai déjà dit que la voiture a été réparée, allez, monte ! » Tous deux se souviennent de leur dernier périple dans la boîte de métal : un arrêt forcé sur une route fréquentée, un accident manqué d’un cheveu et une peur incrustée chez l’animal « Promis, pas de couacs » Le mot couac nouvellement appris provoque chez Silas une réaction proche de l’hilarité, c’est que le canidé se fout de sa gueule. Peut-être qu’il est son reflet après tout.
« Attends-moi ! » elle crie dans le vide, Silas est bien décidé à lui offrir un petit footing matinal forcé, parait-il que c’est bon pour le cœur mais la fumeuse qu’elle est ne le voit pas ainsi. Très vite, elle voit l’adorable petite fille qui avait su s’attirer l’amour de la boule de poil –il n'en faut pas beaucoup en général. Pas loin se tient Stephen Holloway, le père, qu’elle connaissait bien avant que les présentations ne soient faites. « Chad » L’indienne insiste sur son surnom avec un sourire affable « Généralement Chadna c’est lorsque ma mère est sur le point de me gronder » elle lâche un petit rire, ce n’est pas complètement vrai… ni faux d’ailleurs. Elle a simplement pris l’habitude du surnom, si bien qu’il est rare qu’elle donne son prénom en entier, mais il faut reconnaître que ses rapports avec Stephen sont quelque peu… spéciaux. A bien y réfléchir, au vu de ses motivations nul doute qu’elle aurait dû choisir un pseudo, trop tard. « Je crois qu’ils se sont bien trouvés » sourire attendrit, l’indienne approuve que les Golden font de merveilleux compagnons pour les enfants « Silas n’a pas l’occasion de voir beaucoup d’enfants du coup il risque bien de pas la lâcher de si tôt » elle ne loupe rien du spectacle qui se joue devant leurs yeux d’adultes « Sinon, comment vous allez ? Vous semblez être aussi réveillé que moi » Café en mains, on se reconnait rapidement entre êtres privés de sommeil.
Chad. Mais oui, ça lui revenait maintenant. En revanche, pourquoi se souvenir de Chadna et non de Chad alors qu'elle avait pourtant déjà insisté sur ce point ; c'était un mystère. Probablement son esprit interne de contradiction.
- Évitons donc de me faire ressembler à votre mère en colère alors, répondit il avec un sourire. - T'as vu comment il est tout doux ! l'interrompit la voix enfantine de sa fille
Décidément, Anabel n'en ratait pas une. Elle ne lâchait pas d'un pouce l'énorme boule de poils, qui lui, semblait bien trop heureux de recevoir autant d'attention d'un coup. Chad lui expliqua qu'il n'avait pas souvent l'occasion de voir des enfants. Ça tombe bien, Anabel en vaut quinze, songea t-il en continuant d'observer ce drôle de duo jouer ensemble sous leurs yeux.
Finalement, Chadna fit remarquer qu'il semblait fatigué : sûrement les cernes immenses et le plus grand format de café du Starbucks que tu tiens dans ta main, Einstein. Pour sûr, il n'était pas au top de sa forme, mais en regardant son interlocutrice de plus près, elle aussi avait l'air de manquer de quelques heures de sommeil. Jusqu'à maintenant, Stephen n'avait pas pris le temps de vraiment l'observer ; il avait surtout reporté son attention sur Anabel et Silas.
La trentaine, Chadna avait l'air d'être quelqu'un de gentil. Ce n'était que la deuxième fois qu'il la voyait, mais elle s'était toujours montrée souriante et bienveillante. Et puis, l'énergie débordante d'Anabel ne l'effrayait pas, et ça c'était une bonne chose. La fillette ne risquait pas d'oublier Silas de si tôt et si jamais ils venaient à se croiser de nouveau, elle ne le lâcherait pas.
- J'ai travaillé toute la nuit, lui répondit Stephen en faisant tourner son gobelet de à moitié vide entre ses doigts. L'administratif.. c'est pas ma tasse de thé. Et vous ? Votre chien a refusé de vous laisser dormir ce matin?
Anabel avait totalement oublié Stephen. La petite fille jouait avec le chien, lui jetant un bâton qu'elle avait ramassé au sol et qu'il s'empressait de venir lui rapporter lorsqu'il était dans les airs. C'était une scène attendrissante ; pas tellement du fait de la mignonnerie de la situation, mais surtout parce que les fois ou Anabel riait à pleins poumons étaient rares. Alors il préférait ne rien interrompre.
