« Lene, tu viendrais dans mon équipe pour le tournoi de volley le mois prochain ? » C’était parti d’une simple requête alors qu’elle venait de se poser après une séance de surf dans son café préféré de la plage. Sammy, un gars qu’elle connait pour avoir profité des plages à plusieurs reprises en même temps qu’elle s’était avancé pour lui demander de mettre à son service ses talents de tueuse dans les disciplines sportives, à savoir ici : le volley Ball. Un tournoi allait être organisé en ville le mois suivant à l’occasion du festival du sport et si Lene n’était pas trop emballée à l’idée de devoir faire preuve d’esprit d’équipe (si elle a choisi le surf, c’est bien pour ne pas avoir à s’emmerder avec des coéquipiers) c’est quand il avait pointé que l’équipe gagnante empochait un billet d’avion pour Hawaï qu’elle s’était laissé convaincre du bienfondé de son sacrifice. Et puis, avec un peu de chance, ça serait les adversaires d’en face qui prendrait sa hargne et non pas ceux de sa propre équipe. Au moment d’accepter, elle ne pouvait pas le promettre mais elle allait faire les efforts nécessaires pour pouvoir emporter le grand prix. Après tout, profiter des vagues hawaiienne ça vaut bien ce sacrifice. Seulement, c’était avant d’apprendre en arrivant sur la plage le jour du tournoi que l’une des autres équipes comptait Matt dans ses rangs. Elle avait croisé son regard en entrant et en même temps que son sourire s’était effacé, la rage de vaincre était apparue parce que si elle ne pouvait pas lui casser la gueule pour ne pas s’abaisser à son niveau, elle pouvait toujours lui mettre sa race au volley et c’est probablement la cause de toute la violence avec laquelle elle a battu toutes les équipes opposées à elle jusqu’à ce que les demi-finales la mettent en compétition direct avec son ancien colocataire. Toute la matinée, elle avait bourlingué, elle avait rattrapé tout ce qu’elle pouvait, insulté qui elle croisait, du pur Lene Adams quand son esprit de compétition s’éveille et elle y avait mis ses tripes et elle comptait en faire autant maintenant que le prochain match allait l’opposer, parce que sûrement qu’elle allait saisir l’occasion de l’humilier et de lui retirer des mains un premier prix qui le botterait autant qu’elle. C’est extrêmement puéril et probablement qu’avec le recul, elle s’en rendra compte mais à ce moment précis, emporter la victoire est tout ce qui compte. « Je ne savais pas qu’ils laissaient participer les amateurs. » Qu’elle balance, nonchalamment alors que leurs deux enveloppes corporelles se croisent au stand de ravitaillement. C’était jamais simple de lui adresser la parole, sauf peut-être pour lui dire des saloperies parce qu’elle avait toujours espoir que ça le blesse un petit peu. « Vous pouvez toujours déclarer forfait, ça t’évitera d’avoir à gérer la déception. » Et elle sait que c’est mal de se vanter, parce que dans le fond, il est aussi bon joueur qu’elle et que les chances sont égales mais elle ne peut vraiment pas s’en empêcher. C’est ça d’être une garce.
J’étais pas venu ici depuis presque 10 ans. La plage qui nous servait du temps où j’étais encore à la fac, où on s’incrustait dans un coin pas tant fréquenté une fois le soir venu. J’me souvenais plus combien de feux de joie on avait fait dans l’angle, là. Combien de bains de minuit Jules s’était vus refuser, combien Maxime avait pu avoir avec la majorité des nanas de la bande à l’époque. « Hawaï, ah ouais, quand même. » le flyer entre les doigts, je constate à nouveau les promesses qu’on nous offre, à peine les pieds dans le sable et le t-shirt retiré. « Y’a le pipeline en plus pendant les dates ouvertes. » c’est Dom, un client régulier du café qui m’a parlé du truc, d’abord. Un tournoi de beach volley sans prétention, différentes équipes à affronter et à la fin, un prix qui m’avait fait briller des tas d’étoiles dans les yeux. Parce qu’Hawaï, c’était le Graal du surfeur, c’était l’apogée, surtout au vue des ondées pas si épatantes ici quand on est loin de la haute saison et qu’on n’a pas particulièrement envie de se claquer de longs kilomètres de route pour trouver de quoi de décent sur lequel laisser sa planche faire des acrobaties. « Me dit pas qu’on aurait enfin des vagues d’adultes. » que je lâche, la voix qui en tremblerait presque. C’est que depuis Londres, je tente de rattraper le temps perdu, je saute sur la moindre occasion d’aller surfer, de reprendre mes marques, de me convaincre que je suis pas si à chier que ça, que j’en ai pas tant reperdu en une décennie et des poussières à m’abstenir. « J’y vais, j’te garde le premier service? » et j’hoche distraitement de la tête, finissant de remplir ma bouteille d’eau, rejoignant les rangs de l’équipe où j’ai de plus en plus le goût de gagner aujourd’hui, si ça veut dire aller simple pour Sunset Beach et l’impression d’être le quatrième personnage principal de Blue Crush pour la peine.
C’est sûr que j’ai une pensée pour Lene, au premier coup donné sur la balle. Parce que je l’ai vu, déjà, à travers les autres joueurs. Et que malgré ce que j’aurais pu penser, j’ai relativement bien géré le truc en hochant de la tête distraitement, baissant les yeux, la laissant faire ses trucs, rushant les miens. Mais aussi, j’pense à elle parce qu’Hawaï, c’était devenu récurrent à un moment, on en parlait, on voulait y aller. On avait presque booké des tickets une fois, y’a longtemps, au tout début de nous. Sur un coup de tête, le sien, et une envie de dégager de Brisbane loin des parents, loin de tout, la mienne. La soirée avait fini d’une façon plus charnelle, j’m’en plains pas, mais j’aurais dû, on aurait dû. Puis, j’y pense plus, je joue, je suis le rythme, je frappe, j’esquive. Y'a quelques moments où le team croit sincèrement qu’il passera pas, mais étonnamment, on se faufile plutôt bien dans les tableaux de scores, on resserre l’esprit d’équipe, y’a même une danse de la victoire qui est inventée sur le fly après notre 5e victoire, quand j’ai relativement oublié de suivre le parcours d’Adams sur les charts, et que j’ignore innocemment que la partie d’après, elle sera décisive - et elle sera contre elle. « Oh damn. » dans ma barbe, quand évidemment, je la vois arriver dans l’angle, que je sais ce que ça signifie. Elle a la rage, elle a l’expression de celle qui se contient, qui garde son énergie que pour me dégommer, que pour me défoncer. Expression qui ne la quitte plus en ma présence depuis bientôt deux ans si je ne m’abuse. « La chance du débutant, sûrement. » à sa pique, je garde mon calme, tend ma carte de joueur à qui de droit, récupère les étampes nécessaires à la suite, laisse un bénévole remplir ma bouteille. Déclarer forfait me tente, sincèrement. Me tirer, laisser à l’un des renforts ma place est alléchant. Parce que je sais ce dont elle est capable, et surtout parce que je lui ai promis de débarrasser de sa vie maintenant. « Ça va c’est cool, j’préfère tenter quand même, au cas où. » pourtant, quelque chose me dit que ce sera pire si je disparais, si j’esquive, et qu’elle m’attendra au tournant ; avec ou sans sa batte de baseball, j’aime mieux pas savoir. « Et puis sinon, ça sera ton cadeau de Noël à l’avance si on perd. » on nous tend les dossards de couleurs différentes à enfiler pour s'afficher pendant le dernier match. J’hausse de l’épaule, prêt à lui souhaiter bonne chance pour vrai, prêt à jouer fairplay quand je suis persuadé qu’elle en fera pas de même. « Tu fraternises avec l’ennemi, Matt? » oh Dom, si tu savais. Le pauvre arrive à notre hauteur la seconde suivante, tout sourire, main tendue.
Le sang qui cogne dans ses tempes n’est que rage de vaincre. C’est tout ce qu’elle sent parcourir son corps et si elle ne se maitrisait pas, il est fort probable qu’elle en explose. Elle s’apprête à jouer le jeu des nations, le sport plutôt que la guerre. En un sens, c’est presque mâture. Si elle n’avait pas profité d’un moment où il se trouve dans son périmètre pour jouer les vipères. Sans surprise, c’est loin dans ses pensées et elle ne se voit pas, mais ça, c’est le genre de comportement qui la fait ressembler de plus en plus à sa sœur. Matt est malin, parce qu’il ne semble pas entrer dans son jeu. Plus que sa présence, c’est à coup sûr cette preuve de maturité par rapport à elle qui finit de l’achever. En même temps, s’il avait fait ce qu’il avait dit, que de se tenir à l’écart, ça se serait mieux passé. « La chance du débutant, sûrement. » Elle esquisse un sourire qui peine à cacher ses humeurs. D’un autre côté, c’est pas le genre de chose qu’elle cacherait à Matt, ça la tue de le savoir, mais il sait mieux que personne ce qui bouillonne là-dessous. Donc, quitte à passer pour une furie, elle ne manque pas d’ajouter cette petite pointe de moquerie dans son sourire. « Ça va c’est cool, j’préfère tenter quand même, au cas où. » Au cas où il emporte son voyage. Là, ce serait la mort. Surtout quand on se rappelle que ça avait été un projet d’aller à Hawaii. Un projet qu’il avait balancé du pied en partant mais elle n’est pas désespérée au point d’amener le sujet sur le tapis. « Et puis sinon, ça sera ton cadeau de Noël à l’avance si on perd. » Il a presque l’air gentil quand il dit ça, les bénévoles choisissant ce moment précis pour leur tendre leur maillot d’équipe, elle se contente de juste le fusiller du regard et récupère par la suite sa bouteille. « Tu fraternises avec l’ennemi, Matt? » C’est un autre mec qui arrive. Un de ses nouveaux amis sans doute. Encore quelqu’un qui se décide à la jouer gentil et tout l’monde est heureux dans la compétition. Elle toise la main qu’il lui tend, croise ses bras. Elle peut être peste et là, elle choisit de l’être sans ménagement puisqu’elle se contente de tourner les talons en marmonnant un « Que le meilleur gagne. » avant de partir rejoindre sa propre équipe. Le match va pouvoir commencer d’une minute à l’autre, elle se tient prête à dégommer tout ce qui sera à sa portée. Tout l’monde se met en place pour le premier set, elle choisit le service. Elle joue depuis ce matin, il ne plus à rien de cacher ses combines et si elle pouvait réussir à écraser la gueule de Matt au passage. « Lene, c’est pas ton ex dans le camps adverse ? » demande Sammy, visiblement à côté de ses pompes depuis le début de la matinée. Elle tente de ne pas trop le tuer du regard, le pauvre garçon n’en a pas l’habitude. « Non. » Qu’elle répond, catégorique avant d’envoyer le ballon dans le camps adverse, de marquer son premier point et d’annoncer officiellement de quel couleur sera la partie.
