De retour depuis quelques jours seulement et la vie est de nouveau la même qu’avant. Adieu l’effervescence de l’Angleterre. Ces bonnes vibes que j’ai ressentis à chaque instants. Ces chansons parfaites qui passaient sur les ondes. Cet accent. Cette culture. Ces pubs. Ces festivals. J’essaie de voir le bon côté des choses à mon retour. Je retrouve Wendy qui m’a beaucoup manqué et ma famille également mais quand même… Je me sentais tellement bien là bas. C’était un rêve pour moi de faire ce voyage et maintenant, il est fait. J’ai plus qu’à recommencer à économiser pour y retourner une année prochaine, parce qu’on aura beau dire, les festivals de musique en Angleterre sont les meilleurs de la Terre. Ok, j’en ai fait seulement en Australie, donc j’ai que ça pour comparer, mais ces festivals anglais sont de renommé international.

Alors pour rester dans ma bulle musicale, je ne loupe pas ma soirée open mic du mardi soir. Ca fait un moment que je ne me suis pas produit sur scène, ça va me faire du bien. J’ai rien eu le temps de prévoir comme tracklist spécifique, je vais rester sur du solide. Des morceaux que je connais bien.

J’arrive sur place le premier. Oui parce que y’a Isy qui va me rejoindre. Je commande deux bières et je m’installe à une table libre tout en réfléchissant à quelles chansons je vais faire ce soir. Je sors mon téléphone pour parcourir mon spotify et me donner des idées supplémentaires. Je tombe sur le dernier album de Trophy Eyes que j’arrête pas d’écouter depuis Leeds festival. J’ai été un peu en retard à le découvrir parce que le dernier album de Deaf Havana est sorti en même temps mais j’ai su me rattraper après les avoir vus à Leeds et découvert leurs nouveaux morceaux en live. Y’a rien de mieux que de tomber amoureux de chansons à la première écoute en live. Je me souviendrais toute ma vie de ma découverte de ces titres. Cela dit j’occulte l’idée de jouer quoi que ce soit de Trophy Eyes ce soir parce que je ne me suis jamais entrainé là dessus. J’ai déjà fait des freestyle mais c’est pas là où je me sens le plus à l’aise. J’aime travailler mes morceaux et connaître les accords de bases au lieu de les tâtonner ici et là à l’aveugle. Je dérive de Spotify et je me retrouve sur instagram, plus précisément sur l’instagram de Wendy. J’ai un sourire complètement niais sur les lèvres parce que je suis irrémédiablement amoureux de cette fille. Je me mords la lèvre quand je vois le drapeau arc en ciel sur un de ses posts. Je comprends très bien pourquoi elle a posté ça.

Je sursaute quand je remarque Isy qui est arrivé.

« Oh hey ! »

Je verrouille mon téléphone et je me lève pour aller lui faire une étreinte amicale.

« Je t’ai pris une bière. »

Parce que je suis toujours là pour payer mes tournées. Je sais qu’on me le rend bien et quand bien même ça ne serait pas le cas, ça me fait plaisir de partager une bonne bière avec un ami. J’espère qu’il va cependant apprécier l’offre et ne pas commencer à me questionner sur mes joues roses. Parce que oui, je le sens que j’ai chaud au visage. Je me rassois, regardant mon ami qui a l’air encore mieux que la dernière fois que je l’ai vu.

« Hey dis moi, ça te dérangerait de me filmer ce soir ? Quand je serai sur scène. »

Parce que si je veux vraiment me lancer dans la musique, faut que j’ai du contenu. Des prestations live c’est toujours pas mal, même si ce sera pas top qualité, mon téléphone est pas le pire, donc je pense que ça peut être un début. Je verrai si je les posterai, rien n’est sûr, mais au moins je les aurai.

« Juste une ou deux chansons. »

J'ai pas envie de lui ruiner tout son moment s'il a envie de m'écouter et profiter de la musique tranquillement, sans avoir à cadrer pour avoir une bonne vidéo.

« A moins que tu veuilles me joindre sur scène et dans ce cas là tu oublies tout de suite et je t’accueilles avec plaisir pour faire un duo. »

Un large sourire se forme sur mes lèvres à l’idée. Je me détends aussi. J’ai bon espoir qu’il ait oublié ce sursaut et mes joues roses. On peut toujours rêver hein ? Mais Isaac est un bon gars. J’ai envie de croire qu’il ne va pas m’afficher.

You just can't beat the person who never gives up.

Cela faisait quelques semaines que je n'avais pas Kane, ce dernier s'étant notamment envolé vers l'Angleterre afin de profiter des talents musicaux rythmant les festivals renommés anglais. De ce que j'avais pu percevoir des quelques messages textes que nous avions pu échanger ainsi que des publications que le jeune homme avait pu saisir, mon ami tirait un véritable plaisir de son voyage, ce qui me satisfaisait grandement. Le secouriste méritait amplement de prendre du temps pour lui et se livrer entièrement à ses passions, à mon sens. De plus, il avait dû économiser plusieurs mois afin de vivre ces moments précieux, ainsi, j'étais heureux que tout se déroule excellemment de son côté.

Pour ma part, j'observais avec le recul que j'avais tout de même effectué un certain chemin depuis ma dernière rencontre avec le musicien. Inexorablement, je détenais énormément de chance. Même si je n'avais offert que très peu de crédit à cette nouvelle vie que j'estimais imposée suite à ma tentative de suicide, force m'était de constater que le destin et ma situation avaient œuvré pour que je valorise cette première. J'avais su renouer avec des proches que le temps avait su pourtant distancer de ma personne auparavant et étrangement, des connaissances s'étaient avérées constituer de réels amis au sein de ma période difficile. Avec le temps et mon entourage, je commençais à bâtir solidement mon existence, instaurant de nouvelles bonnes habitudes et retrouvant goût à ce qui jadis me faisait vibrer. Si bien que dans quelques jours et avec l'aval de mon psychiatre, je pourrais même reprendre le travail.

Mais avant d'enfiler de nouveau mon habit d'infirmier, j'avais été convié en tant que spectateur d'une soirée open mic. Il ne m'avait pas fallu réfléchir très longtemps pour signifier à Kane que je me rendrai sur place avec plaisir et lorsque je poussais la porte du lieu, je remarquais que celui-ci se tenait à une table, les yeux rivés sur l'écran de son téléphone portable, deux bières prônant devant lui, un large sourire étirant ses lèvres. Je m'approchais instantanément vers mon ami, qui sursauta en remarquant ma présence. « Hey, ça va ? » demandais-je suite à notre étreinte amicale, l'interrogation portée en particulier sur son sursaut, la teinte rosée du Williamson ne passant néanmoins pas inaperçue à mes yeux. J'étais plutôt amusé de son comportement, une partie de moi férocement intriguée par ce qui avait autant captivé Kane quelques secondes plus tôt. De mon expérience, je soupçonnais qu'il s'agissait d'une fille, bien que le blond avait la faculté de rougir très facilement. Quoi qu'il en soit, je ne comptais assurément pas le cuisiner sur la question : c'était nullement mon genre d'inciter les gens à parler de ce qui les gênait ou ce dont ils n'étaient tout simplement pas prêts à discuter. De plus, je n'oubliais pas que l'australien s'était montré très patient à mon égard, ne m'obligeant jamais à évoquer quelconque sujet que je n'assumais pas ou fuyais par nécessité. « Comment c'était, Londres ?! » ajoutais-je précipitamment, un sourire aux lèvres, impatient de découvrir le ressenti en direct de Kane sur son voyage.

Le jeune homme m'annonça m'avoir pris une bière et je hochais la tête, reconnaissant : « Merci. » Je prenais place à la table et jetais un coup d’œil à la scène encore vacante. Mon attention se reporta sur mon interlocuteur lorsqu'il me demanda un service, minimisant ce dernier et lui assurant un caractère purement optionnel. Je ne pus m'empêcher de rire doucement lorsque le pompier teint l'éventualité que je le rejoigne sur scène pour un duo. Il était vrai que j'avais le même comportement que les sept nains de Blanche-Neige : je chantais toujours en travaillant. Cependant, je n'étais pas destiné à une audience et si je chantais juste - heureusement pour mes collègues -, je ne jouissais pas d'une portion du talent de mon ami. « Pas de souci, j'te filmerai ! » J'imaginais déjà élaborer un petit trépied avec les babioles trônant dans mes poches et sur la table, de quoi stabiliser l'outil qui enregistrerait la prestation de l'artiste.

Si ça va ? Est-ce qu’il veut parler de mon sursaut ou bien c’est juste une question bateau ? Connaissant Isy ce n’était pas la question banale dont il était question. Mais je ne compte pas me ridiculiser devant lui ce soir, ou en tout cas pas déjà alors qu’il est là depuis même pas une minute. Alors j’esquive subtilement. Ou du moins, c’est ce que je crois. Il demande comment c’était Londres et un large sourire bien franc se forme sur mes lèvres.

« Attend attend, installe toi parce qu’on en a pour des heures. »

Ca me fait rire. Bien évidemment que je vais lui raconter mon séjour. Peut être pas dans tous les détails sinon je n’en finirai jamais, mais c’était un peu l’évènement de l’année pour moi. Impossible de passer à côté de ça. J’en ai tellement parlé. Il y a eu droit à une précédente soirée open mic quelques semaines avant mon départ. Je n’avais que ça à la bouche, ou presque. Pas de ma faute si tout me faisait penser à ce futur voyage.

