C’était son anniversaire. Il ne te l’avait pas vraiment dit, ou demander de le fêter mais … Mais tu t’étais dit que tu pourrais faire quelque chose. Tu t’es dit que tu pouvais faire quelque chose. Pour marquer le coup. Pour marquer le coup, puisqu’il ne semblait pas avoir l’intention de le faire. Peut-être qu’il l’avait oublié ? Tu y avais réfléchi un moment, en plus. Parce que tu ne voulais pas non plus l’effrayer. Parce que tu craignais qu’il ne s’enfuie en courant en remarquant ce que tu avais préparé. Parce que tu ne voulais pas que ce soit trop pour lui, et qu’il finisse plus mal à l’aise qu’autre chose. Tu en avais passé, des heures, à réfléchir. Allongé sur ton lit, après tes cauchemars. A réfléchir, les bras derrière la tête. Une soirée avec des amis ? Ses amis ? Tu n’en connaissais aucun. Une soirée au restaurant ? C’était genre … trop intime, peut-être. Au bar ? Au cinéma ? Au bowling ? Tu étais à deux doigts de t’arracher les cheveux. Et puis tu devais trouver un cadeau. Non ? Tu allais finir complètement fou. Le pire, c’est que tu ne savais même pas pourquoi tu te donnais du mal pour ça.
Tu avais fini par opter par quelque chose d’à peu près simple. Tu avais pris deux pizzas, des bières. De l’Ice-Tea au cas-où. Si jamais il n’avait pas envie de boire. Tu avais passé la porte avec un air de gamin. Tu t’étais presque précipité sur lui, en levant les bras en l’air, enfantin. « Joyeux anniversaaaaaaire ! » as-tu braillé, alors que tu sautais sur le canapé. Tu t’es tortillé pour déposer les cartons sur la table, et tu l’as presque attrapé dans tes bras. Comme s’il s’agissait soudainement de ton nouveau meilleur pote. « … J’ai pris des pizzas, si ça te va. Genre … On peut aller les manger à la plage, si tu veux. Puis aller boire un coup dans le centre pour fêter ça. » Tu souris. Tu souris, de toutes tes dents. Peut-être que tu allais finir par l’effrayer. Peut-être que ta manière de gesticuler ainsi allait finir par le faire paniquer. Tu ne voulais pas. Tu ne voulais pas qu’il se décide à te rejeter. « J’ai pas … Genre prévu une grosse fête surprise, mais heu … Si tu veux inviter des potes à toi, genre … Tu peux. Puis … T’avais peut-être un truc de prévu, en fait. » réalises-tu soudain, alors que tu te tortilles sur le canapé, soudainement embarrassé. Tu espérais qu’il ne se sente pas obligé de t’inviter juste à cause de ça. « Rassure-moi … T’avais rien prévu ? » Et ses potes ? Est-ce qu’ils avaient prévu un truc, ou est-ce qu’ils avaient juste « oublié » ? Tu te tortilles encore un peu, avant de soudainement te lever. Comme si ça allait t’aider. « De toute façon, faut que j’aille te chercher un truc ! » lances-tu, comme si ça allait cacher ton soudain embarras. Tu t’es faufilé dans ta chambre, avant te tirer un paquet cadeau de sous ton lit. Puis t’es revenu. Comme n’importe quel être normalement constitué qui apprend à vaincre ses peurs, tu es revenu dans le salon. Tu tenais le paquet entre tes doigts, et tu lui as tendu, presque nerveusement. « C’est genre … Rien. J’sais même pas s’il est bien. Peut-être pas autant que le film. Mais bon. Ça fait un … cadeau-souvenir. En quelque sorte. » Pour des temps futurs. Le bouquin des poètes disparus. Comme pour vous souvenir des rêves, au milieu des horreurs du monde. « Mais … Tiens. J’espère que ça te plaira quand même. » lâches-tu, avec un sourire.
En y réfléchissant bien, cela faisait des années que Douglas n'avait plus fêté son anniversaire. Depuis que son père avait levé la main sur lui, ça faisait donc un bon paquet d'années. Mais la vérité c'est que ça ne lui manquait absolument pas. Il était plutôt heureux de pouvoir se déplacer comme bon lui semblait sans que tout un tas de personnes se sentent obligé de faire les hypocrites à son égard. Sa date de naissance n'était pas un secret d'État, bien loin de là, mais le jeune étudiant ne le criait pas non plus sur tous les toits.
Et le jour J était donc arrivé. Douglas était parti travailler comme tous les autres matins. Le chemin jusqu'au cabinet de Milena était presque un réflexe maintenant pour lui, puis, il avait passé sa journée au bureau, à éplucher des dossiers. Certains intéressants, d'autres un peu moins, mais c'était aussi ça qu'il devait faire pour apprendre non ? Par chance, il n'y avait pas de dossier urgent, même si au fond, Douglas le savait, ils l'étaient tous urgent, mais certains l'étaient plus que d'autres. Il avait donc eu la possibilité de partir assez tôt pour rentrer dans cette maison qu'il partageait avec Archie.
Il y avait toujours cette petite boule de nerf qui se formait en lui dès lors qu'il devait rentrer. Il avait peur de créer des conflits alors qu'il détestait ça. Depuis leur dernière altercation assez violente d'ailleurs, il se contentait de ranger sa chambre et même si le bazar ailleurs le gênait et maîtrisait ses tics pour ne pas intervenir dans les autres pièces, ce qui semblait avoir apaisé les tensions entre eux.
Le trajet retour se passa tranquillement, les routes n'étaient pas très empruntées alors le temps fut réduit, puis avec sa moto ça lui évitait d'avoir à slalommer entre un flot de voitures incessant. Il tourna les clés dans la serrure et alors même qu'il avait encore son casque à la main, une voix masculine à l'intérieur se mit à brailler sans qu'il ne comprenne réellement de quoi il s'agit. Archie. Une table avec des pizzas. Il mit le temps à faire la corrélation. Comment avait-il su pour son anniversaire ? Est-ce qu'il lui avait déjà confié quelque chose à ce sujet ? Il avait beau chercher, il ne trouvait rien, mais au fond, ça lui faisait plaisir, mais si ça le gênait un peu qu'il est dû organiser tout ça pour lui. Douglas détestait être le centre de l'attention et ce soir, c'est ce qu'il semblait être contre son gré.
" - Je.. Yahou.. Merci.. Je ne m'y attendais pas.."
Ce n'était pas un jeu d'acteur, le jeune anglais était vraiment surpris par la situation. Jamais il n'aurait pensé qu'Archie organise ce type d'événement et encore moins pour lui. Ils s'entendaient bien certes, mais ils n'étaient pas non plus les meilleurs amis du monde. Soudain un rire nerveux s'échappa des lèvres du jeune Anderson.
" - Des amis ? Tu penses vraiment qu'un type comme moi peut avoir des amis ? J'ai pas d'amis, je n'ai que des collègues. Et concernant ta proposition on peut aller sur la plage à condition qu'on soit loin de l'eau. Je.. J'ai.. Peur de l'eau en fait.. Donc le plus loin possible ce serait l'idéal.."
Il n'était pas contre d'aller à la plage, sur les rochers pour observer le reflet du soleil couchant dans l'eau, mais se baigner c'était hors de question.
" - Non je n'avais rien de prévu, disons que cette date ne représente pas grand chose pour moi, et ça fait des années que je n'ai plus fêté mon anniversaire, la dernière fois je devais avoir à peine six ans, c'était avant que.. Que mon père ne s'en prenne à moi."
Si on calcule bien, il venait d'avoir ses vingt sept ans, donc cela faisait vingt ans que son anniversaire n'avait pas donné lieu à une fête ou même à une quelconque célébration. Ça ne lui avait pas manqué, mais ce serait mentir s'il disait que ça ne le touchait pas. Surtout de la part de son colocataire. Quand ce dernier parla d'un cadeau, Douglas secoua la tête. Pourquoi s'était- il donné autant de mal pour lui ? Est-ce qu'il lui faisait si pitié que ça, au point où il s'était senti obligé de lui organiser une fête ? Il espérait que ce n'était pas cette raison en tout cas. Archie revient avec un emballage de papier cadeau puis, après avoir balbutié quelques paroles sur un ton nerveux, il le lui tendit. Un sourire se dessina sur les lèvres du garçon avant qu'il ne se décide à le prendre et à l'ouvrir. Un livre, parfait c'est ce que Douglas adorait. Livre et écrire était devenu son passe-temps favori quand il avait du temps de libre devant lui. Il déposa le livre sur la table, et même si ce n'était pas dans ses habitudes, il enlaca le jeune homme, pas plus que quelques secondes, ça pourrait rendre la situation assez malaisante.
