Compter dans sa tête les quelques secondes qui doivent s'écouler, c'est un peu son mécanisme de défense pour ne pas tomber par terre, pour ne pas faire un de ces malaises pour les petites natures. Les yeux fermés de force grâce à ses doigts fins, elle se mordait le bout des lèvres, se demandant encore une fois ce qu'elle pouvait bien faire ici. Dans quelle situation elle arrivait à se mettre encore une fois. Ce comptage de secondes se mêlait à ses idées de bonne conscience. Le seul point positif qui la gardait ici. Les derniers flux s'écoulaient doucement dans la dernière fiole quand cette femme aux cheveux de feu lui tapotait l'épaule pour débarrasser la jeune australienne de son calvaire. Son regard se jeta innocemment vers les flacons remplis de son sang frais, et son estomac ne fit qu'un tour. Une deuxième phase de concentration lui remuait maintenant la tête, tandis qu'elle se relevait, droite comme un i. La jeune femme terminait quand à elle de la débarrasser, le sourire aux lèvres.
Quelques minutes plus tard, c'est le bras dégourdi, et avec ce minuscule coton au plis de son bras, que Sybille se relevait, fière d'avoir encore une fois réussi à ne pas céder sous la panique de voir son propre sang s'écouler d'elle même. Elle reprenait sa veste en jean favorite, celle avec tous les pin's, et se la passait sur le dos pour ne pas prendre froid. Quand la rouquine lui demandait si elle avait un creux, après avoir dit non poliment, elle sautait finalement sur quelques les madeleines qui composait le petit panier à grignoter. Puis cette dernière lui en avait donné une autre pour la route, qu'elle mettait à place dans sa poche. Embarquant son sac à dos, le sourire aux lèvres, remerciant l'infirmière et la femme à l'accueil, elle se dirigeait vers la sortie, contente de pouvoir sortir d'ici.
Elle avait les bonnes raisons de faire ces dons de sang, mais c'était toujours une épreuve pour elle. Sybille le ferait plus souvent si ce n'était pas si compliqué pour elle. Mais c'était toujours fière d'elle qu'elle ressortait de ces collectes, sachant qu'elle venait de faire une bonne action, ce qui était la raison numéro une. Cette fois-ci, la collecte se passait dans l'enceinte de l’hôpital, ce qu'elle aimait encore moins, n'étant pas une grande fan d’hôpitaux. Mais le pire était derrière elle, et elle s'en contentait pour garder le sourire aux lèvres. Elle pouvait endurer n'importe quoi pour cette cause qui lui tenait à cœur, surtout pour seulement quelques minutes.
Peu de personnes se pressaient pour la collecte, c'est ce qui lui avait retenu l'attention. Seule deux personnes en attente, ainsi qu'une autre qui venait d'arriver, et qui visiblement était un habitué. Elle ressortait avec l'idée en tête d'en parler autour d'elle. Arrivée devant l’ascenseur, cette fois-ci, une idée lui traversait l'esprit : celle pour laquelle elle méritait bien de le prendre sans culpabiliser, et de pouvoir esquiver les escaliers, rien qu'une fois. Épuisé, elle se voyait déjà rentrer pour une bonne grosse sieste, même si elle avait encore une certaine trotte avant de rentrer à Fortitude Valley.
Le voyant absent, Sybille presse le bouton de l’ascenseur pour le faire monter. Pendant cette petite attente, elle en profite pour sortir de son sac à dos ses écouteurs, qu'elle relie immédiatement à son smartphone, cherchant sa playlist favorite. Gardant ses écouteurs dans la main, les portes s'ouvraient finalement plus rapidement qu'elle ne le pensait, et elle se presse d'y entrer, voyant que celui-ci était totalement vide. Mais c'est alors qu'au moment où elle allait appuyer sur le bouton qui mène au rez-de-chaussée qu'elle aperçoit que quelqu'un se presse lui-aussi pour chopper ce même ascenseur. C'est donc du pied qu'elle essaye de bloquer les portes, assez rapidement pour lui permettre de pouvoir lui aussi s'y rendre.
Aujourd'hui, j'avais déjà passé une bonne partie de mon temps à courir, les cas aux urgences me donnaient du fil à retordre. Faut dire que ces journées étaient mes préférées, celle où on ne s'arrête jamais de sauver des vies. J'avais décidé de me rendre au centre de don du sang, comme je le faisais une fois par mois, profitant d'une petite accalmie, mais à peine installé, le garrot posé sur mon bras, mon biper sonnait, je levai alors une main pour demander à l'infirmière qui s'approchait de moi avec une aiguille de patienter, et regardait l'inscription. Code bleu, Mme Jones, Rupture d'anévrisme, bloc 3. Bordel... Il fallait que je bouge, et vite. Je retirai donc d'un geste le garrot sur mon bras et me levai, sans même prévenir l'infirmière, après tout parler ne faisait pas partir de mes réflexes naturels. Et je supposai qu'elles avaient l'habitude maintenant. Aussi, je me mis à courir en direction de l'ascenseur, mon biper toujours à la main.
Je remarquai que les portes allaient se refermer mais la personne à l'intérieur eut la gentillesse de les bloquer pour que je puisse le prendre, sur l'instant je lui en fus d'une extrême reconnaissance. Lorsque j'entrai dans l'ascenseur, j'étais fortement essoufflé, et quelques mèches de mes cheveux étaient collées à mon front par la sueur. J'appuyai donc sur le bouton de l'étage 3, et m'adossai au mur du fur, posant mes deux mains sur mes genoux, le visage vers le bas pour reprendre mon souffle et me préparer pour la course suivante, celle qui me mènerait tout droit au bloc opératoire. Une fois mon souffle repris, je me rendis compte que j'avais été d'une extrême impolitesse envers la jeune femme qui m'avait retenu l'ascenseur. Aussi, je relevai la tête et posai mon regard vers elle, sans aucun sourire comme à mon habitude. L'air antipathique à l'état pur.
«Bonjour et... Merci.» dis-je de la voix la plus sympathique que je pouvais donner en étant comme je suis. Je passai une main dans mes cheveux, pour les décoller de mon front et les repousser en arrière. Quand soudain... L'ascenseur qui avait entamé sa montée, s'arrêta subitement, les lumières s'éteignant au passage. Tout de suite une première bouffée d'angoisse m'envahit... Celle d'être bloqué là tout simplement. Mais je m'efforçais de continuer à avoir l'air normal. Enfin... Jusqu'à ce qu'une nouvelle bouffée d'angoisse beaucoup importante me prenne... Mme Jones ! « Non.. Non ! Elle va mourir si je n'interviens pas!» Je m'approchai de la liste des boutons pour appuyer sur l'alarme d'urgence, histoire de prévenir qu'on était bloqués. Et j'appuyais ensuite à de nombreuses reprises sur le bouton de l'étage 3 par la suite, comme un forcené pour être exact. Dans le noir qui plus est.
