Aujourd'hui c'était l'anniversaire de mon neveu et malgré l'échange désagréable que nous avions eut quelques jours plus tôt par SMS, j'avais scrupuleusement préparé cette soirée. Je m'étais arrangé avec l'hôpital pour avoir ma soirée de libre, ce qu'ils n'avaient pu me refuser étant donné le sérieux de mon travail. J'avais aussi pris le temps un peu plus tôt dans la semaine d'aller chercher son cadeau. Un livre que je trouvais magnifique, illustré sur le Théâtre, son histoire, les grands acteurs, les dates clefs, les pièces le plus célèbres et des conseils, ainsi que des interview de personnes qui avaient percé dans le milieu. J'étais assez fier de ma trouvaille, et me fichait royalement du prix puisque 1. Je gagnais très bien ma vie en tant que chirurgien, 2. Je n'étais pas spécialement dépensier d'ordinaire et 3. Rien n'était trop beau pour Clément. Bon par contre, l'emballage que j'avais fais difficilement n'était pas très esthétique, mais je n'avais jamais été doué avec ce genre de choses. Il n'y avait bien qu'avec la chirurgien que j'étais doué de mes mains. Pour tout le reste mon manque de coordination était juste affligeant.
C'est ainsi que sur le coup des 17h00, douché, habillé, et mon cadeau à la main, je sortis de chez moi. Je me rendis à l'arrêt de bus près de chez moi, afin de me rendre en centre ville. Une fois sur place j'allai commander deux pizzas, et oui, je n'allais pas non plus faire de la grande cuisine et mon neveu savait sans doute parfaitement que des pizzas ça valait mieux qu'une de mes habituelles tentatives foirées. Par le passé il s'était de nombreuses fois gentiment moqué. Notamment parce qu'il m'avait fallu un certain temps avant de comprendre que non, des pâtes ça ne se met pas dans l'eau froide... Et ceci n'était qu'un exemple parmi tant d'autres. Néanmoins je m'étais amélioré et l'idée de lui prouver un jour, me remplissait de joie. Comme toute bonne personne différente, j'aimais rendre mes proches fiers de moi plus que n'importe quoi d'autre.
Une fois mes pizzas récupérées et réglées, je pris la direction de chez Clément à pieds, puisque ce n'était pas bien loin. Evidemment, j'avais pris soin de bien m'habiller, une chemise noire et un pantalon blanc repassé par mes soins.. Donc forcément il y avait des faux plis. Mais l'intention y était. Ce n'était pas n'importe quel jour, c'était son anniversaire. Une fois devant sa porte à 18h00 pile, je déposai les pizzas sur le petit muret juste à côté afin de libérer une de mes mains qui s'empressa d'appuyer sur la sonnette. Je glissai ensuite nerveusement cette même main dans les cheveux pour les remettre en place correctement vers l'arrière. Peut-être était-il sortit avec des amis ? C'était le genre de choses qui ne me venait jamais à l'esprit à part au dernier moment... C'est un fait qui m'avait valu bien des déconvenues par le passé. Bien qu'en l'occurrence, il savait que je vivais à Brisbane maintenant, et même si nous étions peut-être en froid, j'aurais été blessé qu'il organise quelque chose pour son anniversaire sans m'y convier. Cela m'aurait sans doute ramené quelques années en arrière, lorsque j'avais honte d'être l'autiste, et que je m'imaginais que ma famille avait honte de se montrer en public avec moi, tous autant qu'ils étaient.
Vingt quatre ans. Voilà le nombre d’années qui sont passés depuis ma naissance en Australie et 23 ans et 6 mois depuis que j’ai rejoins mes parents adoptifs. Voilà ce qui me passe par la tête depuis ce matin. Cette année, le jour de mon anniversaire a un arrière goût amer. Je ne saurais réellement dire pourquoi. Est-ce seulement lié au fait que je connaisse maintenant la vérité qui se cache derrière ma naissance ? Ou est-ce à cause du reste ? Les cours, le théâtre, les différents ateliers que je suis obligé d’animer, mon prochain stage de théâtre qui aura lieu pendant les vacances scolaires et que je prépare activement ? Ou est-ce à cause de la pression que je me mets concernant la situation avec mon père ? Je ne saurais le dire réellement.
Tout ce que je sais c’est que j’ai passé ma journée seul à l’appartement avec Moana comme seule compagnie. Les jumeaux m’ont promis que nous passeront la soirée ensemble et sont parti ce matin. Si j’avais été plus motivé et bien moins fatigué, j’aurais sans doute proposé une tournée des bars avec d’autres potes, mais c’est impossible ou du moins trop difficile d’organiser ce genre de chose à l’arrache. Et puis de toute façon je n’aurais surement pas la force –autant physique que mentale- à rester réveillé jusqu’à pas d’heure. Mes insomnies ce sont enfin un peu calmé du coup j’ai décidé de profiter de chaque minutes pour récupérer le sommeil perdu.
Au milieu d’après midi je me suis tout de même décidé de me lever du canapé et sortir Moana. J’en ai profité pour aller acheter un pack de bière, car même si je souhaite une soirée cool, je pense qu’Ambroise ne me pardonnera pas s’il n’y absolument pas d’alcool. Il doit être 17h lorsque je reviens à l’appartement. Je mets tout de suite la bière au frais puis retourne sur le canapé avec mon ordinateur et mes cours, Moana venant se coucher à mes côtés.
Je n’ai pas le temps de réellement me replongé dans mes textes, que la sonnette retentisse. Soupirant lourdement, je me lève et me dirige, pied nu et en jogging et t-shirt ample, vers la porte. Ou devrais-je plutôt dire que je me traîne jusqu’à la porte ? Mon dos me fait de plus en plus souffrir, à tel point que même la marche devient difficile. Encore plus quand j’ai passé plusieurs minutes, immobile, dans le canapé. Prenant une profonde inspiration, grimaçant légèrement en me redressant, je pose ma main sur la clenche et l’abaisse, ouvrant la porte sur … «Paul … ? » demandais-je, presque choqué de la présence de mon oncle « que … qu’est-ce tu fous là … ?» je cligne plusieurs fois des yeux puis incline légèrement la tête sur le côté alors que Moana, passant à côté de moi, va tout de suite tourner autour de Paul pour lui faire la fête et lui souhaiter la bienvenue chez nous.