- Ça vous dit de les laisser se fatiguer un peu ? demanda t-il finalement
« Vaudrait mieux pour vous » Chad lâche un petit rire en superposant le visage énervé de sa mère à celui de Stephen et le résultat est digne des plus beaux ratés de Photoshop. Généralement après Chadna suivait son second prénom, des reproches en hindi alors que Chad allait trouver refuge chez son père qui, selon les dires maternels, prenait toujours sa défense et devenait ainsi la nouvelle source de réprimandes. « T'as vu comment il est tout doux ! » Le sourire de Chad s’agrandit, la petite fille n’a aucune idée de l’effort derrière ce résultat, surtout avec un animal aussi aventureux que Silas. Hier appelée en dehors de la ville, elle n’a eu d’autre choix de le prendre avec elle contrairement à ses habitudes et profitant d’un moment d’inattention de l’indienne, il est parti à la découverte de la boue et de ses bienfaits. La joie du débarbouillage a battu tous les records.
Annabel jouant avec Silas est une scène des plus adorables, qui donne matière à réfléchir à Chad sur la possibilité d’avoir un enfant dans le futur. Elle a toujours été catégorique sur le sujet, les gosses ça empêche de vivre vous répondra-t-elle si la question est posée. Motivations factices pour réduire au silence sa culpabilité piquante d’avoir abandonné ce bébé innocent, à chaque fois que l’affaire est mentionnée. Aujourd’hui, elle peut entrevoir ce qui aurait pu se faire et les éclats de rire manqués, aussi reporte-t-elle son attention sur sa gauche, sur Stephen. « Toute la nuit ? Vous faites quoi déjà ? » Elle connait déjà la réponse Chad, mais Stephen n’a nul besoin de le savoir, qu’ils jouent au jeu des présentations tel que la société l’exige et peut-être pourrait-elle glaner quelques informations supplémentaires. « Je crois lui avoir donné quelques mauvaises habitudes » dit-elle avec un petit rire lorsque Stephen voit en Silas la raison de sa fatigue, ce qui n’est pas complètement faux. « Bon, c’est vrai que j’ai aussi veillé tard mais je pense que Silas s’en fiche un peu » Elle a lui a promis une balade la veille, c’était à elle de faire en sorte de pouvoir assurer derrière que la boule de poil lui répondrait sûrement s’il avait pu, parfois elle aurait aimé qu’il puisse car elle ne doute pas de son répondant.
Mentionnant d’ailleurs son ami à quatre pattes, Chad semble avoir disparu de ses préoccupations, soit, elle ne va pas se plaindre de quelques minutes de calme pour mettre en place sa stratégique avec Stephen. Ce dernier l’invite à laisser leurs enfants s’amuser pendant qu’ils s’occuperont à des activités d’adulte. « Pourquoi pas, de toute façon ils ont oublié notre présence » Un regard sur le duo attendrissant pour en avoir confirmation « On s’assoit ? » Chad n’attend pas de réponse qu’elle prend déjà place sur le banc le plus proche, ne pouvant plus longtemps supporter le poids de son propre corps, la vache, elle va sûrement sa taper la sieste du siècle cet après-midi. « Le cadre est vraiment agréable. Vous venez souvent par ici ? » la question qui n’a pas besoin de réponse, puisque Chad et Silas ont laissé leur parc habituel pour celui-ci dans un but précis. « D’ailleurs, excusez mon indiscrétion mais vous élevez Annabel tout seul ? » encore une réponse connue certes, mais ça pourrait être un bon moment pour partager leurs expériences de parent célibataire et tisser un lien qui lui ouvrirait les portes de l’intimité du duo père-fille.
Stephen non plus ne s'était pas fait prier pour prendre place sur le banc lorsque Chadna avait proposé de s'asseoir un peu. A défaut de ressembler à deux jeunes trentenaires dynamiques en pleine promenade au parc, ils avaient tous les deux l'air de deux vieux rondouillards qui prenaient l'air pour se donner bonne conscience ; rien de bien glamour en somme.
- Avec Anabel on vient ici tous les samedis matins, c'est une sorte de rituel. Je travaille toute la semaine, et le samedi c'est son jour, c'est elle qui décide ce qu'on fait. Et je suis Kiné, lui répondit il en continuant de faire tourner le gobelet de café entre ses doigts. Tic nerveux et agaçant.Et vous ? Vous avez l'air de faire quelque chose de plus passionnant que moi. Je ne vous imagine pas derrière un bureau.
