Some say we always only wanna get off, some say our hands are much too soft. Some say our hair is in our eyes, some say we're out of our little minds.
J’avais des offrandes, j’avais tout le temps du monde. Si la tentative de rencard avec Ben avait fini par être un flop total sur papier, mix and match de malchances toutes plus tirées par les cheveux les unes que les autres, n’en restait pas moins qu’on en avait ri, un peu, après. Que le chapitre avait retrouvé tous les autres, tous mes non-dits surtout, mes doutes, mes appréhensions. J'avais foncièrement peur que ça change quelque chose, qu’on ne soit plus Ben et Ginny, juste Ben et Ginny. Jouer aux adultes que j’avais ridiculisé, pointé du doigt, la belle excuse étant qu’on était probablement juste pas faits pour ça, pour les grandes démonstrations, pour les dîners aux chandelles, pour le sérieux de la chose. Si j’avais pris le temps d’y penser un peu plus, j’aurais bien vu que depuis deux ans, c’était une série de rendez-vous qu’on s'initiait l’un l’autre, c’était partie intégrante de notre relation, et que depuis bien longtemps Ben s’était creusé une place bien particulière dans ma vie sans que je ne le réalise vraiment, sans que je ne le comprenne. Naïve Ginny de croire qu’il y avait une marche à suivre, une liste à cocher, de l’espérer du moins, pour connaître le verdict, pour déceler ma réponse. Pourquoi c’était si compliqué? Tad dirait que c’est parce que je complique les choses. Cora exhiberait l’un des magazines que j’avais laissé traîner en pile chez elle, celui avec la quantité industrielle de tests censés me comparer à un personnage de série télé, se fier à mon plat préféré pour me proposer une date de mariage, et m’expliquer en bleu cyan sur blanc crème si j’étais prête à être amoureuse, ou pas du tout. Qui est vraiment prêt, de toute façon? Qui a vraiment un signal d’alerte, un déclic, une étincelle, quoi que ce soit le lui confirmant? Quand Ben était là, je rigolais. J’étais bien, confortable. Quand Ben était là, c’était simple, ça l’avait toujours été - jusqu’à ce que ça ne le soit plus.
Et elle avait bon dos, ma carrière en ce moment, elle qui me gardait si occupée. Les vernissages où je me pointais le bout du nez, les signes de main envoyés à l’irlandais qui passait m'y voir quand ça adonnait à l'horaire, entre deux séances de devoirs d’Adam. Ma routine qui prend son envol, mes premiers pas que je fais par moi-même, sans l’aide de personne. Des essais, des erreurs, de nouvelles rencontres, des amitiés qui se développent, de nouveaux visages qui prennent une place particulière, d’anciennes têtes qui retrouvent leurs marques. Si j’avais bien compris quelque chose durant les derniers mois, c’était que l’important restait de vivre pour moi, de me faire confiance, de me prioriser, et de voir ce qu’il en découlerait. De me donner du temps, de ne rien presser. Personne n’avait envie de forcer quoi que ce soit - et même si je me demandais parfois ce qui aurait bien pu se passer si Noah et Adam ne s’étaient pas disputés ce soir-là, si j’étais restée chez lui, la suite est tout de même nettement plus confortable, plus habituelle. Reine de l’auto-friendzoning, je me complaisais dans les tournois de Mario Kart avec Ben, dans nos débats jusqu’à pas d’heures pour couronner vainqueurs nos remakes de Marvel préférés, dans les banalités, dans notre quotidien, dans le normal, le classique. L’impression d’inachevé que j’avais ravalée les épaules hautes et le sourire un peu plus confortable à chaque jour, palliant sur les blagues lourdes et pas toujours hilarantes qui cassaient mon malaise au fil des semaines, puis des mois. On s’était enlisés encore une fois dans le statu quo, et j’étais trop occupée à me mettre la tête sous le sable pour l’assumer.
Jusqu’à ce que j’ai un doute. Jusqu’à ce que j’ai envie de faire un test, un dernier, un secret. Et au fil de la journée, le plan se clarifie, se décrit, se dessine. Je ramasse divers éléments, enfile le hoodie Star Wars à la garde partagée et son papier de gomme à mâcher identitaire au fond de la poche centrale. File à vélo à travers la ville, repasse en bordure sécuritaire de l’allée où, une vie plus tôt, j’avais perdu l’équivalent d’un très bon paiement d’inscription d'héritier à l’école privée rien que pour garder ma montre Wonder Woman de plastique au poignet. Stationne ma bécane dans le parking commun de l’immeuble, prends pas le temps de remarquer si la moto de Ben se trouve parmi les véhicules, trop occupée à me répéter encore et encore que c’est pas grave si. Si je réalise que je me suis fait des idées depuis le début, ou si je comprends qu’il y a plus. Si mon cerveau tourne dans tous les sens, ou si j’attends effectivement un signe, un seul, un coup de main de l’univers qui me montrera la réponse après que je l’ai tant espérée. Un dernier test, juste pour voir, juste par curiosité, juste parce que c’est Ben, et que ça pourrait être plus. Pas besoin de le dire à voix haute, pas besoin de lui expliquer le raisonnement, ce sera bien mieux pour nous deux si je garde l’issue pour moi, le pourquoi du comment. Si je ne fais que me fier aux quelques premières minutes, à commencer par l’entrée en matière, et les trois coups de rigueur toqués à la porte du cabinet de pigeons, à la recherche de l’associé principal en grandes lettres hors des heures de bureau. « Permission d’entrer, maître Brody? » la serrure déverrouillée me confirme que je peux arrêter de rigoler toute seule, mais surtout, que j’ai des explications à fournir pour justifier être là alors que je sais très bien à quel point Ben devient un tout autre personnage, un type sérieux et posé et presque trop linéaire lorsqu’il enfile sa cravate d’avocat, encore plus en fin de journée, soirée qui s'étire et heures supplémentaires qu'il ne compte plus. « J’ai de quoi excuser le fait que je viens te déranger en plein boulot, et que ça se fait pas, et que y’a aucune bonne raison valable pour troubler ton professionnalisme et ta productivité sans pareil. » et mes mots se suivent les uns les autres rapidement, ils défilent, et se heurtent au silence de la pièce, à aucune âme qui ne semble y vivre. Un coup d’oeil entre la réception et la salle d’attente aménagée dans le hall, et un pas de plus vers son bureau, porte close, lumière fermée. « Pizza quatre fromages? » comme un sésame, comme le mot de passe secret pour qu’il finisse par débarquer, apparaître dans l'embrasure à la volée, et se laisser charmer par la boîte de carton que je fais danser du bout des paumes. Les bouteilles de coca se cognent dans mon sac lorsque je le dépose sur un siège libre à proximité, puis, je finis par m’installer au sol, sortir mon nouveau portable, chercher son numéro ou au moins, le moindre détail dans nos derniers textos me suggérant où il pourrait être, si je l'ai manqué, s'il est parti conquérir le monde à l'autre bout du quartier. Le soleil a longtemps fini de terminer sa course vers l'horizon quand je lève les yeux de mon écran, patiente comme tout.
LOONYWALTZ
Dernière édition par Ginny McGrath le Ven 16 Nov - 19:08, édité 1 fois
Some say we always only wanna get off, some say our hands are much too soft. Some say our hair is in our eyes, some say we're out of our little minds.
Article 32.5.3. Dernières corrections sur le contrat, un hochement de tête des deux partis, et le son des mallettes qui claquaient mirent un point final à l’interminable après-midi de négociations qui s’était écoulé dans cette salle de réunion à la légère odeur de sueur de cerveaux. Petits yeux, pommettes rouges, épaules voûtées, tout le monde se rua d’un pas lent et grinçant vers les ascenseurs, le hall, l’extérieur, où allumer une cigarette et échanger une dernière poignée de main. Le soleil était haut dans le ciel lorsqu’ils avaient commencé ; désormais, sa descente sur l’horizon était bien amorcée. Un peu usé, mais pas peu satisfait de la tournure accommodante de cette réunion pour son client, Ben avait engagé le pas vers sa moto qui attendait dans le parking de l’immeuble, son rouge flamboyant contrastant toujours joliment avec le béton brut des murs humides, même sous les néons blancs encrassés. Il devina un pas, derrière lui, qui accéléra jusqu’à ce que son propriétaire vint à son niveau. “Brody, tu viens prendre l’apéro avec les gars ?” souffla Billy, confrère de la partie adverse, comme si ce court sprint l’avait vidé de son air. Ce n’était pas le premier meeting que ces négociations avaient engendré, et dès le premier contact, Billy avait formulé l’exacte même proposition. Si le Brody avait d’abord cru à de la stratégie, il avait rapidement compris que le trapu petit roux était simplement un être très sociable. Et il l’était, lui aussi, alors pourquoi pas ? “Je sais pas, j’ai du boulot, souffla l’avocat avec une moue contrite, le pied déjà mordu par le piège tentateur. Une grosse négo demain matin, ça le fait moyen si je débarque avec les pupilles éclatées à la tequila.” En cela, Benjamin savait parfois se montrer raisonnable. Cela faisait partie du boulot, d’être présentable, d’inspirer confiance et sérieux. S’il ne l’était pas réellement, dans sa vie quotidienne, cela ne regardait pas ses clients ; mais ceux-ci n’avaient pas besoin de le savoir, et pour cela, ses mauvaises habitudes ne pouvaient transparaître dans son allure. “Oh, allez, juste un verre !” dégaina Billy et son vague accent issu de parents Ecossais qui avaient visiblement su transmettre une part d’héritage -la plus importante- de leurs origines à leur rejeton bien Australien. Il savait où appuyer, quel bouton presser, comment rendre la tentation plus irrésistible encore. Et déjà le brun sentait sa gorge sèche de soif, le genre de fausse soif qui ne se soulage qu’avec la brûlure de l’alcool. Il jeta un coup d’oeil à sa montre; lèvres pincées. Pour Billy, c’était déjà gagné. Il n’avait besoin que d’un mot pour le confirmer. “... okay, juste un verre.” céda l’irlandais. Il reçut immédiatement une grande tape dans le dos tandis que le rire gras de l’autre pilier de bar résonnait dans le souterrain. “Je vous rejoins là-bas.” Un verre. Après, il rentrerait kicker des culs d’adolescents prépubères sur Call of en réseau.