La conversation sous forme de ping pong verbal empli de maturité et de contenance. Je nous aime pas comme ça, je nous détesterais presque, si je nous voyais de l’extérieur. Si elle et moi on s'installait sur un canapé devant la télé, à voir ce qu’on est devenus avec les années, à quel point je nous en ai fait chier, à quel point elle prend son pied à jouer la vipère avec parcimonie, à ronger son frein parce que je ne suis pas aussi secoué qu’à mon habitude, aussi émotionnel, aussi larmoyant, depuis les derniers mois et/ou du moment où elle est proche. Comme à notre habitude, la blague. Parce que je ne rebondis plus depuis longtemps sur ses critiques pour lui donner de l’eau au moulin et des tas de munitions à se servir contre moi devant mon hilarité presque contagieuse. De base, j’aimais ça quand Lene me piquait, quand Lene se moquait. De base. Avant. Elle se contient, j’en rajoute pas plus, prend ce qu’on me tend, pense déjà à retourner du côté de l’équipe sans avoir la moindre intention de faire plus de vague, de rendre le tout plus difficile, moins léger. Merde, j’allais bien là. Je faisais des progrès, je commençais à peine à prendre mes responsabilités avec Ginny, j’essayais d’avancer, je voyais de nouvelles personnes, et j’avais même passé une soirée complète en duo avec Andy à presque jamais la mentionner à voix haute. On peut pas juste tout oublier, tout ranger, passer à autre chose? À qui je mens. Rien qu’un coup d’oeil vers elle et j’ai la mâchoire qui se serre. Rien que d’entendre sa langue acérée claquer et je flirte entre la hargne et l’intérêt sordide. Je peux au moins le lui donner, si Dom a de suite capté qu’il fallait marcher en douceur quand Lene est dans les parages, elle rend les choses encore plus faciles en refusant sa poignée de main, bras croisés, regard fermé. « Okay, je vous laisse à votre discussion. » en soit, y’a pas grand chose de plus à ajouter, et autant elle que moi finissons par quitter le stand sans un regard de plus, sans un mot additionnel, évidemment. « Ton ex? » qu’il répète le con, maintenant qu’il a entendu ce qui se jacassait de l’autre côté du filet et à qui je fais signe d’une main coupant ma gorge que non, c’est pas le genre de sujet dont on va discuter aujourd’hui. Et que non, c’est certainement pas ce qui va lui assurer de conserver ses couilles intactes jusqu’à la fin de la partie s’il renchérit sur celle dont on ne doit pas prononcer le nom. « Concentre-toi sur le jeu plutôt que sur tes questions. » que je tente avec diplomatie, prenant ma place le plus loin possible de celle qu’a choisie Lene juste parce que comme un con, je me dis que ça va peut-être calmer les ardeurs de Dom, et les interrogations qu’il aligne avec brio pour un type qui avait toujours été particulièrement cool au café et jamais vraiment entreprenant. « Tu lui cèdes pas la victoire, hen? » et un soupir, et mon pied qui grince dans le sable, et le point qu’Adams fait sous nos yeux pendant que je regarde plus du tout la partie, et seulement mon pote avec le regard plus noir encore que ce que j’aurais cru. « On va jouer au mieux et voir ce qu’il en advient. » Matt qui enfile son costume d’adulte me fait particulièrement pitié aujourd’hui. On renvoie le ballon du côté adverse, un lancer part, et Dom décide enfin de pousser son énergie dans un sens un peu plus utile que sur un recap de ma vie amoureuse éclatée. Échange de bons procédés, et plus vite que je ne le pense, l’arbitre confirme qu’on est de retour dans le jeu d’un « Point! » qui s’aligne à côté de notre nom, au tableau des scores. J’hoche de la tête avec assurance, file à l’avant avec les joueurs rapprochés, laisse mon regard suivre la balle, évite quelques coups, reprend mes marques. « Peu importe vos querelles, si ça pouvait pas nous empêcher de partir pour Hawaï... » qu’il râle, qu’il est stupide aussi. Et qu’il est tout proche du filet, à peine à un mètre de Lene, et que c'est bien sûr qu'elle a dû entendre, et que ça risque de partir en vrille dans 3...2...1... Lene, que je crains plus encore que bien des fois. Parce qu’Hawaï c’est elle et moi de base, et ça, j’peux juste pas. Juste plus.
D’avoir placé Matt dans l’équipe adverse est un très bon incitatif à ce que Lene laisse exprimer toute la violence qui l’habite. En un sens, elle aurait du mal à trouver meilleur exutoire, parce que même la tronche de sa sœur ne produit pas cet effet. Si c’était la rage de vaincre qui l’avait fait mener son équipe jusque-là, c’est la rage tout court qui l’habite et ce n’est pas sûr et certain que ce soit la solution. Elle éructe à chaque rendu de balle, elle tient difficilement en place et c’est un regard mauvais qu’elle lance à l’arbitre à chaque fois où celui ose compter un point supplémentaire à l’équipe adverse. Certaines personnes de son équipe prononcerait presque le mot agressive pour qualifier son attitude afin qu’elle ne se calme, mais ça ils n’osent pas parce que son regard noir est bien trop intimidant. « Peu importe vos querelles, si ça pouvait pas nous empêcher de partir pour Hawaï... » Qu’elle entend la mi-temps et ça l’agite un peu plus, à croire que c’est fait exprès cette mention d’Hawaii comme un parfait détonateur à la bombe qu’elle incarne. Parce que Hawaii, ça sera jamais sans elle et qu’il ne mérite pas de réaliser un rêve qui fût le leur avant qu’elle ne le fasse. Finalement, ce billet, c’est même plus ce qui compte dans cette partie. Ce qui importe à ses yeux, c’est qu’il ne l’ait pas et on peut dire que c’est un sacré coup de fouet, parce qu’au prochain service, c’est un boulet de canon qu’elle envoie de l’autre côté du terrain. Et les sets finissent par s’enchainer, les équipes marquent leur point et le score augmente d’un côté comme d’un autre. C’est le sifflet de l’arbitre qui ordonne une dernière mi-temps et Sammy qui s’inquiète un peu, d’un côté comme de l’autre, on sent les joueurs à cran de ce match et tout, il observe que c’est peut-être un peu sa faute. « Lene ? Tu ne crois pas que tu devrais peut-être y aller un peu doucement ? T’as l’air déconcentrée ... » Malheureux. Oser pointer l’attitude puérile de Lene. Il ne sait pas où il fout ses pieds et en tout réponse, il n’obtient qu’un regard plus noir encore que celui qu’elle lançait avant qu’il n’ouvre la bouche. « Je ne vois pas de quoi tu parles, tu t’plaignais pas pendant qu’on écrasait les autres équipes. » Sa remarque lui cloue le bec et de toute manière la conversation ne peut pas continuer, puisque l’arbitre sonne la reprise du match. C’est à l’autre d’entamer le service et alors qu’elle se tient prête à renvoyer la balle dans le camp adverse, Sammy se sent obligé de formuler une requête à haute voix. « Lene, tranquille… » Des fois qu’elle agresserait encore les autres. Mais, elle n’a pas le temps de l’envoyer chier, ni même de grimper encore dans l’agacement parce que le service de l’autre équipe, il a fondu droit sur elle et parce que Sammy avait ouvert sa bouche, elle avait tourné la tête vers lui, le ballon a atteint sa cible sans qu’elle ne puisse le renvoyer et alors qu’elle touche le sol, c’est un nouveau coup de sifflet interrompant le match qui retentit. Lene ne se lève pas et c’est l’équipe de soins qui l’entoure alors qu’elle prend à peine conscience d’avoir été assommée, son visage lui fait mal, les mots n’arrivent pas à être audible pour qu’on la laisse tranquille alors elle se contente de grogner pour faire savoir qu’elle veut la paix, sans succès puisqu’on l’amène à l’infirmerie, tandis que quelqu’un vient prendre sa place sur le terrain.
Et je jure que je fais au mieux, pour ignorer tout ce qui se dit, ce qui se trame. Que je la regarde pas, que je joue, seulement, que je fixe le ballon et m’assure de pas manquer une passe, d’aligner les coups corrects. Le pointage flirte dangereusement d’un côté comme de l’autre, et j’imagine que c’est ce qui rend le moral compétitif à même les équipes. On voit le tableau qui est décoré au ralenti, on voit les participants qui prennent à coeur leurs mouvements, on voit les quelques autres joueurs traîner autour de nous maintenant qu’on forme les finalistes, les adversaires, les potentiels gagnants d’un voyage tous frais payés pour Hawaii la seule et l’unique. « Ouais, t’as bien fait de te la jouer cool. » que Dom ajoute, voyant tout comme moi la scène qui se joue sous nos yeux, Lene qui s’emporte, Lene qui rage, et le ballon qu’on envoie de son côté sans oublier de bien charger, le contact la fichant au sol. Silence dans l’assistance, tous les regards sont rivés sur elle et bien sûr, j’ai pas besoin de même penser me faire violence pour me joindre au peloton, me poster derrière le filet, tenter comme un con de voir à travers les silhouettes si elle est entre bonnes mains ou si on la fait juste strictement chier à rester dans sa bulle comme ça. Elle doit fulminer, elle doit bouillir. Des dos qui me la cachent, ma question rhétorique qui vole un peu à n’importe qui. « Ils l’ont emmenée à l’infirmerie? » « Bah clairement. » comme si c’était évident, ce que je sais bien, mais j’ai besoin de concret, j’ai besoin de savoir qu’Adams est okay et que l’infirmerie c’est qu’une procédure, que c’est qu’une connerie parce qu’elle n’a eu qu’un coup, que c’est rien, qu’elle a déjà vécu pire, que ça, elle leur rigole à la gueule, elle râle surtout. « Matt? » mais je réponds pas, à son empressement. Mes prunelles sont rivées sur l’arbitre qui annonce une pause, et l’instant d’après, je pars comme un idiot de première, prévisible au possible.
