Jamais elle n’avait eu à rayer des gens de sa vie, Nadia n’avait jamais eu à vivre le calvaire d’une explication, d’une dispute et d’un oubli. Son ex petit-ami, Elio, s’était chargé à lui seul de toute cette corvée, balayant d’un revers de la main les moments passés ensemble et leur histoire, une histoire déjà bafouée par la tromperie. C’était sa seule expérience douloureuse, et encore, il avait été facile de vite reprendre le dessus, réalisant bien vite qu’il était illogique de pleurer un individu capable de cette infamie. Nadia était quelqu’un de fidèle, loyal, ne s’abaissant jamais aux coups bas de certains et ne s’attardant pas sur les défauts des autres. Pourtant, avec Wren, la rupture avait bel et bien eu lieu, le jeune homme disparaissant peu à peu sans qu’elle ne contrôle réellement cela. La jolie jeune femme carrée contre le brun ténébreux à problèmes, ils étaient destinés à se perdre. Se perdre pour se retrouver comme cela, sans explication, dans une situation peu banale. « Oui, bien sûr, pourquoi je t’aurais envoyé ce message sinon ? On était d’accord il me semblait, je ne pensais pas que tu avais un soucis avec cet éloignement. Bref. » Piquante et incisive, Nadia ne ressemblait que très peu à elle-même. La situation etait loin d'être dramatique ou irréparable pourtant Nadia etait énervée comme si c'était le cas. Habituée à l'ordre et à la rigueur, voir son lieu de travail endommagé ne lui permettait pas de rester calme. Il etait assez rare de la voir ainsi Et la scene etait plutôt comique qu'impressionante, ce petit bout de femme plantée dans le sol les bras croisés Sur la poitrine et les sourcils froncés. Il était vrai que son attitude avec Wren était loin de ce qu’elle prônait d’habitude ouvertement, la douceur et le respect. Il avait ce regard, cette étincelle dans les yeux qui lui rappelaient l’enfant qu’il était et qui la glaçait sur place. Sentir son regard sur elle suffisait à lui donner cet air faussement assuré et hautain qui ne lui correspondait pas. Nadia tentait juste de garder la face pour se permettre de trouver réparation à ce qui avait été commis. C’était difficile tant Wren Doherty l’impressionnait. Ils ne s’étaient jamais vraiment mis d’accord, encore très jeunes à l’époque, l’attitude de Wren avait suffit à ce que Nadia lui parle de moins en moins jusqu’à le faire tomber dans l’oubli. Une pointe de culpabilité se dissimulait au fond de son être, ceci étant la pire chose qu’elle s’était probablement autorisée à faire. Tout simplement car elle avait tenté de se protéger, comme elle protégeait du mieux qu’elle pouvait son école. « Tu trouves ça drôle ? Je ne suis pas amusée quand mon lieu de travail se retrouve dégradé. Ce qui veut également dire que la personne qui a fait ça est entrée dans l'enceinte de l'école, donc on est certes face à un petit graffiti mais également à une effraction, finalement. La police n'apprécierait pas forcément, ça te fait toujours autant rire ? » L’institutrice toisait le pompier, réunissant toutes ses forces pour ne pas se dérober face à son regard et ses sourcils froncés. Il était nettement plus impressionnant qu’elle. Il prenait le tout à la rigolade et peut-être que c’était ce simple nom de famille qui révélait une Nadia méconnue, aussi agressive et tenace qu’Ariane. C’était son attitude qu’elle tentait de reproduire alors qu’elle se tenait face à cet homme visiblement amusé par la situation. Son expression ne changeait pas, Nadia campait sur ses positions, incapable de relativiser. Puis, il avait finalement trouvé les mots qui avaient fait se desserrer ses petits poings, retomber ses sourcils. « Des Doherty il ne doit pas y en avoir des tas à Brisbane. Et même, si c’était le cas, je serai prête à parier que tu es en tête de liste de ceux capables de faire ça. » Il était bas de l’accuser uniquement à cause de son passé mais c’était plus fort qu’elle. « De toute façon si c’était toi, c’est évident que tu ne me le dirais pas... » La situation à peine commencée semblait déjà bloquée et Wren n’avait pour le moment pas réussi à convaincre l’institutrice de sa bonne foi.