Jeudi est le nouveau vendredi en terme d’afterwork, le constat n’est plus à faire. Dans le bar où la musique est forte, on étouffe, on se bouscule, on ne s’entend pas penser. On joue des coudes et des talons hauts pour se frayer un chemin jusqu’au comptoir, parce que c’est service au bar. C’est l’occasion de palper un derrière, ni vu ni connu. S’il avait été d’humeur aventureuse en matière de goûts, Ben aurait opté pour la plantureuse latina qui avait joué du regard avec quasiment tous les hommes de la tablée pendant un bon quart d’heure avant d’approcher ; c’était Nick qui était finalement parvenu à la pendre à son cou -et être le pigeon payeur des coups de la dame. Non, le Brody était fidèle à lui-même, le Cosmo sur la table et le bras sur le dossier de la banquette, autour des épaules d’une blonde assez silencieuse pour être à son goût. Billy avait payé sa tournée de shots sur les coups de vingt heures. La promesse du “un verre et au lit” s’était vite envolée, noyée dans l’ambiance euphorisante du bar, et si la conscience de Ben lui répétait qu’il allait regretter l’enchaînement de choix de cette soirée, il la balayait d’un revers de la main. L’écran de son téléphone portable s’alluma et l’appareil se mit à vibrer. Le nom de Vittorio apparaissant en toutes lettres, les restes de Maître Brody se rassemblèrent afin de répondre à l’appel, laissant en plan les gars, la fille et la musique pour l’air frais de la rue. C’est en effectuant ce parcours du combattant qu’il comprit que la prochaine tournée de shots se ferait sans lui. Les oreilles encore éprouvées par les décibels, il hurla presque son “allô” dans le smartphone. “Ouais. Il y a cette fille qui fait le pied de grue dans la salle d’attente, et je dois y aller.” “Qui ? Deb ?” Sa petite soeur serait bien du genre à débarquer en fin de journée sans prévenir pour emprunter de l’argent, un chargeur, lui annoncer une deuxième grossesse, comme si de rien n’était. “Non, l’autre.” Loan alors, pas fichue de garder son fils deux jours d’affilée alors qu’elle avait elle-même demandé de l’avoir pour la semaine histoire de jouer à la maman qui prend ses responsabilités, rattraper le temps perdu et blablabla. “Pas la blonde, précisa Vitto avant que Ben ne puisse formuler d’hypothèse, encore l’autre.” Et parmi celles qui se permettraient l'excentricité d’une visite nocturne, il ne restait qu’un nom sur la liste. Immédiatement, quelque chose retomba, une légèreté, un il ne savait quoi. Ce petit bout d’appréhension qu’il avait toujours quand c’était elle, avant de la voir, et après l’avoir vue. C’était une seconde, une respiration encombrée, un battement raté, trois fois rien que lui seul remarquait. L’instant d’après, qu’elle soit sous ses yeux ou au bout du fil, tout allait mieux et la facilité de leur relation, leur alchimie prenait le dessus. Il oubliait ce pincement, jusqu’au suivant. Ben remercia l’italien et lui souhaita une bonne soirée dans la langue natale de celui-ci juste parce qu’il aimait le taquiner avec son accent. Comme toujours, Vitto ne se montra pas réceptif et le brun n’eut que la tonalité de fin d’appel pour réponse.
Immédiatement, Benjamin trouva le numéro de Ginny. Un sourire anima ses lèvres dès lors qu’elle décrocha. “Hé Gin’, mon petit doigt m’a dit que t’es au cabinet.” Son petit doigt s’appelait Vittorio, bien sûr que cela avait toujours été le cas. Il entretenait une relation très fusionnelle avec son petit doigt d’ailleurs, mais cela ne vous regarde pas. “Je peux sentir la pizza à travers le téléphone. C’est un de mes super pouvoirs, ouais.” Il lâcha un rire à sa propre plaisanterie, le genre de rire idiot qu’ont les ados fiers de leur verve qu’ils avaient répété dix minutes le matin dans le miroir avant de filer en cours. Parce que oui, Ben réfléchissait à ce qu’il disait et le calculait bien plus qu’il n’en avait l’air à cet instant, tandis qu’il voulait avoir chill et spontané. Il moulinait, pensait au pincement, à l’intention de la jeune femme, à l’occasion, le tout senteur tequila, sponsor de mauvaises décisions. “Adam est chez sa mère, alors on peut… se retrouver à l’appart.” Tous les deux. Seul à seul. La nuit. En clair, l’idée n’était pas de tripoter du joystick, et si n’importe qui aurait été assez perspicace pour lire entre les lignes, Ben se souvint que c’était Ginny. Avec un peu de chance, il avait encore le temps d’être couard avant qu’elle ne percute, corriger le tir, ni vu ni connu. “Tu sais, histoire que mon bureau n’empeste pas le gras et le fromage grillé.” Pirouette bien réceptionnée. “Je suis en ville, mais je serais là dans dix ou quinze minutes.” L’avantage de se faufiler à moto était de réduire drastiquement le temps entre deux distances. Même l’approximation qu’il donnait à la jeune femme lui semblait large au final. Et encore une fois, il appréhendait autant qu’il avait hâte de la voir. “A toute.” crut-il conclure avant de rattraper son attention en une demi-seconde. “Et Gin ? Bouffe pas toute la pizza sur le chemin, sale goinfre.” Cette fois, il raccrocha, laissant deviner un pouffement idiot avant la tonalité finale.
Sa veste était à l’intérieur. Lorsqu’il réapparût à la table, Benjamin pris le parti de snober la jeune femme qui lui avait jusqu’à présent tenu compagnie et ne s’encombra pas de savoir si elle s’en vexait ou non. Il récupéra simplement son cuir, son sac, vérifia que ses clés ne s’étaient pas échappées de sa poche, et fit signe à la bande de winners qu’il était sur le départ. “Tu t’en vas déjà ma gazelle ?” lança Billy avec la ferme intention de tirer sur la corde de la culpabilisation. Parce que c’était plus viril de boire jusqu’à plus soif, tirer un coup dans les chiottes taguées, passer de la clope à l’herbe et gerber dans le caniveau aux premières heures du matin avant de se rincer la bouche au Starbucks sans sucre. C’était la meilleure offre de soirée avant l’appel avec Ginny. Maintenant, c’était futile. Le Sam du groupe, ironiquement prénommé Sam, prit le relais du poivrot de service auprès de l’irlandais avec la voix de la sagesse ; “Julian a réservé un Uber, si tu veux partager avec lui il attend sur le trottoir.” Une seconde, Benjamin songea que ce n’était pas une mauvaise idée, qu’il avait un peu la flemme de conduire, et il leva les yeux vers l’extérieur où le Julian patientait bel et bien. Et le naturel revint au galop. “S’il continue de dandiner du cul comme ça, c’est pas un Uber qui va l’embarquer.” La blague méritait au moins une tape sur l’épaule, et s’il était toujours capable de vanner plus vite que son ombre, c’était qu’il avait l’esprit encore clair. Ainsi, lorsqu’il décida finalement de balayer la proposition en assurant que “c’est cool, je peux conduire”, personne ne remit sa parole en question et on oublia même rapidement l’heure à laquelle il avait quitté le bar.
Le jeune homme connaissait la route sur le bout des doigts, il en était certain. Alors si sa vue n'était pas tout à fait nette, si quelques panneaux échappaient à sa vigilance, ce n'était pas grave. Il pouvait également se permettre quelques kilomètres à l'heure au-dessus de la limitation de vitesse tant le parcours était fluide dans sa tête, alors qu'il slalomait de manière rapprochée des véhicules de part et d'autre de son engin. Ses paupières n'étaient plus toutes légères et les lampadaires bordant des routes clignotaient dans le coin de ses yeux, leur reflet légèrement éblouissant dans la visière de son casque. Ben crut deviner un klaxon résonner au loin après son passage -des rageux, les conducteurs de voitures. S'il prenait le virage un peu plus serré, il pourrait dépasser celle juste devant lui qui se traîne depuis le haut du boulevard. S'il donnait un petit coup d'accélérateur pour voler son passage à l'orange et s'épargner d'attendre le rouge, il arriverait même un peu plus vite -une minute plus vite. Et ce fût peut-être l'exacte même pensée qui anima le conducteur de l'auto qui déboulait à la gauche du carrefour. Benjamin aurait pu être au feu, encore en train d'avoir les nerfs contre la Fiat qui l'empêchait de passer ; mais il était au même endroit, au même moment que cette voiture. Il n'y eut pas de ralenti dramatique, aucune pirouette en sa faveur dans le timing qui sauverait sa peau dans un crissement de pneus, un soupir de soulagement et un “c'était moins une” qui en ferait une bonne anecdote à raconter en arrivant à l'appartement ; le brun ne la vit tout bonnement pas venir, la taule qui s'écrasa sur son flanc, le fit basculer et l'éjecta une dizaine de mètres plus loin. Il ne réalisa ni l'impact, ni le vol plané, ni le choc de son casque contre le bitume. Souffle coupé, sonné, un bras le brûlait vaguement, une cuisse s'était incrustée de tissu déchiré. Celle-ci, écrasée par la moto, engourdie, le maintenait au sol. Malgré le larsen dans ses oreilles, une pensée claire comme le jour traversa son esprit comme un éclair frappant dans un champ ; il était au milieu de la route, il devait dégager de là, dégager le passage avant de finir sous d'autres roues. Ses muscles étaient engourdis, ses jambes pas assez fortes pour s'arracher à la carcasse de l'engin, ses bras trop tremblants pour se hisser hors du guêpier. Et ce casque qui l'oppressait, lui renvoyait son propre souffle brûlant, l'odeur de la sueur, le cœur battant dans ses tempes, l'adrénaline, la peur. Si un sursaut d'optimisme avait fait croire à Benjamin qu'il pourrait éventuellement s'extirper de là et atteindre le trottoir, la sécurité, la réalité était plus crue là-haut dans le carrefour, là où le feu était vert, où personne ne l'avait vu se faire renverser par le chauffard, et où l'on déboulait en toute confiance. La voiture suivante fit tourner le monde à toute vitesse. Un choc plus tard, le paysage vira à l'obscurité complète.
