J’attendais mon tour pour terminer mon inscription au cours de Yoga en plein air. Il y avait encore deux jeunes femmes et un homme devant moi mais le temps me paraissait assez long. Visiblement, le cours était complet et il n’était plus possible que d’autres personnes s’y joigne. J’allais alors m’avancer vers la table des inscriptions quand cet homme fit un grand pas vers l’avant juste avant moi, passant devant les deux nanas qui le précédaient. « Vous devez faire erreur, j’ai fais une pré-réservation sur internet. » et bien, ça tombait bien puisque c’était exactement ce que j’allais dire. « Et moi aussi… » le duo qui portait des t-shirt avec une grosse inscription « Yoga » dessus semblaient être totalement perdu. Des bénévoles sans doute qui n’avaient pas les informations nécessaires pour que l’organisation se passe au mieux… « Nous allons voir ce que nous pouvons faire… » ils s’éclipsèrent assez rapidement et quelques minutes plus tard ils revinrent accompagnés d’une jeune bien plus âgées qu’eux. Voilà peut être quelqu’un de responsable. « Mesdames, Messieurs bonjour. Nous allons prendre vos noms et numéros de réservation, s’il vous plait. » je dégainais alors mon téléphone avec le mail que j’avais reçu plus tôt dans la matinée, me rappelant mon inscription à ce cours. « Eva Adams, numéro 15785 » après un regard dans un cahier avec une centaine de nom gribouillé, elle fini par me retrouver. « très bien, restez sur la droite, nous allons vous donner le matériel une fois que tout le monde sera enregistré. » J’agis donc en me décalant vers la droite, attendant sagement de pouvoir récupérer le tapis que j’avais aussi réservé et payé en ligne. « Marius Warren, numéro 14525 » en entendant ce nom de famille, ma curiosité me tiqua et je ne pu m’empêcher de regarder ce visage de plus prêt. Rien de bien ressemblant avec Tommy cependant. Peut être y avait-il plusieurs familles Warren dans les parages, ce ne serait pas étonnant. « Nous allons pouvoir commencer. » donc cette femme qui nous avait rejoint était notre professeur de yoga. Matériel en main, je me retrouvais juste à côté de ce Warren. J’étais d’ailleurs bien surprise de voir qu’un homme se joignait à ce groupe. Sur les 35 personnes présente, ils n’étaient que quatre. « Vous vous êtes retrouvés ici par hasard ? » lui lançais-je pour débuter la conversation. J’étais curieuse d’en savoir plus à son sujet.
Note à mon cerveau : ne jamais, plus jamais, ô grand jamais, faire de pari avec Beth. Ma soeur était tellement heureuse de mon retour à Brisbane qu'elle était... omniprésente. Comme si elle craignait que je fasse demi-tour et que je quitte de nouveau notre terre natale, elle rivalisait d'imagination pour que je m'ennuie pas une seule seconde - ce qui était, de manière générale, impossible pour l'homme occupé que je m'efforçais d'être au quotidien. Bien que cette omniprésence puisse parfois se révéler oppressante depuis le début du mois de juillet, je devais lui reconnaître une grande détermination, et l'indicible volonté de me garder auprès d'elle. Beth avait toujours été comme ça, branchée sur deux mille volts et soucieuse du bien-être de la fratrie - autant dire que les évènements des dernières années l'avaient particulièrement affectée. La culpabilité qui était la mienne - aussi infime soit-elle comparée à celle de mon cadet, me poussait à prendre sur moi et accepter, en dépit de toute raison, ses multiples sollicitations. Une fois n'étant plus coutume, j'avais accepté de passer une soirée bien arrosée en sa compagnie. Dans l'euphorie de ces instants alcoolisés, elle avait eu la bonne idée de lancer un jeu stupide avec un gage à la clé. Jeu que j'avais, malgré des efforts conséquents de concentration, fini par perdre. Comme un couperet, la sentence était tombée : une séance de yoga, avec photo à l'appui. Autant dire, un calvaire qu'il était hors de question de vivre. Jusqu'à ce que, poussée dans ses derniers retranchements, Beth finisse par me menacer d'imposer la présence de Tommy à chacune des rencontres que j'aurais avec sa fille. Ma nièce était peut-être la personne la plus chère à mes yeux, et il m'était impensable que nos récentes retrouvailles, grâce au concours de Beth, soient entachées par un gage à la c*n. Résigné, presque exaspéré par cet