Et la panique m'envahissait de plus en plus, si bien que mes mains tremblaient et que ma respiration était plus rapide que la normale. Ce qui m'inquiétait surtout, c'était Madame Jones, allongée sur sa table d'opération là-haut et qui attendait que le seul neurochirurgien de garde, moi, vienne stopper l'hémorragie qui n'allait pas tarder à atteindre définitivement les fonctions vitales de son cerveau... Je n'avais perdu aucun patient jusqu'ici et l'angoisse d'en perdre un maintenant me faisait littéralement paniquer, tellement que j'en oubliais que j'étais avec quelqu'un, et que je m'étais mis à pleurer bruyamment, à cause de la peur. Je tournai en rond aussi, priant pour qu'ils s'en rendent compte rapidement et qu'ils appellent en urgence le Docteur Hanson pour lui sauver la vie.
Sybille retirait immédiatement son pied qui bloquait innocemment les portes de l’ascenseur, le plus rapidement possible à cause de sa peur de rester coincée entre elles, voyant que la personne qu'elle avait aidé avait finalement réussi à se faufiler entre elles, avant qu'elles ne se referment. Tournant la tête vers ce dernier, elle ne put s’empêcher de l'observer pendant quelques secondes, et remarquait qu'il faisait sûrement parti du personnel. Elle ne pouvait qu'être contente de l'avoir aidé, s'imaginant le rush dans lequel il pouvait être. Elle remarquait surtout qu'il reprenait son souffle après ce petit sprint, et qu'il avait l'air de quelqu'un d'assez speed. Le blondinet appuyait, pressé, sur le bouton numéro trois. A la suite, Sybille, elle, appuyait sur celui qui menait au rez-de-chaussé.
Alors qu'elle cherchait dans sa playlist un morceau en particulier, elle relevait la tête vers le jeune homme lorsqu'il la remerciait, la main dans les cheveux. Alors qu'elle lui adressait un sourire, s’apprêtant à lui avouer qu'il n'en était rien, les lumières s’éteignaient soudainement et lui coupaient la parole. Cette coupure ne laissait que la petite lueur que pouvait produire son portable entre ses mains lui éclairer le visage. Il n'en fallait pas moins pour laisser la jeune australienne la bouche grande ouverte. Son premier réflexe était d'appuyer une nouvelle fois sur l'un de ces boutons de ce maudit ascenseur, plusieurs fois, comme si ça allait changer quelque chose.
Une simple panne, elle aurait pu gérer, mais cette ambiance pesante dans l'ombre lui donnait déjà une boule au ventre, et sentait bien que son estomac allait lui donner des crampes d'ici quelques secondes dû à une certaine angoisse. Son deuxième geste en tête serait d'envoyer un message à son frère Ambroise, mais son voisin de panne d’ascenseur lui retenait l'attention. Si elle avait su se contenir et prendre sur elle, ce n'était pas le cas de ce dernier, ce qui ne la rassurait guère. On pouvait entendre sa respiration haletante, qui commençait à l'inquiéter. C'était sans compter sur son cri à l'aide, où Sybbie comprenait immédiatement que tout ne se passerait pas comme elle l'avait imaginé. Elle commençait à l'instant à regretter de ne pas avoir pris ces fameux escaliers. L’ascenseur s'arrêta net, beaucoup plus brusquement qu'un arrêt naturel, quelques secondes après que les lumières les aient lâchés. Elle faisait la conclusion que ce dernier devait être entre deux étages, ce qui la faisait se poser encore plus de questions. Il n'y avait plus aucune lumière, sauf celles des boutons qui les narguaient, d'une couleur orange.
"Ne paniquez pas, ne paniquez pas !", lui lançait-t-elle, ne sachant pas vraiment où il pouvait se trouver dans ce petit périmètre, et sachant pertinemment que c'était une parole en l'air qui ne résoudrait rien. "Il doit bien y avoir, euh ..." Elle essayait de s'avancer vers ces boutons aux lueurs orangées quand elle le percuta de plein fouet. "Oups, désolée" Elle continuait sur sa lancée et cette fois ci elle devait s'excuser une nouvelle fois, dans cette ambiance anxieuse et pesante. "Pardon pour votre pied, désolée, j'y vois absolument rien...". En lui marchant maladroitement sur le pied, la brune eut l'idée ingénieuse, bien que tardive, d'allumer le flash de son téléphone pour trouver sa route et ne plus percuter ce pauvre jeune homme déjà bien trop préoccupé par son sort.
Le flash surplombait la petite cabine, et immédiatement Sybille passait devant les portes afin d'y retrouver ces boutons maudits. Appuyant plusieurs fois sur celui à la cloche, elle se demandait s'il servait véritablement à quelque chose, autre qu'à décorer et ajouter un bouton à toute cette rangée déjà trop remplie. Personne ne se demande jamais s'ils ont une réelle utilité jusqu'à ce que le drame ne se produise. Se retournant soudain vers son voisin, elle éclairait désormais son visage de plein fouet. Puis elle le baissait plus bas, comprenant que ça le gênait en voyant ses yeux se plisser. "Vous êtes en ... en intervention ?" Elle ne savait pas vraiment comment appeler ce genre d'évènement, elle n'avait d'ailleurs aucun jargon médical, et elle ne savait même pas quel était son poste. Il l'avait interpellé avec son fameux cri à l'aide, c'est là qu'elle en avait conclu qu'il devait être sur son lieu de travail. "Vous êtes médecin ? ... Infirmier ?" Elle orientait la lumière de son smartphone vers ce qu'elle s'imaginait être un biper, parlant le plus calmement possible pour essayer de l’apaiser lui aussi. "Vous ne pouvez pas les prévenir pour qu'ils viennent nous aider ?" Elle haussait les épaules, intriguée. "Vos collègues ou ... ou quelqu'un d'autre ?"
Paul, prends une profonde inspiration et calme toi, maintenant. La jeune fille présente avec moi dans l'ascenseur semblait plus que mal à l'aise devant mon comportement. Comportement qui n'aurait rien eut d'anormal pour quiconque me connaissait assez pour avoir eut vent de ma pathologie, ce qui n'était pas son cas. Néanmoins, aussi étrange que ce soit, c'était vraiment la vie de ma patiente qui m'inquiétait plus que le fait que moi, je sois coincé là. Il faisait vraiment sombre dans cet endroit, et j'entendis à peine sa voix qui m'invitait à me calmer, je n'y répondis d'ailleurs pas. Ni quand elle s'excusa de me marcher sur les pieds ou de me rentrer dedans. Faut dire que j'étais pas du genre à parler pour les fioritures. Les "Ok", et "Pas grave", c'était vraiment pas mon genre. C'était déjà difficile pour moi de penser à dire "Bonjour" et "Merci".
