Let's let the dead skin of broken dreams, be shed. Begin anew the pursuit. Because those broken dreams aren't really broken. They're just unfinished business, so let's make them our business and close the deal. △
dean & heidi
On y était. Le moment tant attendu, l’instant fatidique, le point de non-retour. J’avais reculé l’échéance autant que je l’avais pu, mais ce n’était pas le genre de chose qui disparaissait si on la planquait sous le tapis. La situation n’allait pas se régler d’elle-même, j’étais dans une impasse. Respirer un grand coup et me lancer – sans trop y réfléchir – voilà tout ce qu’il me restait à faire. Faire traîner les choses n’était pas une solution viable sur le long terme et ne rendrait potentiellement la situation que plus compliquée encore. C’était pour cette raison que je me trouvais sur la plage artificielle de Brisbane en cette douce soirée d’hiver, assise sur les mêmes rochers que dix ans auparavant, à regarder mon husky courir sur la plage. Si la vision du canidé jouant dans les vagues ou terrifiant les mouettes qui s’aventuraient sur son chemin me tirait un petit sourire, j’affichais davantage un air concerné. Le regard vide, les traits tirés, les cheveux ramassés dans un chignon flou pour les empêcher de me fouetter le visage à cause du vent marin, je me mordillais la lèvre inférieure comme à chaque fois que quelque chose me contrariait. A l’instant précis, j’étais prise d’un vague à l’âme qui me bouleversait. Si Brisbane - étant ma ville natale où j’avais grandi – regorgeait de souvenirs et de lieux qui avaient marqués mon existence, cet amas de rocher sur cette plage était une réminiscence particulière que je ne m’étais pas autorisée depuis longtemps. Pourtant je n’avais rien oublié de l’instant en question – bien que l’ayant sûrement idéalisé et romancé avec le temps. Je m’imaginais sans peine, dix ans de moins, jeune étudiante tout juste entrée dans la vingtaine, amoureuse pour la première fois. Je revoyais encore Dean, beau comme un Dieu, à qui je faisais découvrir ma ville natale pour la première fois. Quand bien même je l’avais bassiné toute la journée avec mes histoires de jeunesse, secondée en grande pompe par ma mère qui ne s’était pas gênée pour exposer mes meilleurs exploits sous le regard désabusé et méfiant de mon surprotecteur de grand-frère, Dean, lui, n’avait pas eu l’air de s’ennuyer un instant. Et tous les deux assis sur ces mêmes rochers, il n’avait pas cillé une fois alors qu’il m’écoutait lui conter mes exploits en surf aux côtés de Matteo ou de Matt. Je pouvais encore me souvenir avec une précision qui me faisait froid dans le dos, comment l’air marin semblait sublimer son parfum naturel ou encore comment je m’étais sentie bien en le voyant me couver du regard comme il l’avait fait ce jour-là. A cet instant précis, je me souvenais avoir espéré que notre histoire dure encore de longues années. Et à cette pensée, un rictus ironisant avait étiré mes lèvres quand je songeais à notre relation actuelle – ou absence de. C’était le mouvement soudain de mon chien, accompagné de ses aboiements familiers qui me tirait de mes pensées, me poussant à reporter mon attention sur lui pour le voir se précipiter sans la moindre retenue autour du nouvel arrivant sur la plage, seul être humain à s’y aventurer en dehors de moi. Ayant reconnu son ancien maître – celui-là même qui m’avait offert Lago pour mon anniversaire lorsque nous étions encore ensemble – le canidé lui faisait la fête, tournant autour de lui en secouant joyeusement et énergiquement la queue, n’hésitant pas à faire fi de son éducation canine pour sauter sur Dean qui s’avançait alors vers moi. Prenant alors le temps d’observer mon ex-fiancé avancer à ma hauteur, je me rendais compte que sa silhouette et sa démarche – même de loin – m’étaient toujours familières. Et cette révélation me coupa un instant le souffle, l’angoisse se saisissant de moi et me paralysant sur ce rocher sur lequel je m’étais assisse en l’attendant. J’avais le cœur qui battait la chamade, mais cela n’avait rien à voir avec la façon dont mon palpitant s’emballait à l’époque lorsque Dean s’approchait de moi. Je savais que ce que je cherchais à fuir depuis trois ans que j’étais venue trouver refuge à Brisbane, était désormais prêt de m’exploser à la figure. Tant bien que mal, sur des bases loin d’être solides, j’avais tenté de me reconstruire une vie à Brisbane, épaulée par Ben sans qui je n’aurai jamais été capable de traverser tout ça. Mais je savais que l’arrivée de Dean en ville remettait en question de bien des manières chacun de mes efforts précédents. Pourtant contrairement à la première fois où je l’avais aperçu, où la surprise et l’angoisse avaient eu raison de moi, cette fois-ci, une part de moi, se sentait apaisée d’avoir enfin ce tête-à-tête dont nous avions tous les deux besoin. Si la probabilité que la soirée se finisse dans les cris et les larmes était loin d’être négligeable, au moins, un semblant de communication aurait été établi entre nous. Parvenant finalement à maitriser Lago et son enthousiasme communicatifs, Dean s’était approché de moi, suffisamment pour que mes yeux puissent s’attarder sur ses traits, que je reconnaissais sans peine mais qui ne me semblaient plus aussi familiers qu’à l’époque. Pourtant il n’avait pas changé tant que ça, en dehors de quelques rides légèrement plus marquées sur les coins externes de ses yeux. Mais cela ne gâchant en rien sa beauté naturelle, Dean faisant partie de cette catégorie d’hommes qui semblaient s’embellir un peu plus avec les années. Si je reconnaissais la courbe de ses yeux, que j’aurai pu redessiner l’arrête de son nez sans peine ou savoir différencier ses lèvres parmi des centaines même les yeux fermés, certaines des micro expressions qui animaient le visage qui se trouvait face à moi m’étaient inconnues. C’était comme réécouter une chanson qui avait bercé notre enfance, mais interprétée par un autre artiste. Réalisant que je devais le fixer depuis un peu trop longtemps pour que cela soit passé inaperçu et ne le mette pas mal à l’aise, je m’étais décidée à ouvrir la bouche : « Il semble toujours aussi content de t’avoir retrouvé. » notais-je en désignant d’un vague geste du menton le husky qui ne le lâchait pas d’une semelle, avec un léger sourire attendri. Laissant à Dean le loisir de s’installer sur les rochers, je laissais mon regard se perdre à l’horizon. J’étais venue caresser du bout des doigts Lago qui était venu s’asseoir à mes pieds comme à son habitude. « Merci d’être venu. » dis-je finalement pour briser le petit silence qui s’était à nouveau installé entre nous. « J’avoue avoir eu peur que tu ne le fasses pas. » Pour une fois, je m’étais assurée d’arriver en avance à un rendez-vous, moi qui avait une fâcheuse tendance à toujours être en retard. Mais j’étais bien décidée à faire les choses comme il le fallait pour une fois. « Et je l’aurai mérité, en somme. » ajoutais-je, pour dissiper tout potentiel malentendu sur mes propos. Il fallait dire que c’était moi qui, par deux fois, lui avait fait faux bond en prenant mes jambes à mon cou sans lui donner plus d’explications que ça. « J’avais peur que tu ne te souviennes pas de la plage non plus. » confessais-je finalement avant de me décider à tourner le regard dans sa direction, ramenant mes genoux contre ma poitrine. Si j’avais gardé un souvenir indélébile de la première fois où j’avais invité Dean à Brisbane pour qu’il puisse rencontrer ma famille, il n’était pas dit qu’il en avait gardé un souvenir impérissable de son côté. « Parfois, je me demande comment il est possible que les lieux changent si peu, quand les gens et mes relations évoluent si vite. » soupirais-je, la nostalgie clairement présente dans mon ton.
C’était là une situation bien difficile à croire, que celle qui allait se dérouler. Dean Maguire avait, d’une part, tant attendu ce genre de messages et, d’une autre part, avait commencé à appréhender la chose. Et cela se sentit dans tous ses faits et gestes. La journée avait été péniblement lente, à commencer par ce travail où Dean se demandait comment il n’avait pas encore été renvoyé tant tout lui passait par-dessus la jambe depuis quelque temps. Heureusement, le mois d'août touchait à sa fin. Il allait bientôt commencer une nouvelle fonction pour le cabinet Grimes & Hartman. Les coups et blessures du début de semaine ne plaidaient pas en sa cause. Les cas à traiter ce jour-là lui semblaient fades et insipides. Ce qui le réjouissait, dans ces cas-là, c’était de rejoindre l’une ou l’autre connaissance autour d’un verre dans un des bars de Fortitude Valley et oublier, encore et toujours oublier, à quel point sa vie tournait à rien. Mais là, personne ne lui ôta cette angoisse qui l’envahissait depuis des heures. Comment pouvait-on ressentir tant de sensations à la fois ? Angoisse, torture et nervosité. Le titre de sa soirée. Cette fois-ci, il était hors de question de la laisser fuir. Dean prit alors la route en direction de Streets Beach, à pieds, la mâchoire nerveusement serrée. Il aurait pu prendre un taxi pour aller droit à l’évidence. A la place, il préféra marcher jusqu’à leur point de rencontre en se disant que cela lui permettrait d’anticiper les éventuelles réactions, d’aborder dans sa tête les sujets qui fâchent et de penser à comment la situation allait tourner cette fois-ci. Alors que les rues défilaient sous ses pas, le jeune Irlandais songea à un moyen d’empêcher Heidi de s’enfuir si jamais elle venait, encore, à le faire. Sur une plage artificielle, il n’y vit pas beaucoup de solutions. A part l’enterrer dans le sable ou la serrer fortement dans ses bras pour ne plus la laisser repartir, il n’y voyait pas de solutions. En passant à côté d’un fleuriste, à quelques pas de la plage artificielle, il songea même, en tant qu’éternel romantique, à lui prendre des fleurs pendant un quart de secondes, en se rappelant aussitôt que ce n’était plus l’ordre du jour. Abruti, va. Il ne fallait pas commencer ainsi, ni se voiler la face par rapport à Heidi : qui pouvait décrocher si facilement d’une belle relation idyllique pendant huit années consécutives ? Au loin, il vit une silhouette se dessiner sur le rocher, une légère brise défaisant ses cheveux, l’allure douce et élégante. Il ne pouvait pas en être plus sûr : c’était bien Heidi à moins de quelques mètres de lui. Son cœur manqua aussitôt d’un bond. Ce n’était pas cette sensation de joyeuses retrouvailles, mais plutôt celle de tripes tordues dans tous les sens, comme une serpillère essorée après avoir vulgairement lavé le sol. C’était sans compter l’animal canin qui jouait, non loin d’elle, dans les vagues de cette plage artificielle. La charogne, elle l’avait ramené, pensa-t-il, à la fois enthousiaste et triste de revoir leur chien. Lago était l’un de ces sujets sensibles sur lesquels Dean aurait bien hurlé des heures. Même si ce chien avait été présenté comme un cadeau lors de l’anniversaire d’Heidi, c’était aussi de toute évidence son chien, pour avoir partagé tant de choses avec. Un projet commun, celui de dresser et éduquer un chien, à deux. Certains couples, pour se challenger dans leur relation, prenait parfois bêtement une plante et s’extasiait devant chaque bourgeon qui devenait un pétale. Pour Heidi et Dean, le ridicule ne les avait pas frôlés de si près dans cette petite relation presque parfaite, préférant avoir des cœurs dans les yeux face à un chien. Et quel chien ! Plaquer tous leurs projets communs à terre et partir loin de lui était déjà bien pénible, mais prendre Lago, c’était le pompon. « Il semble toujours aussi content de t’avoir retrouvé ». La voix d’Heidi s’était élevée pour la première fois depuis son arrivée et des frissons parcoururent son dos, comme le début d’une mélodie qui prenait aux tripes. De toute son énergie, Lago se frottait contre lui, essayait de lui grimper dessus plus d’une fois et eut plusieurs aboiements de contentement. Pour Dean, c’était difficile. Il était partagé à la fois entre paraître tout à fait sérieux et charmant devant Heidi et celle de soudainement se rouler par terre avec Lago et fêter leurs retrouvailles entre chien et maitre. De loin, un