| marianna + let the lesson be mine |
| | (#)Lun 6 Aoû 2018 - 23:28 | |
| “Où est Marianna ?” je lance à la volée, à qui voudra bien tendre l'oreille et deviner le ton d'un patron en manque de patience, la tête qui émerge du bureau de la colombienne qui manque à l'appel. Le visage fermé de celui qui n’acceptera pas de silence en réponse, le téléphone collé à la poitrine pendant qu'on patiente à l'autre bout du fil ; pourtant personne ne prend la parole, on se cache derrière son boxe, son mug, ses écouteurs. Mes yeux se posent sur Ariane, comme devant une évidence. Elles sont amies après tout. Je crois. Pour ce que j'en ai à faire. Mon regard insiste, mes sourcils se froncent, ses épaules se haussent dans un mouvement purement je-m’en-foutiste tandis que ses doigts continuent de taper sur les touches de son clavier d'ordinateur. “Aucune idée. Je suis pas la baby-sitter de la baby-sitter.” qu'elle envoie, éternellement lasse de mes humeurs toutes en montées et en descentes pentues, sans repos jamais. “Très drôle.” je fusille avant de claquer la porte sèchement. Puis je reprends mon interlocuteur en ligne, résigné à devoir faire les choses moi-même, être ma propre assistante, puisque celle qui est normalement payée pour l’a décrété ainsi. J'arrache un post-it d'un bloc au sommet d'une pile d'autres carnets colorés qui trônent sur le bureau de Marianna, attrape le premier stylo qui me passe sous la main -qui ne marche pas-, et me rabat sur un feutre turquoise d'un fluo qui me fait grimacer. Une date, une heure et un lieu notés là, je colle le bout de papier sur l'écran de la jeune femme afin qu'elle rentre le rendez-vous dans mon agenda dès son retour. Si elle revient. L'hypothèse est toujours en suspend avec elle, à la fois crédible de part le sale tempérament qui la caractérise, et ridicule à cause de l'application qu'elle met dans son boulot elle n’admettra jamais apprécier autant que cela est réellement le cas. Well, sauf aujourd'hui. Elle ne se montre toujours pas et je ne compte pas bouger tant que je n'aurais pas pu lui passer un savon en bonne et dûe forme, même s'il ne s'agissait que d'un détour prolongé aux toilettes, d'une pause cigarette, d'une envie irrépressible de café -tout ce dont elle serait en droit d'avoir si cela n’avait pas été pile au mauvais moment. Il n’est rien qui me fasse plus perdre patience que de devoir gérer mon propre agenda, notamment parce que j'ai conscience d'en oublier la moitié au jour le jour, et que je déteste passer pour le dernier des idiots. Faisant les cent pas dans le petit bureau adjacent au mien, je passe le temps en appelant au poste de Joanne, au musée. Puisque j'arrache les pansements l'un à la suite de l'autre, autant s'y mettre. “Écoute, je sais que j'avais dit que j'irais chercher Daniel à la crèche mais…” Nul besoin d'aller plus loin, les justifications sont toujours les mêmes ; travail en retard ou à avancer, heures supplémentaires, réunion de dernière minute ou qui se prolonge, période de relecture, de maquettage… La jeune femme connaît la chanson, ce n’est pas la première fois que je manque à ce devoir-là -que je le fais passer après celui qui m'incombe ici - et que je l'entends souffler au bout du fil. “Oui, je sais, je suis désolé… J'irais demain. Enfin, non, pas demain, mais… dès que je peux, promis.” Je ne lui laisse pas le choix, nous le savons aussi bien l'un que l'autre. Alors la conversation prend fin sur une note légèrement amère. Tandis que je range mon téléphone dans ma poche, forcé de constater que Marianna