Ils ne s’étaient pas vus depuis un certain temps mais il y’a quelques années déjà, il était visible que Wren prendrait un chemin inquiétant, dangereux, qu’il était impossible pour Nadia de suivre. La jeune femme n’avait aucune idée de combien elle avait eu raison, de combien son ancien ami avait changé en pire jusqu’à devenir un réel délinquant, une personne qu’elle s’était jurée ne jamais fréquenter. Nadia ne savait rien de tout ça, et pourtant, son avis sur le jeune homme était déjà bien tranché. Au naturel douce et délicate, l’institutrice n’avait pas pour habitude de rejeter les autres ni de les juger, et sa gêne actuelle devant Wren se justifiait par une réelle honte de la façon dont elle l’avait traité. Peut-être aurait-il eu besoin d’une amie ou de quelqu’un vers qui se tourner pour ne pas totalement perdre pied, peut-être qu’avec quelqu’un comme Nadia, il ne serait pas devenu l’homme sombre qui se tenait actuellement devant elle. La jeune femme était loin de s’imaginer que Wren n’était qu’une bombe à retardement, menaçant d’exploser à tout moment et ce malgré les tentatives pour la désamorcer. Elle avait choisi de s’en éloigner, de se tenir à l’écart de toutes sortes d’ennuis pour ne rien avoir à gérer à côté de sa carrière et de ses objectifs dans la vie, bien trop importants pour être compromis. C’était des aspirations simples qui animaient la jeune femme, devenir institutrice, avoir une vie accomplie, une famille. Et là, devant celui qu’elle jugeait autre fois, elle réalisait que si elle exerçait maintenant le métier qu’elle avait choisi, elle restait tout de même bien loin de la vie parfaite qu’elle tentait de se construire. Wren avait pris des chemins différents, avait dévié jusqu’à un point de non-retour pour finalement se tenir là, dans cette cour, incapable de prendre au sérieux une Nadia qui devait lui paraître odieuse – une pensée qu’elle haïssait. « Le sens de cette convocation se trouve sur ce mur, Wren. J’ai tout bêtement fait le lien avec ce nom de famille. »  Elle désignait le mur, puis le bêtement résonnait en elle, devenait bien trop parlant. Wren Doherty ramenait à la surface tout ce que Nadia enfouissait, incapable de s’imaginer être une mauvaise personne pour qui que ce soit. Pourtant, elle devait admettre avoir fauté à l’époque, en s’éloignant de quelqu’un par crainte, en ne cherchant pas à aider, à relever. C’était un échec du passé dont elle n’avait jamais réalisé l’importance, trop jeune à l’époque. Et alors qu’ils se tenaient là, face à une signature qu’elle trouvait de plus en plus inoffensive, Nadia réalisait qu’elle se comportait comme quelqu’un qu’elle détesterait. Quelqu’un qui jugeait, qui agissait sans réfléchir, qui tirait des conclusions hâtives. En plus de cela, les mots vifs, pleins d’amertume du pompier la figeaient sur place, ce n’était pas des discussions auxquelles elle était préparée. « Je suis au moins d’accord avec toi sur un point, taguer une école maternelle n’a aucun intérêt. Et si tu es innocent alors qui ? Pourquoi ? »  Elle lui lançait la question comme si il détenait la réponse, toujours vigilante, toujours persuadée que le nom de famille était un élément clé de la situation. « J’ai toujours vécu à Brisbane et des Doherty, il y’en a peu. Tu as une idée ? »  Ses derniers mots le laissaient penser, l’air concerné qu’il arborait en regardant de plus près le graffiti également. La police n’avait été qu’un stratagème pour faire réaliser à Wren que ce petit délit n’était pas insignifiant pour elle, mais que son avis serait probablement partagé, un moyen de donner plus de poids à son discours un peu bancal. « J’ai peut-être réagi un peu brusquement, je te présente mes excuses. » La tempête qu’elle avait créée ne se dissiperait pas aussi facilement, et sûrement pas avec des paroles qui sonnaient comme des discours mondains, elle en était convaincue, mais elle souhaitait savoir le fin mot de l’histoire. « Il faudrait repeindre, j’imagine. C’est les vacances, ce n’est pas si dramatique. Comment on s’organise ? Tu as une idée de qui c’est, quelqu’un de ta famille ? » Sans réellement le vouloir, alors qu’elle avait tenté de calmer le jeu, Nadia reprenait ses accusations et cette fois-ci contre la famille de Wren toute entière. Maladroite, ne sachant pas comment se comporter face à lui qui semblait si sincère en clamant son innocence, Nadia était emprunte de profonds remords mais continuait son questionnement, pressée de régler la situation.