Stephen avait beau adorer son métier, il se doutait bien que ce n'était pas un job de rêve. Aucun enfant n'a jamais dit "plus tard je serai kiné", jamais, mais il faisait avec. Ça lui plaisait et c'était le principal. En revanche, il ne pouvait pas imaginer Chadna évoluant dans un univers aussi lisse que le sien ; sa façon d'être, sa voix, son caractère.. elle était son opposé sur beaucoup de points, et ils se différenciaient d'ailleurs sur un point en particulier : elle était directe.
Stephen n'était plus habitué à ce qu'on lui pose des questions au sujet d'Anabel. En fin de compte il n'était plus habitué à ce qu'on ne lui pose des questions tout court, alors lorsque Chadna lui demanda s'il élevait la fillette seul, son sang se figea un instant, et le gobelet qu'il faisait inconsciemment glisser entre ses doigts manqua de tomber.
- J'ai perdu ma femme en février dernier, on est plus que tous les deux, lança t-il finalement après quelques secondes de pause.
C'était comme retirer un pansement. Il fallait le faire vite pour ne pas flancher. Ne pas s'épancher sur les détails, ne surtout pas prononcer le mot cancer. Ne pas attirer la compassion.
- Venir ici ça lui change les idées, poursuivit il en désignant la fillette du menton. Ce n'était pas notre parc. On a commencé à venir ici puisque personne ne nous connaît, on est un peu à l'abri des indiscrets. Personne dans notre voisinage ne s'attendait à ça. C'est plus compliqué à gérer pour elle que pour moi. Ici c'est notre bulle d'air de la semaine.
Même si avec le temps il était devenu plus facile d'évoquer le décès de Rachel, c'était encore difficile de le dire oralement, un peu comme recevoir un coup dans le ventre. Cette douleur la ne partirait sans doute jamais, on apprenait simplement à avoir l'habitude, mais pour le moment, ce n'était pas gagné.
Les miches posées sur le banc, Chad se demande furtivement où sont passées ses jeunes années. Elle est loin la Chad qui pouvait passer une nuit blanche à danser sur les tables de différents clubs de la ville puis se rendre au travail le lendemain avant de reprendre de plus belle une fois la nuit tombée. Cette époque semble révolue alors qu’aujourd’hui son corps lui parait incapable de fonctionner sans un quota d’heures de sommeil, et bien sûr sans café. Elle serait clairement recroquevillée dans la pénombre de sa chambre sans le breuvage magique. Trente-quatre ans, bientôt trente-cinq et l’écrasante sensation de porter le monde sur ses épaules, faut croire que des années d’excès laissent des marques indélébiles. « Et dimanche c’est jour d’église ? » sa question lui échappe alors que Stephen lui explique ce qu’elle sait déjà, la partie où Annabel choisit les activités mise à part. « C’est génial de pouvoir lui consacrer un jour en tout cas » Chad reprend avec un petit sourire encourageant et elle le pense. Elle a pu suffisamment l’observer pour constater combien il est occupé les jours de semaine, de quoi lui rappeler qu’elle n’aurait jamais fait long feu dans une structure dite normale. Stephen, la connaissant à peine, parait approuver. « Pas de bureau pour moi non » elle lâche un petit rire. Elle s’y est essayée dans le temps, ne passant jamais la période d’essai pour abandon –ou renvoi- au bout de quelques jours à peine, insultant son patron et les autres employés au passage. « Je suis chasseuse de serpents, c’est moi qu’on appelle si on trouve un serpent sous son canapé, dans son meuble, dans ses toilettes etcetera » Demi-vérité, Stephen n’a pas besoin de détails inutiles. « Donc si vous avez un serpent caché quelque part, vous saurez qui appeler » Chad peut entendre le claquement de langue réprobateur de sa mère à la mention de son job, elle lèverait d’ailleurs les yeux au ciel en complément. Appeler ça un job penserait-elle sûrement, ridicule, si elle est incapable de trouver un véritable travail, Chad devrait plutôt se marier, ce serait plus utile.