exercice forcé, je finis par me rendre sur le lieu indiqué. « Marius Warren, numéro 14525 » Je levai à peine la main, la mâchoire serrée à l'idée de voir ma soeur jubilait en m'inscrivant à ce cours en plein air. Je pris la place la plus lointaine, en retrait, et installai négligemment mon tapis de yoga. Putain. « Nous allons pouvoir commencer. » Vite, qu'on en finisse vite. Je soupirai, dents serrées, attendant impatiemment que tout cette mascarade prenne fin quand une voix féminine parvint à mon oreille. « Vous vous êtes retrouvés ici par hasard ? » Je fus surpris qu'on m'adresse la parole, alors même que je n'étais pas du tout disposé à discuter avec quiconque. « Par hasard ... » répétai-je à demi-mot, ricanant dans ma barbe. Un rire jaune qui laissa perplexe la jeune femme à ma droite, responsable en rien de la peine que je subissais. Je finis par me résigner. « J'ai perdu un pari. » J'haussai les épaules, constatant avec effarement que les premiers étirements avaient commencé. Je fermai les yeux, soupirai bruyamment et pris mon courage à deux mains pour me mettre tant bien que mal en tailleur et étirer les muscles des cuisses. La souplesse d'une barre à mine ! « Ne me dites pas que vous êtes là par pur plaisir ? » demandai-je à ma voisine avec un air de dégoût. Le yoga, le bien être, les chakras, la connexion avec le ciel, tout ça... très peu pour moi.
Spoiler:
Y'a des gifs tellement trop hooooot de Natalie et Fassy
Dernière édition par Marius Warren le Dim 30 Sep 2018 - 17:33, édité 1 fois
Installée sur mon tapis, encore debout, je n’attendais que les instructions et les démonstrations de la professeurs qui nous donnerait ce cours. Mais j’étais aussi très curieuse d’en savoir plus sur cet homme qui venait de s’installer à mes côtés. Ce Warren qui forcément, m’avait posé question. Je lui avais donc demandé comment il s’était retrouvé ici. Un homme au milieu de beaucoup de femmes, forcément, je pouvais me le demander. Ma question ne paraissait pas trop étrange et c’était pour moi un excellent moyen d’ouvrir la conversation. « Par hasard ... J'ai perdu un pari. » Je me disais bien. Je pouvais en sourire mais il ne semblait pas que lui soit réellement enchanté de se retrouver dans ce cours en plein air. « Vous verrez, ce n’est pas si terrible… » et c’était une promesse. « C’est un cours facile, vous n’allez pas vous retrouver dans des positions improbable… » du moins on allait surement rester dans le classique du yoga, c’est un cours pour débutant, pas pour celui ou celle qui en fait depuis des années, capable de mettre ses pieds derrière ses oreilles sans difficultés. Je crois que ce n’était pas mon cas. Je finis par m’asseoir, imitant mon voisin qui était en tailleur. Mes mains posées sur mes pieds que j’étirais doucement. « Ne me dites pas que vous êtes là par pur plaisir ? » J’hochai la tête. « Bien sûre que si. Je crois que nous serions beaucoup de perdant à venir ici pour un pari… » j’avais l’impression de le surprendre. « Je ne pratique pas régulièrement mais de temps en temps, ça ne fait pas de mal. » lui assurais-je. Je jetai un œil un peu plus loin devant pour voir dans quelle position nous allions être mangés ensuite. Si c’était une première pour lui et qu’en plus de ça il n’avait pas choisi d’être ici, ca risquait d’être assez amusant à voir. « J’ai l’impression que vous êtes sportif… » son corps était si bien musclé qu’il ne pouvait en être autrement. « Prenez ça pour une longue séance d’étirement… ni plus ni moins. » les postures se ressemblaient fortement après tout. « et vous y ajoutez une bonne respiration… mais là non plus, on est pas très loin. » des ressemblances partout. « On commence… » lui dis-je comme si ca allait réduire sa souffrance. D’après notre professeur, la première posture s’appelait « La cigogne » il fallait se mettre à nouveau debout, la regarder faire une première fois et ensuite l’imiter. J’ignorais pourquoi mais en la voyant faire, je me doutai parfaitement que ce Warren allait être ravie de se trouver en une telle posture. « C’est partie ! » me voilà pliée en deux, ramenant mon tronc contre mes jambes et pointant mes fesses vers le ciel. Je restait concentrée mais je me sentais obligée de l’observer faire en même temps. « La souplesse… » dis-je assez ironiquement.