Lorsque je vis l'allure de mon Neveu, j'haussai un sourcil et cela amplifia l'impression que j'avais eut, selon laquelle il n'allait pas bien en ce moment. Je me tenais toujours droit comme un I face à lui, et lui tendis directement mon cadeau mal emballé. « Bon anniversaire, Clément.» Lorsque Moanna vint me faire la fête et me saluer comme il se doit, je sentis mon coeur se remplir de joie. Cet animal était vraiment si adorable que je me sentais bien en sa présence. Comme avec la plupart des animaux en fait. Je m'accroupis donc pour la caresser, et la laisser sauter sur moi quelques fois, ce qui eut le don de m'arracher un de mes éclats de rire enfantins. Je la gratouillai un long moment derrière les oreilles, comme je savais depuis la dernière fois qu'elle aimait ça. Puis quelques instants après je me redressai, récupérant les cartons de pizza et reportant mon attention sur Clément. « Je me suis dis que... Enfin... J'ai ramené à manger.» Je plongeai mon regard dans le sien, cherchant à déceler une quelconque trace de ce qui faisait qu'il était dans cet état. Le voir ainsi me faisait beaucoup de peine, et j'avais juste envie de l'aider. Même si ces derniers temps je m'étais pris dans la gueule que nos années d'éloignement n'avait pas épargné notre complicité. Du moins de son côté. Je n'étais plus celui vers qui il se tournait quand il allait mal. Et ça aussi, ça me peinait énormément. Mais il était mon neveu... Mon Clément. C'est pourquoi je voulais sauver les pots cassés tant que c'était encore possible. Je n'aurais pas supporté de le perdre, ou de le regarder mettre cette distance entre nous. « Tu vas me laisser entrer ?» J'aurais bien tenté un trait d'humour, mais je m'en abstint, parce que ç'aurait juste été ridicule et raté. Je tentai donc un de mes sourires bizarres, et que je devais me concentrer pour faire. Je n'avais pas la chance de savoir sourire de façon naturelle. «Je n'aime pas quand on se dispute, tu sais...» dis-je, un peu plus bas. C'est vrai, j'avais ça en sainte horreur. Les rares fois où il nous était arrivé d'être en froid par le passé, j'avais souffert le martyr. Il me manquait une partie de moi-même. Et là, il était devant moi, habillé pour rester à la maison, pendant un jour de fête, et je trouvais ça triste. Ca me donnait davantage l'envie de l'aider. Du moins d'essayer, même si je savais que je risquais de me faire envoyer bouler, une fois de plus. Je savais que je me devais et que je lui devais d'essayer d'arranger ses problèmes. De le faire se sentir mieux. « C'est... Original, comme tenue pour un anniversaire.»dis-je, en le regardant de haut en bas. Mais encore une fois, malgré toutes ces choses qui me torturaient l'esprit, je ne pouvais m'empêcher de me sentir heureux de l'avoir là, devant moi. Il avait longtemps été ma bouée de sauvetage, dans ce monde de brutes, je crois que j'étais l'un des mieux placés pour traiter le monde ainsi. Et rien ni personne ne pourrait jamais changer ça. Quant au fait de son adoption... Faut dire que c'est une chose que j'ignorais, puisque ma soeur n'avait jamais jugé utile de me le dire. Et puis qu'est-ce que ça aurait changé ? Au final, Clément était mon neveu. Mon frère. Il y avait moins de différence d'âge entre lui et moi qu'entre ma soeur et moi, alors... Ca m'importait peu.
En ouvrant la porte j’étais presque persuadé que j’aurais affaire à Sybbie et Ambroise qui rentreraient avec un pack de bière et des pizzas. On se serait installé au salon et on aurait tranquillement commencée notre soirée films chez nous. Mais au lieu de ça c’est face à Paul que je me retrouve. Il a, certes, des pizzas avec lui, mais il n’était pas prévu au programme. Je ne manque donc pas de lui montrer, malgré moi, mon étonnement, alors que Moana est, elle, très contente de le voir. En même temps, elle n’est pas difficile cette chienne. Mais peu importe.
Je fini par comprendre que c’est pour mon anniversaire que Paul est là et qu’il avait juste envie de me faire la surprise. J’avoue que je n’avais pas pensé à l’inviter à la soirée, mais en même temps la soirée devait être un moyen de renouer totalement avec Ambroise. D’ailleurs depuis le trek notre amitié semble à nouveau être au beau fixe et j’ai comme l’impression que la période de maladie par laquelle il est passé nous a un peu plus rapprochés. C’était assez violent et, même si le plus gros est passé, j’ai l’impression qu’il est loin de la forme physique d’avant, mais en même temps je me dis que son corps a sans doute besoin d’un peu plus de repos. C’est pour ça que je ne voulais pas imposer une troisième personne avec nous. Mais maintenant je ne peux tout simplement pas renvoyer mon oncle.
Ainsi donc, je le laisse entrer et, refermant la porte derrière lui, soupire lorsqu’il me fait remarqué qu’il n’aime pas qu’on se dispute. Relevant le visage, je l’interroge du regard et arque un sourcil avant de soupire lorsqu’il commente sur mon accoutrement qui laisse fortement à désiré. « J’avais prévu de rester chez moi pas de me présenter aux Oscar hein» dis-je simplement, sobrement, en me dirigeant vers la cuisine « Et désolé pour l’échange de sms» reprenais-je en sortant deux assiettes du placard « T’es juste pas tombé dans un bon moment, j’avais l’esprit occupé par le théâtre et mon jeu de scène et …bref, désolé» soufflais-je en sortant des couverts pour mettre le tout sur la table.
