J’avais pas mis très longtemps avant de débarquer sur le palier du 45 Redcliffe, pack de bières entre les mains, à cogner à sa porte l’instant d’après. La dernière fois où j’avais vu Tommy, c’était aussi l'un des moments où j’avais été le plus mal en point de ma vie. Sans Gin, sans Lene, sans rien, j’en étais devenu une loque humaine flirtant avec les remous de nuit blanche et de déprime dégeulasses que j’avais entretenus pendant toutes ces années à Londres. Rien ni personne n’avait de bon ou de beau à dire de la flaque de questions et de guilt trip à laquelle j’avais pris part à jouer, et le Warren avait été un élément important dans ma réflexion, si ce n’est essentiel pour que je finisse par me relever un peu, mieux. Entre lui et Cora, c’était devenu un peu moins difficile de voir la réalité en face, d’assumer mes erreurs surtout, bien que ça restait toujours tellement douloureux de capter que la majorité des merdes que j’avais fini par recevoir viollement à la figure avaient été causées par moi, et moi seul. Mais aujourd’hui, ça allait mieux. Aujourd’hui, je commençais à refaire mes marques, à avoir moins l’impression d’être une corvée chaque fois que je débarquais devant un pote, devant une tête familière. Un nouvel appart’, un commerce bien monté qui roulait bien, un nouvel entourage bien solide qui répondait à l’appel, et peu à peu, je remarquais les détails, je me sortais la tête du cul, je voyais en avant. Si j’avais passé des semaines à ressasser mon passé et à ignorer le monde extérieur en fonctionnant sur le facile et logique pilote automatique, cette époque était maintenant révolue, et oh damn que le timing était impeccable. Parce que ça me permettait maintenant d’être là pour Tommy, de redoubler d’ardeur à frapper à sa porte, et de réaliser que si la dernière fois il a été l’oreille attentive à mes problèmes, là, c’est mon moment de briller.
À la seconde où il ouvre sous mon tapage, c’est ma tête qu’il trouve, et surtout mon intonation on ne peut plus sérieuse. « Dude. » j’attends qu’il se dégage de l’embrasure pour entrer, expliquant mon air et limite, ma panique. « C’est normal qu’un sosie de Marius soit passé au café aujourd’hui? » bien sûr que non c'est pas normal, parce qu’il y a pas de sosie de Marius, parce que c’était Marius, personne d'autre, surtout pas sa version angélique jumelle, et parce qu’avec ça il amenait tout un lot d’inquiétudes et de mauvais sentiments et de doute, du moins, pour ma part. Alors j’imaginais même pas comment Tommy voyait ça lui-même de son côté. « Scarlett s’est planquée dans la réserve le temps qu’il débarrasse. » si je me fiais à la réaction de l’autre Warren que je côtoyais encore plus au quotidien, y’avait de quoi s’alarmer. « Moïra est là? » oh qu’il est fin finaud le Matt, parce que depuis la première seconde où j’ai mis le pied ici, j’ai tout de même fait l’effort de garder un ton relativement bas, de chuchoter sous prétexte que ça ne valait pas non plus la peine que la fillette soit prise entre les tirs d’un côté et de l’autre de sa famille, elle qui devait bien réaliser que la dynamique avec son père avait changé si l’autre voleur de gamine était de retour dans les parages. « J’avais promis une tournée. » je viens en paix, que les 6 bouteilles de bière annoncent, maintenant que j’agite mon offrande sous ses yeux, toujours dans l’attente du moindre indice sur comment il s’en sort. « Dis-moi comment tu vas surtout. » plus le droit à l’erreur, plus le temps pour les banalités. C’était à mon tour de lui rendre l'ascenseur s’il me laissait le droit de le faire ; et honnêtement, j’avais pas envie de bouger d’un centimètre d’ici tant que j’étais pas sûr qu’il allait correctement.
Après avoir lu une fois le mail à toute vitesse et une seconde fois à vitesse plus raisonnable, Tommy avait lui-même versé du sel sur ses plaies en lisant une troisième fois son contenu à voix haute, au cas où il aurait mal compris, au cas où l’espoir serait encore permis, au cas où la nouvelle n’était pas aussi mauvaise qu’elle en avait l’air. « Malheureusement votre profil ne nous permet pas d’accéder à votre demande d’aide financière, formulée dans le cadre de votre droit à la formation, au titre de blablabla ughhh … » Se laissant retomber sur le canapé avec théâtralité il avait passé une main lasse sur son visage, et rouvert un œil en entendant le chat miauler depuis l’accoudoir d’en face. « Toi, n’en rajoute pas. » Léchant sa patte avant sans le quitter des yeux, l’animal lui donnait la sensation désagréable de le narguer, et soupirant pour lui-même Tommy avait fixé le plafond les longues minutes qui avaient suivi. C’est tout, il ne quitterait jamais ce bar de malheur, et il pouvait encore s’estimer heureux que Moïra n’ait rien su de ses velléités à trouver un autre emploi ; Il n’aurait pas supporté la déception que ses yeux étaient capables d’exprimer du haut de leurs neuf ans. Extérieurement cela ressemblait pourtant au plan parfait, mettre en avant ses compétences et son expérience de bûcheronnage pour justifier la demande de formation, motiver la demande de formation pour obtenir l’aide financière, et finalement obtenir le satané bout de papier nécessaire pour exercer un métier pour lequel il avait déjà plusieurs années de pratique derrière lui. Mais ce n’était pas ça qui comptait, au fond. Tommy n’était pas tant un ancien bûcheron qu’un ancien taulard, aux yeux de ceux qui avaient balancé son nom dans la catégorie « réponse négative automatique » de la boîte mail, et pour ça plus que pour le reste on ne miserait jamais un copeck sur lui. Se laissant finalement glisser aux pieds du canapé et rabattant sur sa tête la capuche du vieux sweat dans lequel il avait l’habitude de traîner dans l’appartement, il avait lâché ce qui ressemblait à un grognement en entendant qu’on frappait à la porte. Un temps tenté de faire le mort, décrétant que cela pouvait très bien être l’un des Warren – et il ne voulait en voir aucun – ou la voisine de l’étage du dessous qui, au prétexte de lui offrir les restes de gratin ou de soupe qu’elle aurait cuisiné en profiterait pour lui tenir la jambe en conversant pendant une interminable demi-heure, il avait murmuré un « Traître. » outré lorsque Microbe avait sauté du canapé pour aller s’étirer devant la porte et répondre par des miaulements répétés. Juste à l’instant où il s’apprêtait à faire ses griffes sur le panneau de la porte, le brun avait capitulé et s’était remis debout, les chaussettes glissant sur le parquet jusqu'au chat qu’il avait attrapé sous le ventre pour l’empêcher de se carapater une fois la porte ouverte. « Rappelle-moi de te laisser dehors à la prochaine averse. » Cela dit, il avait soupiré en regrettant amèrement l’absence de judas sur sa porte, et ouvert pour finalement se retrouver face à Matt. « Dude. » S’invitant de lui-même à l’intérieur avec l’impression d’avoir croisé un revenant, le McGrath avait fait volte-face, pack de bières dans une main « C’est normal qu’un sosie de Marius soit passé au café aujourd’hui ? Scarlett s’est planquée dans la réserve le temps qu’il débarrasse. » Refermant la porte tandis que Microbe gesticulait pour retrouver la terre ferme, Tommy avait enfoncé les mains dans la poche ventrale de son sweat en prenant son air des mauvais jours « Si ça sentait le souffre et que les lumières vacillaient, c’était le vrai, le seul et unique démon Warren. » Porteur de mauvais augure et annonciateur d’emmerdes. Traînant les pieds, indiquant le canapé à Matt pour lui faire savoir qu’il pouvait s’installer et faire comme chez lui, Tommy s’y était laissé tomber sans grâce « Moïra est là ? » Secouant la tête, le brun s’était délesté de sa capuche et avait fermé du bout des orteils l’ordinateur portable resté ouvert sur la table basse. « Non, la mère d’une de ses copines a proposé de les emmener au cinéma, elle devrait revenir dans une heure ou deux. » Et Tommy d’avoir accepté un peu à contrecœur, bien qu’ayant tout fait pour le cacher. Pas qu’il refusait que sa fille aille au cinéma, mais les soirées qu’il ne passait pas au bar étaient si peu nombreuses … Mais enfin. « J’avais promis une tournée. » avait de son côté avancé Matt, les bières posées sur la table tandis qu’il prenait place à son tour « Dis-moi comment tu vas surtout. » La tête glissant vers l’arrière pour aller rencontrer le dossier du canapé, le barman avait pivoté sa nuque et posé sur son ami un regard résigné, presque plus que désespéré « J’ai eu des jours meilleurs. » Mais il en avait aussi eu des bien pires, au fond, alors après tout. « Et je ne suis pas contre une bière. » Fouillant dans sa poche kangourou Tommy en avait sorti son briquet, et l’avait utilisé pour ouvrir deux bouteilles avant d’en tendre une au McGrath « Tu viens vraiment de te taper tout le trajet depuis Logan City juste pour savoir si j'allais bien ? » Il en était touché, qu’on ne s’y trompe pas, mais il avait aussi un peu de mal à croire que quelqu’un ait pu croiser Marius et simplement se demander « comment va Tommy » sans détour ou arrière-pensée. Même Scarlett ne s’en était pas donnée la peine, après tout. La bière trouvant bien vite ses lèvres et une main passant songeusement une main dans sa barbe, le brun avait secoué la tête et murmuré d’une voix enrouée « Je sais pas ce que je vais faire, s’il demande la garde de Moïra. » À nouveau il était question de Marius. Parce que cette angoisse Tommy la nourrissait depuis des jours, des semaines, depuis que son aîné avait remis les pieds en Australie, et s'il craignait autant c’était à la fois parce qu’il savait son frère capable de le faire mais aussi – sans doute – d'avoir gain de cause.