« Vous verrez, ce n’est pas si terrible… » Ce qui sonnait dans la bouche de cette femme comme une promesse ne me mettait pas plus en confiance. Au contraire, je criais intérieurement à l'injustice et à la connerie du pari que j'avais pu faire avec ma soeur. Bien sûr que c'était terrible, je me retrouvai là, dans un cours en plein air blindé d'hommes et, surtout, de femmes qui profitaient du Health Festival pour surfer sur la mode du bien-être à tout va. Le yoga, le hygge, le lagom et tous ces nouveaux préceptes en vogue me faisaient doucement rigoler. Comme s'il fallait que quelques auteurs de best-sellers des rayons de développement personnel nous aident à trouver le moyen de vivre notre vie à cent pour cent, en pleine conscience. Comme s'il n'existait qu'un ou deux mode-s de vie pour les 7,442 milliards d'habitants sur terre... mais pfff, je m'égarais dans mes pensées. « C’est un cours facile, vous n’allez pas vous retrouver dans des positions improbables… » Je fixai la jeune femme d'un air involontairement dédaigneux ; je n'avais pas la moindre envie de me trouver dans quelque position que ce soit, à méditer dans cette foule de yogis en puissance. Mais puisque la loyauté et le fair-play m'empêchaient de fuir à grandes enjambées, c'est d'un air résigné que je finis par m'installer plus ou moins en tailleur sur un des tapis installés sur le sol pour l'occasion. J'osai croire que je n'étais pas le seul à être ici par obligation, jusqu'à croiser le regard surpris de ma voisine. « Bien sûr que si. Je crois que nous serions beaucoup de perdants à venir ici pour un pari… » Les sourcils haussés et les paupières battant lentement devant cette implacable logique, j'opinai du chef sans un mot. Elle n'avait pas tort. J'étais bien le seul c*n à accepter de parier là-dessus. « Je ne pratique pas régulièrement mais de temps en temps, ça ne fait pas de mal. » Pour sûr, le yoga étant un sport doux n'était pas, par définition, reconnu comme violent. L'aviron, que j'avais pratiqué pendant des années, était déjà bien plus physique - au sens où je l'entendais, n'allez pas m'envoyer une armée de pro-yoga prête à en découdre - et j'avais clairement l'impression que j'allais perdre mon temps. « J’ai l’impression que vous êtes sportif… » Son regard en coin ne m'avait pas échappé, mais qu'elle le dise tout haut flattait mon égo. Je me redressai légèrement. « Je le suis. » avouai-je, non sans une once de fierté, sans prendre soin de préciser qu'en réalité, je l'étais bien moins qu'avant. Quarante ans, les gars. « Prenez ça pour une longue séance d’étirement… ni plus ni moins. » Elle avait raison, mais ce qui m'intéresser dans le sport, c'était justement ce précédait l'étirement : le sport, donc. Mais passons. Le visage radieux et moqueur de Beth découvrant la preuve de ma participation me traversa l'esprit, ce qui m'agaça davantage. Je pris toutefois soin de rester impassible, sagement assis sur mon tapis, tandis que ma voisine s'acharnait à me convaincre des bienfaits de la séance qui nous attendait. « et vous y ajoutez une bonne respiration… mais là non plus, on est pas très loin. » Je devais lui reconnaître une certaine détermination à supporter ma compagnie... comme beaucoup ces derniers temps. Car depuis mon retrouvailles à Brisbane, j'avais l'étrange impression que les planètes s'étaient alignées pour que mes nouvelles rencontres se passent au mieux. Moi qui avais toujours eu des difficultés à gérer les interactions sociales, j'avais eu le loisir de passer quelques instants hors du temps avec l'héroïne de mes échanges épistolaires depuis deux ans, avec cette belle new yorkaise du gala de charité de l'université, avec mon meilleur ami et les préparatifs de son mariage, avec cette tornade rousse au comptoir de mon quartier général et avec cette jeune femme aujourd'hui. Si l'ombre de Tommy ne flottait pas toujours au-dessus de ma tête comme un retour à la réalité, je me serais cru dans une dimension parallèle. « On commence… » Et merde, c'est l'heure. « C’est parti ! » Comme une secte, tous se levèrent doucement et se mirent à reproduire l'inconfortable position du professeur. Debout, les bras las le long du corps et la tête penchée, je cherchai à en comprendre le sens. « Non mais la cigogne, on aura tout vu ... » marmonnai-je dans ma barbe, méprisant au passage les adeptes de ce sport dont je ne comprenais guère l'intérêt. Un regard du professeur vers moi suffit néanmoins à me faire céder un tant soit peu. Un pari est un pari. Je me pliai en deux et laissai tomber mes bras dans le vide, sans grande conviction. Impossible pour moi de toucher le sol ou d'attraper mes chevilles, de toute façon. « La souplesse… » entendis-je à ma gauche. Vexé de cette réflexion, je me sentis obligé de justifier : « J'ai de grandes jambes, c'est physiquement impossible. » Armé d'une mauvaise foi à toute épreuve, je finis par comprendre que ma voisine avait fait preuve d'une ironie que je n'avais pas saisi. Et en plus de ça, elle se débrouillait bien mieux que moi. Je me relevai déjà, cherchant à retrouver la respiration normale que cette piètre prouesse avait coupé, et observai la jeune femme. « Vous êtes bien plus douée que moi. » tentai-je pour me rattraper. Et tandis que la professeure insistait sur les respirations, je restai debout, indifférent, à attendre impatiemment la suite.