« Je vois » Chad répond quand il lui décrit cette situation qu’elle connait déjà. C’est mince certes, mais elle n’a jamais su quoi dire dans ce type de situation, on a oublié de lui offrir le manuel d’apprentissage. La tension est palpable et l’hésitation de Stephen ne lui échappe pas, de même que l’émotion que l’évènement provoque. Et Chad, ne sait pas gérer ça, elle. Elle regrette un instant d’avoir abordé le sujet, parce que son épaule n’a jamais su se montrer accueillante s’ils doivent s’aventurer sur ce terrain. « Ca l’air de lui réussir des moments comme celui-ci, c’est le plus important » comme pour donner raison à l’indienne, la petite fille éclate d’un rire cristallin face à un Silas confus d’avoir manqué le bâton lancé pour se le prendre dans la gueule. « Et à vous aussi d’une certaine façon » du moins c’est ce qu’elle imagine. En réalité, elle n’en sait rien, elle n’a jamais eu à se retrouver dans cette situation, aussi elle évite les ‘je comprends’ habituels comme elle s’est entendue dire à la mort de son père, ce héros abattu par une maladie perfide. « Vous avez pas de famille qui pourrait vous donner un petit coup de main ? » Les deux pieds dans le plat, l’air pourtant innocent, elle attend la réponse avec intérêt. « Ça pourrait vous alléger un peu »
- Généralement, le dimanche c'est jour de flemme, ajouta t-il en haussant doucement les épaules.
Décidément, Chadna était un drôle d'oiseau. Depuis le peu de temps qu'ils discutaient, Stephen avait l'impression que les paroles sortaient de sa bouche de façon quasi incontrôlée, comme si tout ce qui lui passait à l'esprit était formulé verbalement. Assez déroutant pour le coup.
- Je me disais bien que vous n'aviez pas l'air d'être une adepte des petites pièces lugubres avec un PC pour compagnie.
Il devait quand même bien avouer qu'il ne s'attendait pas exactement à ça. Chasseuse de serpent ? En temps normal, il aurait pu croire à une caméra cachée, mais elle n'avait pas l'air de plaisanter du tout. Après tout, dans l'Outback c'était plutôt courant, mais pas ici au beau milieu d'une grande métropole comme Brisbane. Ça avait au moins eu le mérite d'attirer son attention.
- Vous faites ça depuis longtemps ? J'veux dire, c'est pas tellement commun comme métier.
Anabel le tira de ses réflexions sur les serpents en éclatant de rire, alors qu'elle jouait toujours avec Silas. Décidément, c'était plus un animal de compagnie dont elle avait besoin que de poupées.
Depuis la mort de Rachel il avait tendance à la couver sous des tonnes de jouets. Ce n'était pas forcément la meilleure façon de faire, mais toutes les fois ou elle semblait s'amuser était une petite victoire. En la voyant si épanouie avec le compagnon à quatre pattes de Chad, il se disait que c'était peut être le bon moment pour en adopter un. Enfin, pas sûr qu'il réussisse à trouver un chien aussi doux que ne l'était Silas, mais ça c'était une autre histoire.
- Je pense qu'elle préfère être à l'extérieur que cloîtrée chez nous, je ne suis pas pour grand chose la dedans.
Il désignait du menton la petite fille qui rayonnait littéralement de bonheur. Malgré l'hiver naissant, elle se fichait comme d'une guigne de la météo. Comme tous les enfants elle préférait être au grand air.
- Ses grands parents ont emménagé en ville. Mais ..enfin, disons que ce sont deux vieux cons, fît il en haussant doucement les épaules.
Il n'y avait pas d'autres mots. Les Forbes n'étaient pas des grands parents gâteaux comme on pouvait l'imaginer, même s'ils donnaient le change en public. Déjà à l'époque, ils avaient cessé de parler à leur fille lorsqu'elle est tombée enceinte d'un coup d'un soir insignifiant, autant dire que lorsqu'elle a décidé de garder le bébé, ils étaient au bord de la syncope et du déshonneur. Ils ont coupé les ponts avec elle pendant près de trois ans. Le couple ne s'est intéressé à Anabel qu'après la mort de Rachel, et Stephen était quasi persuadé qu'ils ne voulaient sa garde que pour se venger une dernière fois de l'affront de leur fille. Ils avaient sûrement pour projet de faire de cette enfant la petite fille parfaite qu'ils n'ont au fond jamais eu.