On se retrouve tous les deux installés, chacun avec de quoi boire. Je lui parle brièvement de mon souhait d’être filmé ce soir et il accepte sans soucis. Je souris un peu plus, appréciant qu’il n’ait pas de soucis avec ça.

« Cool merci ! »

J’aurai dû prévoir le véritable appareil photo de bonne qualité pour l’occasion mais j’y pense seulement maintenant donc tant pis. Je l’utiliserai comme caméraman de nouveau une fois prochaine où je serai plus préparé. J’ai quand même bon espoir que la vidéo ne soit pas trop dégueulasse avec mon téléphone. On verra bien.

« Alors l'Angleterre… »

Oui parce que je n’ai pas oublié. Le grand sourire sur mon visage annonce la couleur. Je ne suis que joie de tout ce que j’ai vécu en Europe pendant ce mois d’Août. Alors je commence à lui raconter. Je lui parle du temps magnifique qu’il a fait pendant absolument tout le temps où nous étions là bas. Combien les anglais nous ont dit que ce n’était pas habituel qu’ils aient si beau temps depuis le mois de Mai. On a eu de la chance et j’en suis le plus heureux des hommes. Je lui parle de toutes les villes qu’on a vu, avec des mentions très spéciales pour Londres, Derby et Sheffield. Je ne compte pas Leeds parce que c’est hors concours. Leeds festival était la cerise sur le gâteau. Trois jours parfait. Trois jours au paradis. Des concerts tout le temps. Des gens tellement gentil. Je me suis fait plein de nouvelles connaissances. Certains avec qui j’ai gardé contact via les réseaux sociaux, d’autres qui resteront à jamais dans ma mémoire. Mais surtout, surtout, Levi qui nous a fait la surprise à Ariane et moi de nous rejoindre sur le roadtrip. Franchement, impossible de faire mieux que ça. Je lui parle aussi de quelques filles qui m’ont dragué certains soirs dans les pubs ou dans les concerts où je me suis rendu. Parce que oui, j’ai fait quelques concerts en plus du festival, à Londres surtout.

« Et voilà c’était juste parfait… Je crois que pour que ce soit encore plus parfait il faudrait juste que Wendy vienne avec moi la prochaine fois. »

Wendy. Je lui ai déjà brièvement mentionné avant mon voyage que je voyais une fille mais je ne suis pas entré dans les détails. Je n’ai pas envie de lui mettre mon bonheur à la gueule alors que lui a rompu avec sa copine y’a quelques mois de ça. Je n’ai pas osé remettre ce sujet sur le tapis pour voir comment il va à ce propos. Peut être que je devrais le faire au lieu de continuer à faire attention au moindre de mes mots.

« Mais là y'avait mon meilleur ami et puis avec Ariane j’étais pas en reste. Cette fille est folle. Elle est extra, même si elle prend un malin plaisir à me mettre mal à l’aise dès que l’occasion se présente. »

J’essaie de ne pas entrer dans ses pièges mais parfois c’est juste impossible. Je soupire doucement, un peu dans mes souvenirs de ce beau voyage.

« J’y retournerai forcément un jour futur. Je resterai plus longtemps dans certaines villes et j’irai jusqu’en Ecosse. On est pas allé si haut. »

Je bois une gorgée de ma bière et puis je marque une légère pause avant de reprendre la parole.

« Et toi ? Comment ça va depuis la dernière fois ? T’as fait quoi pendant tout ce temps ? T’as bonne mine, je t’ai dit ça ? »

Parce que je trouve que c’est important de le souligner. C’est du positif alors c’est forcément une bonne chose à dire à mon avis.

You just can't beat the person who never gives up.

J'étais sincèrement heureux de retrouver Kane et extrêmement impatient de l'entendre de nouveau jouer sur la scène du Canvas. J'appréciais beaucoup la musique de l'australien et estimais qu'il détenait une grande dose de talent. Le Williamson faisait partie de ceux je considérais inavouablement tels des artistes « intelligents » : ses œuvres étaient profondément réfléchies et pensées. Il ne jouait pas pour le plaisir de faire du bruit ou s'époumoner. Il semblait toujours y avoir un sens très personnel à chacune de ses paroles ou chacun ses accords.

A la fois amusé et intrigué, je lui demandais comment il se portait ainsi que son avis relatif à son dernier voyage en Angleterre. Je me doutais que le secouriste avait dû passer des moments énormes et devait s'être trouvé dans son élément immergé dans ce délicat mélange d'art et de passion que l'on déniche dans le pays de la reine Elisabeth II. Je ris légèrement lorsqu'il me proposa de m'installer puisqu'il pouvait manifestement en parler des heures durant. Je prenais place sur le siège le faisant face et le remerciais de la bière qu'il m'avait commandée en même temps que la sienne. J'acceptais sans hésitation aucune de le filmer lors de sa prestation de manière à lui donner du contenu pour une éventuelle vidéo Youtube et me promettais intérieurement de faire au mieux pour capter la scène.

Je buvais une première gorgée de la boisson fraîche lorsque Kane commençait son récit anglais et l'écoutais en bon public me décrire son voyage artistique, lançant quelques commentaires impressionnés de temps à autres. Je me réjouissais des instants qu'il avait vécu et dont il me parlait avec énergie, de tous ces éléments que cette aventure lui avait apportés, autant en termes de souvenirs que de nouvelles amitiés. Il concluait en qualifiant le mois de mai comme parfait avec néanmoins une possibilité d'amélioration : la présence de Wendy. Bien qu'Ariane ait fait en sorte que l'australien ne s’ennuyait pas non plus. Je riais lorsqu'il m'indiquait la manie de la rousse de mettre mal à l'aise son ami de voyage et acquiesçais quand il me signifiait ses aspirations pour son prochain départ. « C'est génial ! C'est top que tu aies autant pris ton pied ! J'espère que Wendy pourra t'accompagner pour la prochaine fois. Ce sera sûrement plus facile pour elle vu que ses études se terminent bientôt. »   Je connaissais la jeune femme puisque je travaillais avec elle et avais même été son formateur. Je me demandais comment ses stages se passaient et qui l'avait prise en charge suite à mon arrêt maladie. Dans tous les cas, même si j'ignorais les raisons qui avaient incitées Wendy à ne pas intégrer le voyage de Kane, je me disais que le fait qu'elle soit diplômée lui permettrait de s'absenter plus facilement, ayant un choix plus large concernant ses congés.

« Et toi ? Comment ça va depuis la dernière fois ? T’as fait quoi pendant tout ce temps ? T’as bonne mine, je t’ai dit ça ? » Je souris doucement au compliment de Kane qui composait quand même un bon point sachant que pendant des mois, on m'avait déclaré avec raison que j'avais très mauvaise mine. Il y avait manifestement du mieux, bien que je n'allais franchement pas bien avant que l'australien ne quitte son pays natal pour vivre de merveilleux expériences artistiques et sociales. De mon côté, beaucoup avait changé aussi. J'avais su remonter la pente bien que je n'étais pas non plus au meilleur de ma forme. J'avais reçu le soutien de nombreux amis, noué plus solidement avec une personne exceptionnelle qui avait constitué un atout majeur de ma convalescence, la motivant sans relâche. Et puis, je n'avais plus revu Chloe, mon ex fiancée, bien qu'elle me manquait toujours horriblement et que sa photo persistait, cachée, dans mon porte-monnaie encore aujourd'hui. « Ça va mieux. Beaucoup mieux. » Il y avait toujours des bas, mais ils étaient bien moins dévastateurs puisque palliés par davantage de hauts. « Je vais reprendre le boulot bientôt. J'appréhende un peu, mais j'ai aussi très hâte. » J'étais inquiet face à la réaction de mes collègues, surtout ceux que je n'avais pas revus depuis mars. J'ignorais comment ceux-ci avaient géré ma tentative de suicide, ce qu'ils en pensaient. J'étais également ignare vis-à-vis de l'état du service depuis mon arrêt. Les urgences étaient vraiment un milieu à caractère catastrophique. Professionnellement, il pouvait être très éprouvant de côtoyé la mort et gérer ce fil entre cette dernière et la vie continuellement. Mais administrativement, ce pouvait être aussi très difficile si nous étions en effectifs réduits, si toutes les compétences n'étaient pas disponibles pour satisfaire l'offre de soins à laquelle le centre hospitalier s'était engagée, si des collègues ne s'entendaient pas. En revanche, en dépit de tout le négatif qui pouvait exister, il n'obscurcissait jamais le fait qu'être infirmier était ma vocation et que j'adorais mon métier. « J'ai rien fait de très intéressant, par contre. » A part me concentrer sur moi, rebâtir ma vie laborieusement. « J'ai repris le sport avec une amie. On devrait participer à une course bientôt. » J'avais toujours été quelqu'un de sportif cependant j'avais longtemps plus eu le cœur à me mettre à quelconque discipline. « Tu sais déjà quels morceaux tu vas jouer ? » Demandais-je, curieux de découvrir si Kane allait se lancer à une de ses propres compositions ou préférerait s'orienter vers des reprises.