Dans ma tête, y’a 1 + 1 qui se calcule tout seul, y’a mon service que je termine plus vite que prévu, ma bagnole qui s'enclenche vers l’adresse de Tommy, mes sourcils qui se froncent. C’est l’ère où rien ne va plus côté famille ces temps-ci. Où les frères et les soeurs disparaissent de nos vies ou mieux (pire) encore, réapparaissent comme par magie. Si, doucement et pour ma part, je tente vainement de faire des efforts pour poursuivre ma vie sans accorder la moindre importance à mes drames familiaux, les laissant se placer d’eux-mêmes avec zen et calme, mes inquiétudes se transposent sur Tommy et sur ce que ça signifie, je présume, que le grand Marius et ses intentions que j’avais toujours trouvées louches dès l’instant où il avait eu Moïra sous sa tutelle - et la garde un peu plus longtemps que prévu - ne remontent. « Ç’aurait pas pu être son jumeau, le bon, qui a enfin emprisonné sa version maléfique dans le sous-sol? Et qui a cru bon venir nous l'annoncer en paix? » que je blague, légèrement, résonnant à la pique de mon ami une fois la porte qui s’ouvre sur son air un brin contrit, et un félin dans les bras à qui je gratte entre les deux oreilles pour m’assurer le ok commun de passer l’entrée. Coup d’oeil autour de nous, je tends l’oreille, demande à savoir si la gamine du brun est à la maison, et si accessoirement je dois me calmer sur les accusations et les discussions enflammées - j’ai pas envie que mon ami se retrouve à justifier sa méfiance à une fillette qui a certainement pas demandé à être mêlée à toute cette histoire alors qu’au final, elle est bien coincée au milieu de l'affaire. « Ok, cool, on a le temps de discuter un peu dans ce cas. » quand il me confirme qu’elle n’est pas là, je pose le pack de bière, le suit le temps qu’il en ouvre deux, attend même qu’il prenne la première gorgée avant de le suivre dans son élan.
Il a eu des jours meilleurs - no shit. Inspirant longuement, pensif à souhait, j’ai l’esprit qui se triture par des tas de questions, d'appréhensions également. « Je fais pas dans la demie-mesure pour les affaires de famille. » que je justifie mon arrivée à la volée, ma venue et tout ce que ça signifie. Lui plus que quiconque devrait savoir que quand il est question de mes soeurs, j’agis plus qu’impulsivement et qu’au fil de ma vie, j’ai prouvé une fois et des tas d’autres comment la famille était ce qui dirigeait mes états d’âme over and over. « Me dit pas que t’es ému, Warren. » pourtant, je préfère tout de même gratter le peu d’humour qui ressortira de la conversation, au cas où ça stagne pour les prochaines minutes, au cas où ce dont il finira par me parler assombrisse la pièce et l'ambiance. Ma main que je pose sur son épaule en fanfaronnant, battant des cils, lui faisant les yeux doux réglementaires et un baiser soufflé pour compléter le tableau. L’instant d’après par contre, on entre dans le vif du sujet, et je me pose à ses côtés, attendant patiemment le verdict. Qu’est-ce que Marius foutait bien ici? Qu’est-ce que ça voulait dire pour les Warren, et obvi, pour Moïra? Tommy expose ce que je pense tout bas, et mon souffle un brin alarmé me trahit. « Y’a quoi que ce soit qui te fait penser ça, déjà? » je garde mon calme, en viens aux faits. « Il a dit un truc, il a fait un truc, n’importe quoi dans ce sens-là? » on s’en fait sûrement pour rien, non? C’est probablement juste une frousse conne, et la semaine prochaine il sera dans un avion direction le Styx, n’est-ce pas?
Il y avait deux poids deux mesures dans sa surprise à découvrir Matt sur le pas de sa porte : qu’il débarque à l’improviste était une petite surprise mais sans être totalement incongrue néanmoins. Qu’il débarque en donnant l’impression de savoir précisément dans quels draps Tommy se retrouvait empêtrés et y amène son pack de bières comme un paquet de pansements relevait en revanche de l’illumination, dont le brun avait trouvé l’origine et l’explication lorsque son ami avait prononcé le prénom en M. Celui qui lui aurait presque arraché un frisson de superstition, mauvais présage en chef comme l’était la présence de son aîné sur le continent à ses yeux. « Je fais pas dans la demi-mesure pour les affaires de famille. » que s’était alors justifié le McGrath sur sa présence et la raison qui se cachait derrière « Me dit pas que t’es ému, Warren. » Et probablement qu’il l’était un peu, en réalité, mais saisissant au vol la perche de l’humour tendue par Matt le Warren s’en était tenu à un sourire narquois en refermant la porte derrière eux, se targuant d’un « Dis pas de conneries et sers-moi une bière, McGrath. » qu’il avait voulu léger malgré le poids qui alourdissait ses épaules. Les deux bouteilles décapsulées la seconde suivante s’entrechoquant dans une rapide volonté de trinquer, Tommy n’avait malgré tout pas été en mesure de garder plus longtemps son masque de nonchalance, et se laissant tomber sur un côté du canapé il avait observé le vide face à lui pendant quelques secondes avant de s’autoriser une gorgée et l’aveu de sa crainte majeure du moment. La crainte que son frère fasse des siennes, la peur viscérale qu’on tente de le priver de sa fille quand l’élever seul relevait déjà du numéro d’équilibrisme quotidien. Mais un numéro dans lequel il ne chutait plus ou presque, où il commençait à prendre ses marques, avant que le retour de Marius ne vienne tout chambouler. « Y’a quoi que ce soit qui te fait penser ça, déjà ? Il a dit un truc, il a fait un truc, n’importe quoi dans ce sens-là ? » Comme il l’avait déjà fait à de nombreuses reprises, l’esprit de Tommy s’était rejoué à la vitesse de l’éclair la scène dans le salon de Beth, Marius et lui se regardant en chien de faïence, l’un montrant les crocs et l’autre suivant pour se mettre à niveau, les réflexions volant d’un bout à l’autre du face à face, incisives, et les menaces voilées de l’aîné pour s’assurer d’obtenir ce qu’il désirait. « Il a dit qu’il comptait bien faire de nouveau partie de sa vie, que ça me plaise ou non. » Parce que Marius était comme ça : il ne demandait pas, il exigeait, conforté par un entourage qui lui avait toujours accordé ce qu’il désirait presque sans broncher. « Que ça me plaise ou non, ça sonne comme une menace ou je ne m’y connais pas. » avait de son côté répété Tommy, entre amertume et angoisse face à un combat qui lui paraissait hautement inégal. Qu’il soit le père de Moïra lui semblait soudainement bien peu de choses face à l’intelligence de Marius, face à ses diplômes, son métier, et sans doute un salaire à faire pâlir le banquier du cadet Warren. « S’il engage un avocat ou un truc du genre, je suis foutu. » Murmurée plus qu’autre chose, cette dernière réflexion lui avait arraché un soupir las tandis qu’il sifflait un bon tiers de sa bière sans prendre la peine de respirer entre chaque gorgée. « Tu sais j’ai pas … J’ai pas trop assuré, à une période. Pas juste avec Moïra, mais principalement avec elle. » Semblant soudainement peser ses mots, le brun avait fait tourner un instant sa bouteille de bière entre ses doigts avant d’oser glisser un regard de biais vers Matt, conscient du pavé dans la mare que pouvait constituer l’aveu en filigrane de son passé judiciaire. « Quand je me suis retrouvé tout seul avec elle j’étais vraiment paumé, je savais pas comment j’allais m’en sortir … J’ai pas pris les bonnes décisions à l’époque, et j’ai fini par le payer cher. » Pas si cher que ça, diraient certains, mais deux ans et demi à l’échelle d’une enfant de l’âge de Moïra c’était une éternité, et cette absence à certains moments cruciaux de l’évolution de sa fille Tommy avait l’impression de ne pas encore avoir terminé de la colmater. « Pourtant j’essaye vraiment d’être réglo maintenant, je ferai jamais rien qui n’aille pas dans le sens de ses intérêts. Mais si mon frère se dégote un requin du droit de la famille pour récupérer Moïra et s’en servir comme trophée je pourrai strictement rien faire, j’aurai jamais gain de cause … » Marius avait l’argument de la sécurité matérielle pour lui, à ajouter au passé judiciaire de Tommy et à la tache indélébile que cela apportait à son parcours. Il passait pour respectable et respecté, il présentait bien, et son cadet aurait beau pointer du doigt ses intentions biaisées et ses motivations discutables, jamais l’on accorderait à Tommy le quart du crédit que l’on accordait à son frère.