J’apporte ensuite une bouteille d’eau que je pose aussi sur la table, m’installe puis soupire lourdement en me passant une main sur le visage «C’est con putain … » marmonnais-je avant de relever mon regard sur Paul « Tu … y a mes coloc Ambroise et Sybbie qui vont venir dans une petite demie heure. On avait prévu de commander des pizza et …enfin, ça te dérangerait qu’on mange plus tard ?» demandais-je en me levant, empilant à nouveau les assiettes et récupérant les couverts «Mais installe-toi, j’te rapporte une bière » ajoutais-je, sans réellement lui laisser le choix et retourne ranger le tout dans les placards.
Je vois bien qu'il a pas l'air dans le meilleur état du monde et ça m'attriste, après tout c'est sensé être un jour de fête aujourd'hui, non ? Aussi bête que ce soit, quand il s'agissait des anniversaire ou de Noel, j'étais un grand enfant et j'y accordais beaucoup d'importance. J'aimais les cadeaux, mais j'aimais surtout en faire et je n'allais pas m'en priver, surtout maintenant que j'avais les moyens, après avoir bossé dur pour avoir ce niveau de vie des plus confortables. Je regardais donc mon neveu et vis rapidement qu'il avait l'air mal à l'aise. Je remarquai facilement ce genre de choses. Je le suivis donc sans rien dire et déposai les pizzas sur la table. Quand il me fit une réflexion que je trouvais acerbe concernant son accoutrement et qu'il s'excusa pour la dispute que nous avions eut par SMS je préférai ne pas répondre. Néanmoins quand il tenta de m'en expliquer la raison, je m'approchai doucement de lui pour lui dire d'une voix égale mais douce. « Tu sais Clément, tu peux me parler.»
Je le suivis une nouvelle fois jusqu'à la table, et ne le quittai pas du regard pendant qu'il m'expliquait qu'il avait prévu de passer la soirée avec ses colocataires et se mit à ranger tout ce qu'il avait sortit. J'attendis qu'il revienne et lui tendis le livre emballé que je tenais dans mes bras. « Je voulais pas m'imposer, Clément. Tu sais je... Je pense souvent à ce genre de choses... Après.» Il le savait bien au fond, quand j'étais lancé dans un truc, j'étais à fond et je ne réfléchissais aux différentes options que quand il était trop tard. « Je voulais juste te donner ça. C'est mon cadeau. Et je peux te laisser avec tes amis.» Je sentais bien que j'étais de trop, mais bizarrement, bien que ça me fit un peu de peine qu'il n'ai pas pensé à m'avertir qu'il avait prévu de passer la soirée avec des amis, je ne le pris pas mal. Après tout il fallait que je me fasse à l'idée, non? Plus rien n'était comme avant, les années étaient passées et si tout était resté intact pour moi, force était de constater que ce n'était pas le cas pour lui. Je m'y étais préparé dans le fond. Je savais qu'il se serait sans doute fait des amis ici, et que notre relation autrefois proche du fusionnel aurait changé. Je le voyais bien parce qu'il ne me disait plus rien. Parce qu'il ne me parlait plus de ses problèmes. Tout cela m'attristait profondément, mais je m'efforçais de ne pas le montrer parce que je refusais qu'il me prenne en pitié. Je préférais mourir. « Je ne bois pas, Clément.» Ca aussi, il le savait. Je répugnais l'alcool et la drogue, surtout depuis que Jim était... Et qu'Allan m'avait expliqué que lui aussi avait un problème avec la drogue. Et qu'après il s'était enfuit pendant 8 ans. Je pris une profonde inspiration, me forçant à lui faire l'un de mes petits sourires bizarres, comme si tout allait bien. « Je vais te laisser avec tes amis.»
Il va sans dire que Paul ne tombe pas bien. J’avoue que j’aurais préféré passer ma soirée avec mes deux meilleurs amis, mais au final je me dis que la présence de mon Oncle n’est pas si mauvaise que ça. Ça ne va pas changer grand-chose et dans tous les cas je voulais le présenter à mes colocataires, autant que ce soit ce soir, non ? Quoi de mieux qu’une soirée bien chill pour commencer les présentations. D’ailleurs, plus j’y pense, plus je me dis qu’Ambroise et Paul ne pourront que bien s’entendre, avec leur intelligence hors norme et leur curiosité éternelle ils se trouveront sans problème plusieurs points communs.
Alors que je le laisse entrer dans l’appartement, je réponds de manière acerbe à sa remarque sur ma tenue puis m’excuse par rapport à ma réaction bizarre par sms. Soupirant lorsqu’il me dit que je peux lui parler, j’hoche la tête et balaye ses paroles d’un geste de la main « Oui oui je sais» dis-je en hochant la tête sur un ton égal avant d’aller dans la cuisine. Toutefois, n’étant absolument pas organisé et totalement prit au dépourvu, je me retrouve à mettre la table pour Paul et moi alors que j’avais prévu un tel repas avec mes colocataires qui ne devraient plus tarder. Je fini donc par ranger à nouveau les assiettes et les couverts dans les placards. C’est en revenant au salon, que mon regard se pose enfin sur le cadeau qu’il me tend. J’hésite un instant, puis souris légèrement attrape le cadeau «merci » soufflais-je à arrachant le papier, découvrant ainsi un magnifique livre sur théâtre. Vu sa reliure en cuire, le titre en calligraphie et les couleurs un peu vieille et effacé ainsi que la forte odeur de vieux et de renfermé qui se dégage des pages déjà un peu jaunit, je conclus qu’il s’agisse là d’un exemplaire ancien et sans doute unique. J’arque un sourcil sous la surprise puis relève mon regard sur Paul « Woah, je … je sais pas quoi dire. Je…» je pose délicatement le livre sur la table puis m’approche de mon oncle « merci» dis-je simplement en allant le prendre dans mes bras dans une étreinte amicale.