Dernière édition par Marius Warren le Dim 30 Sep 2018 - 17:33, édité 1 fois
Prendre du temps pour moi, c’était un des gros efforts que j’avais promis à Milena de faire. Et depuis le temps, un peu plus d’un an, j’y arrivais peu à peu. Et il est aussi vrai que depuis, j’avais réussi à faire le vide dans mon esprit : ma stérilité n’était plus un secret pour personne et surtout plus pour Roman. Notre mariage était passé à présent et c’était aussi un soulagement. Toute cette charge mentale que j’avais sur les épaules, toutes ces pensées, cette organisation impeccable, tout ça était derrière moi à présent. Et maintenant, c’était presque comme si je n’avais plus vraiment d’objectif. Enfin, si, je m’étais mis en tête de déménager, encore sur un conseil de Milena, comme si finalement, je n’étais plus capable de prendre mes propres décisions. Tout m’était dicté et je me contentais de faire des croix à chaque fois que je réalisais quelques choses. Mais ca me permettait d’y voir un peu plus clair, comme si j’avais besoin d’être aiguillée pour mon quotidien. J’étais bien moins à l’aise avec tout ça d’ailleurs qu’avec mon propre travail où je me contentais de faire ce que l’on attendait de moi : être une rédactrice en chef compétente et rigoureuse. Pour le bien de ABC radio. Tout ça pour dire que oui, ce cours de Yoga était un choix, que j’étais venue ici par ma propre cheffe et que ca me faisait beaucoup de bien. Contrairement à ce Warren qui était juste à mes côtés. Le moindre geste qu’il devait entreprendre semblait lui être une vraie torture. C’était amusant à voir. C’était aussi remarquable qu’il tienne ce pari perdu, ca en disait long sur sa loyauté. Ce n’était surement pas quelqu’un qui reculait devant la moindre difficulté, il ne serait surement pas là si non. Il avait fait une promesse en quelques sortes et il allait s’y tenir. Je ne pouvais pas lui jeter la pierre. « J'ai de grandes jambes, c'est physiquement impossible. » se défend-il lors je lui fais remarquer qu’il n’avait pas la souplesse d’une danseuse étoile, loin de là même. « Mauvaise excuses. » la mauvaise foi ne m’aura pas. Il suffisait que je lui fasse un signe de tête vers l’avant, pour qu’il relève les yeux et remarque qu’il y avait une nana bien plus grande que lui encore qui exécutait parfaitement bien les mouvements. . « Vous êtes bien plus douée que moi. » je souris à ce compliment, assez fière de moi je l’avoue. « C’est sans doute plus simple pour moi, c’est vrai, mais la taille n’a pas grand-chose à voir avec tout ça… » bon, surement un peu. Pour une fois que ma petite taille me permettait d’effectuer plus simplement certaines choses. Mais une fois de plus, ce n’était pas la raison à tous ses maux. Entre deux mouvements, je finis quand même par me présenter officiellement. « Moi c’est Eva. » De nouveau à terre, nous enchaînions sur la posture du cobra, une respiration lente était de rigueur. « Cette posture aide à réduire le stress… » je l’imaginais un peu comme moi, très actif dans son quotidien, à courir à droite et à gauche, peut être avait-il de grandes responsabilités aussi. Le stress pouvait faire partie de mon quotidien, les objectifs à atteindre, les moyens toujours plus faibles, le temps qui manque de plus en plus… Bon, j’arrêtais de causer lorsque la professeure fit remarquer qu’il était important de se concentrer. J’avais l’impression que ce message m’était directement destiné puisqu’il n’y avait en réalité personne d’autre qui parlait dans le groupe. Je regardais mon nouvel acolyte du yoga d’un air désolée et me concentra sur ma respiration à nouveau. La fin du cours arrivée, je pouvais de nouveau mener mon investigation. « Alors, satisfait ? » j’imaginais que ce n’était pas l’extase pour lui mais peut être avait il fini par passer un bon moment. « Est-ce que par hasard, vous avez un peu de temps devant vous ? » une heure de mon côté avant de ne devoir m’éclipser pour rejoindre Tony et garder Eliott alors que mon frère doit se rendre chez le dentiste. « Au fait, qui vous a lancé ce pari ? »