regard externe à la situation pouvait être très bien associer leur situation à celle de deux parents qui étaient en train de s’échanger l’enfant pour la garde alternée. Lui qui n’avait pas encore eu l’audace de contempler la belle Heidi, un coup de marteau venait de le tambouriner en plein cœur sans scrupule au moment où leurs regards se croisèrent. Mais, tout aussitôt que ses yeux se posèrent sur les siens, toutes les pensées tantôt de colère, tantôt de peine, tombèrent comme des mouches à ses pieds. Heidi, sa Heidi, était là, devant lui, plus belle que dans ses souvenirs, plus belle que lorsqu’il pensait à elle au point d’en perdre le contrôle, plus belle que toute autre australienne qui l’avait approché depuis. L’air qu’elle abordait lui paraissait si serein que cela eut pour effet d’apaiser Dean. A côté de cela, les aboiements de Lago n’étaient plus qu’un bruit lointain, bourdonnant à peine dans le creux des oreilles du jeune Irlandais. Certes, face à lui ne se trouvait plus cette étudiante remplie de joie de vivre et d’envie de s’amuser, qui lui montrait fièrement les environs comme une invitation à y vivre en sa compagnie. Il était inévitable de passer à côté d’une certaine fatigue apparente sur son visage. De son côté, les quelques blessures superficielles des jours précédents trônaient encore sur son visage, timidement. Et heureusement, parce qu’il en avait franchement honte, honte d’une fois encore avoir cherché la bagarre sans raison en fin de soirée, tout ça parce que se faire taper dessus semblait moins douloureux que sentir ses vieux démons remonter à la surface, après avoir passé chaque journée à tenter de les noyer. Un peu comme cet instant. « Salut » murmura-t-il, affaibli par le sourire d’Heidi qu’il lui rendit d’emblée. Que devait-il faire ? Lui claquer la bise, lui serrer la main ou l’embrasser sur le front comme il avait autrefois l’habitude de faire et en avait eu plus d’une fois l’envie depuis qu’il s’était approché d’elle ? Il se tenait là, à sa hauteur, ne sachant pas si c’était juste normal d’à présent avoir encore une certaine distance physique entre eux, après trois ans de séparation. Finalement, Heidi brisa le silence : « Merci d’être venu. J’avoue avoir eu peur que tu ne le fasses pas. » - « Voyons, pourquoi tu dis ça ? Jamais je n'aurais l'envie de te fuir », murmura-t-il calmement, avec un léger rire forcé. Il regretta immédiatement ce semblant de pique, sorti de nulle part. Loin de lui l’envie de la voir s’envoler en fumée une fois encore. Nerveux, il s’adressa alors à cette partie rageuse et dégoûtée de lui-même pour lui demander de rentrer dans sa niche et de ne pas continuer à lancer des piques ainsi. « Et je l’aurais mérité, en somme ». Elle n’avait pas tort. Mais il n’aurait raté l’occasion pour rien au monde. « J’avais peur que tu ne te souviennes pas de la plage non plus. Parfois, je me demande comment il est possible que les lieux changent si peu, quand les gens et les relations évoluent si vite ». Nostalgique à son tour par ses premiers jours en sa compagnie, le jeune avocat redevint quelque peu angoissé par la situation : allaient-ils faire semblant longtemps ? Là était toute la délicatesse d’Heidi, à entrer en douceur dans une piscine alors que lui préférait plonger entièrement. « Comment oublier, hein ? Comment oublier ce qui nous a un jour rendus heureux ? » lâcha-t-il tout bonnement, se décidant finalement à s’asseoir à son tour sur le rocher. Chose qu’il allait regretter sans plus tarder. A n’être qu’à quelques centimètres d’Heidi, son parfum, qu'il reconnaitrait entre mille, l’envahit et le transporta douloureusement un bond en arrière. « Si les lieux changeaient aussi vite que les relations changent, je pense qu’on ne reconnaitrait même plus cette plage, tu ne crois pas ? ». Toujours à ses côtés, il pencha la tête vers elle, ne pouvant s’empêcher d’observer chaque trait les uns après les autres, pouvant dessiner son portrait à l’aveugle : « Je suis tellement content que tu sois là. Au point que je ne vais même pas te demander ce qui t'a fait changer d'avis ». Et c'était peu dire. Repenti dans bien des matières, il ne pouvait pas être plus heureux à cet instant, posé sur un rocher avec Heidi Hellington, anciennement sa fiancée.
Dernière édition par Dean Maguire le Jeu 25 Oct - 7:36, édité 2 fois
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« Salut » Un mot banal, prononcé du bout des lèvres et voilà pourtant déjà que mon cœur chavirait. C’était avec violence qu’en entendant de nouveau sa voix, clairement, pas étouffée par la surprise de le trouver face à moi, tout un tas de réminiscences me revenaient en tête. Cette voix chaude qui avait bercé mes jours et mes nuits pendant presque dix ans. Cette voix dont j’étais irrémédiablement et irrévocablement tombée amoureuse, comme de tout le reste de sa personne avant que la magie disparaisse, que la routine ne s’installe et que tout ne soit définitivement gâché. Tentant de reprendre contenance, j’avouais alors à Dean mes craintes de ne pas le voir arriver sur la plage, pour me rejoindre. « Voyons, pourquoi tu dis ça ? Jamais je n'aurais l'envie de te fuir » Et voilà que Dean venait de lancer la première estocade. Fair enough, songeais-je en mon for intérieur. Aussi incroyable que cela puisse sembler, si la pique à peine dissimulée ne me faisait pas outre mesure plaisir à entendre, elle ne me faisait pas chavirer le cœur non plus contrairement à ce que je m’étais attendue. Peut-être après tout que je commençais enfin à grandir et à accepter les erreurs que j’avais commises par le passé, prête à faire front plutôt que de choisir de prendre la tangente comme j’en avais eu la fâcheuse habitude autrefois. Je ne tardais pas à rassurer Dean, préférant tout de suite lui faire savoir que j’avais conscience de le mériter – et à dire vrai, je m’étais préparée à bien pire – et qu’il n’avait donc pas à s’inquiéter de me voir prendre la poudre d’escampette une fois de plus. Et étrangement, quand l’angoisse m’avait rongé l’estomac toute la journée à l’idée même d’affronter de nouveau mon ex-fiancé, me trouver désormais face à Dean avait quelque chose d’apaisant. Si la tension était palpable et le malaise à son comble, poser mon regard sur ses traits me donnait l’impression de retrouver un lieu que j’avais chéri, comme retrouver un endroit où l’on se sentait chez soi, un doux souvenir d’enfance : ma Madeleine de Proust en somme. Ma langue se déliait peu à peu, mon ton pas vraiment assuré, mais l’envie derrière de renouer un minimum avec celui qui avait partagé ma vie pendant presque une décennie. « Comment oublier, hein ? Comment oublier ce qui nous a un jour rendus heureux ? » demandait-il alors en décidant finalement de s’asseoir à mes côtés. Et si je m’étais sentie plus détendue que je ne l’aurais cru de prime abord jusqu’ici, la proximité soudaine de Dean me faisait chavirer. C’était comme si mon corps était encore programmé pour réagir à sa présence, à son contact. Les effluves de son parfum – qui n’avait pas changé d’un poil depuis que je l’avais quitté – m’enivraient l’âme, me précipitant dans un trou de ver direction le passé avec une certaine violence. Momentanément déstabilisée par la présence de Dean à mes côtés, je ne parvenais pas à trouver quoi répondre à sa question – sûrement rhétorique d’ailleurs – et succédant à mon silence, ce dernier reprenait alors : « Si les lieux changeaient aussi vite que les relations changent, je pense qu’on ne reconnaitrait même plus cette plage, tu ne crois pas ? » Cette fois-ci, il n’était pas question de laisser le son des vagues et le cri des mouettes répondre à ma place. M’autorisant cependant un certain temps de réponse – qui aurait pu passer pour théâtral si toute cette situation ne me bouleversait pas autant – je finissais par tourner le regard vers celui qui se trouvait à mes côtés. Un étranger familier ou un proche inconnu, je ne parvenais pas à savoir lequel de ces oxymores correspondait le mieux. « A vrai dire, je t’aurais reconnu entre milles. » confessais-je alors. Je ne parvenais pas trop à savoir si j’avais le droit de jouer cette carte avec lui, mais après tout, il était venu chercher la vérité et elle était là, pleine et entière : je ne l’avais pas oublié, pas comme je l’avais souhaité du moins et nos entrevues en étaient la preuve tangible. Si c’était moins la responsable de cette réunion sur la plage pour discuter tout en ayant l’impression de devoir marcher sur des œufs, si c’était moi la coupable de l’explosion de notre duo, avancer, passer à autre chose, aller de l’avant n’avait pas été une chose facile. « Je suis tellement content que tu sois là. Au point que je ne vais même pas te demander ce qui t'a fait changer d'avis » A nouveau mon corps réagissait, sans même que je ne puisse anticiper ou comprendre ses réactions, et cette fois-ci c’était un frisson qui était venu lécher ma nuque, dressant mes cheveux sur son passage. Et un léger sourire en coin m’échappait alors que je le regardais. « C’est vrai que maintenant que le choc des retrouvailles est passé, je pense que j’avais besoin de ça, moi aussi. » confirmais-je. Parce que rien n’allait plus depuis que je l’avais revu, c’était comme si mon monde, qui ne tournait déjà plus vraiment rond depuis trois années, s’était mis à tourner carré. Depuis que mes yeux s’étaient posés sur lui, par le plus grand des hasards, Dean n’avait plus réussi à quitter mes pensées après ça, m’empêchant de dormir la nuit et me forçant à travailler comme une acharnée pour espérer penser à autre chose. « Je dois avouer que ça me parait moins étrange que je ne l’aurais cru. » continuais-je alors, comme pour tenter de grapiller un peu de temps avant d’attaquer le vif du sujet. Parce que je connaissais suffisamment Mister Maguire pour savoir que – à moins d’un gigantesque travail sur sa personne – ce dernier devait s'impatienter d’aborder la raison de notre entrevue. Quittant son visage du regard pour reporter mon attention sur la mer et la ligne d’horizon qui se dessinait face à nous, je prenais une longue inspiration, prête à me jeter à l’eau, figurativement parlant. « Je voulais te dire avant toute chose que je suis sincèrement désolée de la façon dont j’ai fait les choses. » Le grand plongeon, on y était. Je venais de sauter dans le grand bain. Je me sentais me tendre de nouveau, ma voix moins assurée, moins apaisée que précédemment, mes doigts jouant nerveusement avec la laisse de Lago que je tenais toujours entre mes mains. « Je crois que je m’en voudrais toute ma vie d’avoir agi de la sorte et que je n’aurais jamais les mots pour te dire à quel point, je souhaiterai pouvoir faire les choses autrement. » Pour la première fois en revanche depuis nos retrouvailles, je parvenais à parler à Dean sans me mettre à pleurer instantanément. « Et je ne m’attends pas à ce que tu me le pardonnes un jour, je voulais juste que tu saches que ça restera sûrement à vie mon plus grand regret. » Un regret que j’allais devoir emporter avec moi jusque dans ma tombe car il n’existait pas de moyen d’effacer ses erreurs passées. « Tu ne méritais vraiment pas pareil traitement, j’en suis bien consciente. » Car si les choses s’étaient gâtées lors de nos dernières années de relation, si nous nous voilions tous les deux la face, je ne l’avais pas quitté du jour au lendemain dans l’espoir de le faire souffrir. « C’était plus une réaction poussée par un certain instinct de survie étrange, qu’une action mûrement réfléchie. Je ne sais pas pourquoi, mais ce soir-là, je ne savais pas comment faire autrement. Il fallait que je prenne l’air parce que j’avais l’impression que si je restais là, j’allais m’asphyxier. » C’était étrange et particulièrement difficile de tenter de verbaliser un comportement et un état d’esprit qui n’avaient rien de rationnel à l’instant. Tache rendue encore plus ardue par la difficulté que j’éprouvais toujours à évoquer Dean encore aujourd’hui, une part de moi n’ayant sûrement jamais réussi à totalement me défaire de l’empreinte indélébile que l’irlandais avait laissée en moi. « Comment on a pu en arriver là, tu crois ? » demandais-je alors, la moue boudeuse et triste à la fois.