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Finnley Coverdale
le roux de secours
ÂGE : trente-sept ans, outch (huit août). SURNOM : finn. ariel, aussi, par une certaine grande gueule, il ne valide pas. STATUT : marié depuis deux ans à leslie, suite à une soirée trop alcoolisée. pas pressé de divorcer pour autant. MÉTIER : agent d'entretien au paradise city la moitié du temps, agent de sécurité au casino l’octopus l’autre moitié. LOGEMENT : #406 montague road (west end), en colocation avec cecilia. pour le meilleur, mais surtout pour le pire. POSTS : 10142 POINTS : 180
TW IN RP : alcoolisme, parent toxique, parentification adolescente, emprisonnement, deuil (j'adapte mes rps au besoin, contactez-moi ♡). ORIENTATION : J'aime les jolies filles. PETIT PLUS : mère emprisonnée, père décédé, jumelle rejetée, cadette expatriée : beau schéma familial ≈ contraint d’arrêter ses études pour élever sa petite sœur, il regrette encore d’être passé à côté de ses rêves et envies ≈ a un chien, wernicke, âgé de dix-sept ans, borgne et amputé d’une patte, mais pas (encore) à l’article de la mort ≈ a un sérieux penchant pour l’alcool depuis plusieurs années, décide enfin de se reprendre en main fin 2021 ≈ très curieux, a toujours une soif d’apprendre inépuisable ≈ bienveillant et gentil ou distant et franc, il ne fait pas dans la demi-mesure avec les autres.CODE COULEUR : finnley économise ses mots en darkmagenta. RPs EN COURS : coverdales ⊹ hey brother, there's an endless road to rediscover. hey sister, know the water's sweet but blood is thicker.
sinn #1 ⊹ and there's no remedy for memory, your face is like a melody, it won't leave my head, your soul is haunting me and telling me that everything is fine.
Les yeux fermés, la tête en avant, les dents qui grincent, Finnley semble vouloir faire abstraction des railleries formulées par ce type à quelques mètres de lui, qui interprète le manque de réaction du rouquin comme une invitation à poursuivre ses commentaires auxquels il est en réalité le seul à prêter attention. La respiration qui tente d’apaiser l’esprit, un effort considérable pour relever le bout de son nez afin de prendre conscience du changement de décor, la tête maintenue entre ses mains dans une vaine tentative de stabiliser le monde qui tourne autour de lui, le rouquin a dans l’espoir que maintenir cette position parviendra à faire disparaître ce mal qui frappe contre ses tempes. Mais cet autre type qui ne cesse de hurler met à mal sa patience ; et ses traits se crispent à nouveau, ses poings se serrent, provoquant le léger engourdissement de ses phalanges qui lui rappelle la mauvaise idée qui l’a amené sur ce banc quelques minutes auparavant, lui rappelant aussi la satisfaction que ce geste lui a procuré, lui donnant surtout envie de le réitérer. Le dessein est intercepté par l’employé du bar l’ayant conduit jusqu’à ce banc, maugréant un « tenez votre pote » à l’adresse du groupe non loin d’eux – pas assez au goût de Finn – et repoussant d’un geste aisé, mais ferme, la pénible tentative du rouquin pour se maintenir sur ses deux jambes. « Toi, tu restes à ta place. » Silhouette renvoyée en arrière, nausée qui revient sur le devant de la scène, Finn obtempère par la force des choses. Le regard oscillant entre le barman et l’ivrogne, les fusillant à tour de rôle, le jeune homme tente de mettre à contribution les quelques bribes d’idées sensées qui lui restent à l’esprit pour se sortir de cette situation et filer d’ici avant de dire quelque chose qu’il regretterait, de faire quelque chose d’encore plus stupide que d’envoyer son poing dans la figure d’un type qui lui est complètement inconnu au point de déclencher un combat qui n’a pas connu de vainqueur. Difficile pourtant de trouver une échappatoire quand la seule chose qui le retient de laisser s’exprimer cette agressivité si longtemps contenue est son incapacité à faire deux pas sans être retenu par l’employé du bar – puisqu’il s’agit évidemment de la seule raison l’empêchant d’aller poursuivre son règlement de comptes avec ce type de l’autre côté du trottoir. Dans l’attente d’une issue, Finnley se revoit abattre son poing contre la pommette de cet individu – pour des raisons qui lui échappent totalement à présent, mais qu’il se souvient avoir été parfaitement légitimes au moment voulu ; il se remémore le sourire qui s’est affiché instantanément sur ses lèvres, de cette joie procurée par cette rage qu’il a laissée déborder, une fois, juste une fois, à l’encontre de ce type, dont la seule faute est d’être la mauvaise personne, présente au mauvais moment. Et même le geste qui aurait dû être dissuasif – un juste retour du coup – a finalement eu l’effet inverse ; lui donnant envie de plus, plus de cette sensation d’avoir le droit. Avoir le droit de lancer les hostilités, avoir le droit de répondre, avoir le droit de se sentir bien, qu’importe si la situation ne s’y prête pas. Le fin sourire qui s’est glissé sur ses lèvres en songeant à ce qui aurait dû gâcher la soirée de bien d’autres, mais qui à ses yeux semble donner un caractère particulier à celle-ci, disparaît bien vite lorsqu’il aperçoit la voiture qui s’arrête sur le bord de la route à quelques mètres de lui. « J’ai fait aussi vite que j’ai pu. » Et la silhouette qui s’exprime à peine sortie de l’habitacle ne fait que confirmer que le meilleur est passé, et que lui aussi va connaître l’affront d’une soirée sabotée par un tiers. « Merci de m’avoir appelé, et désolé. » La voix de Jude résonne dans son crâne, mais le rouquin ne daigne pas relever la tête, ne veut pas croiser son regard, alors qu’il cherche déjà mille et une façons de se sortir de ce qu’il interprète comme un piège. « Ouais, c’est ça, contentes-toi de prendre le relai et de le faire dégager d’ici avant que l’un d’eux appelle les flics. » Un geste de la tête en direction de l’autre côté du trottoir et le voilà qui prend congé, obligeant Finn à cesser ses regards noirs et à devenir dorénavant le destinataire de ceux de son collègue et ami.
Assis côté passager sans la moindre idée de la façon dont il est parvenu à se téléporter du banc à ce siège, le rouquin porte une attention démesurée à ses chaussures ; dans l’optique de fixer un point qui permettrait une certaine stabilité à son corps qui ne cesse de se balancer, dans l’optique surtout d’éviter le regard désapprobateur de Jude et les questions – si ce n’est pas la morale directement – qui vont suivre. « Si tu te sens mal, par pitié pense à ouvrir la fenêtre. » Il ne relève la tête que pour appuyer celle-ci contre ladite fenêtre, dans un fracas qui lui provoque un léger grognement. Le regard vide, les paupières lourdes, l’impression de flotter, et la voix de Jude qui s’exprime à nouveau, qui s’agace plus qu’elle n’essaie de communiquer, sa main qui vient tapoter sans délicatesse contre le bras du rouquin. « T’as pas intérêt à t’endormir, mon gars, c’est bien trop facile. » Et un nouveau râle plaintif à chaque fois que Jude fait à nouveau tanguer le monde autour de lui, provoquant le retour de la nausée, plus que le réel agacement de Finnley. Et les yeux qui se ferment de nouveau, Jude qui se manifeste, et ces coups d’œil dans l’habitacle à intervalles réguliers pour saisir une situation que la mémoire efface au fur et à mesure. Cette voiture, lui, Jude, cette perte de conscience que ce dernier lui refuse, cette sensation d’être là sans réellement l’être, le blackout de quelques secondes, la voix de Jude qui revient, encore et toujours, à ses oreilles, bientôt remplacée par la sonnerie stridente du téléphone de son collègue. « Tu vois, ça, c’est ma femme qui m’appelle pour continuer notre dispute, vu que j’ai lâché une soirée en tête à tête pour venir aider un ami. » Finn tourne légèrement la tête, s’abstient toujours autant de croiser le regard de son ami, se contente de prétendre prêter attention à ce qu’il pourrait lui dire, alors que le peu de concentration dont il est capable tente surtout d’essayer de ne pas retapisser le véhicule avec sa bile, de s’extirper de cet état de lipothymie. « Ami qui est même pas foutu de m’expliquer ce qui s’est passé, et qui boude comme un gosse de cinq ans parce que monsieur est sûrement vexé que j’interrompe sa si agréable soirée, j’ai juste ? » Le soupir et le roulement d’yeux de Finnley en guise de réponse ne manquent pas de faire perdre sa patience à Jude, qui ne semble plus être en mesure de s’arrêter. « Tu veux me faire croire qu’en te frappant ce type a aussi endommagé tes capacités d’expressions verbales ? » Sa tête qui tape contre la vitre au gré des chemins empruntés par la voiture demeure toujours plus agréable que la leçon de morale tentée par Jude, qui loin d’être enregistrée par Finn, l’amuserait presque à voir son ami se donner de la peine pour quelque chose qui relèvera d’un vague souvenir d’ici une dizaine de minutes à peine. « Génial, déjà que t’es pas foutu de réfléchir correctement, maintenant t’as la panoplie complète, au moins. » Finn lève une nouvelle fois les yeux au ciel, mais ne parvient pas à cacher son agacement cette fois-ci, même s’il lui faut bien quelques instants pour émerger de cet état semi-comateux dans lequel il s’est plongé depuis son entrée dans le véhicule. « Ouais, c’est bon, je sais, j’ai compris, j’suis un imbécile, j’suis toujours le fautif de la situation. » Il marmonne, à moitié conscient, l’effort de prononcer cette simple phrase ne manquant pas d’être considérable. Sa mâchoire se crispe sans même qu’il ne s’en rende compte, et cette envie de frapper lui picote à nouveau le poing. « Et tu t’en étonnes ? T’as un problème, Finn, il serait peut-être temps de t’en rendre compte. » À ses mots, la main du jeune homme s’active contre la poignée de la porte, sans réellement en avoir conscience, sans réellement savoir où il est, ce qui provoque un léger rire au conducteur. « Sauter d’une voiture en marche, quelle bonne idée. Qu’est-ce que je disais, pas foutu de réfléchir. » Le ton de Jude se veut plus calme, presque taquin, pas suffisamment pour calmer la colère de Finn. « C’est verrouillé. Je te connais trop bien. » Qu’il ajoute, ne récoltant qu’un froid « ta gueule, Jude » de la part du passager, qui dans une tentative de retenir un nouveau haut-le-cœur, ferme les yeux pour cesser d’observer le paysage défiler à toute vitesse. Et sa tête qui tapote la fenêtre, et le silence enfin obtenu de Jude le berce au point où il se sent suffisamment bien pour lâcher prise – sans se douter que ce n’est en réalité pas volontaire, et qu’il s’agit là que des effets des excès de ce soir qui après avoir été jugés bénéfiques plus tôt dans la soirée, font désormais place aux conséquences physiques.