« Si c’est comme dans les films nuls de fin d’après-midi, t’as perdu la mémoire et j’ai carte blanche pour te convaincre que je suis pas un idiot fini qui a pas du tout sa place ici? » que je tente, cognant à la porte de fortune du petit bâtiment en retrait abritant les toilettes, les vestiaires, et ce qui semble être l’infirmerie pour aujourd’hui. Lene est seule, pas une trace d’âme qui vive ou de qui que ce soit dans le coin, et j’ignore si c’est bon signe ou pas, qu’il n’y ait aucun témoin à portée de main. « Je savais pas si t’allais avoir faim ou soif ou pas du tout, alors j’ai tout pris ce qu’ils avaient au kiosque. » tendant les vivres que j’ai raflés aux tables dédiés à nous nourrir et nous abreuver, j’étale le tout sur la table face à elle, piquant une pomme parmi le stash de snacks sucrés et salés qui s’offre à elle. « Ça s'est fini en match nul, égalité. Ils veulent qu’on reprenne en manche décisive dans une vingtaine de minutes. » et je résume ce qui selon moi est important, ce qui risque de la faire guérir plus vite encore que ce que n’importe quel bilan de santé boboche pourrait dégager sur elle. Un bref coup d’oeil et je ne vois que quelques rougeurs, même pas de sang, des bleus tout au plus, et une impression qu’elle est encore tout de même sonnée par le coup. « T’as le temps de recharger tes batteries d’ici là? » que je blague, presque prudent, me disant qu’une vanne ainsi lancée serait une bonne façon qu’elle reprenne contenance et retourne sur le terrain dans l’espoir de dégommer tout le monde - et moi le premier. « Ou juste me voir t’enrage suffisamment pour reprendre les services sanguinaires? » ce qui me semble être aussi une option valide.
Le choc fait mal. Probablement parce qu’elle ne s’attendait pas à recevoir un ballon dans la tronche et que bien que le sol soit fait de sable, ça ne l’a pas empêché de tomber très mal. C’est parce que l’entièreté de son visage l’a fait souffrir qu’elle ne répond pas aux multiples questions qui lui sont posées. Elle grogne en espérant avec le peu de neurone qu’elle a apte à réfléchir plus qu’à se préoccuper de la douleur que bientôt tout l’monde captera qu’elle ne répondra à rien et qu’il vaut mieux lui foutre la paix un instant, sous peine qu’elle trouve la force de broyer la première trachée qui se présente à elle avec sa main vacante, celle qui n’est pas portée à son visage à tenter de lui savoir si elle peut encore le sentir. Le calme revient qu’on arrive à la déposer dans une infirmerie de fortune où une nana lui glisse qu’elle revient vite après lui avoir collé un sac de glace sur le visage que Lene compresse fort en espérant que ça anesthésiera la douleur. Ce n’est pas un remède magique, mais ça fait le taff et tant qu’on lui fout la paix avec ce qu’il vient de se passer, elle n’a pas à se plaindre. Seulement, chez elle, la quiétude est toujours de courte durée et alors qu’elle s’apprête à recevoir Sammy, désireux de savoir si elle viendra finir la partie, c’est un autre énergumène qui se pointe à la porte. Lui, elle aurait du tenir un pari qu’il n’allait pas résister au besoin de venir l’emmerder un peu plus, comme si elle n’était pas déjà assez pissed. «Si c’est comme dans les films nuls de fin d’après-midi, t’as perdu la mémoire et j’ai carte blanche pour te convaincre que je suis pas un idiot fini qui a pas du tout sa place ici ?» Elle prend une grand inspiration, assez lourde pour être une réponse que non, elle n’a pas perdu la mémoire et que oui, il lui casse déjà les pieds. Maintenant, ne reste à savoir si c’est sa curiosité à se mêler des affaires des autres qui l’a amené là, ou si c’est le besoin de se vanter de la victoire approchante maintenant qu’elle est manifestement sur le banc de touche. « Je savais pas si t’allais avoir faim ou soif ou pas du tout, alors j’ai tout pris ce qu’ils avaient au kiosque. » Elle lui jette un regard désabusé. Pourquoi faut-il toujours qu’il se sente obligé de ramener de la bouffe ? Elle sait, parce qu’autrement, il n’aurait rien à dire et qu’il tente de justifier sa présence par une action totalement inutile. « J’ai une tête à avoir faim ? » Qu’elle ronchonne, la sac de glace qu’elle remet en place après s’être rendu qu’articuler des mots, ça la gêne. Rien qu’aux sensations, elle sent déjà l’hématome en train de se former autour de son œil. Si ce n’est que ça, elle sait qu’elle se tirera bientôt. « Ça s'est fini en match nul, égalité. Ils veulent qu’on reprenne en manche décisive dans une vingtaine de minutes. » Et pourquoi ressent-il l’envie de lui partager cette information ? Elle n’est pas stupide, elle connait le niveau de sa team et aussi, elle a l’égo de se dire que sans elle, ils ne vont pas redresser la barre. C’était son instinct de tueuse qui l’avait porté là. Maintenant, elle n’avait qu’à espérer qu’une autre équipe batte celle de Matt. De savoir que lui est parti à Hawai lui foutrait trop les boules. Même si dans les faits, payer le voyage n’est même plus un problème. « T’as le temps de recharger tes batteries d’ici là? » Question stupide à laquelle elle répond en lui offrant un regard désabusé, pointant son idiotie au passage. Elle est allongée sur un lit d’infirmerie avec comme moyen de survie, une poche de glace. Non, elle ne reviendra pas. « Ou juste me voir t’enrage suffisamment pour reprendre les services sanguinaires? » Qu’il ajoute, avant d’être coupé par la nana qui revient pour répondre à sa question. « Il est hors de question qu’elle y remette les pieds, elle s’est foulée la cheville en tombant. » Et c’est un grognement de douleur que Lene lâche au moment où son infirmière plaque sur sa seconde blessure une deuxième poche de glace. Cette dernière repart à nouveau, prétextant d’avoir à gérer d’autres bobos et que pour Lene, de toute façon, il ne reste qu’à attendre avant qu’on vienne la chercher. A nouveau, il ne reste que elle et Matt, et alors qu’elle se redresse pour reprendre un peu de contenance. Elle a déjà bien assez honte de s’être pris un ballon dans la gueule comme ça, elle demande. « Pourquoi t’es là en fait ? » Pure rhétorique, parce qu’elle n’attend pas de réelles réponses. Elle sait que c’est vital chez lui d’accourir pour jouer au samaritain. Dommage que son tic de présence imposé soit apparu au moment où ça n’était plus attendu de lui. « Tu cherches quoi ? A me provoquer ? À me foutre hors de mes gonds ? » Parce que merde, il vient clairement de lui être expliqué qu’il vient de l’emporter cette manche. Elle est trop épuisée pour se battre à avoir le dernier mort aujourd’hui. « Va juste gagner ton billet d’avion et fout moi la paix. »
À la seconde où je passe le semblant de porte de l’infirmerie aménagée pour la journée, je sais avec conviction que ça sera pas facile, que ça sera chiant, que j’ai pas du tout affaire là mais que mon satané gène protecteur se charge de me le faire momentanément oublier. Elle est loin l’époque où les joutes verbales avec Lene se terminaient avec les éclats de rire de deux idiots amoureux. Elle est envolée l’ère où ses regards étaient pas juste emplis de couteaux prêts à me trancher la gorge dans 44 angles différents et encore, ça c’était même dans une seule seconde. Elle est dos à moi lorsque je passe l’allée, elle m’a pas entendu ou alors elle fait comme si j’existais pas. Comme je lui ai promis depuis la dernière fois de toute manière. T’avais pas dit que tu allais dégager de sa vue, de sa vie, et qu’on entendrait plus jamais parler de Matt McGrath et de sa moue défaitiste pas crédible, affairé à errer aux côtés d’Adams dans l’espoir que l’avant reprenne la place du maintenant? T’es pathétique Matt, pathétique. « Hey oh, j’viens en paix. » ses piques volent directement mon pied posé, mes iris qui la trouvent, et bien con bien idiot je lève les paumes en l’air en signe de drapeau blanc. Encore heureux qu’il n’y ait pas de vrai drapeau à la clé, elle l’aurait probablement utilisé pour m’étrangler d’un geste sec et définitif. « Il est hors de question qu’elle y remette les pieds, elle s’est foulée la cheville en tombant. » ce qui semble être l’infirmière s’occupant du cas de Lene arrive sur l’entrefaite, les bonnes nouvelles qu’elle annonce pas du tout et le paquet de chips délaissé par la brune que j’ai piqué le temps de grignoter mes émotions et mon malaise comme un grand enfant de 33 ans. « Et vous avez des béquilles, un truc pour qu’elle ait pas à passer le reste de la journée ici à se tourner les pouces? » mon ton est pas du tout agressif, au contraire, il contrebalance avec les soupirs que je dénote chez la blessée, et que je tente de cacher d’un sourire confiant et d’une politesse qu’on m’a apprise depuis tout jeune. Parce que c’était bien connu que plus on faisait chier les gens du service, plus ils nous faisaient chier en retour. Elle secoue la tête désolée, montrant d’un signe l’endroit qui, je le comprends rapidement, a été organisé sur le volet sans vraiment de ressources pour dépanner, que quelques pansements et alcool à friction. Sentant probablement que si elle reste ici elle finira prise dans les tranchées, victime du cross fire, la gamine au dossard marqué sécurité se tire dès qu’on la quitte des yeux, et le silence de glace reprend sa place comme à l’habitude. Silence qui a été précédé par un râle de Lene que j’ai pas du tout aimé pendant son examen et changement de glace, qui m’a filé des frissons et une tension pas tant cool dans la mâchoire, sachant très bien que si je fais un seul pas dans sa direction, ses cris seront pas pour sa blessure, mais pour annoncer son attaque sur ma personne.