Une chose était sûre, Nadia était meilleure institutrice qu’enquêtrice, un métier qu’elle n’aurait jamais pu endosser. A en voir ses conclusions hâtives et ses suppositions sur un simple nom de famille, la jolie brune n’aurait pas fait long feu à un pareil poste. Et pourtant, tout semblait si clair dans son esprit qu’elle n’avait pas douté un instant avant de contacter Wren. Le contacter sans réaliser l’absurdité de son geste après tant d’années. Les réseaux sociaux étaient un réel fléau dont Nadia restait éloignée le plus possible, sa vie bien rangée lui interdisant de perdre inutilement du temps à fixer un écran dans l’attente d’un événement croustillant. Et pourtant, elle n’était pas différente de la génération actuelle et passait au moins une fois par jour pour checker les dernières nouvelles, sa timeline montrant maintenant de plus en plus de vidéos et autres informations totalement fausses que de publications de ses amis. Ses amis, un bien grand mot pour des profils sur Facebook, comme si les demandes d’amis sur le réseau étaient légitimes. Comme si avoir Wren dans sa liste d’amis leur permettait de garder ce lien. La preuve était là, plus rien ne les liait et le silence du jeune homme sur internet ne permettait même pas de savoir l’ombre d’un détail sur sa vie. Mystérieux et secret, Wren avait peut-être changé quant à ses habitudes de bandit mais ses traits de caractère principaux étaient toujours là. « N’importe qui aurait eu la même conclusion, surtout en te connaissant un peu. »  Nadia avait levé les yeux au ciel quand Wren avait osé lui confirmer qu’elle avait agi bêtement. La jeune femme s’autorisait à se remettre en question et se juger, mais acceptait mal la critique ou plutôt acceptait mal tout ce qui pouvait venir entacher sa vie qu’elle s’efforçait de mener sans aucun pli. Mais le constat était sans appel, son comportement était loin d’être exemplaire et Wren lui rappelait sans réellement le vouloir l’ensemble de ses failles. Portant son regard sur le pompier, Nadia se remémorait leur complicité gâchée, leur amitié abandonnée. C’était une lâche et si cette simple idée lui piquait le cœur, elle ne pouvait pas la fuir. Il se tenait là devant elle, respectable, semblant avoir combattu ses démons et l’institutrice réalisait qu’elle aurait pu avoir joué un rôle dans cette rédemption. Il n’en était cependant rien car elle avait préféré abandonner quelqu’un qui en avait besoin et elle s’en voulait. La rencontre prenait une toute autre tournure. « Je suis désolée, Wren »  Ses mots lui étaient destinés mais ne concernaient pas le vandalisme. Ils concernaient les erreurs du passé, ils concernaient la Nadia jeune et craintive qui avait préféré fuir les problèmes, comme si cela permettrait de lisser sa réputation. Il n’en était rien et peut-être ne le comprendrait-il pas, mais si elle s’excusait, c’était de l’avoir laissé tomber plus que de l’avoir appelé aujourd’hui. « Je sais pas si c’est vraiment une histoire de karma… Parce qu’il y’a plusieurs Doherty dans la fratrie, si je comprends bien ? »  Evinçant rapidement sa maladresse qui laissait sous-entendre qu’il était responsable du moindre problème de sa vie, Nadia avait enchaîné sur son inquisition concernant la famille Doherty. Il était devenu un inconnu et la simple composition de sa famille était devenue obscure. Nadia ne savait plus et reposait bêtement la question, montrant à nouveau ses faiblesses et son manque d’intérêt pour l’homme. « Ne me donne pas de nom. On va régler ça, comme au bon vieux temps. »  Ne rien envenimer et lui faciliter la tâche plutôt que de la compliquer, elle lui devait bien ça. Pour le bon vieux temps, où Wren s’accusait parfois à tort pour défendre une Nadia bien plus audacieuse à l’époque, plus encline à s’attirer des ennuis sans en faire une affaire d’état. Puis elle avait changé, se focalisant sur son objectif de devenir maîtresse d’école et, surtout, de devenir une femme posée et parfaite. Bien sûr, Nadia avait toujours eu un caractère opposé à Wren, toujours méticuleuse et soucieuse de bien paraître, mais quand ils se côtoyaient, elle agissait un peu moins comme une poupée cherchant la perfection. « Mépriser ? Wren, j’ai fui parce que j’ai eu peur de l’issue. Mais jamais je n’ai ressenti du mépris pour toi… » Un soupir avait terminé ses mots et Nadia se sentait maintenant extrêmement mal à l’aise. Peu lui importait de nettoyer le mur et de voir Wren se débattre pour trouver une solution. Elle voulait simplement faire amende honorable devant un homme qui devait de son côté réellement la mépriser.

