They think they run the town until we run them out of town And they gotta relocate. Gotta dip from where they stay, Everything will be okay Man, just stay up out my way
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Ils savaient entretenir les clichés et ne faisaient, de toute façon, rien pour les contredire en s’empiffrant ainsi des beignets que la stagiaire avait ramené comme une offrande face aux vieux de la vieille qu'il fallait impressionner. Peut-être que ça serait elle maintenant le dindon de la farce, la figure fatiguée qui défilerait d'un café à un autre en quête des fameux muffins sans gluten aux graines de chia que s'envoyait Patty dans un soucis de "faire du bien à son corps". Elle avait ce sourire que Lonnie connaissait bien, celui des premiers jours où rien ne semble être "trop" et où les ordres ne pleuvent pas comme au beau milieu d'une tempête de merde. Naïve, sans doute, mais il fallait aussi qu'elle profite de ces instants de liberté qui offraient la sensation que rien ne grave ne pouvait arriver, que ce boulot consistait juste à rassurer des gamins et à mettre les méchants derrière les barreaux. Sourire aux lèvres, beignet à la pomme qui laissait déjà sur ses doigts des traces de gras qu'il essuierait sur son pantalon, Lonnie avait rempli la dernière ligne du dernier dossier traînant sur son bureau avec, en tête, l'idée de profiter du brouhaha pour s’éclipser en silence et rejoindre le confort de son appartement qu'il considérait trop souvent comme un endroit de passage et non pas comme un habitat à proprement parler. La voix fluette et légère de la nouvelle avait fait irruption dans son champ auditif avant même qu'il esquisse le premier geste pour se lever. Quand ce n'était Bates qui lui courait après avec une pile de dossier dans les bras c'était la stagiaire et sa proposition de se rapprocher du groupe afin de faire plus ample connaissance. « Vous ne restez pas ? Il est à peine seize heures. » Le ton gentillet mais non pas dénué d'un certain jugement avait fait sourire le policier alors qu'il glissait sa veste sur ses épaules et rangeait son arme de service dans son étui. « Non ça va aller. Et puis j'ai une autorisation exceptionnelle aujourd'hui. » Vrai...et un peu faux en même temps. La seule chose qui attendait Lonnie était le visage fatigué mais souriant de sa mère qui lui ferait, comme d'habitude, une remarque sur le fait qu'il travail trop et ne prend pas assez le soleil. « Mais merci pour les beignets. » Il avait avalé le dernier morceau sur le chemin le séparant de la porte de l'ascenseur, bien décidé à changer de pâtissier compte tenu du fait que les dits beignets étaient bien meilleurs que ceux qu'il avait l'habitude de rapporter. Puis il était passé par la prison, était resté le quart d'heure réglementaire à écouter sa mère lui faire des remarques sur son teint pâle et ses petits yeux alors qu'elle même semblait exténuée par les journées interminables mais remplies d'un rien qu'elle n'arrivait pas à combler. Et elle avait parlé de l'atelier cuisine, pour passer à autre chose, s'était plaint du manque d'ingrédients qu'elle subissait ici et qui ne lui permettait pas de faire son fameux ragoût de bœuf que tout le monde aurait adoré. Un quart d'heure seulement, volé au temps, sous les yeux de gardienne aux visages fermés et aux poings serrés. Lui qui avait eu si envie de rentrer chez lui quelques heures plus tôt se retrouvait maintenant dans l'incapacité de tourner son vélo dans le sens de la route, et il se retrouva devant le DBD sans même savoir comment il était arrivé jusqu'ici ni combien de temps ça lui avait pris de traverser la ville. Le repaire était animé et les gens souriants, tout ce qui fallait à Lonnie pour contrer cette infâme tristesse qui lui avait empoignée les tripes. Au comptoir il avait commandé un café et un muffin, pour comparer les goûts et enfin savoir si la nouvelle était déjà meilleure que lui dans le choix des pâtisseries. « Merci. » Qu'il souffla du bout des lèvres alors qu'on lui tendait sa commande. Et comme cette journée était décidément la pire de la semaine, félicitations à elle, Lonnie avait heurté de plein fouet un corps en mouvement en se retournant pour sortir. Embarrassé, le cœur tambourinant dans sa poitrine comme un batteur de rock sous acide le policier avait agrippé une poignet de serviettes posées sur le comptoir. « Mon dieu je suis vraiment désolé. » Désolé il l'était déjà de base face à son imprudence, mais il l'était encore plus lorsque ses yeux rencontrèrent ceux du très énervé Jamie Keynes sur lequel il venait de renverser 1.80$ de café brûlant. Félicitations, la journée ne pouvait pas devenir encore plus merdique. « Toutes mes excuses monsieur, laisser moi vous offrir le pressing. » Lonnie avait ce ton qui lui allait si bien, celui du type mi-désolé mi-excédé d'être tombé sur un type qu'il n'aimait pas, déjà de base, mais sur lequel il avait enquêté à ses débuts. Sortant son portefeuille de la poche de sa veste Lonnie avait fait glisser les billets entre ses doigts, incapable de connaître le montant si peu que Jamie porte une chemise hors de prix venue tout droit d'Italie en jet privé. Il aurait voulu rajouter un "bien fait" mais la situation de ne lui permettait pas de faire de ce genre de remarque, encore moins alors qu'il osait de nouveau un regard vers le visage de sa cible, recouverte de café encore fumant.