La douce voix d’Heidi résonnait dans sa tête comme cette vieille mélodie trop longtemps écoutée, que l’on connaissait par coeur avant même qu’elle n’ait commencé. « A vrai dire, je t’aurais reconnu entre milles. » A vrai dire, lui aussi. Mais ce bon gros canard de Dean avait déjà suffisamment perdu de dignité et d’amour propre face à Heidi pour le lui dire, au risque d’encore passer pour le bouffon de service. « C’est vrai que maintenant que le choc des retrouvailles est passé, je pense que j’avais besoin de ça, moi aussi. » - « Hm. » Quelque peu vexé de se dire que lui en avait eu besoin bien des mois avant cette rencontre, il se dit que cela ne servirait à rien de lui en vouloir pour autant. Après tout, pour s’être acharné à la joindre plusieurs fois durant ces trois dernières années, il savait de toute manière que cela n’aurait jamais fonctionné tant qu’elle n’en avait pas envie. Et il se sentait bien con d’admettre que ce n’était qu’ainsi que cela allait se passer. « Je dois avouer que ça me parait moins étrange que je ne l’aurais cru. » - « C’est sûr, les choses ont pu se calmer en trois ans. » avait-il répondu en toute simplicité. Jamais il n’aurait pu parler calmer à côté d’elle il y a deux ou trois ans d’ici. Tout bonnement parce qu’il avait été mort saoul la plupart du temps, bien trop colérique et irresponsable pour réfléchir correctement. « Je voulais te dire avant toute chose que je suis sincèrement désolée de la façon dont j’ai fait les choses. » La sensation qui parcourut Dean à cet instant-là lui parut bizarre. Heidi venait-elle réellement de présenter des excuses ? Il ne s’attendait pas à ce que cela vienne si facilement à lui. Il s’attendait à devoir attendre encore bien des minutes avant qu’elle n’en vienne aux faits. C’était comme s’il s’était attendu à ce qu’elle entre dans la piscine échelons par échelons, plutôt que de plonger entièrement dedans. « Je crois que je m’en voudrais toute ma vie d’avoir agi de la sorte et que je n’aurais jamais les mots pour te dire à quel point je souhaiterais pouvoir faire les choses autrement. Et je ne m’attends pas à ce que tu me le pardonnes un jour, je voulais juste que tu saches que ça restera sûrement à vie mon plus grand regret. » Le jeune Irlandais avait du mal à entendre ces mots-là. C’était comme si durant toutes ces dernières années, il avait prié tous les dieux pour les entendre sortir de la bouche d’Heidi. Pire même, c’était les mots rêvés qu’il avait imaginé entendre sur le chemin pour rejoindre la jeune femme sur cette plage artificielle. Pourtant, cela semblait tellement beau que cela n’en semblait pas réel. « Tu ne méritais vraiment pas pareil traitement, j’en suis bien consciente. » - « J’étais un abruti à l’époque… » commença-t-il à répondre comme s’il parlait de lui-même de quinze années plus jeune que maintenant, en pleine crise d’adolescence. Sans doute l'était-il toujours un peu. « Les torts sont partagés, tu sais. » Ses épaules se haussèrent pour retomber bêtement, dans un geste las. Si, dans le cas de Benjamin, il admettait avoir tous les torts, concernant Heidi c’était différent. Il avait été le pire des crétins et l’avait négligée sur bien des points durant les dernières semaines de leur relation. Mais Heidi était partie si vite de sa vie, sans qu’il ne se rende compte. La douleur avait été si vive que c’en avait été déstabilisant. Fort heureusement, les choses s’étaient bien calmées aujourd’hui. « C’était plus une réaction poussée par un certain instinct de survie étrange, qu’une action mûrement réfléchie. Je ne sais pas pourquoi, mais ce soir-là, je ne savais pas comment faire autrement. Il fallait que je prenne l’air parce que j’avais l’impression que si je restais là, j’allais m’asphyxier. » Le regard de Dean se perdit sur Lago qui jouait tantôt avec l’allée et venue des vagues, tantôt avec une mouche un peu trop audacieuse, voire suicidaire, qui tournait autour de lui. « Comment on a pu en arriver là, tu crois ? » Etait-ce réellement une question ? Si Heidi avait passé les trois dernières années de sa vie à construire sa vie dans l’art et la mode, Dean avait eu suffisamment de temps libre pour retourner la question dans tous les sens. Cela n’avait pas été des plus faciles, au début. Se remettre en question n’avait pas fait partie des habitudes du jeune homme jusqu’ici. Avouer ses torts non plus, pourtant, il y était parvenu… après une année au moins. Cora avait été d’une grande aide. Si la jeune femme était d’une douceur exceptionnelle, elle avait également cette poigne de fer et cette capacité à pointer du doigt les torts et trouver les bons mots pour faire mal là où l’on s’y attendait le moins. Dean savait très bien comment ils en étaient arrivés là, mais comment le dire à Heidi de la même manière qu’il le mijotait dans sa tête ? « Tu me poses sérieusement la question ? Je pense que tu as déjà une petite idée de la réponse… » Ou alors peut-être qu’elle avait été tellement bercée par ses rêves qu’elle en avait oublié le fond du problème. Ou peut-être même qu’elle ne trouvait même plus la réponse exacte et raisonnable, en comparaison à ce qu’ils avaient traversé ? Dean lâcha un léger soupir qu’il voulut discret. « Je sais que j’ai été le pire des crétins, le roi des égoïstes. Toutes ces opportunités professionnelles m’ont donné toute la confiance qu’un avocat a besoin d’avoir pour vivre cette ascension professionnelle rêvée, tu ne trouves pas ? Si j’avais su à ce moment-là que ma grosse tête allait vous coûter, Ben et toi, jamais je n’aurais fait les mêmes choix que j’ai pu faire à ce moment-là. » Il se pinça les lèvres et laissa le silence retomber. Une question lui revenait souvent en tête, c’était cette même question qu’il avait déjà posée à bien des personnes peu concernées par l’histoire. Mais jamais il n’avait entendu la réponse de la part d’Heidi. Alors, après quelques instants, il tourna à nouveau le regard vers elle. « Une réaction poussée par un certain instinct de survie hein… Pourquoi tu ne m’en as pas parlé, pendant ces dernières semaines ? Pourquoi tu as préféré partir au lieu de nous, de me, laisser une chance de ramasser ce qu’il y avait encore à sauver ? » Il fit une moue à la fois songeuse et interloquée. « C’est comme si tu avais vu un incendie ravager la maison, qu’au lieu de prévenir pour éteindre le feu et sauver les meubles, tu avais pris tes affaires pour sauver ta propre peau. »
Dernière édition par Dean Maguire le Jeu 25 Oct - 6:29, édité 1 fois
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« C’est sûr, les choses ont pu se calmer en trois ans. » Trois ans, c’était presque insensé. J’avais aujourd’hui à la fois l’impression que l’époque où Dean et moi formions un couple soudé et aimant remontait à des lustres quand j’avais également l’impression de n’avoir fait que très peu de choses de ma vie depuis notre séparation. Eternelle angoisse de l’entrée dans la trentaine, je ne pouvais m’empêcher de me dire que j’avais un train de retard sur ce qu’aurait normalement dû être ma vie à cette âge-là si les choses s’étaient déroulées comme prévues. Avec une ironie grinçante, je réalisais qu’à vingt-cinq ans j’avais été plus proche de la vision que je m’étais faite de mon avenir (mariage, maison, enfants, etc.) que je ne l’étais aujourd’hui à trente ans, avec pour seule compagnie un chien et ma colocataire. Finalement, prenant mon courage à deux mains et bien décidée à faire les choses comme il le fallait pour une fois dans ma vie, je décidais d’aborder le sujet qui nous valait cette réunion sur cette plage. C’était une promesse que je m’étais faite et que j’essayais tant bien que mal d’appliquer désormais à l’aube de mes trente ans. Fini les malentendus, les non-dits, j’étais bien décidée à faire face aux choses plutôt qu’à prendre la poudre d’escampette comme j’en avais toujours eu la fâcheuse habitude auparavant. Et il me semblait parfaitement censé d’appliquer mes nouvelles résolutions avec la personne que le méritait sûrement le plus, ayant été celui qui avait le plus souffert de mon penchant évident pour la fuite. Alors je me lançais avec plus d’aise et de sérénité que je ne m’en serais crue capable, le tout sous le regard quelques peu ébahi de Dean qui ne devait pas en croire ses oreilles. « J’étais un abruti à l’époque… » Avec un pâle sourire sur le coin des lèvres, j’avais haussé les épaules. « Un abruti dont j’étais tombée amoureuse tout de même. » le reprenais-je alors avant qu’il ne vienne compléter mes propos en ajoutant : « Les torts sont partagés, tu sais. » J’avais lentement hoché la tête. J’étais parfaitement consciente que je n’avais pas pris la fuite sans raison, que je ne m’étais pas sentie étouffée par notre relation uniquement parce que c’était moi le problème. Mais je n’étais pas sûre qu’un jour Dean ait pu mériter pareil traitement, aussi borné et aveugle eut-il pu être à l’époque. J’essayais alors de verbaliser ce que j’avais ressenti, avec difficulté et maladresse sûrement, ne pouvant m’empêcher de me demander comment une relation si parfaite au début avait pu devenir un tel boulet à nos pieds avec le temps. « Tu me poses sérieusement la question ? Je pense que tu as déjà une petite idée de la réponse… » Etait-ce parce que nous avions fait l’erreur de croire que tout serait toujours aussi simple et joli qu’à l’aube de notre relation ? Sûrement. J’étais cependant curieuse de savoir comment Dean avait perçu les choses de son côté. « Je sais que j’ai été le pire des crétins, le roi des égoïstes. Toutes ces opportunités professionnelles m’ont donné toute la confiance qu’un avocat a besoin d’avoir pour vivre cette ascension professionnelle rêvée, tu ne trouves pas ? Si j’avais su à ce moment-là que ma grosse tête allait vous coûter, Ben et toi, jamais je n’aurais fait les mêmes choix que j’ai pu faire à ce moment-là. » Si je m’étais davantage attendue à ce que Dean évoque le fait que je m’étais peu à peu complètement enfermée dans ma bulle à la suite de la disparition de mon frère, sa réponse me surprenait quelque peu. Ainsi donc quand il avait dit à Ben avoir changé et grandi, peut-être cela était-il réellement vrai. « Je ne t’ai pas vraiment aidé non plus. Après la disparition de Matteo, je me suis complètement recroquevillée sur moi-même, je ne t’ai pas vraiment laissé l’occasion de venir m’aider et je n’étais pas là pour te remettre les pieds sur terre non plus. » Et dans ce sens, j’avais été égoïste aussi, centrée sur mes problèmes sans parvenir à les partager avec celui qui vivait le quotidien à mes côtés, le tenant éloigné de la plus marquante des époques de ma vie. « Une réaction poussée par un certain instinct de survie hein… Pourquoi tu ne m’en as pas parlé, pendant ces dernières semaines ? Pourquoi tu as préféré partir au lieu de nous, de me, laisser une chance de ramasser ce qu’il y avait encore à sauver ? » Une esquisse de sourire avait fendu mes lèvres alors que je le regardais en écoutant sa question. Non pas que cette dernière m’amusait, bien au contraire, mais plus parce que j’étais persuadée qu’elle ne tardait pas à tomber sur le tapis de la conversation. C’était la question à un million de dollars, celle que je m’étais moi-même posée pendant des centaines de nuits à en perdre le sommeil. « C’est comme si tu avais vu un incendie ravager la maison, qu’au lieu de prévenir pour éteindre le feu et sauver les meubles, tu avais pris tes affaires pour sauver ta propre peau. » Avec une moue coupable, j’avais lentement hoché la tête en signe d’approbation. La comparaison de Dean était plus que juste, criante de vérité à vrai dire. « C’est une question que je me suis longtemps posée aussi et je crois que je sais enfin pourquoi j’ai agi de la sorte. J’ai été au moins aussi égoïste que toi je pense. » commençais-je alors avant de faire une petite pause pour tâcher de trouver les mots, quand ce n’était pas facile de savoir par où commencer pour raconter cette histoire. « J’ai préféré sauver ma peau, parce que j’étais persuadée que si je t’en parlais, tu n’aurais pas eu de mal à me convaincre de rester. Et à l'époque je n’étais plus sûre que les meubles vaillent encore la peine d’être sauvés à vrai dire. » reprenais-je en décidant de filer la même métaphore que lui. « J’avais techniquement presque tout ce que j’avais toujours voulu. Une relation fusionnelle qui allait conclure sur un mariage épanoui, une jolie maison avec un chien, la perspective d’avoir de beaux enfants avec l’homme de ma vie. » Je marquais une pause, ma voix se faisant tout à coup un peu plus hésitante, un peu moins assurée, un peu chancelante. « J’avais tout. Sauf une seule chose. J’ai abandonné mes ambitions de travailler pour les grands de la mode à Sydney pour vous suivre avec Ben. Et à cette époque et pendant très longtemps, j’étais persuadée que tout ce que tu avais à m’offrir à côté comblerait sans peine ce que j’avais abandonné. » Et aujourd’hui, que j’avais enfin réussi à décrocher mon rêve, je ne regrettais pas un seul instant de les avoir suivis jusqu’à Adelaide. « Mais les années sont passées, tu n’étais jamais vraiment à la maison et quand tu étais avec moi, je n’étais plus vraiment sûre de reconnaître l’Irlandais simple et charmant que j’avais rencontré. » Il fallait dire que nous nous étions rencontrés plutôt jeunes et que durant nos études et le début de nos carrières respectives, nous avions eu plus d’une occasion d’évoluer. « J’ai l’impression que ton travail avait pris une trop grande place dans notre couple. Et malgré tous mes sentiments pour toi, je n’étais pas certaine de pouvoir vivre constamment dans l’ombre de ta carrière et de vouloir n’être simplement que Madame Maguire. » C’était l’erreur que j’avais commise, abandonner mes propres rêves, abandonnes mes propres passions, au point d’en arriver où je n’avais plus grand-chose juste à moi. « Et la disparition de Matteo n’a fait qu’empirer les choses. C’était tout mon monde qui s’écroulait et t’aurais dû être celui sur qui je me reposais, mais j’arrivais pas à t’en parler. Je ne sais pas pourquoi. » Cette fois-ci, ma voix s’était brisée et malgré mes efforts pour retenir les larmes de rouler sur mes joues, quelques gouttes venaient perler aux coins de mes yeux. « Et un jour, la réalité m’a rattrapé. J’ai su qu’il fallait que je parte. Mais je savais que si je t’en parlais, je ne trouverai jamais la force de le faire. » continuais-je, en tentant tant bien que mal de garder une voix stable et sereine. « Je t’aimais tellement mais je savais que ça ne suffisait pas. Je devais partir mais je ne savais pas si j’allais réussir à vivre sans toi. Alors j’ai saisi la première occasion, je me suis dit que si je ne te disais rien, si je partais juste, tu me retiendrais moins. » D’un geste lent, je venais essuyer mes yeux, en tâchant de rester un minimum digne alors que je devais paraitre bien ridicule face à lui. « Je suis vraiment désolée, Dean. » concluais-je alors, incapable de continuer pour le moment. Je prenais alors une grande inspiration en tâchant de me calmer.