Pour seul modèle, Nadia n’avait que ses parents, le reflet du couple amoureux et sans aucun défaut, le genre de duo qui fait pâlir les voisins. Pourtant, la petite fille qu’elle était devait être sourde aux différents arguments entre les deux, incapable de s’avouer que les Banks étaient finalement des gens comme tout le monde, avec des vices et des caractères compliquées. Les relations faisaient partie de toutes ces choses que Nadia avait pour objectif de mener à la perfection, sans aucune faille. Les différentes étapes de sa vie lui avaient appris que cela était pratiquement impossible. Sa relation amoureuse, la seule sérieuse depuis ses premiers baisers à l’école, avait été un tissu de mensonges. Réaliser qu’elle avait été trompée avait été une nouvelle assourdissante pour l’institutrice qui dans sa quête de la vie idéale n’avait jamais pensé ce scénario possible, comme si l’image qu’elle renvoyait l’immuniser contre toutes formes de trahison. Ce n’était pas le cas, et c’était sûrement sa façon d’être trop exigeante qui l’avait amenée là. C’était ce que la brune se demandait alors qu’elle se tenait face à cette statue de marbre qu’était Wren Doherty. Une erreur de jugement, voilà ce qui avait anéanti des années d’amitié. Nadia avait pensé que Wren s’enfoncerait dans la délinquance, et, surtout, elle avait pensé ne pas être compatible à la vie qui se traçait devant lui. Pourtant, c’était l’inverse, et cette perfection qu’elle cherchait aurait peut-être été plus facilement achevée en remontant quelqu’un à la surface qu’en l’abandonnant. Les cours d’écoles s’emplissaient et se désemplissaient au fil des années scolaires et Nadia ne le savait que trop bien, sous ses yeux chaque jour se dessinaient de nouvelles amitiés alors que d’autres se défaisaient pour des broutilles, pour un jouet perdu, pour une amourette ratée. La fin d’une année coïncidait parfois avec la fin d’une amitié, qui, finalement, n’était peut-être pas si sincère que ça. Mais Wren et Nadia, elle le savait au fond d’elle, étaient le genre d’amis loyaux et sincères et c’était bien Nadia qui avait tout laissé tomber à la première difficulté. « L’enfant que j’ai connu doit bien se trouver enfoui quelque part, non ? Sinon, si ce petit garçon dont j’étais l’ami avait totalement disparu, tu n’aurais tout simplement pas répondu… »  Ses mots n’avaient pour but que de la rassurer elle, sachant pertinemment que Wren avait pu changer au point de la considérer aujourd’hui comme une inconnue, comme se considèrent les enfants dont l’amitié n’est pas allée plus loin que l’école primaire. La souplesse avec laquelle Wren jonglait avec les mots ne lui laissait plus aucun doute, il n’était plus un enfant mais bien un adulte avec la tête sur les épaules. Son indifférence la blessait mais ne l’étonnait pas, l’inverse l’aurait étonnée. Sa façon d’agir montrait à Nadia combien elle avait fait erreur et c’est probablement là ce qui la blessait le plus. Et alors que la statut de marbre redevenait à ses yeux l’ami d’autrefois, c’était de bien piètres excuses qui avaient quitté les lèvres d’une Nadia consciente qu’elles ne feraient forcément que rebondir sur la carapace du pompier. « Désolée pour ça oui. Mais désolée d’avoir été la pire amie qui soit, de t’avoir abandonné alors que t’avais besoin de moi. Enfin, à l’époque… »  Il était étrange d’imaginer qu’il fut un