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“Ne me dites pas de me calmer.” je vocifère, dents serrées dans l’étau d’une mâchoire crispée, retenant les éclats de voix, l’envie irrépressible de m’époumoner sur mon téléphone pour relâcher cette pression qui oppresse mon thorax comme une bouilloire laissée trop longtemps sur le feu. Le téléphone collé à l’oreille, mes doigts serrent fermement l’appareil, Huawei troisième du nom voyant augmenter en flèche ses chances de finir avec, au mieux, l’écran éclaté par terre, au pire, chacun de ses éléments décomposés par le choc avec un mur après un long et violent vol plané. D’un mouvement sec, précis, je tire sur ma cravate et déboutonne le haut de ma chemise, la fièvre d’une de ces énièmes colères intenses mais passagères me faisant sentir à l’étroit dans le lin beige de ma veste. Bien que je ne sois pas le plus au point en matière de technologies, je sais bien qu’il existe des oreillettes qui me permettraient d’avoir mes deux mains libres pendant que j’avance à grandes enjambées dans la rue jusqu’au prochain café où reprendre mon souffle entre deux heures d’une journée à flux tendu ; néanmoins, avoir l’air de parler tout seul ne m’a jamais attiré, et je préfère avoir au moins cinq de mes dix doigts occupés lorsque je perds patience en ligne. “N’osez pas. C’est un projet extrêmement important pour moi, et pour la fondation.” je souligne à l’intention d’Angela, employée de l’association Keynes qui s’implante doucement -trop doucement- en Australie, au cas où la jeune femme aurait oublié, d’un jour sur l’autre, à quel point toute forme d’erreur ou d’échec n’est pas une option dans le cadre d’une organisation si chère, sentimentalement et pécuniairement, à mes yeux. La fondation éponyme de mon frère fait son oeuvre depuis des années de l’autre côté du globe dans l’accompagnement de jeunes éloignés du droit chemin et de leurs familles démunies, et depuis que la responsabilité de cet établissement m’est tombée dessus il y a deux ans, j’ambitionne de poursuivre ici, à Brisbane, en plus d’assurer la tutelle de l’établissement de Londres. Sous la direction de Joanne et maintenant de Jodie, c’est un projet de grande ampleur qui se profile. Du moins, se profilait à l’horizon pour une inauguration dans deux ans, un timing perpétuellement mis à mal par les contretemps qui s’accumulent jusqu’à cet ultime pavé dans la mare. “Vous me dites que l’architecte nous a lâchés, et je suis supposé être calme ? Vous avez la moindre idée de ce qu’un chantier en suspend va nous coûter ?” De l’argent, du temps, de la confiance des donateurs, et beaucoup de patience de ma part. Mais cela n’est pas la réponse que me fournit Angela, trop occupée à bredouiller, paniquée, intimidée, et ne sachant vraiment que dire face à pareil coup de massue. Lorsque je lève le nez, une fois dans le café, emporté par mon pas militaire et ma tornade d’émotions, il est trop tard pour éviter la silhouette petite mais trapue d’un jeune homme traversant la salle avec sa boisson dans les mains. Le choc des deux corps, brutal, projette l’arabica fraîchement servi droit sur moi, ma chemise et ma veste désormais ruinés. L’impact est si surprenant que la température du café qui touche ma peau à travers le tissu trempé ne me heurte pas immédiatement les sens. Et sur le moment, la seule pensée qui me frôle l’esprit est qu’il y aura bientôt le cadavre du type responsable de ce désastre étalé sur le trottoir. Néanmoins, tout coup de sang impliquant ces poings très serrés serait mal venu, je songe, lorsque je réalise que l’homme en question possède un visage familier. Un regard que je n’oublierais pas, bourré de mépris. Il était là, le jour où l’on m’a arrêté, puisque tous les autres jours jusqu’à celui où l’on m’a catalogué comme danger pour autrui, pour mon foyer, pour Joanne. Je ne peux oublier le moindre des acteurs de cette chute, cette déchéance ; chacun de ces dominos qui ont bien failli me faire tout perdre, et qui y sont parvenus l’espace d’un an. Ses excuses me passent par dessus la tête, honnêtes ou non, et je dévisage les quelques billets qu’il me tend, sa face ornée d’un parfait air abruti. “C’est une blague, j’espère ? C’est-ce que vous voulez que je fasse de ça ?” L’argent reste dans sa main et je doute qu’il insiste pour que j’accepte son dédommagement sachant que je n’en ferais rien. Après tout, je ne voudrais pas qu’il ait besoin de rationner ses portions de pâtes jusqu’à la fin du mois. La barista se décidant enfin à troquer sa bouche ouverte de poisson hors de l’eau pour une action plus constructive, elle passe de l’autre côté du comptoir avec un tas de serviettes en papier à la main qui me font presque autant pitié que les billets du policier. Mais celles-là, je les prends, soufflant un “laissez” qui la congédie aussi sec. “Je te rappelle.” dis-je également à Angela dont les “allô ?” lointains ponctuent la scène déjà bien assez agaçante. Je tapote sur le tissu sans conviction, ne serait-ce que pour minimiser ce qui peut l’être, sécher la chemise qui me colle à la peau, et empêcher mes dix doigts de se serrer autour du coup d’Hartwell. “Aussi maladroit que incompétent, c’est bien ma veine d’avoir des gens comme vous sur mon dos.” dis-je, m’estimant le droit de montrer les dents et pester tout haut si l’envie m’en dit tandis que le petit agent n’a guère d’autre possibilité que baisser les yeux et continuer à se liquéfier de honte sous les yeux de tous les clients aux regards rivés sur nous.