Dimanche, jour de flemme. La remarque lui arrache un sourire. C’est également le cas de son côté, du moins quand Silas se montre assez généreux pour l’y autoriser car il n’est pas rare qu’il manifeste l’envie d’aller se balader aux aurores. Parfois, Chad l’emmène voir les levés de soleil dans ses moments d’extrême bonté et le canidé semble apprécier le geste à sa juste valeur. L’indienne également, l’aspect romantique mis à part, ce spectacle est magique. « Oh vous savez, j’ai quand même un pc chez moi » elle ne se départit pas de son sourire. Son second travail passé sous silence nécessite l’utilisation d’internet, les gens seraient surpris de tout ce qu’on pourrait trouver sur eux si l’on se donne la peine de chercher convenablement et d’avoir les outils adéquats. L’on dit que rien ne meurt sur la toile, rien ne disparait et personne ne sait réellement dans quelle mesure, Chad y compris. Elle a beau s’en sortir plus que la moyenne, nombreuses sont les parts d’ombres auxquelles elle n’a pas encore accès et elle n’est pas certaine de vouloir y accéder à bien y songer. « Je chasse des serpents depuis mon adolescence et de manière pro depuis quelques années » Stephen est surpris de son choix de carrière, comme toute personne qui vient à découvrir son activité. Elle ne se lasse pas des réactions abasourdies, de questionnements et il lui arrive aussi quelques fois de se demander le pourquoi du comment. « J’ai grandi dans l’outback autant dire que c’est monnaie courante puis j’ai vécu à Melbourne et Sydney, vous serez surpris du nombre de serpents qui vont s’installer dans les zones résidentielles » plus particulièrement à Melbourne où l’été est synonyme de migration intensive de ces petites bêtes. Brisbane non plus n’est pas en reste, même si dans le Queensland, Townsville semble tous les attirer. « Il arrive parfois qu’humains et serpents cohabitent pendant de longues années avant que ça soit découvert » La panique est souvent de mise, à juste titre puisque l’Australie possède les serpents les plus venimeux au monde entre autres créatures dangereuses.
Finalement, ils en reviennent au sujet premier et la raison de la présence de Chad aujourd’hui : Anabel. La manière le père et la fille gèrent le quotidien après la perte maternelle, puis enfin la mention des grands-parents. « Ca n’aide pas, c’est sûr » Des vieux cons, l’indienne réprime un sourire. C’était le premier qualificatif qui lui est venu lorsque ses yeux se sont posés sur ce couple. Ils lui rappelaient beaucoup les parents de Marco : des principes à n’en plus finir et une facilité déconcertante à juger et à catégoriser les autres. « Ce sont vos parents ? » Chad se risque à demander même si de nouveau la réponse est déjà connue, énoncée quelque part dans le dossier audio créé sur ses employeurs. « Après vous savez, des vieux cons peuvent s’améliorer avec de la volonté » elle lance avec nonchalance, les prunelles posées sur l’enfant et son ami à quatre pattes courant autour d’elle. Les vieux cons ont prétendu être un meilleur foyer pour une gosse, la voix tremblante d’émotion où Stephen manquerait beaucoup de moments cruciaux, ils seraient là et bien sûr le chèque a fini de convaincre le vieux de trou de balle –nom affectueux pour le gérant de l’agence.
Stephen n'avait pas l'habitude de rencontrer des personnes comme Chadna. Elle donnait l'impression d'être une femme forte et indépendante qu'un serpent était bien loin d'effrayer. Lui était tout l'inverse. Une carrière bien rangée, une vie sans la moindre aspérité. Ce n'était pas le genre de type à mettre les mains dans le cambouis où à se confronter à quoi que ce soit qui sorte de l'ordinaire. Il trouvait un certain équilibre dans cette banalité, sa seule folie avait été Rachel, et maintenant qu'elle était six pieds sous terre il en était revenu au quotidien sans vagues. "Vous avez pas mal bougé." déduisait il, avant de poursuivre : "C'est assez effrayant de se dire qu'un serpent peut se nicher dans les fondations et apparaître sur le parquet comme si il était chez lui" Un sourcil relevé, le brun observait toujours sa petite fille jouant avec Silas en toute insouciance. C'était lui, le plus stressé des deux. Stephen était nerveux par nature. Tout ce qui sortait de sa zone de contrôle lui semblait hostile. En l’occurrence ici, s'imaginer qu'un animal aussi venimeux puisse être en mesure de blesser sa jolie tête blonde était un cauchemar. "Vous intervenez souvent ? ... à Toowong par exemple ?" avait-il demandé avec un rire nerveux. Il n'y avait pas à douter la dessus : les serpents figureraient parmi les nouvelles inquiétudes de cet éternel control freak. "Au cas ou nous cohabiterions avec une famille de vipères depuis trois ans" une plaisanterie qui n'en était pas une : il irait sûrement vérifié que tout était sécurisé à la maison dès cet après midi. "Ce sont les parents de ma femme" répondait-il avec une pointe d'amertume. "Mais