Je le relâche assez rapidement et me dirige à nouveau vers la cuisine en disant que je vais lui chercher une bière. Sauf que Paul ne boit pas d’alcool, ce pour quoi je me maudis intérieurement et reviens avec quelques bouteilles de soda. «Voilà, choisit ce que tu veux » dis-je en décapsulant ma propre bière. C’est alors que, hésitant, mon oncle m’indique qu’il va y aller, ne voulant pas me déranger d’avantage «non ! » dis-je brusquement avant de me ressaisir « je veux dire …non, s’il te plait, reste. Tu n’as pas fait tout ce chemin pour rien et… et puis j’avais de toute manière envie de te présenter à Ambroise et Sybille» expliquais-je en me dirigeant vers le salon «reste, s’il te plait » le suppliais-je presque en m’installant sur le canapé «ça va ? tu vas bien ? » demandais-je, histoire d’engager la conversation.
Lorsque je le vois faire ce genre de la main que je ne saisis pas je comprends néanmoins qu'encore une fois je l'ai agacé, et pour le coup je me déteste pour ça. J'ai vraiment l'art et la manière de lui déplaire, en ce moment. J'ai l'impression que plus j'essaye d'arranger les choses, plus elles empirent. C'est presque... Epuisant pour mon pauvre cerveau. Néanmoins, il a l'air d'être heureux de mon cadeau et ça me remonte un peu le moral qui était doucement mais sûrement descendu jusqu'aux flammes de l'enfer. Je me laisse prendre dans ses bras, sans pour autant avoir une quelconque réaction et lui lance un regard attendrit. « Ca me fait plaisir, vraiment. J'ai tout de suite pensé à toi quand je l'ai vu.» C'est vrai que ce livre était beau, et avait du caractère. Même moi qui n'était pas un grand fan de théâtre pour la simple et bonne raison que même avec toute la volonté du monde je n'aurais pu en faire, j'avais craqué sur son charme. Je regardai un instant les bouteilles de soda que Clément avait posé sur la table, mais j'étais bien décidé à le laisser passer sa soirée comme il l'entendait, c'est à dire avec ses amis. Du moins jusqu'à ce que sa voix un peu trop brutale m'interpelle, de façon désagréable évidemment. J'avais un très mauvais rapport aux cris, coups et interjections un peu brutales, c'est d'ailleurs pourquoi en général je me tenais aussi loin que possible des soirées trop animées et alcoolisées, ce qui risquait d'être le cas ce soir d'ailleurs. Mais, il me demanda une nouvelle fois de rester, de façon plus calme cette fois, et qu'il avait envie de me présenter à ses amis de toute façon. Et... Je ne pouvais rien refuser à Clément. Ni à qui que ce soit d'autre en fait, mais surtout à Clément. Alors je me ravisa et vint m'asseoir à côté de lui sur le canapé, sans un mot, lui signifiant ainsi mon accord silencieux. Pour une fois, ça m'avait donné l'impression qu'il restait encore ne serait-ce qu'un infime espoir de sauver cette relation que nous avions depuis presque toujours. Du moins toujours pour lui. Lorsqu'il me demanda si ça allait, je ne mis pas longtemps à répondre. « Ca va. Je passe mon temps à travailler, tu sais...» Oh ça oui, je les enchaînais les garde de 24h00 à l'hôpital, si bien que je n'avais presque plus de temps à moi. Mais je le savais pertinemment quand j'avais choisis de devenir médecin, et à plus forte raison quand j'avais choisis de devenir chirurgien. Certes nous étions bien payés mais on ne lésinait pas sur le travail. Et on ne comptait pas les heures non plus. Il y avait continuellement des gens à sauver, après tout. Et puis, faut avouer que je me noyais volontairement dans le travail aussi, je prenais plus de gardes que de raison et je sentais que la direction de l'hôpital n'allait pas tarder à me forcer à lever le pied. C'est pourquoi ils avaient accepté de me donner ma soirée avec grand plaisir et sans hésiter un seul instant. Faut dire que l'unique raison qui me poussait à ne pas aller travailler quand j'étais malade, c'était la peur de contaminer mes patients. Ca démontrait à quel point j'étais mordu de ce boulot qui me passionnait un peu plus chaque jour. « Tu sais je... Tu leur as parlé de moi, à tes amis ? Enfin je... Ils savent que...?» Je suis autiste. C'était bien ça la question. Ce mot Autiste, j'arrivais pas à le sortir. Quasiment jamais. Et j'avais peur, peur de rencontrer des inconnus, comme à chaque fois. Peur de me faire juger et traîner dans la boue, comme à chaque fois. Je savais que Clément ne permettrait pas une chose pareille, car nombreuses étaient les fois où il avait volé à mon secours, crachant au visage de tous ceux qui m'insultaient, me rabaissaient ou me frappaient. Il était d'ailleurs le seul à connaître cette partie de ma vie. Et c'était pas parce que je lui en avais parlé, c'était parce qu'il l'avait vu de ses propres yeux un nombre imposants de fois. Mais n'empêche que même s'il me défendait à chaque fois, les mots et les gestes des autres avaient déjà posé leur entailles sur mon coeur.
Il faut vraiment que je me calme. Paul n’a rien fait et tout de suite je prends sa présence comme une agression. D’autant que ce n’est pas de sa faute s’il ne pense pas de façon logique comme nous autres et c’est ce qui fait sa singularité. Alors, lorsque je retourne reposer les couverts et les assiettes dans la cuisine, je me prends le temps de prendre de profondes inspirations afin de me recentrer et accepter les choses telles qu’elles sont. Une fois l’esprit clair, je retourne au salon, plus détendu et enclin à accepter la présence de mon oncle. Celui-ci, me voyant revenir, me tend un paquet cadeau qui, je le devine, est un livre très mal emballé ce qui m’arrache un sourire amusé. Autant Paul est fort pour trouver les bons cadeaux autant l’emballage ce n’est vraiment pas son fort. Et aujourd’hui encore il ne me déçoit pas ! C’est, magnifique livre ancien dans les mains, que je m’avance vers Paul pour le remercier en bonne et due forme avant de m’asseoir à nouveau à ma place.