n’est pas apparue face à moi comme par magie, je commence à me demander si je n’ai pas oublié un jour de congé, une urgence, qui l'aurait poussée à partir plus tôt. Voire même un problème de photocopieuse ou de bouilloire. Mes yeux distraits frôlent la surface de son bureau, leur attention captée par les couleurs d'une feuille de papier glissée sous d'autres dossiers. Curieux, pas préoccupé par l'idée d'être indiscret, mais toutefois délicat, je tire le document hors de la pile et le tourne à l'endroit entre mes doigts ; cela ressemble à une maquette, un projet, quelque chose qui n’a très certainement rien à voir avec GQ. Poussé par le même élan, je fouille à la recherche de la suite de cette page, le reste du dossier, caché sous mon nez. Il y a des articles, des idées, des photos, des inspirations. Un concentré d'ambition réprimée que je devine, brûlant dans l'ombre de la montagne de tâches qui rythment les journées ici. Et je me demande à quoi cela rime, de quoi il peut bien s'agir, pourquoi je ne le découvre que maintenant alors que je ne devrais plus m'étonner des secrets que nous avons l'un pour l'autre comme une règle de cette relation. Il y a son nom par endroits, en bas de feuillets aux premières lignes accrocheuses. C'est lorsque la principale concernée daigne enfin passer la porte que je me surprends confortablement assis dans sa chaise de bureau, en train d'éplucher tout ceci avec intérêt et minutie. Je sursaute comme un enfant coupable et repose les papiers sur la table, retrouvant en un éclair la moue de boss éternellement insatisfait ; “Où tu étais passée ?” je demande par réflexe, mais plus important encore, je porte le dossier que je viens de découvrir à son attention ; “Qu'est-ce que c'est que ça ?” |
| | | | (#)Mar 7 Aoû 2018 - 12:19 | |
| Ce n'est définitivement pas facile tous les jours de travailler pour Jamie mais je prends sur moi. Je n'ai pas d'autres choix de toute façon. Je n'ai qu'à prendre mon mal en patience et ruminer dans mon coin lorsque je suis trop irritée ou trop fatiguée pour entendre ses cent remarques à la minute. Je manque de lui lancer des "on est jamais mieux servi que par soi même" de temps à autre. Mais je sais que ça reviendra à mettre de l'huile sur le feu et je n'ai aucune envie de me prendre la tête avec lui ces derniers jours. Avec Gina malade, les nuits sont courtes, les journées éprouvantes et ma concentration file trois fois plus vite qu'à l'ordinaire. C'est comme ça que je me retrouve vingt minutes assise sur les toilettes à scroller un feed d'actualité que j'ai déjà lu soixante douze fois. Mais c'est si calme ici que j'y resterais bien toute la journée. Mais mon portable vibre dans ma main. Un message du stagiaire saisonnier. Ça, ça prouve bien que je suis complètement à côté de la plaque ces derniers temps. Parce que j'ai été donner mon numéro perso à un stagiaire à peine majeur. Il bossait encore sur un fichier super tard la semaine dernière et faut croire que j'ai eu pitié de lui. Pauvre chou. Bienvenue dans le monde de la presse et t'as le pire des boss. Et justement, c'est le Dragon qui me sert de boss qui me cherche partout et qui a claqué la porte de son bureau. Autant dire que je vais prendre cher quand je vais y retourner. Je lève les yeux au ciel et envoie un message à Xiomara, ma belle mère. Je vais encore avoir une longue soirée au bureau et je ne peux pas perdre une heure de mon temps pour traverser Brisbane et aller chercher ma soeur à l'autre bout de la ville. Je le fais depuis des mois mais je sais