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Au fond ça le faisait chier, quand même, de savoir qu’une autre avait pris sa place au commissariat et qu’elle était en train de graisser les pattes velues des supérieurs qui –la bouche pleine de sucre glace – n’allaient pas cesser de tarirent d’éloge sur sa prestation de petite employée modèle et Lonnie allait se retrouver de nouveau mis de côté comme un rat dans la salle des archives. C'est pas qu'il était devenu le chouchou de ses collègues ni même le « go to guy » que l'on s'empressait de choisir dans son équipe, mais il avait quand même réussi à se bâtir une carapace assez solide pour oser s'affirmer auprès des autres, alors oui, ça le faisait chier. Mais il avait ravalé sa fierté devant les autres, qui ne lui avaient même pas adressé un simple signe de la tête lorsqu'il avait pris la porte, mais aussi devant sa mère qui lui avait jeté un regard investigateur suivi d’une tirade poignante sur son manque de sommeil et sa mine défigurée que le policier avait fait taire d’un sourire maladroit avant de s’éclipser en marmonnant une excuse bidon suivi d’un « à bientôt » sûrement prononcé trop doucement pour qu’elle puisse l’entendre à travers la vitre. Sur le chemin d'un 'je ne sais où' qui n'était sûrement pas son appartement, bien que le calme de cet endroit avait toujours tendance à apaiser ses maux, Lonnie fut traverser par l'idée que le stand de tir aurait été l’endroit parfait pour qu'il puisse faire parler ses émotions et sa colère, mais dans cette journée qui n’en finissait pas d’être frustrante il aurait sûrement trouvé le moyen de se foutre une balle dans le pied et donc d'enterrer une bonne pour fois toute l'occasion de redorer son blason auprès des supérieurs qui l'auraient sûrement contraint à ne plus s'approcher d'une arme, jamais. Alors il jeta son dévolu sur le DBD qui servirait d’exutoire à un Lonnie pressé comme un citron par une journée bien trop mouvementée. Il avait commandé sans attendre un café et un muffin en guise comfort food pour, au moins, avoir la sensation que quelque chose dans cette merdique après midi valait la peine d'être vécue. Reprenant le chemin vers l'extérieur de la boutique, pour profiter de son muffin mais aussi d'un coin de soleil où s'en griller une pour calmes ses nerfs, il heurta de plein fouet un corps en mouvement. Son premier réflexe fut de diriger un doigt d’honneur mental à la vie qui, aujourd’hui, se frottait les mains de le voir aussi désabusé et humilié. Mais Lonnie n'eut pas vraiment le temps de s'inquiéter de son karma quand il se rendit compte qu'il était tombé sur le seul homme de toute la ville à avoir une dent bien aiguisée contre lui, Mr Jamie Keynes en personne qui voyait d’un très mauvais œil le fait d’avoir été interrompu dans sa conversation téléphonique par la maladresse affligeante de Lonnie. Sans même se rendre compte qu’il venait de signer son arrêt de mort le policier avait sorti de la poche intérieure de sa veste son portefeuille, premier réflexe du maladroit qui a passé une grande partie de son enfance à payer le repas des gamins qu'il venait de renverser à la cafétéria, pour au moins faire bonne figure envers Jamie qui, la chemise maintenant bien marquée par le café et les poings crispés, lui avait lancé un regard noir avant d’aboyer que les maigres billets ne seraient pas suffisant pour payer le prestigieux pressing où il avait ses habitudes et où les vêtements étaient sûrement traités au champagne. Maigre sourire sur le visage Lonnie avait rangé les billets dans son portefeuille avant de déposer les derniers sur le comptoir. « Je vous offre au moins le café, mon salaire de petit flic fouille merde peut se le permettre » Le policier, pris au dépourvu devant l’attitude si peu conciliante de son interlocuteur avait déposé sur son visage ce masque de petit con que les gens n’avaient pas l’habitude de voir. La fureur de Jamie s’était également déposée sur la pauvre barista qui, ayant fait le tour du comptoir avec un paquet de serviette dans la main, s’était vu renvoyée par l’homme d’un geste de la main comme on chasse une mouche passablement énervante. Dans une tentative d'apaiser un peu les tensions Lonnie avait adressé un regard à la jeune femme qui en disait long sur la suite de cette conversation, et qui lui recommandait de fuir la scène du crime afin de ne pas être prise dans les coups de feux verbaux échangés par les deux hommes. Jamie peste, bombe le torse pour se montrer imposant et pour prendre le dessus sur un Lonnie, certes un peu apeuré par la carrure imposante de l'homme, mais décidé à ne pas se laisser faire. « Et vous toujours aussi poli et enclin à la communication. » Sans pour autant se montrer que le mâle alpha Lonnie essaie de se dresser bien haut, les épaules relevées malgré sa taille moyenne, afin de faire face du mieux qu'il peut à Jamie toujours pris par la colère. « Comme quoi les gens ne changent vraiment jamais, n'est-ce pas ? Comment va votre femme ? » Outch. Même pour lui la phrase était dure et pleine d'un sens qu'il aurait voulu oublier, mais la fierté de Lonnie ainsi que de son envie de mettre un point final à cette conversation, et dans la gueule de Jamie, éventuellement, avait pris le dessus sur Lonnie qui, d'habitude, préférait garder ce genre d'histoire pour les interrogatoires. Parler de cette histoire ça n'était bon qu'à mettre de l'huile sur un feu ardent qui avait fait passer à Lonnie plusieurs nuit blanche devant le dossier, court mais intense, de Jamie Keynes.