« Mauvaise excuse. » Evidemment, que c'était une mauvaise excuse mais c'était le maximum dont j'étais capable en cette pathétique séance de yoga. « C’est sans doute plus simple pour moi, c’est vrai, mais la taille n’a pas grand-chose à voir avec tout ça… » Mes iris vinrent de loger dans le coin inférieur gauche de mes yeux, tentant d'analyser avec tact si elle faisait preuve ou non d'ironie. Et comme je le supposais, elle était très sérieuse. Je réfrénai alors un léger sourire moqueur pour me concentrer (enfin, autant que possible) sur les mouvements lunaires de la professeure. Une jambe par-ci, un pied par là, la tête en bas, les bras vers le ciel pour accueillir l'énergie du soleil ... « Moi c’est Eva. » Un doux murmure, celui de ma voisine, m'avait sorti la tête de ces foutues positions dont je ne comprenais ni la construction, ni l'intérêt. « Cette posture aide à réduire le stress… » Cette confidence, davantage sonore que les précédentes, prit subitement fin sur les timides mais fermes remontrances de la prof. Je soupirai excessivement, agacé par l'hypocrisie ambiante que je ressentais. Bon nombre de participants semblaient se croire investis d'une lueur divine, envahis d'une indicible sérénité qui pourtant disparaîtrait le cours fini. Cette fausse symbiose et la souplesse dont je manquais cruellement pour accomplir les mouvements enseignés eurent raison de ma patience. J'abandonnai alors, m'installant plus confortablement ; jambes tendues, le poids du corps sur les paumes de mes mains, ancrées dans le tapis mauve, j'observai la scène avec dédain. Quelques mouvements seulement séparèrent ma voisine de la fin du cours. L'air apaisé, elle s'enquit de connaître mon ressenti. « Alors, satisfait ? » « Satisfait que ce soit terminé, oui. » répondis-je sur un ton plus sec que prévu, rattrapé de justesse par un sourire exagéré. Je n'étais même pas sûr qu'elle m'en ait tenu rigueur, ou même qu'elle ne m'ait entendu derrière les applaudissements des élèves du jour. Par respect, j'accompagnai cette flopée de remerciements d'un air las. « Est-ce que par hasard, vous avez un peu de temps devant vous ? » Je ne pus cacher ma surprise face à la spontanéité de cette femme, ... Eva, de son prénom. Mince, je venais de me rendre compte que je ne l'avais laissée se présenter sans lui rendre la pareille. « Excusez-moi, je ne me suis pas présenté tout à l'heure. Sans doute étais-je trop concentré sur ces ... trucs là, pour penser à vous répondre. » Je lui tendis franchement la main. « Marius, enchanté. » J'attendis que notre brève poignée de main prenne fin pour jeter un coup d'oeil à ma montre. « Je devais retrouver ma soeur. » Beth m'avait promis qu'elle serait là pour la fin du cours, comme le bourreau soucieux d'achever sa torture avec soin. Mais j'avais beau cherché, elle n'était pas encore arrivée. La seconde qui suivit, je reçus un message de sa part, m'indiquant qu'elle aurait un retard de vingt minutes. Elle n'était jamais en retard, elle le faisait exprès ou quoi ? « Au fait, qui vous a lancé ce pari ? » « Justement, c'est elle. Disons qu'elle a sauté sur l'occasion de me faire sortir de ma zone de confort et... qu'elle m'a imposé de lui en ramener la preuve. » La preuve : une photographie certifiant ma présence à ce cours surprise et ce, avec un(e) inconnu(e). C'est le prononçant à voix haute que je me rendis compte de l'oubli qui aurait pu me coûter un second gage. Un pari était un pari, et je devais l'honorer. « Je vous propose quelque chose : si vous acceptez qu'on se prenne en photo ici, devant tous ces tapis de yoga et compagnie ... je vous offre un de ces immondes cafés. » D'un sourire amusé, je pointai du doigt une petite chariote éphémère à l'enseigne ambitieusement nommée coffeelgood, installée au bord de la plaine pour les sportifs cherchant le réconfort. Finalement, c'était peut-être un bon moyen de faire connaissance.