" - Merci beaucoup Archie. Je ne m'y attendais pas du tout.. J'avais pris l'habitude que ce soit un jour comme un autre. Mais.. Comment as-tu su que c'était mon anniversaire ? Je n'ai pas souvenir de te l'avoir dit pourquoi, ou alors c'était un soir où j'ai trop parlé et que je ne me souviens même pas de la moitié de ce que j'ai pu déblatérer !" fit-il en riant. C'était tellement rare de l'entendre rire que ça faisait du bien aux oreilles.
Il semblait tout gêné. Il semblait complètement embarassé en te voyant brailler, trop content. « Je.. Yahou.. Merci.. Je ne m'y attendais pas.. » Tu l’avais remarqué. Tu l’avais remarqué, et tout ce que tu réussis à faire, c’est rire sincèrement. Amusé de le voir ainsi. « Des amis ? Tu penses vraiment qu'un type comme moi peut avoir des amis ? J'ai pas d'amis, je n'ai que des collègues. Et concernant ta proposition on peut aller sur la plage à condition qu'on soit loin de l'eau. Je.. J'ai.. Peur de l'eau en fait.. Donc le plus loin possible ce serait l'idéal.. » Ton rire s’est étranglé dans ta gorge en l’entendant. Tu as eu la sensation d’avoir foutu les pieds sur un pente glissante. Tu l’as observé en coin, cinq minutes. « On n’ira pas dans l’eau, promis. De toute façon … Elle est froide. » Tu t’en étais rendu compte lorsque vous vous étiez disputés. Lorsque tu avais plongé dedans la tête la première. Ton corps t’en avait voulu pendant une semaine entière. « Par contre, t’as intérêt de m’expliquer qu’est-ce qui fait que tu ne peux pas avoir d’amis. Surtout pour un type comme toi. Genre, je te crois pas. » poursuis-tu. Il était trop gentil. Trop doux. Trop aimable, trop tout pour être tout seul. Pour que personne ne se soit lié d’amitié avec lui. Est-ce qu’il se foutait de toi ?
« Non je n'avais rien de prévu, disons que cette date ne représente pas grand chose pour moi, et ça fait des années que je n'ai plus fêté mon anniversaire, la dernière fois je devais avoir à peine six ans, c'était avant que.. Que mon père ne s'en prenne à moi. » Tu as secoué négativement la tête. Tu étais définitivement sur un terrain glissant. Sur son terrain glissant. « Okay. On va changer ça, alors. On peut pas rester là-dessus. » Vous ne pouviez pas rester sur les mauvais souvenirs. Vous ne pouviez pas rester sur ce père tordu. « J’ai pas de ballons McDonalds, ni le jeu de pêche aux canards, par contre. Tu ne m’en voudras pas ? » demandes-tu, avec un léger sourire aux lèvres. Et tu as filé. Tu as filé pour aller chercher son cadeau. Pour balbutier quelques mots nerveux. Il l’a pris. Il l’a ouvert. Tu l’as regardé faire avec une certaine anxiété. Bien sûr, ce n’était pas le cadeau du siècle. Mais tu espérais au moins ne pas le décevoir. Ses bras sont venus t’enlacer, l’espace de quelques secondes. Tu étais tellement surpris que tu as mis un instant avant de lui rendre son étreinte. Et les questions sont tombées. Comment est-ce que tu avais fait pour savoir ça ? Est-ce qu’il avait trop parlé ? Tu as eu un rire embêté. « Pour être honnête … J’ai fait mon curieux. » as-tu murmuré avec un regard coupable. « J’voulais savoir alors … Quand j’ai vu ton portefeuille … J’avoue l’avoir ouvert pour regarder. » Tes doigts sont venus se glisser dans tes cheveux. « C’était pas bien, je sais. Mais … Je recommencerai pas, promis. Et … t’as le droit de me priver de dessert et de pizza, du coup. Pour te venger. » Tu essaies de sourire. Tu essaies de rire un peu, juste pour laisser passer ce moment. « Bon ! La plage ! » Tu tentes de changer de sujet. Tu t’es activé, pour récupérer les pizzas, pour mettre les boissons dans un sac. « J’prends un disque, au cas-où ? J’t’ai jamais emmené lancer, non ? » demandes-tu, alors que tu attrapes un de tes frisbees blancs. Peut-être que ce serait une bonne occupation. Peut-être que ça lui donnerait un peu de goût pour ce sport-là. Tu ne sais pas. « On y va à pied, non ? »
Et vous êtes partis. Vous êtes partis pour la plage, avec vos affaires. Tu as essayé de ne pas trop traîner, pour éviter que les pizzas ne refroidissent. Et la plage s’est dessinée. Le bruit des vagues a résonné à vos oreilles, et tes pieds sont venus s’égarer dans le sable froid. Tu as étendu un drap sur le sol, avec d’y poser vos cartons. « Bière ? Ou .. Ice-Tea ? » demandes-tu, avant de farfouiller dans ton sac à la recherche des boissons. Et finalement, tu t’es installé. Tu t’es posé sur le sol. « J’ai pas pris les mêmes alors … J’te propose de partager, si tu veux. » De piquer au gré de vos envies dans les cartons. Sans vous embêter. « A ton anniversaire, Douglas ! » as-tu lancé, en levant ta bière. Trop de fois oublié, ce maudit anniversaire.
Aujourd'hui était un jour particulier, c'était l'anniversaire de Donovan et pourtant, il ne semblait pas s'en préoccuper plus que ça. N'importe quel adulte ou même enfant, serait content de pouvoir avoir une date comme celle-ci pour inviter des amis, retrouver de vieilles connaissances ou tout simplement pour s'amuser. Pour le jeune étudiant, c'était une journée banale comme une autre. Ça avait beau être son anniversaire il n'avait rien organisé pour célébrer ce triste jour. Mais ce n'était pas le cas d'Archie, son colocataire qui avait réussi à savoir sa date de naissance et organiser une petite fête rien que pour eux. C'était touchant, il ne pouvait pas le nier, mais là sur le coup, il était ému et ne trouvait pas les mots pour décrire ce qu'il ressentait. Ça faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas célébré son anniversaire, et à dire vrai, il ne pensait pas le faire à nouveau un jour.
" - Qu'est-ce qui fait que je n'ai pas d'amis ? Enfin, ça me paraît simple, il suffit de me regarder. Qui voudrait d'un gars comme moi en ami ? Je ne sors jamais, je bosse tout le temps et quand j'ai du temps libre je ne vais pas en boîte de nuit mais je vais dans une association aider des femmes battues. Ajoute à ça que je ne bois pas et que je suis vierge, tu crois vraiment que quelqu'un aurait envie de traîner avec moi ? Je pense que tu as ta réponse de pourquoi je n'ai pas d'amis."
Au fond ce n'était pas si grave, il préférait ne pas avoir d'amis plutôt que de faux amis qui essayeraient de l'utiliser, de le faire changer. Comme on dit mieux vaut être seul que mal accompagné. Et cette devise Douglas la prenait un peu trop au sérieux et n'essayait pas non plus de se faire des amis par peur d'être déçu, d'être abandonné.
Alors que le jeune homme tente de lui expliquer la raison pour laquelle il n'a pas fêté son anniversaire depuis ses six ans, Archie ne dit rien, il se contente de faire comme s'il ne venait pas d'aborder un sujet sensible, il essaye une fois de plus de faire changer les choses. Pour Douglas. Pourquoi est-il si gentil avec lui ? Douglas avait parfois du mal à comprendre lorsqu'on connaissait leur début à tous les deux.
Vient ensuite le moment du cadeau puis celui de la vérité quant au fait de savoir comment Archie a pu savoir sa date de naissance. Sa révélation ne l'étonne pas plus que ça au final et il ne lui en veut pas. Ce serait égoïste non ? De l'engueuler pour avoir fouiller dans ses affaires alors qu'au final, c'est la première fois depuis des années qu'on lui organise une fête d'anniversaire surprise. Un peu comme un enfant finalement. À sa question concernant le disque, il se contenta de secouer la tête de manière négative. Le sport et lui, c'est une longue histoire d'amour mais c'est aussi celle qui s'est terminé de manière assez brutale à cause de sa malformation cardiaque. Maintenant il devait faire attention à tout, même aux simples émotions qu'il peut ressentir.
Les voilà alors partis pour se rendre à la plage, à pied. Ça permet aussi à Douglas de respirer un peu, de chasser toutes ces pensées qui sont revenues l'assaillir en repensant au passé. Il ne souvenait pas avoir fêté son anniversaire avec son père. Jamais. Quant à sa mère, il n'en avait aucun souvenir, comme grandir et s'épanouir avec une situation comme la sienne. Il n'a jamais eu de modèle féminin, quant à celui masculin, on repassera !
Quelques minutes plus tard, les voilà enfin arrivés et installés sur le sable. Froid à cette heure-ci dû à l'absence de soleil. Archie y dépose un drap pour ils prennent place, avec leur pizza, leur boisson et la vue qui s'offre à eux. Au moment où vient le moment de déguster le repas, Archie lui propose de la bière ou bien de l'ice-tea. La réponse est plutôt simple et le jeune homme doit déjà la connaître, mais par politesse il a tout de même demandé.