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Cela n’avait pas besoin de prendre de l’importance. Cela n’était pas important. Ce n’était qu’une chemise, et ce n’était qu’une tâche de café. Il y en avait eu avant, il y en aurait un jour prochain, et cela était banal. Ce n’était qu’une chemise, pas plus chère, pas plus belle, pas plus précieuse que n’importe quelle autre pensionnaire de mon dressing. C’était un accident, malheureux, agaçant, une bousculade dans une ville pleine de gens, loin d’une collision d’astéroïdes. En somme, cela aurait pu se passer de tout commentaire ; l’homme, maladroit, aurait été navré via moult synonymes du terme, j’aurais grommelé, congédié les dents serrées, et chacun aurait repris sa route sans que cela ne fasse l’objet d’une dissertation sur les forces gravitationnelles à l’exercice. J’imagine que cela se serait déroulé ainsi si l’autre partie n’avait pas dévoilé le visage irritant du policier. Pourtant c’est cette moue juvénile qui me hérisse le poil et me ramène tout entier au moment humiliant où je me suis installé à l’arrière de cette voiture de patrouille, à chaque longue et lourde minute de ce procès qui émiettait mon image, ma réputation, au verdict tâchant à jamais mon nom, aux mois de labeur pour persuader le monde de passer outre le malentendu. Et surtout, qui fait remonter jusqu’au bord de mes lèvres le goût âpre de l’égo égratigné, de la fierté ébranlée, de la conviction étouffée que, non, ce n’était pas un malentendu. Pas vraiment. C’est un brutal retour dans le temps, un vortex qui me crache deux ans en arrière, quand la blessure était béante et la tâche fraîche sur mon image. Le café sur la chemise n’a pas d’importance. C’est ce sentiment d’injustice et cette soif de revanche qui ne sera jamais étanchée qui serre ma gorge brûlante de jurons et d’insultes. Pas seulement à l’encontre de Lonnie, mais de ses collègues, de la pseudo-justice, et de tous ceux qui me condamnent du regard encore aujourd’hui. Je ne veux pas de sa poignée de dollars pour le pressing, encore moins goûter la café payé par son maigre salaire que les impôts me tirent comme du lait. Ce que je veux, c’est qu’on me rende l’époque de la facilité, quand ce qui se passait sous mon toit ne regardait que moi et Joanne, quand cette culpabilité n’était pas sur mes épaules et encore moins cette conscience enfouie de ne pas être le type bien que je m’efforce d’avoir l’air d’être. Je prends sur moi la pique qui répond à la mienne, prêt à faire l’effort de laisser couler, passer mon chemin et m’éviter d’aggraver mon cas car un nouveau dérapage. J’abandonne le café sur le comptoir, continue d’éponger mon vêtement sans grande conviction, ne répondant au jeune homme que d’un regard noir. Ce fut jusqu’à ce qu’il évoque ma femme avec l’irritable conviction d’être intouchable, ici, maintenant, au point de pouvoir s’aventurer sur ce terrain là, au point de faire fi de toute sorte de respect et de décence. Et je sais que si je réponds, si je m’emporte, je serais forcément le méchant. N’importe qui a toujours le mauvais rôle lorsque l’opposant fait partie des forces de l’ordre. C’est l’avantage de l’uniforme. Ne peux pas gagner. Mais je ne peux pas plus le laisser couler. « Elle pâtit toujours autant que moi de vos fausses accusations. » Comment peut-elle donner une nouvelle chance à un type comme ça ? Ne faut-il pas être stupide pour l’épouser et retourner vivre sous le même toit ? C’est peut-être pour l’argent, c’est peut-être parce qu’elle a peur. Qui sait à quoi ressemble leur quotidien, entre les murs de leur foyer. Qui sait s’il s’en prendra de la même manière à son fils, un jour. J’ai tout lu, tout entendu, tout encaissé. Je détourne le regard mais la marque au fer ne disparaît pas pour autant. « A croire que pour redorer son blason, la police de Brisbane a besoin de tirer la réputation des autres vers le bas. Cela vous donne sûrement l’illusion de faire quoi que ce soit de vos journées. » En dehors de s’encrasser les veines à coup de café trop sucré, de beignets et de cônes glacés entre deux tours de blocs gyrophare allumé histoire de se montrer. « C’est tellement typique de la part des gens comme vous, d’abuser du badge pour vous en prendre à meilleur que vous afin de vous sentir mieux. » Un puissant qui faute, c’est du pain béni. Il y a de quoi se mettre sous la dent quelques temps, sous prétexte de garder à l’oeil. Et puis, aujourd’hui, qui ne rêve pas de mettre la main sur son propre petit Weinstein ? Alors que je fulmine contre l’agent, les muscles crispés et l’accent snob qui claque, je sens dans le coin de ma vision l’oeil indiscret d’une lentille de caméra comme on sent le danger d’une brûlure à l’arrière du crâne. Quand je tourne la tête, il est là, le smartphone et le doigt gras qui appuie sans interruption sur le bouton rouge. Ce serait bête d’en perdre une miette. Mon coeur s’accélère, les étalons de rage lâchés au galop dans ma poitrine trop étroite. Une colère qui gonfle et siffle sous le couvercle de ma volonté de réprimer cette envie, ce besoin, d’écraser mon poing sur la joue de quelqu’un. « Continuez de pointer ça sur moi et je vous poursuis pour plus cher que vous ne pourrez hypothéquer votre maison. » dis-je, sec, menaçant, et effectuant un pas -de trop- vers l’homme en question.