Je réalise seulement maintenant que bien évidemment il connait Wendy. Je ne sais pas pourquoi je n’avais pas fait le lien avant. Sûrement parce qu’il était en arrêt maladie et que je n’étais pas encore en couple officiellement. Je m’étais bien caché de lui parler d’elle parce que c’était à une période encore trop délicate pour Isaac, mais maintenant il va mieux, en tout cas il en a l’air, c’est qu’il doit y avoir la chanson aussi. Pas sûr, mais probable. Y’a un bon feeling ce soir, ou peut être c’est juste que je suis de très bonne humeur ? J’espère pas, je veux que ça soit palpable pour lui aussi. En tout cas ça me fait super plaisir qu’il la connaisse, en plus j’ai l’impression qu’il l’apprécie ? Non, ça c’est juste moi qui me l’invente, mais qui n’apprécierait pas Wendy ? Elle est parfaite. Tout ceci résulte donc d’un beau et grand sourire sur mes lèvres, faisant de cette soirée un moment encore meilleur que je ne pensais en arrivant ici. En même temps quand je suis aux soirées open mic, je suis toujours trop heureux. Chanter et jouer c’est vraiment ce que je préfère alors j’essaie de le faire le plus souvent possible. Tous les mardis oui. Je n’ai aucunement honte.

« Ouais on verra si on peut l’année prochaine au plus tôt je pense. Sauf si je gagne au loto entre temps. »

Mais faudrait que j’y joue pour ça. Ok, dès que je suis en ville demain je me prends un billet ou deux, parce que ça ne fait pas de mal. On sait jamais. Ca n’arrive pas qu’aux autres à ce qu’on dit.

Isy confirme qu’il va beaucoup mieux. Ce n’était donc pas que dans ma tête. Parce que oui, je le crois. Il n’a pas de raison de me mentir, on est entre nous, on s’est vu à des extrêmes tous les deux au fil des ans. On a eu de profondes conversations sur nos états d’âmes divers et variés au cours de nos shifts ensemble, on est pas là pour se voiler la face. Ca sert à rien. Autant faire avancer les choses avec du vrai et des avis plus ou moins constructifs.

Reprendre le boulot c’est pas rien et ça me fait tellement plaisir pour lui ! C’est vraiment signe qu’il va mieux. Il a hâte, c’est encore mieux ! Il n’y va pas à reculons, ou plutôt, pas complètement. Parce que ouais, c’est pas si facile que ça. Mais y’a beaucoup de positif dans tout ça et ça me fait du bien de voir tous ces bons signaux pour une vie moins sombre.

« Ca va bien se passer. Tu es entouré de professionnels de la santé, n’oublie pas ça. »

Même si pour lui tout était plutôt de l’ordre du psychiatrique, ils n’en sont pas complètement ignorant. Ils ont de meilleurs réflexes que d’autres en ce qui concerne l’approche. Je ne suis pas inquiet, ses collègues sauront faire ça en douceur pour lui. Je suis peut être trop optimiste pour le coup, j’espère ne pas me tromper.

Il parle du sport qu’il a repris et ça encore une fois c’est très bon ! Mon sourire est large, ça n’est que de bonnes nouvelles qu’il m’annonce depuis tout à l’heure.

« Ah c’est super ça ! Si jamais tu veux faire de la muscu on peut y aller ensemble. »

Je m’entraîne vraiment beaucoup, surtout au boulot, certes, mais ça m’arrive d’aller à la salle de sport en dehors de mes heures de travail alors s’il veut se joindre à moi, c’est avec grand plaisir. Peut être qu’il a besoin d’être motivé par quelqu’un puisqu’il parle de faire du sport avec une amie. Je tends une perche supplémentaire s’il en a envie. Le sport c’est super important pour le moral, c’est un moyen parfait pour évacuer, penser à autre chose et en plus de tout, se maintenir en forme.

J’ai l’impression qu’il n’a pas trop envie de continuer à parler de lui parce qu’il change assez vite de sujet. Pas de soucis, I go with the flow.

« J’ai pas déterminé une liste précise mais j’ai quelques titres solides dans un coin de ma tête. Si t’as des requêtes je t’écoute. Si je connais, je pourrais tenter si je me sens. »

Souvent je me sens pas, mais si c’est à la fin de la soirée avec quatre bières dans le nez et plus que dix personnes dans l’assemblée, ça passe. Je n’ai pas dit combien de fois j’allais monter sur scène ce soir, ça va être la surprise pour Isaac. Il risque d’avoir honte de moi quand je montrai pour la cinquième fois. Juste, laisser la scène vide, c’est triste. Y’a des semaines où y’a pas grand monde de volontaire alors je fais le show longtemps. Mais là il m’accompagne, donc je ne vais pas faire ça. Je ne vais pas le laisser tout seul. Y’a toujours la table d’habitué un peu plus loin qui sont tous des potes maintenant, il pourrait se joindre à eux pour de la compagnie mais non, je n’ai pas envie qu’il se sente dans une situation qu’il n’a pas désiré. J’irai de manière mesuré sur scène. Je me le promets.

« Je vais peut être bien me laisser tenter à une nouvelle chanson de Deaf Havana, elle est super simple et elle me prend aux tripes à chaque fois… »

Comme quoi y’a pas besoin de faire des tonnes pour que ça touche. Celle là est vraiment forte. Je parle de Epiphany.

« Mais sinon tu m’as pas dit tu reprends quand le boulot ? »

Histoire d’aller faire un tour dans le coin si mon emploi du temps le permet. Je ne sais pas si je vais être subtile mais je tente. J’ai bon espoir que me voir dans l’enceinte de l’hôpital soit une bonne surprise pour lui. J’ai surtout envie de voir l’air sur son visage, s’il gère, s’il est en panique, s’il est sur la pente descendante. Parfois suffit de pas grand chose pour rebooster la confiance. Je veux pouvoir l’aider du mieux que je peux.

« T’es dans le service avec Wendy ? »

Si jamais je peux la voir au passage, je prends.

You just can't beat the person who never gives up.

J'espérais sincèrement que Kane et Wendy puissent se rendre à un concert ensemble, reconnaissant que l'emploi du temps des deux agents de service public ne rendaient pas cette concordance facile. Néanmoins, je considérais qu'une fois que la jeune femme sera diplômée, il sera bien plus aisé pour elle de prendre du congé aux dates les plus adéquates pour passer de précieux moments en compagnie du Williamson.

Je répondais sincèrement à mon ami, à savoir que j'allais mieux et que j'avais hâte de reprendre le travail, même si une grande appréhension persistait. Je craignais l'attitude qu'adopteraient mes collègues suite à l'acte que j'avais posé qui avait bousculé chacun d'entre eux à différents niveaux. « Ça va bien se passer. Tu es entouré de professionnels de la santé, n’oublie pas ça. » Je hochais la tête, incertain. « Le problème c'est que parfois, entre nous, du moins avec les plus proches, le paramédical est mis de côté et seulement le personnel parle. » Faisant ainsi place aux opinions parfois bien trempées et aux reproches. Pourquoi n’en avais-pas parlé ? Pourquoi avais-je caché mes maux ? Pourquoi avais-je attenté à mes jours ? Je savais qu’une de mes collègues se sentait trahie et considérais le silence que j’avais adopté face à mon mal-être comme un mensonge par omission. Je haussais les épaules néanmoins. Nous n'étions pas là pour discuter de mes craintes et tracas ni conjecturer sur le futur. Si ça se trouvait, Kane avait parfaitement raison et les collègues de mon service prendrait en compte mes antécédents. Du moins, tous sauf celle-ci au moins. « Enfin bon, inutile de se torturer sur ça à l'avance, ça apporte rien. » Et je prends une gorgée de bière pour souligner ces propos. Je repensais à la fable de Jean de La Fontaine qui mettait en avant le personnage d'un cochon qui se lamentait et paniquait tout le trajet le menant jusqu'à abattoir. Il le faisait avec raison, néanmoins, avec le recul, il a passé ses dernières heures à se torturer de l'évidence. Morale de l’histoire : ne pas ruiner le présent avec les perspectives indéniables de l’avenir.

J'enchaîne en évoquant le sport que j'ai repris. L'activité physique a toujours été une grande partie de ma vie, mon premier objectif était de devenir footballeur professionnel, ce que j'ai presque réussi à accomplir et aurais probablement pu devenir si des blessures ne s'étaient pas placées en travers de ce chemin. Avec le recul, je ne détenais néanmoins aucun regret. Travailler dans le paramédical ainsi que le domaine des secours composait réellement ma vocation. « Ah c’est super ça ! Si jamais tu veux faire de la muscu on peut y aller ensemble. » « Ha ouais, carrément ! » approuvais-je avec plaisir.

J'attire l'attention sur l'australien. Je n'ai aucune problématique à parler de moi mais cette soirée est quand même axée sur son art et je suis aussi curieux des éléments ayant pu se dérouler dans la vie du jeune homme ces dernières semaines. Je l'interroge sur son plan de la soirée et apprends qu'il a des titres en tête, notamment un de Deaf Havana, mais reste quand même assez disponible. Il place même l'option de requêtes, ce qui me fait doucement sourire. « C'est laquelle de Deaf Havana ? » Je demande, curieux. J'ai découvert ce groupe via Kane lorsque nous avions commencé à travailler dans la même équipe de secouristes et avais par la même occasion découvert que le garçon pouvait parler des heures de musique ou d'un groupe qu'il adorait.