" - Ce sera de l'ice-tea pour moi s'il te plait."
Douglas ne buvait pas, et ce n'était pas ce soir qu'il allait s'y mettre. Après avoir obtenu sa boisson, ils peuvent enfin passer aux choses sérieuses : manger les pizzas. Deux différentes d'ailleurs, c'est une bonne solution pour partager au gré de leurs envies et de leurs goûts. Archie avait eu une bonne idée de pratiquer ainsi.
" - Merci Archie. Vraiment. Ça me touche ce que tu as fais, et même si tu n'aurais pas dû fouiller dans mon porte-feuille, je ne pas réellement t'en vouloir d'avoir fait ça." dit-il en le rassurant avec un large sourire.
Puis son regard se porta alors sur l'horizon. La mer. Le bruit des vagues sur les rochers. Les couleurs qui se reflètent dans l'étendue d'eau. C'est magnifique.
" - J'ai intérêt à fouiller dans tes affaires aussi si je veux t'organiser une soirée vole celle-ci, à moins que tu es prévu de le fêter entre amis.."
« Qu'est-ce qui fait que je n'ai pas d'amis ? Enfin, ça me paraît simple, il suffit de me regarder. Qui voudrait d'un gars comme moi en ami ? Je ne sors jamais, je bosse tout le temps et quand j'ai du temps libre je ne vais pas en boîte de nuit mais je vais dans une association aider des femmes battues. Ajoute à ça que je ne bois pas et que je suis vierge, tu crois vraiment que quelqu'un aurait envie de traîner avec moi ? Je pense que tu as ta réponse de pourquoi je n'ai pas d'amis. » Tu t’es entendu lâcher un bruit de mécontentement. Le raisonnement te faisait de la peine. Est-ce que la société était vraiment comme ça ? Est-ce que vous étiez vraiment comme ça ? Tu peinais à le croire. Tu peinais à croire que, vraiment, personne ne voulait traîner avec lui. Peut-être qu’il ne le voyait pas ? Peut-être qu’il ne se rendait pas compte de tout ça, trop habitué à être rejeté ? « Si vraiment ça me posait un problème, j’aurai rien fait de tout ça, t’sais ? T’es un mec cool, Douglas. Tu donnes beaucoup de ta personne, c’est vrai, mais j’crois pas que c’est une raison pour pas t’apprécier. Ou faut vraiment être con. » Et toi, qu’est-ce que tu pouvais lui proposer ? D’être son ami ? Ça sonnait enfantin. Ça sonnait un peu idiot, mais au fond, tu ne voulais pas non plus être son ennemi. Peut-être que le temps laisserait ses marques. Peut-être qu’il arrangerait un peu le mauvais départ que vous aviez pris.
Le bruit des vagues est venu se perdre dans tes oreilles. Comme un étrange réconfort. Comme un calme de fin de journée. Tu proposes à boire à ton colocataire, qui te demande de l’ice-tea, sans grande surprise. Tu souris un peu, avant de lui servir un verre. Tu t’en fiches, de ce qu’il prend. L’important, c’est qu’il se sente bien. Heureux. Tu ne cherchais pas plus loin. « Merci Archie. Vraiment. Ça me touche ce que tu as fait, et même si tu n'aurais pas dû fouiller dans mon portefeuille, je ne pas réellement t'en vouloir d'avoir fait ça. » Tu n’as pas pu te retenir de rire un peu. C’est vrai que tu n’aurais pas dû. Jamais. Est-ce que tu t’en veux ? Un peu. Autant qu’un enfant pris sur le fait, même tout de même content du rendu. Autant qu’un gamin qu’on n’engueule pas vraiment. « Promis, je le referai plus ! » souris-tu, doucement.
« J'ai intérêt à fouiller dans tes affaires aussi si je veux t'organiser une soirée vole celle-ci, à moins que tu es prévu de le fêter entre amis.. » Tu as souri. Encore. Comme si tu étais dans un bon moment. Comme si tu étais dans tes bonnes périodes. « Le 1er Décembre. T’auras pas besoin de te casser la tête, comme ça. » confesses-tu, amusé. « J’aurai trop peur que tu te moques de la photo sur ma carte d’identité … » ajoutes-tu, gamin. « Mais t’as pas besoin de te casser la tête pour moi, t’sais. J’ai rien de prévu encore, mais t’embête pas non plus. » Tu ne savais pas trop ce que tu allais faire. Si tu allais organiser une petite bouffe chez toi, avant de finir au bar. Décembre, c’était loin. Presque trop pour que tu puisses réussir à convenablement établir quelque chose. Et tu as levé ton verre. Tu as levé ton verre, trinqué avec lui, avant de boire un peu. Parce que c’était un anniversaire, parce qu’il y avait toutes les raisons du monde pour être heureux. « Sers-toi. » souris-tu, avant de te prendre une part. Avant de manger un peu, et de combler ton estomac vide. « Me laisse pas tout manger. » Parce que tu ne voulais pas perdre ta taille de guêpe, parce que ça te faisait marrer de le taquiner un peu. Sans être méchant. Sans être mauvais. Juste un enfant. Et puis tu aurais pu rester là pendant des heures. A regarder la plage. A écouter la mer et voir les oiseaux s’agiter dans le ciel. A sentir le sable froid sous tes pieds nus. Tu pouvais rester pendant des heures. A penser. A t’oublier, peut-être, aussi. « J’étais venu là, tu sais … ‘fin, j’viens là. Ça m’calme. » Quand ça déconne. Quand tu sais qu’il faut agir, quand tu sens qu’il faut agir, si tu ne veux pas rester bloqué dans ton état d’enfant prostré. Quand t’es obligé de t’en tirer.
Douglas avait parfois un peu de mal dans les relations humaines, non pas qu'il n'aimait pas la compagnie, bien qu'il aimait aussi être solitaire dans sa bulle, il aimait discuter, mais il n'était pas forcément à l'aise avec les autres. En l'occurrence, avec de la foule autour de lui ou bien, dans des lieux confinés. Et avec Archie, il ne savait pas vraiment sur quel pied danser. Ils étaient certes parti sur de mauvaises bases tous les deux, et tous les jours Douglas prenait sur lui pour tenter de ne pas se laisser emporter pour ranger telle ou telle chose qui pourrait traîner. Alors peut-être que c'est aussi son problème à Douglas, c'est qu'il est tellement brisé qu'il ne voit même plus les personnes qui lui veulent du bien, les personnes qui voudraient apprendre à le connaître, mais il doutait sincèrement qu'il y en ai.
Peut-être que si le jeune étudiant n'était pas de bonne humeur et ne connaissait pas aussi bien que ça son colocataire, il lui aurait probablement passé un savon pour avoir fouillé dans ses affaires. C'était un peu comme fouiller dans son intimité et c'était quelque chose qui le mettait réellement mal à l'aise. Mais, Archie n'était pas parti avec de mauvaises intentions en faisant cela, alors Doug ne pouvait tout simplement pas l'engueuler, ce serait égoïste alors qu'il pensait simplement à le rendre heureux, lui. Et pour la beauté de ce geste, l'anglais ne se voyait pas lui remonter les bretelles.
Une fois qu'ils furent installés sur la plage, sur le sable malgré la couverture où ils s'étaient assis, ils trinquaient. Ice-tea pour le futur avocat ça va sans dire. Archie aurait pu se moquer de lui, comme certains le faisaient quand il allait dans un bar boire un coup. Qui va dans un bar pour commander un jus d'orange ? Personne sauf Douglas. Mais une fois de plus, le jeune homme ne s'était pas moqué de lui. Peut-être qu'il devrait lui faire un peu plus confiance, qu'il devrait se laisser aller et de plus avoir peur de contrôler le moindre de ses faits et gestes par crainte d'être jugé ou critiqué. Il allait y penser à l'avenir.
Parti sur un moment un peu taquin, Douglas se dit qu'il devait à son tour organisé une fête pour l'anniversaire de son colocataire, même s'ils n'avaient pas les mêmes centres d'intérêt, ça lui ferait peut-être plaisir après tout. Alors il fallait élaborer une technique pour connaître sa date d'anniversaire, mais sur ce coup là, Archie lui facilita la tâche et lui donna la date exacte. Il enregistra cette information dans un coin de son cerveau pour ne pas la zapper.
" - Tu sais, je ne suis pas un gros mangeur, généralement on me surnomme l'appétit de moineau, je mange des petites portions et j'ai rapidement plus faim."
Sans doute depuis qu'il avait appris pour la malformation de son coeur, il ne faisait plus de sport et craignait de prendre du poids en mangeant n'importe quoi, alors il mangeait toujours en petite quantité, parfois même, il sautait des repas. C'était sans doute les conséquences psychologiques que cette annonce avait eu sur son organisme. Mais pour faire plaisir à Archie, il se resservit et prit une seconde part de pizza, il n'était pas certain de pouvoir engloutir beaucoup plus que ça. Puis, il releva la tête à l'annonce du jeune homme.