« Y’avaient pas de sucettes au stand de bouffe, je me suis dis qu’ici je pourrais gratter les réserves des infirmiers. » évidemment que le motif est tout autre, qu’elle le sait autant que moi, que ses mots accusateurs ont même pas besoin d’être sous-entendus pour qu’on sache tous les deux que je suis ici parce que je suis une cause perdue. Parce que je peux pas concevoir qu’elle soit seule quand elle ait mal en solo. Parce qu’aussi peu nécessaire je peux être dans l’instant, autant je me verrais pas à être nulle part ailleurs. La provoquer que Lene propose comme bonne raison, logique. Je roule des yeux, gobe une croustille, mâche longuement. « J’pense que ce volet est déjà couvert depuis ton premier service. » de nous deux, c’est bien elle qui a rendu le tout particulièrement ardu aujourd’hui, et si elle ne s’était pas enflammée au point d’en devenir dangereuse, on serait pas là à avoir cette conversation, avec son mollet qui continue à enfler devant un regard que je tente de retenir de trop y descendre, de trop s’en inquiéter. Puis, je me pose sur une chaise dans l’angle, à la seconde où elle insiste pour que je la laisse, pour que je retourne sur le terrain, pour que je participe à amener la victoire en bonne et dûe forme. « Alors, t’avoues que notre équipe était meilleure que la tienne? » si j’étais pas persuadé que Lene était à une distance sécuritaire de moi et que le simple fait de bouger sa jambe lui ferait un mal de chien, jamais j’aurais osé. Mais voilà, I did. « Je suis juste venu pour m’assurer que tu étais okay. » pas de surprise ici, c’est l’évidence. Et plus je me cale dans mon assise, plus je prends mes aises, plus je calme le jeu. « C’est pas une déclaration de guerre, c’est juste un friendly checkup. » friendly, ah ouais. Parce que ça aussi, je doute que ce soit encore possible. Lene et moi potes, après tout ça? Ahaha. J’y croyais autant que je croyais au messie. « Le match reprend. Vous pouvez l’aider à aller s’installer dans les gradins si elle veut voir. » la voix de l’infirmière qui repasse par l’embrasure, qui annonce la suite, qui profite d’un moment d’accalmie pour rejeter de l’huile sur le feu et se la jouer fuite à l’anglaise la minute suivante. Sympa, vraiment sympa. « J’préfère les laisser décider qui gagnera plutôt. T’as déjà sacrifié une cheville, on va faire gaffe à celle qui te reste. » d’un haussement d’épaules, je finis les croustilles l’air niais. C’est pas vrai que je vais tiquer sur Hawaï, et sur le désir profond qui est encore bien ancré de partir rien qu’avec elle, comme ça a toujours été prévu. T’es con Matt, don’t go there.
« Hey oh, j’viens en paix. » Qu’il clame, les deux bras levés aussitôt qu’elle sort sa première attaque. Evidemment qu’il allait venir la voir. Evidemment que sa foutue curiosité allait le pousser à venir voir ce qu’il se passe, à lui imposer sa vue comme si elle en avait besoin à cette instant précis. Et évidemment qu’elle allait l’attaquer verbalement, parce que de toutes façon, elle ne sait plus lui parler normalement, elle ne sait que lui cracher des saloperies au visage et qu’elle n’a pas envie d’y remédier. Bien plus que l’agacement de s’être fait mettre à terre alors qu’elle était prête à l’emporter en vient également la colère – et la honte – qu’il ait fallu qu’une telle tuile se déroule devant ses yeux. Pourquoi l’univers ne la laisse pas faire la forte quand elle a besoin de ne laisser aucun doute sur les faiblesses qu’elle pourrait laisser paraître. Elle ronchonne de façon inaudible quand il demande si elle sera prête à revenir sur le terrain. Elle ne lui répond pas clairement d’aller se faire voir mais l’envie de lui manque pas et heureusement pour les décibels du lieu, c’est l’infirmière improvisée de la journée qui vient mettre son grain de sel dans la conversation, apportant une réponse à Matt et retirant à Lene l’effort d’avoir à la verbaliser. « Et vous avez des béquilles, un truc pour qu’elle n’ait pas à passer le reste de la journée ici à se tourner les pouces? » Elle lève les yeux au ciel. Qu’est-ce qu’il lui dit qu’elle a envie de revenir dans les gradins ? D’où il assume qu’elle a l’intention de venir l’observer lui et son équipe mettre la pâté à la sienne maintenant qu’elle n’est plus là pour garder le terrain ? Et le pire dans tout ça, c’est que même en refusant à haute voix, on perçoit qu’elle l’a mauvaise et qu’elle se sent humiliée. L’infirmière fait le geste d’être désolée, visiblement, les béquilles n’ont pas été prévu pour la journée. « Contentez-vous de bander ma cheville avant qu’elle n’explose à faire d’enfler. » affirme Lene, lasse, avant de s’en prendre à nouveau à Matt et de lui demander ce qu’il peut bien continuer à foutre là.
« Y’avaient pas de sucettes au stand de bouffe, je me suis dis qu’ici je pourrais gratter les réserves des infirmiers. » C’est peut-être le pire dans tout ça, ce qui l’énerve le plus c’est qu’il se permet de se payer sa tronche en plus. De jouer le petit con qui répond à côté et ça a de quoi la foutre hors d’elle, parce qu’il n’a plus le droit d’être comme ça. « J’pense que ce volet est déjà couvert depuis ton premier service. » Il prend ses aises. Elle n’ajoute rien. Elle essaie d’avoir la maturité de se dire que plus elle parlera, plus il s’imposera et que la clé de son salut, ce serait qu’elle ne le calcule même plus jusqu’à ce qu’il se lasse. C’est tout de même un comble pour quelqu’un qui est parti aussi facilement de ne pas comprendre quand on ne veut plus de lui. « Alors, t’avoues que notre équipe était meilleure que la tienne? » Ses yeux se révulsent. Il n’en faut pas plus pour que le sang lui monte aux tempes et pour que son visage affiche clairement une envie de lui sauter à la gorge. C’est peut-être pour ça qu’il reste, parce qu’il sait qu’il pourra lui dire toute les saloperies qu’il veut, elle n’aura pas d’autres choix que de rester clouée à ce lit à l’écouter. « Je suis juste venu pour m’assurer que tu étais okay. » Même si ses propos peuvent être légitime, ça n’efface pas le regard de tueuse qu’elle lui lance à cet instant précis. « C’est pas une déclaration de guerre, c’est juste un friendly checkup. » « On est pas amis. » La réponse se fait rapide, sèche et aussi tranchante que les services qu’elle envoyait un peu plus tôt pendant le match. Elle a les joues rouges parce qu’elle bouillonne, parce qu’elle a juste envie de l’engueuler jusqu’à détruire en lui chaque raison qui lui donne encore de se lever le matin, parce que ça la bute juste qu’il ait encore l’énergie de la chercher alors qu’elle est juste lasse de cette situation. Elle se mord l’intérieur de la joue, de sorte à faire descendre la température dans sa tête. « Le match reprend. Vous pouvez l’aider à aller s’installer dans les gradins si elle veut voir. » ajoute l’infirmière, qui est extrêmement chanceuse parce que si Lene avait eu un objet à balancer à la gueule de quelqu’un, ça aurait probablement été pour elle. « Pas la peine. Je vais appeler quelqu’un pour qu’on vienne me chercher. » Bien qu’elle n’ait pas spécialement envie d’avoir à appeler « J’préfère les laisser décider qui gagnera plutôt. T’as déjà sacrifié une cheville, on va faire gaffe à celle qui te reste. » Qu’il répond, en poursuivant sa dégustation de son foutu paquet de chips. Et elle n’en perd pas une miette tandis qu’il le mange parce que là, ce qui la garde calme, c’est le doux rêve de pouvoir le lui coller au fond de sa gorge. « Je ne t’ai rien demandé. » Parce que c’est vrai, elle n’a pas besoin qu’il reste à ses côtés à attendre qu’on lui strap la cheville. Replaçant sur son visage la glace sensé éviter que son hématome ne prenne trop de place. « Sérieusement Matt, retourne jouer ! Tu n’as pas compris que ta présence ne fait qu’empirer les choses ? » Et c’est une première parce qu’elle montre vraiment un signe de faiblesse, qu’elle en peut plus d’être à deux doigts d’exploser dès qu’il est dans les parages, que ça l’énerve encore plus qu’il soit nonchalant comme ça, comme si de rien était alors qu’elle arrive simplement pas à décolérer de tout ce qui fait qu’il en sont là aujourd’hui
« On est pas amis. » bien sûr qu’on n'est pas amis et qu’à la première occasion qu’elle a de le crier sur tous les toits, faut qu’elle la prenne. Mais je dis rien, j’ai rien à dire de toute façon, qu’est-ce que je pourrais logiquement ajouter à une situation déjà vue et revue, jouée et surjouée d’avance? Évidemment que mes intentions sont mauvaises selon la Adams, que je suis le démon en personne, que Lene passe toute sa rage sur moi par défaut, par automatisme, une vraie naturelle. L’infirmière prise entre nous deux se charge de quelques banalités, des regards par-dessus son épaule que je ne douterais même pas avoir été dédiés à faire un checkup que rien de tranchant ou de dangereux ne soit à proximité de l’instigatrice de toute cette vague d’acide, commentaires acerbes à mon égard. Le silence entrecoupé de mes remarques, tentant de la faire parler, de passer le temps, de la distraire même, auxquelles un simple silence et une lassitude bien sentie qui transpire de tous les pores de sa peau suffisent à me faire comprendre que sans surprise, je ne suis pas du tout le bienvenu ici. Force est d’admettre que comme d’habitude, j’ai été con sur toute la ligne la concernant, que je continue de l’être, et que peu importe le nombre de croustilles ingurgitées, peu importe les vannes lancées, les piques reçues, n’en reste qu’« On est pas amis. » et qu’on ne le sera probablement plus. Grow up, let go Matt. « J’ai pas pensé à mal, il serait peut-être temps que tu le vois. » et mon ton est étrangement plus calme que mes intentions, un brin blasé semble-t-il. Fallait pas oublier que presque deux années entières s'étaient écoulées depuis mon retour à Brisbane, depuis mes essais répétés, et fût un temps quotidiens, de lui montrer mes bonnes intentions, de tenter de recoller ce qui était à mon sens potentiellement recollable. La blague. « Parce que ça va de prendre mes torts, je les prends tous, ils sont tous à moi, c’est beau, je capte. » l’impression de lui servir un discours qu’elle n'écoutera même pas, duquel elle se fout, comme tout ce que je peux bien lui dire. Alors pourquoi tu restes, pourquoi tu t’acharnes, pourquoi, sérieusement? Y’avait des tas d’autres trucs que je pouvais faire, d’endroits où je pouvais être. Y’avait Hawaï à la clé, le café, les potes, Jill et Levi, Maze et Dean. Y’avait tout un monde dehors, et je m’accrochais encore et toujours les pieds ici. Avec elle.