L’endroit est libre, la voie est opée, Moïra n’est pas dans les parages et on peut s’adonner à se vider le coeur sans censurer les jurons qui risquent facilement de remonter à travers les phrases qui seront lancées envers ce grand frère que je connais pas, que je veux pas connaître. Lui qui semble s’en prendre à Tommy sans raison valable à mes yeux, lui dont mon pote parle toujours avec la ride du lion qui cerne son front, lui qui prend maintenant ses aises à Brisbane avec une trame sonore en notes bien graves, façon orgue désaccordé. « Faire partie. Et étonnamment, on dirait que je le feel pas faire partie comme l’emmener au centre commercial un dimanche par mois, ou l’aider avec ses devoirs en arts plastiques. » et si je tique sur les mots de mon ami, c’est non seulement sa bière que j’ouvre et lui tends, mais la mienne qui en perd une longue, une importante rasade. J’aimais pas le voir comme ça, parce qu’il était un mec bien, parce qu’il était un type avec des valeurs aux bonnes places. Je l’avais vu grandir, merde j’avais grandi avec lui, et y’avait pas un jour où j’avais douté qu’il soit là pour moi, qu’il vaille à mieux, qu’il ait à coeur que malgré toutes mes conneries et les siennes additionnées, on puisse survivre à une autre journée. Et là, il était défait, dégommé, démoli. Ça passait pas, et même si Tommy faisait un boulot impeccable pour cacher le plus gros de son mal-être, fallait pas être idiot pour reconnaître dans ses expressions et sa manière de parler énormément de ce que j’avais moi-même transposé à son bar y’a quelques mois à peine. « Tu restes quand même son père quoi, qu’il prenne ses menaces et qu’il aille donner de ses p’tits zigotos à la clinique s’il veut se tâter à développer son instinct paternel. » une fois le plaidoyer terminé, y’a tout de même cette question qui remonte. Parce que peu importe ce qu’il a bien pu faire, peu importe comment il apporte le truc et la panique que je peux lire entre les lignes sur les potentielles raisons qui feraient de lui un mauvais père sur papier, sur l’époque qu’il garde dans l’ombre sans que je gratte parce que pas mes affaires, et surtout parce que je peux comprendre ça, de merder grave à un moment ou un autre. Il sombre, et pas que vocalement. « Légalement, il a quelque chose contre toi? Et t’as quoi contre lui? » puis, viennent les points un peu plus logiques, les termes, la pause, l’instant réflexion concrète. Et si y’avait des papiers, des termes, des lois, du vrai danger dans tout ça?
Je laisse à Tommy le temps de boire un peu, de se calmer, de se poser, avant de renchérir d’une nouvelle batterie de questions qui ne se veulent pas intrusives, mais juste suffisamment constantes pour pouvoir me faire une image claire de ce avec quoi on devra se battre, si bagarre y’a. Et non, même si j’en rêve, ça impliquera pas mon poing sur la gueule d’Ezra pour une fois - encore heureux. « Mais Moïra manque de rien depuis que tout est rentré dans l’ordre, non? » et parce que j’aime pas le voir paniquer quand à mon sens, il est dans ses droits. Marius peut bien reprendre ses gros sabots si c’est ainsi qu’il veut le jouer, je poursuis, pensif, la tête qui dodeline et les réflexions qui remontent. « T’as un boulot, un toit, tu as peut-être pas bien géré avant, mais t’as pas l’air d’être dans le mal maintenant non plus. » j’énumère, ce que Tommy se reproche mais ce que je vois surtout d’un oeil extérieur, et ce qui à mon sens pèse trop gros pour que la garde de sa petite soit le moindrement en danger. D’ailleurs. « Et elle en pense quoi elle, de tout ça? » parce que peu importe ce qui arrive, Moïra reste le personnage principal de cette histoire tordue, et que de l’exiler d’un foyer dans lequel elle est bien me semble dérisoire et inutile et horrible aussi, soyons francs. « Tu crois pas qu’ils vont arracher une gamine heureuse et à l’aise avec son père biologique parce qu’un dude arrive de nulle part pour brandir son pedigree de bourgeois? » incapable de le concevoir, j’additionne le tout d’une nouvelle gorgée de bière, la conclusion au bord des lèvres. « Si c’est que le fric qui te manque pour te payer un avocat qui a du bon sens, pige dans mes réserves d'héritier j’t’en prie. » la blague qui n’en est pas une, et je serai bien plus à l’aise qu’il rafle mes coffres pour se payer un avocat décent si on en venait là, que je continue de dilapider le trucs en soirées beuverie. « La famille, c’est tout ce qui compte pour moi. J’peux pas te laisser penser une seule seconde que ce serait légitime que tu perdes la tienne. »
C’était ce qui pêchait dans le comportement de Marius vis-à-vis de Moïra. C’était cette manière de courir après une légitimité qui n’était pas la sienne, de croire que son rôle à lui se situait bien au-dessus de celui auquel pouvaient prétendre Beth ou Scarlett, et de penser que d’avoir rendu service à un moment où Tommy s’était retrouvé totalement acculé lui donnait le droit d’outrepasser la place qui était la sienne. Marius exigeait du temps avec sa nièce comme il avait toujours exigé tout et n’importe quoi tout au long de sa vie : parce qu’il pensait sa volonté plus légitime que celle d’autrui. Et que sa fille se retrouve ainsi prise au milieu des exigences de son aîné rendait Tommy plus en colère que jamais, colère exacerbée par l’impression qu’il avait d’être totalement impuissant face à la situation. « Tu restes quand même son père quoi, qu’il prenne ses menaces et qu’il aille donner de ses p’tits zigotos à la clinique s’il veut se tâter à développer son instinct paternel. » qu’avait de son côté opposé Matt lorsque le Warren lui avait exposé la situation, Tommy y adressant un sourire teinté d’amertume parce que l’un des nœuds du problème se situait probablement là. Marius voyait en Moïra l’enfant qu’il aurait pu avoir avec Alice, et par conséquent lui-même devenait l’intrus dans le tableau illusoire que son frère aurait voulu être sa vie. Et ça, l’aîné continuerait de le faire payer à son cadet éternellement. « Légalement, il a quelque chose contre toi ? Et t’as quoi contre lui ? » La main qui passait sur sa nuque avec lassitude, Tommy avait secoué la tête d’un air dépité. « Pas grand-chose. Quand j’étais au Canada il a coupé tout contact entre Moïra et moi, et quand je suis revenu ici ça a été une vraie galère pour la récupérer, mais … c’est moi qui lui avais confié, à la base, alors je suppose que ça invaliderait toute tentative d’utiliser cet argument contre lui. » Qui accepterait de l’écouter, de toute manière ? Il aurait dû prendre des mesures – juridiques – dès l’instant où son frère avait commencé à faire des histoires pour lui rendre Moïra ; Il n’avait pas osé pour ne pas jeter de l’huile sur le feu d’une situation familiale déjà compliquée. Il avait espéré ne pas faire de vagues, et en fin de compte c’était encore qui lui en faisait les frais désormais. Marquant une pause nécessaire, le brun s’était autorisé une longue rasade de bière destinée à lui rafraichir l’esprit autant que le gosier. Il avait conscience que son angoisse se basait sur presque rien, que jusqu’à preuve du contraire Marius ne s’était rendu coupable que de menaces en l’air qui n’iraient peut-être jamais plus loin que l’envie d’avoir le dernier mot d’un énième