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2.20 Millions d’habitants, un café à quasiment tous les coins de rues, des milliers de policier qui desservaient les quartiers à toutes heures du jour ou de la nuit. Mais dans ce café, à ce coin de rue précis les astres avaient décidés de se jouer des deux hommes qui s’échangeaient tellement de regards noirs que l’on se serait cru dans un western, le six-coups prêt à être dégainé, les insultes sifflant au-dessus de leur tête pour atterrir dans les oreilles attentives des badauds qui semblaient ne pas vouloir en perdre une miette. Lonnie n’était pas une personnalité publique, du moins il avait tout fait pour ne pas l’être malgré ses apparitions dans les journaux, alors il n’avait pas grand-chose à perdre. Mais pas son interlocuteur. Jamie avait beaucoup de choses à perdre dans cet échange, et sur son visage rougissant de rage on pouvait très bien décrypter son envie de laisser cette mésaventure de côté pour ne pas attirer plus de regards qui allaient certainement ce changer en mots dans des blogs au style douteux et à la plume avide de potins. Ils auraient pu en rester là, se contenter de se détester les lèvres fermées pour ne pas attirer les regards, mais le policier avait du mal à détacher son regard de Jamie et de cette attitude qu’il semblait vouloir afficher dès que quelqu’un le contrariait, une attitude de connard en gros, mais Lonnie fît l’impasse sur cette remarque. Le portefeuille maigrichon de Lonnie retourne se cacher dans sa poche intérieure alors qu’il dépose quelques billets sur le comptoir, assez pour un café, noir, comme l’âme du Keynes qui n’a pas cessé de le juger et ce depuis le jour où il s’est installé, menottes au poignet, dans une salle d’interrogatoire. Lonnie en portait le blâme, bien qu’il n’est pas été le seul à mettre son nez dans les affaires de Jamie, mais avec son visage enfantin et sa très courte carrière c’était plus simple de l’associer au petit flic merdeux qui ne pensait qu’à faire tomber les grands afin d’assoir sa supériorité sur ses collègues, de montrer qu’il en avait dans le pantalon. Levant les yeux au ciel devant l’attitude enfantine de l’homme le Hartwell avait pris la décision de mettre fin à cette scène stupide qui lui faisait perdre son temps et qui attirerait sur lui des questions auxquelles il ne voulait pas répondre. Mais c’était sans compter son arrogance et son envie de ne pas partir sans avoir rendu à Jamie la monnaie de sa pièce. Une pique acérée en guise d’au revoir, afin de laisser au brun un goût amer dans la bouche, un goût d’inachevé. Mme Keynes n’y était pour rien, elle n’était qu’une excuse pour donner à Lonnie un semblant de supériorité. Les mots lui brûlèrent les lèvres, parce que ça n’était pas dans son habitude d’en remettre une couche, d’attirer l’attention sur une victime qui avait forcément souffert de la situation, mais cette rencontre fortuite lui avait fait perdre ses moyens et sa capacité à réfléchir correctement. Jamie ne se laisse pas faire, ça aurait surprenant, et défend sa moitié comme tout homme l’aurait fait devant autant d’impertinence, force de l’ordre ou pas. Et quelque part Jamie avait raison, elle avait sûrement dû pâtir du costume que les journaux avaient taillé à son époux, de cette sale histoire qui semblait les suivre jusque dans leur vie privée. Le policier aurait voulu s’excuser, passer au-dessus de tout ça et simplement dire qu’il était désolé, mais ça aurait donné à Jamie une poigne sur lui dont il ne voulait pas. « Ces fausses accusations ont quand même débouchés sur une enquête, c’est forcément qu’il y avait des choses à trouver. » Un ton de banalité s’est emparé de Lonnie alors qu’il hausse les épaules pour appuyer ses dires, comme si il parlait du beau temps avec un inconnu rencontrer au hasard. Malgré tout ce qu’il avait pu voir et vivre le policier gardait une foi inébranlable dans la justice, pour lui il n’y avait pas d’enquêtes sans faits, et pas de faits sans hommes qui franchissaient la ligne pour commettre même le plus simple des larcins. Jamie détourne le regard mais ne s’avoue pas vaincu, et ça fait tout drôle à Lonnie de voir le brun si fragile pendant une poignée de secondes, parce qu’il en avait oublié que le Keynes ne restait qu’un homme comme les autres. Keynes attaque la police, l’institution à laquelle Lonnie avait dédié sa vie, son quotidien. Il n’en faut pas plus que le Hartwell s’enrage, bouillonne devant les yeux de Jamie qui doit se régaler d’un tel spectacle. « Votre avocat doit être un homme très préoccupé Mr Keynes, ne lui donnez pas plus de soucis que vous le faites déjà. Il vous en sera reconnaissant j’en suis sûr. » Le policier se rapproche et sa taille lui fait encore défaut, il doit lever les yeux pour regarder Jamie alors que ce-dernier à déjà sur lui une emprise mentale. Le brun parle d’abus, se fait victime d’un pays où les policiers sont avides de conquêtes et ne pensent qu'à faire tomber ceux qui ont réussis à grimper l'échelle sociale. Sans vouloir jouer les saints