je ne pense pas qu'ils puissent s'améliorer avec le temps. Sauf miracle, et encore, pas sur que ce soit suffisant." Il avait doucement secoué la tête, un rictus sur les lèvres. Il était persuadé que rien n'était récupérable chez les Forbes. Vanité, arrogance, égoïsme.. tous les défauts du monde ne seraient pas suffisants pour décrire ce couple à la morale étriquée. "Tu sais, le genre ... à ne pas comprendre qu'on puisse être une famille recomposée, mais une famille quand même." Sans vraiment avoir demandé la permission, Stephen était passé au tutoiement. Après tout, quitte à parler de l’événement le plus tragique de son existence avec une quasi inconnue, autant le faire en étant à l'aise, d'autant plus que Chad n'était pas du genre à se braquer pour pas grand chose. Il faisait nerveusement tourner le gobelet de café vide entre ses doigts, le stress du procès était omniprésent, et l'évoquer était déjà une épreuve en soi, même s'il avait besoin d'extérioriser. Le comportement de ses anciens beaux parents le révulsait tellement déjà, et ça n'allait pourtant qu'empirer au fil des semaines. "J'aurais du prendre la fuite avec elle en apprenant qu'ils réclamaient sa garde. Quelque part en Indonésie, où dans les îles. Ils sont bien trop précieux pour aller jusque la bas." Stephen avait lancé cela sur le ton de la plaisanterie, mais en vérité, il y avait songé. Perdre la garde d'Anabel serait insurmontable, mais depuis la mort de sa maman, cette petite avait besoin d'équilibre. Quitter Brisbane lui aurait fait perdre tous ses repères, et le bien être de cette enfant importait bien plus que le sien, alors il se battrait.
La réaction de Stephen sur une possible cohabitation avec un ou plusieurs serpents lui extirpe un sourire. Sans doute que si elle n’en avait pas fait son métier, elle s’en serait également inquiétée avant de partir à leur recherche elle-même. Ou peut-être pas au final, tant qu’elle ne les voyait pas, elle se considérerait à l’abri, nul besoin d’aller les déloger alors qu’ils ne s’étaient pas montrés menaçants. Pas encore du moins. « Après vous savez, certains sont souvent là bien avant » donc le fait qu’ils se considèrent comme chez eux avait du sens. C’est ce que les humains ont tendance à oublier, construire ne signifie pas qu’ils possèdent lui avait dit ce vieil aborigène pour lequel elle a plus de respect que pour son propre grand-père. Les problèmes environnementaux rencontrés sont dû à notre propension à se croire maîtres de l’univers. Chad n’en était pas devenue soucieuse de l’environnement pour autant, de toute façon on était déjà foutu. « Je ne suis pas souvent appelée par-là mais tenez » elle sort une carte de sa veste et vérifiant bien qu’il s’agit de l’activité professionnelle dont elle parle, elle la tend en direction de Stephen « appelez-moi si jamais vous avez des doutes et je m’occuperai de vérifier ça pour vous » Elle se félicite un instant de n’avoir pas cédé à la tentation de donner un faux nom sous prétexte qu’elle doit enquêter sur lui. « Et ce à des prix compétitifs » elle offre un sourire amusé, signe qu’elle se sent de plus à l’aise dans cette discussion. Une autre preuve de cela, c’est le tutoiement qui se met en place et le fait que Stephen lui donne un peu plus de détails sur cette situation qu’elle est censée ignorer. En tout cas, leur avis sur les Forbes est identique, mais elle se garde bien de le lui faire savoir. Elle doute également qu’ils puissent changer un jour, à moins de prendre le temps de faire dans la rééducation comportementale comme on le voudrait avec des animaux afin qu’ils suivent les indications données. « Ils n’ont jamais été présent dans la vie d’Anabel ? » Le couple Forbes a dit qu’ils avaient essayé, mais une dispute avec leur fille avait brouillé la communication entre eux pourtant alors que sa santé se détériorait, ils avaient tout mis en œuvre pour rétablir le contact. Les choses se passaient mieux, selon leurs dires la voie de réconciliation avait même été empruntée. Le récit a été fait de façon si dramatique que Chad aurait presque pu entendre des violons hurler au loin. « Après ça peut être l’occasion de retrouver une part de leur fille disparue et qui sait, des visites ponctuelles pourraient être aussi bénéfiques à la petite qu’à eux » elle lance sur le ton de la réflexion, comme si son cerveau ingurgite lentement les renseignements fournis par Stephen. « Ca les rapprocherait de l’être qu’ils ont aimé et perdu » c’est ce qu’il lui fallait dire dans cette situation n’est-ce pas ? Elle doit soigneusement sélectionner les informations à partager avec le père célibataire afin de ne pas éveiller de soupçons sur ce qu’elle sait ou non à leurs sujets. « Désolée… hm… je me mêle de ce qui me regarde pas » ce serait bien une première qu’elle s’excuse pour ça au vu de sa manie de laisser son nez trainer dans les affaires d’autrui, aujourd’hui ne fait pas exception.