L'artiste réoriente la conversation sur le travail. Il me demande quand je reprends le boulot, ce à quoi j'informe : « Septembre, normalement. » Ce qui me fera grossièrement six mois d'absence pour arrêt maladie. Ce n'était pas gravé dans le marbre que je reprendrais en septembre, mais c'était ce qui se dessinait avec mon psychiatre qui jugeait judicieux d'attendre que mon arrêt maladie actuel s'arrête et de ne pas le prolonger. Un retour plus ou moins prévu et en délicatesse à la réalité. Un sourire en coin apparaît sur mon visage lorsque mon interlocuteur me demande si je suis dans le service de Wendy. Je vois bien à son comportement qu'il tient énormément à la jeune femme. « J'étais son formateur. J'ai encadré tous ses stages jusqu'à mars dernier. » Je ris doucement, ajoutant : « C'est cool que tu saches pas ça, ça veut dire que je ne l'ai pas traumatisée ! » C'était franchement pas évident d'avoir une stagiaire sous sa responsabilité dans un service d’urgences. Il y a des cas vraiment lourds et des situations très délicates à gérer, tout en ajoutant une pression quand on donne la main à un étudiant qui est encore au stade d'apprentissage sans brusquer ni effrayer. C'est un drôle de mélange, mais je savais que Wendy possédait des atouts cruciaux, tels que la douceur et un grand sang-froid, pour être une infirmière exemplaire. J'espérais que la fin de sa formation se passait bien, parce que malheureusement, j'étais aussi conscient que personne ne se bousculait pour être formateur. Beaucoup percevait les stagiaires comme des boulets au pied et bien sûr, personne n'obtenait de prime pour encadrer qui que ce soit. « Ça se passe bien pour elle ? » Je ne peux m'empêcher de demander, soucieux. Quand elle avait appris pour ma tentative de suicide, Wendy m'avait contacté pour m'assurer être présente si j'avais besoin de quoi que ce soit. J'avais beaucoup apprécié ce geste et même si nous n'avions pas pris plus contact que quelques messages textes envoyés à la volée, je ne l'oubliais pas ainsi que son amitié. En quelque sorte, elle avait su être aux premières loges de ma descente aux enfers sauf qu’elle ne me connaissait pas encore assez à l’époque pour savoir que l’Isaac dont elle avait affaire n’était pas celui que j’étais en temps normal. Elle devait sentir que quelque chose clochait, mais ne détenait pas les renseignements nécessaires à une alarme.« Enfin, tout ça pour dire que si Wendy est toujours aux urgences, je suis dans le même service qu’elle. » Je remarque que les musiciens actuels quittent la petite scène et questionne : « Ce sera bientôt ton tour ? »

Je ne connais pas ses relations avec ses collègues mais c’est sûr que s’ils laissent leur corp de métier de côté en se donnant des opinions et autres pensées sur le sujet, ça peut être délicat. J’essaie de ne pas froncer le nez pour pas montrer que effectivement, c’est compliqué. Je sens que j’ai été trop optimiste sur le coup. Je connais quelques personnes qui bossent à l’hôpital et comme je ne les vois pas 12 heures par jour, je peux facilement me fourvoyer sur leur façon d’être véritablement. Du coup je me sens bête et je ne sais pas quoi lui répondre, mais j’ai de la chance parce qu’il veut clôturer le sujet de lui même. Je peux comprendre que ce soit pas le plus fun alors qu’on est là pour s’amuser. Ca ne me dérange pas de parler de sujets sensible dans un bar mais ouais, y’a des oreilles qui peuvent trainer et c’est peut être pas la meilleure chose à faire. Je reste ouvert, toujours. La vie fait que parfois on est pas dans les conditions optimales pour aborder tel ou telle chose. On fait avec. Je bois une gorgée de ma bière quand il le fait également.

Le sourire me revient au visage quand il est enjoué à l’idée de faire du sport avec moi. Le rendez vous est donc pris, je le tiendrais au courant de mes futures séances de sport si jamais il peut se joindre à moi. On parle chanson et il veut en savoir un peu plus sur la chanson de Deaf Havana que j’ai en tête. Oui, tout les gens qui sont relativement proche de moi connaissent mon amour pour ce groupe. Ils connaissent aussi les chansons. Surtout Isaac vu que dans l’ambulance je me faisais un plaisir d’y passer toute leur discographie quand nous étions pas en intervention.

« Epiphany. C’est une du nouvel album. »

Autrement dit s’il n’a pas continué à écouter de son côté, ce n’est pas une qu’il a eu le loisir d’entendre par le passé grâce à moi. Je suis sûr que s’il écoutait ne serait-ce que la première phrase de la chanson, il comprendrait tout de suite pourquoi elle me touche autant. I want all my tattoos erased. Il sait combien j’ai regretté les miens après les avoir fait. Aujourd’hui ça va mieux. J’ai appris à vivre avec, à les aimer. Mais j’ai eu une période où c’était pas ça du tout. J’en ai véritablement fait une dépression. C’est pour ça que, je comprends James quand il dit ça. Je le comprends que trop bien.

Il reprend donc le boulot dans un avenir très proche ! Ce mois ci ! Je vois son sourire quand je mentionne Wendy et je ne peux pas m’empêcher de rougir un petit peu. Il me donne plus de détails sur sa relation avec Wendy et je suis trop surpris ! Ok ils se connaissent vraiment très bien.

« On parle jamais trop du boulot elle et moi. Donc ça veut rien dire ! »

Je plaisante. Je taquine. Mais c’est la vérité. Une chose est sûr, je demanderai à propos de son boulot avec Isy un jour ou l’autre. Ce serait même fun de sortir tous ensemble. Ouais. Non. Ou pas. Sachant qu’il est célibataire, ça peut être embarrassant comme situation. Heureusement j’ai réfléchit avant de proposer quoi que ce soit. Je suis trop enthousiaste parfois et je veux juste passer du temps avec les gens que j’aime sans trop penser à ce que ça peut engendrer pour les autres. En plus si faut Wendy l'a détesté et ça aurait été juste impossible comme situation. Mais non. Impossible que Wendy l’ait détesté. Il est trop cool ce mec. Il me demande si ça se passe bien pour elle, j’hoche la tête parce que dans l’ensemble, c’est le cas.

« Juste un peu de stresse sur la fin de son diplôme. Pas savoir où elle sera après. »

Parce qu’elle risque de changer d’hôpital. J’espère que tout se passera comme elle le souhaite au final. Surtout que changer ça veut pas dire que ce sera moins bien. Juste nouveau. Oui je suis très optimiste ce soir.

« Vous allez bosser encore ensemble jusqu’à la fin de l’année alors. »

Ce qui veut dire qu’ils vont me voir fréquemment à l’hôpital. A chaque occasion et je vais les provoquer les occasions. Les gens sur scène terminent leur prestation et j’attends de voir si quelqu’un d’autre se lance avant de répondre. Concrètement je peux y aller quand je veux, mais comme je suis un habitué, je laisse les autres passer avant. Sauf que… Personne ne se presse pour monter sur la scène, alors je me tourne vers Isy.

« Je crois que je vais y aller faire deux chansons maintenant ouais. »

Histoire de ne pas abuser non plus. C’est le début de la soirée et il y a du monde donc je ne veux pas monopoliser la scène. J’essaie toujours de me faire le plus petit possible de peur de déranger. Je déverrouille mon téléphone et le donne à Isaac pour qu’il filme ma prestation.

« Si tu peux me prendre juste la première s’il te plaît. »

Parce que je vais commencer par Epiphany et celle là je la veux enregisté. La seconde je vais tenter de faire quelque chose de plus jovial parce qu’on est pas là pour déprimer. Epiphany est à un haut niveau pour la déprime, ça suffira pour toute la soirée.

Empruntant la guitare à disposition sur scène, je m’installe sur le haut tabouret en vérifiant si l’instrument est accordé. Cette guitare, c’est pas la mienne, mais elle m’a toujours fait penser à Gulliver, parce que c’est la même marque et même couleur. Donc je l’aime d’entré de jeu et je me sens bien. C’est la première fois que je joue Epiphany sur cette scène mais je l’ai tellement pratiqué chez moi depuis mon retour d’Angleterre que je fais ça à la perfection. Je mets tout mon coeur dedans. Gardant mes yeux fermés la plupart du temps. Je suis dans ma bulle. J’ai cette énergie qui émane de moi de toutes part à cause de la profondeur des paroles qui me touchent tellement. La chanson est courte, mais forte. Je laisse passer quelques longues secondes à la fin pour me remettre de mes émotions. Puis je réfléchis à quoi faire d’autre de plus entrainant et mes mains se mettent à jouer les premiers accords d’une de mes chansons favorites. Ca fait longtemps que je ne l’ai pas chanté alors je me lance là dessus de bon coeur. J’aime trop cette chanson. Je regarde un peu plus les gens dans le bar, appréciant de voir certains qui chantent avec moi. Un large sourire se forme sur mes lèvres quand je croise le regard d’une fille qui me fait un clin d’oeil en articulant « Call me maybe » en même temps que moi. Elle va me faire rougir si ça continue, mais non. Je tiens bon. Je m’amuse trop à chanter ce titre, je prends mon pied.

Quand je termine j’ai même le droit à quelques applaudissements comme souvent quand je fais des reprises de chansons très connue. Ca fait très plaisir. C’est avec un large sourire aux lèvres que je retourne à la table avec Isy. Je bois une gorgée de ma bière aussitôt.