Lonnie sait pourtant que c'est loin d'être son cas, alors il affiche un petit rictus méprisant suivi d'un pincement des lèvres. « C'est vrai que de vous avoir vu menotté à l'arrière d'une voiture ça m'a fait du bien. Pas parce que vous êtes "meilleur", mais parce que vous êtes une ordure. » Une fois de plus les mots lui avaient brûlés les lèvres, mais Lonnie était aveuglé par cette envie de montrer à Jamie que lui aussi pouvait jouer les cadors, peut importe les conséquences. Et la situation s'envenima encore plus alors qu'un inconnu, le smartphone dégainé, prenait un malin plaisir à filmer la scène pour les yeux naïfs d'une petite dizaine d'abonnés qui se transformeront bien vite en centaines de personnes. Jamie s'avance pour faire face, montrant les dents à cet inconnu qui ignore encore toute la portée de son geste. Un pas de trop, c'est tout ce qu'il suffit au policier pour se glisser entre les deux hommes avant de baisser le smartphone d'un geste de la main tandis que Jamie vocifère des menaces dont lui seul à la secret. « Je vous conseille d'écouter cet homme et d'arrêter tout de suite. » Il ne veut pas sortir son badge, il ne veut pas donner raison à Jamie qui s'en frotterait les mains. L'inconnu prend la mouche, s'indigne et on le surprend même qui essaie de redresser l'objectif vers le Keynes. La main devant l'appareil Lonnie s'est lui aussi approcher du paparazzi pour lui glisser quelques mots, une recommandation dont il devra faire bonne usage. « Vous ne voulez vraiment pas que cet homme fasse de vous sa prochaine cible, croyez-moi. » Le policier esquisse un sourire avant de taper du plat de la main sur l'épaule de l'inconnu qui, un peu contraint et forcé, s'en va sans demander son reste.
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Rapidement après avoir été assis à l’arrière de la voiture de police, ce jour-là, et après avoir compris ce qui m’y avait conduit, je me suis efforcé de ne pas rejeter la faute sur Joanne ; je n’étais pas sa victime, elle était la mienne, et elle avait ressenti le besoin de se confier à une personne qu’elle pensait de confiance à propos de nos difficultés. Quitte à trop en dire. Elle n’a jamais été une femme battue, dans le sens où je n’ai jamais eu l’intention, foncièrement mauvaise, profondément virulente, de lui faire le moindre mal. Je n’ai jamais voulu la corriger comme on dresse un animal, je n’ai pas cherché à la casser, la briser comme une vulgaire poupée refusant de se plier à l’image que j’attendais. Je ne me suis jamais emporté saoul, gratuitement, futilement. Mais je me suis emporté, il est vrai. J’ai levé la main sur elle. Je suppose qu’il n’en faut pas plus. Il a été bien plus simple de blâmer Saul, notre voisin et oreille si attentive vers laquelle la jeune femme s’était tournée, pour avoir jugé en savoir assez pour déverser ces confessions au poste. Une partie de moi continue de voir en lui le coupable idéal de cette situation, l’instigateur d’une chute longue et douloureuse pour une motivation douteuse sous couvert de vouloir passer pour un justicier. Néanmoins, j’ai eu le temps de repenser ces événements en long et en large, de prendre le recul nécessaire pour m’ajouter moi-même à la liste de ceux qui me pointent du doigt. Je sais que je suis le problème en tout premier lieu, que je suis la cause, le coupable ; les faits sont là, et cette lucidité me heurte autant que l’acharnement à mon encontre que je ressens depuis lors. Cela ne fait pas de moi ce que ces personnes voient, ce que la police dépeint. Je connais les causes de mes actions, j’ai fait les frais des conséquences, et pourtant la page ne se tourne jamais vraiment. Ce qui est à mes yeux une injustice est un travail rondement mené pour Hartwell et les membres de son équipe. J’imagine que la justice ne s’encombre pas de plusieurs niveaux de lecture ; des hématomes sur les bras, c’est une condamnation qui roule. « C’est ce que vous vous dites devant le miroir pour vous sentir mieux ? » Tout ce qui a été trouvé, exposé, au cours de cette mascarade nommée enquête, c’est ma condition, ma maladie. Un traitement arrêté depuis trop longtemps, une émotion forte, une dose de stress, un déclencheur, et les actes dépassèrent ma pensée. Un type incapable de se gérer, en somme, un gars qui ne se soigne pas quitte à être un danger pour ses proches. Je ne m’attends pas à ce que qui que ce soit puisse comprendre l’humiliation face à l’étalage de cette tare que je gardais bien secrète. Ce sentiment de vulnérabilité, cette mise à nu, tandis que je me faisais décortiquer comme une grenouille dans un cours de sciences et labellisé au même titre que d’autres monstres. Une ordure, pour Lonnie. Ce n’est pas le pire qualificatif que j’ai entendu. Je retiens un soupir, ainsi que d’autres paroles que je pourrais regretter. Le jeune homme ne sait pas qui je suis, il n’a sûrement aucune envie de creuser la question. Cela reviendrait éventuellement à s’interroger sur une culpabilité toute faire sans son esprit, tenter de voir les choses sous un autre