Mettre les pieds à Brisbane n’avait pas été une mince affaire pour le jeune homme. Pourtant, cela allait faire presqu’un an qu’il était là. En un an, les choses peuvent à la fois évoluer à une vitesse folle comme stagner, rester au même endroit. Pour Dean, c’était au cas par cas. Certes, il avait pu se faire une ribambelle de connaissances depuis novembre 2017, que cela soit d’un point de vue personnel ou professionnel. Il avait fait doubler son carnet d’adresse en un rien de temps. Cela aurait pu le réconforter si seulement son objectif avait été tout autre que celui de recoller les morceaux avec son meilleur ami Benjamin. Lui seul était la raison pour laquelle il se trouvait à Brisbane, plutôt que de finalement rentrer en Irlande, là où tous deux avaient habité pendant de nombreuses années. Quelques années plus tôt, les deux meilleurs amis, copains comme cochons, virent leur amitié se briser pour plusieurs raisons, dont le fait que Dean ait été un pur crétin sans s’en rendre compte. En prime, comme si cela ne faisait pas assez mal au jeune Irlandais de voir quand un an de temps, presque rien n’avait changé avec Ben, il avait réussi à tomber plusieurs fois sur Heidi, son ex fiancée qui l’avait quitté quelques mois avant la date prévue pour le mariage. Ce n’était pas facile de la voir et Dean, malgré tous ses efforts, ne parvenait pas à s’investir dans une nouvelle relation amoureuse tant la situation l’avait brisé.

Dans le bordel qu’Heidi avait laissé derrière elle en partant, il y avait l’absence de leur chien. Lago, le plus bel Husky qui soit, avait été un cadeau de Dean pour sa fiancée. Malgré cela, il eut toujours l’impression que c’était son chien, ce qui le tua un peu plus lorsqu’Heidi le quitta pour suivre ses rêves. Perdre son chien fut, là, la première raison qui poussa Dean à devenir bénévole. Au moins, là, il pouvait donner tant d’amour à des animaux, dont des chiens, en compensation à tout ce qu’il ne pouvait plus donner à son propre chien. Il aimait être bénévole au refuge, car il pouvait sortir promener les animaux, les soigner, jouer avec eux pendant des heures. « Bonjour monsieur, je souhaiterais adopter un ch… ». Une voix familière le sortit de ses pensées, alors qu’il était en train de mâcher nerveusement un stylo à billes tout en regardant l’écran de son ordinateur, qu’il reposa aussitôt. « Dean ?! Mais qu’est-ce que tu fais là ? » - « Je, heu… » mais il n’eut pas le temps de répondre que la jeune femme en question poursuivit : « Tu … Tu travailles ici ? Je croyais que tu étais avocat ? » - « Nephtys, c’est ça ? ». Dean eut aussitôt un sourire à l’adresse de la jeune femme et se leva pour contourner le petit kiosque et venir embrasser son ancienne co-équipière de volley-ball. « J’ai failli ne pas te reconnaitre avec ce teint bronzé. Tu es partie en vacances ? ». Il s’appuya contre le comptoir de l’accueil et croisa les bras sur son torse. « Alors, tu es venue adopter l’un de nos petits camarades canins ? Je ne peux que te souhaiter bonne chance car ils sont tellement adorables les uns que les autres que tu auras du mal à choisir ». Et c’était peu dire.