Alors que je feuillette délicatement les pages jaunies par le temps, je tente d’engager la conversation avec mon oncle. Simple et direct, il m’explique travailler beaucoup puis m’indique qu’il préfèrerait partir pour ne pas me déranger. Secouant la tête, c’est assez brusquement que je lui dis de rester car ce sera l’occasion ou jamais de rencontrer mes colocataires. Et c’est surement la première fois depuis longtemps que je sens Paul qui commence à stresser, se demandant si j’ai parlé de lui et de sa singularité à mes amis.
«Que t’es autiste ? » demandais-je, arquant un sourcil, pour finir la phrase de mon oncle en prononçant ce mot qu’il n’arrive pas à prononcer. Pour beaucoup de gens, l’autisme est utilisé comme une insulte, pour moi c’est une normalité et Paul ne devrait pas avoir honte de se présenter comme tel. « je leur ais dit, oui» hochais-je la tête «Je leur ai tout expliqué, de A à Z, ils savent à quoi ils vont s’en tenir » souriais-je « En vrai Ambroise et Sybille s’en foutent totalement » expliquais-je «Surtout Sybille. Ambroise lui … en fin t’as la chance d’être intelligent et savoir de quoi tu parles, car il est du genre à vraiment bien faire comprendre aux autres que lui aussi est super intelligent » expliquais-je «mais vous allez super bien vous entendre, je le sens. Toi et lui surtout vous avez plus ou moins la même vision des choses et …bref, t’inquiète pas, ça va aller » le rassurais-je avec ma douceur légendaire lorsque je m’adresse à lui.
Un frisson me parcourut l'échine lorsque Clément prononça ce mot que je détestais. Je me reculai alors pour mieux coller mon dos au dossier du canapé, et l'écouta, préférant ne rien dire. Je voulais bien le croire. Au moins avait-il averti ses amis de ma... Particularité, c'était un bon point. Néanmoins, ses propos concernant Ambroise ne me rassurèrent qu'à moitié. J'étais plutôt du genre timide avec les inconnus, donc à moi qu'il me lance sur la médecine, il y avait peu de chance que je me transforme en moulin à parole. Je me mis alors à triturer mes doigts, comme si ma vie en dépendait. Le regard fixé sur le sol. En réalité je ne savais pas trop que répondre à tout ça, aussi je me dis qu'il serait peut-être bon que je détourne la conversation. « Allan est venu me voir, l'autre jour...» Commençai-je simplement, me doutant que je pouvais très bien m'engager sur un chemin glissant. Mais j'avais besoin de le lui dire. Après tout, nous étions une famille, non? S'il ne voulait pas en parler, je ne doutais pas qu'il me le ferait savoir. Mais encore une fois c'était pas simple puisque ça touchait à ces sentiments que j'avais profondément enfouis depuis trop d'années. Je tournai mon regard vers lui un instant, comme pour jauger sa réaction. Sonder son esprit, et essayer de voir s'il allait s'énerver ou pas. Faut dire qu'il s'énervait facilement, en ce moment. C'était pas facile à gérer, pour moi. Je n'avais jamais été doué avec ma propre colère, alors celle des autres... Mais j'avais bien compris qu'il ne voulait pas en parler, même si ça me blessait profondément parce que quelques années en arrière encore, il m'aurait tout dit. « Ca a l'air de bien se passer pour toi, ici, et je suis content que tu sois heureux.» Mais j'aurais peut-être dû rester en Nouvelle-Zélande, parce que depuis que j'suis ici, tout fait mal, ou presque. Ca aurait pu être la fin de ma phrase, s'il m'était d'usage de dire le fond de ma pensée. Mais je m'abstins, parce que ce n'était pas le cas, et parce que c'était pas spécialement le moment. Je voyais bien que même si je m'efforçais de me rendre aveugle moi-même, j'étais dans un bateau qui fonçait à pleine allure sur le récif. Je me noyais dans le travail pour oublier tout ce qui me peinait, la distance entre Clément et moi, la remontée subite d'Allan à la surface, Sara qui n'était plus comme avant puisqu'elle était occupée par son copain macho arriéré qui n'avait l'air d'avoir aucune envie de m'aimer ou de s'impliquer comme Allan l'avait fait, le mal du pays, cette grande ville si effrayante, mais ça, ça ne marcherait qu'un temps. Parce que vu l'amabilité de la plupart des patients que je soignais, ça aussi, ça me fatiguait psychologiquement. « Mon psychiatre me manque.» Conclus-je, dans un murmure, presque pour moi-même. Après tout il avait été ma lumière au bout du tunnel, le filet de sécurité en dessous de la corde au dessus du vide sur laquelle je marchais depuis toujours, et ce pendant 16 longues années. Ca allait faire deux mois que je n'avais eut aucun suivi, et je me rendais compte qu'il fallait que j'y remédie rapidement.
Me rendant compte qu'une fois de plus j'étais partit trop loin dans mes pensées et qu'hormis mon murmure -que j'espérais avec ferveur que Clément n'avait pas entendu-, un long silence s'était installé entre nous. Mais bon, je me doutais aussi qu'il ne m'en voulait pas puisqu'il savait à quel point il était difficile de me tirer de mon monde lorsque je m'y plongeais. Je me rendis aussi compte que ça faisait un moment que je torturais mes doigts. Je les laissai donc subitement tranquilles et me raclai la gorge. Jour de fête ? Jour de fête. Mets-toi en conditions festives, Paul. « Du coup, tu te rapproches dangereusement de la mort.» Oui, un trait d'humour de temps en temps ça m'arrivait, ce n'était juste jamais très figuratif. « Je m'occuperais de ton traitement lorsque tu auras Alzheimer, promis.» Je lui lançai un regard brillant de malice. J'espérais bien qu'il allait rétorquer une de ses fameuses répliques cinglantes.