" - Je comprends, c'est reposant de venir ici, c'est calme, le bruit des vagues, le chant des oiseaux. On a l'impression d'être coupé de tout. Moi quand j'ai besoin de calme et de réfléchir, ça va te paraître bizarre mais je vais me réfugier au cimetière.. Ou à l'église ça dépend.. Mais c'est là-bas que je me sens bien, que je suis dans ma bulle et que j'ai l'impression que certaines choses prennent un sens qu'elles n'avaient pas auparavant.."
Douglas avait des habitudes un peu étranges, mais il lui arrivait souvent d'aller se réfugier au cimetière lorsqu'il avait besoin d'échapper à quelque chose ou simplement, se retrouver. Il venait aussi parfois à la plage, mais toujours en étant perché sur des rochers pour s'assurer que l'eau ne pourra pas l'atteindre.
« Tu sais, je ne suis pas un gros mangeur, généralement on me surnomme l'appétit de moineau, je mange des petites portions et j'ai rapidement plus faim. » Tu ris. Tu ris, amusé à cette idée. « J’suis tellement capable de faire que de bouffer … » Tu te sentais presque mal à l’idée, parfois. A l’idée de manger tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi. Mais tu t’en fichais, au fond. Tu voulais juste t’en foutre. Tu voulais simplement ne pas y penser. « Pourquoi ? » demandes-tu soudain. Comme si tu reprenais ton sérieux. Comme si tu réalisais quelque chose. Brutalement. Brusquement. « Désolé, je devrais pas demander ça. » te reprends-tu alors, avant de lui décocher un sourire. Peut-être que ce n’était pas la peine de l’embêter avec ça. Peut-être que ce n’était pas la peine de se comporter tel un abruti avec ta soudaine philosophie.
« Je comprends, c'est reposant de venir ici, c'est calme, le bruit des vagues, le chant des oiseaux. On a l'impression d'être coupé de tout. Moi quand j'ai besoin de calme et de réfléchir, ça va te paraître bizarre mais je vais me réfugier au cimetière.. Ou à l'église ça dépend.. Mais c'est là-bas que je me sens bien, que je suis dans ma bulle et que j'ai l'impression que certaines choses prennent un sens qu'elles n'avaient pas auparavant.. » Tu l’observes un instant, intrigué. Peut-être que c’était étrange, ouais. Tu trouvais ça étrange. Tu ne pouvais pas vraiment le nier, pas vrai ? Tu ne pouvais pas lui dire que nous, ça te semblait ok. « … C’est original. » déclares-tu, doucement. Comme si tu craignais de le blesser. Comme si tu craignais de gratter un peu trop fort la couverture sous laquelle il se planquait. « Pourquoi le cimetière .. ? » L’église, tu pouvais comprendre. « T’as pas peur … D’avoir envie de les rejoindre ? » D’entendre leurs appels, leur voix lancinante. De sentir leurs mains griffues s’échapper de sous les tombes, pour lui agripper les chevilles et l’emporter. Peut-être que c’était juste toi. Peut-être que c’était juste tes craintes, à toi. Tes frayeurs, tes phobies. Tu souffles, doucement. Tu souffles, avant de glisser une main dans tes cheveux.
Tu avais envie de poser des questions. Tu avais presque envie de combler le silence. D’apprendre à le comprendre, d’apprendre à le connaître, un peu mieux. Réussir à anticiper ses éventuelles réactions. Arrêter de proposer des trucs où il te dira non. « L’eau … Tu veux pas y aller … Mais c’est lié à ton père ? » demandes-tu timidement, hésitant. A croire que tu avais envie de t’aventurer sur des œufs. « Puis … Puis tu me dis, hein. Si j’pose les questions qu’il ne faut pas, ou même si t’as pas envie de partager ces trucs-là avec moi. » Tu ne lui en voudrais pas. Tu pouvais voir un peu plus loin que juste ça.
Même si Douglas avait été un sportif à une certaine période, il n'était pourtant pas le cliché de l'un d'entre eux. Il ne mangeait pas beaucoup et surtout, en petite quantité. Un peu comme un enfant au final. Au fond, peut-être que c'était ça son problème, c'est que malgré les années qu'il prenait, il était resté un enfant parce qu'il considérait ne pas avoir eu d'enfance, alors il était enfant maintenant, à quasiment la trentaine.
" - Pourquoi quoi ? Pourquoi je ne mange pas beaucoup ?"
Il ne savait pas vraiment sur quoi portait la question de son colocataire, alors il tâtonnait un peu. Mais s'il s'agissait de son peu d'entrain pour manger, ça s'explique très certainement par les traumatismes de son enfance avec son paternel. Au fond, en y réfléchissant bien, Douglas n'avait aucun souvenir heureux avec son père, lorsqu'il a été en âge pour pouvoir retenir les choses, son père avait déjà perdu son emploi et sombrait un peu plus dans l'alcool chaque jour qui passait. C'était comme si chaque souvenir était ancré dans l'esprit du jeune étudiant. Rien ne pouvait s'effacer, chaque soir il revivait encore encore ces événements, ce qui l'amenait souvent à faire des cauchemars, d'où le fait qu'il dorme de moins en moins souvent, de peur de sombrer à nouveau.
Quand il essaya de dire à Archie qu'il ne pouvait que le comprendre de venir se réfugier ici quand ça n'allait pas, il n'était pas dupe au point de ne pas entendre cette pointe de sarcasme dans sa voix. Bien sûr que tout le monde n'allait pas au cimetière quand les choses dérapaient, mais au fond, il ne demandait pas à ce que le jeune homme qui lui faisait face le comprenne, il savait que ça ne pouvait pas être le cas. Tout ce qui lui demandait c'était de ne pas le juger, du moins pas de manière franche.
" - Je sais ce que tu en penses mais tout ce que je te demande, c'est de ne pas me juger.." confia-t-il dans un premier temps avant de répondre à la question de son colocataire " - Pourquoi le cimetière ? Je t'avouerai que je n'ai pas vraiment d'explication à te fournir en temps que tel. C'est un endroit calme, paisible où je peux sentir les âmes des autres personnes. Ça m'aide aussi à me focaliser sur autre chose que la souffrance que j'ai pu ressentir durant mon enfance."
Mais Douglas n'était pas au bout de ses surprises en entendant la prochaine question d'Archie. Il mit quelques secondes avant de comprendre de quoi il parlait réellement.
" - Tu sais, pendant que j'étais avec mon père, j'ai rêvé plus d'une fois qu'ils viennent me prendre. Je me disais que de toute façon, ça ne pouvait pas être pire que ce que je vivais. J'ai longtemps songé à trouver une solution pour mettre un terme à tout ça. J'ai songé au suicide mais je n'ai jamais eu le courage d'aller jusqu'au bout de mon geste parce que j'étais lâche. Alors en venant me réfugier dans un cimetière, je me mettais à la place de toutes ces personnes qui finalement étaient mortes sans avoir eu le temps de vivre, principalement tout ces enfants, et ça me permettait de tenir bon ne serait-ce que quelques jours supplémentaires."
Sans s'en rendre compte, Douglas s'était arrêté de manger mais également de respirer après cette déclaration. Il était encore beaucoup touché par cette période de sa vie, d'autant plus maintenant que son père était de nouveau en liberté. Certes Douglas avait la foi pour se réfugier dans un endroit où personne ne pouvait venir le chercher. Son endroit à lui, impénétrable de toute tierce personne. Il ne faut pas croire qu'il n'avait pas de démons pour autant. Archie allait vite s'en rendre compte s'il dormait à la maison en même temps que lui, car jusqu'à présent, Douglas s est toujours débrouillé pour que ça n'arrive pas.
Hésitant à la dernière question de son colocataire, le jeune Anderson hocha la tête de manière positive avant de boire une gorgée de sa boisson et de la reposer. Le cadre était tellement idyllique, l'anglais n'avait pas envie de replonger dans toute cette noirceur, mais s'il voulait que son colocataire puisse mieux le comprendre et ne plus le juger aussi rapidement que d'autres l'auraient fait, il lui devait la vérité. Peut-être même qu'au fond il espérait obtenir une sorte de soutien et de protection de sa part si jamais les choses venaient à déraper si son père avait décidé de venir le retrouver.
" - Mon père était océanographe. Donc forcément, il y avait toujours de l'eau à côté de lui. Un jour j'avais décidé de passer la journée avec lui, mais c'était le genre toujours la tête dans son boulot, c'est à peine s'il s'est occupé de moi ce jour-là. Alors comme le gamin que j'étais, je me suis baladé et je suis tombé dans l'eau. Il ne l'avait même pas remarqué, c'est ses collègues qui m'ont sorti de l'eau. Sans eux, je serai probablement mort à l'heure qu'il est, et il n'a jamais voulu reparler de cet incident, comme s'il n'en était pas fautif."