C’était alors qu’il l’avait dévisagée tout le long de son discours qu’il comprit que la discussion allait enfin arriver, enfin être sérieuse. C’était cette discussion tant attendue depuis des mois. Peut-être même était-ce celle qui allait lui permettre de passer à autre chose, d’arrêter de hurler dans la rue en pleine nuit cette rancune vieille de trois ans, d’arrêter de boire et de provoquer la bagarre juste pour recevoir des coups, d’arrêter de se comporter comme un abruti fini. « Un abruti dont j’étais tombée amoureuse tout de même. » avait-il cru entendre de la bouche d’Heidi, ce qui lui cognait le coeur de se tenir qu’elle parlait au passé. Mais s’il avait pensé, pendant un instant, que faire parler Heidi et lui faire avouer ses torts n’allaient pas être une mince affaire, il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui parle pendant deux bonnes minutes sans qu’il n’ait eu une autre réflexion à glisser entre ses mots : « Je ne t’ai pas vraiment aidé non plus. Après la disparition de Matteo, je me suis complètement recroquevillée sur moi-même, je ne t’ai pas vraiment laissé l’occasion de venir m’aider et je n’étais pas là pour te remettre les pieds sur terre non plus. » C’était, hélas, vrai. Si Dean avait beau retourné la situation dans tous les sens et se creuser les méninges pour se rappeler bien des choses qu’il n’aurait peut-être pas pu voir à ce moment-là, l’absence de signaux d’alarme d’Heidi se manifestait à chaque fois. Comment n’avait-elle pas pu lui dire, tout simplement ? Dean n’était pas assez attentif, voire paranoïaque, pour imaginer ce qui n’allait pas chez sa fiancée à l’époque. Sans doute était-il trop occupé par son travail… Et d’un autre côté, cela l’atteignait de se dire qu’elle n’avait même pas tenté de l’informer. Elle avait joué ses cartes solo et lui avait rongé le sol. « C’est une question que je me suis longtemps posée aussi et je crois que je sais enfin, pourquoi j’ai agi de la sorte. J’ai été au moins aussi égoïste que toi je pense. » - « Deux égoïstes ensemble, quelle idée… » avait-il tenté de répondre sur le ton de l’humour, comme pour détendre l’atmosphère ou, plutôt, pour tenter de paraitre moins nerveux à l’idée de ressasser tous ces souvenirs qui allaient et revenaient à la surface au même rythme que les vagues glacées en cette fin du mois d'août en face d’eux. La réalité était tout autre : si Dean tentait de rester calme, une part de lui, grandissante à vue d’œil, se mettrait énervée, en colère. Il restait bien trop courtois que pour l’interrompre et lui dire ce qu’il en pensait réellement. Parce que chaque mot prononcé par Heidi ressemblait à un coup de poignard. La douleur, cette douleur tant ressentie toutes ces fois où il était down de penser à elle, était vive. « J’ai préféré sauver ma peau, parce que j’étais persuadée que si je t’en parlais, tu n’aurais pas eu de mal à me convaincre de rester. Et à l’époque je n’étais plus sûre que les meubles vaillent encore la peine d’être sauvés à vrai dire. J’avais techniquement presque tout ce que j’avais toujours voulu. Une relation fusionnelle qui allait conclure sur un mariage épanoui, une jolie maison avec un chien, la perspective d’avoir de beaux enfants avec l’homme de ma vie. J’avais tout. Sauf une seule chose. J’ai abandonné mes ambitions de travailler pour les grands de la mode à Sydney pour vous suivre avec Ben. Et à cette époque et pendant très longtemps, j’étais persuadée que tout ce que tu avais à m’offrir à côté comblerait sans peine ce que j’avais abandonné. Mais les années sont passées, tu n’étais jamais vraiment à la maison et quand tu étais avec moi, je n’étais plus vraiment sûre de reconnaitre l’Irlandais simple et charmant que j’avais rencontré. J’ai l’impression que ton travail avait pris une trop grande place dans notre couple. Et malgré tous mes sentiments pour toi, je n’étais pas certaine de pouvoir vivre constamment dans l’ombre de ta carrière et de vouloir n’être simplement que Madame Maguire. » Il eut un petit rictus mauvais, sans doute une fois de plus nerveux, à l’entende de ce surnom qu’elle se donnait. Cela sonnait comme la femme au foyer dans une sitcom, une farce. Cela sonnait faux à l’heure actuelle. Dean était bien loin d’avoir sa Madame Maguire et loin d’en vouloir une. Toute cette naïveté et cet enthousiasme d’avoir de beaux projets et d’avancer dans la vie, tout avait été piétiné sans pitié le jour où elle avait refermé la porte de leur maison. « Et la disparition de Matteo n’a fait qu’empirer les choses. C’était tout mon monde qui s’écroulait et t’aurais dû être celui sur qui je me reposais, mais j’arrivais pas à t’en parler. Je ne sais pas pourquoi. Et un jour, la réalité m’a rattrapée. J’ai su qu’il fallait que je parte. Mais je savais que si je t’en parlais, je ne trouverai jamais la force de le faire. » Dean avait longuement fixé les vagues aller et venir sur cette plage artificielle. Cela lui donnait l’impression d’être protégé de cette sensibilité qui le guettait à entendre Heidi flancher sous le poids de la révélation. Il était prêt à parier qu’elle était sur le point de sangloter ou, du moins, que ses yeux étaient déjà embués de larmes. Ce fut pourquoi il s’efforça de ne pas tourner la tête pour la regarder, sans doute parce que ça lui ferait trop mal et lui donnerait juste l’envie de la prendre dans ses bras et de se coucher à plat ventre pour ne plus voir la moindre tristesse sur son visage. Parce que voir Heidi pleurer était, finalement, la preuve d’un échec de plus dans cette bataille pour gagner son coeur et le garder. « Je t’aimais tellement mais je savais que ça ne suffisait pas. Je devais partir mais je ne savais pas si j’allais réussir à vivre sans toi. Alors j’ai saisi la première occasion, je me suis dit que si je ne te disais rien, si je partais juste, tu me retiendrais moins. » C’est fou à quel point il avait du mal à garder son attention sur le bruit et le mouvement des vagues, alors que c’était sans doute le moment le plus sincère qu’il n’ait jamais eu droit avec Heidi depuis des années. Ses dents grincèrent à l’entende des dernières paroles d’Heidi : « Je suis vraiment désolée, Dean. » Le silence tomba ensuite entre eux comme un poids sur les épaules du jeune Irlandais, pendant bien des minutes. A l’intérieur, la voix d’Heidi résonnait encore dans sa tête, ses révélations aussi. Sa tête tambourinait, son cœur battait à une vitesse frôlant la crise. Et même s’il avait juste envie de lui promettre monts et merveilles et rêver de cet avenir qu’il avait tant voulu avec elle, il s’était finalement dit que son passé était en train de se refermer mot par mot, seconde par seconde. Cela le chamboulait plus qu’autre chose d’être face à Heidi, cela réveillait en lui un bordel d’émotions qu’il ne savait même plus dire si la tristesse ou la colère allait gagner et prendre le dessus. Et puis… « Mais… » commençait-il, d’un ton rancunier et abasourdi, se demandant à un moment si c’était riposter allait être une bonne idée ou pas. « Comment t’as pu imaginer un seul instant que je ne t’aurais pas aidée à surmonter la mort de Matteo ? Comment tu as pu croire que j’allais agir comme un salaud fini alors qu’on pensait que ton frère était mort et que tu avais besoin de moi ? J’ai toujours été là pour toi dans les moments importants, les meilleurs comme les pires. C’est pas le principe du mariage ? Être là dans tous ces moments-là ? Ce n’est pas non plus un principe qui repose sur la communication ?! J’aurais pu comprendre que tout ça t’amochait le moral et que tu avais besoin d’aide. Sans doute que j’aurais accepté que tu t’en prennes à moi, que tu m’en mettes plein la gueule à ce moment-là, que tu me détestes, que tu m’en veuilles même de sa mort à la limite ! Mais tu ne m’as rien dit et c’est pire ! Tu ne m’as même pas laissé la moindre chance de te prouver que pour la cinquantième édition, j’étais avant tout un pauvre abruti tout bonnement fou amoureux de toi et prêt à tout plaquer pour tout te donner ! Et que ce soit la mort de ton frère ou encore ce travail à la con qui me donnait encore plus l’impression d’être une tête-à-claque, mais avec un costume, j’étais avant tout là pour toi, pour nous ! » Une petite part de lui était en train de lui suggérer de reprendre son souffle, de respirer un coup. Mais c’était comme si tout s’était accumulé pendant trois ans et ne demandait qu’à sortir dans un vomi de paroles. Trois ans à la boucler, à ne pas avoir pu se défendre face à cette décision qui était loin d’être la sienne, encore plus loin de l’arranger. « Parce que bordel, si j’avais su que ce travail guidait gentiment mon couple droit dans le mur, j’y aurais changé la donne ! Parce que oui, il me semble que dans l’ordre de mes priorités, sauver son couple passait avant la carrière professionnelle. Parce que j’étais amoureux, parce que je pensais que tu étais cette personne qui valait la peine qu’on jette tout pour la garder elle ! Alors tu me connaissais mal de penser que j’aurais choisi ce travail avant toi ! Tu me connaissais mal de penser que je ferai ce que toi tu as exactement fait avec nous, Heidi ! Tu nous as jetés pour ta carrière, tes rêves ! Les tiens ! » La voix rouillée par le ton haussé, les dents à présent serrées par la nervosité qui avait pris le dessus, Dean avait fini par détourner le regard et par s’arrêter net dans son élan. Il ne s’était même pas rendu compte qu’entre-temps il s’était levé et avait ait quelques pas en rond devant elle. Comment avait-il pu tenir trois années à tout garder pour lui ? Comment avait-il pu croire que le temps finirait par calmer les choses ? Ces deux dernières minutes avaient été l’opposé du calme dont il avait fait preuve depuis son arrivée sur la plage. Et si le post-il dans sa tête lui rappelait toutes les trente secondes de ne pas s’énerver pour ne pas faire fuir Heidi, il ne pouvait pas s’empêcher pour autant de lui révéler tout ce qu’il avait en lui, enfermé à double tours, pendant tout ce temps, jusqu'à cette veille du premier septembre. Après s’être pris la tête entre les mains pendant un long moment, il finit par relâcher les épaules et par tenter de se reconcentrer sur le bruit et le mouvement des vagues pour ne pas avoir à affronter à nouveau le regard d’Heidi après ce qu’il venait de lui dire.