La sonnerie retentit. Une fois. Deux fois, et puis encore. Et elle cesse. Mais la voix de Jude prend le relai. Est-ce vraiment sa voix ? Finn aimerait ouvrir les yeux, confirmer ses hypothèses, et puis plus rien. Plus de souvenirs d’une quelconque hypothèse, et la sonnerie qui retentit, comme si c’était la première fois. Mais c’est la première fois, pas vrai ? Depuis qu’ils ont pris la route, il y a de ça deux minutes. Ou est-ce vingt minutes ? C’est sûrement vingt minutes, peut-être plus. Probablement moins, songe-t-il quand il revient à lui, sans se douter que ce débat interne a déjà été mené il y a quelques secondes. Et la voix de Jude qui s’élève, lui qui s’est tu si longtemps, parce qu’il n’a pas repris la parole depuis qu’il lui a sommé de se la fermer, pas vrai ? Et il s’adresse à sa femme, semble-t-il, et Finn se demande qu’est-ce qu’elle lui veut, parce qu’il ne peut pas le savoir, pas vrai ? Et un semblant de dispute qui s’installe et une impression d’en être fautif alors que ce n’est pas le cas puisque Jude était là, avec lui, à cette soirée, pas vrai ? Pourquoi tout cela semble si abstrait alors que c’est tout ce qu’il y a de plus concret ? Peut-être parce que ce n’est pas réel et qu’il se contente de se repasser le fil d’une soirée terminée depuis longtemps, comme il aurait fallu qu’elle le soit ? Mais la voix de Jude qui s’élève, qui hurle presque, elle, est bien réelle. « Qu’est-ce que… » Et cette ceinture qui le maintient en place au point de lui couper la respiration est bien réelle. Et sa tête qui heurte malgré tout la fenêtre dans un fracas traduisant d’un choc, bien réel lui aussi. Et le contrecoup qui s’ensuit, sa bribe de conscience qui capte le regard sans défense de Jude, et toutes les émotions qui se lisent dans celui-ci. L’incompréhension, la terreur, l’inquiétude. La lâcheté. Et Finn qui ne lâche pas du regard un Jude qui maintient celui du rouquin durant un temps qui semble s’être arrêté. Le premier qui reprend ses esprits, et qui cherche une explication, le second qui espère qu’il les perde à nouveau, et qu’il n’en demande pas. Mais Finn persiste ; et de l’air paniqué de Jude ses yeux se promènent sur ce qui l’entoure, dont les contours, flous, l’empêchent de réellement prendre conscience de la situation. De ce sang qu’il ne sent pas perler le long de sa tempe, de cette voiture incorrectement positionnée au milieu du carrefour, de la silhouette à terre qui n’a rien à faire là à quelques mètres de son côté. Rien de tangible, seules des bribes, captées par un regard qui papillonne mais enregistre – sans réellement le vouloir, sans réellement le savoir. Et le temps qui semble suspendu, l’âme de Jude qui semble avoir quitté son corps, en même temps que Finn reprend peu à peu contrôle du sien, suffisamment pour essayer de s’asseoir de façon à voir au-delà du capot. L’électrochoc qu’il faut à Jude pour revenir d’où il était parti, pour accélérer sa respiration qui s’était coupée, pour redémarrer le moteur qui s’était arrêté, pour reporter son attention sur un Finnley qui ne s’est pas fait prier pour en faire de même sur ce qui l’entoure. Mais pas assez, pas suffisamment pour comprendre, c’est que Jude devine à voir le calme de son ami, inconcevable dans pareille situation, sauf si celle-ci est rendue incompréhensible aux yeux du rouquin. Et les secondes qui défilent sonnent la possibilité pour le rouquin de comprendre ce qu'il se passe sur le moment présent, elles permettent aussi à Jude de comprendre leur impact sur son futur. Sur son travail, sur sa femme, sur ses enfants, sur tout le reste, toutes ces choses bien établies qui risqueraient d'être chamboulées. Qui ne peuvent pas être chamboulées, qui ne doivent pas l'être. Et de la même manière que ces quelques secondes sont celles qui peuvent tout changer, elles sont aussi celles qui lui font prendre une décision inconsidérée, aux conséquences non immédiates qui lui permettent de minimiser celles-ci. Le pied s'enfonce sur l'accélérateur et les yeux jettent un dernier coup d’œil dans le rétroviseur, le regard auparavant porté sur Finnley cherche à tout prix à le fuir. « Un chien. Je-j’ai… j’ai renversé un chien. Errant. » Voix à peine inaudible, cassée, l’importance d’un détail qui n’a pas lieu d’être, reportée sur un qui est pertinent en la traînée de sang sur la tempe du rouquin. L’accélération est brève, mais efficace, tout comme le virage pris pour disparaître du carrefour, serré, qui ne manque pas de provoquer une nouvelle rencontre entre la tête de Finnley et cette fenêtre, sous le regard inquiet d’un Jude qui répète que « c’était un chien errant » et ce sera la dernière bribe de souvenirs du rouquin, cette information passée en boucle dans son esprit pendant les quelques secondes qui le séparent d’un nouveau freinage d’urgence volontaire, d’une nouvelle charge maîtrisée contre l’habitacle, d’une nouvelle absence qui interrompt toute prise de conscience, sous le regard cette fois-ci rassuré d’un Jude qui à toute allure, se faufile désormais dans les rues avec pour seule compagnie la pensée persistante du méfait accompli.
Some say we always only wanna get off, some say our hands are much too soft. Some say our hair is in our eyes, some say we're out of our little minds.
J’aurais pu aller le rejoindre directement, faire entrer la pizza illégalement dans le bar que j’entends en trame de fond lointaine, faufiler le gras et le fromage et mes bonnes intentions de gamine par la porte de derrière, m’installer dans le booth qu’il avait réquisitionné avec ses potes du soir, sa troupe d’apéro, la ribambelle que je lui imagine, pendue à ses lèvres, à la moindre de ses blagues et autres jeux de mots douteux.
J’aurais pu lui offrir gracieusement une place sur mon vélo, siège arrière, me la jouer façon Sons of anarchy de bac à sable, à faire gronder un faux moteur lèvres pincées dents serrées, à crisser des pneus, à éclater de rire à chaque fois où il serait à quelques secondes de tomber, le rattraper dans l’élan par sa veste que je lui pique la plupart du temps en dépit de la cargaison italienne croûte à l’huile d’olive qui aurait trouvé le bitume l’instant d’après.
J’aurais pu reporter à demain, à ce week-end, j’aurais pu lui offrir une porte de sortie, remettre à plus tard, parce qu’on ne presse pas ces choses-là, parce qu’on devrait attendre, prendre notre temps, parce que c’était ça, faire les choses bien. Un an à se convaincre légitimement du contraire, à se dire que rien n’était urgent, que ça irait à quand ça irait, que de toute façon il serait là, et moi pareil. Que mon prochain texto idiot ne manquerait pas son nouvel appel impromptu, et que peu importe le rythme de nos vies respectives, on restait l’un l’autre ambiant, à côté.
« Non, mais… le dérange pas. » à la place, je pouffe de stress, d’inutilité, d’un éclat de fillette aux joues rosies en voyant Vittorio téléphoner au Brody, l’informer de la loque que je fais à attendre à sa porte. Je n’empêche rien, j’encourage presque, l’oeil brillant, mon portable qui vibre une poignée de minutes plus tard, et la voix de Ben, hilare, trop, l’alcool qui grésille, que je ne pointe pas, stupidement trop heureuse de l’avoir au bout du fil. “Hé Gin’, mon petit doigt m’a dit que t’es au cabinet. Je peux sentir la pizza à travers le téléphone. C’est un de mes super pouvoirs, ouais.” les scénarios de “et si” sont dérisoires, pourtant, ce sont eux qui auraient pu tout sauver, mais évidemment, je me cale contre le mur, ramène mes jambes, ne manque aucun mot, renchérit à la suite. « Ton super-pouvoir qui a muté quand t’es allé passer spring break à Rome, oui. » un bref coup d’oeil vers l’avocat qui s’est chargé de passer le message, un sourire d’office, et laisse à Ben tout le loisir de lancer son exposé, de proposer la suite de la soirée. Une brève pensée qui part à ce rendez-vous qui n’en est pas vraiment un, et à comment tout est plus simple ainsi, comment ça l’a toujours été. “Tu sais, histoire que mon bureau n’empeste pas le gras et le fromage grillé. Je suis en ville, mais je serais là dans dix ou quinze minutes.” hochant distraitement de la tête, je ramasse doucement mes affaires, ressert le hoodie contre mon jeans, fait du charme à la boîte considérée comme l’offrande du jour, un « Prends ton temps, y’a pas de soucis... » empli de naïveté qui s’aligne pour justifier le futur “t’arrivais pas alors j’ai mangé une pointe, ok quatre pointes en attendant”. Ben est plus futé comme toujours, et rattrape le tir d’une main de maître. “Et Gin ? Bouffe pas toute la pizza sur le chemin, sale goinfre.” « … merde, busted. » un long soupir de déprime, du genre à être si forcé qu’il en fait mal aux poumons accompagne le déclic du combiné que l’irlandais raccroche dans la foulée. Sachant que je devrai garder mon appétit d’ogre de faire mauvaise figure, je file sans demander mon reste, libérant Vittorio qui part lui-même de son côté. Et les rues se succèdent par coeur, mon vélo frôle les trottoirs, sillonnent les ruelles, les prunelles curieuses d’essayer de voir si je ne finis pas par repérer la moto de Ben à un feu rouge, si je ralentis un peu, si je traîne. Faire la course serait risible, se prendre pour un mauvais remake de Fast and furious m’arrache un éclat de rire ou deux, avant que j’atteigne l’immeuble où habite le duo de Brody sans l’ombre d’un signe de l’un ou de l’autre.