Douglas se souvenait de tout comme si c'était hier. Il se souvenait encore du regard de son père, des paroles de ses collègues et de chaque odeur qu'il avait pu percevoir pendant qu'il rendait visite à son paternel. Rien de tout cela ne lui échappe, mais c'est ce genre de souvenir qui le brisait un peu plus chaque fois qu'il y pensait.
" - Est-ce qu'on peut juste.. Parler d'autre chose.. ? À moins que tu es toutes tes questions en tête, auquel cas j'y répondrai mais je ne veux plus qu'on aborde le sujet après.. C'est encore beaucoup trop douloureux et trop frais malgré les dix ans qui se sont écoulés.."
Pourquoi est-ce qu’il ne mangeait pas beaucoup. Tu hoches la tête. « Ouais, pourquoi ? » confirmes-tu, avec un léger sourire. Peut-être que tu mettais encore les pieds dans le plat. Peut-être que tu posais encore des questions qu’il ne fallait pas poser. Tu étais trop curieux avec lui, Archie. Tu essayais beaucoup trop de le comprendre, peut-être. Tu essayais trop. Peut-être que tu ferais mieux d’abandonner. Peut-être que tu ferais mieux d’oublier, avant de le blesser.
« Je sais ce que tu en penses mais tout ce que je te demande, c'est de ne pas me juger.. » Tu as hoché la tête à cette première partie de phrase. Tu pouvais essayer, oui. Tu pouvais essayer de ne pas le juger. « Pourquoi le cimetière ? Je t'avouerai que je n'ai pas vraiment d'explication à te fournir en temps que tel. C'est un endroit calme, paisible où je peux sentir les âmes des autres personnes. Ça m'aide aussi à me focaliser sur autre chose que la souffrance que j'ai pu ressentir durant mon enfance. » Tu hoches la tête, encore. Ça avait du sens, quelque part. C’était des endroits calmes, en général. Loin de l’agitation de la ville. Loin, et proches, en même temps. Particuliers. Uniques. Mais tu continues de parler, malgré tout. Tu expliques ton point de vue, à toi. Tu expliques tes craintes. Ta peur de te retrouver au milieu des morts. Ta crainte de finir par les rejoindre, avant ton heure. Et Douglas explique. Douglas t’explique l’horreur. Il t’explique l’envie de partir. L’envie de s’en aller. Et les pierres tombales qui lui donnaient finalement envie de rester. Et toi, tu frissonnes. Et toi, tu sens la chair de poule qui s’installe sur tes bras. Tu espérais qu’il ne sombrerait pas. Tu espérais qu’il tiendrait le coup. Et tu espérais, toi aussi, ne pas sombrer. Tu espérais qu’il n’aurait pas à te retrouver roulé en boule dans ton lit, incapable de te lever. Incapable de te retrouver confronté à la réalité. Ça risquait d’arriver.
Et tu poses encore des questions. Comme si tu préférais le torturer plutôt que de te taire. Tu étais idiot. Idiot, et tu t’en voulais à peine après avoir entendu les mots sortir d’entre ses lèvres. Il était tombé à l’eau. Il était tombé à l’eau, et avait failli y rester. Tu étais vraiment très con, pas vrai ? « Est-ce qu'on peut juste.. Parler d'autre chose.. ? À moins que tu es toutes tes questions en tête, auquel cas j'y répondrai mais je ne veux plus qu'on aborde le sujet après.. C'est encore beaucoup trop douloureux et trop frais malgré les dix ans qui se sont écoulés.. » Tu secoues la tête. « Je … Non, on n’est pas obligé d’en parler indéfiniment, t’inquiète pas. » Tu sens que tu dois t’arrêter là. Tu sens que tu l’as déjà trop torturé. Tu l’as déjà trop malmené. Alors, tu t’es levé. Tu t’es décalé, quatre secondes, pour le serrer dans tes bras. Juste un temps. Juste pour essayer de lui faire comprendre que tu étais là, et que tu ne comptais pas lui faire du mal. Que tu n’en avais pas eu l’intention. « Mais si jamais .. Si jamais tu veux tenter l’eau un jour … Hésite pas à .. me demander. D’acc ? » Peut-être que tu pouvais essayer de l’aider, plutôt que de le mettre mal à l’aise. Peut-être que tu pouvais simplement un peu t’écarter. Et tu es revenu à ta place. Tu es revenu pour défaire tes chaussures. Pour enfoncer tes pieds nus dans le sable. Pour essayer de te retrouver, un peu. Tu as encore grignoté un peu de pizza, continué de vider ta bière, en regardant la mer. Tu laisses le silence soigner le reste. Tu laisses le silence essayer de guérir ses peines. Tu fixes la mer. L’écume qui se forme dès qu’une vague vient s’écraser sur le sable. Tu sens le vent qui vient vous taquiner, un peu. Tu essaies de construire, du bout des doigts. Tu essaies de construire des châteaux de sable, de faire de petits tas. Sculptures de ton esprit un peu torturé. Sculptures de ton esprit malmené. Dis, Douglas … Y’a jamais eu un truc que tu as toujours rêvé de faire ? »
En venant ici, avec Archie, Douglas ne se doutait pas qu'il aurait à répondre à autant d'interrogations de la part de son colocataire. En soit, ça ne le gênait pas tant que ça, même si le fait de se mettre à nu le mettait en porte-à-faux si jamais les choses venaient à mal tourner un jour. Archie détiendrait alors toutes les cartes nécessaires pour anéantir le jeune anglais. Est-ce qu'il le ferait pour autant ? Pour le moment il ne pouvait pas vraiment répondre à cette question, Archie avait toujours été gentil avec lui, enfin, depuis qu'il lui avait appris pour son père et qu'il tentait de se racheter des premiers mois qui n'avaient été que des mots plus haut les uns que les autres. Aujourd'hui les choses s'étaient adoucies entre les deux jeunes hommes et Archie tentait d'apprendre à connaître Douglas. De connaître cet homme qui vivait sous son toit et qui était à des kilomètres de ce qu'il était lui-même. Le jeune Anderson était conscient que ça ne devait pas être simple tous les jours pour Archie de le supporter, lui et ses manies, lui et sa pureté à en perdre la raison. Ils étaient l'exact opposé l'un de l'autre, mais ce soir ils étaient sur cette place ensemble.
" - Il arrivait parfois que lorsque mon père était en colère, il rentre du boulot, se fasse à manger sans même penser que j'aurai faim moi aussi. Alors quand j'avais tendance à parler un peu trop, ou à être trop envahissant selon sa définition du mot, il me mettait dans un placard. Un jour. Deux jours. Ça dépendait de son humeur, mais pendant ce temps je n'avais rien à manger, alors mon estomac s est rétréci et aujourd'hui, dès que je tente de manger un peu plus que ce qu'il ne supporte, je n'y arrive pas."
C'était censé être une soirée agréable où les deux hommes auraient pu évoquer leur bon souvenir de leur enfance ou autre. C'était tout de même son anniversaire, mais au lieu de la bonne humeur qui devait planer au-dessus d'eux, c'était plutôt une atmosphère pesante qui était présente. Douglas avait presque l'impression que son père était là, tout prêt et cette pensée le fit frissonner malgré la température qui n'était pas encore glaciale à cette période de l'année.
Innocememnt, Douglas pensait que s'il expliquait son point de vue, son passé et tout ce qu'il avait dans la tête à Archie alors ça l'aiderait à mieux le connaître et à partager plus de choses ensemble. La vérité c'est que tout cela était purement utopique, même si les deux hommes vivaient sous le même toit, ils ne pourront jamais être amis, ils n'ont rien en commun si ce n'est les démons qui les habitent pour des raisons différentes. Mais en dehors de cela, tout les opposent. Mais comme on dit bien souvent, les opposés s'attirent, c'est sans doute en suivant ce dicton qu'ils s'étaient retrouvés à partager le même toit.
Sans vraiment réfléchir à ses paroles, Douglas continue de se livrer sur ses craintes, sur ses peurs, et il livre même une chose qu'il n'a, jusqu'alors livré à personne : son envie de suicide. Il n'était qu'un enfant, c'était la seule solution qu'il avait trouvé pour y mettre un terme, mais entre songer en finir avec sa vie, et le faire réellement il y a un grand fossé. Fossé que le jeune étudiant n'a pas réussi à franchir malgré son mal-être intérieur. Plus d'une fois il avait craint de faillir, de tomber, de sombrer pour toujours. Mais par chance, il était encore en vie aujourd'hui, même s'il ne savait pas trop comment il arrivait à garder la tête haute avec les récents événements.
Douglas finit par en avoir assez, tout cela devait cesser, il n'était plus assez fort mentalement pour supporter d'autres questions aussi profondes que celles que son colocataire lui avait déjà posé jusqu'à présent. Alors il jugea utile de lui signaler. Archie ne lui en tient pas rigueur, et heureusement. Il préféra même laisser le silence s'installer entre eux. Le bruit de la mer prit possession de la plage, les vagues se heurtant contre les rochers et le vent qui sifflait comme une douce mélodie qui pouvait bercer le plus jeune.