La remarque de Chadna faisait sens. Les serpents étaient chez eux avant d'être chez ceux qui les chassaient. L'homme avait tendance à s'approprier à tord tout et n'importe quoi. Le kinésithérapeute ne doutait pas un instant que bon nombre d'entre eux étaient inoffensifs, mais pourtant, il était persuadé que si jamais l'un de ces rampants faisait irruption sur le sol de sa cuisine il appellerait l'un des confrères de la brune dans la minute. Stephen était certainement le type le plus prévisible qui soit. A des kilomètres de Chad qui lui tendait sa carte de visite. Bonne idée, qu'il songeait. Il ne faisait aucun doute qu'une fois chez lui, il se renseignerait sur les dangers liés aux serpents dans son quartier et les bons gestes à adopter, mais ça il ne l'avouerait sûrement pas. Son côté parano n'était pas celui dont il était le plus fier. "Merci" qu'il lui avait répondu en fourrant la carte dans la poche intérieure de sa veste. Elle lui expliquait qu'elle se ferait une joie de venir faire un diagnostic chez lui. Ce à quoi il répondit en lui glissant un sourire. "Ce sera l'occasion de prendre un café." Son gobelet vide entre les doigts et ses quatre heures de sommeil à tout casser parlaient à sa place. Le café était presque une institution chez lui, une espèce de breuvage sacralisé dont il prenait soin de contrôler la provenance et l'arôme. Un trait de caractère qu'il semblait partager avec son interlocutrice. Par la suite, le sujet de conversation était revenu tourner autour de la petite fille qui jouait de bon coeur avec la boule de poils de Chadna à quelques mètres d'eux. "Non jamais. Ils étaient en froid." qu'il répondait en haussant les épaules. Rachel et ses parents n'avaient jamais été très proches. Le fait qu'ils réclament aujourd'hui la garde exclusive de sa fille faisait doucement rire Stephen qui n'y voyait là qu'une tentative dérobée de montrer leur domination patriarcale. "Croyez moi. S'ils font ça c'est uniquement parce qu'ils le peuvent et non parce qu'ils le veulent. Anabel terminera chez une nourrice aussi souvent que possible." Sa mâchoire se crispait. Le simple fait d'évoquer cette possibilité le tourmentait plus que de raison. Stephen ferait tout ce qui est en son pouvoir pour que la fille de l'amour de sa vie reçoive l'éducation qu'elle aurait voulu pour son enfant. A défaut d'avoir pu sauver Rachel, il sauverait Anabel. "Vous ne les connaissez pas, c'est tout." De nouveau il haussait les épaules. Les questions de Chadna étaient naturelles, depuis que le procès avait démarré on les lui avait déjà posées des dizaines de fois, si bien qu'il ne s'en méfiait plus. "Il faudrait que je songe à vous rendre votre chien." Anabel commençait enfin à montrer des signes de fatigue et revenait doucement vers le banc au grand dam de Silas qui continuait de remuer la queue autour d'elle.