angle, un prisme qui n’irait pas son sens. Je suis la bonne prise, le trophée de chasse. A en juger par son sourire narquois, l’étincelle dans son regard, il en est fier quand il se refait le film de cette arrestation. Au poste, ils se sont sûrement flanqué pas mal de tapes dans le dos en riant grassement d’avoir ajouté mon nom dans leurs registres. Moi, cela me retourne l’estomac. Quand je me tourne vers l’homme qui nous filme à l’aide de son téléphone, je montre les dents comme un animal blessé s’en prendrait au touriste de trop. La menace part, regrettée aussitôt, de même que ce pas effectué vers lui, menaçant, débordant d’une colère émanant comme la chaleur d’un feu dans l’âtre. En une fraction de seconde, Hartwell s’interpose, me donnant le dos, la main sur l’objectif. Libéré de l’emprise de la lentille, je relève le regard pour observer les autres personnes autour. Le temps semble figé, les regards tous tournés vers la scène, aussi furtive soit-elle. La caissière s’est stoppée, les clients n’osent plus parler, et dans ce silence dans lequel on entendrait une mouche voler, c’est mon coeur qui résonne jusqu’à mes oreilles à un rythme qui ferait pâlir mon cardiologue. C’est un de ces moments où l’on souhaite soit disparaître soit-même, soit que chaque individu environnant soit emporté dans un vortex. Dérapage ! Keynes perd encore son sang froid. Prend-t-il encore son traitement ? Quelques titres racoleurs d’articles à trois cent signes dans les torchons avides de ragots fusent dans ma tête si facilement. Il me semble repartir de zéro au moindre pas de côté, de n’avoir aucun droit à l’erreur, pas une seule seconde de relâchement. « Sa prochaine cible ? » je tique. L’apprenti paparazzi s’est esquivé sur les bons conseils du policier. Mais celui-ci ne s’est pas gêné pour grossir le trait. Ses mots sont sûrement sur la vidéo. L’indignation gonfle ma poitrine, mes épaules se crispent alors que j’enrage, le souffle brûlant et profond si proche de l’australien qu’il glisse sur son visage aux traits prépubères. Le voile noir sur mes yeux, mes pupilles transpercent son crâne en contrebas, ma main saisit son col avec la ferme intention de le tenir tranquille le temps de lui rougir la tempe d’une gauche bien dosée. « Vous ne voulez vraiment pas que cet homme fasse de vous sa prochaine cible, croyez-moi… parce que vous êtes une ordure… les gens ne changent jamais vraiment, n’est-ce pas ?... » J’imagine que non, en effet. Qu’à force d’être insulté, accusé, on devient même un peu du monstre que les gens projettent sur soi. Quitte à leur donner raison, malgré moi. Sans rien en faire, je finis par lâcher Lonnie. « Elle est toute trouvée. » Peut-être qu’il prendra pour tous les autres, mais Hartwell s’est dessiné un point rouge sur le front, et maintenant je le veux à terre. Juste lui, le petit jeune sur mon chemin, lui qui s’est frotté à trop gros pour lui en voulant jouer au plus fin. Il fait mine de ne pas avoir peur, le petit justicier, mais il sera bien vite remis à sa place. Qu’il serre fort son badge contre lui la nuit tant que c’est encore possible. Il pourrait lui manquer bientôt.
They think they run the town until we run them out of town And they gotta relocate. Gotta dip from where they stay, Everything will be okay Man, just stay up out my way
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Des hommes comme Jamie Keynes ils en courraient plein les rues, et si le policier se contentait de les ignorer jusqu’à ce que l’affaire du philanthrope n’apparaisse dans sa carrière, il avait maintenant plus de mal à ne pas juger ces hommes d’influences qui se plaisaient à se croire au-dessus des lois. Pourtant Joanne Keynes avait défendu son époux devant toutes les allégations portées contre lui, corps et âme elle avait toujours essayé de faire passer Jamie pour quelqu’un d’inoffensif qui, sous le coup de la colère, avait eu le mauvais geste au mauvais moment. Mais Lonnie n’avait que trop d’expérience dans le domaine pour ne pas imaginer que la femme cachait ses blessures aux yeux de tous pour ne pas subir le courroux de son époux. Alors malgré tout ce que les avocats du Keynes avaient répété pendant de longues heures, prêt à se damner pour leur client qui payait gracieusement les heures supplémentaires, Lonnie n’avait vu qu’un homme d’une lâcheté son nom qui méritait de pourrir en cellule. Peut-être qu’il était aussi coupable que lui, dans le fond, coupable de juger sans savoir en ne basant que sur sa propre expérience, mais la situation dans laquelle les deux hommes étaient plongés ne faisait que renforcer la première impression de Lonnie. Cette partie d’échecs avait mal débuté et le policier ne trouvait vulnérable devant Jamie qui, bien plus grand que lui, avait déjà placé ses pions pour que le bleu se sente démunie, incapable de trouver ses mots devant la stature imposante du Keynes. Pourtant il se devait d’être malin, de palier à son manque de carrure physique par sa façon de jouer avec les mots afin de percer la peau bien épaisse du philanthrope, de