Je remarque bien vite que mes paroles ne rassurent pas des masses mon oncle. Toutefois, je me vois mal de lui cacher ce que j’ai dit à Ambroise et Sybbie. Tous les deux étant bavard et Ambroise étant surtout très direct, il va de soit qu’à un moment donner la conversation se détournera sur la particularité de Paul. J’espère tout de même qu’ils aient un minimum de jugeote pour ne pas le faire, mais la possibilité que ça arrive reste très forte. Ainsi, Paul est donc prévenu. Toutefois, il me confirme son malaise en changeant subitement de sujet, m’informant, sans détour, que mon père est passé le voir dernièrement. Fronçant légèrement les sourcils, je m’efforce de ne pas réagir d’avantage et hoche simplement la tête «Et ? Il a dit quoi ? Vous avez parlé de quoi ? » demandais-je, curieux comme à mon habitude. «Et…hum…. Ça a été ? » voulais-je savoir plus précisément, en faisant tourner ma bière entre mes mains, désireux de savoir ce que Paul pense de mon père.
Mais, encore une fois, il change de sujet. Sautant du coq à l’âne, il déclare brusquement que son psychologue lui manque. Fronçant bien visiblement les sourcils, je l’interroge du regard, me demandant sincèrement pourquoi il me dit ça. « Tu parles de Daniel, c’est ça ?» demandais-je, afin d’être sûr qu’on parle bien du même homme. A la confirmation de mon oncle j’hoche doucement la tête « Et pourquoi il te manque ? » j’incline légèrement la tête sur le côté sans cesser d’observer Paul.
Je m’en vais ensuite dans la cuisine pour préparer le chocolat chaud du néo zélandais puis reviens m’installer lorsqu’il m’informe que je suis proche de la mort mais qu’il s’occupera de mon traitement quand j’aurais alzheimer «Trop aimable » grommelais-je avant de rigoler doucement «Enfin, on verra bien. De toute manière je compte mourir de vieillesse, sur scène. Comme Molière. T’imagine un peu la classe ? Quand a 90 ans tu joues encore, tu t’assois, déclame ta dernière tirade et puis … » j’incline la tête sur le côté et sort la langue, mimant la mort avec un petit bruit guttural avant de rigoler de bon cœur et prendre une gorgé de ma bière «Au fait, t’es aller voir Maman depuis la dernière fois ? » demandais-je, reprenant brusquement mon sérieux.
Clément m'avait informé que ses amis étaient au courant de ma différence, et je devais bien avoué que mon avis sur la question était partagé. Autant je me disais que c'était mieux, parce que en général quand les gens ignoraient ce que j'étais, ils me trouvaient bizarre mais n'arrivaient pas à mettre le doigt sur ce qui était différent chez moi. Mais d'un autre côté quand ils savaient, ils avaient tendance à me traiter comme une bête de foire. Alors dans un cas comme dans l'autre, c'était problématique. Puis, j'avais dévié la conversation sur Allan, comme j'avais l'habitude de le faire, changer de sujet était mon habileté première. Mais je savais bien que je ne dupais pas Clément avec mes stratagèmes parce qu'il me connaissait trop bien. Il m'interrogea sur la façon dont ça s'était passé, et sur ce qu'on s'était dit. Je joins donc mes mains, comme à chaque fois que le sujet abordé était sensible, et me mit à triturer mes doigts incapable de rester immobile. « En fait, il m'a apporté un de ses livres qu'il n'a jamais publié. Et on a parlé d'un peu de tout. Mon travail, le sien, de toi. Ou plutôt de ton absence d'amour pour l'écriture qui l'attriste, mais je ne t'apprends rien.» On avait pas dit grand chose d'exceptionnel au final, et ça n'était guère étonnant, étant donné que je n'étais jamais rancunier, et que j'étais plutôt le genre à lui ouvrir gentiment les bras sans rien dire, plutôt que de lui faire des reproches. J'étais un paillasson, en quelque sorte. « Ca s'est bien passé, oui. Il m'a élevé, tout comme toi, je suppose que je ne pourrais jamais en vouloir très longtemps à l'un d'entre vous, vous êtes ma famille.» Conclus-je sur le sujet. Depuis toujours, j'attachai inconsciemment une importance peut-être démesurée à ma famille. Et mon besoin d'eux était cent fois plus important que ma capacité à les détester quand ils me faisaient souffrir, qui était proche de zéro, si c'était pas dans le négatif. Mais je savais que Clément ne voyait pas les choses de cet oeil, d'un autre côté lui était capable d'éprouver de la rancoeur, et je le comprenais. Allan était partit pendant huit longues années, nous abandonnant tout simplement. Je supposai qu'il aurait sans doute été plus sain que je lui en veuille. Mais comme d'habitude, j'avais préféré enfoncer la chose quelque part au fond de moi et faire comme si de rien était.
Il m'avait entendu lors de ce murmure à moi-même concernant Daniel. Tant pis, de toute façon quel était l'intérêt de lui cacher des choses? « Oui.» Je relevai mon regard vers Clément, dans le but de répondre à sa question, mais une boule dans la gorge m'en empêcha un court instant. J'étais bien incapable de lui dire qu'il était lui-même l'une des raisons, de par sa distance et son agressivité par moments, qui faisaient que j'avais désespérément besoin de Daniel. « Je me sens perdu sans lui. Avant je le voyais toutes les semaines, et maintenant je suis un peu.. Seul dans ma tête, c'est compliqué.» Ce qui était d'ailleurs une réponse tout aussi valable. Avant, chaque semaine je voyais mon psy, on parlait de la semaine, et il me guidait, pour faire mieux la prochaine fois. Pour comprendre des choses que j'avais pas forcément compris. Et pour m'écouter tout simplement. Et puis, il faisait un travail de fourmi sur moi, pour m'apprendre la communication non-verbale et le second-degrés. Pour le deuxième point c'était loin d'être une franche réussite pour l'instant, mais pour le premier, c'était quand-même lui qui m'avait appris à sourire, puis à le faire de plus en plus naturellement, c'était aussi lui qui m'avait appris que désigner des objets avec ma main pouvait être utile, entre autre choses, parce qu'il y avait tellement d'exemples de ce que Daniel avait fait pour moi.