La clé est sous le paillasson, m’enlevant l’impression de jouer aux voleuses de grand chemin lorsque le bout de mes baskets soulève le tapis à l’effigie d’un pun relativement rigolo pour le propriétaire des lieux. Plongée dans la pénombre, j’arrive à me faire un chemin en évitant la majorité des meubles et des trucs traînant au sol, finissant par ouvrir une lampe en me fiant à mon sens de l’orientation qui m’égare entre la cuisine et la salle de bain, une ecchymose ou deux comme dommages collatéraux. D’office, mon regard est attiré par les consoles de Ben, la collection de jeux vidéos que je me mets en tête de classer par nom, puis par couleur, puis par coolness de chaque personnage principal. Une minute passe, une dizaine d’autres. Mon attention dérive vers les quelques plantes vertes que je soupçonne Heidi d’avoir installées au salon pour donner un brin de fraîcheur à l’endroit, plantes complètement défraîchies qui à mon sens méritent d’avoir une rasade d’eau bien méritée. Et je leur parle, presque, à voix si basse que je pourrai facilement démentir si la rumeur est vraie et que l’appartement entier est empli de caméras et micros d’espions, comme on avait bien pu faire croire à Adam au dernier poisson d’avril - pendant à peine 1 minute top chrono. Adam qui me renvoie justement un immense sourire, du genre passible de recevoir une double portion de dessert rien qu’à maintenir la pose, dans la grande photo de classe qui traîne sur l’une des étagères du living. Un coup d’oeil à ma montre Wonder Woman, quelques ramassis hétéroclites plus tard, et je me retrouve à nouveau au point de départ, à errer sournoisement autour de la pizza, à trouver ça dommage, tellement crève-coeur, totalement injuste qu’elle reste délaissée ainsi à refroidir sans qu’on lui offre le moindre mérite. Et mes doigts y vont lentement, y vont à tâtons, à ouvrir le carton, à se retenir, à tenter de se convaincre, pour finir par piquer un bout de pain, un bout de fromage, une part entière. Et une autre. Et une bouchée supplémentaire. La voix et les avertissements de Ben résonnent dans ma tête, se cognent aux parois de ma cervelle annihilée par le doux fumet qui rend mes paumes si graisseuses, et je prédis déjà qu’il va s’emporter, qu’il va rager, à la seconde où il verra les vestiges de sauce tomate au coin de mes lèvres. Le sprint vers le réfrigérateur se fait en vitesse grand V, et je la joue totalement yolo lorsque j’attrape une bière le plus naturellement du monde. Ginny lets loose, c’en est presque marrant. J’envoie un selfie à Jill pour la rendre fière, lui fait promettre de ne pas montrer à Noah qu'elle babysit ce soir pour la forme, je me bats avec le décapsuleur trop longtemps pour ne pas avoir honte, et je finis par prendre une gorgée de la victoire sans - presque - en renverser sur mon menton.
Le silence de l’appartement est troublé par la musique du générique de Link to the past qui joue en boucle, et bien vite, heureusement, par la sonnerie de mon téléphone que je dégaine plus vite que mon ombre. « Ben, c’est loooooong. » évidemment, que c’est Ben au bout du fil que je pense, sans même entendre de suite sa voix, le coupant en chantonnant. « Je sais que c’est le genre de plainte que tu adores entendre habituellement. Mais aujourd’hui c’est pas le moment. » le houblon qui me monte à la tête, qui embue mes esprits après une bière même pas terminée qui tiédit sur la table basse. « Oh wait, j’ai vraiment dit ça! » et évidemment, je m’étouffe dans mes gloussements, outrée, ne sachant pas du tout d’où vient la remarque, doutant qu’il y a peut-être un truc qui se cache dans ma bière, du GHB de secours, ou si je suis simplement juste niaise en tout temps. Le jeu est innocent, la remarque est ludique comme tout, je me blottis contre les coussins dans l’attente qu’il justifie le retard monstrueux qui sera ma porte de sortie lorsqu’il m’accusera de lui avoir laissé à peine quelques miettes de pizza. En même temps, son absence m’a permis de faire un score presque parfait à ma speed run de Zelda - grand bien lui en fasse.
Mais, c’est pas Ben au téléphone. C’est pas Ben, c’est pas son rire gras, c’est pas sa relance grivoise, c’est pas sa connerie du moment, c’est pas sa nouvelle excuse inventée préférée, infusée de stupidité qui m’en fera rouler des yeux à outrance.
« Dean? »
Il m’explique, du mieux qu’il peut. Dean qui ne s’étale pas, qui use de mots sérieux, qui parle d’Heidi et de Debra, qui mentionne Loan, et Adam. Dean qui use de sa voix sérieuse, celle que je lui imagine prendre en cours, ou mieux au tribunal devant son juge et son jury, le Dean adulte, le Dean aux grandes responsabilités. Le Dean qui doit passer un message, et qui se justifie en le faisant avec des phrases posées, complètes, courtes, concrètes. Dean qui me demande si je vais bien, si je suis en sécurité, si je pense aller à l’hôpital, si j’ai un moyen de transport pour m’y rendre. Si j’ai besoin qu’il passe, qu’il envoie un taxi, tout ce qu'il me faut. Et puis, y’a mes oeillères qui se mettent. Celles qui m’empêchent de trembler, de pleurer, celles qui visent devant et jamais derrière. Mes pas sont calculés maintenant que je ferme tout par automatisme, verrouille sagement derrière moi. Je ne respire pas plus vite, pas plus lentement, j’ai le corps tout entier comme du coton, l’étrange sensation d’être là et de ne pas l’être. Une enveloppe qui traîne à peine des pieds, qui évite de penser à plus loin qu’à l’instant suivant, qui aligne les actions comme des réactions, endolorie, trop mal pour penser à quoi que ce soit. Si je flanche, j’ai peur, si je pense, j’en suis terrifiée. Le trajet se fait sans que je ne le réalise, prise dans le naturel, dans l’effrayant, les mêmes plis qui jadis m’ont sauvé la vie à l’époque de la maladie de Noah, goûtent amer en bouche, me terrorisent, calment le tremblement, m’en sauvent. Et bien sûr, que j’arrive en un morceau à l’hôpital, bien sûr que je connais le chemin par coeur, que les néons ne me font plus rien, à peine qu’ils me brûlent les yeux, la peau. L'ascenseur me répugne, je prends les premiers escaliers du bord, finit par les monter d’un trait sans même laisser ma respiration haletante m’arrêter dans mon élan, les joues bouillantes, le souffle coupé. J’ai les jambes qui brûlent, les mollets qui flanchent, mais jamais je ne cède, jamais je n’arrête, jamais je n’ose penser, juste penser. Penser à la raison pour laquelle je suis là, penser à quoi que ce soit d’autre qu’au couloir, qu’au foutu couloir que je dois trouver, qu’à la porte battante marquée aux urgences que je crains autant que je l’attends, autant qu’elle m’est nécessaire. Mon regard est à vif lorsque j’arrive finalement là où je dois être, là où mon coeur commence à battre trop vite, où mes sens s'affinent, où je sais que si j’ai une seule, une minime, minuscule seconde de trop en ma possession, je risque de craquer. De comprendre, de capter. À la première infirmière qui me remarque, je fais un pas de plus, m’occupe l’esprit, endort les flammes qui me brûlent de l’intérieur, la culpabilité qui remonte, qui finira par tout consumer si je ne parle pas, si je ne dis rien. « Ben, je… il a eu un accident et, je... Benjamin Brody. » elle balaie des yeux les urgences, repère un collègue je crois, lui fait signe et déjà, je sens mes doigts qui commencent à trembler, je sens mes os qui claquent, qui me rattrapent, trop vite, trop mal, trop fort. Je sens tout et je ne voudrais sentir rien, absolument rien. « Et vous êtes de la famille? » les mots me manquent, ma gorge se serre.
J’ignore à quel moment je perds pied, j’ignore à quel moment mon corps tout entier décide de ne devenir que chiffon, que ramassis de chair et de regret, de pleurs et de honte. Et la seconde suivante, une main se pose sur mon épaule, un bras m’enserre pour m’amener à l’écart.