bien qu'avec le claquement de porte de Jamie, c'est une soufflante que je vais me prendre en pleine poire et j'ai pas le courage d'affronter ça plus un changement de plan d'ici quelques heures. Je regarde mon reflet dans le miroir, passe une main dans mes cheveux et quitte les toilettes que j'occupe depuis un petit bout de temps. Ils peuvent tous penser ce qu'ils veulent, ça m'importe peu. Et pendant que je suis en retard, je passe par la cuisine pour faire deux thés. Autant venir avec une offre de paix. Je le vois déjà devenir tout rouge dans le bureau parce que j'ai disparu depuis une bonne vingtaine de minutes. Je pousse la porte du bureau et je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche qu'il me demande où j'étais passée. Très envie de lui dire que j'ai la gastro et que j'ai passé vingt minutes sur les toilettes, juste pour voir sa réaction. Sauf que lorsque je le cherche à son bureau, il est au mien. Les deux tasses en mains, je serre les dents quand il me montre mon projet et me demande ce que c'est. " Ça ne se voit pas ? " Que je réponds sur un ton tout ce qu'il y a de plus arrogant au monde. Je pose les tasses sur son bureau et m'approche de lui. " Un projet personnel qui ne te concerne absolument pas Jamie " Que je souffle en me posant à côté de lui, comme pour lui faire comprendre de bouger de ma chaise. C'est surtout un projet personnel qui était enfoui sous tous les dossiers en cours de GQ. Il est donc littéralement parti à la chasse aux informations pour tomber dessus et ça me rend complètement folle. Je prends mon dossier dans les mains et croise les bras dessus. C'est un peu comme s'il venait de violer mon intimité et je déteste cela. Ça fait des mois que ce dossier traîne, remonte et finis par mourir sous des tas d'autres sujets pour GQ. Des mois et il n'a jamais rien vu. Alors j'ai baissé mes gardes. Quelle erreur. Je glisse mes yeux de lui à mon écran. " Est-ce que je peux retrouver mon post et entrer ce rendez-vous dans ton agenda ou tu restes là et je prends ta place ? " Cette place qui sera mienne un jour. Mais pas aujourd'hui. Et clairement pas ici. J'ai envie de plus, j'ai envie de mieux, j'ai envie de quelque chose qui me ressemble un peu plus. Et parler cravate, bouton de manchettes et faire venir des abonnés bidons à une remise d'awards, ça n'est pas moi. Un jour. Bientôt. J'ai besoin de plus de temps, les fonds étant déjà présents. Le temps… le plus important. Et ce qu'il me manque considérablement avec mon travail ici. |
| | | | (#)Ven 17 Aoû 2018 - 17:28 | |
| Mon sang britannique composé à quatre-vingt dix pour cent de thé chaud hésite à se saisir de la tasse fumante qui se trouve dans la main de Marianna, offrande évidente dans l'unique but de me garder en contrôle, calme. Qu'est-ce que du liquide brûlant risquant de provoquer une douleur insupportable au moindre mouvement brusque, ou simplement de l'effet relaxant d'une gorgée d’Earl Grey, est l'élément clé de ce genre de stratégie de la part de tous ceux qui jonglent avec mes humeurs quotidiennement ? La question reste ouverte, sans réponse tant que cela fonctionne. À condition que j'accepte le gage de paix, ce dont je me retiens cette fois-ci, laissant mon assistante plantée là avec les deux mugs. Son regard noir et contrarié appuie sur ma silhouette comme des braises tandis que ses mots, eux, froids et piquants, forment le contraste, le choc dont naissent toutes les tempêtes. Le passe sur le ton qu'elle emploie, parfaitement conscient que fouiller son bureau est sûrement le