Let's let the dead skin of broken dreams, be shed. Begin anew the pursuit. Because those broken dreams aren't really broken. They're just unfinished business, so let's make them our business and close the deal. △
dean & heidi
C’était le point de non-retour, le moment de vérité, l’instant décisif après des années de non-dits et d’absence de communication entre nous. J’avais vidé mon sac d’une traite, me surprenant moi-même. Depuis que j’avais quitté Dean, j’avais toujours savamment esquivé le sujet avec tous mes proches. Ça avait été chose aisé avec Ben puisque nous avions décidé d’un commun d’accord silencieux et implicite de placer un tabou sur le sujet Dean, ne l’évoquant que lorsque nous y étions contraints. Ça avait bien-sûr été une autre paire de manche avec ma mère qui s’était toujours montrée particulièrement intrusive dans ma vie. Et même si sa curiosité à l’égard de mon ex fiancé était légitime, compte tenu du fait qu’elle avait eu pleinement le temps de s’y attacher et de nous imaginer couler de paisibles jours heureux ensemble pour le reste de notre vie, elle n’avait eu le droit qu’à une version expéditive des faits, entrecoupés de grognements et de tentatives de diversions de ma part. Quant à mes amis, je m’étais contentée de leur faire comprendre que ce n’était pas un sujet qu’il fallait aborder s’ils souhaitent me côtoyer de bonne humeur. Aussi, j’étais étonnée de voir que tous ces sentiments qui me perturbaient tant et que je ne parvenais pas à m’expliquer moi-même, parvenaient à sortir de ma bouche avec un semblant d’aisance. Aisance qui ne tardait pas à se dissiper à mesure que ma voix se brisait et que j’avouais la triste réalité, les larmes ne tardant pas à perle aux coins de mes yeux malgré mes tentatives pour les en empêcher. Et à la fin de ma longue tirade, ce fut un silence de mort que je recevais pour seule réponse, seulement interrompue par le bruit des vagues qui venaient s’écraser sur la plage. « Mais… » commençait-il et rien qu’à son ton, je comprenais que je n’allais pas passer un bon quart d’heure. Réprimant un frisson, je restais stoïque pour écouter ce qu’il avait à me répondre, tâchant d’ignorer mon cœur qui tambourinait dans ma poitrine, comme s’il savait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps pour battre. « Comment t’as pu imaginer un seul instant que je ne t’aurais pas aidée à surmonter la mort de Matteo ? Comment tu as pu croire que j’allais agir comme un salaud fini alors qu’on pensait que ton frère était mort et que tu avais besoin de moi ? J’ai toujours été là pour toi dans les moments importants, les meilleurs comme les pires. C’est pas le principe du mariage ? Être là dans tous ces moments-là ? Ce n’est pas non plus un principe qui repose sur la communication ?! J’aurais pu comprendre que tout ça t’amochait le moral et que tu avais besoin d’aide. Sans doute que j’aurais accepté que tu t’en prennes à moi, que tu m’en mettes plein la gueule à ce moment-là, que tu me détestes, que tu m’en veuilles même de sa mort à la limite ! Mais tu ne m’as rien dit et c’est pire ! Tu ne m’as même pas laissé la moindre chance de te prouver que pour la cinquantième édition, j’étais avant tout un pauvre abruti tout bonnement fou amoureux de toi et prêt à tout plaquer pour tout te donner ! Et que ce soit la mort de ton frère ou encore ce travail à la con qui me donnait encore plus l’impression d’être une tête-à-claque, mais avec un costume, j’étais avant tout là pour toi, pour nous ! » Malgré toute ma préparation mentale, malgré le côté prévisible de ses reproches, c’était une véritable claque que je me prenais en pleine face. Je fixais délibérément la pointe de mes chaussures alors que Dean continuait de tourner autour de moi, réprimant un sanglot avec toute la force de ma volonté. Entendre Dean parler des sentiments qu’il avait eu pour moi n’aidait en rien ma situation, me faisait l’effet d’un coup porté au cœur. « Parce que bordel, si j’avais su que ce travail guidait gentiment mon couple droit dans le mur, j’y aurais changé la donne ! Parce que oui, il me semble que dans l’ordre de mes priorités, sauver son couple passait avant la carrière professionnelle. Parce que j’étais amoureux, parce que je pensais que tu étais cette personne qui valait la peine qu’on jette tout pour la garder elle ! Alors tu me connaissais mal de penser que j’aurais choisi ce travail avant toi ! Tu me connaissais mal de penser que je ferai ce que toi tu as exactement fait avec nous, Heidi ! Tu nous as jetés pour ta carrière, tes rêves ! Les tiens ! » Et cette fois-ci, malgré toute ma bonne volonté, je sentais les larmes rouler sur mes joues. Je ne parvenais pas à trouver quoi lui répondre tant il avait raison sur bien des points. Si j’avais toujours été consciente de porter en grande partie sur mes épaules les torts qui nous avaient précipité droit dans le mur, il y avait une marge entre le savoir et se l’entendre dire par l’être que nous avions aimé de toute notre cœur un jour. Maintenant la tête baissée pour dissimuler mes larmes aux yeux de Dean, je tâchais de reprendre contenance, finissant par essuyer mes larmes, râcler ma gorge et tenter de reprendre le dialogue. Je sentais l’envie de prendre la fuite se manifester de nouveau, mais cette fois-ci, je décidais de ne pas y céder. Il était temps d’aller jusqu’au bout de cette conversation une bonne fois pour toute, aussi difficile cela soit-il. Je restais néanmoins silencieuse un long moment, tâchant de trouver par où commencer à lui répondre. « Je ne nous ai pas jetés uniquement pour mes rêves, Dean. Je ne me reconnaissais plus dans notre vie et je crois que je me suis perdue, surtout après la disparition de Matteo. J’avais juste besoin de retrouver mes racines, trouver qui j’étais réellement et ce que je voulais indépendamment de toi. » commençais-je alors d’une voix rauque. « Et pour être honnête, je n’étais même plus sûre que tu m’aimais pour qui j’étais plus que pour ce que je représentais à tes yeux et la perspective d’un avenir à deux. » Tout était tellement confus dans mes pensées et dans mon cœur, à l’époque, mais encore aujourd’hui que je ne parvenais même pas à réellement verbaliser ce qu’il se passait dans ma tête. « Et oui, j’aurai dû te parler de Matteo, j’aurai dû réussir à te parler de ce qui me rongeait de l’intérieur. Au début de notre relation, tu étais celui sur qui je me reposais, à qui je pouvais tout dire sans crainte de ne pas être entendue ou comprise. Mais une distance s’est installée entre nous au fil du temps. Et je ne voulais pas être celle qui te détournait de tes objectifs de carrière. » confessais-je alors. Et la distance qui s’était installée entre nous s’était renforcée lorsque j’avais constaté que, bien que poursuivant les mêmes rêves, Ben avait toujours su se montrer présent, à mon écoute, même lorsque je ne parvenais pas à appeler à l’aide alors que Dean se contentait de me laisser me renfermer sur moi-même. « Mais tu parles comme si pour moi ça avait été facile de te quitter, de partir comme ça. Et peut-être que tu préfères t’en tenir à cette version parce que c’est plus facile pour toi de vivre avec ça. Mais laisse-moi te dire que c’est faux. Apprendre à vivre sans toi, réussir à trouver la force de m’éloigner de toi, a été la chose la plus difficile que j’ai eu à faire après la disparition de Matteo. La première année, il n’y a pas eu un jour où je n’avais pas envie de t’appeler pour entendre le son de ta voix, pas une nuit où je n’ai pas eu le réflexe de chercher ta présence à mes côtés dans le lit, pas un moment où je me suis dit que j’avais peut-être fait la plus grosse erreur de ma vie, pas un instant où je n’avais pas envie de partager mes réussites professionnelles avec toi. » Et je m’attendais désormais à voir Dean partir au quart de tour, s’emporter comme jamais il ne l’avait fait auparavant et ça aurait été légitime. Mais puisqu’il était question d’une discussion à cœur ouvert, j’estimais qu’il était en droit de connaître toute la vérité, après tout, c’était lui qui avait réclamé cette conversation à corps et à cris. « Mais même si je ne suis pas sûre de pouvoir dire que j’ai été vraiment heureuse depuis que tu ne fais plus partie de mon quotidien, même si je ne suis pas sûre de pouvoir réellement accepter l’idée que tu ne feras plus jamais partie de ma vie, en revenant seule à Brisbane, j’ai réussi à retrouver qui j’étais. » Parce que c’était bien ça le problème, engagée dans une relation sérieuse dès le début de ma vie d’adulte et ce pendant presque dix ans, terrassée par la disparition de mon frère et trop occupée à regarder les autres réaliser leurs rêves au détriment des miens, j’avais fini par me perdre de vue. Et je doutais sincèrement que l’on puisse être réellement heureux si l’on n’était plus sûr de qui on était au fond. « Et je ne sais pas ce que je peux te dire de plus que ma vérité et que je suis désolée qu’on en soit désormais là toi et moi. Peut-être oui, sûrement même, que je n’ai jamais mérité ton amour, Dean. A vrai dire, je n’en doute pas un seul instant. Mais malheureusement, le mal est déjà fait. » concluais-je finalement, en relevant un regard de nouveau embué vers celui avec qui je m’étais longtemps vue finir mes jours, l’unique personne avec qui j’avais envisagé de vieillir à ses côtés.