« T’as apprécié mes choix de chansons ? »

Parce qu’il fait parti de ceux qui ont eu droit à Call me maybe pendant une looooongue période de ma vie. Beaucoup trop longue pour mon bien mais y’a des chansons comme ça dont on se lasse jamais, au grand damn de mon entourage.

You just can't beat the person who never gives up.

Je concluais promptement sur mes appréhensions vis-à-vis de mon retour au travail et surtout, de la réaction de mes collègues lors de nos retrouvailles. Aux urgences, nous recevions régulièrement des individus ayant tenté de s'arracher la vie. Notre but devenait alors de les rattacher à cette histoire qu'ils désiraient tant rejeter et parfois, certains soignants estimaient dérisoire consacrer tant de temps à améliorer la qualité de vie physique de quelqu'un qui mentalement, ne désirait plus faire partie de ce monde. J'étais persuadé que certains de mes collègues pensaient ainsi, aussi cruel cela puisse sembler ; tout comme j'étais conscient que le regard de beaucoup d'entre eux changerait inévitablement. Il y aurait ceux qui hésiteraient, incertains par rapport à quel comportement adopter en ma présence, comme si ma dépression menait irrémédiablement à un changement de notre relation. Il y aurait ceux qui auront pitié, ceux qui seront fâchés que j'ai lâchement abandonné mes responsabilités du jour au lendemain, sans prévenir qui que ce soit. Ceux qui ne me pardonneront peut-être jamais les avoir trahis dans mon souhait de mourir.
Mais je refusais de me torturer l'esprit sur ces aspects ce soir, préférant profiter pleinement de l'optimisme, de la bonne humeur et du talent musical de Kane et des autres musiciens dans le bar. L'ambiance était plutôt festive ici, le lieu était assez complet sans que ce soit difficile de respirer ou de voir la scène. Les éléments semblaient réunis pour que nous passions une excellente soirée. Mon interlocuteur acceptait de changer de sujet et nous nous accordions pour faire du sport ensemble, ce qui me réjouissait instantanément.

Puis, curieux, je ne pus m'empêcher d'interroger le Williamson sur ses choix de chansons. Il m'évoqua Epiphany, que je n'étais pas assuré de connaître. Ensuite, j'informais que j'arborerai de nouveau mon habit d'infirmier en septembre prochain. Nous discutions de Wendy et je décrivais à Kane le rôle que j'endossais vis-à-vis de sa petite amie, à savoir que j'avais longtemps composé son formateur. Je ris sincèrement lorsqu'il réfuta que le fait que la blonde ne lui ait pas parlé de moi ne signifiait pas que tout se passait bien avec moi. « C'est une bonne conjecture quand même, » continuais-je sur le même temps de la plaisanterie, tapotant amicalement l'épaule de Kane avant de demander sérieusement au jeune homme comment la fin du stage de Wendy se passait pour cette dernière. J'étais rassuré qu'il m'annonce que mis à part du stresse et l'inconnu au niveau de son affectation en temps que jeune infirmière, ça allait bien. « Ouais, c'est pas toujours évident quand on est jeune diplômé, » consentis-je. Le manque d'expérience incitait les employeurs et directeurs des soins à ne pas retenir les candidatures ou les positionner sur des secteurs peu appréciés. Aussi, malgré les nombreux stages, quand on débutait dans ce métier, on est pas forcément certain de quelle spécialité est faite pour nous. « Mais Wendy a un bon dossier. Elle t'a dit si elle sait dans quel service elle aimerait exercer ? » Je souris doucement lorsque le musicien déclara qu'elle restait au service des urgences jusqu'à la fin de l'année. « Super ça. » Je savais que la Carmichael n'était pas du genre à déplorer mon geste, ainsi, peut-être sans s'en douter, Kane venait de m'assurer la présence d'une alliée à mon retour.

Le blond déclara qu'il allait prendre place sur la scène et me pria de le filmer lors de sa première performance. J'acquiesçais et saisissais l'Iphone qu'il me tendait. Je sentais un petit pincement au cœur quand les paroles de la chanson décrivirent tous les souhaits de l'interprète - qui englobèrent le vœu d'une vie que j'estimais rangée, commune - notamment celui d'enfants. Le Williamson n'avait jamais su pour le bébé que j'aurais pu avoir avec Chloe, si elle n'avait pas opté pour un avortement. Je lui avais confié que nous essayions de fonder une famille, et pendant trois ans nous nous y étions évertués, jusqu'à ce que ce petit être décide d'apparaître au moment où mon ex fiancée me quittait. J'avais appris qu'elle attendait un enfant de moi qu'une fois qu'il n'était plus et encore aujourd'hui, je ne l'acceptais pas et en souffrais. J'observais le retour de la vidéo, m'identifiant encore davantage au désir de boire seulement deux verres de vin avec des amis et non des bouteilles cette fois-ci. Boire à outrance avait longtemps composé mon quotidien, jusqu'à ce que j'attente à mes jours. Encore aujourd'hui il m'arrivait de m'enivrer pour oublier, comme si les chagrins et les problèmes ne flottaient pas dans ces fichus gobelets. La conclusion annonçait un renouveau à mon sens et une fois que Kane eut gratté les dernières notes, je stoppais l'enregistrement.

Je pris une nouvelle gorgée de ma bière tandis que le pompier s'apprêtait à jouer son deuxième morceau. Je ne pus m'empêcher de rire en reconnaissant de suite Call Me Maybe et promptement, une multitude de souvenirs me vint quant à la période où Kane et moi travaillons ensemble. Cette chanson avait résonné dans l'ambulance ou dans notre salle de pause d'innombrables fois et nous en avions vus de toutes les couleurs sous cette bande son. De nombreux fous rires, quelques confidences, mais peu importe l'acte en cours, un sourire sur les lèvres était impératif sous cette mélodie. Encore aujourd'hui, elle m'en arrachait un et un certain soulagement s'immisçait en mon être, comme si elle disposer du pouvoir de chasser quelques uns de mes démons. J'aperçus le musicien rougir en observant une fille qui j'imaginais le draguer et lui tendis son téléphone une fois qu'il fut de nouveau installé à notre table. Un rapide rire fila entre mes lèvres lors alors qu'il me demanda si j'avais apprécié ses choix de chansons : « Oui, t'as vraiment fait dans deux atmosphères opposées. T'as voulu faire passer ton public par toutes les émotions fortes ? » Je souris au jeune homme et repris : « Epiphany envoie du lourd. » Mon regard en disait long avant que je ne le baisse sur l'outil de communication de l'artiste. J'avais reconnu également quelques paroles auxquelles s'identifiait probablement l'australien. « J'espère que la vidéo t'ira. » Je pris une gorgée de ma bière, avant de questionner : « Tu as d'autres nouvelles chansons du genre dans ton répertoire ? »

« Elle veut rester aux urgences. »

Elle aussi à ce goût de l’adrénaline dans les veines. Je la verrai bien pompier ou paramédic. Je lui glisserai l’idée un jour peut être. Si elle cherche à changer de voie. Enfin, c’est vrai que c’est pas le plus safe comme job mais paramedic ça passe encore. Ca peut être tenté tranquillement. Je suis sûr que ça lui plairait. Mais elle commence tout juste sa vie d’infirmière, je ne vais pas l’embrouiller dans ses choix.

Je vais sur scène, joue mes deux chansons qui sont diamétralement opposées et je prends mon pied dans les deux cas. C’est pas le même feeling mais ça fait du bien quoi qu’il arrive. Je n’ai pas encore eu la chance d’entendre Epiphany en live et je sais que ce jour là, je serai à fleur de peau. Des chances que des larmes coulent. En attendant j’essaie de faire pleurer les autres. Ouais c’est pas cool je sais, mais si ça fait découvrir Deaf Havana à des nouvelles personne, c’est une victoire.

Une fois de retour à la table, Isy confirme que mon intention a bien été remarqué avec mes choix de chansons. J’espère ne pas l’avoir trop déprimé avec Epiphany. Vu son air je me dis que ça doit aller. Il est très souriant et je pense que c’est l’effet « Call me maybe » qui est encore là. Il confirme que Epiphany envoie du lourd. Oups ? Je sais ce que les chansons représentent pour moi, bien évidemment, mais je ne sais pas ce que ça peut réveiller chez les autres. Dans cette énumération, Isy a dû se retrouver quelque part, j’en suis sûr. Surtout la fin en fait… Quand ça parle d’en finir avec la vie. J’espère qu’il ne l’a pas pris au sens littéral. J’espère qu’il est pas en train de faire genre il va bien alors qu’intérieurement il est en plein break-down. Non. Je pense que je saurai déceler si vraiment il allait pas bien et son sourire est communicatif, parce que je ne me défais pas du mien.

« Ouais Epiphany… Trop d’émotions. »

Je m’associe à certaines parties mais d’autres me font penser à des potes que j’ai eu étant plus jeune. Comme la plupart des chansons de Deaf Havana pour dire la vérité. J’ai l’impression que James a su conter la vie de certaines personne qui m’ont été cher et c’est pour ça que je l’aime autant. Je me vois dans ces chansons. Il a toujours les mots justes. Je suis sûr qu’il s’entendrait bien avec mes potes. Je récupère mon téléphone et je regarde vite fait les premières secondes de la vidéo qu’il a pris. J’hoche la tête.