coup le plus bas que j'ai pu lui faire subir jusqu'à présent. “Tout ce sur quoi tu planches pendant tes heures de travail ici me regarde, je prétexte sans chercher une seule seconde à m'excuser pour l'excès de curiosité qui a mené à ces découvertes. Ce n’est pas parce que je suis souple avec toi que je ne peux pas te demander des comptes.” Je n'hésite pas une seule seconde, même, à asseoir mon rôle de cette manière lorsque je l'estime nécessaire, sans me soucier de ce que les rédacteurs pensent en bien ou en mal de la manœuvre. Si les sautes d'humeur régulières donnent l'illusion que le quotidien est plus difficile que cela n’est réellement le cas, c'est oublier leur marge de liberté d'expression sur papier, le temps d'écoute et de conseils que je consacre à chacun, et ma porte ouverte aux contretemps personnels pour en avoir moi-même fait trop souvent l'objet. Je respecte leur travail, leurs textes, leurs sujets, leurs ambitions, et j'accorde plus de chances que ce que mes deux mains sauraient compter. À côté de ça, il ne leur suffit que de composer avec un coup de sang de temps à autre qui n’est pas plus agréable pour eux que pour moi à subir. Mais je n'exige pas de qui que ce soit de comprendre la frustration d'être plus souvent le pantin de ses émotions que leur maître. À commencer par Marianna. Comme une enfant, elle m'arrache les feuillets des mains et les garde tout contre elle. Je devine dans son regard qu'elle ne pardonnera pas cette violation de son espace, cette trahison de sa confiance. Je le sais qu'après ce moment, notre relation au travail ne sera plus la même. Comme un fusible qui saute et plonge un foyer dans le noir, quelque chose s'est brisé dès lors où j'ai décidé d'enfoncer le clou, d'exiger des réponses. Et cela ne me peine pas. J’y vois une opportunité. Pour elle, de garder ce dossier au-dessus de la pile et d'y consacrer toute son énergie. Pour moi, de me dégoter une assistante un brin plus supportable. “Je ne sais pas, on dirait que c’est déjà bien engagé pour te créer ton propre fauteuil de big boss”, je renchéris, faisant référence aux papiers dans ses mains qui, une fois reliés, prennent des allures de magazine bien à elle. “Et puis, je fais déjà une partie de ton boulot.” j'ajoute en exagérant volontairement, prêt à appuyer sur tous les boutons rouges du coquepite jusqu'à trouver celui qui enclenchera la minuterie d'autodestruction. Connaissant la jeune femme et ses menaces régulières de s'en aller avec pertes et fracas, je suppose que cela ne va pas le demander un diplôme d'ingénieur. “Pourquoi tu ne m’as pas parlé de ce projet dès le départ ? Pourquoi faire ce genre de cachoteries ?” Parce que, en effet, cela ne me regardait pas et que rien ne l'obligeait à le partager avec qui que ce soit, encore moins le patron caractériel. Parce que ce même patron a pris grand soin à instaurer des limites strictes au sein de leurs rapports, les limitant au strictement professionnel. Parce qu'il ne l’avait jamais incitée à s'épancher sur ses projets d'avenir, la tête dans le guidon de ses responsabilités au jour le jour. “Tu ne me fais pas confiance ?” j'insiste, suggérant que la colombienne est en tort, que le tout est uniquement de sa propre faute. Rien, jamais rien n’a été fait pour que Marianna s'ouvre à moi et prenne le risque d'évoquer ses plans. Je ne me suis jamais laissé aller à être l'ami qui aurait pu l'encourager sur sa propre voix. Aujourd'hui, je peux seulement donner l'opportunité sous couvert d'un coup de pied aux fesses, droit hors du nid.