Ce silence de plomb le rendait malade, mais ce n’était rien comparé à ce que Heidi allait lui révéler, une fois de plus. « Je ne nous ai pas jetés uniquement pour mes rêves, Dean. Je ne me reconnaissais plus dans notre vie et je crois que je me suis perdue, surtout après la disparition de Matteo. J’avais juste besoin de retrouver mes racines, trouver qui j’étais réellement et ce que je voulais indépendamment de toi. » Le jeune homme ne se retourna même pas pour faire face aux paroles d’Heidi. A coups sûrs, il allait tomber sur un tableau qui l’aurait affaibli, à savoir une Heidi en larmes sans doute parce que ses mots avaient été prononcés sur des tonalités qui frôlaient l’hystérie rancunière. « Et pour être honnête, je n’étais même plus sûre que tu m’aimais pour qui j’étais plus que pour ce que je représentais à tes yeux et la perspective d’un avenir à deux. » Ses dents grincèrent à l’entende de cette excuse sur un ton qui lui semblait aussi faux que la fois où elle lui avait dit que sa chemise pour Noël lui allait bien. Le problème avec Heidi, ou plutôt le fait d’avoir vécu tant d’années avec elle, était que le moindre petit truc le ramenait au passé et les comparaisons se faisaient toutes seules. Il l’avait vu rire, sourire, pleurer, se mettre en rogne, mentir, contourner les problèmes, etc. Et même s’il sentait qu’elle faisait enfin face à ce qu’il attendait comme le pire des cons depuis trois ans, l’entendre et le savoir ne semblait pas suffisant. Toute cette souffrance accumulée et remuée dans une grosse marmite de chagrins et d’emmerdes pesait bien trop lourdement sur la balance, comparée aux paroles prononcées par Heidi. « Et oui, j’aurais dû te parler de Matteo, j’aurais dû réussir à te parler de ce qui me rongeait de l’intérieur. Au début de notre relation, tu étais celui sur qui je me reposais, à qui je pouvais tout dire sans crainte de ne pas être entendue ou comprise. Mais une distance s’est installée entre nous au fil du temps. Et je ne voulais pas être celle qui te détournait de tes objectifs de carrière. » Dean avait déjà revu Matteo depuis son retour à Brisbane. Contre toute attente, il s’était bien entendu avec lui et avait vu un second souffle à cette relation d’ex beau-frère. A entendre Heidi insinuer que son frère était la raison de leur rupture ne risquerait pas de l’enchanter s’il se trouvait avec eux. Lui qui culpabilisait déjà… Mais là n’était pas le sujet. « Mais tu parles comme si pour moi ça avait été facile de te quitter, de partir comme ça. Et peut-être que tu préfères t’en tenir à cette version parce que c’est plus facile pour toi de vivre avec ça. Mais laisse-moi te dire que c’est faux. Apprendre à vivre sans toi, réussir à trouver la force de m’éloigner de toi, a été la chose la plus difficile que j’ai eu à faire après la disparition de Matteo. La première année, il n’y a pas eu un jour où je n’avais pas envie de t’appeler pour entendre le son de ta voix, pas une nuit où je n’ai pas eu le réflexe de chercher ta présence à mes côtés dans le lit, pas un moment où je me suis dit que j’avais peut-être fait la plus grosse erreur de ma vie, pas un instant où je n’avais pas envie de partager mes réussites professionnelles avec toi. » - « Mais je rêve là… » se surprit-il lui-même à marmonner dans sa barbe. Ce n’était tout simplement pas possible à entendre, à imaginer. Pour toutes ces fois où il aura tenté de partir d’Adelaide pour essayer de la retrouver, pour toutes ces fois où il aura hurlé son nom, complètement saoul, dans les rues de Fortitude Valley, comment pouvait-il entendre cela ? Cela lui déchirait le cœur, pour ce qu’il en restait de solide. « Mais même si je ne suis pas sûre de pouvoir dire que j’ai été vraiment heureuse depuis que tu ne fais plus partie de mon quotidien, même si je ne suis pas sûre de pouvoir réellement accepter l’idée que tu ne feras plus jamais partie de ma vie, en revenant seule à Brisbane, j’ai réussi à retrouver qui j’étais. » - « Tant mieux pour toi, Heidi. Quelle bonne nouvelle ça nous fait ! » avait-il par dire, croisant les bras sur son torse une fois qu’il se retrouva à nouveau face à elle. Bien évidemment, la colère l’envahissait et pas une seule seconde durant ce moment-là il lui souhaitait de réussir. Sans doute regretterait-il cette pensée plus tard. « Et je ne sais pas ce que je peux te dire de plus que ma vérité et que je suis désolée qu’on en soit désormais là toi et moi. Peut-être oui, sûrement même, que je n’ai jamais mérité ton amour, Dean. A vrai dire, je n’en doute pas un seul instant. Mais malheureusement, le mal est déjà fait. » - « Comme tu dis, le mal est déjà fait oui. » lui répondit-il à la suite de ses dires. Bien qu’il ait l’impression de paraître calme, le ton employé lui confirmait le contraire. Elle avait eu le don pendant toutes ces années de le faire sortir de ses gongs à une vitesse folle et cette fois-ci ne ferait pas l’exception. Et soudain, il se mit à rire, sans doute nerveusement, ou peut-être de manière moqueuse. « J’hallucine. Complètement, j’ai l’impression d’halluciner. Heidi, tu m’as laissé tomber comme une merde à quatre mois d’un mariage qu’on voulait tous les deux pour me sortir le coup du ce n’est pas toi c’est moi ? » Son rire manqua de redoubler, alors qu’il secoua la tête. « Toutes ces fois où tu m’as forcé à regarder des téléfilms à la con où les scénarios low cost sonnaient faux, j’ai l’impression que j’y ai droit maintenant ! Trois ans à attendre comme un con que tu me donnes ta version et j’ai le droit à ça ! » Il en vint même à demander. « Tu m’aimais vraiment, Heidi ? » Pour me faire ça, mais ça, il ne le dit pas. Sans doute parce que se victimiser ne servirait à rien, parce qu’il y avait des torts des deux côtés et que cela ne changerait pas grand-chose. Les paroles d’Heidi ne valaient rien, elles ne pansaient pas toute la douleur endurée tout ce temps. « Mais tu as raison, le mal est fait. C’est fini, bouclé et enterré, j’ai bien saisi ! J’ai peut-être été absent ou parfois trop écrasant sur les décisions que tu voulais prendre, mais j’étais là, prêt à avoir cette communication que tous les couples ont ! Je t’ai aimé comme un fou et j’étais prêt à changer bien des choses. Tu ne m’as laissé une chance de me ravoir et de rattraper ce que je pouvais là où je le pouvais. » Et de nouveau, il se remit à faire les cent pas. Elle le rendait nerveux et sans doute qu’il pensait à cet instant que marcher l’aiderait. Naïf, comme à chaque fois. « Mais non, t’es partie. C’est tout ce que je retiens ! T’es partie pour réussir professionnellement. Le choix a été fait. » Pourtant, lui pensait que les deux situations pouvaient s’accorder, que Dean aurait pu la soutenir dans sa carrière professionnelle de styliste, tout en travaillant comme avocat. Tout le monde y parvenait, avec un peu de patience, de tolérance et de l’amour à la pelle à en faire des envieux. Mais non. « Le mal est fait, depuis longtemps. Oui, tu m’as fait mal et oui ça m’a anéanti. Ça m’a complètement détruit et je me suis plus reconnu pendant des mois. Sans doute que cet épisode m’a permis, sans trop avoir le choix, à me rendre compte que j’étais pas celui que je prétendais être moi aussi ? A vouloir que tout soit parfait et beau en apparence ? J’en sais rien et je m’en fiche parce que les choses ont changé aujourd’hui. C’est plus ainsi que je me vois. » Il haussa bêtement les épaules, comme si cela lui était égal, au fond. Façon de parler. « J’ai eu l’air du pire des cons pendant trois ans et j’attendais cette conversation depuis le premier jour où tu es partie en refermant la porte sur un nous. Comment tu veux que je fasse confiance à quelqu’un, après ça ? Quand je pense que tout va bien alors qu’une fois le dos tourné, la bague se retire du doigt et se retrouve sur la table basse en me faisant le pire doigt d’honneur qui soit ? » Il montait une nouvelle fois dans les tons et il était tellement occupé à cracher ses mots face à une Heidi qui devait sans doute se sentir démunie qu’il ne se rendit pas compte que Lago s’était mis à aboyer depuis quelques instants déjà. Forcément, à ne pas communiquer, à ne pas s’engueuler de temps en temps, ce pauvre Lago ne connaissait pas la dispute entre ses deux maîtres. Et ça, Dean se retint fortement de le retaper sur le coin du nez de celle qui avait été sa fiancée. Ce fut les aboiements excessifs du chien qui finirent par le calmer, le faire taire dans ses paroles. Après tout, à quoi bon continuer à s’acharner à attraper de la fumée à mains nues ? Heidi était partie, depuis longtemps, depuis trois ans. Trois ans à faire une croix jour pour jour sur le calendrier, à en devenir malade et pathétique, à ne pas se redonner une chance sentimentalement parlant, à ne plus avoir confiance en rien, à avoir même l’impression qu’avec elle, elle avait tout emporté, même Benjamin. Ils étaient à deux contre lui, à sourire à un quotidien qui leur convenait mieux. Et lui, dans tout ça ? Il pouvait se bouffer sa peine, sa colère, ses erreurs, et l’espoir de revoir ce passé revenir au présent. « Mais voilà, c’est du passé maintenant. » Son ton était froid. Il referma sa veste suite au vent qui s’était levé en ce début de soirée sur la plage artificielle, prêt à partir. Au fond, que devait-il faire ? Se remettre à ses pieds, tout retenter ? Se faire à nouveau jeter dans huit ans ? Il fixa Heidi du regard, larmes ou pas, à attendre. Sans trop savoir quoi attendre d’elle, à présent. Tout était dit. Aussi dur que cela était de se le dire à lui-même, c’était fini.
Let's let the dead skin of broken dreams, be shed. Begin anew the pursuit. Because those broken dreams aren't really broken. They're just unfinished business, so let's make them our business and close the deal. △
dean & heidi
Alors que je poursuivais mon mea culpa, que je me livrais à Dean comme je ne l’avais jamais fait auparavant – raison pour laquelle nous étions précisément là, tous les deux sur cette plage à nous déchirer – l’agacement montait chez Dean qui balayait chacune de mes explications avec une rage et une ironie palpables. « Mais je rêve là… » Je ne me laissais pas démonter, bien décidée à lui prouver que j’étais prête à rester jusqu’au bout, jusqu’à ce que cette entrevue de l’enfer trouve un point final, une conclusion que je redoutais pourtant indéniablement. « Tant mieux pour toi, Heidi. Quelle bonne nouvelle ça nous fait ! » Malheureusement, face à son sarcasme et son mépris, je sentais que je commençais à m’emporter à mon tour, roulant exagérément des yeux en l’entendant. « J’hallucine. Complètement, j’ai l’impression d’halluciner. Heidi, tu m’as laissé tomber comme une merde à quatre mois d’un mariage qu’on voulait tous les deux pour me sortir le coup du ce n’est pas toi c’est moi ? » s’emportait de nouveau Dean qui ne semblait plus réellement capable de garder son calme désormais et je ne pouvais réellement l’en blâmer. « A quoi bon Dean ? A quoi bon marier quelqu’un qui n’était même plus certaine de réellement vouloir ce mariage parce qu’elle n’avait plus la moindre idée de qui elle était ? C’était réellement ça que tu voulais ? Te marier à une coquille vide ? Tu méritais mieux que ça. » rétorquais-je, sourcils froncés, larmes aux yeux et le ton quelque peu agacé. Cette conversation ne semblait mener à rien. Nous discutions sans réellement être prêt à recevoir les réponses à nos questions, nous nous entendions sans nous écouter vraiment. « Toutes ces fois où tu m’as forcé à regarder des téléfilms à la con où les scénarios low cost sonnaient faux, j’ai l’impression que j’y ai droit maintenant ! Trois ans à attendre comme un con que tu me donnes ta version et j’ai le droit à ça ! » m’envoyait-il alors en pleine figure. J’encaissais le coup un instant, le souffle court, avant de commencer à m’énerver à mon tour. « Tu voulais la vérité, ma vérité. Là voilà. Si elle ne te convient pas, j’en suis navrée Dean, sincèrement. Mais je ne sais pas ce que tu attends de moi à vrai dire, ni même ce que tu espérais entendre. » J’avais l’impression de voir le piège de cette discussion se refermer sur moi, les reproches pleuvant sur ma personne à grosses gouttes. Et si j’étais parfaitement conscience de mériter sa colère, son indignation et sa déception, je n’en restais pas moins impuissante face à la situation. « Tu m’aimais vraiment, Heidi ? » Sa question me prenait de court, me coupant le souffle sur l’instant. Je restais pantoise face à lui, l’observant avec de grands yeux alarmés, la tristesse au fond du regard. « Comment peux-tu oser me poser cette question ? » demandais-je alors d’une voix blanche, une octave trop haute. Si compte-tenu de la situation, je pouvais comprendre ses doutes et ses questions, je ne parvenais pas à croire qu’il pouvait penser que j’avais un jour simulé de vouloir me tenir à ses côtés. « T’étais tout mon monde, Dean ! » lui balançais-je alors, le visage déformé dans une expression partagée entre le courroux et la révolte à mon tour. « Je t’ai aimé comme je n’ai jamais aimé personne, je t’ai suivi à travers toute l’Australie par amour pour toi, comment peux-tu oser remettre ça en question ? » l’accusais-je alors. Si l’amour n’était pas un sentiment éternel, si je ne savais plus la véritable nature de mes sentiments à son égard, il n’était pas possible à mes yeux qu’il puisse douter de la sincérité de mes sentiments le jour où j’avais accepté de l’épouser. Bien-sûr, la suite avait changé bien des choses, remettant tout mon avenir – et le nôtre par extension – en perspective à la suite de la disparition de mon frère. « Mais tu as raison, le mal est fait. C’est fini, bouclé et enterré, j’ai bien saisi ! J’ai peut-être été absent ou parfois trop écrasant sur les décisions que tu voulais prendre, mais j’étais là, prêt à avoir cette communication que tous les couples ont ! Je t’ai aimé comme un fou et j’étais prêt à changer bien des choses. Tu ne m’as laissé une chance de me ravoir et de rattraper ce que je pouvais là où je le pouvais. Mais non, t’es partie. C’est tout ce que je retiens ! T’es partie pour réussir professionnellement. Le choix a été fait. » De nouveau, je sentais la colère prendre le pas sur toutes les émotions qui se livraient bataille au sein de mon cœur. « Non mais tu t’entends ? Tu ne vois pas le problème dans tout ça ? Quel droit avais-je de te demander de changer la personne que tu étais à l’époque juste parce que ce n’était peut-être plus ce que je recherchais ? » répondis-je alors, les larmes toujours perlant dans mes yeux, l’émotion palpable à chaque mot que j’articulais avec difficulté. « C’est pas comme ça que ça marche l’amour, Dean. Quand on aime quelqu’un on l’aime pour tout ce qu’il est et pas pour l’idée qu’on se fait de ce qu’il est ou de ce qu’il deviendra. Si pour que les choses fonctionnent de nouveau entre nous, il fallait que