« Ça n’empêche pas que amis ou pas, je voulais juste être sûr que tu étais okay. » la base, la logique. Quiconque me connaissait savait que ça venait avec le full package de celui qui s’inquiète trop et souvent, de celui qui se met le nez là où il devrait pas par strict espoir d’être utile, de bonne aide. « C’est pas parce que j’ai pas été là avant que ça va recommencer. » le paquet de chips se termine doucement sous mon courroux, le sac que je replis d’un crissement sous le regard de la brune, que je jette dans la poubelle à proximité sans détacher mes prunelles des siennes. « C’est pas parce que j’ai peur comme un con que malgré ta cheville en compote tu te lèves pour me trucider à la moindre phrase que j’articule que je vais pas venir m’assurer que tu sois correcte. » soyons honnêtes, blessée ou pas, elle aurait toute la force et tout l’élan d’un bon crochet du droit pour me coller avec véhémence exactement là où elle me veut, c’est à dire au sol, à la supplier de me laisser une chance quand elle s’en casserait les os rien que pour broyer les miens. « J’peux téléphoner à Andy si tu veux qu’il vienne te chercher. » et j’esquisse un mouvement, me relève de mon siège, estimant que c’est dit, que c’est fait. Elle n’a plus besoin d’être là apparemment, son bandage est terminé, elle peut désormais filer et on n’en parle plus. « Et sinon, je pars de toute façon. J’peux aller te reconduire aussi, si tu ravales tes rancunes vieilles de 10 ans le temps de 15 minutes. » menton haut, et prunelles qui étonnement ne se détournent pas, n’en ont pas envie. Lene fera bien ce qu’elle veut de mon offre, elle me crachera même au visage que j’anticipe, presque détaché. À un moment, faut apprendre à faire son deuil, à lâcher prise. Et lentement mais sûrement, j’y arrive.
« J’ai pas pensé à mal, il serait peut-être temps que tu le vois. » Non, bien sûr que non. Matt ne pense jamais à mal. Il a juste tendance à imposer sa pensée sans même réfléchir à ce que les autres veulent. Il est juste incapable de se poser deux secondes pour se mettre dans les pattes des autres afin de comprendre leur ressenti, son comportement transcrit que les seuls yeux avec lesquels il faut prendre une situation en compte sont les siens, rien d’autres. Matt, l’altruiste. Matt, celui qui fait tout pour aider les autres. Même quand ils n’ont demandé. Comme là, avec elle. Un comportement dont sa sœur en dirait plus que Lene et une pensée qu’elle tait tandis qu’il continue dans son parfait rôle de gentil. Parce que, c’est de ça dont il semble être question à ce moment précis : au fait qu’il soit gentil et qu’elle soit la peste qui ne veut pas de lui dans les parages. Elle est la capricieuse. Elle a compris. « Parce que ça va de prendre mes torts, je les prends tous, ils sont tous à moi, c’est beau, je capte. » Pauvre petit qui a eu le déplaisir d'être mis face aux conséquences de ses actes. Et elle le défi du regard d’oser prétendre que cette situation, là, aujourd’hui, est de sa faute à elle. (Enfin, la situation entre eux. Evidemment que d’avoir pris un ballon dans la gueule, elle se l’est apporté sur elle-même. « Ça n’empêche pas que amis ou pas, je voulais juste être sûr que tu étais okay. » C’est qu’il va la faire pleurer … Peut-être qu’il parvient néanmoins à la faire culpabiliser d’être exécrable, de ne pas au moins faire semblant que tout va bien. Peut-être qu’elle a cette pensée de se dire que c'est sincère. Peut-être se dit-elle qu’elle devrait se sentir touchée d’autant d’égard qu’il ait voulu la voir alors qu’il avait promis de sortir de sa vie. Peut-être même que dans le fond, une part d’elle était heureuse de respirer le même air que lui et qu'elle devrait passer à autre chose. Seulement, chez Lene la fierté dicte tout et elle est simplement incapable de rester là à l’observer à jouer les gars chill alors qu’il y’a cette histoire entre eux qui n’est pas fini. « C’est pas parce que j’ai pas été là avant que ça va recommencer. » Ce n’est pas le moment qu’elle dirait de parler de ça, pas alors que l’infirmière lui bande enfin la cheville. « C’est pas parce que j’ai peur comme un con que malgré ta cheville en compote tu te lèves pour me trucider à la moindre phrase que j’articule que je vais pas venir m’assurer que tu sois correcte. » Elle panique légèrement à l’intérieur parce que son discours arrive à l’émouvoir un tantinet et qu’elle sent qu’il est un peu sincère quelque part, que ses actions vont dans le sens de sa déclaration d’il y’a plusieurs mois et qu'il ne doit pas se fotre de sa gueule autant qu'elle le croit. La fatigue qu’elle ressentait plus tôt à l’idée de se battre est la porte par laquelle son message à lui semble passer. Elle se dirait presque d’essayer d’être plus sympa, d'être adulte. « J’peux téléphoner à Andy si tu veux qu’il vienne te chercher. » Qu’il propose tout en se relevant, elle ne dit rien et il ajoute « Et sinon, je pars de toute façon. J’peux aller te reconduire aussi, si tu ravales tes rancunes vieilles de 10 ans le temps de 15 minutes. » Et là, c’est le moment où tout l’attendrissement qu’elle avait pu ressentir en l’écoutant tombe. Ça lui fait l’effet d’un poisson d’avril où elle se réveille en s’disant qu’elle est sacrément conne. Le déclencheur : Ses « vieilles rancunes de dix ans », prononcé avec un dédain qui a eu vite fait de gommer l’expression sur son visage et toute la remise en question sur son comportement. C’est également une énième aiguille qui se plante dans sa poitrine au moment où les mots lui parvient. C’est douloureux. Parce qu’après tout ce qu’elle lui a dit. Après toutes ses tentatives de lui faire comprendre la portée de ses actes. Après tout ce qu’elle a tenté de dire ou de faire pour lui faire prendre conscience que tant qu’il ne prendra pas au sérieux ses actes, elle sera incapable d’imaginer un « comme avant » à ses côtés. Il continue d’en parler comme si tout n’était qu’un caprice de sa part, comme si c'était ridicule qu'elle s'accroche à cette peine. A ce moment précis, elle baisse juste les bras. Depuis son retour, elle lui a donné assez de temps pour comprendre. « C’est fascinant, la façon dont tu arrives à te persuader que tu fais ce qu’il faut. » Elle reprend contenance. Sa mention de ses « rancunes » n’ont pas manqué de lui filer un coup mais Lene se refuse à montrer quoi que ce soit. Après tout, n’avait-il pas dit un jour qu’il admirait cette force. « J’admire, parce que je te promet que j’ai failli me poser la question si j’y allais pas trop fort avec toi, si j’étais pas un peu injuste. » Elle est clairement dégoûtée, elle tente l’humour et de toute façon, maintenant que l’infirmière est partie, elle peut poursuivre. Il semblerait que cela devienne une habitude, qu’ils se quittent après qu’elle lui crache une vérité au visage.« Mais le truc avec toi, c’est que tu es là quand c’est facile. » Oui, parce qu’aujourd’hui, ça n’avait rien de compliqué que de se pointer pendant qu’elle attendait des soins, il était sur place, sans rien à faire. Ce n’était pas à lui de prendre en charge sa douleur, ce n’était que physique, qu’une simple cheville enflée, le genre de douleur que l’on voit naître. On voit le gonflement et les rougeurs, c'est enfantin de s'apercevoir que la personne a mal « C’est facile de rappliquer dans une infirmerie avec un tas de chose à manger en pensant être du meilleur réconfort. J’imagine que dans ta tête, il faut absolument que je te dise merci pour être venu m’apporter ta présence et ton intérêt dans ce moment fort pénible à vivre. » Mais en revanche, c’était plus difficile d’être là quand les blessures sont plus indécelable. Cela demande du temps, de l’observation et de ne pas être entièrement concentré sur ses propres problèmes pour apercevoir quelqu’un qui vit mal, quelqu’un qui a quelque chose sur la patate qui ne veut pas sortir, quelqu'un qui attend quelques mots pour que ça aille mieux. « C’est facile de s’inquiéter maintenant. » Quand le bobo est facilement décelable. « C’est facile de se donner bonne conscience maintenant. » Maintenant qu’il devrait y avoir prescription sur « ses vieilles rancunes ». Maintenant que c’est elle qui peut passer pour la folle pour quelque chose que tout le monde a oublié.