Puis elle alluma le flash de son téléphone, qui me piqua les yeux dès le moment où elle le remonta dans mes yeux, je lui fut d'ailleurs très reconnaissant quand elle le détourna. J'avais un peu retrouvé mon calme. Ses propos avaient du sens et c'est ça en général qui m'aidait à remettre les pieds sur terre, qu'on m'expose des faits cohérents, ce qui remettait mon cerveau en marche et m'aidait à réfléchir froidement à des solutions. « J'ai.. Oui, j'ai été bipé pour une intervention en urgence. Il faut absolument qu'ils se rendent compte qu'on est coincés ici, sinon, elle va mourir.» Ma voix trahissait une nouvelle montée d'angoisse, mais plus raisonnable cette fois-ci. J'imaginais juste très bien ma patiente sur la table d'opération, avec les machines qui bipaient à la mort et ses fonctions vitales en chute libre. Et son cerveau en train de mourir à cause du sang qui s'écoulait de son anévrisme rompu. « Je suis neurochirurgien, le seul de garde.» Mon regard fixait le vide, les portes de l'ascenseur qui me faisaient face mais que je ne pouvais voir étant donné le degré d'obscurité. En fait, je réfléchissais. Et subitement une idée me vint, je pris mon biper qui était accroché à ma ceinture et le tendis vers la jeune fille. « Est-ce que vous pouvez l'éclairer s'il vous plait ? Ces trucs là ne sont pas rétro-éclairés... Je vais contacter mon chef. Comme ça il pourra opérer ma patiente. Et ensuite je préviendrais le bureau des infirmières qu'on est coincés là.» La vie des patients en premier, toujours. C'était ma priorité depuis bien assez de temps pour que ce fait ne change jamais. J'attendais donc qu'elle dirige le faisceau lumineux de son portable vers mon biper et me mit à pianoter dessus, envoyant d'abord un code bleu au docteur Hanson de toute urgence au bloc 3, et ensuite un petit message précisant que l'ascenceur B était coincé entre le deuxième et le troisième étage au bureau des infirmières. Une fois chose faite, et sachant que ça prendrait dans tous les cas un peu de temps, je me sentais soulagé puisque j'avais reçu une réponse du docteur Hanson qui m'indiquait qu'il arrivait. Un soupire de soulagement passa la barrière de mes lèvres et je me reculai alors doucement pour aller m'asseoir à même le sol, mon dos collé à la paroi froide de l'ascenseur. « Vous donniez votre sang, c'est ça ?» Je m'en doutais puisqu'elle avait l'air en bonne santé, qu'elle était à cet étage, et qu'elle avait un pansement sur le creux du bras. Quitte à rester coincés là pendant plusieurs dizaines de minutes, autant faire la conversation, non? C'était pas mon fort, mais c'était toujours mieux que rester dans mon coin et me remettre à paniquer.
Décidément depuis que je travaillais ici, ma vie avait changé du tout au tout. C'était beaucoup plus calme, pendant mon internat et ma résidence à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Depuis que j'étais ici, j'avais dû faire la conversation avec un nombre incalculable d'inconnus, pratiquer des opérations hors du commun, courut dans les couloirs des centaines de fois pour aller opérer en urgence, fait des découvertes scientifiques mineures, tenté de manoeuvres opératoires inédites, je m'étais même fais quelques amis, une grande première après 31 ans de vie, j'avais même vécu mon tout premier accident d'avion, enfin, pas moi, mais les patients que j'avais soigné ce jour là. Et ça avait été à la fois extrêmement excitant et extrêmement angoissant. Au final, même si tout ça faisait peur de façon déraisonnable... J'étais heureux d'avoir déménagé ici. Parce que c'était comme ça, et pour ça, que j'avais choisis de faire ce métier. « Je suis le Docteur Ackerly. Paul.» Conclus-je simplement.
Sybille ne pouvait que commencer à s'inquiéter à son tour quand il lui avouait une nouvelle fois sa crainte de voir cette patiente perdre la vie. Elle n'avait pas vraiment fait attention à sa première complainte désespérée dû au fait qu'elle était déjà trop concentrée de son côté, sur cette pénombre, à contrôler sa propre peur. Les yeux écarquillés, elle commençait à comprendre l'urgence de la situation. Ce dernier lui avouait enfin qu'il venait d'être bipé pour cette intervention en urgence, et qu'il était le seul neurochirurgien de garde pour cette fois. Le jeune chirurgien avait réussi à transmettre son stress et son angoisse à la jeune Sybbie, qui finalement, était beaucoup moins détendue maintenant qu'elle se rendait compte qu'il était le seul de garde, et donc, le seul à pouvoir aider cette fameuse patiente. Un malheur n'arrive jamais seul. D'un autre côté, elle était assez admirative quand il lui annonçait son métier. Rien que ça ? Cette pensée lui traversait l'esprit, plus qu’impressionnée.
Elle hochait la tête même si, rapidement, elle se souvenait que ça ne servait à rien, vu qu'ils arrivaient à peine à se voir dans cette pénombre. Malgré tout elle essayait d'apercevoir son visage, difficilement. Quelles étaient les probabilités pour qu'elle se retrouve dans le seul ascenseur déficient de cet hôpital ? La probabilité était tellement faible. Elle qui d'habitude prend toujours les escaliers, peu importe le nombre d'étage. La seule fois où il fallait qu'elle ne s'y trouve pas, elle y était. Le hasard fait vraiment mal les choses quelque fois. Et puis elle ne pouvait pas s’empêcher de penser que ce pauvre neurochirurgien ne serait pas dans cette situation si elle n'avait pas arrêté ces fichues portes devant son nez.
Vraiment rassurée de voir qu'il reprenait son calme, et que son bipeur serait le graal pour leur situation, Sybille commençait enfin à se détendre. "Comme on dit, à chaque problème sa solution ..." lui répondait-elle, alors que sa main droite éclairait ce fameux bipeur à l'aide de son flash. Bipeur sur lequel elle misait tous ses espoirs. De l'autre, elle lui tenait le bras, avant de le baisser, quand elle se rendait compte qu'elle était encore une fois beaucoup trop tactile avec les autres. "Vous me rassurez ..." Ses yeux étaient fixés sur ce bipeur, et ce qu'il pouvait bien y faire. Sybbie n'y connaissait absolument rien. Immense soupir de soulagement de la jeune brune. Elle l'observait pianoter d'une vitesse impressionnante et efficace.
Finalement, de sa voix très posée, il se présentait. Comme un certain Docteur Ackerly. Puis par son prénom, Paul, ce qui dessinait un sourire à Sybille, de lui donner son prénom, naturellement, presque amicalement. Paul Ackerly, pensait-elle, hochant la tête une seconde fois, relevant les yeux de ce fameux biper, en direction du jeune chirurgien. Elle ne serait pas prête de l'oublier de sitôt. "Et bien, enchantée, Docteur Ackerly." lui répondait-elle du tac au tac, en lui souriant. Elle s'interrogeait pendant quelques secondes sur le fait qu'il sache qu'elle venait de faire un don de sang. Puis elle se rappelait que ce n'était pas si difficile à deviner. Il n'y avait qu'à voir son bras droit. "Oui, oui. J'en sors à l'instant d'ailleurs." Se touchant le bras, Sybille jouait avec ce pansement dans le creux de son bras. "Mais rarement dans cet hôpital ... J'ai plutôt l'habitude d'aller vers Fortitude Valley, c'est plus près de chez moi." Certes ce n'était qu'un petit lieu de collecte, mais elle n'avait que quelques pas à faire pour s'y rendre. Et puis, elle n'allait pas lui avouer à celui qui passe sa vie dans cet hôpital, qu'elle, en a l'horreur. Dès qu'elle pouvait éviter de passer ici, elle l'évitait. Il lui aurait certainement ri au nez, ou lui aurait peut-être posé des questions sur sa hantise des hôpitaux.