« Ca a l’air parfait. Merci. »

Nouveau sourire envers mon ami qui me questionne à propos de nouvelles chansons et j’hoche la tête.

« Ouais y’en a quelques unes de Trophy Eyes que je veux jouer un jour. »

Un groupe de rock australien qui m’obsède depuis quelques mois. Franchement cet album, « The American Dream » je trouve qu’il me ressemble beaucoup. C’est exactement ce genre de musique que j’aime au plus profond de moi. Je pourrais écouter leurs chansons en boucle jusqu’à la fin de mes jours sans me lasser.

« D’ailleurs t’as pas fini de m’entendre parler de ce groupe. Ce n’est que le début. »

Je ris un peu parce que je sais que j’abuse mais je peux pas contrôler ma passion et mon enthousiasme quand je trouve des chansons qui me correspondent autant.

« Si à ton anniversaire tu te retrouves avec leur album dans les mains, ce sera normal. »

C’est genre le cadeau que je vais faire à tout le monde. Juste pour le plaisir d’acheter des copies supplémentaire de l’album et faire de l’argent à Trophy Eyes. Pour montrer mon support. Je l’ai déjà fait, avec Deaf Havana. Tout mon entourage à au moins un de leur albums grâce à moi. Toute la discographie pour certains. Sorry not sorry.

« Avoue que ça te manque d’être ambulancier avec moi. »

Je sais qu’il peut avoir l’occasion de remplir ces fonctions là encore de temps en temps, mais comme je suis passé pompier maintenant, on ne s’est pas croisé dans une ambulance depuis très longtemps. La vérité c'est que c'est à moi que ça manque surtout. Trop de bons souvenirs.

« On essayera de se caler ça avec nos shift. »

Si c’est décidé à l’avance y’a moyen que ça puisse se faire. Encore une fois, je suis peut être trop optimiste pour le coup. Mais y’a pas de mal. L’espoir fait vivre. Et vivre, je compte le faire encore longtemps. Avec Isaac a mes côtés c’est encore mieux.

You just can't beat the person who never gives up.

Kane m'annonce que Wendy souhaite être affectée au service des urgences avant de quitter la table que nous occupons pour profiter du micro libre. Je ne pouvais que souhaiter sincèrement que les voeux de la Carmichael soient exaucés néanmoins j’assimilais ses doutes et appréhensions. Le service des urgences n'est pas celui qui accepte le plus facilement les recrues récemment diplômées. Bien qu'un jeune infirmier apporte vivacité et innovation, ces qualités sont majoritairement recherchées dans les services où les patients ont le temps d'évoluer. Aux urgences, les malades ne sont que de passage et l'erreur n'a pas le droit d'exister, ni les temps de réflexion prolongés. C'est pour cette raison que les personnels aguerris et habitués aux situations de stress sont recherchés. Il y est impératif d'agir rapidement et bien. Je sais pertinnement que Wendy en est capable, toutefois, son CV ne peut pas encore le clamer haut et fort.

Je m'évertue à capturer aussi bien que possible les deux performances de l'australien. Lorsqu'il est de retour, il commente le premier morceau qu'il a joué puis m'assure que la vidéo lui convient. Je conserve un sourire sur mes lèvres et réplique : « Super. Et ça me fait plaisir. » Filmer Kane est loin d'être une corvée et je sais que ça signifie beaucoup pour le musicien passionné. Je suis heureux de pouvoir lui donner ce service.

J'interroge le pompier sur son répertoire et il m'évoque Trophy Eyes ainsi que le fait que je risque d'entendre souvent parler de ce groupe, voire recevoir un de leurs CD en cadeau d'anniversaire. Cet ajout me fait rire. « Ça me va ! » Je ne suis jamais contre un nouveau CD à écouter dans ma voiture. Je fais partie de ceux qui détestent conduire dans le silence et ont toujours la radio ou un CD en route dans leur véhicule.

« Avoue que ça te manque d’être ambulancier avec moi. On essayera de se caler ça avec nos shift. » L'idée me plaît fortement. Je pense que ce serait possible, vu que parfois je suis appelé à accompagner les équipes de secours dans les ambulances. Néanmoins, pour cela, il faudrait que le Williamson soit de service en tant qu'ambulancier et non pompier. Après, il y a des catastrophes où nous pouvons aussi nous retrouver tous les deux sur place en qualité de pompier et d'infirmier. « Ce serait génial. J'avoue que ça me manque de pas avoir un duo à l'hôpital comme on avait tous les deux. D’ailleurs, j’ai un projet qui est resté en stand-by que je pensais peut-être reprendre. Je peux t’en parler si ça t’intéresse. » J'ai des collègues que j'affectionne particulièrement sur mon lieu de travail, en particulier Noam avec qui j'adore être en binôme parce que nous avons la même manière de procéder, de penser et d'agir. Mais nous ne sommes pas toujours affectés en même temps, contrairement avec Kane où nous étions quasiment toujours sur les mêmes services. « Et ma culture musicale en pâtit aussi, » j'avoue et use comme argument. Je bois une gorgée de ma bière avant de questionner : « Et du coup, tu vis toujours dans ton studio ? Tu comptes emménager avec Wendy ? » Je reconnaissais être curieux mais Kane savait très bien que s'il ne voulait pas aborder un sujet avec moi ou répondre à l'une de mes questions, il n'avait qu'à me le dire sans qu'aucune rancune ne soit ressentie. Je préférais qu'on m'annonce clairement être embarrassé ou simplement peu enclin à discuter d'un sujet plutôt qu'un malaise ne s'installe.

Je savais que Isaac n’allait pas être dérangé par ce forcing en matière de musique. Il apprécie généralement la musique que j’écoute. En plus si j’ajoute que Trophy Eyes sont australiens, je sens qu’il peut les aimer encore plus, juste par fierté pour son pays. Quoi ? Comment ça je parle pour moi ? Oui bon ok, mais j’ai quand même espoir que ça lui fasse un petit quelque chose de plus. Je me retiens de ne pas en dire plus sur ce groupe ou un autre truc à propos de la musique, j’aime vraiment pas saouler mes potes. Je sais que Isy est super cool et qu’il serait pas embêté par mon enthousiasme mais je préfère me freiner et changer de sujet. Celui du boulot vient tout naturellement parce que c’est quand même ce qui nous lie à la base. Je suis sacrément nostalgique de nos temps ensemble. J’ai l’impression que c’est aussi son cas parce qu’il a cet air sur le visage qui veut tout dire. Ou plutôt l’air que j’ai envie qu’il dise, mais c’est plutôt positif de ce que j’aperçois donc je me sens pas loin de la vérité. Au fur et à mesure de sa confirmation, il me parle d’un projet, je lève un sourcil très haut parce que ça m’intrigue carrément. Il me laisse sur ma fin avec cette info. Je sais pas s’il essaie de se défiler à peine il m’a lancé cette info parce qu’il continue en parlant de musique et il sait que c’est mon soft spot. Je l’arrête alors qu’il commence à parler de Wendy et mon appart’, ma main levé devant lui.

« Nan nan nan, je veux savoir c’est quoi ton projet. T’as dit en stand by ? »

Je suis en train de faire travailler mes méninges à fond pour essayer de deviner à quoi il fait référence mais j’ai peur d’avoir une très mauvaise mémoire pour le coup. Je vais pas être à la hauteur et trouver de quoi il s’agit. Je vais quand même tenter quelques hypothèses.

« Tu veux devenir pompier ? Non docteur ! Non… Non je sais pas. Mais tu vas me le dire. Et ouais je suis toujours dans mon studio. Wendy habite chez moi pour l’instant, mais c’est juste temporaire, même si j’aime beaucoup ça. »

Voilà comme ça il a quand même la réponse à sa question afin qu’il ne reste pas en suspend comme moi. Maintenant on peut reprendre la conversation à propos de lui et son projet de manière exclusive.

« C’est un truc avec le boulot c’est ça ? Non en fait je vais arrêter de chercher et je vais te laisser t’exprimer. »

Oui, ça vaut mieux en fin de compte. Je bois une gorgée de ma bière en espérant qu’il va s’ouvrir à moi maintenant. Je ne réalise pas que ce n’est peut être pas le lieu ni le moment. On est tous les deux tranquille à une table. Ok y’a des gens aux alentours mais ça reste assez privé à mon humble avis. J’ai déjà eu des conversations de la plus haute importance en pub avec Levi ou Ariane. Bizarrement c’est toujours autour d’une bonne bière. Comme si ça déliait ma langue. C’est sûrement le cas. Je suis pas le plus fort pour les grandes conversations existentielles de remises en question.

« Tu veux un autre verre peut être ? »

Je sais pas, moi ça m’aiderait, alors je propose, même s’il n’a pas fini le sien. Ça mange pas d’avoir une pinte d’avance sous son nez. Ça réconforte même parfois. Je sais que je parle pour moi mais on sait jamais, parfois on se rejoint sur pas mal de truc.

You just can't beat the person who never gives up.

Quand j'évoque mon projet qui est resté en stand-by à Kane, celui-ci est intrigué derechef, ce qui m'arrache un sourire. Ça fait toujours plaisir de constater que l'on possède des amis qui s'intéressent réellement à nos ambitions, bien que je n'ai jamais douté de l'amitié authentique que le Williamson m'accorde. Je ris doucement lorsqu'il m'annonce désirer en connaître davantage sur mon projet et prends une gorgée de ma bière, jouant du suspense malicieusement. Le pompier émet quelques conjectures puis répond à ma propre question quant à sa situation domiciliaire.