Et je la regarde, je la fixe, j’en peux plus de connaître son visage par coeur, de le voir se transformer, se tétaniser. Évidemment que je joue avec le feu à la piquer, à me prendre à son propre jeu. On en sortira pas vivant si je presse, si je fais pas un adulte de moi, si je prends pas le moindrement mes responsabilités, si je dégage pas pendant qu’il est encore temps. J’ai envie, j’ai tellement le goût, de juste jeter l’éponge, de lui souhaiter une bonne vie, être persuadé qu’elle écoutera même pas, changera de disque, celui où je suis mort et enterré à la seconde où je quitte l’infirmerie aménagée pour aujourd’hui. Mais sa voix est pas pareille, son ton est différent, Lene est épuisée, Lene a mal et c’est ma faute, c’est encore et toujours ma faute, je percute comme à l’habitude, je la déteste presque autant que je me déteste de voir que même après tout ce temps, j’arrive à merder monumentalement du moment où elle est impliquée, où elle est dans les parages. Comment j’avais pu l’aimer comme un malade et la mettre dans cet état, comment est-ce que je pouvais l’aimer encore à ce point et finir par multiplier les conneries par dépit, par jeu d'ego, par passé mal placé. L’infirmière quitte sous le malaise et sous les attaques, elle assiste en partie à mes paroles, à peine à celles de Lene. Y’a les esprits qui s’échauffent, puis y’a Adams qui crache, qui casse, qui pique exactement là où ça fait mal, qui me renvoie un coup du revers bien plus violent et sanguinaire que ceux qu’elle alignait sur le terrain de volley une vie plus tôt. « C’est facile de s’inquiéter maintenant. C’est facile de se donner bonne conscience maintenant. » « C’est tout ce que j’ai, c’est tout ce qui me reste. Maintenant. » que je renchéris sur le même ton qu’elle, à bout de souffle sans savoir pourquoi vraiment. Parce que j’aurais bien beau vouloir retourner dans le passé, parce que j’aurais une liste complète de tout ce que je ferais différemment, mieux, autrement, que je ferais à plein ou pas du tout. Mais ça sert à rien, c’est réglé, bouclé, et c’est avec les dommages collatéraux qu’on doit vivre désormais. « Ça, et des excuses. J’ai des heures et des heures d’excuses pour chaque fois où j’ai été un connard, et tu sais autant que moi qu’en dix ans, j’ai battu des records. » un léger rire nerveux casse mes paroles, immobile, ennuyé. Elle bouge pas et moi non plus, ça gratte de se dire les choses autrement qu’en s’attaquant de sous-entendus avec cruauté, ça fait du bien aussi, un peu. Je pense. « Je suis désolé Lene. Je suis désolé de pas avoir été là quand t’en avais vraiment besoin, et surtout, je suis désolé d’avoir pu penser même une seule seconde que de coller et de m’imposer et d’être là aujourd’hui, ça rachèterait quoi que ce soit. T’as jamais eu besoin qu’on te protège. Pas avant, pas maintenant, et certainement pas par moi. » le comportement que je répète avec automatisme, pas fichu de penser à faire autre chose que d’être là quand je juge qu'il le faut, quand je peux pas concevoir faire autre chose que d’être présent pour la personne que j’aime, la personne que je veux protéger - à mal, mais protéger quand même.
« J’ai été stupide de croire qu’il fallait que je fasse comme si de rien n’était en revenant ici. Que de faire semblant simplifierait les choses ce coup-ci. Ça les a pas simplifiées en partant, ça les a pas simplifiées au retour non plus. » face à son silence, je reprends sur les points qui valent tout de même la peine, de ceux que laisser en suspens valent pas, plus rien du tout. « Je suis fatigué, et si je te connais encore un tout petit peu, je serais prêt à parier que toi aussi, t’es exténuée qu’on en parle encore, qu’on tourne le couteau dans la plaie pendant que j’y mets du sel et du citron et de la tequila comme à con à répétition. » l’image sert à rien, autant que moi, les bras ballants, sachant même plus ce que je veux, ce que j’en veux. J’arrive pas à partir parce qu’elle est là, autant que je suis convaincu que je devrais justement partir parce qu’elle est ici. « 'Serait temps que j’arrête de m’accrocher, que j’arrête de penser qu’un jour je te sois vraiment utile, qu’un jour j’ai vraiment ma place à tes côtés. » comme avant que je retiens au dernier moment. J'ai l’impression que c’est aujourd’hui qu’on tourne la page, j’ai ce drôle de feeling que c’est probablement la seule et unique, la dernière fois où Lene quittera pas d’office la pièce quand je serai là. Que c’est l’abcès qui s’infecte depuis la baby shower, que c’est le reste de nous que je justifie, que je cherche - qui s'efface, mais qui mérite pas de se terminer comme ça. Elle mérite pas de se retrouver comme ça. « J’voudrais rattraper le temps que je nous ai volé, j’voudrais recommencer du début, j’voudrais tout effacer. » mais ce que je veux, ça vaut rien. Ce que je veux, c’est du facile, c’est de l’inutile, c’est bouclé et oublié, c’est pas ce qu’elle veut, ça le sera jamais et je ne le comprends que trop maintenant. « Mais ce serait trop facile. Et j'ai pas envie que ce soit facile, je veux que ça soit tout sauf ça. J'veux que tu vois que je suis pas là que quand ça donne l'impression que ça m'arrange. »
C’était à prévoir qu’elle allait réagir au quart de tour alors qu’il titille encore sa fierté, qu’il minimise ses sentiments et qu’il semble encore une fois se moquer d’elle comme si elle n’était qu’une vieille grincheuse alors que c’est lui, qui l’a mis dans cet état. Il n’a jamais besoin de grand-chose, dès qu’ils sont à se battre comme maintenant pour lui redonner la force de mordre encore un peu. C’est de le voir continuer à prendre les choses autant à la légère alors qu’elle est là, face à lui, fatiguée et prête à rendre les armes qu’elle arrive encore à trouver la matière pour le sonner, pour lui faire un peu plus prendre conscience de la situation et surtout pour le réveiller afin qu’il comprenne enfin ce qu’elle peut attendre de lui. « C’est tout ce que j’ai, c’est tout ce qui me reste. Maintenant. » Et il renvoie la balle, sauf que comme à chaque fois, aucun deux n’avance et chacun reste campé sur ses positions. Lene n’arrive pas à oublier le passé, à passer outre ce pincement qu’elle a au cœur à chaque fois qu’elle pense au fait qu’il a réussi à partir sans se retourner vers elle. Matt, en revanche, est bien dans l’instant présent et à rappeler que les dés sont jetés et qu’il ne changera jamais la façon dont les choses se sont faites entre eux. La réalité a dû mal à faire son chemin dans la tête de Lene. « Ça, et des excuses. J’ai des heures et des heures d’excuses pour chaque fois où j’ai été un connard, et tu sais autant que moi qu’en dix ans, j’ai battu des records. » Elle l’observe rire sans broncher, elle a le sentiment d’avoir tout dit, tout fait et d’être dans une impasse, coincée avec lui. Elle est juste fatiguée d’attendre qu’il la tire de cette situation où il les a posés. « Je suis désolé Lene. Je suis désolé de pas avoir été là quand t’en avais vraiment besoin, et surtout, je suis désolé d’avoir pu penser même une seule seconde que de coller et de m’imposer et d’être là aujourd’hui, ça rachèterait quoi que ce soit. T’as jamais eu besoin qu’on te protège. Pas avant, pas maintenant, et certainement pas par moi. » Et elle se prend la tête entre les mains. Elle se bat bec et ongles à chaque fois pour lui arracher des excuses, et au final, elle n’arrive jamais à se défaire de cette impression qu’il les lui jette au visage sans sincérité.