affrontement fraternel. Mais se le répéter ne suffisait pas à s’en persuader, et dans un coin de sa tête la petite voix des pensées sombres et des mauvaises nouvelles continuait de susurrer « Il vous a séparés une fois, pourquoi il ne recommencerait pas ? » laissant à ses craintes encore de beaux jours devant eux. « Mais Moïra manque de rien depuis que tout est rentré dans l’ordre, non ? T’as un boulot, un toit, tu as peut-être pas bien géré avant, mais t’as pas l’air d’être dans le mal maintenant non plus. » Sans doute. Les choses n’étaient pas parfaites, les fins de mois souvent compliquées, mais le père et la fille semblaient avoir trouvé une certaine routine dans leur vie à deux et s’en sortaient de manière somme toute honorable … Mais quelle valeur tout cela avait-il, aux yeux du reste des Warren ? Aux yeux de Marius, que la mention de cet équilibre à peine retrouvé n’avait fait que méprisamment grincer des dents ? « Et elle en pense quoi elle, de tout ça ? » A nouveau il avait haussé les épaules, avant de se laisser retomber contre le dossier du canapé, la bière tiédissant entre ses doigts. « Ça la contrarie. Elle ne le dit pas clairement, mais c’est difficile de ne pas le voir. Elle évite le sujet, je pense qu’elle a peur de me faire de la peine en admettant qu’elle est contente de revoir son oncle. » Et la vérité ? Cela lui en faisait sans doute un peu, malgré tout. « Mais je compte pas lui interdire totalement de voir Marius, ça me réjouit pas, mais je … C’est juste que je peux pas lui faire confiance. J’ai pas la maîtrise de ce qu’il pourrait lui dire quand je ne suis pas là, et elle n’a pas encore l’âge pour faire la part des choses. » Alors les choses étaient telles qu’il l’avait décidé en attendant : Marius ne verrait Moïra qu’en présence de leur sœur aînée, en qui Tommy avait confiance. Une confiance qu’il avait fait la bêtise de confier à Marius quelques années plus tôt et dont il se mordait aujourd’hui encore férocement les doigts. « Tu crois pas qu’ils vont arracher une gamine heureuse et à l’aise avec son père biologique parce qu’un dude arrive de nulle part pour brandir son pedigree de bourgeois ? » avait alors repris Matt avant de proposer « Si c’est que le fric qui te manque pour te payer un avocat qui a du bon sens, pige dans mes réserves d'héritier j’t’en prie. » Malgré le sourire reconnaissant que lui avait arraché la proposition, Tommy avait secoué la tête à la négative et persuadé son ami d’insister d’un « La famille, c’est tout ce qui compte pour moi. J’peux pas te laisser penser une seule seconde que ce serait légitime que tu perdes la tienne. » sincère. Repliant de moitié l’une de ses jambes pour s’installer de biais sur le canapé, le brun avait terminé ce qu’il restait de sa bière avant de décliner « C’est gentil, mais je ne préfère pas. Ça ne serait qu’une preuve de plus à lui offrir que je ne suis pas capable de me débrouiller seul pour faire ce qu’il faut concernant Moïra. » Et c’était bien la dernière chose dont Tommy avait besoin, actuellement. Ne voulant malgré tout pas paraître injustement ingrat, il avait ajouté presque aussitôt « Mais merci de proposer, vraiment. C’est cool de savoir qu’on a un pote sur qui compter. » mais de ce ton un peu maladroit de type qui ne savait pas vraiment comment faire un compliment sans avoir l’air diablement ridicule. Réalisant en tout cas qu’il monopolisait la conversation depuis l’arrivée de Matt avec ses inquiétudes, le barman avait secoué la tête comme pour chasser la discussion, la remplaçant presque aussitôt par une autre en questionnant à son tour « Bref, assez parlé de moi et de mon adorable frère aîné. Comment ça se passe, toi ? » Ne sachant pas si Matt verrait directement quel sens donner à sa question, il avait précisé « Avec ta soeur, Lene … tout ça. » Ce n’était pas la grande forme, la dernière fois qu’ils s’étaient parlés. Et Tommy ne saurait dire si cette fois-ci Matt avait simplement appris à prendre sur lui pour cacher son désarroi à ce sujet depuis, ou bien si les choses s’étaient arrangées avec l’une ou l’autre des deux jeunes femmes. Ou au moins tassées, à défaut d’arrangées. Et c’est cet instant précis qu’avait choisi Microbe et ses allures de chat de gouttière pour refaire une apparition, sautant avec agilité pour venir s’installer sur l’accoudoir du côté de Matt, observant l’invité avec curiosité. « Toujours aussi respectueux de l’espace vital d’autrui. Microbe, Matt – Matt, Microbe. » Et voilà les présentations faites.
Évidemment que Moïra vient sur le sujet, elle qui est au centre de toutes les réflexions. Si Noah m’avait bien appris quelque chose, c’était qu’une fois qu’un enfant était impliqué, tout le reste devenait superflu. Bien sûr, nos histoires de famille n’ont rien à voir avec celles des Warren, mais j’accuse un peu, je sais un brin commun il doit se sentir, j’imagine du moins. On tente de prendre les bonnes décisions, on aspire à ce que le gamin ou la gamine s’en sorte indemne, toujours. Ginny l’avait eu pour philosophie des années durant et pour toute sa vie je présume, Tommy devait être y figurer au même titre. « Elle a le droit d’être heureuse, je pense pas que tu vas dire le contraire toi non plus. Faut juste pas qu’elle pense qu’il y a un méchant dans l’histoire, c’est là où ça bloque... parce qu’il y en a bien un. » si le brun tente de rester politically correct depuis que je suis arrivé en panique, moi, je me gêne pas pour mettre des mots sur la bête, pour décrire le grand frère intrusif, celui qui prend trop de place et qui croit que tout lui est dû. Oh wait - y’a cette mauvaise impression qui remonte, ce goût amer dans ma bouche, celui qu’à une époque, j’étais de ce genre moi aussi, que je l’ai trop longtemps et trop mal été. Eh merde. Changeant lâchement de sujet, ou du moins, pointant des alternatives, les questions reviennent rapidement et sont nécessaires. « Tu peux pas demander à Beth de faire l’intermédiaire? Ou même Scarlett? Par pure précaution, dirons-nous. » j’imagine bien qu’il a déjà tenté, qu’il en est déjà là. C’est l’idéal à mon sens d’impliquer l’une de ses soeurs dans l’équation, de s’assurer qu’elles fassent le pont, qu’elles modèrent si besoin, ayant elles aussi les intérêts de la fillette Warren à coeur. Marius verrait bien que si toute la famille se ligue vers Tommy et soutient qu’il a de quoi assurer l’éducation et l’enfance et la vie de Moïra comme le père qu’il est, le reste est sans importance. « Si je peux pas aider avec du fric, j’aiderai pour autre chose. J’peux pas te voir te mettre les mains tout seul là-dedans sans rien faire. Laisse-moi aider Tommy. Peu importe ce dont tu as besoin. » je doutais pas une seule seconde que jamais Tommy ne prendrait mon aide, qu’il userait plutôt - intelligemment - de cette situation pour se prouver sa valeur à lui-même. Je sais bien, d’ailleurs, que mes propositions autant monétaires que présentielles seront niées, refusées, remerciées. Mais ce serait bien mal me connaître de croire que j’en suis à ma première et seule tentative d’apporter soutien et aide. Il savait à quel point les McGrath étaient tenaces, comment lorsqu’on avait une idée en tête, on lâchait jamais l’affaire. Voilà qui ne fera qu’un exemple parmi tant d’autres.