De l'air. Trop de chaleur. Elle n'y avait pas pensé en premier lieu, mais ça lui obnubilait la pensée à présent. La chaleur qui s'était installée discrètement commençait à bien se faire sentir désormais. Quand Paul terminait avec son bipeur, elle tournait à nouveau la lumière de son téléphone de sorte qu'ils se voient un peu mieux. Sybille ne pouvait s'empêcher de coller une oreille contre la porte pour essayer d'y entendre quelque chose. Une parole, ou même un son. Rien. Rien du tout. Se retournant à nouveau vers sa nouvelle connaissance, le docteur Ackerly, elle ne pouvait s'empêcher d'y ajouter sa petite curiosité à leur conversation. "Paul. C'est pas très commun comme prénom."
Savoir que la patiente serait prise en charge à temps m'avait enlevé un sacré poids sur la conscience et j'étais maintenant beaucoup plus calme, beaucoup plus soulagé. Je repliai mes jambes, posant mes avant-bras sur mes genoux ainsi relevés. Ma tête se pencha légèrement en arrière, ce qui colla mon crâne à la paroi métallique froide, de l'ascenseur. C'est vrai qu'il commençait à faire chaud ici, résultat la paroi m'aidait à réguler la température. C'était quand-même cocasse comme situation, non? Se retrouver coincés dans cet ascenseur. Il avait fallu que ça nous tombe dessus, comme ça, sans crier gare. Mais c'est en général comme ça que se présentaient ce genre d'aventures, non? En plus, sans même le vouloir je commençais à piquer du nez, faut dire que les journées de garde n'étaient jamais de tout repos, et que je dormais très peu. Surtout depuis que je travaillais ici. Passer de ma ville calme à ici, une grande ville, me donnait certes des expériences enrichissantes, mais aussi de longues heures passées à courir à droite à gauche dans l'hôpital. Et de longues heures passées debout à opérer, à devoir me concentrer pour rester parfaitement immobile lorsque mes doigts étaient dans le cerveau d'un patient. Et surtout à ne pas passer une minute sans être concentré. On s'en rendait rarement compte, mais rester concentré ça fatiguait, énormément.
Je l'écoutai alors me parler du don du sang qu'elle venait de faire, me précisant que d'habitude elle préférait se rendre près de chez elle pour le faire. Encore un bel exemple du fait que le hasard peut tellement mal faire les choses. Il avait suffit qu'elle décide de venir ici cette fois, pour une raison que j'ignorais, et la voici coincée avec moi. J'avais presque de la peine pour elle, surtout que franchement, elle aurait pu tomber sur bien meilleur compagnie que moi à n'en point douter. « Merci. On a besoin de gens comme vous. Vous n'imaginez pas les quantités de sang que peuvent demander certaines interventions.» Bon ok, c'était peut-être glauque et effrayant, surtout pour une personne qui ne fait pas partie du personnel soignant. Mais bon, c'était ma façon maladroite de la remercier pour son geste généreux. Nous, les médecins, apprécions plus que de raison les personnes qui donnent leur sang. Nous savons combien c'est important. Non, pas important. Indispensable.
Puis elle me dit que mon prénom était peu commun. A vrai dire, je n'en savais rien. Je ne m'étais jamais posé la question. Cela me fit penser qu'elle ne m'avait pas dit son nom. « Et vous vous appelez?» Je levai les yeux vers elle, la voyant mieux maintenant que le flash de son téléphone nous éclairait. Je détaillai un instant son visage, pour ne pas l'oublier. C'était ma façon de faire, j'étais très physionomiste, du moins je m'y forçai. Mes doigts se mirent à pianoter dans le vide, j'avais du mal à rester simplement immobile, sans rien faire. Depuis toujours, ou presque. Je commençai à entendre de l'agitation de l'autre côté, dans le couloir. Probablement l'équipe de maintenance des ascenseurs, qui s'apprêtait à faire son travail, enfin. Mais ça risquait de prendre un certain temps.
« Vous travaillez?» Demandais-je alors. J'allais sans doute passer pour un curieux compulsif, et c'est vrai que dans un sens je l'étais. J'étais curieux, parce que j'aimais partager et écouter les expériences, les vies des autres. Apprendre des choses que j'ignorais à travers eux. Découvrir ce monde que je n'avais aucunement le courage d'aller explorer à travers les yeux des autres. Je voulais tout savoir, tout connaître, tout voir, tout vivre. Lentement, je remontai une main dans mes cheveux, pour les pousser vers l'arrière, et libérer ma nuque par la suite. Il commençait vraiment à faire chaud, de manière désagréable. Quelques gouttes de sueur perlaient d'ailleurs sur mon front et ma nuque. Que j'essuyai d'un revers de main pour le premier.
« Je crois que la prochaine fois, je prendrais les escaliers.» Conclus-je simplement. Ca me paraissait bien plus prudent, et ça me musclerait.
Sybille observait Paul s'adosser contre la paroi, se calmant enfin. Elle ne pouvait que s'en vouloir, sachant pertinemment qu'il devait terriblement ressasser cette intervention dans sa tête, alors qu'ils étaient là, à discuter calmement, pendant que Paul était attendu ailleurs. Le sentiment d'être tenu en cage était littéralement leur situation. Et le fait d'être impuissant face à ça devait le démanger. En tout cas, elle, c'était ce qu'elle ressentait. Peut-être même qu'il la maudissait intérieurement d'avoir retenu ce fameux assesseur. Elle ne lui en voudrait pas.
Même si elle lui souriait gaiement quand il lui répondait pour ce fameux don du sang, c'était un certain rire nerveux qui l'accompagnait, alors qu'elle l'observait. Elle ne savait pas vraiment dans quel sens il pouvait sous-entendre qu'ils avaient tant besoin de sang, mais ça l'avait légèrement refroidi. Immédiatement des dizaines d'idées lui fusaient la tête, plus étranges les une des autres. Il faut dire qu'en plus des hôpitaux, le sang, c'était pas sa passion non plus. Elle devait toujours prendre sur elle pour ces dons, essayant d’imaginer les flacons le plus loin possible d'elle. Méditant parfois, l'une de ses méthodes qui marchaient pour tout. Une chose est sûre, jamais elle n'aurait pu être dans une carrière médicale, peu importe le métier. Et pourtant, elle avait vraiment une admiration pour eux, et tout ce qu'ils pouvaient accomplir.
"J'essaie d'y aller le plus régulièrement possible, en tout cas". La moyenne étant de quatre possible maximum pour les femmes par an de ce qu'on lui avait dit, elle essayait de n'en rater aucune. Sybille a toujours eu un emploi du temps très chargé, mais elle essayait toujours de trouver un moment pour ne rater aucun don. C'était l'une des choses sur lesquelles elle ne faisait pas de concession. D'ailleurs, elle était du genre à recruter et ramener des gens pour faire des dons eux aussi. Comme pour toutes les actions qui lui tiennent à cœur, elle s'y mettait corps et âme.