« J’ai été stupide de croire qu’il fallait que je fasse comme si de rien n’était en revenant ici. Que de faire semblant simplifierait les choses ce coup-ci. Ça les a pas simplifiées en partant, ça les a pas simplifiées au retour non plus. » Qu’il explique, alors qu’elle lui accorde à nouveau son attention vu que son état l’empêcherait de quitter cette pièce une bonne fois pour toute. Elle l’écoute, parce qu’elle semble apercevoir un semblant d’explication dans le vent qui s’échappe d’entre ses lèvres. « Je suis fatigué, et si je te connais encore un tout petit peu, je serais prêt à parier que toi aussi, t’es exténuée qu’on en parle encore, qu’on tourne le couteau dans la plaie pendant que j’y mets du sel et du citron et de la tequila comme à con à répétition. » Elle dirait surtout qu’elle exténuée de l’attendre, et de voir qu’il ne comprend toujours pas. Elle a de plus en plus de mal à lutter contre l’idée que le Matt dont elle est tombée amoureuse, ce grand idiot qui lui a trouvé une maison alors qu’il ne la connaissait à peine, le premier être humain à l’avoir vu réellement, que ce garçon, il s’est bel et bien envolé et que maintenant, elle doit apprendre à gérer avec cette version cheap qui n’a plus rien de l’ancien qui se tient là, face à elle. Son problème, c’est qu’elle n’arrive pas à faire le deuil d’un garçon disparu. « 'Serait temps que j’arrête de m’accrocher, que j’arrête de penser qu’un jour je te sois vraiment utile, qu’un jour j’ai vraiment ma place à tes côtés. » Il serait temps d’arrêter de penser que tout ça, c’est un dû, c’est gratuit. Mais Lene a trop peur de le couper dans son discours, de lui exprimer le fond de sa pensée. Elle a beau réussir à attaquer et marquer là où elle vise, c’est sa fierté qui revient à la charge et qui l’empêche de laisser la moindre once de fragilité qui pourrait enfin faire connaître ce qu’elle veut réellement. Elle aimerait, elle, rattraper ce temps perdu, mais comme l’a pointé Matt, ils sont dans le présent maintenant et elle n’arrive pas à faire avec. « J’voudrais rattraper le temps que je nous ai volé, j’voudrais recommencer du début, j’voudrais tout effacer. » Et elle tente de continuer à garder tout à l’intérieur parce que c’est comme ça qu’elle fonctionne, comme ça qu’elle a toujours fait. Lene, elle ne s’épanche pas sur ses émotions mais elle a le sentiment là, que si elle a quelque chose à dire, c’est maintenant et qu’un autre jour sera trop tard. « Mais ce serait trop facile. Et j'ai pas envie que ce soit facile, je veux que ça soit tout sauf ça. J'veux que tu vois que je suis pas là que quand ça donne l'impression que ça m'arrange. » « Alors, pourquoi tu ne changes pas simplement de tactique ? » Ce n’est même pas de la rhétorique, c’est une vrai question. S’il ne veut pas que ce soit facile, pourquoi il continue de jouer au con ? Pourquoi il ne cherche pas à savoir les raisons qui la pousse à douter la moindre de ses paroles ? Pourquoi il se laisse engueuler sans se battre, sans se défendre, sans chercher à la récupérer ? « Tu sais, quand j’y pense, je dresse le constat que j’ai passé plus de temps à te détester qu’à t’aimer et je ne sais pas comment on revient de ça. J’ai cumulé tellement de chose en moi, de rancœur et d’amertume, et de douleur mais c’est toi qui a mis ça là et je ne sais pas quoi faire de tout ça. » Les mots ont dû mal à sortir, c’est sa fierté qu’elle tente de ravaler qui revient à la charge. « J’ai l’impression d’être une machine que t’as bouzillé mais à qui tu demandes de fonctionner quand même, sauf que je ne peux pas. Je ne peux pas le faire toute seule. » Elle marque une pause, cherchant ses mots, ou plutôt, elle tente d’organiser tout ce qui veut sortir tout en filtrant ce qu’elle veut continuer à taire parce qu’il se passe trop de chose pour qu’elle vomisse tout en un coup. « La vérité si tu veux la savoir, c’est que j’étais pas si mécontente que ça quand t’es revenu, je voulais vraiment pouvoir me débarrasser de tout ça mais t’as préféré agir comme c’était rien, comme si mon comportement était normal, t’as juste imprimé que j’allais être en colère contre toi jusqu’à la fin de tes jours et que c’était pas grave. » Et là, elle réalise qu’elle a probablement mis le mot dessus. « Pas grave. » Qu’elle répète, le temps de bien l’imprimer. « C’est ça, ce qui nous a amené là. J’ai juste l’impression que de m’avoir pété le cœur, c’était ça, pas grave, alors que tout ce que j’ai envie de te demander, c’est comment tu as pu ? Et comment tu oses encore ? »
« Alors, pourquoi tu ne changes pas simplement de tactique ? »
J’inspire, longuement, longtemps. Je me l’ai posée des dizaines, des centaines de fois cette question. J’ai jamais été en mesure de mettre le doigt dessus, j’ai jamais été assez courageux pour ajouter des mots sur l’impression, pour clarifier la pensée avec de la valeur ajoutée, avec quelque chose de plus, de mieux. Jusqu’à aujourd’hui. « Parce que j’ai peur de tout gâcher encore. Parce que j’ai peur que vraiment, ça soit la fin. Qu’on frappe un mur et qu’on réalise que tout ça, ça s’est terminé quand je suis parti. » un souffle, un autre. J’ai oublié à quel moment autant elle que moi a arrêté de mettre des filtres, de pincer les lèvres, de ravaler en grognant. J’ignore à quel moment on a décidé que c’était maintenant qu’on disait tout ce qui restait, qu’on vidait notre sac, crevait tous les abcès restants. Mais il est pas question que je quitte la pseudo-infirmerie sans avoir entendu tout ce qu’elle a sur le coeur, sans l’avoir compris, et que l’inverse soit tout aussi vrai. « Que j’ai tout terminé quand je suis parti. Qu’il y a plus aucune chance pour nous à cause de moi, jamais. » et c’est là le noeud du problème, le mien. C’est que je suis incapable d’avancer parce que je sais que depuis le début, que depuis mon retour, il n’y a rien dans ce que j’ai pu dire ou faire qui transparaissait vraiment comment je me sentais, à l’intérieur. Aucun des mots que j’ai pu lui dire qui était vraiment ce à quoi je pensais sur le moment, le discours que je voulais tenir, vraiment. Tout ce qu’elle a vu, c’est un idiot qui prenait le tout à la légère, qui tentait de s’en convaincre, pour que la réalité fasse moins mal, et pour que son rejet, son refus, sa colère donnent l’impression de ne pas m’atteindre, en croyant que fake it until you make it puisse changer quoi que ce soit à la douleur de réaliser qu’en effet, sur une échelle d’un à dix, j’avais merdé à des millions de niveaux.
« Tu sais, quand j’y pense, je dresse le constat que j’ai passé plus de temps à te détester qu’à t’aimer et je ne sais pas comment on revient de ça. J’ai cumulé tellement de chose en moi, de rancœur et d’amertume, et de douleur mais c’est toi qui a mis ça là et je ne sais pas quoi faire de tout ça. » et si je sens qu’elle prend toutes les forces qui lui restent pour parler, pour articuler à ma suite, pour forcer la note, pour me cracher au visage ce que je redoute, c’est patient, attentif, immobile que je l’écoute sans interrompre. « J’ai l’impression d’être une machine que t’as bouzillé mais à qui tu demandes de fonctionner quand même, sauf que je ne peux pas. Je ne peux pas le faire toute seule. » profitant d’une pause de quelques secondes à peine, je retiens étrangement à bout de souffle. Je veux pas que tu le fasses toute seule. Je veux pas que tu sois tout seule, plus jamais... que je m’entends penser, fort, comme si ça changeait quoi que ce soit ce que je veux, comme si elle avait besoin de quelqu’un. L’idée n’était pas de douter qu’elle puisse tout faire toute seule, au contraire, s’il y avait bien quelque chose de clair entre nous deux était le fait que Lene était forte, puissante, qu’elle ne dépendait de personne. Mais, y’a ce trait de vouloir être là, juste être là. Pouvoir assister à ses victoires, pouvoir être présent pour effacer ses peines, pouvoir faire de mon mieux pour lui changer les idées quand des merdes lui tombent dessus, pouvoir être là, tout court. « La vérité si tu veux la savoir, c’est que j’étais pas si mécontente que ça quand t’es revenu, je voulais vraiment pouvoir me débarrasser de tout ça mais t’as préféré agir comme c’était rien, comme si mon comportement était normal, t’as juste imprimé que j’allais être en colère contre toi jusqu’à la fin de tes jours et que c’était pas grave. » et si j’avais fait l’effort de garder toute émotion à l’intérieur, ne rien ajouter de plus pathétique à mon portrait devant la scène qui se joue et les points qui se mettent, je le sens, le rictus, les sourcils, la mâchoire lorsque Lene avance tout ça, lorsqu’elle remonte un an derrière, et mes frasques, mes conneries, mon inconscience qui encore aujourd’hui agissent à titre de boulet à mon pied. « C’était ce que je méritais. » je souffle, avance d’un nouveau pas vers Lene, qu’elle ne bouge pas ou n’ait le moindre mouvement de recul que je prends comme une infime, une minuscule victoire. Je savais qu’avec elle j’aurais pas droit à du parfaitement léché, j’avais besoin de voir la situation en face. Et ça, elle le sait aussi bien que moi. J’avais toujours été vers elle pour avoir la vérité pure et dure, la plupart du temps inconsciemment. J’avais besoin de Lene comme on avait besoin d’une ancre, j’avais besoin de son ton tranchant, de sa franchise désarmante, de sa capacité à me mettre au pied du mur en un claquement de doigt pour me permettre de réapprendre à mieux me relever.