Oh qu’il est rusé Tommy, quand il axe la conversation sur mes propres histoires, mes propres drames. Un long soupir qui suit, je me cale contre les coussins du canapé, boit ce qui reste de bière dans ma bouteille avant de lâcher un « Ça… se passe. » au moins aussi peu convaincu que je ne le suis moi-même. « Je veux dire, les choses avancent je pense. » et comme s’il était totalement en désaccord avec ce que j’avance, et comme s’il savait que je calmais le jeu juste pour ne pas me faire trop de mal encore et toujours à ressasser, y’a Microbe qui saute à mes côtés, me fait sursauter, les présentations officielles toutes griffes sorties. « Hey buddy! » je gratte entre ses oreilles non sans y aller en douceur, le voyant qui se braque, à quelques secondes de cracher son mécontentement que j’ai envahi son espace vital trop vite. Parlant d’espace vital envahi. « J’ai revu Lene quelques fois, rien de bien glorieux mais je suis toujours en vie pour le raconter, alors j’imagine que c’est bon signe. » elle, je lui avais promis de me tenir loin. Et pourtant, les amis communs et les hasards hasardeux finissaient toujours par nous foutre de force dans les mêmes pièces. À voir combien de temps j’aurais un sursis jusqu’au prochain moment où mon chemin croisait le sien, et où je me retrouvais à nouveau confronté à comment j’ai pu être stupide à l’époque et aujourd’hui avec elle. « Et avec Gin, bah, j’ai été con et je suis allé à son vernissage. » multipliant les bourdes, les dernières semaines n’ont nettement pas été très glorieuses pour mon cas. Pourtant, voulant de même rattraper le mauvais coup en soulignant le conseil que Tommy m’avait lui-même donné in times of need, je renchéris, confiant, parce que j’ai pas le choix, parce qu’il le faut. « Mais je suis pas rentré dans la galerie au final, j’ai pas pu lui faire ça, c’était trop risqué. » que je cogne Ezra à nouveau, je me retiens de préciser. L’envie était toujours là malgré le temps passé et la distance mise, habitude innée dirons-nous. « Si jamais tu trouves un médiateur pour mettre entre Marius, Moïra et toi je le prendrai après, j’ai quelques situations conflictuelles à régler avant la fin de l’année. Ou alors on pourrait peut-être se négocier un tarif de groupe? » un rire nerveux, un rire qui fait sortir la pression, puis je m’étire de tout mon long pour récupérer deux nouvelles bières. La soirée est jeune, j’ai encore une longue liste de bourdes à lui partager pour faire valoir mon honneur.
Avec le temps, Tommy avait appris à ronger son frein concernant les reproches et la rancœur qu’il nourrissait à l’égard de Marius. Il ne s’en plaignait plus à quiconque, se contentait d’emmagasiner frustration et amertume en son for intérieur, et avait appris à conjuguer avec l’opinion générale qui voulait qu’au fond, il ait bien cherché tout ce que son aîné pouvait avoir à lui reprocher. Il avait fui avec Alice, il avait eu l’indécence de tomber amoureux d’une femme sur laquelle Marius avait posé les yeux en premier, et parfois Tommy avait la sensation que les huit ans partagés avec celle qui était devenue son épouse n’étaient qu’un vague écran de fumée aux yeux de ceux qui n’y voyaient qu’une trahison d’un frère envers un autre. La volonté que semblait vouloir mettre Matt dans le fait de lui prouver qu’il était de son côté avait donc un peu tendance à le déstabiliser, et sans être vraiment certain de le mériter le barbu tentait néanmoins d’avoir l’air sûr de lui et de son bon droit tandis que le McGrath assurait « Elle a le droit d’être heureuse, je pense pas que tu vas dire le contraire toi non plus. Faut juste pas qu’elle pense qu’il y a un méchant dans l’histoire, c’est là où ça bloque ... parce qu’il y en a bien un. » avec un aplomb qu’il lui enviait. Parfois il en venait à douter, pourtant, parfois sa mère, son père et même ses sœurs parvenaient à le faire douter qu’il était dans son bon droit, qu’il n’y avait rien d’excessif à réclamer qu’on le laisse élever sa fille comme il l’entendait, et que pour avoir tenté de l’en priver Marius méritait d’être ainsi tenu à l’écart tant que Tommy n’aurait pas l’assurance qu’il ne préparait pas un mauvais coup et ne fomentait pas en secret un nouveau moyen d’utiliser Moïra comme instrument de son désir de vengeance. « Tu peux pas demander à Beth de faire l’intermédiaire ? Ou même Scarlett ? Par pure précaution, dirons-nous. » qu’avait alors questionné Matt, sans doute pétri de bonnes intentions, mais arrachant à Tommy un rire amer avant qu’il ne secoue la tête et réponde « Non, Beth pense qu’il suffirait d’une tasse de thé et d’une discussion pour que Marius et moi effacions tout. On était chez elle quand on s’est vus et … Honnêtement, si Moïra n’avait pas été dans la pièce à côté je ne sais pas comment les choses auraient fini. » Probablement pas de façon aussi civilisée, et peu importe que l’appartement de Beth n’ait pas été le lieu adéquat pour un règlement de comptes en bonne et due forme … C’était elle qui avait mis le feu aux poudres, au fond. « Et Scarlett n’a pas envie de s’en mêler, je ne compte pas l’y forcer. » Non, face à Marius il était seul, et la seule chose qu’il pouvait espérer c’était que Beth ou leurs parents parviennent à lui faire avaler que la paix familiale valait mieux que n’importe quelle tentative de sa part pour créer un nouveau drame dont Moïra serait la monnaie d’échange. Tommy n’était plus que spectateur, ni maitre de son destin ni certain de conserver l’équilibre précaire auquel il s’accrochait. « Si je peux pas aider avec du fric, j’aiderai pour autre chose. J’peux pas te voir te mettre les mains tout seul là-dedans sans rien faire. Laisse-moi aider Tommy. Peu importe ce dont tu as besoin. » À cours d’arguments, à cours de mots ou d’énergie, le brun n’avait offert à Matt qu’un sourire qu’un sourire résigné, mais non moins reconnaissant. La vérité c’est qu’il doutait que le jeune homme puisse faire quoi que ce soit, mais le simple fait qu’il propose le touchait plus qu’il n’était prêt à l’admettre, et pour ne pas risquer une nouvelle attaque sur son sentimentalisme Tommy s’en était tenu à faire trinquer une fois encore sa bouteille de bière contre celle du McGrath et à la terminer d’un trait. Comme pour sceller la promesse que s’il avait besoin de quelqu’un pour le couvrir s’il décidait de fuir le pays avec Moïra sous le bras, Matt pourrait mettre à profit sa proposition.