"Ah ! Oui ! Désolée." Quand la jeune australienne se sentait déconcertée, ça se traduisait à ses paroles nettement plus rapides, presque paniquées. "Moi c'est Sybille." continuait-elle. Obnubilée par la situation grotesque, ça lui était complètement sorti de la tête de se présenter à son tour. Elle avait pourtant bien retenu le nom et le prénom de son voisin de catastrophe. "Sybille MacLeod." Certainement pas précédé de la mention "docteur" contrairement à ce dernier. "Non, je suis étudiante." Encore et toujours, pensait-elle, se grattant la tête nerveusement. "A l'Université. Celle qui est à deux pas d'ici."
Quand ce dernier avoua qu'il prendrait les escaliers la prochaine fois, elle ne pouvait que rigoler naturellement. C'était une évidence pour elle, à l'instant même où les lumières s'étaient éteintes. "Quand à moi, vous pouvez en être certain, c'est la dernière fois que je prends un ascenseur de ma vie !" lui rétorqua-t-elle, en laissant échapper un deuxième rire, mi-nerveux, mi-amusé. De son coté, elle ne pouvait qu'être rassurée de ne pas être pressée. Ce qui, hélas, n'était pas le cas du docteur Ackerly.
Quelques bruits provenant de l’extérieur se faisaient soudainement entendre. Surtout des pas, étouffés, mais également quelques bruit métalliques dont Sybille n'arrivait pas à savoir d'où ils provenaient. Prise de court, cette dernière se dépêchait de coller son oreille près de la porte. "Je crois qu'on nous parle." lançait-elle au neurochirurgien, alors qu'elle ne tenait penchée de ses mains contre la paroi glacée. Tendre l'oreille n'avait pas vraiment servi à grand chose pour la brune. "J'ai absolument rien compris." Elle hausse les épaules. "J'ai entendu : 'maintenance', et 'en cours'." Au moins, elle se sentait rassurée. L'équipe avait l'air d'être sur place, ils ne seraient pas oublié.
L'opération ne me sortait effectivement pas de la tête. J'étais sans doute trop impliqué dans mon travail. Mais le fait de savoir que mon supérieure allait venir et s'occuper de cette pauvre femme, me rassurait. Il était sûrement déjà au bloc à l'heure qu'il était, d'ailleurs, et heureusement. Une rupture d'anévrisme ça pouvait aller très vite. Et rien que cette pensée me glaça le sang. Je supportais très mal le décès de mes patients. Et faut dire que là, j'aurais été capable d'en vouloir à cet ascenseur maudit. Mais certainement pas à la jeune fille qui partageait cet épisode pour le moins pénible avec moi. Retenir l'ascenseur avait été un geste de sympathie et de politesse comme on en voyait rarement, au final. Et dans le fond j'étais même persuadé qu'elle m'aurait laissé aller au bloc en priorité. « Je suppose que ça ne doit pas être facile, en tout cas ça ne l'est pas pour moi.» Je donnais aussi mon sang, et bien que je sois médecin, et même chirurgien, ce n'était pas pour autant que j'aimais les aiguilles et encore moins les bistouris. Mais ça j'en avais été éloigné jusque là, et je comptais bien faire en sorte que ça dure.
La jeune fille sembla ensuite assez mal-à-l'aise, sans doute l'oubli de citer son nom? C'est ce que je déduis parce qu'elle me le donna ensuite et ce nom sonna comme familier à mes oreilles. «Sybille MacLeod...» Répétais-je presque pour moi, le regard perdu dans mes pensées. J'essayais de me rappeler où est-ce que j'avais entendu ce prénom. Au bout de quelques minutes de silence, je me rappelais assez subitement de qui m'avait parlé d'elle. « Vous habitez avec Clément, non? » Je relevais mon regard vers elle. « Je suis son oncle.» Dans le fond j'ignorais s'il leur avait déjà parlé de moi, ou non, mais en ce qui me concernait il m'avait brièvement expliqué qu'il vivait avec ses deux meilleurs amis qui étaient jumeaux. Comme quoi le monde était petit. J'ignorais aussi d'ailleurs si du coup elle était au courant ou pas de mon autisme. Connaissant Clément, s'il avait parlé de moi, il avait relayé l'information dans le but que les personnes soient compréhensives, parce qu'il savait combien les propos discriminatoires me blessaient plus que de raison. « Et que faites-vous comme études?» Je trouvais ça bien qu'elle soit étudiante, j'étais du genre à pousser les autres à faire des études qu'ils aimaient, j'avais toujours trouvé ça important. Et surtout ça semblait un peu logique quand on considérait que j'avais moi-même déjà onze années d'études à mon actif, et que même si j'étais officiellement chirurgien et diplômé comme tel, j'étais dans ma toute dernière année, celle où l'on était encore encadré.
Un petit rire maladroit m'échappa lorsque Sybille évoqua le fait qu'elle ne prendrait plus jamais l'ascenseur de sa vie. « J'aimerais pouvoir en dire autant, mais j'imagine mal le transport d'un patient dans un cas critique par les escaliers.» Quoi que la situation aurait sans douté été drôle, après coup, et en considérant que cela n'aurait pas mis sa vie en danger, voire pire, entraîné sa mort. Nous étions enfermé là depuis de longues minutes déjà, et heureusement que les ascenseur de l'hôpital étaient tous assez grands pour accueillir un lit, sinon je pense que je serais sans doute partit en crise d'angoisse de par ma claustrophobie.
J'entendis également les bruits qui provenaient de l'extérieur, mais Sybille s'était déjà approchée pour écouter ce qu'il se passait alors je restais bien sagement assis à ma place et l'observait. Elle me dit qu'elle n'avait pas compris grand chose à part les mots maintenance et en cours ce qui me soulagea un peu dans le fond. J'avais de surcroît du travail à faire, ma journée était loin d'être finie et je n'avais pas la moindre intention de la passer dans cet ascenseur. « Je suis certain que Clément se moquera lorsqu'il entendra parler de notre mésaventure.» C'était même plus que certain, étant donné le spécimen. Se moquer de moi devait figurer dans le Top 10 de ses passions. Une chose était sûre aussi, c'est que maintenant que j'avais la fameuse Sybille sous la main, je comptais bien en profiter pour approfondir la connaissance que j'avais d'elle. « Peut-être qu'on pourrait se revoir, dans des circonstances plus propices, dans les jours à venir?»
Quand le jeune docteur avouait que ça n'était pas facile pour lui non plus, elle gardait ce sourire en coin. Enfin une personne qui ne lui rirait pas au nez en avouant qu'elle avait du mal avec les aiguilles et les dons de sang. Elle-même en était tout de même assez étonnée, se disant que ça ne devait pas être commun pour un docteur d'avoir cette crainte. Même si elle doutait de voir ce dernier être aussi ridicule qu'elle à la vue du sang, faisant presque rire ces pauvres infirmières, et faisant valser les vannes de ses proches. "Facile ? C'est la catastrophe." Elle haussait les épaules, amusée. "Vous n'imaginez pas toute la concentration, toute la préparation dont j'ai besoin. Tout ce que je dois faire avant d'y mettre un seul pied." Alors qu'il était très rare de voir Sybille stressée ou anxieuse, surtout pour ce genre de scène, la situation ne pouvait donc être que cocasse. C'était la première raison pour laquelle elle se rendait souvent seule à ce genre de situation, histoire d'éviter des rires moqueurs et incompréhensifs. Mais après tout, elle-même serait la première à rigoler si elle pouvait se voir.