Le cours terminé, je pouvais lire la satisfaction d’en avoir terminé avec tout ça sur le visage de mon voisin, en effet. Il ne s’en cachait pas d’ailleurs. Il avait même lâcher l’affaire avant que le cours ne prenne fin, il devait sacrément apprécier cette personne qui lui avait lancé le défi pour rester jusqu’au bout. Peut être était-il aussi surveillé. Je me lançais pour lui demander s’il avait un peu de temps devant lui, ayant une heure à tuer avant de m’éclipser, j’avoue être intriguée et curieuse d’en savoir un peu plus à son sujet. J’ignorai s’il allait accepter de passer un peu de temps avec cette inconnue qui s’était gentiment moquée de sa souplesse durant cette heure de yoga. « Excusez-moi, je ne me suis pas présenté tout à l'heure. Sans doute étais-je trop concentré sur ces ... trucs là, pour penser à vous répondre. Marius, enchanté. » Je tendis ma main vers lui afin de lui serrer la pince en retour. « A vrai dire, je le savais déjà. » j’hochais la tête. « tout à l’heure, à l’inscription… » pour qu’il ne se fasse pas de film à mes propos. Toutefois, il n’avait toujours pas répondu à ma proposition. « Je devais retrouver ma sœur. » donc, c’est foutu pour cette fois. Tant pis, j’avoue ne pas cacher ma déception et j’étais déjà prête à le saluer et à lui dire au revoir. Il était toute fois occupé à regarder son téléphone. « Justement, c'est elle. Disons qu'elle a sauté sur l'occasion de me faire sortir de ma zone de confort et... qu'elle m'a imposé de lui en ramener la preuve. Je vous propose quelque chose : si vous acceptez qu'on se prenne en photo ici, devant tous ces tapis de yoga et compagnie ... je vous offre un de ces immondes cafés. » une photo donc qui allait finir dans le téléphone d’un inconnu et dont j’ignorai vraiment les intentions. Je regardais les tapis toujours au sol derrière nous. Il avait l’air d’être sérieux depuis le début avec cette histoire de paris et faire une photo en guise de preuve me semblait être la suite logique. « Bon, c’est d’accord. » et surtout, ensuite, nous pourrions passer un peu de temps ensemble. J’allais en savoir un peu plus à propos de lui et le temps passerai sans doute plus vite en sa compagnie que toute seule, en attendant de retrouver Tony et Eliott. « Alors, comment j’dois me mettre ? Position du lotus ? Ou alors, on fait une figure à deux et on demande à un passant de nous prendre en photo ? » dis-je assez amusée de cette dernière proposition. « Autant être crédible. » je secouais la tête. « bon, passons la torture. » je m’approche de lui après avoir ramassé un tapis au sol que j’enroule et mes contre moi. « vous dégainez votre smartphone… normalement. » un sourire et c’était dans la boite. La preuve en image faite, maintenant, direction le coffeelgood. Je m’installe à une toute petite table où trois personnes ne pourraient tenir avec leurs tasses et laisse Marius prendre place. Les cafés sont commandés et arriveront d’ici peu. « Bon, alors Marius, qu’est ce qui a réellement motivé votre sœur à vous pousser jusqu’ici ? Qu’est ce que cette zone de confort ? » une dernière question me brulait aussi les lèvres. « vous avez d’autres frères et sœurs ? » j’avais besoin de m’assurer qu’il n’y avait aucun lien entre lui et Tommy Warren.