Un café sera donc l’objet de leur prochaine rencontre, l’idée lui extirpe un sourire amusé. Elle a plutôt intérêt de rester sur ses gardes et surtout éviter de perdre de vue que Stephen est une cible. Il ne lui faudrait pas compliquer la situation inutilement même la curiosité semble peu à peu l’emporter sur la raison. Elle veut en savoir sur cet homme que les Forbes ont décrit de manière aussi négative alors que son instinct de détective semble venir à une toute autre conclusion. Les Forbes la paient pour un boulot qu’elle réalisera, c’est désormais à Stephen de n’avoir rien à cacher, autrement il lui faudra en assumer les conséquences. « Effectivement, c’est compliqué » Chad conclut ainsi à voix haute avec une grimace de circonstances « vous vous retrouvez dans une situation bien difficile » son ton se veut compatissant et sans doute qu’il l’est réellement. Il est rassurant de voir que ses ressentis sont quelque peu confirmés par les dires de Stephen, même si la professionnelle qu’elle est, préfère d’avoir des preuves indiscutables pour se permettre un avis arrêté. Elle ne connait pas le brun mais son instinct ne lui a jamais fait défaut et à l’heure actuelle, il semble soutenir le père célibataire. Le regard qu’il pose sur la petite fille est éloquent, un mélange d’amour indicible et de peur… de la perdre certainement. Cela renvoie Chad à des souvenirs si bien enfouis, qu’elle les avait crus oubliés, heureusement pour elle Stephen remet le duo enfant-canidé au centre de ses préoccupations. « Je pense que c’est plutôt à Silas de vous rendre votre fille » Chad part d’un petit rire quand elle capte l’expression perdue de son chien, il ne parait pas comprendre pourquoi le jeu prend fin, sans doute qu’il pourrait continuer des heures durant. « Allez viens par ici » Elle frappe plusieurs fois sur ses genoux pour le faire venir à elle avant de recouvrir sa tête de caresses. « Bonjour Annabel, moi c’est Chad » comme tout adulte qui s’adresse à un enfant, l’indienne prend une voix démesurément fluette « j’espère que tu t’es bien amusée avec Silas » sourire aux lèvres, Chad tente tant bien que mal de calmer le golden qui tire sur son pantalon, visiblement lui n’en a pas encore terminé, à son grand dam. « Malheureusement, on va devoir vous laisser mais ton papa a le numéro de Silas si jamais tu veux t’amuser avec lui » Elle se lève enfin, le chien à tendance coach sportif semble lui préparer un autre footing.
La brune usait d'un ton qu'il devinait compatissant, même si ce ne semblait de prime à bord pas être sa tasse de thé. Chad semblait être brute de décoffrage, un oiseau sauvage, à des lieues de ce qu'était Stephen. « Effectivement, c’est compliqué. Vous vous retrouvez dans une situation bien difficile » Il haussait doucement les épaules en retour. Compliqué... tout était compliqué. Si la vie continuait à semer autant d'épreuves sur sa route il y avait fort à parier qu'il finirait par les classer par catégories du plus ingérable au moins pire. Mais soit, pas totalement enclin à s'épancher sur ses déboires avec une presqu'inconnue, Stephen décidait qu'il était temps de mettre fin à cette rencontre. Il avait assez abusé de la gentillesse de son interlocutrice aujourd'hui. Une curieuse rencontre pour lui, et une vraisemblablement formidable pour Anabel. Malgré la fraîcheur hivernale de ce début de journée, elle avait trouvé en Silas un compagnon de jeu bien plus éveillé que ne l'était son père adoptif. « Je pense que c’est plutôt à Silas de vous rendre votre fille » Un sourire en coin étirait ses lèvres, en echo au rire de la brune. Il ne faisait aucun doute que la fillette réclamerait un animal dès qu'elle aura atteint son siège auto. Chad appelait par la suite son énorme chien en donnant quelques coups sur ses genoux. La bête ne mit pas longtemps à arriver, la frimousse d'Anabel sur les talons. « Bonjour Annabel, moi c’est Chad » que lançait la brune d'un ton prévenant. La fillette réagit cependant comme à l'accoutumé : timidement, se planquant derrière les jambes de son père comme si elle y trouverait refuge. « j’espère que tu t’es bien amusée avec Silas » Et Stephen songeait que c'était le cas à en juger par la mine réjouie de l'enfant. Par ailleurs, si Anabel avait trouvé son quota de dépense énergétique pour la journée, il n'était pas certain que ce soit le cas pour le golden qui n'avait de cesse de tirer le bas de pantalon de sa maîtresse. « Malheureusement, on va devoir vous laisser mais ton papa a le numéro de Silas si jamais tu veux t’amuser avec lui » Devant la mine réjouie et émerveillée de la fillette, Stephen la hissa jusque sur ses genoux pour éviter de trop s'épancher la dessus. Son chemin croiserait certainement à nouveau celui de Chad, il finirait par céder à force de se voir supplier. La brune s'était levée, et le duo père fille la saluait. Hôchement de tête pour lui, des bras secoués pour elle, les deux regardaient la brune s'éloigner, visiblement traînée par Silas qui avait encore de l'énergie à revendre.