Après quelques instants étaient passés, les deux hommes avaient laisser le silence s'installer jusqu'à ce qu'Archie décide de le rompre en posant une question qui déstabilisea assez le jeune étudiant. Un rêve ? Il n'en avait jamais vraiment eu. À part si on considérait que le fait d'écrire, et le fait qu'il se disait qu'un jour il pourrait peut-être le faire éditer et ainsi sensibiliser plusieurs jeunes qui avaient été dans sa situation ou qui l'étaient encore. Il voulait leur faire comprendre qu'ils n'étaient pas seuls et qu'ils devaient se raccrocher à un fil pour ne pas sombrer définitivement.
" - Non pas que je sache.. Enfin.. Peut-être qu'on peut considérer le fait d'écrire comme un rêve. J'ai commencé quand on m'a interdit de faire du sport, puis depuis j'ai continué, c'était ma seule façon pour me maintenir la tête hors de l'eau. Et des fois il m'arrive de me dire que j'aimerai que d'autres jeunes comme moi, puissent lire tout ça. Ça leur montrerait qu'ils ne sont pas seuls, que même s'ils ne s'en doutent pas, mais ailleurs d'autres enfants vivent la même chose qu'eux. C'est grâce à ça qu'ils doivent tenir.."
Douglas n'avait jamais parlé du fait qu'il écrivait et maintenant, il craignait qu'Archie lui demande de voir un extrait. Il n'était pas assez confiant pour le faire lire à quelqu'un même s'il est bien conscient qu'il devra passer par là s'il veut que ses écrits soient publiés tôt ou tard.
" - Sinon j'ai toujours rêvé de visiter d'autres pays. Je n'ai quasiment jamais voyagé hormis la France et l'Angleterre où j'ai grandi. J'aurai aimé pouvoir voir un peu plus de pays européens. Et toi, quel est ton plus grand rêve ?"
Finalement, Douglas se rendit compte à cet instant que sa vie n'était pas réellement palpitante, à tel point qu'il n'avait jamais nourri un quelconque rêve. C'était peut-être vrai quand on disait de lui qu'il était coincé et qu'il n'était pas intéressant.
Tu ne savais pas dans quell monde tu te perdais. Tu ne savais pas vraiment dans quel univers il t’emportait. Quand il t’explique pourquoi il ne mange pas beaucoup, ton estomac se serre un peu. Tu te sens vraiment très con. Tu te sens chanceux, aussi. Et égoïste, en même temps. Tu n’avais pas eu une enfance catastrophique. Tu n’avais pas eu de père violent. Tu t’en étais plutôt bien tiré, malgré tes crises d’anxiété, malgré ton taf qui te déplait et tes problèmes d’identité. Tu pouvais courir. Tu déconnais un peu, mais tu avais un toit, une bande de potes et un job. C’était déjà ça. Alors, tu finis par te taire. Tu finis par te la fermer, pour essayer d’apprécier un peu ta chance. Pour essayer de trouver un autre sujet de discussion, aussi. Quelque chose d’un peu plus beau, quelque chose d’un peu plus joyeux. Des espoirs. Des rêves. Il disait ne pas en avoir. C’était triste. En entendant ça, tu te demandais s’il était vraiment possible qu’il soit heureux un jour. Peut-être que c’était sa manière à lui de ne plus être déçu. Mais comment est-ce qu’il pouvait avoir envie d’avancer ? L’écriture, peut-être. L’écriture depuis qu’on lui avait interdit de faire du sport. Tu avais envie de le secouer, un peu. Tu avais envie de l’attraper par les épaules, et de le secouer, jusqu’à ce qu’il se mette à vivre. Jusqu’à ce qu’il commence à exister. « Tu as essayé d’être publié ? » demandes-tu, doucement. Parce que tu ne voulais pas non plus le brusquer. Pas encore – mais tu n’omettais pas l’idée que ça pouvait un jour fonctionner. « Mais si tu veux que … Je lise ou quoi que ce soit, je serais pas contre. » souris-tu. Tu essaies d’être encourageant. Peut-être que ça t’évitera de lui poser en permanence les mauvaises questions. Peut-être que ce sera mieux comme ça. Tu ne sais pas. Tu n’en avais aucune idée, en réalité.
« Sinon j'ai toujours rêvé de visiter d'autres pays. Je n'ai quasiment jamais voyagé hormis la France et l'Angleterre où j'ai grandi. J'aurai aimé pouvoir voir un peu plus de pays européens. Et toi, quel est ton plus grand rêve ? » Tu l’as regardé, intrigué. Tu l’as regardé, avant de sourire doucement, tandis que des doigts venaient malaxer le sable autour de vous. « C’est déjà plus que moi. » lances-tu, alors que tu fixes l’océan. « J’ai jamais beaucoup voyagé, ‘fin, déjà, j’ai jamais quitté l’Australie. Quelques fois, avec Nept’, on a loué un mini-van. Pour visiter d’autres coins d’Australie. J’suis jamais trop parti, autrement. Sauf pour les compet’ d’Ultimate. » expliques-tu. Peut-être que ça te manquait un peu, parfois. Peut-être que tu trouvais ça triste, mais tu t’y étais accoutumé. Tu vivais bien avec ce que tu avais. « Mais un rêve … Mmmh, c’est peut-être pas mon plus grand, mais si on arrivait à monter de division cette année avec l’équipe je … J’crois que je serais genre super heureux, tu vois. On a énormément bossé pour y arriver, et ce serait la première fois depuis qu’on a formé l’équipe alors .. Ouais. » Tu ris, un peu. Tu ris, doucement. « C’est un peu stupide, mais je me contente de ça pour le moment. » Peut-être qu’au fond, ce que tu désires par-dessus tout, c’est que Neptune revienne. Peut-être que c’est ton plus grand-rêve en ce moment-même. Mais tu ne pouvais pas dire ça à Douglas. Pas maintenant. Jamais, en fait. « Puis en vrai … J’rêve de quitter mon job. De trouver quelque chose de mieux. » Tu souffles. Tu souffles, alors que tu laisses ton regard se perdre, un peu. « Ça répond pas vraiment à la question de quel est mon plus grand rêve ou du truc que j’aurai toujours aimé faire mais … Faut savoir apprécier les petites choses aussi. » Tu t’es interrompu, juste le temps de reprendre ta respiration. « Puis … Puis j’vais attendre de trouver un autre truc avant de tout plaquer, aussi. Ça m’évitera de me retrouver comme un con. » Comme un idiot, sans rien, à ne pas pouvoir payer ta part de loyer. « C’est comment, la France et l’Angleterre ? C’est différent d’ici, non ? Genre les gens, et tout ? Puis … Puis les saisons elles sont inversées, en plus, non ? »
Douglas n'était pas dupe, il avait bien senti que son aveu avait jeté un froid dans la conversation, mais Archie lui avait demandé, donc il s'était contenté de lui répondre. Alors oui, il aurait pu lui mentir, trouver une autre explication, ou alors tout simplement lui cacher la vérité, mais il était bien trop sincère, et une fois de plus, il lui avait balancé la raison de but en blanc, sans aucun filtre, sans aucune précaution. Le mal avait déjà été fait à l'époque, et même si cette révélation lui faisait toujours mal en revoyant les images de son passif dans son esprit, au moins Archie savait désormais à quoi s'en tenir. Il avait dû en apprendre plus en une soirée qu'au cours de ces longues semaines depuis lesquelles ils partageaient ce logement en colocation.
Archie lui demanda son rêve. Ce qui le faisait rêver. Ce qu'il avait au plus profond de lui de réaliser. Publier un livre était sans doute ce dont il rêvait secrètement. Il aimait écrire, mais il avait surtout découvert cette passion, quand on lui avait interdit de pratiquer du sport pour soulager son coeur. Peut-être que s'il n'avait pas eu cet examen à ce moment, il serait encore en train de faire du sport, et n'aurait jamais pensé à écrire pour s'évader d'une manière ou d'une autre. C'était peut-être une bonne chose en fin de compte. À la question du jeune homme, Douglas secoua la tête. Il avait presque envie d'en rire tant ça lui semblait idiot comme question. Publier ses écrits ? Il n'avait jamais fait lire à qui que ce soit ce qu'il avait écrit jusqu'ici, ce n'était pas pour envoyer les scripts à une maison d'édition.
" - Non.. Je n'ai même pas terminé quoique ce soit.. Pour l'instant, c'est juste des mots les uns à côté des autres. Mais pas de quoi en faire un livre complet.."
Enfin peut-être que mis bout à bout il pourrait en faire un livre. Un livre dans lequel il livrerai ses pires démons. Un livre dans lequel il se mettrait à nu. La seule chose qui le motivait c'est de se dire que d'autres personnes puissent trouver la force qui lui avait manqué à lui, dans certaines épreuves de la vie. Peut-être même des gamins comme lui. S'il pouvait aider, alors oui, il finirait peut-être par publier ses écrits, mais pour le moment il doutait sincèrement d'être prêt de faire lire toutes ses faiblesses qu'il avait confessé à écrit.