Les quelques minutes de silence qui suivaient l'annonce de son prénom, souligné de son voisin plus que concentré, presque trop d'ailleurs, lui titillait l'esprit. Esprit qui fut totalement confus ensuite. Sybbie ne pouvait pas être plus étonnée à l'annonce du prénom de Clément. En une seconde, s'étaient fusées mille questions dans sa tête. Elle se demandait s'ils s'étaient déjà rencontrés auparavant, si elle avait oublié son visage ainsi que son prénom. Chose qui aurait pu être possible avec des rencontres fortuites. Elle était donc dans l’incompréhension totale. Le fixant à nouveau, elle voulu lui demander comment il pouvait connaitre Clement, mais il la devançait, lui annonçant qu'il était son oncle. Un immense soulagement pour Sybille, qui ne comprenait pas comment il aurait pu deviner tout ça autrement. "Ah mais oui, c'est bien moi !" L'air étonnée comme si on lui annonçait qu'elle avait gagné un grammy awards, elle avait les yeux écarquillés. Elle n'en revenait pas. Pourtant, elle aimait ce genre de coïncidence qui tombait par pur et simple hasard. "Mais ... C'est donc vous le fameux Paul ?" Jamais elle n'aurait pu faire le rapprochement, mais Clément lui avait bien parlé de son oncle quelques jours auparavant. Elle regrettait un peu d'avoir insisté sur le mot fameux, de peur qu'il se fasse des idées de son coté, alors que ce n'était pas du tout le cas. Clément lui en avait parlé, vaguement, leur disant à Ambroise & Sybille qu'ils le rencontrerait bientôt. Cette idée lui revenait soudainement en tête, alors qu'elle l'avait presque oublié. Et comme d'habitude Sybille était toujours excitée à l'idée de rencontrer de nouvelles têtes qu'elle en avait oublié ce qu'avait bien pu lui dire de plus son ami ce jour là, à quelques détails près. "Quelle coïncidence. J'en reviens pas." enchainait-elle, toujours aussi amusée, oubliant presque la situation dans laquelle ils venaient de se rencontrer, des moins conventionnelles. Il n'en fallait pas plus pour piquer sa curiosité, toujours à deux doigts d'exploser, pour n'importe quelle petite situation.
Face à ce docteur qui devait avoir grand nombre d'années d'études sur les épaules, elle ne pouvait qu'en être admirative, à son habitude. Malgré tout, elle n'était pas peu fière de parler de ses propres études qu'elle avait pourtant, contrairement à son frère, plus de difficulté à suivre le fil. Mais elle avait justement cette fierté de ne pas lâcher prise. "Architecture. J'ai viens de valider mon bachelor, en archi' et design." Malgré le fait qu'elle ait redoublé cette dernière année, jamais elle n'avait été plus contente d'elle ce jour où elle avait su qu'elle l'avait enfin en poche. "Donc je continue en master, depuis Février." L'année scolaire avait commencé sur les chapeaux de roue. Contrairement aux trois autres années du bachelor, c'était maintenant beaucoup plus de pratique que de théorie, la pratique avait pris le dessus, ce qui l'arrangeait bien, et la captivait bien plus.
Captivée également par son interlocuteur, Sybbie écoutait attentivement Paul, qui continuait sur sa lancée, définitivement à l'aise. L'histoire aurait pu être beaucoup plus pénible et froide avec quelqu'un qui n'aurait pas eu de conversation. Il était sûr que Clément se moquerait d'eux ou de la situation. Elle ne pouvait qu'approuver, ce qui lui faisait vraiment rire intérieurement. Elle en sourit, baissant la tête, essayant de se retenir de rire. "Alors, ça, vous pouvez en être certain ..." Elle avait déjà hâte de lui annoncer la nouvelle ; qu'elle avait rencontré Paul, dans une circonstance presque grotesque. De toute façon, Clément avait la chance, ou le malheur plutôt, de subir toutes les choses sur lesquelles elle pouvait s'exciter. De la plus petite chose au plus grand drama. Impossible donc de passer à coté de cette panne d’ascenseur, qu'elle racontera certainement dans les détails dès qu'elle sera rentrée chez elle, à ses colocataires. Jouant avec un suspens légendaire pour raconter ses petites histoires. Le clou du spectacle sera une Sybille qui se rend finalement compte qu'elle était depuis le départ avec l'oncle de Clem', sans même le soupçonner. Elle en salivait d'avance de leur raconter cette histoire palpitante. D'un autre coté, Sybbie s'étonnera encore pendant longtemps à quel point le monde peut-être petit et rempli de surprise. Ce qui n'est vraiment pas pour lui déplaire.
Un bruit métallique la fit sursauter à nouveau, rompant le silence qui planait autour d'eux, où seules leurs voix résonnaient et s’entrelaçaient dans leur conversation. On ne distinguait rien d'autre à part eux. Le fait d'avoir la cage d’assesseur coincée entre deux étages ne devait en rien arranger la situation, mais c'est ce qui faisait qu'il était difficile d'entendre les mécaniciens, ou même, la circulation dans les couloirs de l’hôpital. Ils pouvaient tout de même comprendre qu'avec ce remue-ménage à l’extérieur, que tout était entre de bonnes mains. Plus détendue, elle s'adossait finalement elle-aussi contre la paroi, face à Paul. Passant une main dans ses cheveux, elle soupirait longuement, rassurée. La lueur de son portable continuait à les éclairer, pauvrement, mais tout de même efficace pour qu'elle apprenne les traits du visage en face d'elle.
Sybbie était connue pour être toujours prête et partante pour n'importe quelle soirée, repas ou sortie. La fatigue ne l'arrêtait en rien, si bien qu'elle est rarement présente. L'idée de rencontrer des gens ou d'apprendre à les connaitre prenait le dessus. Elle se voyait déjà trop excitée à l'idée de se revoir tous ensemble et de rire à cette situation assez cocasse. Sybille était toujours la première à avoir les bras grands ouverts pour mettre à l'aise n'importe qui, elle ne manquerait pas à l'appel, ici, quand Clément leur présenterait Paul. D'ailleurs, c'était prévu si elle se souvenait bien de ses paroles. C'est pourtant bien ce dernier qui était partant pour se revoir, dans des circonstances plus propices, ce qui lui laissa échapper un nouveau rire joyeux. "Vous voulez dire ... sans être coincés dans un ascenseur, avec comme seule lueur mon smartphone ?" Elle rigolait, à nouveau, alors que la fin de sa phrase était coupée par les bruits qui retentissaient derrière la porte. "Je plaisante. C'est une super idée." Elle était contente qu'il le lui propose. De toute manière, elle ne se voyait pas ne pas le revoir depuis qu'elle savait qu'il était l'oncle de Clément. Comme il lui en avait déjà parlé, elle savait qu'il n'y avait aucun problème de son côté. Du coup, elle en était déjà impatience, de se revoir tous. Ils avaient eu la chance de se rencontrer avant, par pur hasard. "On allait forcément se croiser un jour ou l'autre de toute façon."