Ce qui amusait beaucoup Dean, c’était la voix mélodieuse de la jeune femme qui sonnait à ses oreilles comme un apaisement : « Et oui, c’est bien moi ! ». Et il en rit. « Oh flatteur. » - « Toujours » avait-il murmuré, lui qui était du genre à flatter son public pour le mettre directement à l’aise. Tout au long des nouvelles qu’elle lui avait donné, il s’était entrepris de hocher la tête, visiblement intéressé par le côté sportif de Nephtys : « Oh j’ai fait pas mal de surf ces derniers temps, du paddle aussi, oh et j’ai couru le marathon à Brisbane. Il faisait une chaleur à tomber ce jour-là, j’étais rouge écrevisse le soir. Par contre, pas de vacances pour moi pour le moment. J’ai été embauchée au mois de mai, je vais devoir attendre Thanksgiving pour quelques jours de répit. » - « Ah ouais, chiant ça. » - « A vrai dire, je viens sur les conseils de ma voisine. Elle vous a pris un petit chaton, noir avec des yeux dorés, et elle m’a dit qu’Hermès avait encore des frères et soeurs ici. Apparemment, ils sont tous roux ? » – « Je vois » dit-il, avant de se frotter les mains, prêt à la mettre face à une horde de petits chats, plus mignons les uns que les autres. « Je vois de quelle portée tu parles. Ils sont tous roux, mais il y en a aussi un chat et un tigré. En tout, ils sont sept. Alors suis-moi, que je te les montre. » Il lui fit un signe de la tête, l’invitant à le suivre derrière le kiosque d’accueil. Il longea un long couloir, où se trouvaient plusieurs portes : les chiens se trouvaient d’un côté et on pouvait les entendre grâce à leur aboiement. De nombreux bénévoles allaient et venaient dans les couloirs, soit occupés avec les animaux, dans les soins à leur offrir et dans la nourriture à donner ; soit avec les éventuels intéressés par des animaux. Cela allait de la simple personne comme Nephtys qui cherchait un nouvel animal à un groupement de personnes pour se proposer comme famille d’accueil si le refuge venait à manquer de place. Enfin, au bout du couloir, Dean ouvrit la porte, après avoir lancé un regard plein de suspense à Nephtys, amusé par la situation. « Prête ? » Il entra dans la pièce et attendit qu’elle entre à son tour pour refermer la porte derrière eux. Autour d’eux, c’était une pièce lumineuse, avec une immense baie vitrée qui pouvait mener à l’extérieur. Mais ce qui était surtout attachant, c’était de voir une vingtaine de petits chats courir et jouer dans toute la pièce comme s’ils étaient dans un parc d’attractions. « Voilà tout ce que nous avons en chats. Il n’y a pas seulement des chatons mais aussi des chats abandonnés par leur maitre, sur un bord de route ou tout simplement déposés ici après un décès. Je te laisse faire le choix » dit-il, alors qu’il posa une main dans son dos pour la pousser doucement vers le centre de la pièce, rigolant déjà de la situation dans laquelle elle se mettait. Il n’aimerait pas être à sa place, à devoir choisir un seul chat parmi les vingt qui se présentaient à eux.

Dean ne pouvait qu’être amusé des réactions de Nephtys face aux chats qui allaient et venaient vers elle, en restant soit quelques instants pour repartir, soit en restant plus longtemps. « Ca va être impossible de choisir, on a envie de tous les prendre ! » C’était une phrase classique de toutes les personnes qui venaient voir leurs animaux. Bien soignés, en bonne santé, dans un environnement propre et agréable, ils ne pouvaient que donner envie de partager des moments avec leurs nouveaux maitres. « Je ne sais pas comment tu fais pour ne pas craquer et ne pas vouloir tous les prendre avec toi. » - « Ah, c’est l’habitude ça… puis je passe déjà une grande partie de mon temps libre avec eux. » lui avait lui répondu calmement, alors qu’il la voyait se focaliser sur trois chatons de la dernière portée en date. « Salut vous trois, vous êtes vraiment trop mignons. » Dean avait failli imiter un merci avec une voix aiguë pour montrer qu’il était toujours là mais s’était aussitôt retenu de peur de passer pour un imbécile profond. « Comment est-ce que vous faites quand vous n’avez plus de place ? J’imagine que vous êtes régulièrement débordés. Vous pouvez les héberger chez vous ? Il y a des sortes de famille d’accueil ? » - « C’est bien ça, nous avons des familles d’accueil qui les gardent et qui s’en occupent en attendant de leur trouver un propriétaire. Sur notre page Facebook, nous avons une photo de tous les chats et chiens qui sont à l’adoption. La plupart se trouve ici, nous avons très peu de compagnons dans nos familles d’accueil pour le moment, ce qui est plutôt bon signe. » Il hocha la tête pour confirmer ses propres dires avant d’observer à nouveau les chats. Forcément, l’arrivée d’une personne leur semblait comme un jour de Noël et c’était à celui qui se montrait le plus beau qui allait gagner. « On dirait que les trois-là ne veulent plus me lâcher et je vais être incapable de les séparer et d’en choisir qu’un seul ! » Il ne put s’empêcher de rire une énième fois à la remarque de Nephtys. Elle s’était mise dans de beaux draps. « Je vois ça oui, je pense que tu n’as plus trop le choix, tu vas devoir prendre les trois pour ne pas les séparer. » Il s’approcha des chatons pour tenter de les distinguer, pour voir si c’était des mâles ou des femelles. Enfin, il prit un chat un peu plus loin dans ses bras pour commencer à le caresser répétitivement. « Tu as assez de places et d’accessoires pour accueillir trois chatons chez toi ? Ce sont des petits animaux de compagnie pour la vie, j’imagine que tu le sais… Alors, tu prends les trois ? » demanda-t-il, alors qu’il posa le chat dans ses bras pour aller dans l’arrière-pièce chercher des cages mises à disposition pour certains voyages. C’était le genre de cages que les accueillants oubliaient facilement de rendre. Mais connaissant Nephtys, il allait les revoir bien vite, ce fut pourquoi il alla en chercher trois sans passer par les recommandations du refuge animalier.