temps où l’homme viril et de glace qui se tenait devant elle avait besoin d’elle, car, à l’instant présent, Wren semblait se suffire amplement à lui-même, ayant traversé des épreuves qu’elle ne connaîtrait probablement jamais. Ou peut-être n’avait-il pas été seule, elle n’en savait rien, et doutait de le savoir un jour. « T’es pas un déséquilibré, tes frères ou tes sœurs non plus, Wren »  En prononçant son prénom, Nadia se voulait un peu plus tendre, comme si elle maternait celui qui n’avait pas eu la chance de vivre au sein d’une famille aussi heureuse que celle de la brune. Le changement du ton de la conversation était radical, Nadia se confondant désormais en excuse, tentant de se rattraper. Elle ne savait pas ce qui l’avait mené à enrager sur sa personne pour finalement se décomposer à peine elle l’avait vu mais c’était sûrement tout son passé qui avait ressurgi à ce moment-là et une chose était sûre, la maîtresse d’école ne pouvait rester fâchée face à son vieil ami. Rester éloignée était une chose simple, rester impassible devant celui qu’on avait perdu l’était beaucoup moins. Le sourire qui s’était affiché sur son visage lorsque Wren avait précisé qu’il savait que son amie était toujours là témoignait de leur attachement mutuel, malgré tout. « J’étais en colère parce que mon lieu de travail c’est important. Puis te voir, ça me fait réaliser que finalement, je suis plus en colère contre moi-même… » Nadia était sincère mais son sourire n’était pas resté accroché à son visage alors que Wren se livrait, finalement heureux de la tournure des choses, en venant à la féliciter d’avoir réussi. Mais trahir un ami ne constituait pas une réussite selon elle et que, finalement, sa vie semblait bien moins dorée que ce qu’elle ne pensait. « Je pense que j’ai dû te détester à un moment, mais tu sais pourquoi ? Parce que je pensais pouvoir avoir une vie parfaite, que j’avais peur au final de ce que tu devenais. C’était pas du mépris c’était de la peur, Wren. J’ai pas su gérer, alors je t’ai laissée. Mais je regrette, et le pire dans tout ça c’est que je m’en rends compte seulement là, alors que je t’ai convoqué pour une stupide histoire qu’on nettoiera demain à coups d’éponge. »  Ses mots lui piquaient la gorge, rarement elle n’avait eu à avoir de discours si difficiles mais les mots lui venaient alors qu’elle réalisait combien elle avait fauté. « J’ai réussi professionnellement, mais c’est bien le seul domaine où j’ai réussi, crois moi… »  D’une simple histoire de graffiti, Wren et Nadia se retrouvaient finalement à s’expliquer, à déterrer leurs démons du passé et ce n’était pas quelque chose auquel l’institutrice s’était préparée. Pourtant, sa façon d’écrire à Wren, de le sommer de venir sur son lieu de travail ne pouvait être qu’une façon de régler un problème de vandalisme bien banal finalement. Peut-être cherchait-elle plus, peut-être avait-elle finalement besoin de ces explications et de ce face à face pour mettre fin à des années de silence. Nadia était dans une période de remise en question, se refusant désormais à juger, à croire que sa quête de perfection la plaçait à un meilleur niveau qu’une personne ayant sombré dans la spirale infernale de la drogue. Et finalement, retrouver Wren était peut-être sa façon à elle de faire repartir sa vie sur des bases non pas plus solides, mais plus plausibles et réelles.