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| | | | (#)Ven 17 Aoû 2018 - 22:36 | |
| Je n'arrive pas à y croire. Il est là, pris la main dans le sac, comme un gamin qu'on choppe entrain de bouffer des sucreries avant le repas. Il ne bouge pas et il ose assumer que je bosse sur ce dossier pendant mes heures de travail. Bon, d'accord, ça m'arrive. Quand c'est calme au bureau, que je veux me vider la tête et qu'il n'est pas là, il se peut que je sorte ce dossier, mon dossier, de la pile pour relire mes articles et y ajouter des choses, en supprimer d'autres et même noter de nouvelles idées, pour plus tard. " Et bien les comptes sont rendus, c'est personnel " Que je répète une nouvelle fois, comme pour lui faire comprendre que je ne veux pas en dire plus et que je n'en dirais pas plus, surtout pas alors qu'il fouinait clairement dans mes dossiers. Si j'avais voulu lui en parler plus tôt, je l'aurais fait. Quelques personnes sont au courant mais pas tout le monde. Parce que tout ça, ce projet, c'est une partie de moi. Parler de ce projet, c'est me foutre à nue devant l'orateur face à moi et je n'avais aucune envie d'en parler à Jamie. Pour quoi de toute façon ? Ce n'est pas comme si je pouvais lancer un magazine et gérer mon poste ici. C'est impossible. Et je me demande s'il va comprendre que ce job, je l'ai accepté seulement pour en savoir plus sur le métier de rédacteur en chef. Se former sur le tas, de l'intérieur. Une infiltrée, en quelque sorte. Et je ne sais pas si j'ai appris du meilleur mais une chose est sure, je sais gérer des choses que je n'aurais jamais pu imaginer avant d'arriver ici. Au moins l'effet de surprise face à certaines situations sera limité si ce n'est supprimé. Je récupère mon dossier et je sais pertinemment que ce n'est pas fini, même si j'aimerais beaucoup qu'il se bouge pour que je puisse reprendre mon travail. Je n'attends qu'une seule chose : que le téléphone sonne à nouveau et qu'il se retrouve comme un con à devoir répondre. C'est mon post qui sonne en premier et je me ferai un plaisir de ne pas bouger avant que le cellulaire sur son bureau retentisse. Au jeu du con, nous sommes deux adversaires plus que coriaces. Je ne cile pas quand il parle, bien que je crève d'envie de lever les yeux au ciel et de soupirer. Gamin, gamin, gamin. Voilà ce qui me vient en tête quand je l'écoute. " L'ambition, c'est la base dans ce métier non ? " Que je finis par lancer en lui tournant le dos pour aller à son bureau. Sur les nerfs, usée, je remarque chaque petit détail auquel je n'avais jamais réellement fait attention, sauf les jours où je n'avais qu'une envie : l'étriper. Son bureau est légèrement plus haut que le mien. Et plus grand alors qu'il n'a rien dessus, ou presque. Je pose mon dossier au coin de son bureau et garde les mains dessus, tournant le visage pour voir où il veut en venir. J'ouvre les yeux et lève échapper un léger rire quand il me demande si je ne lui fais pas confiance. Où est la putain de caméra cachée du bureau ? Parce que là, j'ai l'impression d'être en plein rêve. Mon regard circule sur les pans de murs, les coins de la pièce. Rien. " C'est une blague pas vrai ? " Que je finis par souffler en posant mes fesses sur mon bureau, me rapprochant légèrement de lui. Je serai plus proche pour lui sauter à la gorge s'il me cherche trop. " Ce projet est plus vieux que ta place ici Jamie. Alors tu m'excuseras mais dès le début de ce partenariat, tu as posé les limites. Maintes et maintes fois j'ai essayé d'en savoir plus, d'aller plus loin que le strictement professionnel mais tu m'as remise à ma place à chaque fois. Demande pas aux gens que tu repousses sans cesse de s'ouvrir à toi. Parce qu'à moins de n'avoir aucun amour propre et de respect pour soi-même, ça n'arrive pas " Et question respect de soi et amour propre, je pense qu'il sait que je suis la reine. Hors de m'écraser et de m'ouvrir à quelqu'un qui n'en aura rien à faire. Après tout, c'est souvent beaucoup plus facile de juger que d'écouter. " Je parle de ce projet à qui j'en ai envie Jamie et désolée de t'avouer que t'en