Pour l’heure, Tommy avait préféré changer de sujet. Et quoi de mieux alors que de basculer de ses ennuis à lui vers les soucis qui semblaient avoir trouvé Matt avec un certain sens de l’accumulation la dernière fois qu’ils avaient vraiment pris le temps de se parler. Soudainement moins enjoué à faire la conversation, son ami avait adopté la même posture que lui et s’était enfoncé un peu mieux dans le canapé comme s’il espérait y trouver des réponses. « Ça … se passe. » qu’il avait alors confié, le ton incertain. « Je veux dire, les choses avancent je pense. » Avant qu’il n’ait pu en dire plus, néanmoins, Microbe avait décidé de s’inviter à la fête et était venu se jucher sur l’accoudoir près de Matt comme pour le jauger, de cet air de jugement que Tommy trouvait à l’animal depuis le premier jour – mais auquel il avait fini par s’accommoder, contre toute attente. « Hey buddy ! » Toutes griffes dehors le chat avait calmé les ardeurs du bonhomme en lui faisant comprendre qu’il acceptait de lui céder – temporairement – un bout de son territoire, mais que pour les caresses il devrait encore réfléchir. « Fais pas attention, il a un sale caractère. » qu’avait alors commenté Tommy, plissant les yeux à l’adresse de l’animal qui sans se faire prier plus longtemps était allé s’avachir entre eux, sur le dossier du canapé. Et gare à celui qui gênerait l’une de ses pattes par inadvertance. « J’ai revu Lene quelques fois, rien de bien glorieux mais je suis toujours en vie pour le raconter, alors j’imagine que c’est bon signe. » avait en tout cas repris Matt, pour en revenir au sujet initial. « Et avec Gin, bah, j’ai été con et je suis allé à son vernissage. » L’œillade qu’avait lancé Tommy à cette confession parait d’elle-même ; Il jugeait un brin, mais s’était retenu de dire je te l’avais bien dit au nom du Bro code. La seconde suivante pourtant, l’aîné des McGrath avait ajouté « Mais je suis pas rentré dans la galerie au final, j’ai pas pu lui faire ça, c’était trop risqué. » et de fiasco évident sa situation en était donc revenue à un immobilisme subi, mais qui avait au moins le mérite de sauver les meubles. « On fait une bonne paire de poules mouillées, toi et moi. » Soupirant légèrement, le barbu avait laissé sa tête retomber contre le dossier du canapé et avait fixé un instant le plafond. « Si jamais tu trouves un médiateur pour mettre entre Marius, Moïra et toi je le prendrai après, j’ai quelques situations conflictuelles à régler avant la fin de l’année. Ou alors on pourrait peut-être se négocier un tarif de groupe ? » Au rire amer de Matt s’était mêlé celui de Tommy, tandis que le premier se levait un instant pour aller leur chercher deux nouvelles bières. L’acceptant tout en notant mentalement qu’il n’en prendrait pas de troisième, Tommy avait assuré « Celui qui aura les nerfs assez solide pour s’occuper de tes conflits et des miens sera bon pour une retraite anticipée, après ça. » Récupérant le décapsuleur après que Matt s’en soit servi, il avait ouvert sa bouteille du même geste habitué trahissant le temps qu’ils passaient derrière un comptoir, et s’était accordé une longue rasade avant de reprendre, l’air songeur « T’as jamais regretté d’être revenu ici ? Brisbane, je veux dire. » D’expatrié à expatrié, le brun se sentait légitime à poser la question, quand bien même il ne savait pas vraiment à quoi s’étaient résumées les années de Matt au Angleterre. « J’ai l’impression d’être limité, ici. » qu’il avait finalement confié, du bout des lèvres. « Y’a la famille, y’a ceux qui te connaissent depuis une éternité … C’est comme d’avoir tout le pedigree de tes erreurs et de tes conneries qui te ralenti comme un boulet à la cheville. » Du moins c’était ce qu’il ressentait, de son côté. Il allait avoir trente-cinq ans mais ici il restait Tommy le cancre, Tommy le garnement qui s’endormait à la messe du dimanche matin, Tommy qu’on comparait à ses deux aînés avec un brin de déception. Et cela lui pesait, à Tommy, de n’être que cela et le type qui avait fui le pays avec la copine de son frère – comme si c’était aussi simple.
Le félin qui décide que c’est le moment de me jauger du regard, et Tommy se gêne pas pour me mettre en garde contre l’animal qui, à l’entendre, a pas du tout de quoi laisser ma peau et mes yeux en sécurité. « C’est pas en disant ça de lui quand il est dans la pièce qu’il va se calmer. » que je pouffe, voyant l’autre boule de poils qui finit par nous semer pour plus intéressant, un bruit ailleurs dans l’appartement qui apparemment a de quoi le rendre bien curieux, plutôt rapidement. La conversation suit son cours, ses confessions restant en suspens et ses questions me menant à moi-même m’ouvrir sur ce qui se trame depuis notre dernier échange. J’aurais aimé lui dire que tout était réglé, j’aurais même aimer m’entendre l’affirmer haut et fort ; mais c’était donner trop de crédit à ma facilité d’oublier à quel point j’arrivais, jour après jour, à faire les mauvaise choix, à être merdeux en toutes occasions. « Qui l’eut cru. » un fin rire glisse sur mes lèvres lorsque Tommy mentionne à quel point on fait une belle paire de froussards pour le moins assumés. En soit, j’ai l’impression qu’on a passé toute notre vie à jouer aux adultes, aux grands frère et responsabilités à la clé. Jamais vraiment convaincus qu’on en arriverait là, encore moins avec nos conflits de famille. Pas que ça m’étonne, qu’autant du côté Warren que McGrath y’ait du drame, mais plutôt que Tommy et moi on se retrouve au centre des histoires. Les deux à tenter de rattraper les bouts, les deux à avoir toujours voulu préserver tout le monde d'abord et avant tout ; la blague.
J’essaie l’humour, j’essaie l’espoir même. Le brun souligne que pour s’attaquer à nos soucis, faut avoir les épaules solides et pas peur de sombrer à son tour. « On se cotisera pour lui offrir un séjour toutes dépenses payées au spa j’te dis. Les massages, les bains, la totale, le pauvre il va en avoir besoin après. » plein de bonnes intentions cela dit, en sachant sincèrement qu’un bain de sel et un enveloppement aux algues ne fera pas grand chose pour détoxiquer quiconque se rapprochera de nos ennuis respectifs. Inspirant, je me lève pour aller chercher de nouvelles bières alors qu’on sombre doucement dans un silence de réflexion qui augure drôlement comme un cul-de-sac. Ni Tommy ni moi ne savons par où aller. Ni lui ni moi n’a de piste, concrète, de suite logique. Et ça m’emmerde. Parce que stagner est pire encore qu’avancer. Aller dans la mauvaise direction reste quand même un mouvement, un choix, une chance de peut-être changer la donne, et pouvoir au final faire bouger les choses, casser le statu quo. Mais à force de baigner dans du surplace, y’a rien de bon qui peut arriver ; au contraire, tout se passe, et on y est même pas attitré. Quand il me demande si je regrette mon retour, je prends bien le temps de revenir me poser, avalant une longue gorgée de ma propre consommation. Regretter, hen? « Je regrette d’être parti, plutôt. » que je finis par mâcher, mes mots qui font écho aux réflexions que j’ai ressorties pendant les dernières séances de thérapie. « En partant, je pensais que justement, la famille, le pedigree des erreurs et des conneries accumulées, tout ça, ça resterait derrière. » quel con j’avais pu être, maintenant que je le constate. Parce que ce genre de trucs, ça suit, c’est traçable, ça laisse des marques. « Peu importe où t’es dans le monde, ton passé te rattrape toujours. » fataliste un brin, honnête tout du moins. « Je me demande juste comment faire la paix avec ça, comment accepter et passer à autre chose. » haussant les épaules, je finis par me caler à nouveau dans le canapé, laissant mon regard filer tout autour, attrapant celui du Warren au passage.
« J’ai confiance t’sais. Autant pour moi que pour toi. » un fin sourire se trace sur mes lèvres, maintenant que j’ai tourné le truc dans tous les sens, et qu’il me semble logique de dire que la fin n’est pas encore là, que tant qu’on veut changer les choses, tant qu’on est conscients de nos erreurs, mais dévoués à faire mieux, à foncièrement s'améliorer, vouloir tout faire pour être de meilleures personnes, tout est possible. « Y’a moyen qu’on ait assez merdé dans la vie, dans toute notre vie, qu’on ait épuisé notre stock de conneries, et que maintenant on soit prêts à avancer, pour vrai. » l’équation se fait presque toute seule dans ma tête d'idiot, l’espoir à saveur de paillettes qui fait sensiblement du bien, rassure un temps. « Tu mettrais quoi, toi, au top de ta pile de trucs à accepter pour tourner la page? » je reste curieux, me posant mentalement la même question à mon tour.