" - Je vais y réfléchir.. Je n'ai pas contre toi, c'est juste que.. Je n'ai jamais fait lire quoique ce soit à quiconque depuis que j'ai commencé à écrire.."
Peut-être que le jeune anglais aurait mieux fait d'écrire une simple fiction, un roman à l'eau de rose, mais comment pouvait-il écrire quelque chose dont il n'avait aucune connaissance ? Ça lui semblait totalement irrationnel.
Archie se livra alors sur ce dont il rêvait. Il n'avait pas spécialement de rêve, à part peut-être partir dans d'autres pays, quitter sa terre natale. Douglas lui, aimerait retourner sur la terre où il est né, retrouver certaines odeurs dont il a encore le souvenir, contrairement à l'Angleterre. Il n'avait pas vraiment envie de retourner sur cette terre où il avait vécu les pires années de sa vie. Archie lui parla de cette Neptune, cette même femme à cause de qui ils avaient de gros différends quand ils venaient tout juste de commencer à cohabiter. Douglas n'avait jamais vraiment cherché à approfondir, chercher à comprendre ce qu'il en était de tout cela. La seule chose qu'il avait compris c'était que le jeune homme en souffrait énormément, encore aujourd'hui, et l'absence de cette femme semblait l'avoir beaucoup bouleversé.
Le jeune anglais ne put s'empêcher de sourire en voyant l'enthousiasme qui se dégageait de son ami lorsqu'il se mit à parler de ce sport qu'il pratiquait. Ils en avaient déjà parlé assez succinctement, mais sans entrer dans les détails. Pourtant Douglas était un sportif dans l'âme aussi, même si maintenant il n'avait plus la même liberté qu'auparavant. Il opina du chef en entendant les propos plus que mature de son interlocuteur. Ne pas aimer son travail et vouloir en changer était une chose, mais attendre d'avoir quelque chose de concret avant de tout plaquer, c'était le plus raisonnable. Mais entre la réflexion d'Archie et celle de Douglas, ils ne devaient pas forcément penser aux mêmes choses.
" - C'est ce qu'il y a de mieux à faire. Et puis, ça te permettra d'avoir un salaire et de chercher en parallèle quelque chose qui te plaira vraiment. Tu as déjà une idée de ce que tu voudrais faire ?"
Archie était jeune, il avait encore tout le temps de retrouver quelque chose qui pouvait lui plaire, il valait mieux le faire maintenant plutôt que de s'en rendre compte d'ici une dizaine d'années, où il sera peut-être trop tard pour changer de carrière professionnelle.
" - Oui c'est différent. La mentalité est différente, la culture aussi. Puis les gens n'ont pas la même manière de vivre. Oui les saisons sont inversées, quand il fait chaud chez vous, nous il fait froid, et inversement, quand vous avez le froid, nous il fait chaud. Mais s'il y a un pays où je voudrais retourner, c'est en France, là où je suis né. J'aimerai bien t'y emmener et te faire visiter la capitale un jour. Je suis sûr que ça te plairait."
Peut-être qu'il s'avançait un peu trop, mais quasiment tous les étrangers aimaient les monuments de la capitale, et étaient souvent en admiration devant. Saisissant une poignée de sable dans sa main, laissant s'échapper les grains par intermittence, il reporta son regard sur son interlocuteur.
" - Est-ce que tu veux bien me parler de Neptune ?"
Voilà où était toute la différence entre les questions d'Archie et les siennes. Archie foncait dans le tas, sans prendre de précautions. Douglas lui, demandait la permission, et si le jeune homme n'avait pas envie d'en parler, alors il n'insisterait pas. Ça venait aussi peut-être du fait que Douglas n'avait que très peu souvent son mot à dire, alors aujourd'hui, il agissait de la même manière.
« Non.. Je n'ai même pas terminé quoique ce soit.. Pour l'instant, c'est juste des mots les uns à côté des autres. Mais pas de quoi en faire un livre complet.. » Tu souris, un peu. « Les nouvelles, ça existe aussi, tu sais. T’es pas obligé d’aligner deux cents pages pour faire quelque chose de bien. » Tu essaies de le rassurer. Tu essaies de le pousser un peu à se lancer, peut-être. Mais il disait qu’il réfléchirait à la possibilité que tu les lises un jour. Parce que personne n’avait jamais lu. Parce que personne ne l’avait jamais lu. « C’est vrai ? » demandes-tu, un peu surpris. C’était dommage, au fond. Dommage que personne n’ait pu découvrir ses mots. Mais en même temps, tu comprenais. Tu comprenais sa réticence pour se mettre à nu.
Tu parles. Tu parles trop, peut-être. Tu expliques tes rêves, à toi. Peut-être que ce n’était pas grand-chose. Peut-être qu’ils ne représentaient pas grand-chose. Mais au fond, tu voulais bien essayer de t’en contenter. Tu voulais bien essayer de les réaliser. « C'est ce qu'il y a de mieux à faire. Et puis, ça te permettra d'avoir un salaire et de chercher en parallèle quelque chose qui te plaira vraiment. Tu as déjà une idée de ce que tu voudrais faire ? » Intérieurement, tu souris. Lui aussi, il devait être plutôt content que tu puisses continuer de payer le loyer. Mais est-ce que tu avais une idée de ce que tu voulais faire ? Tu hausses les épaules. « J’ai pas fait des longues études, tu sais … J’sais pas vraiment ce que je veux faire, et le choix est assez … restreint, si je veux pas retourner à l’école. » Autant être honnête. Autant être réaliste, aussi. « J’veux dire … J’sais vendre des trucs aux gens, hein. Mais c’est un peu tout. … Et bidouiller pour dépanner ton téléphone, si c’est pas trop compliqué. » lâches-tu en rigolant. « Peut-être qu’il suffit juste que je change de boite. Je sais pas. » Peut-être qu’il fallait que tu te décides. Peut-être que tu n’aurais pas le choix. Peut-être que tu serais obligé de reprendre les études, si tu voulais vraiment faire quelque chose qui te convenait.
Douglas te parle du monde de l’autre côté de la planète. De la mentalité différente, de la culture. Et il te propose de visiter la France. La capitale. Tes yeux sont devenus ronds comme des soucoupes. Toi ? Toi, avec lui, à Paris ? « Heu heu … Si tu veux. » dis-tu, encore surpris. « En vrai, c’est gentil, de proposer. C’est juste que je m’y attendais pas trop. » lâches-tu dans un rire, alors que tu viens ébouriffer tes cheveux. Comme si ça allait t’aider. Comme si ça allait te rendre un peu moins nerveux.
« Est-ce que tu veux bien me parler de Neptune ? » Surprise, encore. Décidément. Tu penches la tête sur le côté. Qu’est-ce qu’il voulait savoir de plus ? « Si … Si tu veux. Tu veux savoir quoi ? » demandes-tu. Des trucs que tu ne lui avais pas dit, encore ? « Elle était en famille d’accueil. Ou en foyer. Ça dépendait des moments. Jusqu’à ses seize ans. Puis elle s’est barrée. Elle en a eu marre, et elle s’est barrée. Elle était à la rue. » Parfois, tu l’oubliais. Souvent, tu oubliais ces détails. « On s’retrouvait à traîner ensemble. J’sais même plus pourquoi. J’sais même plus comment c’est arrivé. Un peu comme … Un peu comme si elle était apparue soudainement, comme ça. Tu vois ? » Comme si elle avait toujours été là. Comme si c’était la pièce manquante d’un puzzle. « Quand on a emménagé ici … Elle ramenait toutes les bestioles égarées. J’te jure. » Tu ris. Léger. Et il y avait le chien. Votre chien, à vous. Athos. Tu t’es tu, un peu brusquement. Tu l’avais presque oublié. « Mais … Elle est partie avec le chien, aussi. » Tu t’es mordillé l’intérieur de la lèvre. Il fallait que tu te calmes, un peu. Que tu arrêtes de te tourmenter. « ‘fin, on en avait un, en plus des autres, quoi. Un qu’on ramenait jamais à la SPA. Parce que euh … Parce que c’était le nôtre, quoi. » Tu te sens con. Tu te sens con de l’expliquer comme ça. Mais, tu es sûr que si Douglas cherche bien dans tes affaires, il retrouverait des traces de la bête. Des frisbees mâchouillés. Des disques que tu balançais pour l’occuper. « Et euh … C’était une grosse geek. J’sais pas combien de temps elle passait devant le pc. Puis … On passait nos soirées à mal bouffer et jouer sur la console du salon. » Tu souris, un peu. Tu souris, distant. Dans tes souvenirs. Dans ces vieux moments.