Lorsque Sybille me fit comprendre que "pas facile" était un terme dérisoire la concernant, je ne pus que la comprendre. Certes ce n'était pas pour les mêmes raisons qu'elle, certes il ne s'agissait pas là d'une peur des aiguilles comme tant d'autres. Lorsque j'étais en fac de médecine, j'avais vécu des choses dont je n'avais jamais touché mot à personne, qui faisaient qu'aujourd'hui, j'étais bien capable de piquer une crise de colère si n'importe qui n'étant pas moi-même ou une des rares personnes en qui j'avais confiance essayait de me piquer. A ces souvenirs mes yeux devinrent vides, l'espace d'une demi-seconde, parce que j'étais comme ça après tout, je ne m'embarrassais jamais de la tristesse, du moins c'est ce que je croyais. C'était un peu ma ligne de défense. « J'imagine très bien...» Ces mots se perdirent comme un écho, ressemblant plus à un murmure zombie qu'autre chose. Je passai une main dans ma nuque, essuyant la sueur qui s'y était accumulée de façon raisonnable heureusement, et repris doucement mes esprits.
La suite de la conversation m'aida dans cette démarche, puisque la jeune fille semblait après un moment d'incompréhension être complètement excitée par l'idée que je sois le fameux Paul. Ce fait m'arracha d'ailleurs un petit rire amusé, levant les yeux vers elle. Cette fille respirait presque la joie de vivre à plein nez, et je dû bien avoir que c'était pour le moins revigorant, surtout pour quelqu'un comme moi qui côtoyais la mort et la maladie à longueur de journées. Voir des gens bien vivants et heureux de l'être relevait presque du miracle, dans un monde où les malades attendaient leur dernière heure avec angoisse, et les vivants se fichaient bien de prendre soin de leur santé, mon neveu le premier. « Effectivement, si j'avais su, je serais venu avec une bouteille de champagne.» Une touche d'humour, sans doute bizarre. Mais j'aimais Clément, et de fait je voulais choyer toutes les personnes importantes dans sa vie. Bien sûr la plupart du temps j'agissais de façon démesurée, mais qu'y pouvais-je dans le fond, sinon rien? De ce que m'en avais dis Clément, rencontrer Sybille ne m'avait pas effrayé, et sa description avait été fidèle au personnage. Ce qui m'angoissait davantage, c'était de rencontrer son frère, Ambroise, qui était aussi franc que moi, avait-dit mon neveu. Et bien que je ne pouvais reprocher la franchise à personne, je savais combien elle pouvait être douloureuse parfois. Faut dire que moi non plus je n'en revenais pas, de la rencontrer là. Mais dans le fond ça me rendait heureux. D'un autre côté, elle était plus agréable que Clément lui-même ces derniers temps, alors sa rencontre ne pouvait qu'être plaisante au bout du compte.
Elle m'apprit ensuite qu'elle venait de terminer son bachelor d'architecture et qu'elle enchaînait sur le master, je la gratifia donc d'un petit sourire encourageant, parce que j'adorais les gens qui faisaient des études, même si je ne détestais pas les autres pour autant. « Félicitations!» Commençais-je. « Il faudra que vous me parliez de vos études, je n'ai aucune connaissances en architecture, et j'adore apprendre.» Et ça c'était bien vrai, j'étais une véritable éponge. Alors l'écouter m'expliquer ce qu'elle étudiait serait un véritable plaisir. « Et vous voulez devenir.. Architecte?» Question peut-être bête de prime abord, mais dans le fond je supposai que les études dans l'architecture ne menaient pas exclusivement à ce métier là, comme pour la plupart des cursus au final.
La jeune femme me confirma ensuite que Clément risquait bien de se moquer de nous, concernant cette mésaventure. Je ne doutais pas que Sybille le lui raconterait dans les moindres détails, simplement parce qu'elle me semblait être ce genre de personnes, à ajouter du suspens et des retournements à ses récits. Une bonne oratrice, en somme. Imaginer les railleries de mon neveu me tirèrent à nouveau un petit rire et je m'adossais davantage contre la paroi de l'ascenseur. « S'il était l'un des sept nain, il se prénommerait Moqueur...» Et ce prénom lui allait mieux que le vrai au final. Je m'attendais déjà au SMS de mon neveu, pour se moquer dans toute sa grandeur.
Je suivais du regard un moment la descente de Sybille alors qu'elle s'assit à son tour sur le sol. Une nouvelle fois je lui souris, pour me montrer rassurant. Je savais combien cette situation pouvait être stressante, et bien qu'elle ne me stressait pas en soi parce qu'au final ma propre claustrophobie n'était pas trop marquée, une question me vint à l'esprit subitement, une question que je m'en voulais de ne pas avoir posé plus tôt, en tant que médecin. « Vous n'êtes pas claustrophobe? Vous vous sentez bien?» J'étais prêt à me rapprocher d'elle de toute façon si le besoin s'en faisait ressentir, mais l'idéal pour l'instant était de lui laisser de l'espace, du moins autant que c'était possible dans un ascenseur. J'entendais d'ailleurs moi aussi les claquements métalliques des réparateurs qui faisaient leur travail et soupirai doucement. « Ce n'est pas assez rapide...» Mes propos allaient sans doute me faire passer pour un gars paniqué, aussi je me repris rapidement et compléta mes propos. « Vous imaginez si on se retrouve coincé avec une personne dont les fonctions vitales sont en chute libre? Il serait mort à l'heure qu'il est.» Il fallait vraiment faire quelque chose pour pallier à ce problème, et l'idée était maintenant ancrée dans mon esprit, j'irais en parler à qui de droit lorsque je sortirais d'ici.
Son nouvel éclat de rire me fit sourire à nouveau et j'observais son visage un long moment, pour ne pas l'oublier. Il y avait vraiment chez cette jeune femme quelque chose qui me plaisait beaucoup, une espèce de souffle nouveau qui ne me serait que bénéfique. Je ne savais pas si on allait se revoir dans le fond, ou même si ça mènerait à plus qu'une simple relation de courtoisie, mais je sentais déjà que son charisme allait m'aider à évoluer. « Absolument. Je crois que je préférerais encore être enfermé dans le noir devant un film d'horreur.» Parce que ce que j'exécrais au fond, c'était de ne pas avoir le contrôle, comme maintenant, dans cet ascenseur. Lorsqu'elle précisa qu'elle plaisantais, je gardai le silence, parce que comme souvent, je n'avais pas saisis l'ironie dans sa phrase précédente. Je l'avais pris au sens propre. « Du coup, les présentations sont faites, au moins.» Et c'est à ce moment là que les lumières de l'ascenseur se rallumèrent, me forçant à cligner des yeux plusieurs fois avant de m'habituer tandis que la cage de métal entamait une descente lente d'un demi-étage. « Je crois qu'on va sortir incessamment sous peu.» Aussi, je me fouillais dans la poche de ma blouse et en saisit l'une de mes cartes, puis je la retournai et avec mon stylo, j'écrivis mon numéro personnel dessus. « Dès que les portes vont s'ouvrir, je vais devoir courir au bloc, mais appelez-moi, pour qu'on se revoit.» Je lui tendis la carte, et une fois qu'elle l'eut prit, je me relevai, c'est alors que les portes s'ouvrirent, et ignorant les paroles et les sourires des réparateurs je m'enfonçais dans le couloir, courant en direction des escaliers, en direction des blocs...