Je le laissai donc partir pour se préparer un chocolat chaud, puis lorsqu'il revint et me fit sa comédie je ne pus réprimer un petit rire. « Je ne doute pas qu'avec Alzheimer, tu feras régulièrement des représentations depuis ton lit d'hôpital.» Sauf si j'ai réussis à trouver ce foutu remède que je cherche désespérément d'ici là. Lorsqu'il me parla de ma soeur, je redevins sérieux à mon tour et me renfrognai subitement, croisant les bras contre mon torse. « Une fois. Mais on s'est disputés.» Oh que oui on s'était disputés, parce que j'avais traité son simulacre de petit-ami d'abrutis congénital. Et Clément savait combien je pouvais me montrer têtu lorsque je considérais être dans mon bon droit, et combien Sara aussi pouvait l'être. Du coup, c'est vrai même si je n'étais pas rancunier, bouder comme un gamin, ça je savais très bien le faire. Dans le fond je n'en voulais pas à ma soeur, mais faut dire que j'avais une sacré fierté et que quand il s'agissait d'elle, elle entrait régulièrement en jeu.
Lorsque Paul décide de changer de sujet, je le suis sans problème, ayant bien conscience qu’il n’aime pas parler de son autisme. Je ne comprends peut-être pas forcément, mais je respect totalement et le laisse donc décider du nouveau sujet. Allan. Mon père est venu le voir, il lui a offert un livre de ceux qu’il n’a jamais fait publier –ceux que j’ai jamais eu le droit de toucher…- et ils ont beaucoup parlé, entre autre de moi et ma non passion pour l’écriture. Je soupire doucement et prends une gorgé de ma bière « C’est une preuve que je ne suis pas un Winchester » dis-je en haussant les épaules d’un air détacher «Aucun King n’aime l’écriture, personne n’aime le rugby et ils sont tous imberbe. Donc bon, ceci explique cela » j’esquisse un léger sourire. Il y a quelque mois encore, l’idée de ne pas être un Winchester de manière biologique m’était insupportable. Maintenant je me suis fait à l’idée et je ne trouve ça plus du tout dérangeant.
La discussion dévie ensuite vers un tout autre sujet : Daniel, le psychiatre de Paul qui, comme je l’apprends, lui manque énormément. Avant, ils avaient leur habitudes ensemble et maintenant il se sent presque seul dans sa tête. Grimaçant légèrement, j’hoche discrètement la tête, réfléchissant « et tu … t’as jamais pensé essayer de trouvé un autre psy ici ?» demandais-je, l’interrogeant du regard « Doit bien en avoir plusieurs …ou alors tu appelle Daniel et tu lui demande s’il ne connaîtrait pas un confrère par ici» proposais-je en haussant les épaules, l’air de rien.
Lorsque Paul change encore de sujet, je me dis qu’heureusement je le connais depuis toujours et que je sais comment il tique et réfléchit. Quelqu’un d’autre que moi serait sans doute déjà perdu. C’est pour ça que je ne dis rien et que je le laisse continuer. Il me dit qu’il me prendra en charge si jamais je me retrouve atteint de la maladie d’Alzheimer et je lui réponds que j’ai plus envie de mourir de vieillesse sur scène comme Molière. La réponse de mon oncle me fait marrer et je secoue la tête « Tu seras obligé de te reconvertir en brancardier pour conduire mon lit un peu partout dans les différents Théâtre New-yorkais» rigolais-je avec un clin d’œil.
Car oui, j’ai bien décidé que d’ici 5 ans je quitterais Brisbane pour New-York. Sauf si, d’ici là, j’ai une proposition pour un casting à Broadway. Peut-être que je partirais plus tôt ? Dans tous les cas, cinq ans c’est la limite d’années que je passerais encore ici, dans cette ville. Il faut que je bouge pour pouvoir m’améliorer. Faudrait d’ailleurs que j’en parle avec ma mère, voir ce qu’elle en pense de tout ça, bien que je sois certain qu’elle me soutiendra, peu importe les choix de ma vie, même si ça signifie me laisser déménager à l’autre bout du globe. C’est, en repensant à ma mère, que je me demande si Paul l’a revu depuis la dernière fois où la rencontre était finalement assez désastreuse. Il m’apprend ainsi qu’effectivement, il l’a revu, mais qu’ils se sont engueulés. « Pourquoi ça ?» demandais-je, intrigué, avant de soupirer doucement « laisse moi deviner … Billy ?»
Lorsque Clément me dit qu'il n'était pas un Winchester et me débita un certain nombre de conneries à la suite, je ne pus retenir un haussement de sourcils. Je n'aimais pas qu'il dise ce genre de choses. « Tu es un Winchester et un Ackerly. Ce qui compte c'est ceux qui ont prit soin de toi depuis toujours. Pas ceux qui t'ont conçu biologiquement. En plus t'es doué pour écrire. Et t'as bien le sale caractère de ma soeur.» Et ça je l'avais toujours pensé. J'avais beau baser mon monde entier sur la science, j'étais quand-même du genre à penser qu'on ne pouvait considérer comme sa réelle famille des gens qui avaient refusé d'assumer leurs responsabilités. Alors oui, pour moi Clément était un Winchester par son père et un Ackerly par sa mère, tout simplement. Il avait beau être imberbe, ne pas aimer le rugby ni écrire, il n'en avait pas moins le caractère trempé de sa mère, et le talent de son père, aussi adoptifs soient-ils. Il le prenait sans doute mieux que moi, dans les faits. A l'époque où ma soeur et Allan l'avaient adopté, j'étais trop jeune pour comprendre ça. Alors faut dire que Clément était un membre de ma famille au même titre que tous les autres.