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Dernière édition par Matt McGrath le Sam 9 Mar 2019 - 4:15, édité 1 fois
Il ne l’avait pas vraiment envisagé, lorsqu’il avait quitté Brisbane. Jamais il ne s’était demandé s’il se sentirait à nouveau chez lui qu’il remettait les pieds en Australie un jour, probablement parce qu’il ne s’était pas imaginé devoir le faire. La fuite d’Alice et Tommy vers le Canada pouvait ressembler à un caprice doublé d’un coup de tête, et sans doute y’avait-il une part de vrai là-dedans, mais jamais ô grand jamais n’avaient-ils eu l’occasion de le regretter ensuite. Pour elle ce n’était qu’une expatriation de plus, une étape supplémentaire de sa vie s’écrivant loin de sa Bretagne natale sans qu’elle n’ait jamais témoigné le désir de revenir à ses sources ; Pour lui c’était un aller simple vers l’inconnu, mais surtout un aller simple vers la liberté, loin des attentes et des reproches du clan Warren et loin de cette image de loser qui semblait lui coller à la peau. Tommy était chez lui là où était Alice, et plus qu’une tournure de phrase romantique c’était une réalité qui l’empêchait aujourd’hui de se sentir chez lui dans cette Australie qui l’avait pourtant vu naître et grimper vers l’âge adulte. « Je regrette d’être parti, plutôt. » avait de son côté admis Matt, faisant mentir l’illusion qu’ils auraient pu avoir ce point-ci en commun en supplément d’autres plus évidents. « En partant, je pensais que justement, la famille, le pedigree des erreurs et des conneries accumulées, tout ça, ça resterait derrière. – mais, il y avait forcément un mais – Peu importe où t’es dans le monde, ton passé te rattrape toujours. Je me demande juste comment faire la paix avec ça, comment accepter et passer à autre chose. » Accepter et passer à autre chose. Comme si cela ne tenait qu’à eux au fond, comme si rien n’était là à se dresser en travers de leur route pour les empêcher d’aller vers l’avant plutôt que de sans cesse regarder vers l’arrière. « Ça a presque l’air facile, à t’écouter. » Y allant d’un sourire résigné, Tommy ne s’était pas senti d’humeur à jouer les troubles fêtes et à donner un coup de pied dans les espoirs visiblement sincères de Matt ; Et ce dernier sonnait en effet comme quelqu’un pour qui le plus dur était passé. L’ombre menaçante de Marius qui planait au-dessus de sa tête empêchait en revanche le barman d’envisager les choses avec le même recul, et il lui semblait en réalité que les ennuis ne faisaient que commencer et que son aîné ne manquerait aucune occasion, aucune excuse pour utiliser ses erreurs passées pour le traîner dans la boue au présent. Peut-être parce qu’il voyait la dubitation dans l’expression de son ami, Matt avait repris « J’ai confiance t’sais. Autant pour moi que pour toi. » avec l’air de celui qui croyait ce qu’il avançait avec sincérité. « Y’a moyen qu’on ait assez merdé dans la vie, dans toute notre vie, qu’on ait épuisé notre stock de conneries, et que maintenant on soit prêts à avancer, pour vrai. » Et au fond de cela Tommy arrivait encore à se persuader : que les années aidant il savait aborder ses propres choix de manière plus raisonnée, et éviter les erreurs qu’il aurait autrefois commises parfois même sans le vouloir. Mais probablement – c’était même une certitude – en ferait-il d’autres, de nouvelles erreurs pour allées avec de nouvelles situations, et quelque part cela suffisait à le tétaniser et à lui faire perdre toute confiance en l’avenir. Il était loin, le temps où ses erreurs n’impactaient personne d’autre que lui-même. « Tu mettrais quoi, toi, au top de ta pile de trucs à accepter pour tourner la page ? » Le prenant un peu par surprise, la question de Matt avait laissé le barbu silencieux un instant, ses doigts se resserrant furtivement autant de sa bouteille de bière alors qu’il répondait enfin, la voix s’étouffant sur la fin « Je vais prendre un joker, sur celle-ci. » et le regard se chargeant d’une brume morose. Faudra que tu l’acceptes un jour, la mort de sa mère, que lui avait dit Beth à propos de Moïra, s’aventurant là sur un terrain glissant qu’elle avait depuis appris à éviter, la réaction virulente d’un Tommy suffisant à lui prouver qu’elle avançait là en terrain miné. Fallait accepter qu’Alice n’était plus là, accepter que Moïra n’aurait jamais aucun véritable souvenir de celle qui l’avait mise au monde, accepter qu’elle lui manquerait toujours plus à lui qu’à elle, et accepter par-dessus tout que tout cela n’était de la faute à personne, pas même de la sienne. « Et toi ? » Relevant le nez vers Matt, Tommy avait repris « Tu as l’air d’avoir déjà une petite idée sur la question. » Preuve qu’il y avait déjà réfléchi, peut-être, ou simplement qu’il était dans un flou moins intense que lui ; Un brouillard moins épais.
Il se moque le brun, il souligne qu’à m’entendre, c'est presque comme si tout ça me venait naturellement comme si c’était un discours inné, le genre de suite de mots que j’entamais le plus naturellement du monde. S’il savait. Je pouffe dans ma bière, finis ma gorgée, complète avec le ton moqueur de celui qui se complait dans sa merde depuis trop longtemps pour le réaliser vraiment. « C’est que j’ai beaucoup, beaucoup répété à force pour finir par y croire. » le sourire d’idiot qui remonte, le soupir que je retiens à travers. Parce que passer tous ces mois à tourner en tête mes erreurs, mes fails, mon gabarit de grand frère et de dude tout court, complètement nul de tous les côtés, avait suffit à me ramener à la réalité. I sucked at it. Et à force de me le dire à répétition, de m’en faire bourrer le crâne aussi, j’avais fini par le croire tout simplement. Enfin diront certains, au moins diront d’autres.
Mes neurones brûlent, mon coeur manque un battement, je tente de lui envoyer la perche le temps qu’on m’empêche d’à nouveau sombrer dans mes idées noires et mes regrets à la tonne additionnés d’une bonne couche de remords en travers de la gorge. Mais il refuse la balle, il m’offre le vent le plus majestueusement respectueux depuis longtemps et bien sûr que je lui en tiendrai pas rigueur. « T’es pas cool Tommy. » que je chahute avec une voix exagéré de gamin gâté, avant de lui renvoyer d'un coup d'oeil bourré de compréhension que c'est all good, qu'on passe à autre chose. On a tous des jardins secrets, on a tous des dark passengers, et j’avais appris avec les années à pas me mettre le nez dans les affaires de Tommy - encore heureux, paraît que je gardais ce traitement que pour mes soeurs, qu’il en restait pas assez pour lui.
Y’a un nouveau voile noir qui passe dans son regard. Je lui fais assez confiance pour savoir que si un jour il a besoin de parler, de se vider de le coeur, d’être écouté, ce sera vers moi qu’il viendra parce qu'il sait que toujours je serai là pour l'écouter. Le reste importe peu. Retour à l’envoyeur. Qu’est-ce que toi tu changerais, Matthew? « Que je peux pas tout contrôler. » c’est simple pourtant, c’est clair, c’est concret, c’est évident. C’est aussi ce à quoi je me rattache over and over depuis presque 34 ans, c’est ce qui a ponctué ma vie, la ponctue encore un peu trop à mon goût, bien moins qu’avant au moins. On fait du progrès. « Qu’il faut que j’arrête de vouloir sauver tout le monde, parce que ça me réussit absolument pas. » un léger rire qui se casse à nouveau de ma gorge à mes lèvres, l’historique complet de ma vie que j’ai repassé en boucle des tonnes de fois mentalement rien que pour identifier où ça bloque, où je bloque, où je lâche pas prise, où je commence du moins. Un pas à la fois, un effing pas à la fois. « Ça ressemble beaucoup à un truc que tu m’as dit y’a un moment ça - tu trouves pas? » et à travers tout ce qu’on a pu me conseiller de faire, reste toujours les questions de Tommy ce soir-là au bar qui résonnent dans ma tête, m’apportent une réflexion de plus, un commentaire bienveillant de quelqu’un qui sait tout ou presque de la situation, qui juge pas, qui fait que mettre les cartes à la bonne place, avec les bons mots. « Damn que je suis lent à comprendre, parfois. » l’évidence même mais au moins, I’ll get there.