Je m'étais à peine présenté qu'une affirmation de la part de cette inconnue m'interpella. « A vrai dire, je le savais déjà. » Je tournai vivement la tête vers elle. Comment connaissait-elle mon identité ? Deux hypothèses : j'étais le plus grand des goujats qui n'avait aucun souvenir d'elle, ou elle avait identifié le professeur d'université via les cours que je dispensais, ou de manière plus rapide, via le trombinoscope du corps professoral publié sur les réseaux. « tout à l’heure, à l’inscription… » Je lâchai une onomatopée face à la solution de ce problème. Evidemment, l'inscription. Elle avait dû se trouver derrière moi quand les organisateurs m'ont demandé de décliner mon identité pour vérifier ma réservation pour ce cours où les places s'étaient vendues comme des petits pains - la bonne blague. Je profitai de la fin de nos présentations formelles et de la spontanéité apparente de cette brune loquace pour lui demander un petit coup de main : participer à la photo souvenir, preuve irréfutable de gage accompli. « Bon, c’est d’accord. » Je fus soulagé d'entendre qu'elle était partante, cela m'évitait de faire des pieds et des mains à la recherche d'une bonne âme. Plus encore, Eva semblait particulièrement amusée par la petite aventure que je lui proposais. « Alors, comment j’dois me mettre ? Position du lotus ? Ou alors, on fait une figure à deux et on demande à un passant de nous prendre en photo ? » Je pâlis à cette idée. L'absence de pigments colorés sur mon visage aurait certainement affolé ma mère, qui aurait parié que j'étais sur le point de faire un malaise, et au fond... c'était presque le cas. « Autant être crédible. » Je n'avais pas la moindre envie de me tourner en ridicule en jouant les apprentis yogis avec une partenaire que je ne connaissais ni d'Ève, ni d'Adam. Je me renfrognai soudainement. « Un selfie suffira. » imposai-je finalement, me forçant à sourire aimablement. « bon, passons la torture. » Je soupirai, craignant de devoir lui faire comprendre qu'il était hors de question de me mettre en spectacle quand elle finit simplement par attraper un tapis et se rapprocher de moi. La tension redescendit en flèche. « vous dégainez votre smartphone… normalement. » « Oui, pardon. » Je m'empressai de sortir mon smartphone pour prendre le cliché attendu. Curieusement, ce qui devait être le cliché de la honte n'avait finalement rien de terrible. À dire vrai, nous étions même d'accord sur le fait que nous étions plutôt photogéniques. Je la remerciai chaleureusement en l'invitant à prendre place sur la petite terrasse éphémère du coffeelgood. Nous passâmes commande de deux simples expressos. « Bon, alors Marius, qu’est ce qui a réellement motivé votre sœur à vous pousser jusqu’ici ? Qu’est ce que cette zone de confort ? » Ma zone de confort, c'était une question bien vaste. « Nous avons pour habitude de faire du footing ensemble. J'ai parié que je serai le premier sur la ligne d'arrivée. » J'haussai les sourcils. En deux ans d'absence, Beth s'était certainement entraînée comme jamais dans le seul but de préparer sa vengeance. « Comme vous vous en doutez, elle était surentrainée. » Je n'eus guère le temps de répondre quoi que ce soit sur ma zone de confort, ce qui m'arrangeait complètement, qu'elle enchaîna sur une autre question. « vous avez d’autres frères et sœurs ? » Je regardai Eva d'un air perplexe. Cette femme était décidément bien curieuse et cela commençait à me mettre mal à l'aise. Les expressos arrivèrent, me laissant le temps de réfléchir à la réponse que j'allais lui fournir. Le serveur, qui attendait que je règle la note, me tira de mes pensées. Je réglai la somme due, rangeai mon portefeuille et finis par céder : « En effet, j'ai un frère et deux soeurs. » Sur le papier, en tous cas. « Vous êtes bien curieuse. » conclus-je finalement en buvant une gorgée de café brûlant.
Quitte à boire un café avec cet inconnu – peut être plus si inconnu que ça d’ailleurs – autant que ce soit agréable et pour ça, il fallait bien discuter. J’aurai été bien plus mal à l’aise si nous restions silencieux à se regarder ou pire, ayant un regard fuyant le temps de la dégustation. J’imaginais que s’il m’avait proposé cette petite pause-café c’était bien que ma compagnie ne lui était pas si terrible à supporter non plus. Je lui avais peut-être aussi permis de passer une séance de Yoga bien moins pénible que ce qu’il n’avait pu imaginer. Détendant l’atmosphère à ma manière, me moquant légèrement de lui certes, mais c’était bon enfant. « Nous avons pour habitude de faire du footing ensemble. J'ai parié que je serai le premier sur la ligne d'arrivée. » et visiblement, il avait mal parié. Ca me faisait sourire. Ces hommes qui se pensent parfois meilleurs sportifs. S’il avait couru aussi bien qu’il n’était