Mener une vie sans faille n’était pas bien compliqué, il suffisait de se tenir écartée de toutes sources possibles de problèmes. Un exercice aisé pour Nadia, quelque chose qui l’était bien moins pour Wren et tout un tas d’autres personnes. Comment éviter les problèmes lorsqu’ils vous collaient à la peau, vous suivaient quoique vous fassiez ? C’était le constat qui se dessinait devant elle, il n’était pas si facile de vivre une vie paisible loin de toute trace de délinquance et les actes de certains ne les définissaient pas forcément. Non, pour Wren, la spirale infernale et la chute avaient été dues à une accumulation de plusieurs choses qui l’avaient mené au pire, l’éloignant de son amie qui avait eu la chance d’emprunter des chemins différents. Si la jeune institutrice se flagellait en face de son ancien ami, tout n’était jamais tout noir ou tout rose et il était vrai qu’elle avait parfois cherché à s’immiscer un peu plus dans la vie de Wren, à comprendre ses changements de comportement, elle lui avait tendu la main. Ses souvenirs refaisaient peu à peu surface, s’alignant les uns après les autres pour lui remémorer que, non, elle n’était pas quelqu’un de méchant. Certes, ses choix n’avaient pas forcément étaient les meilleurs au moment où son ami vivait le pire, mais malgré tout, elle n’était pas partie avant d’avoir essayé. Pas assez, mais elle avait tenté de le soutenir. Wren Doherty n’était tout simplement pas le genre de personne à recevoir de l’aide, encore moins à en demander. Il avait visiblement réussi de lui-même à surpasser tous ses soucis et se retrouver ici à se faire condamner pour un acte qu’il n’avait pas commis devait amplement suffire à son agacement. « Je te trouve courageux, fort. Tu es là à subir mes accusations, tu ne dis rien, tu restes calme. Ça prouve bien que tu es quelqu’un de bien. » Nadia acceptait toujours assez mal la critique mais ses mots semblaient ricocher sur le jeune homme comme de vulgaires gouttes d’eau incapable de l’atteindre. Et c’était tant mieux, elle aurait aimé repartir en arrière et ne pas lui asséner ces critiques qu’il ne méritait pas. Réagir sous l’énervement n’était définitivement pas son genre mais, encore une fois, l’état du mur de l’école de ses élèves l’avait rendue folle de rage. Wren soutenait son regard, une énième preuve de courage dont elle ne faisait pas preuve, tentant elle de le fuir. L’institutrice se serait probablement cachée si elle l’avait pu. Nadia regrettait ses mots et la situation mais ne regrettait aucunement d’avoir repris contact avec son ancien ami, même si cela avait été fait de la pire façon qu’il soit. Son coeur n’avait pu que souffrir un peu lorsque celui-ci avait affirmé qu’il lui aurait répondu, peu importe la raison. Si la jeune femme l’avait abandonné, il semblerait que Wren, lui, ait été assez mature pour ne conserver que le positif de leur amitié et pour lui laisser une microscopique place dans sa vie, ne pouvant accorder plus à quelqu’un qui était parti. Ses mots continuaient, sages et précis et étaient comme un tas de petites épines pour Nadia dont les yeux s’illuminaient par des larmes qu’elle aurait probablement lâchées dans d’autres circonstances. « Finalement, le fait que je m’éloigne a peut-être participé à te rendre aussi sage ! » Tentant un sourire, Nadia lançait cette phrase en affirmant que ses raisonnements étaient bien moins travaillés que ceux du fils Doherty. Un humour mal placé, qui lui servait de bouclier contre tous ces mots qui lui faisaient un effet particulier car ils lui montraient qu’elle avait tirer un trait sur quelqu’un qui en valait vraiment la peine, malgré tous ses soucis. Nadia n’osait pas imaginer ce qu’il avait vécu, son changement d’attitude, son air sombre et meurtri qui avait marqué un peu plus son visage au fil des jours d’école puis ses absences des réseaux sociaux, des détails qui n’avaient laissé aucun doute, il filait vers le bas. D’où l’éloignement de la jeune femme, qu’elle avait jugé nécéssaire.  « Je suis d’accord avec toi sur beaucoup de choses mais je ne peux pas te laisser dire que j’ai eu raison. Mais en effet, c’est du passé, et tu t’en es sorti. Il faut dire que je n’ai pas la prétention d’être indispensable à quelqu’un pour qu’il s’en sorte, surtout pas quelqu’un comme toi. T’as toujours été fort. » Son regard maintenait plus facilement celui de Wren maintenant qu’il avait dit tout haut ne pas lui en vouloir. Il était fort, et avait même réussi à devenir pompier, une réussite bien plus éclatante et honorable que celle de la jeune femme. « En dehors du boulot ? Pas grand chose, justement. Des amis, un appartement, mais à part ça, le vide complet. » Se confier à un vieil ami n’avait rien d’étrange, se confier à un ami qu’on venait d’accuser et mettre plus bas que terre alors qu’on venait de le retrouver après l’avoir abandonné au pire moment l’était en revanche.