Peut-être à des années lumières de réaliser qu’il venait d’appuyer sur le mauvais bouton, de voir qu’il venait de tirer sur une plaie que le temps ne parvenait pas à faire cicatriser complètement, Matt avait accueilli le refus de Tommy à se plier à son petit jeu de la vérité d’un air boudeur, le gratifiant ainsi au passage d’un « T’es pas cool Tommy. » supposé en témoigner, mais sans toutefois se risquer à creuser un peu plus en profondeur dans les méandres de son refus. Montrant les mains en signe d’innocence, le barbu n’avait de son côté pas fait état du moindre commentaire supplémentaire et préféré botter en touche en renvoyant la question à son propriétaire, certain qu’il ne se permettait de la poser que parce que lui-même avait une réponse solide à y apporter. Et en effet, ne laissant passer que la seconde réglementaire pour tenter de faire croire qu’il n’attendait pas que cela, Matt avait repris la balle de volée, le « Que je peux pas tout contrôler. » sonnant alors comme une épiphanie qu’il lui avait pourtant fallu des années avant de maitriser – ou au moins d’apprivoiser, à défaut d’avoir déjà atteint le niveau expert. « Qu’il faut que j’arrête de vouloir sauver tout le monde, parce que ça me réussit absolument pas. » avait-il alors repris de plus belle, un rire teinté de cynisme lui échappant tant le constat arrivait avec une certaine tristesse, un certain fatalisme auquel le McGrath ne semblait pas encore s’être habitué. Syndrome du bonhomme qui rêvait de jongler entre toutes les casquettes depuis toujours et de contrôler l’intégralité de ce qui passait à sa connaissance, mais qui découvrait enfin le revers de la médaille de ses illusions. « Ça ressemble beaucoup à un truc que tu m’as dit y’a un moment ça – tu trouves pas ? » Peut-être, à vrai dire Tommy serait bien incapable de réciter avec exactitude la teneur des conseils éventuels qu’il aurait prodigué à Matt – il en avait prodigué tellement, et pas toujours des bons, à force de côtoyer les piliers de bars et ce que le désespoir avait de plus commun, un verre d’alcool à la main. « Ce n’est pas parce que j’applique difficilement mes propres conseils qu’ils ne valent pas le coup, hey. » L’air faussement nonchalant, Tommy avait haussé les épaules et accueilli le soupir résigné de Matt avec amusement « Damn que je suis lent à comprendre, parfois. » S’octroyant la primeur d’une grande rasade de sa bière, le barbu avait secoué la tête et assuré « Du moment que tu apprends de tes erreurs, j’dirais que c’est pas tout perdu. » intimement persuadé que la bonne volonté était une qualité toute aussi louable que la capacité à réussir les choses du premier coup – si ce n’était plus, car l’expérience était acquise. Étirant un bras au-dessus de sa tête avec un brin de lassitude, le père de famille s’était comme senti doté d’un sixième sens lorsque la sonnette avait retenti à la seconde près où il tâchait de se défaire de son début de torpeur. La bière posée sur la table basse, il avait quitté le canapé pour aller ouvrir, la silhouette de Moïra précédent celle bien plus grande de la mère de Julie « Nous revoilà. » Remarquant la présence de Matt la jeune mère avait accordé un signe de tête poli et discret dans sa direction, Tommy questionnant « Vous avez passé une bonne soirée ? Le film était bien ? » et sa fille relevant un instant le nez de Microbe qu’elle s’occupait déjà à caresser pour s’exclamer « Trop bien ! » avec enthousiasme. « Julie et son frère attendent en bas dans la voiture, je vais vous laisser. Bonne soirée ! » Remerciant à nouveau la jeune femme d’avoir invité sa fille, Tommy l’avait suivie des yeux jusqu’à ce qu’elle atteigne l’ascenseur puis avait refermé la porte de l’appartement, alors que Moïra jaugeait Matt avec timidité après lui avoir dit bonsoir. « Allez zou, file te laver les dents et te mettre en pyjama, je te rejoins après. » que lui avait alors intimé son père, lui donnant ainsi une occasion de s’éclipser du salon et leur permettant à Matt et lui de prendre quelques instants pour terminer leurs bières respectives avant que ne sonne le glas de la soirée. Admettant sans détour « Il commence à se faire tard pour moi aussi … » le barman tenait néanmoins à ne pas laisser partir son acolyte sans le remercier d’avoir pris l’initiative de passer checker ses vieux os « Merci d’être venu. T’es un vrai pote. » Et si Tommy ne faisait plus rentrer personne dans la catégorie des « amis » depuis longtemps, persuadé qu’au bout du compte on ne pouvait compter que sur soi-même et personne d’autre, Matt possédait désormais une place de choix dans la catégorie des gens qui rendaient son quotidien moins rugueux que n’avaient pu l’être ses premiers mois de retour à Brisbane.
La conversation prend des airs de réalisation, et on a presque l’air de deux adultes à vraiment vouloir avancer, vu de l’extérieur. C’est drôle connaissant les deux personnages qu’on a été pendant des années, les gars pas totalement à l’ouest mais pas si droits que ça non plus. Et notre lot d’erreurs en commun qu’on ressasse sans vraiment en faire l’état, parce que ça sert à rien non plus de s’épancher sur le fait qu’on a raté quelques tournants, pas tous, qu’il y a de très bons trucs qui sont sortis de tout ça, qu’on a réussi pas mal beaucoup avec peu au final. On est pas tout à fait là, on a encore beaucoup à faire, mais l’important reste qu’on veut avancer, non? Et je nous mets dans le même panier, et j’y vois de l’espoir, bien con bien naïf, mais de l’espoir tout de même. Apparemment, Tommy est du même avis quand il parle d’enseignement et qu’il y voit le constructif derrière. J’hoche de la tête, ma bouteille vide entre les paumes qui tourne d’un sens, dans l’autre, les mots dans ma tête qui tournent de l’autre. « Va juste falloir qu’on travaille un peu plus fort sur notre étoffe d’excellents élèves. » ni lui ni moi n’avaient été de grands adeptes des cours, de l’école du temps. Et si on prend ça comme expérience à laquelle se référer, on risque de pas finir par réussir grand chose à travers nos belles aspirations, nos résolutions sous-entendues. Mon sourire par contre répond au sien, on est sur la même longueur d’ondes, et ça fait du bien. D’avoir quelqu’un comme lui à mes côtés, d’être aux siens. On est pas seuls, on a de la ressource, on est capables l’un et l’autre, on est pas désespérés, on est pas à bout de nos réserves. C’est juste ça que je voulais lui faire comprendre ce soir, et qu’il m’a fait comprendre à son tour.
Quand Moïra déboule dans l’entrée, j’ai pas besoin de mettre trop de temps pour comprendre que les discussions lourdes de sens de ce soir sont sagement terminées. Je m’interpose pas, suivant plutôt des yeux Microbe qui a décidé de marcher dans les pas de la gamine avec une agilité hors pair, m’amusant de voir comment elle grandit la fillette, comment elle est enthousiaste et à quel point elle prend ses aises ici. Tommy a rien à craindre, il a rien à douter que je me prends à penser, pas le moins du monde étonné de me faire la réflexion. Elle est bien, ici. Elle est bien avec lui. C’est tout ce qui compte, peu importe ce que Marius semble vouloir dire ou faire. « C’est mon signal. » le Warren annonce le plan de sa soirée, j'acquiesce sans heurts, me levant du canapé et aidant à ramasser les maigres et chastes cadavres laissés sur la table basse alors qu’il conclut le tout d’un énième sourire partagé. « Y’a pas de soucis, vraiment. » qu’il me remercie est obsolète. Entre nous, y’a pas de gratitude qui devrait naître, c’était juste normal, juste inné, juste naturel. Ce n’est que lorsque je suis dans l’embrasure de la porte, les clés de ma voiture entre les doigts, que je relance, typique grand frère en puissance. « Si t’as besoin... » et je me retiens, éclatant de rire. « … tu sais que je suis là, tu sais déjà tout ça. Je répèterai pas. » l’important, c’est qu’il sache. Et la seconde d’après, je le laisse à sa vie de famille, je pars tenter encore un petit peu de recoller la mienne.