« C'est cool ça ! Je te comprends que ça te plaise ! » je réplique quand il me dit que sa colocation avec Wendy est temporaire mais qu'il l'apprécie. « Tu dis "temporaire" parce que vous cherchez à déménager dans un appartement pour vous deux ? » Puisque manifestement son couple se porte bien, je peinais à envisager que la future infirmière souhaite de nouveau faire chambre à part après avoir partagé quelques temps le studio du musicien. Je n'étais personne pour juger et je ne connaissais pas Wendy sur le bout des doigts, mais ça me paraissait logique que le couple habite ensemble s'ils appréciaient la compagnie l'un de l'autre.

« C’est un truc avec le boulot c’est ça ? Non en fait je vais arrêter de chercher et je vais te laisser t’exprimer. » Un rire fila entre mes lèvres et je me redressais, mon verre entre mes mains. Je laissais l'australien boire une gorgée de sa boisson et réfléchis à comment lui exposer au mieux mon projet. Il n'était pas spécialement assuré mais quelques étapes avaient été franchies. Après, j'avais un tempérament d'être une personne très stable qui se projetait de manière à éviter toute mauvaise surprise ou toutes circonstances où je pouvais me sentir prisonnier. Peut-être était-ce pour cela que je subissais très mal le départ de Chloe, en aucun cas n'avais-je pu l'anticiper et son départ avait réduit à néant mes plus importants plans d'avenir. « Tu veux un autre verre peut-être ? » L'offre de Kane me ramène à la réalité. Mes yeux passent de ma boisson au regard bleuté de mon interlocuteur. « Oui, pourquoi pas. » Ce n'était pas comme si nous étions d'astreintes ou avions de lourdes responsabilités à respecter le lendemain. De plus, Kane et moi ne pouvions pas nous voir très souvent, ainsi, je désirais profiter à fond de ces soirées passées avec lui.

« Tu n'étais pas loin dans tes hypothèses de tout à l'heure. » Je commence alors que notre deuxième tournée est commandée. « J'ai passé les tests l'année dernière pour ajouter des notions de pompier à mon statut paramédical. J'y pensais depuis assez longtemps mais plus tôt, ça semblait jamais le bon moment. Puis après, avec tout ce qui s'est passé, j'ai pas vraiment eu l'occasion de concrétiser mon certificat. » Il y avait eu mon couple qui battait de l'aile, les tentatives vaines d'avoir un enfant qui jouait beaucoup sur le moral de ma petite amie de l'époque, mes fiançailles aussi brèves soient-elles puis l'aventure de la dite fiancée avec un de mes collègues. Une spirale infernale s'était enclenchée et ce n'était que maintenant que je parvenais à débuter à concevoir le futur. « Tu me connais, je suis toujours à la recherche de nouvelles cordes à mon arc. » En effet, c'est dans ma nature d’œuvrer pour acquérir des nouvelles compétences. Je suis quelqu'un qui aime se sentir utile et savoir intervenir dans des situations problématiques, ça me donne le sentiment de contrôler un peu l'incertain, de ne pas subir totalement la détresse. D'autre part, quand j'ai commencé à travailler avec Kane en qualité d'ambulancier, j'avais déjà un diplôme d'infirmier en poche. S'il y avait une formation qui se proposait à nous, j'étais rarement du genre à la refuser. Ensuite, j'avais voulu persévérer dans la lignée des urgences et après avoir obtenu un poste d'infirmier au service de ce domaine de St Vincent's, j'avais continué à me perfectionner en obtenant les certifications me permettant d'intuber des patients par exemple. « Je me suis demandé un moment si je n'allais pas mettre entre parenthèses mon poste d'infirmier aux urgences quelques temps pour me focaliser sur ce projet-là. Je me disais que ça me permettrait de reprendre ma vie professionnelle sur de nouvelles bases. » Je marque une pause, avant d'exposer sincèrement : « Mais j'avais l'impression que c'était un peu un prétexte pour fuir ce que j'appréhendais là-bas aussi. Alors, je préfère reprendre du service à l'hôpital et voir pour continuer le côté pompier en parallèle éventuellement. Je pensais procéder une étape à la fois et tisser au fur et à mesure. » De manière à me mettre aussi peu de pression que possible, tout en veillant à me garder occupé pour éviter cette solitude infernale qui règne chez moi. « Qu'est-ce que t'en penses ? » J'ose questionner, ayant toujours considéré l'avis de Kane dans les prises de décision que je lui présentais.

Il enchaine sur Wendy et moi mais non. Je ne mange pas de ce pain là. Je veux qu’il me raconte son projet avant de continuer avec moi. J’ai l’impression qu’on a parlé que de moi depuis qu’on est arrivé avec les chansons que j’ai fait tout ça tout ça. Du coup je lui réponds pas tout de suite, je balaie un peu ça d’un geste de la main sans pour autant être mal poli, ou du moins, je l’espère. Vu comme je le fais rire avec mes suppositions et tout ce que je raconte j’ai bon espoir qu’il m’en veuille pas.

« On reviendra là dessus après. »

J’essaie de prendre un air très sérieux, mais ça marche pas des masses. Par contre il accepte le verre en plus et ça me rempli de joie. Il m’en faut peu. Je sais. Je suis juste de très bonne humeur ce soir ok ? Et il est même pas question de Levi ce qui est assez impressionnant quand on y pense. Du coup je file au bar pour nous prendre une nouvelle tournée afin d’être prêt pour la suite de l’histoire.

« Bouge pas. Je reviens vite. Y’a pas grand monde au bar. »

Expert que je suis dans le domaine de commander des bières, je fais ça en moins de dix minutes. J’ai même pris mon téléphone avec moi pour regarder mes notifications en attendant ma commande. Légèrement Addict à Twitter et instagram. On sait jamais si John Floreani a dit un truc de la plus haute importance ou s’il y a une nouvelle tournée annoncée.

De retour à la table avec nos bières, il m’annonce que j’étais pas loin dans mon hypothèse. OKAY WHAT. Je le regarde, anticipant ce qu’il va me dire, pressée qu’il s’exprime et il ne me fait pas plus poireauté. POMPIER. WHAT. HOLY SHIT. J’ai la bouche entrouverte parce que Jesus fucking Christ !! Je le regarde les yeux écarquillés. Il parle de nouvelles cordes à son arc et je ne peux que trop le comprendre. J’ai aussi pensé à devenir infirmier avant de choisir pompier. Il parle de reprendre sa vie pro sur de nouvelles bases et j’hoche la tête. Je trouve cette réflexion tout à fait logique et parfaite à sa situation. Il veut pas tout lâcher néanmoins. Faire les deux en même temps pour commencer doucement et voir si ça lui plaît vraiment ou si c’est vraiment juste pour fuir ce qui l’effraie. J’hoche la tête de nouveau parce qu’au fur et à mesure de ses explications je comprends encore plus son plan. Il me demande mon avis, mais clairement j’allais lui donner même s’il avait pas posé la question. Soyons honnête.

« Je trouve que c’est une super idée. Et ouais commence doucement pour voir. »

Je réfléchis un peu plus avant de continuer à exposer mon avis parce que c’est pas rien cette affaire là quand même.

« Fais comme tu le ressens en reprenant ouais. Et si t’es quand même bien à ton boulot et que tu vois voir ailleurs, fonce. Si t’es mal fonce encore plus vite. Je t’aide en rien là. »

Je ris un peu en le regardant parce que je me rends compte que ce que je dis c’est d’une logique implacable. Il en serait venu à ces conclusions là sans moi.

« Mais que tu considères devenir pompier ou essayer ça me… Wooohooo ! »

Je suis trop content. Je kiffe trop.

« Si t’as besoin de quoi que ce soit pour mettre tout ça en place ou je sais pas moi. Si il te faut une recommandation, je peux glisser un mot doux au capitaine pour toi ou je sais pas, ce que tu veux. Je suis ton homme. »

Je plaisante pas du tout avec cette histoire de mots doux. J’en serai capable.

You just can't beat the person who never gives up.

Je me réjouis du bonheur de Kane de filer l'amour avec Wendy tant qu'elle ait déménagé avec lui dans son studio. D'ailleurs, je ne peux m'empêcher de lui demander s'ils comptent emménager dans un domicile un peu plus spacieux mais mon interlocuteur a dans l'idée qu'il a assez parlé de lui et que je dois cesser de rejeter les projecteurs de la conversation sur sa personne constamment. Il est vrai que je ne suis pas quelqu'un qui aime parler de soi, j'ai toujours été un homme secret, privé. Et puis, j'ai aussi la manie de parler uniquement de ce qui est positif dans mon existence, ce qui m'a causé, je le pense, bien des maux. Je ne suis pas du genre à me confier, je relate d’ordinaire seulement les faits banals qui animent ma vie. Ce qui me touche émotionnellement, je le rumine plutôt que l'extérioriser. J'essaie de travailler sur ce point puisque j'ai conscience depuis quelques mois que ce comportement m'est toxique. Heureusement, j'ai l'immense chance d'être entouré de personnes qui sont à mon écoute, comme le Williamson, pour évoluer dans ce sens et solidifier - voire assurer - mon bien-être.