je te demande de changer, c’est bien qu’il y avait un souci. » pointais-je alors du doigt. « Eh bien-sûr qu’on évolue dans une relation, que l’on change et heureusement que nous ne sommes pas restés les adolescents que nous étions lors de notre rencontre. Mais si changement il devait y avoir chez toi, cela devait venir de toi, sans que je n’aie à te le demander, sinon c’était voué à l’échec. » Et à mesure que je parlais, la rage se dissipait de nouveau pour laisser place à une profonde tristesse, chargée de regrets et d’espoirs tués dans l’œuf. « Au même titre que si tu n’es pas prêt à accepter que je puisse ne plus être cette jeune femme aveuglement amoureuse de toi, prête à tous les sacrifices par amour pour toi, capable de te faire à tout prix passer avant mes propres besoins vitaux, alors c’est peut-être que nous n’étions tout simplement pas faits pour être ensemble. » Et ma voix se brisait pour de bon à cette idée. C’était un coup dur d’arriver à cette conclusion, à propos de ce que j’avais toujours vu comme un conte de fée. Et alors que je prononçais ces quelques mots, je sentais quelque chose se briser en moi, et j’étais à peu près certaine que c’était mon cœur qui venait de rendre l’âme face à la dure et cruelle réalité des choses. Je sentais un sanglot secouer mon corps de nouveau et je n’avais la force cette fois-ci de le réprimer. « Et pour être honnête, si c’est bien le but de toute cette discussion, je dois avouer que je ne suis pas sûre de pouvoir suivre à cette idée. Parce que tu es la seule personne avec qui je me suis imaginée un jour avoir un avenir et que je sais que je n’aurai ni la volonté ni l’envie de retrouver ça avec qui que ce soit d’autre. » Alors que Dean continuait de me surplomber de toute sa hauteur, j’avais l’impression de me ratatiner à mesure que la conversation poursuivait son lent, sinueux et douleur chemin. « Le mal est fait, depuis longtemps. Oui, tu m’as fait mal et oui ça m’a anéanti. Ça m’a complètement détruit et je me suis plus reconnu pendant des mois. Sans doute que cet épisode m’a permis, sans trop avoir le choix, à me rendre compte que j’étais pas celui que je prétendais être moi aussi ? A vouloir que tout soit parfait et beau en apparence ? J’en sais rien et je m’en fiche parce que les choses ont changé aujourd’hui. C’est plus ainsi que je me vois. » Je l’écoutais, tâchant de respirer de façon calme et régulière pour tenter de reprendre contenance, d’arrêter de pleurer, parfaitement consciente que me décomposer face à Dean n’aiderait en rien la conversation. « J’ai eu l’air du pire des cons pendant trois ans et j’attendais cette conversation depuis le premier jour où tu es partie en refermant la porte sur un nous. Comment tu veux que je fasse confiance à quelqu’un, après ça ? Quand je pense que tout va bien alors qu’une fois le dos tourné, la bague se retire du doigt et se retrouve sur la table basse en me faisant le pire doigt d’honneur qui soit ? » demandait-il alors, autant de questions légitimes, autant d’interrogations qui méritaient des réponses, des vraies, que je ne possédais cependant pas. Il me semblait que nous étions désormais dans une impasse, coincés quelque part entre un avenir avorté et des rancœurs insurmontables. « Mais voilà, c’est du passé maintenant. » Et cette fois-ci, je voyais Dean prêt à partir, remontant sa veste, s’éloignant de moi, regard accusateur et ton froid à l’appui. C’était une vision déchirante, celle qui me faisait réagir que je l’avais peut-être définitivement perdu à tout jamais, mais qui me faisait prendre également conscience que je n’étais pas prête à faire face à cette réalité. Si c’était moi qui étais partie la première, si c’était moi qui lui avais tourné le dos en premier lieu, n’avoir aucun contact, aucune explication avec lui avait toujours conféré à notre séparation un caractère assez irréaliste et bien moins définitif qu’à présent. Je sentais à présent mon estomac se tordre dans mes entrailles à cette idée. « C’est définitivement fini, c’est ça ? » demandais-je, d’une voix faiblarde, presque inaudible par-dessus le bruit des vagues. « Je suppose que c’est le moment où tu récupères enfin ta liberté d’aller de l’avant et de passer à autre chose. » murmurais-je plus pour moi que lui, complètement sonnée par cette réalité qui s’imposait à moi, sans que je sois capable de réellement comprendre ce que je voulais. J’envoyais à Dean des signaux contradictoires qu’il ne parviendrait sûrement pas à interpréter. J’avais l’impression que tous les efforts que j’avais fait ces trois dernières années pour tenter de me retrouver et de me reconstruire venaient de voler en éclat avec cette discussion qui avait un goût de mort de l’âme et rêves brisés.
Une discussion de sourds avait rythmé ces dernières minutes. Maintenant que Dean était plongé dans un silence de mort, il entendait la voix d’Heidi qui continuait de résonner dans sa tête. A s’emballer sur elle, il avait à peine entendu qu’elle grognait de son côté, elle aussi. . « A quoi bon Dean ? A quoi bon marier quelqu’un qui n’était même plus certaine de réellement vouloir ce mariage parce qu’elle n’avait plus la moindre idée de qui elle était ? C’était réellement ça que tu voulais ? Te marier à une coquille vide ? Tu méritais mieux que ça. Tu voulais la vérité, ma vérité. La voilà. Si elle ne te convient pas, j’en suis navrée Dean, sincèrement. Mais je ne sais pas ce que tu attends de moi à vrai dire, ni même ce que tu espérais entendre. » Les mots cognaient si fortement dans sa tête que le mal de crâne pointait le bout de son nez. Par moments, il avait entendu Heidi lui faire la morale sur les grandes définitions de l’amour et il crut qu’elle se fichait pertinemment de lui. « C’est pas comme ça que ça marche l’amour, Dean. Quand on aime quelqu’un on l’aime pour tout ce qu’il est et pas pour l’idée qu’on se fait de ce qu’il est ou de ce qu’il deviendra. Si pour que les choses fonctionnent de nouveau entre nous, il fallait que je te demande de changer, c’est bien qu’il y avait un souci. Bien sûr qu’on évolue dans une relation, que l’on change et heureusement que nous ne sommes pas restés les adolescents que nous étions lors de notre rencontre. Mais si changement il devait y avoir chez toi, cela devait venir de toi, sans que je n’aie à te le demander, sinon c’était voué à l’échec. » Il aurait pu lui faire à son tour un speech sur la communication au sein d’un couple mais il s’était retenu, d’autres mots avaient préféré franchir la barrière de ses lèvres. Mais il pensait sans cesse à tout ce qu’elle lui disait. Pourquoi ne voulait-il pas y croire ? Pourquoi cela lui semblait si faux à l’écoute ? Sans doute une part de lui-même ne voulait pas l’entendre. « Au même titre que si tu n’es pas prêt à accepter que je puisse ne plus être cette jeune femme aveuglement amoureuse de toi, prête à tous les sacrifices par amour pour toi, capable de te faire à tout prix passer avant mes propres besoins vitaux, alors c’est peut-être que nous n’étions tout simplement pas faits pour être ensemble. Et pour être honnête, si c’est bien le but de toute cette discussion, je dois avouer que je ne suis pas sûre de pouvoir suivre à cette idée. Parce que tu es la seule personne avec qui je me suis imaginée un jour avoir un avenir et que je sais que je n’aurai ni la volonté ni l’envie de retrouver ça avec qui que ce soit d’autre. » Lequel de ses copains avait fini par avouer que Heidi avait eu quelques aventures au passage ? Il n’avait plus rien à dire, il devait fermer les yeux là-dessus. Trois ans à cogiter une relation partie au loin, cela avait fini par créer chez lui une sorte de carapace pour éviter du mieux qu’il pouvait ce genre de relations. C’était à se demander s’il allait faire confiance à quelqu’un d’autre un jour, s’il allait pouvoir se lancer à nouveau dans une relation sérieuse. C’était la respiration haletante et le cœur arraché qu’il fixait longuement Heidi. Face à lui, elle semblait aussi déconcertée par la situation qui montait en reproches comme on s’empressait de monter les escaliers. Cette sensibilité qu’elle avait en elle, qui avait eu pour habitude de le faire fondre d’amour, lui brisait plus le cœur cette fois-ci. Au fond de lui, durant ces années à tout remuer, ce qui le consolait était de se dire qu’Heidi était au moins heureuse. Mais, comme lui, elle semblait perdue et il peina à entendre ce qu’elle lui disait après quelques instants de silence. « C’est définitivement fini, c’est ça ? » Lui, venait de lui dire que c’était du passé, que cela ne devait sans doute plus avoir son importance que s’ils se retrouvaient tous deux plongés un bond en arrière. « Je suppose que c’est le moment où tu récupères enfin ta liberté d’aller de l’avant et de passer à autre chose. » C’était le moment tant attendu. Celui que Dean avait supplié de vivre depuis des mois, pour finalement passer à autre chose. Là était la raison pour laquelle cela faisait bien des minutes qu’autant Dean qu’Heidi ne disait plus rien. Cette phrase faisait écho et partait en ricochet sur les vagues alors qu’elle résonnait à redondance dans la tête du jeune homme. N’était-ce pas ce dont il avait toujours souhaité entendre ? Cette forme de conversation finale où il pouvait se sentir enfin libéré de toute emprise d’un passé qui s’accrochait à lui sans relâche ? Pour la première fois depuis leur début de conversation sur cette petite plage artificielle, Dean resta sans réponse. Il ne trouvait plus les mots. Le regard peiné de Lago sur ses deux maitres avait fini par trouver son intention sur une mouche et courait après bien des mètres loin d’eux. Les vagues continuaient à aller et venir et, bizarrement, le jeune avocat avait l’impression de se trouver là depuis une éternité. Il finissait par étouffer au grand air. Enfin, il rompit le silence d’une voix brisée, où son point de concentration fut un grain de sable plus foncé que les autres. « Tu me le demandes vraiment ou tu te le demandes à toi ? » L’air complètement perdu d’Heidi face à la situation finissait par le déstabiliser. « Il y a dix minutes, tu me disais que tu ne savais plus où tu en étais, que tu voulais poursuivre tes rêves. Maintenant, tu me dis que finalement nous n’étions plus ce que nous étions, qu’on avait tellement fini par changer que tu ne savais pas si tu voulais continuer dans ce couple. » Il s’interrompit un instant. Sa voix était calme, il tentait de ne pas monter à nouveau dans les tours et de finir par bouffer du sable tant il était en colère. « C’est fini depuis le moment où tu es partie de chez nous il y a trois ans. Enfin, on est même plus proche des quatre maintenant… » Joyeux anniversaire Dean ! Bouffe ton passé qui s’éloigne au galop, Dean ! « A quoi tu t’attendais, Heidi ? Que tu puisses te prouver à toi-même que tu étais capable d’être une grande styliste australienne, t’amuser avec deux-trois connards sur le côté, retrouver ta petite vie à Brisbane et revenir la bouche en cœur quand tu en avais envie en pensant que je n’avais pas bougé d’un poil ? Tu pensais que c’était une évidence que j’allais t’attendre ? Autant de temps ? » Ses bras se décroisèrent dans un haussement d’épaule. « J’ai cru t’attendre, mais ce serait attendre après une personne que tu n’es plus pour espérer retrouver une personne que je ne suis plus. Tu l’as dit, à ce moment-là, je n’étais plus ce que tu recherchais. » Il était concentré sur ce qu’il pouvait dire. « On a changé. Je ne peux même plus dire si je te connais encore sur le bout des doigts et je suis prêt à parier que tu ne me connais plus entièrement. » C’en était déstabilisant de faire ce constat sur l’une des personnes qui le connaissaient pourtant le mieux. Et pourtant, physiquement, seule la fatigue interprétée par des traits tirés, changeait le doux visage d’Heidi dont il connaissait chaque parcelle. Une part de lui voulait sans doute craquer et terminer par être Dean l’imbécile, prêt à tout pardonner, sans même être sûr de savoir si c’était ce qu’elle voulait vraiment. L’autre part frappait la première à coups de pelle, ce qui lui donnait un mal de tête. « Le truc est qu’à avoir attendu trois ans cette conversation est que j’ai fini par retourner la situation dans tous les sens. Et je ne pensais pas mériter ça, malgré ce que je pouvais être à l’époque. Je n’étais plus ce que tu recherchais, et tu n’es plus ce que je recherche. » Il se pinça les lèvres, ayant hésité à lui avouer. Il reprit alors, plus pour se parler à lui-même : « Si cela signifie qu’il faut attendre trois ans pour avoir une réponse sur ce qui semblait important, qu’il faut s’attendre à ce que tu repartes en coups de vent au moindre détail qui n’irait plus dans ton propre sens, qu’il faut accepter d’être le plan B d’un rêve à réaliser, accepter de retourner des années en arrière comme si rien ne s’était passé, parce que tout a roulé pour toi, je ne suis pas certain de le rechercher. Et je n’ai pas trouvé le courage de recommencer à zéro avec quelqu’un non plus, rencontrer la belle-famille, emménager ensemble, prendre un chien et choisir les meubles, parler projets, parler famille et avenir. Ce n’est pas pour autant que je vais trouver le courage d’affronter une seconde fois que j’ai bouffé une première fois, dans cette relation. » Il se dit à lui-même qu’il pouvait tout simplement répondre par un oui ou un non à sa question. Sans doute que les signaux contradictoires d’Heidi ne l’aidaient pas. Si lui savait qu’il ne voulait juste plus souffrir de la situation et ne plus être ce gros crétin dont Heidi et Benjamin avaient aimé se foutre pendant ces dernières années, il ne savait même pas dire ce que la jeune femme voulait. Et il n’était pas sûr de vouloir le savoir, que cela aille dans un sens ou non. Et la situation lui faisait mal et le tiraillait aux tripes. La mâchoire serrée, il se dit qu’il ne pouvait pas tirer en longueur cette discussion. Il ne voulait pas être blessé, une fois encore. Même si au fond, une petit voix lui disait que cette rencontre au bord de la plage allait sans doute le tourmenter plus longtemps qu’il ne l’espérait. « Enfin, voilà. J’ai eu mes réponses, comme tu dis. Je suppose que c’est le moment où je récupère ma liberté d’aller de l’avant et de passer à autre chose. » finit-il par dire, répétant mot pour mot ceux prononcés par celle qui avait été sa fiancée. Il hésita un instant, les mains enfoncées dans ses poches de sa veste, puis murmura lentement : « Ravi de t’avoir revu, Heidi. » Cette impression d’attraper de la fumée à mains nues refit surface. Pour la première fois en trois ans, il sentit cette plaie se rouvrir si douloureusement qu’il avait l’impression de devoir laisser partir Heidi une seconde fois. Il ne savait pas quoi faire, mais après un dernier regard, il finit par tourner les talons, pour repartir le long de cette plage.