Sybille n'avait pas su se retenir de rire lorsque Paul plaisante sur le fait de ramener cette fameuse bouteille de champagne. Elle était le genre de personne à marquer le coup, était d'ailleurs la première partante pour rencontrer les amis ou la famille de ses propres amis. La curiosité l'avait piqué immédiatement lorsque Clément lui avait parlé de Paul, mais jamais elle n'aurait pensé ce genre de rencontre. Mais elle ne la trouvait pas si mal après tout, si l'on met de côté l'incident, ses sueurs froides, la peur de Paul pour le patient... ils pourraient peut-être en rire plus tard, quand ils en seront rassurés sur la situation. Elle trépignait d'impatience d'en parler à Ambroise et surtout Clément, rien que l'envie de lui envoyer un sms était trop présente.
Il avait l'air bien intéressé lorsqu'elle enchaina sur le sujet de ses études, ce qui lui faisait plaisir. Paul avait l'air sincère, du moins c'est ce qu'elle en jugeait en écoutant ses réponses. Sans avoir l'air d'en discuter juste par politesse ou d'être désintéressé, ce qu'elle appréciait d'avantage encore une fois pour la personnalité de Paul. "Oui ! Enfin, plutôt dans l'optique d'être urbaniste." D'ailleurs, heureusement qu'elle s'était levée aux aurores pour cette prise de sang. Elle devait récupérer sa pochette à dessins avant de retourner à la dite université. Avec toute cette perte de temps, elle serait peut-être en retard, ce qui lui arrivait tellement rarement qu'elle s'en préoccupait déjà. "Je vous raconterai comment ça se passe quand on aura du temps devant nous !" Le bruit à l’extérieur se faisait plus sourd, les minutes étaient comptées. Elle en profite pour ranger son smartphone dans sa poche, referme sa veste. "J'vous montrerai ce que l'on fait, aussi." Lui montrer leurs travaux serait plus parlant. Ceux qu'elle porte toujours dans cette pochette à son bras, qu'on ne la croise rarement sans lorsqu'elle est à l'université, ou même en dehors d'ailleurs. Parfois elle se balade dans le coffre de sa voiture, quelques croquis perdus par-ci par-là y jonchent. Même si un tiers concerne d'autres dessins, beaucoup moins minutieux et plus fantasques que des croquis techniques et pros, qu'elle s'autorise en dehors des cours et qui s'incrustent dans cette fameuse pochette.
Sybille rigolait à nouveau quand Paul continuait sur Clément. Elle appréciait l'humour de Paul, elle avait déjà une bonne opinion de lui après quelques minutes après l'avoir rencontré. Il est rare que Sybbie ait une mauvaise opinion de quelqu'un, mais parfois le courant passait bien avec d'autres, elle sentait qu'elle apprécierait cette personne. Quand le courant ne passe pas, elle ignore. Elle n'est pas du genre à se faire des ennemies ou avoir de mauvaises opinions. "Pas sûr qu'il soit plus rassuré que nous s'il était dans notre situation ..." Et puis après tout, elle aimait cette facette de Clément, lui et ses moqueries faciles, ou plutôt son ironie. Elle ne pouvait pas lui en vouloir pour sa personnalité, qu'elle adorait au final. Ils en rigoleraient ensemble d'ailleurs.
"Pas claustrophobe, ça va, vraiment. C'est juste la lumière quoi, c'est vraiment naze. J'vous vois à peine en plus ..." Finalement, elle le vivait bien cette situation cocasse. Le fait d'être avec Paul la rassurait vivement, et leur discussion faisait passer les minutes comme des secondes. Si elle était seule, ça se serait peut-être passé autrement. Mais surtout, la cage était bien spacieuse. De ces minuscules cages d’ascenseur que l'on peut croiser, elle aurait sûrement paniqué ou suffoqué. Intérieurement, elle espérait que lui allait aussi bien qu'elle, mais elle savait qu'entendre la maintenance à l’extérieur devait le rassurer lui aussi, ils n'étaient plus qu'à quelques minutes de l'ouverture divine. Elle sentait tout de même qu'un petit stress remontait à la surface à nouveau, quand il se plaignait soudainement que tout n'allait pas très vite, finalement. Le sourire de Sybbie s’effaçait finalement quand il lui posait sa question suivante, celle d'imaginer de rester coincés, pire, avec un mort entre les murs de cet hôpital. Elle dégluti, se mettant à sa place. Elle ne savait pas vraiment sur quel pied danser, si c'était juste sa personnalité, ou son métier qui le poussait à penser ainsi. Très certainement un mix des deux. Paul avait cette personnalité atypique, et plutôt originale, et elle comprit finalement que c'est ce qui lui plaisait chez lui. Sybbie avait toujours eu ce contact facile. Ce coté très sociable faisait qu'elle arrivait à aborder n'importe qui sans aucune gène, sans aucune crainte. En tout cas, elle était toujours intéressée à connaitre ces personnes un peu plus, de découvrir leur personnalité. Elle réfléchissait tout de même à sa question, et il lui en résultait une autre, celle de comment ils auraient pu s'en sortir dans une telle situation. Ce qui est sûr et certain, c'est que Sybille aurait paniqué de son côté, remettant tout sur ses épaules et sa confiance aveugle envers Paul.
Il avait bien raison, les présentations étaient faites. Au final, derrière ce malheur, elle ne pouvait être que satisfaite d'avoir fait sa connaissance. Elle trépignait d'impatience de l'annoncer à Clément. Elle en était vraiment contente de vous avoir rencontré comme attestait son large sourire. "Et désolée de vous avoir mis dans ce pétrin..." Encore gênée de l'avoir bloqué avec elle dans cet ascenseur maudit, elle s'en voulait malgré tout. Même si c'était des choses qui arrivaient, même si elle ne pouvait pas prévoir ce genre d'incident, elle ne pouvait s'empêcher de s'en sentir coupable. Les lumières revenaient à la vie, la reprise du courant revenait dans la cabine avec un bruit électrique. Les yeux agressés par toute cette lumière soudaine, elle récupère son sac qu'elle avait posé dans un coin. Elle adresse un dernier sourire au docteur Ackerly, acceptant sa carte avec plaisir, qu'elle observe quelques secondes avant de relever les yeux vers lui, qui était déjà prêt à fuir hors de cet ascenseur. Elle lui adresse un dernier "Bon courage !" avant de le voir disparaitre en direction des escaliers.