Je ris lorsqu'il m'annonce que l'on reviendra sur son quotidien plus tard et acquiesce quand il m'indique qu'il va nous commander des bières. Je l'observe dégainer son téléphone portable après avoir sollicité le barman et balaye les lieux du regard. Contrairement à Kane, je ne suis pas expert en réseaux sociaux. Je n'ai même pas Facebook.

Quand le musicien revient avec deux nouvelles boissons, je l'en remercie et lui explique mes projets professionnels. Je prends bien le temps de lui indiquer mon ambition ainsi que mes appréhensions et ma décision jusqu'ici. Savoir combattre le feu et venir en aide aux individus à la manière des pompiers est une activité que je convoite depuis des années. A vrai dire, ma vocation générale consiste en venir en aide à Autrui, à pouvoir en quelque sorte sauver leur vie. Je trouve ça un peu vantard, mais si je peux détenir un impact positif sur la vie d'une personne, aussi inconnue soit-elle pour moi, je me sens bien. C'est ce que j'aime, ce que je veux faire de ma vie, de mon temps. En étant ambulancier, j'avais l'opportunité de traiter des situations vitales et favoriser la prise en charge d'un malade par des spécialistes de la santé. En qualité d'infirmier aux urgences, je peux prendre le relai de ces dits secouristes et savoir les avoir assez stabilisés pour qu'ils aient vraiment une chance de s'en sortir. Être pompier correspond à un autre volet du traitement des situations catastrophiques qui m'interpelle et m'inspire.

Mon annonce semble surprendre le musicien, qui reste bouche bée quelques instants. Je redoute qu'il considère mon plan complètement déjanté ou le désapprouve dans son entièreté. Après tout, était-ce vraiment une bonne idée d'appuyer l'envie d'un homme qui a attenté à ses jours quelques mois plus tôt à s'élancer dans des bâtiments en flammes ? Mais Kane sait fait la part des choses et bien que j'ai des troubles mentaux, mon désir d'être soldat du feu est antérieur à ma descente aux enfers, ce que j'ai pris soin de le renseigner également. De plus, être pompier ne consiste pas seulement à maîtriser des incendies.

Un large sourire étire mes lèvres, doublé d'un rire de soulagement, quand le blond prend enfin la parole : « Je trouve que c’est une super idée. Et ouais commence doucement pour voir. » Je hoche la tête à l'affirmative et écoute la suite des propos de mon ami. Il m'a l'air 100% pour mon ambition et ça me donne véritablement des ailes. Un soutien pareil, j'en avais besoin. Kane ne doute pas en moi, il m'appuie dans mes vœux tout en comprenant les doutes que je lui ai signalés et je lui en suis grandement reconnaissant. « Mais que tu considères devenir pompier ou essayer ça me… Wooohooo ! » Je ris et tapote l'épaule de mon interlocuteur amicalement. « Tu t'imagines pas à quel point ça me fait plaisir que t'aies cette réaction-là ! »

L’homme enchérit en proposant son aide en appuyant mon éventuelle candidature à son propre chef de caserne. La surprise se lit sur mon visage, bien qu'il n'y ait rien d'étonnant à ce que Kane me rende service. C'est un être généreux et dès qu'on en a l'occasion, on s'entraide. « C'est super sympa ! Je vais réfléchir à ce que je fais et je te tiens au courant. Je me laisse quelques mois aux urgences avant de vraiment me lancer dans la suite. » J'ai toujours été réfléchi et raisonné. Quand je concrétise un projet, je veux réellement mettre toutes les chances de mon côté pour réussir. Ici, en l'occurrence, je veux m'assurer que je peux reprendre le travail et subir la pression sans sombrer. De plus, j'ai aussi mes crises d'angoisse à contrôler. Je sais que je ne mets personne en danger avec celles-ci et que quand je suis en situation de crise qui m'est externe, je n'en fais pas. Mais je tiens à maîtriser ce nouveau problème qui m’accapare avant de m'investir dans un nouveau chapitre professionnel. « Techniquement j'ai tout ce qu'il me faut niveau théorie et physique. J'ai obtenu mes certificats etc. Il me manque une partie de la pratique. » Et sans doute me faudra-t-il un nouveau certificat médical m'estimant apte à cette profession. Je m'en informerai.

« Et alors, vous allez déménager ou pas ? Parce qu’il y a une maison à côté de chez moi qui est en vente et peut-être même en location. J'ai travaillé dedans, elle a une super charpente, la tuyauterie est impec'. Les châssis et la toiture ont été refaits récemment. Les personnes qui habitaient dedans avant l'entretenaient constamment. Et c'est un bon quartier, assez tranquille. Y'a pas mal de jeunes couples. » Il y avait juste la maison habituée par Andy et ses colocataires qui jurait avec l'ensemble du décor, telle une exception qui confirmait la règle. Mais ils n'étaient pas insupportables et en tant que voisin très proche, je n'ai jamais eu à leur demander de baisser d'un ton ou autre. Je suis peut-être plus tolérant que d'autre, mais Kane n'est pas non plus du genre à se prendre la tête pour un rien. « Je connais le propriétaire. Si tu veux, je peux lui en parler si vous voulez la visiter avec Wendy. Enfin, si vous voulez plus grand que ton studio. Je peux comprendre que vous avez d'autres étapes à franchir avant ou que vous êtes très bien où vous êtes ou avez d’autres plans. Je te donne juste l'info si jamais elle t'intéresse. » Je souris à l'australien et prends une gorgée de ma bière. Puis, j'entends une femme, que je soupçonne être celle qui essayait de flirter avec Kane lorsqu'il chantait Call Me Maybe sur scène, prendre le micro libre et proposer de lancer un karaoke, faute d’autres artistes animant le bar. Aussitôt, un groupe de filles s'enthousiasme et je réoriente mon attention vers Kane. « Ça t'intéresse aussi ? »  

Bien sûr que je suis content de savoir qu’il veut suivre un même bout de chemin que moi. Je m’épanouis grave de mon côté et je suis sûr que ça peut que l’aider à aller mieux, à voir de nouvelles choses, à passer du temps avec moi qui sait ! Ca peut être encore mieux. Il connait déjà pas mal de gens dans ma caserne et les autres donc c’est un plus. C’est un pas vers une bonne direction et j’espère vraiment qu’il va le faire. Il me dit qu’il se laisse quelques mois et j’hoche la tête.

« T’as raison prend le temps. »

Je me répète peut être mais c’est important. C’est pas une décision prise à la légère et je ne sais pas comment il est financièrement. S’il peut gérer à se retrouver un temps sans emploi si jamais l’un n’a pas été à la hauteur de ses attentes et qu’il préfère arrêter, mais sans pouvoir retourner à l’autre directement. Ca peut être un vrai casse tête. Donc oui, qu’il reste posé. Il n’a pas grand chose à faire pour remplir toutes les conditions et je sens que c’est finger in the nose en vérité.

« Tu vas tout déchirer je suis sûr. »

Tellement sûr Y’a pas d’autre possibilité. Je crois fort en lui. Je suis de tout coeur derrière lui. A 300%. S’il a besoin d’une cheerleader je serai là. Le sujet dévie de nouveau sur moi et Wendy. Si on va déménager ? Non. Ca fait juste quelques mois qu’on se fréquente. J’y avais même pas pensé une seule seconde pour dire la vérité mais Isaac est grave lancé dans son discours. Il veut me caser dans une maison à côté de chez lui et ça me fait sourire de le voir comme ça. Il est même en train de me rencarder avec le propriétaire déjà. Puis il se calme, ouf. Bientôt j'aurai commencé à croire que c'est mon père qui lui a dit de me mettre le grappin dessus pour que j'achète enfin un truc. Vu tout l'argent que j'ai de côté pour un éventuel achat, c'est vrai qu'il serait temps... Mais non. Ou peut être que si ? Mais pas avec Wendy, ou pas déjà. C'est trop tôt.

« Ouais nan on va pas bouger pour l’instant. »

Peut être bien que c’est un changement beaucoup trop énorme pour moi ça. Il va me falloir un long moment avant d’abandonner mon indépendance de mon studio. J’y vis depuis presque 10 ans, je m’y suis attaché. C’est petit mais c’est chez moi.

Karaoké ? Quelqu’un a dit karaoké ?

« Bien sûr que ça m’intéresse ! »

Je suis toujours partant pour un karaoké. Me voilà déjà en train de terminer ma bière pour être près à aller chanter à la suite. Avec Isy bien sûr. Pour qu’il propose c’est que ça le tente lui aussi. Je le laisserai choisir les chansons pour qu’il s’amuse tout autant que moi. Mais j’ai bon espoir que je l’ai tellement bassiner avec certaines qu’il les aime véritablement lui aussi. Win win. Ca me fait tellement plaisir de voir Isaac si entreprenant, parce que oui, s’il m’a proposé un karaoké c’est parce qu’il veut en prendre part lui aussi. Et vu ses beaux sourires que je vois sur ses lèvres depuis le début de la soirée, je parierai presque qu’il se passe certaines choses dans sa vie qu’il ne m’a pas mis au courant mais c’est pas grave. Il m’en parlera s’il veut. Quand il veut. Je ne suis pas son seul ami après tout, il a peut être déjà couvert ce sujet avec d’autres. Je nous prends en photo tous les deux, une selfie, parce qu’on est beau avec nos sourires et nos bonnes nouvelles. Je l’aime mon Isy. Qu'il continue de sourire comme ça.