Dean avait observé son amie tout le long, entouré de chats. Elle avait l’air de visiblement les intéresser. En tout cas, elle ne leur faisait pas peur, ce qui était déjà un bon point. Ce n’était pas donné à tout le monde, lui qui avait déjà eu affaire à des personnes qui, par leur simple présence, faisait fuir les animaux dans les quatre coins de la pièce. « Oui probablement… mais si j’étais bénévole ici, je crois que je pourrais jamais les laisser ici tout seuls. » - « Tu m’étonnes… » Il se demandait parfois comment il faisait. Peut-être que le simple fait de les voir tous les jours aidait. Il se faisait à leur présence. Seulement, depuis qu’il avait changé de travail, il avait beaucoup moins de temps à consacrer à ces petites bêtes.  « Oui bon signe que vous n’ayez pas à confier des animaux aux familles d’accueil. Ca veut dire que le refuge n’est pas saturé. » - « Exact. » Mais Nephtys, en dépit du nombre de chats qui se trouvait autour d’elle, avait l’air de faire son choix. « Je crois bien que je suis tombée amoureuse de ces trois-là de toute manière. » Trois adoptions en une seule fois, c’était le jackpot de la journée. Pour les bénévoles, c’était une victoire à célébrer en fin de journée. « Hé bien, au départ, j’étais partie pour adopter un seul chaton mais je me dis… S’ils sont plusieurs, ils se socialiseront ensemble et ils ne s’ennuieront pas quand je serai au boulot la journée. C’est une responsabilité d’adopter un animal, mais ça fait des mois que j’y pense. Un chat dans une maison c’est apaisant… Trois ça va être l’éclate !  Tu as vu ces frimousses ? Non, je ne pourrais jamais repartir sans eux.  Je peux te ramener les boites lundi quand je sors du travail ? La fondation Beauregard est de l’autre côté de la ville et lundi matin, j’ai un groupe de paroles avec des ados de treize ans et je ne peux pas me permettre d’arriver en retard alors que je les harcèle sur la ponctualité. » - « Oui hein, sans souci ! » lui répondit-il avant de revenir avec le petit kiosque, avec les cages dans les mains. « Je suppose qu’il faut que je les baptise immédiatement ? » En guise de réponse, Dean avait simplement hoché la tête, ne quittant pas la jeune femme du regard. Elle était assez drôle à voir, parce qu’elle avait posé la question mais elle donnait l’impression d’avoir la réponse déjà toute faite. « Alors, la plus petite, la femme, ce sera Isis, le petit tigré s’appellera Hâpy et le petit noir sera Anubis. » - « D’accord... » répondit-il, ne pouvant s’empêcher de lâcher un rire à l’entendre des trois prénoms. Non pas que les prénoms étaient drôles en tant que tel, mais plutôt de l’assurance avec laquelle Nephtys les avait prononcés. « C’est noté » finit-il par dire, alors qu’il écrivit sur la fiche d’adoption, avant de tendre cette dernière en direction de Nephtys, suivant d’un stylo à billes. « Je vais juste te demander de compléter les quelques informations sur toi, suivi d’une petite signature ici » dit-il en pointant le bas de la page. « Et je viendrai les voir un de ces quatre ! Enfin, si ça te dit ! » Cela sonnait sans doute étrangement. Mais il connaissait Nephtys, son cœur sur la main et savait qu’il était essentiel pour lui de s’assurer que les trois chatons allaient se trouver dans un bon foyer. Enfin, il s’approcha vers elle et lui tendit la joue pour lui faire la bise, en guise d’au revoir. « Alors, à l’aventure maintenant ! Amusez-vous bien tous les quatre ! » finit-il par dire en riant.

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