fais pas parti ! Tu voudrais en dire quoi ? Que c'est un rêve de gamine et que je dois me débrouiller pour avoir le dernier sac de chez Balenciaga pour un shoot parce que j'ai des contacts là bas ? Sérieusement ! " Je perds mon sang froid et sers les poings, enfonçant ma manucure du jour dans la paume de mes mains. " Ce projet, c'est moi la boss dessus, pas toi. J'ai pas à t'en parler si j'en ai pas envie bordel ! Tu me parles de tout ce que tu fais à longueur de journée et de soirée ? Je crois pas. T'es mon boss pour ce qui concerne GQ mais pour ce qui ne concerne pas GQ, t'es personne " Et c'est bien sa faute ça, d'ailleurs. J'ai fini par arrêter de tendre la main à mon grand regret. Je me lève, mal à l'aise par ma position, le cul sur le bureau. Les bras croisés au niveau de la poitrine et je le regarde, toujours assis sur mon siège. Je vais vraiment finir par penser qu'il veut être rétrogradé. " Maintenant que ton égo en a pris un coup parce que ta petite assistante a ses propres projets et désirs dans la vie, est-ce que je peux récupérer mon fauteuil ? Je sais pas si t'es au courant mais un magazine ça ne se gère pas en se tournant les pouces " Que je balance grossièrement, regrettant chaque mot sorti de ma bouche avant même qu'il ait eu le temps de réagir. Je pourrais m'excuser, dire que les mots ont dépassé ma pensée mais ce n'est pas le cas. Je ne dis rien de plus parce qu'il me l'a déjà dit une fois, on ne s'excuse pas, on se rachète par ses actes. |
| | | | (#)Sam 22 Sep 2018 - 19:35 | |
| La stratégie est discutable mais je ne doute pas une seule seconde que le résultat sera celui escompté, aussi je poursuis mes provocations comme on enfonce la pédale de l’accélérateur en sachant parfaitement qu’un mur se trouve au bout du cul de sac. Pour ce qu’il restera de la relation professionnelle entre moi et Marianna après cette discussion, autant jouer cartes sur table, aller jusqu’au bout et plus loin encore. La titiller, la secouer, la faire exploser, tandis que le parfait calcul de mes faits et gestes est tout ce qui me permet d’avoir, pour une fois, le contrôle sur mes émotions, sur la situation. C’est une supercherie au milieu de laquelle la colombienne se trouve, sans blague à la fin et sans caméra cachée ; juste un plan monté à la dernière minute, improvisé seconde après seconde, adapté selon ses réactions qui vont toutes dans mon sens, voire au-delà de ce que j’espérais. Le sang chaud latin fait son oeuvre, le fragile calme de la jeune femme ne dure pas longtemps, et bientôt le filtre qu’elle entretenait sur son langage face à moi cède sous la pression de mes accusations qui tirent sur sa patience. Assise à côté de moi, le regard noisette toujours assassin, elle se gonfle d’orgueil à vue d’oeil comme un écran de fumée derrière lequel se cacher. Cette même fierté que j’ai heurtée à plusieurs reprises, à chaque fois que je l’ai remise à sa place tandis qu’elle multipliait les efforts pour me plaire, pour accéder au Jamie planqué derrière la plaque de rédacteur en chef. “Et tu en connais un rayon en amour propre, n’est-ce pas.” je commente, ne manquant pas l’occasion d’appuyer où je suis susceptible de faire mal, bien qu’il suffise d’un coup d’oeil sur Marianna pour deviner qu’il n’est pas nécessaire d’en faire beaucoup plus pour attiser son envie de m’étrangler. Par ailleurs, la jeune femme n’y allant pas de main morte, j’essuie également quelques éraflures derrière le calme apparent. Car cette brèche ouverte me permet d’avoir un réel aperçu de la manière dont ma propre assistante me perçoit, car j’y vois mes erreurs, et tout ce que je regretterais d’avoir fait qu’il ne me sera bientôt plus possible de réparer. “Ca ne concerne peut-être pas le magasine mais c’est un projet professionnel, dis-je avec un soupir, la mine exaspérée, et si tu faisais fonctionner ton cerveau au lieu de tes jambes de bimbo l’espace d’une minute, tu saurais que j’aurais pu t’aider.” Parce que je suis celui de nous deux qui a le plus d’expérience, le plus de métier, des contacts et un nom utile. L’ambition de Marianna ne vaudra rien