La vie était faite de tout un tas de petits imprévus que la jeune Nadia Banks avait bien du mal à gérer. Une vie carrée, bien rangée ou à peu près tout était chronométré et millimétré et où l’improvisation n’avait pas sa place. Depuis quelques années, elle s’efforçait de rompre la monotonie et d’apprécier les sorties de dernière minute, les rencontres ou les week-end à ne rien faire d’autre que décompresser. Tout ça grâce à sa meilleure amie qui ne lui laissait plus l’occasion de devenir une vieille fille avant l’heure. Pourtant, rien ne s’apparentait avec le moment présent puisqu’elle n’aurait jamais imaginé quelques jours plus tôt se retrouver dans sa cour d’école à discuter avec Wren Doherty. Elle jouait à domicile mais n’était pourtant pas la favorite pour gagner le match. Il parlait d’une possible malédiction, comme s’il révélait qu’il restait toujours le gamin torturé qu’il avait été auparavant. Comme si les démons des Doherty n’étaient jamais bien loin, une affirmation encore plus renforcée par la signature qui ornait le mur. Nadia avait un instant détourner son attention de la conversation, soudainement inquiète à l’idée que des passants puissent voir l’école dans cet état. Et si un parent d’élève passait par là ? Et si il révélait au grand jour que Miss Banks était en pleine discussion avec le vandale ? Le chaos qu’était le cerveau de Nadia devenait ingérable et si son tête à tête avec Wren pouvait l’aider à remettre ses idées en ordre, peut-être que le graffiti n’était finalement pas si dramatique. « Je ne peux pas faire d’affirmation sur ton caractère. On est devenus des inconnus, j’imagine que les réseaux sociaux sont pas vraiment le reflet de qui on est réellement, sinon avec toutes les photos où je suis taguée on pourrait penser que je suis une fêtarde invétérée. » Et pourtant, loin d’elle l’idée de s’afficher et prendre le risque de perdre sa crédibilité auprès de ses élèves - ou plutôt de leurs parents, l’institutrice étant encore convaincu qu’on utilisait pas encore Facebook à six ans. Mais toutes les soirées, le même scénario se reproduisait, on la traînait dans des soirées où elle n’avait pas forcément envie d’être et on lançait le flash dès qu’elle esquissait un sourire pour lui prouver que, oui, il était possible même pour elle de prendre plaisir en menant une vie moins contrôlée. Le ton devenait de plus en plus doux et c’était vers Wren que Nadia esquissait maintenant des sourires, ne pouvant résister aux fossettes du garçon qui trahissait ce qu’il était réellement : quelqu’un de foncièrement bon. « Si seulement… Parfois, je me dis que j’aurais aimé être capable de lâcher prise et de réellement m’amuser. Faire n’importe quoi. J’en étais vraiment capable à l’époque ? » Un soupir discret avait suivi sa phrase. Wren n’était-il que simplement ironique où sa phrase contenait-elle une part de vérité ? Etait-il possible pour Nadia d’être prête à se lâcher ? Plus la conversation avançait, plus elle se sentait comme un robot, effectuant sa routine comme si on l’avait programmé. « L’invitation est tentante, mais ne serais-tu pas en train de me manipuler pour que je détourne mon attention de ça ? » avait-elle plaisanté en désignant la fameuse signature. Une simple plaisanterie puisqu’apparemment, Wren prendrait à sa charge les réparations des dégâts. Inutile, donc, de rester ici. « On pourrait éventuellement, oui. On pourrait par contre faire ça ailleurs que sur mon lieu de travail et que sur le lieu du crime, j’imagine ? » Parce qu’elle voulait oublier l’humiliation qu’elle avait infligé à Wren et à elle-même, et parce que la proposition de son ancien ami lui paraissait presque jubilatoire. Les joues rosies par l’audace dont elle avait fait preuve en posant sa question, elle avait baissé le regard un instant avant de lancer une mine outrée à son interlocuteur, tentant même une petite frappe sur son épaule. « Hey, tu peux éviter de me lancer mes échecs en pleine figure ? Ca fait mal, tu sais ! » avait-elle plaisanté. « Allons prendre un verre, je t’invite. »