lui faire comprendre qu'il ne le lâcherai pas du regard même si il devait s’en brûler les yeux. Coupable d’être assez connu pour faire la une des tabloïds grossiers Jamie s’était vu dépeindre comme un manipulateur et un colérique pour son acte, et si Lonnie avait essayé de ne pas prendre parti dans cette histoire et de ne faire « que » son travail, mais il était compliqué pour lui de ne pas ressentir une certaine joie à l’idée de voir Keynes attaché dans une voiture. Et ça l’avait rassuré, contenté même, de savoir qu’il avait eu un rôle à jouer dans cette histoire. Keynes n’était pas cet avis, nourrissant une colère contre les flics qui l’avaient bouclé, menotte au poignet, et qui avaient célébrés son arrestation avec une tournée de champagne. Hartwell avait haussé les épaules alors que Jamie s’emportait, maudissant les hommes qui le traitaient d’ordure pour se sentir supérieur, mettant Lonnie dans ce panier sans même chercher à comprendre ce qu’il pourrait avoir de différents des autres. « Dans le miroir je vois quelqu’un qui jamais levé la main sur quiconque, vous pouvez en dire autant ? » C’était d’une atrocité profonde, le genre de chose que le policier ne disait jamais en règle générale mais qui avait sonné vrai, sur le moment seulement, car si Lonnie n’avait pas peur de Keynes il n’en restait pas moins dans une position vulnérable face à lui ; et ses paroles donnaient une bonne raison à Jamie de le marquer d’un point rouge sur le front. Le brun avait du pouvoir, de l’influence auprès des responsables de différentes organisation, et ça n’étonnerait pas le flic de savoir le chef de la police présent sur cette liste de personne. Alors que la scène digne des plus grands westerns avait attiré l’attention des badauds il n’avait pas fallu plus d’une minute pour que l’un des clients présents dans le café dégaine son portable afin de ne pas perdre une miette du spectacle, s’attirant – en même temps – les foudres du Keynes qui s’emporta aussitôt contre l’homme. Lonnie avait tenté de se dresser entre les deux mais l’homme au smartphone refusait de rester muet et avait redressé son téléphone après une première tentative du policier de lui faire comprendre qu’il ne fallait mieux pas s’en mêler. Les mots employés ne plaisent pas à un Jamie encore plus fou de rage qui s’approche maintenant de Lonnie, les yeux dans les yeux le flic peut sentir le souffle court de l’anglais dont les pupilles se sont teintées de noir. « Vous auriez préféré que je dise ‘bouc émissaire’ plutôt que ‘cible’ ? » Le flic se pare d’un habit de courage pour affronter Jamie qui soutient son regard depuis de longues secondes. « Parce c’est ce que je suis, non ? Votre bouc émissaire dans cette enquête, alors que d’autres flics ont bossés dessus, alors que je ne suis pas même celui qui vous ait passé les menottes. » Hartwell était maintenant persuadé que l’homme à la caméra allait représenté, dans l’esprit du brun, tout ce qu’il y a de plus mauvais dans ce monde constamment attiré par les ragots et les histoires à scandales, peu importe qu’il soit ou non un homme bon. « Je vous ai jamais posé la question, pourquoi moi Mr Keynes ? » Haussant un sourcil Lonnie appréhende la sentence qui arrive, et quand Jamie l’agrippe par le col le flic n’est pas vraiment surpris, rassurant même du bout des doigts et du regard les clients prêts à appeler du renfort, effrayés à l’idée d’assister à une bagarre. « Après tout je n’étais pas le seul à enquêter sur vous … c’est ma tête de gentil garçon c’est ça ? » Le flic jouait avec le feu et allait bientôt en payer le prix, même si il n’avait rien fait pour énerver Jamie il serait dépeint comme le fauteur de troubles ayant cherché la petite bête, le petit con insolent se protégeant derrière son badge. Keynes, qui dissimulait sa fureur pour ne pas donner une bonne raison aux badauds de le traiter comme un monstre de colère, avait fini par lâcher le flic – à contre cœur sûrement – avant de cracher une nouvelle menace que Lonnie accueille sans broncher, conscient qu’il jouait gros et qu’il avait beaucoup à perdre dans cette histoire, mais se refusant à baiser les pieds du tyran. « Très bien alors, mais que ça soit moi ou quelqu’un d’autre il y aura toujours quelqu’un pour se pencher dans votre vie Mr Keynes. » Lissant sa chemise maintenant froissée avec le plat de sa main Hartwell avait rassuré les clients d’un sourire forcé. « Je vous conseille d’y mettre de l’ordre, avant que le monde ne se rende compte de qui vous êtes vraiment. » Les dernières paroles de Lonnie allaient peut-être être décisifs, mais il se fichait bien de savoir qui serait au courant de cette histoire, vers qui le Keynes allait se tourner pour essayer de faire descendre le flic plus bas que terre, tout ce qui comptait c’était d’apercevoir une lueur tremblantes dans les yeux de Jamie, de savoir qu’il avait réussi – ne serait-ce qu’un peu – à percer une entaille dans l’armure flamboyante de celui qui se prenait pour le chevalier blanc mais qui était, en fait, le loup en habits de mouton.