LOONYWALTZ
Dernière édition par Ginny McGrath le Jeu 22 Nov - 16:25, édité 2 fois
Isaac Jensen
le coeur au bout des doigts
ÂGE : 34 ans (13.05.90) SURNOM : Isy STATUT : Penny est le soleil et l'amour de sa vie, l'évidence avec laquelle il écrit sa plus belle histoire et s'autorise à réaliser des rêves de bonheur (06.07.2021) MÉTIER : Infirmier au service des urgences, président de l'association Run for Judy, infirmier bénévole à la Croix Rouge et aux Flying Doctors, sapeur-pompier volontaire et surtout : papa comblé de Jude (13.09.2018), Maia (14.06.2022), Jack et Mila (01.08.2023) LOGEMENT : Penny et lui ont quitté Toowong en 2024 pour s'installer avec leurs enfants à Bayside et y créer leur cocon à l'image entière de leur amour POSTS : 28708 POINTS : 0
TW IN RP : dépression, anxiété, automutilation, idées suicidaires, tentative de suicide, mentions d'abandon d'enfant PETIT PLUS : Emménage à Brisbane en 2003 ∆ il exerce en qualité d'infirmier au st vincent's depuis 2006 puis est affecté aux urgences en 2013 ∆ une suite de blessures anéantit sa carrière de joueur de football australien en 2010 ∆ il attente à ses jours en mars 2018 et reprend le travail en septembre 2018 ∆ finaliste de ROA en 2020 ∆ il se soigne contre son anxio-dépression, après avoir longtemps refusé son diagnosticCODE COULEUR : Isy s'exprime en #9966ff ou slateblue RPs EN COURS :
“Hey Ryan, on te manquait déjà ?” je prononce, doté d’un sourire amical à l’adresse du jeune homme de vingt-et-un ans qui vient de passer la porte des urgences, les ambulanciers articulant les éléments primordiaux relatifs à son état. Le patient abaisse son masque à oxygène, un rictus malicieux pendu aux lippes, prêt à m’offrir une réplique cinglante néanmoins arrachée par une quinte de toux. L’équipe l’emmène dans un box et installé sur le lit du service sous un effort commun, je m’applique aux prélèvements sanguins ordonnés par le résident tandis que ma collègue branche le jeune, affichant ses constantes et autres données vitales. Quelques lectures, je troque le masque à oxygène pour les lunettes et muni de mes tubes annonce : “Je te laisse en bonne compagnie, à plus.” Un clin d’oeil partagé entre Ryan et l’infirmière que je taquine et comme si le destin m’offrait une fleur, je tombe sur une technicienne s’orientant vers le laboratoire à qui je remets les tubes soigneusement étiquetés pour analyses rapides. “T’as de la chance que je t’aime bien, sinon j’te dirais que je suis pas une mule.” Un sourire, j’en profite pour boire une gorgée de mon café gelé suite à son abandon à côté du téléphone qui tinte à peine une seconde que l’agent de régulation le décroche. J’entends les ambulanciers clairement expliciter la situation et balaye le service du regard, anticipant l’arrivée du blessé grave.
Un interne, un résident et le chef de l’unité traumatologique disponibles. Ça me semble cruellement peu alors que Benjamin Brody, trente-trois ans, accident de moto, entre en trombe dans le service. Les vêtements déchirés, les compresses à la volée voilant à peine le corps tuméfié, le magnéto qui semble dérailler, j’ai l’impression de voir le sang s’extirper du corps de l’homme comme si, ironiquement, ça lui était vital. Ça m’interpelle, si bien que je feins prendre le relai de l’ambulancier sur l’insufflateur manuel pour remonter le flux jusqu’à l’artère fémorale sanguinolente, la plaie béante qui recrache le sang sans scrupule. Mon doigt ganté s'impose contre l’hémorragie sous le regard de l’interne qui requiert des précisions précipitamment aux secouristes pendant que je souligne : “Y’a presque plus de pouls”.
Transfert coordonné sur le lit du box, l’aide-soignante s’évertue à séparer le corps du patient le plus rapidement possible de tout tissu empêchant les soignants de procéder. Derechef, une prompte recherche des hémorragies internes est érigée par un fast scan et l’on prend mon relai sur l’artère fémorale de Benjamin. Le chef de traumatologie lance ses ordonnances orales, le nombre de spécialistes autour du blessé suit une courbe exponentielle. Une perfusion est déjà posée, une transfusion de O- est opérationnelle à la demande du médecin urgentiste, un drain véhicule hâtivement. Les tubes sanguins de toutes les couleurs se remplissent de l’autre côté, expédiés urgemment. Les analyses et les ordres se suivent à voix haute, conversation incompréhensible pour les individus extérieurs au milieu. Chaque terme répond à un matériel, une procédure, une tentative de résorption, sous lesquels le corps de Benjamin tangue dangereusement, pantin désarticulé oscillant entre la vie et la mort. Puis, le ton s’oriente vers une autre vitesse alors que le pouls cesse dramatiquement. La chanson “Stayin Alive” retentit dans ma boîte crânienne, le théâtre de la réanimation cardio-pulmonaire débute. L’interne se charge de la ventilation artificielle, son teint aussi livide que le mur derrière lui et je lance les compressions thoraciques, les deux pouces impératifs étant suffisants pour briser quelques côtes déjà fêlées par l’épouvantable collision subie par l’avocat. Un rictus devant le son aussi abominable que distinctif, qui porte au cœur et s’apaise avec la bonne raison de maintenir la personne en vie. “Stop” qu’on me somme après quelques minutes, mes muscles tirés. Les yeux du personnel se rivent sur la machine annonçant le retour de Benjamin et, un soupire de soulagement à peine osé, le manège des injections, examens et procédures rapides redémarre. Une éternité plus tard, une infirmière annonce qu’un bloc opératoire est prêt “Pas trop tôt !” se plaint l’orthopédiste, avant que l’urgentiste ne conclue : “Okay Jensen intube-le et on le monte au bloc. Il est stable.”
Une fois dans les vestiaires, Benjamin sous la responsabilité d’une toute autre équipe, j’expire longuement. Mes yeux se plissent sous les néants brutaux des toilettes et j’enclenche le robinet afin de me débarrasser de toutes traces de mon dernier patient, savonnant avec véhémence mains et avants-bras. Je change ensuite de tenue et reviens au sein de l’aile où je suis affecté aussi propre qu’au début de mon service, trois heures plus tôt. Je passe devant le bureau de l’agent de régulation à la recherche de mon café et sens à peine son regard désapprobateur alors que je termine cul sec mon gobelet. “On va investir dans un thermos pour ton anniversaire.” Je souris doucement, mes doigts tirant le large dossier laissé par une collègue, en quête de nouvelles de Ryan. “Et vous êtes de la famille?” J’entends Josy interroger de manière directe. Je lève les yeux et reconnais de suite Ginny. A peine ai-je le temps de parcourir les quelques mètres séparant mon corps du sien que ce premier s’abat sous l’impact. Mon bras saisit doucement le sien, sans laisser le choix au cœur brisé de me suivre à l’écart, vers un siège avant qu’elle ne s’écroule. Ne détenant que les éléments révélés par Noah et sa mère, j’ai rapidement assimilé le lien unissant Ginny et Benjamin. Il constituait une délicate alliance essentielle entre son passé et son avenir : le trentenaire la renouait avec ses bonheurs enfantins, son naturel singulier, tout en lui insufflant les multiples couleurs de son histoire à venir. Si Noah représentait son monde, Ezra fut son cœur et Matt exprimait sa confiance ; Ben personnifiait son chemin.
Spoiler:
Hj : Et voilà pour moi 100% modifiable et supprimable selon ce que vous souhaitez faire ou estimez plus approprié !
La soirée avait suivi le même plan que les précédentes. C’est-à-dire que Dean avait préparé le repas, tandis que Cora avait longuement cherché sur le catalogue Netflix comment ils allaient occuper la suite et surtout quel film allait pourvoir leur permettre de masquer leur bruit respectif de mastication. Rien dans ce soir n’était prévu pour déroger à cette routine qui s’était installée dans l’appartement et qui faisait que chacun profitait enfin d’un quotidien simple tout en se rappelant en rentrant le soir que quelqu’un est à la maison. Tout avait une marche à suivre et Cora n’avait pas prévu d’en déroger ou d’ajouter la moindre nouveauté à ce qui la satisfaisait grandement : ne plus être seule avec ses deux chats comme une vieille mamie qui n’a plus qu’à attendre le jour J. Désormais, et depuis quelques jours maintenant, Cora pouvait vivre comme le commun des mortels et goûter à une existence sans le moindre problème. Danielle était en prison, Finnley était moins exécrable avec elle, et surtout elle pouvait dessiner les plans d’un avenir qui allait être à elle et qu’elle allait pouvoir tracer en regardant toujours vers l’avant. Non, Cora ne voulait rien changer à ce que sa vie était devenue : calme et paisible, simple et sans accroche.
Ce sont les éclats de lumière de la télévision qui la réveille, alors qu’elle venait juste de jurer à son colocataire que cette fois, elle n’allait pas s’endormir et qu’elle pourrait parler avec lui au petit déjeuner sans avoir à inventer une fin (bien que le jeu soit assez drôle en soi). Visiblement, elle n’avait pas tenue longtemps mais contrairement à d’habitude, Dean n’avait pas cherché à la réveiller. Alors qu’elle prend doucement conscience de là où elle est, de l’heure qu’il est, elle observe que l’avocat n’est plus à ses côtés sur le canapé et que le film passe en sourdine comme pour garder un semblant de vie dans cette pièce avant que ses occupants ne finissent par tout éteindre. Alors qu’elle se redresse, elle aperçoit sa silhouette, un peu plus loin au téléphone. Elle n’entend rien de ce qui se dit, mais dès qu’elle le voit raccrocher, elle s’approche pour savoir ce qu’il se passe. « C’est un peu tard pour le boulot nan ? » Qu’elle demande, pas encore très réveillée, ou plutôt pas encore endormie. Dans cet état de demi-sommeil où les informations partagées ne doivent pas être trop grosses sous peine qu’elle ait tout oublié aussitôt en pleine possession de ses facultés. Sauf que Dean ne répond pas et que malgré l’obscurité, elle discerne une certaine pâleur qui lui noue immédiatement l’estomac. Une seule question se pose à ce moment-là : Qui ? Qui était avec lui au téléphone. Pourquoi ce silence ? Sans ajouter un mot, elle pose sa main sur son épaule et tout dans son regard lui indique de cracher le morceau. « Cora, assied toi. » Il ordonne. Elle exécute et petit à petit, le semblant de sourire qui habitait le visage de l’actrice depuis quelques jours s’efface. Finalement, ses plans sont tombés à l’eau.