souple, je comprenais bien que sa sœur lui soit passé devant avec aisance. « Comme vous vous en doutez, elle était surentrainée. » je levais les yeux au ciel, plutôt amusée par cette remarque. « ou simplement meilleure joggeuse que vous. » je ne me serai certainement pas amusée à faire ce genre de paris avec Roman ou encore mes frères. Je me savais bien piètre coureuse, ayant l’endurance d’une femme obèse qui tente préfère prendre un bus pour deux arrêts que d’aller marcher. Je me préférais à faire du yoga. Le jogging n’était pas fait pour moi, bien que je tentais de m’accrocher, souvent j’y allais accompagnée mais je n’étais rien de plus qu’un boulet qu’il fallait trainer derrière soi. Alors je m’étais bien décidé à arrêter cette mascarade. Maintenant je dansais de temps en temps, deux à trois fois par mois et si non, lorsque je le pouvais je m’inscrivais à ce genre d’évènement en plein air. J’avais envie d’en savoir encore plus et surtout, de savoir si oui ou non ce Marius avait un quelconque lien de parenté avec Tommy Warren. Il me confirme avoir un frère et une sœur. Hazard ou non, aucune idée. C’était encore bien trop vague pour que je puisse affirmer quoi que ce soit. « Vous êtes bien curieuse. » je passais une main dans mes cheveux, un peu gênée qu’il me le fasse remarquer. « mon côté journaliste sans doute… » sorte de déformation professionnelle. « En réalité, je vous demande car j’ai connu un Warren, au lycée. » inutile de préciser que j’étais sortie avec lui quelques temps, chose que je préférais faire sortir de ma mémoire. Malheureusement, je le croisais encore bien trop souvent pour pouvoir effacer ce souvenir. « Il s’appelait Tommy mais bon, c’est sans doute une coïncidence. » après tout, Brisbane était suffisamment grand pour avoir des Warren à tous les coins de rues sans pour autant que ceux-ci ne soient de la même fratrie.
Tandis que je lui contais l'histoire du pathétique pari que j'avais eu l'idée de faire avec ma soeur, je crus déceler un air moqueur. « ou simplement meilleure joggeuse que vous. » J'arquai un sourcil, presque vexé de cette intervention. Non, je n'étais pas moins bon sportif que Beth, et oui, j'aurais pu la battre. Ou alors c'était mon égo qui parlait, allez savoir. Toujours est-il que je me plongeai mon regard dans le liquide sombre, presque trouble, du café qu'on venait de nous servir avant d'oser y mettre les lèvres. Je ne bus qu'une seule gorgée, frémissant à cause de l'amertume puissante qui s'en dégageait. Ce café méritait la réputation que les visiteurs du jour lui faisait : il était ignoble. Et pourtant, comme une triste fatalité, la plupart des personnes présentes au festival mettait des oeillères et, comme nous, préférait se faire sa propre opinion. Me concernant, c'était chose faite. Je me concentrai davantage sur ma nouvelle connaissance, et lui révélai la trouver particulièrement curieuse. « mon côté journaliste sans doute… » Nul doute qu'il s'agissait là d'une déformation professionnelle dont je ne lui en tiendrai guère rigu... « En réalité, je vous demande car j’ai connu un Warren, au lycée. » Sa seconde intervention coupa court au fil de mes pensées qui oeuvraient dans une relaxe complète de la présumée coupable. Je fronçai les sourcils. « Il s’appelait Tommy mais bon, c’est sans doute une coïncidence. » Fixe, les yeux s'écarquillant devant cette petite nouvelle surprise, j'inspirai bruyamment. Oh non, ce n'était pas une coïncidence. Bordel, quel était le pourcentage de chance pour que la seule personne qui vienne m'accoster dans un festival où des centaines de personnes à l'heure se croisaient ait un quelconque lien avec mon frère ennemi ? « Croyez-moi, je préférerai que ce soit une coïncidence.... » L'énervement m'envahit, je n'avais pas la moindre envie de faire face aux reproches des alliés de Tommy. Je repoussai ma tasse encore remplie aux trois quarts et ouvris mon porte feuille pour en sortir un billet que je glissai dans la soucoupe du serveur. « ... Mais puisque l'état civil le dit. » J'haussai les épaules en me levant, plus que jamais ravi d'apercevoir la voiture de ma soeur se garer sur le parking d'en face. Ce timing parfait ôta soudainement toute la rancoeur que j'avais envers elle pour m'avoir fait subir ce yoga de l'enfer - là, tout de suite, elle était ma sauveuse. « Ma soeur est arrivée, je dois y aller. » Je jetai un dernier regard à celle qui m'avait accompagné pendant la dernière heure, omettant sciemment de lui tendre la main. « Merci pour les conseils et désolé pour ce café. » ajoutai-je poliment, malgré le danger que cette femme représentait désormais. « Aurevoir. » finis-je avant de m'enfuir d'un pas pressé, sans imaginer une seule seconde que si cette femme connaissait Tommy, elle pouvait tant être son amie que son ennemie.