si elle se met à dos les mauvaises personnes, et si je décidais de lui tenir rigueur de cette conversation, les bâtons dans les roues seraient plus nombreux que ses opportunités de faire ses preuves. Et il me serait fort aisé d’oublier l’objectif principal de cette escarmouche lorsque mon assistante se met à la fois à douter de mes compétences, et à outrageusement exagérer les siennes. “Pardon ?” Je me redresse, piqué dans le nerf, les épaules crispées par la contrariété que je ravale au profit d’un visage fermé, froid. “C’est vraiment ce que tu penses ? Que c’est toi qui fait tourner la machine ?” Un an à gérer des plannings, répondre à des appels, à avoir un oeil sur les shootings, commander des billets d’avion, réserver des hôtels et faire de la relecture d’articles, la voilà qui s’imagine khalife à la place du khalife. “My dear, ton travail, c’est la partie visible de l’iceberg. Tu n’as pas la moindre idée…” La différence d’heure entre le moment où elle passe la porte de chez elle et celui où je quitte la rédaction, le téléphone qui vibre incessamment à la maison, l’énergie perdue en politique, l’attention portée sur le moindre détail allant au delà de ce qui est visible sur les pages du magazine, l’image à entretenir, la pression à tenir, tandis qu’elle se plaint de devoir faire du thé deux fois par jour. Debout devant elle, la surplombant d’une tête, mes yeux plantés dans les siens, j’esquisse un rictus dédaigneux. “Regarde-toi. Tu n’es qu’une fillette bouffie d’arrogance qui n’a jamais rien accompli.” |
| | | | (#)Ven 12 Oct 2018 - 0:14 | |
| Il aurait pu m'aider, certes, mais la question la plus importante n'est-elle pas : avais-je envie qu'il m'aide ? Et là, la réponse est claire et nette : non. Non, je n'avais pas envie qu'il m'aide, non je n'avais pas envie de lui en parler et c'est encore mon droit. Mon magasine, ma vie, ma galère. Je n'ai jamais été très fan de tendre la main mais encore moins pour ce projet. C'est comme ça, c'est mon bébé. Et si j'ai décidé de faire ce bébé toute seule, c'est pas pour pleurnicher et demander de l'aide. S'il me pense comme ça, c'est qu'il me connait bien mal. Et c'est triste, vraiment. Je pensais qu'on se connaissait mieux tous les deux mais il faut croire qu'on a pas fait attention l'un à l'autre pendant ces longs mois de travail. Ça n'a été que ça d'ailleurs, travail, travail, travail et on a oublié le plus important : le social. Parce qu'avancer en défonçant des murs, en haïssant tout le monde, c'est bien. Mais battre des cils sans écouter, c'est pitoyable. On est tous les deux à blâmer là dessus mais est-ce que c'est grave ? Non. Je sais très bien que notre relation est entachée pour de bon et c'est d'ailleurs pour cela que je charge. Je suis le taureau et il est le toréador que j'ai envie d'empaler. Surtout quand il me dit que je n'ai jamais rien accompli. " Ouuuh, attention. Monsieur est rédacteur en chef et pense être le Roi du monde. Et t'oses parler de mon arrogance " Que je lâche en levant les yeux au ciel. J'aurais bien envie de lui balancer une tasse de thé bouillant à la gueule mais je me retiens. Ci-vi-li-sée on a dit Marianna. Alors au lieu de ça, je le contourne, ouvres les tiroirs dans un bruit pas possible et en sors les deux-trois effets personnels que j'ai ici : chargeur de portable, fiches de paie et ça s'arrête là. J'enfonce le cadre photo de Gina dans mon sac à mains et attrape mon dossier perso. " Tu sais quoi ? Si je ne m'occupe que de la partie visible de l'iceberg, tu sauras très bien le faire " Je le regarde droit dans les yeux et lâche sèchement " Je démissionne " C'est dit. J'ai assez pris sur moi, j'ai assez fermé ma bouche et je n'en peux plus. Si je veux faire mon magazine, si je veux qu'il voit le jour et finisse par décoller, c'est pas en restant sur cette chaise à obéir aux mille et unes envies de Monsieur que ça va fonctionner. C'est ma fenêtre. Il est l'heure de voler. Et en quittant le bureau, je claque la porte derrière moi, histoire de faire trembler les murs une dernière fois. |
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