La discussion se détourne donc sur mon psychiatre, à cause d'une réflexion que j'aurais préféré garder pour moi. Mais bon, Clément avait toujours eut l'ouïe fine, sans doute en partie à cause de moi. J'avais dû lui apprendre à être attentif, après tant d'années à surveiller la moindre de mes jérémiades discrètes. « Je pourrais pas tout recommencer avec quelqu'un d'autre.» Il était très difficile d'obtenir ma confiance, quand on était extérieur au petit cercle que représentait ma famille, et Daniel avait bien passé des années à essayer et persister avant d'y arriver. D'ailleurs un petit sourire se dessina au coin de mes lèvres à la pensées des nombreuses crises de nerf que j'avais pu faire dans son cabinet. Il me poussait toujours à bout, mais au fond, c'était bon pour moi. « Il ne l'a pas dit, mais j'ai bien remarqué qu'il n'était pas content que je vienne ici.» Par pas content je voulais dire triste, évidemment. « On s'appelle de temps en temps, mais ce n'est... Pas pareil.» Forcément, faut dire aussi que les discussions étaient plus personnelles et moins thérapeutiques depuis que j'étais partit. Il m'engueulait de temps en temps, mais bon, j'avais l'habitude et dans le fond j'appréciais qu'il me remette à ma place.
Nous nous retrouvâmes donc ensuite à discuter du futur Alzheimer de Clément. Enfin, à cause de moi, parce que j'étais difficilement capable de rester concentré sur un seul et même sujet, surtout quand il s'agissait d'un truc sensible. Il me dit donc que j'allais devoir me reconvertir en brancardier pour le traîner de salle en salle à New-York, ce qui me tira un nouvel éclat de rire. « New-York rien que ça? Je ne veux pas détruire tes rêves, mais quand tu auras 90 ans, j'espère bien que je serais mort. 97 ans, c'est trop long, comme vie. Et puis, tu seras tellement obèse que je ne pourrais pas pousser ton brancard...» Dis-je dans un nouveau rire. Imaginer Clément obèse était pour le moins particulier étant donné sa morphologie. En plus, j'étais déjà mal à l'aise à Brisbane, alors New-York... Mais je me doutais que s'il en avait parlé, c'est qu'il envisageait réellement d'y aller. Dans tous les cas, ce serait bon pour sa carrière. Evidemment je serais malheureux de le voir partir encore une fois, mais je supposais que les choses seraient différentes cette fois, tout comme nos revenus à tous les deux. Ce qui permettrait sans doute de nous voir plus souvent. Ou peut-être qu'au final je le suivrais, comme toujours.
Le sujet revint donc sur ma soeur et ma mine se rembrunit légèrement. Faut dire qu'étant donné l'amour que j'avais pour Allan, aucun homme ne pourrait trouver grâce à mes yeux. Mais là, elle avait quand-même choisit la palme d'or du parfait connard. « Oui. Je lui ai dis que c'était un crétin congénital. Mais bon, arrivé à ce niveau là je ne vois pas où le problème peut-être à part dans son ADN.» Répondis-je. Et forcément, elle n'avait pas apprécié, et forcément c'était monté dans les tours. Et forcément tout le voisinage avait dû entendre nos cris puisque ma soeur était l'une des rares personnes devant laquelle je ne me taisais pas. « Je crois que je devrais cartographier son cerveau et en faire un sujet de recherches.» Ce mec était une perle rare dans l'océan de la connerie humaine et vraiment je ne comprenais pas ce que ma soeur lui trouvait. Et plus que tout au monde, je ne supportais pas sa façon de rabaisser Clément en permanence.
Je roule des yeux lorsque Paul me sort le speech du pourquoi du comment je suis un Winchester et un Ackerly, que le plus important sont ceux qui m’ont élevés etc. « Je sais Paul» soupirais-je, las «je me considère Winchester à 100%, mais fait est que je ne peux nier mes gènes King que je ne retrouve pas chez papa ou maman» j’hausse les épaules avant de rouler les yeux, amusé « Mais ouais, c’est vrai que j’ai plus le caractère de maman que de papa, ça c’est clair !» rigolais-je doucement en frappant mon oncle dans l’épaule.
Il me dit ensuite –et ce sans transition- que Daniel, son psychiatre, lui manque. Naïvement, je lui propose de tout simplement changer étant donné que dans une ville comme Brisbane il doit bien y avoir quelques gens compétant. J’oublie toutefois à quel point Paul était attaché à cet homme et combien il est important pour lui d’avoir ses habitudes. Qu’il me dise donc qu’il ne peut pas tout recommencer avec quelqu’un d’autre ne m’étonne absolument pas. Aussi m’apprend-t-il que Daniel lui a fait comprendre silencieusement qu’il n’appréciait pas son départ pour Brisbane. «En même temps …je ne penses pas que t’aurais trouvé un aussi bon job à Christchurch qu’ici » dis-je en haussant les épaules « Mais je comprend que ce soit difficile pour toi » reprenais-je, sincère.
La discussion se fait toutefois bien plus légère et marrante lorsque nous parlons d’éventuelles maladies neurologiques que je pourrais avoir. Sauf que moi j’ai décidé pour moi-même de mourir à 90 ans sur la scène d’un théâtre new-yorkais. J’en oublie même notre différence d’âge lorsque je dis à Paul qu’il va devoir se reconvertir brancardier. Sauf que lui aura 97 ans et, d’après lui, je serais obèse à ce moment là, donc il lui sera impossible de me trimbaler de scènes en scènes. «Je comptes pas finir obèse, tu sais … » dis-je, en secouant doucement la tête.
Par la suite nous parlons du fait que Paul se soit engueulé avec sa sœur et je devine sans mal que c’était à cause de Billy. Mon oncle a dit à Sara que son copain était un connard congénitale –j’avoue avoir bien rigolé avec ce terme- et qu’il se ferait une joie de cartographier son cerveau « Surtout pas !» m’exclamais-je «Tu risques de te salir les mains dans la merde qui se trouve dans sa tête … » dis-je, presque avec sérieux avant de finir ma bière. Au moment même où je repose ma bouteille sur la table, Moana se met à aboyer en entendant la clef qu’on tourne dans la serrure de la porte. Quelques minutes plus tard, ce sont Ambroise et Sybille qui arrivent dans le salon. Je fais rapidement les présentations puis les laisses seul le temps de mettre les pizza et donc la soirée en route.