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dean & heidi
Bref moment d'accalmie dans notre conversation, voilà que nous en venions tous les deux à la même conclusion : c'était fini. Il nous avait fallu plus de trois ans pour en arriver à pareille conclusion, mais la vérité venait de tomber, nue et intransigeante, douloureuse et effrayante. « Tu me le demandes vraiment ou tu te le demandes à toi ? » demandait-il, visiblement déconcerté par ma question. Et je ne pouvais que le comprendre. « A vrai dire, je crois que je suis simplement en train de le réaliser. » confessais-je, avec toute la transparence dont j’étais capable, révélant l’intégralité du chaos qui régnait dans mes pensées à l'instant présent. C'était comme si en restant loin de Dean, la question ne m’avait jamais vraiment traversé l’esprit, comme si les réponses à mes « Si » ne trouvaient pas de réponse puisque nous n’évoluions plus dans les mêmes sphères. Mais son arrivée à Brisbane semblait changer bien des choses, me prouvant en premier lieu que je n’avais pas pris autant de distance par rapport à lui que je l’aurai cru ou espéré. « Il y a dix minutes, tu me disais que tu ne savais plus où tu en étais, que tu voulais poursuivre tes rêves. Maintenant, tu me dis que finalement nous n’étions plus ce que nous étions, qu’on avait tellement fini par changer que tu ne savais pas si tu voulais continuer dans ce couple. » En une intervention, Dean venait alors de pointer le doigt sur toutes mes incohérences et pour toute réponse, je lui adressais une moue boudeuse, accompagnée d’un regard plein d’impuissance. J’étais perdue à nouveau quand je pensais enfin sortir la tête de l’eau. « C’est fini depuis le moment où tu es partie de chez nous il y a trois ans. Enfin, on est même plus proche des quatre maintenant… » C’était un coup sec derrière la nuque, un retour brutal à la réalité qui me coupait presque le souffle sur l’instant. « A quoi tu t’attendais, Heidi ? Que tu puisses te prouver à toi-même que tu étais capable d’être une grande styliste australienne, t’amuser avec deux-trois connards sur le côté, retrouver ta petite vie à Brisbane et revenir la bouche en cœur quand tu en avais envie en pensant que je n’avais pas bougé d’un poil ? Tu pensais que c’était une évidence que j’allais t’attendre ? Autant de temps ? » Dean n’avait pas mis longtemps avant de repartir sur ses grands chevaux s’enflammant de nouveau, sans que je n’aie eu le temps de m’y préparer. Et sur le coup, je sentais un pincement au cœur dans ma poitrine, teinté d’agacement. Je n’aimais pas du tout la façon dont Dean parlait de mon projet de carrière professionnelle. Décrit de la sorte, cela donnait l’impression que ce n’était qu’un caprice d’enfant pourrie-gâtée, une entreprise folle et vaine, pas une vocation et une passion qui m’avaient toujours animées depuis mon plus jeune âge, une voie dans laquelle ma mère m’avait toujours poussée à aller, persuadée de mon talent et de mes capacités de réussite dans ce domaine pourtant si cruel et sélectif. Et la piqûre dans mon ego se faisait si vive sur l’instant que j’en occultais presque la suite où Dean mentionnait les quelques rares aventures que j’avais eu depuis que je l’avais quitté. Et j’aurai pu me sentir coupable d’avoir vécu pareille histoire avec Elio si je n’avais pas été si énervée contre lui à l’instant présent. Et si je m’apprêtais à rétorquer sèchement en lui faisait remarquer que ce n’était sûrement pas en méprisant ce qui faisait ma vie désormais et ce qui avait fait mon passé également qu’il allait me prouver que j’avais eu tort de le quitter, mais la suite de ses propos me coupait l’herbe sous le pied, me poussant à passer à un tout autre sujet. « M’attendre ? Bien-sûr que non, je n’avais pas l’espoir que tu m’attendes Dean. Tu peux me prêter un côté très égoïste et cruel, je ne le suis pas à ce point. » répliquais-je alors, en lui lançant un regard indigné qu’il puisse penser pareille chose. « C’est juste que tu es là désormais, à réclamer cette conversation qu’on aurait dû avoir il y a quatre ans de ça bientôt. » ajoutais-je plus calmement désormais que je lui disais la vérité. « J’ai cru t’attendre, mais ce serait attendre après une personne que tu n’es plus pour espérer retrouver une personne que je ne suis plus. Tu l’as dit, à ce moment-là, je n’étais plus ce que tu recherchais. On a changé. Je ne peux même plus dire si je te connais encore sur le bout des doigts et je suis prêt à parier que tu ne me connais plus entièrement. » reprenait-il alors, l’air un peu déstabilisé d’arriver à pareille conclusion. « En effet… » me contentais-je d’acquiescer, à court de mots et déjà épuisée par cette conversation qui ne semblait jamais vouloir finir sans pour autant parvenir à mener quelque part. Nous tournions en rond, tout simplement. « Le truc est qu’à avoir attendu trois ans cette conversation est que j’ai fini par retourner la situation dans tous les sens. Et je ne pensais pas mériter ça, malgré ce que je pouvais être à l’époque. Je n’étais plus ce que tu recherchais, et tu n’es plus ce que je recherche. » Et sans parvenir à savoir si c’était ma fierté légendaire ou des sentiments bien enfouis qui refaisaient surface inopinément, le fait qu’il emploie le présent pour parler de son cas ne m’échappait pas. A cette réalisation, je sentais mon cœur – du moins ce qu’il en restait – se serrer dans ma poitrine douloureusement. « Si cela signifie qu’il faut attendre trois ans pour avoir une réponse sur ce qui semblait important, qu’il faut s’attendre à ce que tu repartes en coups de vent au moindre détail qui n’irait plus dans ton propre sens, qu’il faut accepter d’être le plan B d’un rêve à réaliser, accepter de retourner des années en arrière comme si rien ne s’était passé, parce que tout a roulé pour toi, je ne suis pas certain de le rechercher. Et je n’ai pas trouvé le courage de recommencer à zéro avec quelqu’un non plus, rencontrer la belle-famille, emménager ensemble, prendre un chien et choisir les meubles, parler projets, parler famille et avenir. Ce n’est pas pour autant que je vais trouver le courage d’affronter une seconde fois que j’ai bouffé une première fois, dans cette relation. » A l’écouter parler, je me sentais soudainement prise de vertige, complètement déboussolée par la discussion que nous avions. Comment pouvait-il se faire que cette conversation soit si douloureuse quand elle mettait fin à une relation qui était déjà morte presque quatre années plus tôt ? Pourquoi avais-je l’impression de faire une seconde fois la plus grosse erreur de ma vie en le laissant me tourner le dos quand c’était moi-même qui m’en était allée sans me retourner quatre ans auparavant ? Pourquoi fallait-il que l’entendre me dépeindre de façon aussi peu avantageuse m’atteigne avec cette force quand j’avais vécu sans lui ces dernières années ? Pourquoi juste ciel, fallait-il qu’une part de moi ait envie de le retenir encore un peu auprès de moi, de le pousser à continuer de m’attaquer sur mes innombrables défauts parce que je préférais cent fois l’entendre m’accuser de tous les mots de la terre plutôt que de le laisser s’éloigner de moi ? « Je ne suis plus la même que celle que j’étais lorsque je t’ai quitté. » me contentais-je alors de répondre, parce que je ne savais pas quoi dire d’autre. Il s’était passé tellement de choses depuis que j’étais revenue à Brisbane, et si j’étais encore loin d’agir en adulte responsable et d’être capable de prendre les meilleures décisions pour ma personne, j’avais beaucoup grandi et mûri en revenant dans ma ville natale. « Enfin, voilà. J’ai eu mes réponses, comme tu dis. Je suppose que c’est le moment où je récupère ma liberté d’aller de l’avant et de passer à autre chose. » répétait-il, reprenant mot pour mot ce que je lui avais dit précédemment. Je le regardais, impuissante et muette, les larmes continuant de rouler sur mes joues parce qu’il y a bien longtemps que j’avais abandonné l’espoir de les retenir. J’étais incapable d’esquisser le moindre mouvement dans sa direction, restant la bouche scellée même lorsqu’il lâchait un : « Ravi de t’avoir revu, Heidi. » qui me déchirait un peu plus les entrailles. Je restais pantoise et recroquevillée dans la même position que depuis le début de cette conversation, en regardant celui qui avait sûrement été l’homme de ma vie reprendre sa liberté, quand je retrouvais le flou artistique qui caractérisait ma vie et mes sentiments à son égard. Maintenant qu’il était de retour en ville, si proche de moi et si loin pourtant, je me demandais comment j’allais pouvoir supporter la situation sans devenir folle. Et aussitôt Dean parti, Lago qui cessait enfin d'aboyer venait se blottir contre moi.