Elle sait qu’elle devrait faire attention sur la route. C’est ce que la petite voix de la raison lui crie à l’intérieur alors que tout ce qu’elle pense à faire, c’est rejoindre l’hôpital le plus rapidement possible. Pourquoi ? On se le demande parce que deux minutes n’y changeront rien mais elle ressent le besoin de faire assez vite, de ne pas prendre le risque d’être dans l’ignorance trop longtemps. Dean ne l’avait pas accompagné. Bien que l’émetteur de la nouvelle, il ne se sentait pas à l’aise et il avait encore du monde à appeler pour prévenir de ce qui s’était passé. Elle est donc seule en voiture, avec son imagination qui arrive très bien à simuler la voix du garçon qui lui indique de ralentir, de faire attention aux feux et par la même occasion, ironiquement, aux motards. Il lui faut en tout et pour tout près d’une demi-heure pour rejoindre l’hôpital. Elle ne pense même pas à ce qu’elle va dire, à qui pourra la renseigner. Est-ce qu’Heidi sera là ? Ou bien, la sœur de Ben. Est-ce que ce sera aussi angoissant que ce soir-là, celui où Eireen avait du être transporté d’urgence au bloc ? Est-ce que Finn est là aussi, à travailler, à être pas loin même s’il reste très peu de chances qu’ils échangent des mots ? Tout un tas de question qui trouvent leur réponse quand elle surgit à l’accueil sans reconnaitre le moins visage, à se trouver seule et à ne pas savoir quoi dire ou quoi faire après. A juste être là où elle avait le sentiment de devoir être, perdue entre des cris d’enfants, des bavardages assourdissants de gens qui cherchent leur direction ou un proche, et ce bip-bip incessant dont on ne sait pas d’où il vient.
Pénombre écorchée par les pâles lumières des réverbères du parking. Silence imperturbable rythmé par sa respiration posée. L'ébène les regardait, les véhicules passer. Leurs gyrophares bleus à s'en éclater la rétine, reflets éphémères sur sa peau kaoline. Trois. C'est le nombre qu'elle a eu le temps de voir défiler sans être capable de bouger. Est-ce qu'ils sont impliqués, ceux qui s'apprêtent à être soignés? Le cœur au bord des lèvres, elle avait envie de gerber. Sur son pare-brise, une seule des amendes impayées avait survécu au parcours qu'elle avait mené pour arriver jusqu'ici. Un signe? Ridicule. Son coup d'essuie-glace était vain. Elle s'accrochait. Est-ce que Ben en faisait autant? Putain, il avait tout intérêt à en faire autant! Acharnement dérisoire. Elle finissait par s'envoler. Elle s'écrasait à quelques mètres de là, les pupilles de Debra ne la quittant pas des yeux. L'image devenait floue. Une première larme s'échappait et elle la chassait avec une vivacité qui transpirait la colère. Rapidement suivie d'une seconde et d'une troisième, d'une infinie d'autres il lui semblait. Elle ne savait pas quoi faire.
Pourtant tout était tellement limpide quand elle était partie, laissant des invités derrière elle. Ils pouvaient bien se tirer sans fermer la porte derrière eux ou saccager son appartement en une fête folle à laquelle elle ne participera pas, elle n'en avait plus rien à branler. Il y avait plus important. Il y avait eu Dean au téléphone. Sérieux, trop sérieux. Il y avait eu les images évidentes, pas forcément véridiques mais ô combien blessantes et alarmantes. Benjamin, sa moto, un accident. L'évidence de tout planter pour y aller. L'évidence d'être à ses côtés. Sur la route, elle n'avait pensé à rien. Le vide. Un semblant de musique qu'elle n'entendait pas vraiment. Seulement concentrée sur la route. Ironie du sort. Un quart d'heure, peut-être vingt minutes avant que les roues qui avaient bouffé l'asphalte ne viennent abîmer celui du parking.
Depuis, elle était toujours là. Le cul visé au siège de son tas de ferraille qu'elle aimait tant. Parce qu'elle n'avait voulu penser à rien, le tout lui revenait comme un boomerang. Benjamin était sûrement entre la vie et la mort et elle était incapable de se reprendre, prostrée et en larmes dans un coin du parking, à l'abri des regards dans l'ombre de sa bagnole. La carapace si épaisse qu'elle s'évertuait à porter n'était plus qu'une coquille, si fine, qu'au moment de réaliser, elle s'était fendue sur toute sa longueur. La brèche était douloureuse parce qu'elle pouvait y entrevoir l'avenir sans son frère, sans ce pilier qui la maintenait un tant soit peu dans la réalité, sans celui qui la comprenait le mieux et l'acceptait tel qu'elle était sans se poser de questions ni sans tenter de la faire changer. Ils n'étaient pas jumeaux mais c'était tout comme. Il était ce double, celui qu'on croit éternel, intouchable jusqu'au moment où la fragilité de la vie frappe à votre porte.
« Merde... Merde, MERDE, MERDE! » Les coups contre le volant résonnaient en elle comme les battements de son palpitant en souffrance. Elle n'était pas faite pour ça, Deborah. Elle n'était pas faite pour affronter ce monde là. Sa raison prenait doucement le dessus sur cette peur viscérale d'affronter le pire. Elle ne voulait pas y aller mais elle devait y aller. Une rouquine venait de passer les portes automatiques des urgences. Elle l'avait aperçu quelques fois, sans s'y attarder, elle la devinait juste dans l'entourage plus ou moins proche de Benjamin. Est-ce qu'elle allait être la dernière à passer ces satanées portes?
Un dernier regard dans le rétroviseur central, fissuré, pour finir d'effacer les sillons laissés par son mascara bon marché. Yeux un peu bouffis. Joues rougies. Tant pis. Elle prenait le temps de se faire un queue de cheval, un peu informe, pas vraiment stricte. Elle prenait surtout le courage d'enterrer ses ressentis, de se focaliser sur l'essentiel: Benjamin. Sa propre souffrance, sa propre peine, elle était mise de côté. Elle pouvait attendre. Le claquement de la portière signait sa détermination. Ses Dr. Martens la menaient sans réfléchir vers le bâtiment. Pourquoi son esprit pensait à une clope? Excuse bidon pour s'arrêter encore. Elle ne s'arrêtait pas, se foutait des règles imposées quand elle pénétrait les lieux le cylindre incandescent entre ses lippes sanguines, rajoutant une pièce à la tirelire de son futur cancer.
« Il est interdit de fumer ici. Je vais vous demander de l'éteindre ou de sortir. » Une dernière bouffée. Trop grande bouffée et elle éteignait sa cigarette à même le comptoir. « Benjamin Brody. Je suis sa sœur. » Au regard qu'elle portait à l'agent d'accueil, à cette fumée qui finissait de mourir dans l'air aseptisé, on devinait que ses mots étaient comptés. Comptés pour ne pas craquer. Comptés pour rester droite et digne quand son monde était prêt à s'effondrer. Elle se fichait bien qu'on la prenne pour une dénuée de cœur mais elle n'allait pas pleurer, pas ici, pas maintenant. Ça ne changerait pas les choses, si ce n'était les rendre que plus moroses.
Alors elle attendait, sa patience mise à rude épreuve, son briquet virevoltant entre ses doigts en un signe de nervosité perceptible pour les plus observateurs. Parce qu'elle était la seule à être de son sang, elle était la seule à qui on pouvait donner des informations sur l'état de son aîné. Elle ne doutait pourtant pas qu'autour d'elle, les oreilles des intéressés étaient tout aussi tendues que les siennes. « Il est stable pour le moment. On a pu l'emmener en salle d'opération. » Un instant de silence, la trahison dans les traits de son visage. « Vous devriez en informer vos parents. » Parce que rien ne reste sûr compte tenu de l'état dans lequel il était. Parce que tout pouvait encore basculer. Benjamin et Deborah avec.
Spoiler:
En souhaitant que ça puisse convenir, c'est mon premier rp avec Debra, soyez indulgents. Comme Isaac, c'est entièrement modulable au besoin.
Indiana Jones, voilà le programme de sa soirée. Quelques nachos éparpillés à mi-chemin entre la table basse et le grand canapé, deux verres de vin vidés au fur et à mesure de la soirée et une Cora à moitié affalée sur celui sur qui elle pouvait compter en tous temps. Voilà à quoi ressemblait la soirée typique de Dean Maguire depuis qu’il était revenu vivre chez son amie. Et s’il était évident que ce film était un classique pour des générations, Cora allait encore se réveiller à la toute fin et ne pas comprendre comment il avait pu en arriver là. Et la simple idée de la voir brouiller les pistes par des fins alternatives qui n’avaient ni queue ni tête le faisait sourire, il comptait bien lui adresser une petite moue boudeuse d’un enfant déçu. Enfin, si ses plans se ne changeaient pas. A proximité de lui, son téléphone portable vibra, d’un numéro qu’il ne connaissait pas. Délicatement, il se défit de la posture étrange que son amie avait prise, emmitouflée dans le plaid, puis décrocha. Et là, tout vacilla.
« C’est un peu tard pour le boulot, nan ? » La voix de Cora s’était élevée face à lui, avec ce genre de réflexions habituelles, une réflexion à laquelle il aurait aimé répondre que oui, c’était pour le travail, rien que ça, rien de plus. Les yeux rivés sur l’écran de son téléphone portable qui se mit rapidement en veille pour laisser place au noir, Dean resta de marbre pendant un moment. C’était quoi ce bordel ? Les informations étaient passées tellement vite qu’il n’avait pas eu le temps d’atterrir. Benjamin Brody. Personne de contact d’urgence. Grave accident. Lourdes conséquentes. Hôpital Saint-Vincent. Que fallait-il faire ? Les nombreuses tentatives de renouer les liens avec Benjamin avaient été vaines. Peu à peu, cette amitié digne d’une team Rocket, prête à semer la zizanie partout, à retourner l’Australie dans tous les sens et à bombarder les lieux de leur présence dès que l’occasion se présentait, disparaissait comme nombreux de ses souvenirs. La dernière fois qu’il avait entendu le rire de son meilleur ami, à la suite d’une de leurs idées ou blagues farfelues, datait d’il y a bien trop longtemps pour que ce rire soit finalement faussé avec des sons créés au fur et à mesure du temps. Il ne faisait plus rire celui qui avait été depuis leurs premiers pas cet ami pourtant indétrônable, et la situation actuelle, celle de courir derrière Benjamin, n’amusait plus le jeune Irlandais. Pourtant, il était là, son téléphone à la main, le cerveau mis automatiquement sur pause pendant un moment, la voix des secouristes résonnant encore dans sa tête comme un écho lointain. Comme si, au sommet d’une montagne, on l’appelait à revenir à lui et à appeler à l’aide, surtout.