Pas grave. J’ai un frisson, j’en conviens, je conçois, ma respiration qui se bloque. « C’est ça, ce qui nous a amené là. J’ai juste l’impression que de m’avoir pété le cœur, c’était ça, pas grave, alors que tout ce que j’ai envie de te demander, c’est comment tu as pu ? Et comment tu oses encore ? » « Est-ce que tu penses que je serais là aujourd’hui si c’était pas grave? » et même si je réponds dans la foulée, et même si je réagis au quart de tour, ma voix est calme, sérieuse, plus encore que depuis des mois. Mon regard se visse au sien, ne baisse pas le menton, je poursuis, calmement, posé, attentif à ce qu’elle entende ce qui suivra, à ce qu’elle voit, que là, je ne joue pas. Que les rires ont cessé, que les blagues de premier degré sont à la porte. « Que tu serais la première, la seule, chez qui je sois allé, à la seconde où je suis arrivé, si c’était pas grave? » un pas de plus vers elle, et mes mots sortent doucement, ma question n’est pas une attaque, tout sauf ça. « Lene, mon monde a tourné autour de toi pendant des années et même si j’faisais le con, y’avait que toi, y’a toujours eu que toi. » je mets au défi qui que ce soit de douter de mes mots, sachant que même si j’avais fait l’autruche pendant toute notre idylle à croire que comme elle, l’exclusivité, le label de couple, la responsabilité ne voulait rien dire, les faits étaient là. Je l’avais aimée comme un fou, et en un claquement de doigt j’étais prêt à ressombrer à nouveau. Encore et toujours. Et malgré tout, depuis la seconde où je suis revenu, y’a pas eu une journée où j’ai pas pensé à toi, à nous, à avant. Mais pourquoi, alors, t’as été aussi con Matt? Pourquoi t’as fait exprès de tout gâcher, encore et encore? Pourquoi tu lui dis tout ça, quand elle s’en balance de tes sentiments, quand elle veut juste savoir pourquoi? « J’assumais pas tout ça à l'époque, j’assumais pas que je t’aimais autant, j’assumais pas que je voulais que ce soit que nous, et qu’en partant, je prenais la décision à notre place, à ta place. »
Sans le réaliser, ou alors en misant sur le fait que je suis bête, tellement bête, j’esquisse un pas supplémentaire, assez proche pour sentir son souffle, sa cheville blessée qui effleure ma jambe, faisant attention de ne rien brusquer, de ne pas accentuer la douleur. « J’ose encore, parce que j’t’aime encore. Parce que j’ai jamais arrêté, et parce que peu importe ce que je dis ou ce que je fais, j’arrive pas à rester loin de toi. J’arrive pas à me convaincre que c’est pas grave, parce que c’est grave. » et le reste déboule, le reste a sa place, même si j’avais fait un si bon boulot depuis la baby shower à tout garder, à rien déballer, à pas lui faire subir ça en plus du reste. « J’ose encore parce que je veux te prouver qu’il est pas disparu, le Matt d’avant. » la précision est nécessaire « Et qu'il est aussi si ce n'est plus blasé que toi du Matt d’aujourd’hui. » pourquoi? De où, de comment, dis-lui, dis-toi, Matt. « J’ose encore parce qu’aussi ridicule je puisse être, je sais que si on en est là, que si on en parle, que si ça nous secoue autant, c'est qu’il reste quelque chose à sauver. » à distance, y’a ma paume qui commence une ascension, qui glisse le long de son bras sans la toucher, des centimètres de distance et pourtant y’a l’électricité là, juste là, je la sens, je le sais. « Je te demande rien d’autre que de me laisser te le prouver. Une dernière fois. » et ma main libre finit par retrouver la poche arrière de mon jeans, en sortir une enveloppe, le seul item qui nous relie à la partie de volley qui visiblement se joue encore dehors. « C’est deux billets ouverts, pour Hawaï. » l’un est à mon nom, l’autre est au sien, et je lui tends, sans oser me taire de peur de sa réaction que je n’arrive même pas à prédire. « L'un est à moi, au cas où mon team gagnait pas. Le deuxième billet est à toi, je savais pas que tu serais dans l'autre équipe, mais j'me suis dit que comme Hawaï t'en rêvais autant tu... tu peux y aller quand tu veux, si tu veux. » et longuement, j’inspire, la sentence que j'appréhende, si elle vaut quoi que ce soit. 10 ans trop tard, mais peut-être pas trop tard tout court. « J’y vais pour le nouvel an. Si tu décides de partir avec moi, on recommence à zéro. Sinon, enjoy, profite, et je comprendrai à partir de là que c’est fini. Pour vrai. » que je souffle, pour une fois prêt à respecter l'engagement à ne plus jamais m'imposer à elle si c'est ainsi qu'elle souhaite que tout cela se termine.
Alors c’est maintenant que ça se passe. Dans cette petite infirmerie, alors qu’elle a la gueule en feu et la cheville en charpie. C’est maintenant qu’ils semblent enfin prêt à se déballer des années de sentiment refoulés, d’émotions cachés et de reproches dissimulés pour être ressorti à chaque fois. C’est maintenant que les dernières vannes tombent, que les dernières piques sont envoyés et que les scores sont prêts à être compter. C’est maintenant que Lene se décide enfin à baisser les armes face à l’insistance de Matt, à lui dévoiler tout son ressenti, tout le contenu dans son coffre à ressentiment pour qu’il sache enfin ce qui s’est toujours caché derrière cette façade de fille fort qu’elle a réussi à si bien bâtir qu’il n’a jamais vraiment réussi à comprendre qu’il avait réussi à atteindre le centre de la forteresse depuis très longtemps. C’est maintenant que Lene livre, qu’elle dégueule les informations sur place publique et qu’elle le choque encore, pour qu’il réalise enfin ce qu’elle aurait tant voulu qui lui vienne à l’esprit tout seul : que sans lui, elle n’en mène pas large non plus et que tout ça, ce n’est qu’une comédie qu’elle joue depuis son départ parce qu’elle n’a jamais oublié ce qu’il avait pu être. A la figure, elle lui crache la question qui lui trotte en tête depuis toujours, la réponse dont elle croit avoir tant besoin pour avancer : comment a-t’il put ? « Est-ce que tu penses que je serais là aujourd’hui si c’était pas grave? » Sa réaction, rapide et vive, clou le bec de Lene, qui bien qu’elle avait fini, ne trouve rien à répondre à cette remarque. Ce qu’elle pense depuis toujours, c’est qu’il a un attachement à elle, mais qu’il s’agit de quelque chose qui tient plus à son égo qu’à des véritables sentiments. Le simple qu’il soit parti sans se retourner n’arrive pas à la persuader d’autres choses. « Que tu serais la première, la seule, chez qui je sois allé, à la seconde où je suis arrivé, si c’était pas grave? » Pure solution de facilité. Lene ne l’écoute pas, parce qu’il est venu chez elle parce qu’il en payait toujours le loyer, que c’était là, sous et yeux et facile, avec la conviction personnelle qu’après avoir passé ses nerfs, elle oublierait ce départ parce que voyons, officiellement, ils n’étaient rien qui aurait justifié que ça la brise. Cette idée de tenir pour acquis des choses dite à haute voix quand les gestes à voix basse témoignent d’autres choses. « Lene, mon monde a tourné autour de toi pendant des années et même si j’faisais le con, y’avait que toi, y’a toujours eu que toi. » Et elle lui crierait presque de se taire, parce que ça fait mal à entendre, parce qu’il le répète mais que sa forteresse, celle qu’elle a construit sur ses prétentions à savoir ce qui lui était passé par la tête ce jours-là, sur sa conviction qu’il ne l’a jamais aimé, que tout ça, ce n’est qu’un désir de possession malsain, elle s’écroule la forçant à se mordre la joue pour que la boule qui nait dans sa gorge ne la trahisse pas. Ne jamais trahir cette image de fille forte. C’est quelque part tout ce qu’elle a pour elle. « J’assumais pas tout ça à l'époque, j’assumais pas que je t’aimais autant, j’assumais pas que je voulais que ce soit que nous, et qu’en partant, je prenais la décision à notre place, à ta place. » Et donc, c’est ça l’excuse : de la lâcheté. Elle a le cœur qui bouillonne et toute la retenue du monde pour ne pas le faire exploser, pour ne pas lui cracher au visage. C’était ça la réponse à la fameuse question. Difficile de croire que ça pouvait être aussi simple. Difficile de ne pas lui en vouloir plus. Difficile de digérer cette réponse et de trouver quoi en faire.
« J’ose encore, parce que j’t’aime encore. Parce que j’ai jamais arrêté, et parce que peu importe ce que je dis ou ce que je fais, j’arrive pas à rester loin de toi. J’arrive pas à me convaincre que c’est pas grave, parce que c’est grave. » Il poursuit tout en s’approchant. Elle reste bien trop abasourdie pour produire le moindre geste de recul, bien que tout ce qu’elle a envie de lui hurler, c’est de quitter la pièce. Elle avait attendu ce discours un an sans qu’il ne vienne, et maintenant, il n’est que trop tard. Du moins, c’est tout ce qu’elle se répète parce que ce serait bien trop éprouvant que de replonger alors qu’elle s’était faite une raison, qu’elle avançait en s’disant qu’elle avait tout dit et que la croix était faite. « J’ose encore parce que je veux te prouver qu’il est pas disparu, le Matt d’avant. » Elle a l’expression du visage qui se serre alors qu’il reprend ses mots. « Et qu'il est aussi si ce n'est plus blasé que toi du Matt d’aujourd’hui. » Et pourtant, ça ne sert à rien de vouloir revenir en arrière, parce que comme il l’a dit, c’est du passé tout ça. Mais il poursuit, ne poussant qu’un peu plus sa voix à vaincre son mutisme pour lui demander d’arrêter de parler, de remuer toute cette merde qui avait réussi à prendre une forme pas trop dérangeante dans sa vie. « Je te demande rien d’autre que de me laisser te le prouver. Une dernière fois. » Elle redresse automatiquement le visage au moment où il formule son ultime requête, les larmes au coin des yeux, indice que son discours n’a pas manqué sa cible, elle reste muette, les yeux qui lui demandent comment il peut penser ça possible alors que quelques minutes plus tôt, elle lui avouait qu’elle ne passerait pas cette rancune envers lui sans qu’il ne lui offre son aide. Elle se sent prise entre deux-feux, entre ses émotions qui ont enfin ce qu’elles veulent et sa fierté qui, toujours plus forte, lui sort sa peur d’être laissée pour compte une seconde fois comme motif de ne pas répondre. Ce qu’elle fait, bêtement. Il reprend la parole, ses mains saisissent quelque chose dans sa poche. « C’est deux billets ouverts, pour Hawaï. » Elle n’est plus sûre de comprendre et tout en observant les bouts de papier, elle l’interroge du regard pour savoir où il veut en venir. « L'un est à moi, au cas où mon team gagnait pas. Le deuxième billet est à toi, je savais pas que tu serais dans l'autre équipe, mais j'me suis dit que comme Hawaï t'en rêvais autant tu... tu peux y aller quand tu veux, si tu veux. » Qu’il explique, bien qu’elle ne comprenne pas d’où ça sort, pourquoi il a pensé à ça là où elle, ça lui allait très bien d’emporter cette partie seule sans lui, et puis pourquoi ça lui prend d’offrir Hawaii, comme ça. « J’y vais pour le nouvel an. Si tu décides de partir avec moi, on recommence à zéro. Sinon, enjoy, profite, et je comprendrai à partir de là que c’est fini. Pour vrai. » Qu’il énonce, alors qu’elle se saisit du papier qui à un autre moment l’aurait emmené droit dans un rêve. Ses iris se plantent dans celles de Matt pour vérifier s’il est sérieux, elle ne sait quoi dire, quoi répondre, elle reste encore toute secouée de cette entretien qui pour ne pas déroger à la règle ne se sera en rien passé comme elle le voulait, elle a le visage qui brûle toujours, sa gorge qui peine à retenir ses larmes et une sorte de frustration à vouloir courir loin d’ici et à ne pas pouvoir à cause de sa cheville. Sans rien dire, elle pose le billet à côté d’elle. Pas de réponse.Pas de oui, pas de non. Juste son silence, son regard qui regarde partout où il n’est pas et Matt qui finit par capter le message : mieux vaut la laisser seule.