« Dis, Douglas ? … Tu crois qu’on pourrait en prendre un ? » demandes-tu, soudainement. « Un chien. T’es pas … allergique ? » Peut-être que ça vous ferait un peu de bien. Peut-être que ça te calmerait, un peu, d’avoir une boule de poils à t’occuper, plutôt que de broyer du noir sans arrêt.
Douglas n'était pas vraiment pour faire lire ses écrits, encore moins à de parfaits inconnus. Les mots qu'il avait aligné le reflétait, lui et son enfance. En lisant ses écrits, ça donnait la possibilité à la personne de le réduire en cendres, déjà qu'il n'était pas bien costaud. Et puis, même s'il avait changé les noms, les endroits, pour Archie qui le connaissait ne serait-ce qu'un peu, il ne mettrait sans doute pas longtemps à découvrir que le personnage principal, c'est Douglas, et que l'histoire qu'il vit, c'est celle que lui a vécu. Peut-être que ça permettrait à son colocataire d'apprendre aussi à le connaître en dehors de toutes les questions qu'il pouvait lui poser. Peut-être que ça réduirait le vide qu'il y a entre eux après tout.
" - Oui.. À la base, j'avais juste fait ça pour m'évader d'une autre manière que le sport, puisqu'on m'a interdit d'en faire. Alors j'ai commencé à écrire, puis les mots se sont enchaînés de manière assez fluide en fait. Mais pas de quoi avoir un scénario assez plausible pour le faire lire aux professionnels. Ça implique aussi à s'exposer aux critiques, il faut s'y préparer, et je ne suis pas certain d'avoir les épaules pour ça."
En revanche, Archie oui, lui il avait les épaules pour ce genre de choses. Il était fort. Bien plus que le jeune anglais. Puis, ils reprirent alors un sujet plus sérieux, celui de l'avenir d'Archie.
" - Tu sais, tu n'es pas obligé de retourner à l'école. Il suffit que tu trouves un domaine qui te plait, et puis, tu pourras toujours faire une formation de quelques heures, quelques jours peut-être, et au moins, tu pourras avoir un métier dans lequel tu te sens bien et dans lequel tu as envie d'évoluer."
Il n'était jamais facile de savoir ce que l'on veut faire, que ce soit quand on est jeune, ou bien quand on approche de la trentaine. C'est un peu comme une remise en question de tout ce qu'on a vécu jusqu'alors.
" - Peut-être que dans un premier temps tu peux faire ça. Tu peux voir si ça change quelque chose, et si tu vois qu'il n'y a aucune amélioration, tu pourras toujours te décider à changer de boulot."
Douglas était assez mal.plave pour dire quoique ce soit étant donné qu'il faisait encore des études. Qu'est-ce qu'il y connaissait après tout du monde du travail ? Rien. Il était actuellement en stage, mais il n'avait certainement pas vu la moitié de ce qu'Archie avait pu vivre dans son métier depuis qu'il avait débuté.
Le jeune homme aborde ensuite la question que lui a posé son colocataire. Il voulait savoir comment ça se passait de l'autre côté de la planète. Dans sa ville natale. Peut-être qu'Archie accepterai de partir avec lui afin qu'il puisse la lui faire découvrir ? Et cette proposition semblait déstabilisé l'homme qui était à ses côtés. Probablement qui ne voulait pas partir en voyage avec lui. Il n'était clairement pas le partenaire idéal pour ce genre de choses. Alors pour éviter une gêne prolongée il voulait entendre Archie lui parler de cette femme qui semblait tant le perturber. Ce n'était pas vraiment plus serein comme sujet, mais il avait besoin d'en entendre plus sur celle qu'il avait remplacé dans ces lieux et qui n'arriverait jamais à combler totalement son absence auprès du brun.
" - Rien en particulier, j'aimerai bien que tu me parles d'elle, tout ce qui te passera par la tête."
Quand Archie se livra à lui en parlant de Neptune, il le laissa parler. Chaque détail semblait être essentiel dans son esprit, et il ne voudrait pas lui en vouloir. Il voulait juste apprendre à connaître cette femme qu'il ne rencontrera probablement jamais. Puis, il se contenta de hocher la tête quand il expliqua qu'elle était apparue un peu comme un mirage, comme un miracle.
" - Comme si vous étiez fait pour vous rencontrez.." murmura-t-il tout bas pour lui faire comprendre qu'il comprenait ses propos.
Douglas comprenait mieux pourquoi Archie avait été si en colère que ça au début, quand il voulait faire du tri, et qu'il avait osé toucher les affaires de cette femme. Archie y tenait plus qu'il ne l'avouerai jamais. Et Douglas comprenait aussi qu'il était l'exact opposé de cette femme qui manquait atrocement à son ami. Donc il se vengeait sur lui de ce manque qu'il ressentait au quotidien.
" - Euh et bien.. Je ne suis pas très fan des chiens, je ne suis pas vraiment leur ami en général, mais si tu en veux un, alors on peut en prendre un, mais.. Il faudrait que tu puisses t'en occuper.."
C'était ça aussi la contrainte d'avoir un animal à la maison. Il fallait pouvoir s'en occuper au quotidien, mais le jeune homme semblait y être habitué, donc Douglas ne pouvait clairement pas s'y opposer.
Il avait écrit parce qu’on lui avait interdit de faire du sport. Tu tiques, encore. « T’as pas le droit de faire de sport … ? » demandes-tu. Tu devrais peut-être regretter tes paroles. Tu ferais peut-être mieux de faire tourner sept fois ta langue dans ta bouche avant de parler. Mais t’es con. Trop con, probablement, pour vraiment songer à penser. Tu étais probablement un mauvais garçon. « Mais … J’prétends pas que ce soit facile de s’exposer aux critiques mais … qui ne tente rien .. n’a rien. Puis … Peut-être que ça pourrait faire vibrer quelque chose chez … les autres ? » Peut-être que c’était déjà quelque chose. Peut-être qu’il fallait voir ça, plutôt que simplement des abrutis démoralisateurs. Et il y avait toi. Ton taf et toi, plutôt. Et puis ses mots. « Tu sais, tu n'es pas obligé de retourner à l'école. Il suffit que tu trouves un domaine qui te plait, et puis, tu pourras toujours faire une formation de quelques heures, quelques jours peut-être, et au moins, tu pourras avoir un métier dans lequel tu te sens bien et dans lequel tu as envie d'évoluer. » Tu hausses les épaules. Tu hausses les épaules, alors que tes doigts viennent trifouiller le sable. « Tu crois vraiment ? » demandes-tu, intrigué. Qu’est-ce que tu devais comprendre ? Qu’est-ce que tu devais faire ? Est-ce qu’une formation de quelques heures, de quelques jours, allait suffire à changer ton existence ? Tu n’en étais pas vraiment certain. Tu n’en étais absolument pas certain. Peut-être que tu te dégonflais. Parce que tu trouvais que c’était plus facile à dire qu’à faire. Parce que c’était effrayant, de simplement te lancer. De te jeter dans l’inconnu. De tenter quelque chose. Mais peut-être que tu pouvais essayer de regarder un peu ailleurs. De chercher, sans craquer, quelque chose d’autre. Quelque chose de nouveau. Et puis c’était mieux pour lui, aussi. Que tu puisses continuer de payer le loyer.
Et puis tu parles de Neptune. Trop, peut-être. Trop, mais suffisamment pour plonger dans les souvenirs. Peut-être que tu le fais souffrir. Tu ne le réalises pas vraiment, mais peut-être que tes mots ont plus de portée que tu ne le souhaites. Tu devrais peut-être t’en vouloir. Probablement. Peut-être que c’est mieux que de laisser ton esprit se tordre dans tous les sens. Tu as une idée stupide. Tu as cette idée un peu débile. Un chien. « Euh et bien.. Je ne suis pas très fan des chiens, je ne suis pas vraiment leur ami en général, mais si tu en veux un, alors on peut en prendre un, mais.. Il faudrait que tu puisses t'en occuper.. » Tu hoches la tête. Tu pouvais le faire. Tu pouvais t’en occuper – et plus longtemps que si c’était le caprice d’un enfant de dix ans. « Tu es vraiment sûr, genre .. sûr ? » demandes-tu, avec un sourire un peu idiot. « Mais je devrais pouvoir m’en sortir, oui. » dis-tu. Tu y croyais. Tu y croyais sincèrement. « Mais j’veux être sûr que ça te dérange pas. D’accord ? Que je sois pas obligé de … De devoir le ramener, après un nouveau faux espoir. Pour lui. Tu comprends ? » Lui faire miroiter un semblant de famille, puis, à nouveau, l’abandon. Tu ne pouvais pas faire ça à une bestiole. Pas une fois de plus, après tout ce qu’elles avaient vécu. « Tu … Tu pourras peut-être l’apprécier, qui sait. » souris-tu, doucement. Peut-être que ça irait. Peut-être que ça vous aiderait. A vous reprendre. A essayer de respirer, à nouveau. Peut-être que la douceur et la malice d’un animal vous aideraient à mieux vous apprivoiser.