La main de Cora le ramena à lui, dans un sursaut qu’il aurait voulu dissimuler si la nouvelle ne lui prenait pas autant aux tripes. Il n’avait même pas compris que c’était son appel ou le son de sa voix qui l’avait réveillée. En réalité, à cet instant, il n’aurait même plus pu citer le nom du film qu’ils étaient en train de regarder. Croiser son regard lui rappela que dans la mauvaise nouvelle, il n’allait pas être le seul à sentir le sol se dérober sous ses pieds. Putain de bordel de merde, Ben, qu’as-tu foutu pour te mettre dans une situation pareille ? Un juron intérieur, de multiples questions qui le parcoururent et le regard insistant de Cora qui pesait, de par l’air livide qu’il abordait sans doute. « Cora, assieds-toi. » Une voix rauque, un ton sombre. Et là, il déballa tout ce qu’on lui avait dit. Dans son regard, Cora pouvait immédiatement voir qu’il était démuni. Elle lui mit de nouveau son téléphone portable dans les mains, il savait ce qu’il lui restait à faire. Du moins, dans un premier temps.
Il ne put dire le temps que ça lui a finalement pris. Pour lui, téléphoner et tenter de joindre les personnes proches de Benjamin Brody les unes après les autres, fut la chose la plus difficile par rapport à ces dernières semaines. Si celui qui avait été pendant longtemps son ami n’était pas suffisamment dans un sale état pour ne plus réagir, il aurait sans doute eu un sourire moqueur à l’adresse de Dean de le voir dans cet état : la mâchoire serrée, le corps tremblant, les doigts pianotant fébrilement du numéro de Deborah à celui de Rebecca, en passant par celui d’Heidi et de Ginny. Il ne sut même plus ce qu’il leur disait exactement, il se sentit répéter machinalement ce que les secouristes lui disaient, sans plus ni moins d’informations. « Benjamin. » Point. « Grave accident. » Point. « Lourdes conséquences. » Point. « Hôpital Saint-Vincent. » Point. « Y aller maintenant. » Point final.
Après avoir raccroché le dernier appel, Dean releva les yeux pour chercher une Cora déjà partie. Et si leur discussion avait été brève quant aux intentions de Dean de ne pas se rendre à l’hôpital, une petite voix intérieure ressemblant à celle de Cora lui disait qu’il était en train de prendre la plus mauvaise décision de sa vie. « You chose poorly. » Indiana Jones tournait encore en boucle, le film touchait à sa fin, tout comme Dean aurait pensé que sa soirée allait finir tranquillement, avec une Cora bavant à moitié sur son épaule. Visiblement, cela allait se dérouler autrement. Pour une fois, intérieurement, il admit que Benjamin avait raison quand il disait qu’il était con, terriblement con. Con de se voiler la face et de se trouver des excuses pour ne prendre ni ses couilles ni ses clefs en mains et affronter la dure réalité qui se confrontait à Benjamin. Alors, sans attendre, il quitta l’appartement dans lequel Cora et lui se trouvaient à Spring Hill, pour prendre la route de Toowong. A cet instant-là, tout bien réfléchi, il préférait entendre Benjamin lui cracher à la figure de dégager, mais espérer qu’il était encore suffisamment en bon état pour le lui dire. Suffisamment en bon état pour en rire.
Some say we always only wanna get off, some say our hands are much too soft. Some say our hair is in our eyes, some say we're out of our little minds.
« Pas maintenant, pas comme ça. » que je m’entends penser, fort, à l’intérieur, les mots qui se heurtent contre ma boîte crânienne à chaque pas que je fais loin du jardin. Isaac ayant eu un appel d'urgence, j'ai étiré de quelques minutes seule pour me convaincre, que ça irait. Tentant de redresser les épaules, de respirer mieux, de respirer tout court. La brise extérieure passe à la climatisation suffocante une fois les portes battantes franchies, l’horloge au mur que je ne regarde même pas, ignorant depuis combien de temps je suis ici, depuis combien de temps tout ceci est arrivé. Aucun signe, aucun mot, aucun autre visage familier alors que je traîne des pieds sans vraiment vouloir avancer, me répète le mantra de la lâcheté encore et toujours d’un côté à l’autre de mes neurones embuées. Sans que je ne le réalise vraiment, ma silhouette se faufile entre les brancards, les allées, les lits, patients disloqués. Aboutissant devant une machine à café que j’avais oubliée comme j’étais persuadée de la retrouver ici, ce sont mes doigts anormalement calmes qui se chargent de sortir les quelques pièces de la poche arrière de mon jeans, les insérer une après l’autre sans trembler, entendre avec attention et patience le moteur s'enclencher, les infusions couler à répétition lorsque, gobelet après gobelet, je finisse de remplir un plateau sans même savoir à qui l’offrir, sans même avoir une idée de qui est là, de qui a besoin, de qui que ce soit. N’importe quoi pour garder mes yeux occupés à fixer l’écran électronique qui décrit chaque étape une ligne robotisée à la fois, persuadée qu’à la seconde où je lâche la barre de progression caféinée qui s'illumine avec faiblesse, mes prunelles se vrilleront dans la direction où tous les autres vont, dans celle où filent infirmiers et médecins, où chaque malade est enfoui, derrière, là, par-dessus mon épaule. Et comme une épée de Damocles, c’est insensé de croire que je serai en mesure de tenir droite, de ne pas m’écrouler si j’ai la latitude, la bribe de temps, de regarder par delà où il se trouve. Où ils l’ont emmené.
Les verres bouillants alignés les uns contre les autres, j’entame la marche vers la salle d’attente où chaque pas me fait l’impression d’être un poids supplémentaire disposé sur mes épaules. Mais ce n’est pas le moment, ça ne l’est plus. « Pas maintenant, pas comme ça. » que je me répète, encore un peu, ravalant difficilement, la bouche pâteuse et la langue liée. « Deb... » c’est la voix de la soeur Brody que j’entends dans l’angle, la reconnaissant d’un coup d’oeil à peine, elle et sa clope de nervosité, elle et son ton cassé, cassant, que je tente de calmer, maintenant utile à ça et à rien que ça. Doucement, je m’approche, pose le carton de livraison sur le comptoir dédié à l’accueil, mon regard qui la cherche mais la trouve trop vite, trop mal, et elle qui me file entre les doigts sans que je ne puisse faire autre chose que d’assister, de comprendre. Puis, c’est Cora que je vois, Cora vers qui je m’avance sans y penser à deux fois, aux côtés de qui je me sens un peu plus forte, à peine, suffisamment. Les minutes passent comme des heures, les heures passent comme une vie. Je ne me souviens même plus à quel moment je me suis retrouvée recroquevillée sur l’une des chaises inconfortables de l’allée, mon corps l’épousant sans effort, ma tête à des années lumières d’ici. « Il est stable pour le moment. On a pu l'emmener en salle d'opération. » et je sursaute, comme tout le monde, les premiers mots qu’on nous adresse depuis bien trop longtemps, les premières nouvelles qu’on daigne nous donner. « Vous devriez en informer vos parents. » on s’adresse à Debra, et dans son mutisme, j’ose tourner la tête vers elle, me complaisant avec douleur dans un rôle que je connais par coeur, celui de s’assurer que tous les dommages collatéraux vont bien, qu’ils survivent, qu’ils sont patients, qu’ils ont espoir. « Tu es ok pour leur téléphoner? » j’ignore si mon sous-entendu l’invite à ce que je sois avec elle lorsqu’elle fera l’appel, ou si au contraire il ne s’agit là que d’une confirmation de ce qu’on sait toutes les deux, qu’elle est forte, qu’elle est beaucoup plus forte que moi et n’a besoin de rien ni personne pour s’en charger. Toutefois, j'insiste du regard.
Dean tourne le coin à la seconde où je quitte Deb des yeux. Son air me tord le coeur, sa respiration entrecoupée finit de m’achever. « Il est stable. En salle d’opération. » et je résume du mieux que je peux, ne tente pas de m'attarder à comprendre, à capter ce que je dis, à réaliser ce qui se passe, où Ben se trouve, quelle opération ils lui feront, la suite qui viendra, qui tangue, le reste étant superflu. « J’ai du café, je… j’en ai pour tout le monde. » j’avais oublié. Et il est sûrement glacé maintenant, à avoir attendu par nombreux gobelets que quiconque se serve. Mais le silence nous anime. Plus personne ici n’a envie d’entendre quoi que ce soit d’autre que des nouvelles, plus personne ne parle de peur de manquer la moindre bribe d’informations.
LOONYWALTZ
Dernière édition par Ginny McGrath le Ven 21 Déc - 23:25, édité 1 fois
Some say we always only wanna get off, some say our hands are much too soft. Some say our hair is in our eyes, some say we're out of our little minds.
C’était une très longue sieste dont il ne parvenait pas à s’arracher, songeait Benjamin pendant que les effets de l’anesthésie générale se dissipaient doucement. Comme lorsque l’on se dit qu’on ne va fermer les yeux que vingt ou trente minutes, et que l’on se réveille le lendemain plus fatigué encore qu’avant de s’être allongé. Mais il n’avait pas souvenir de s’être assoupi pour qu’il soit à ce point pénible d’émerger, ni d’être fatigué ou bourré au point que ses paupières soient si lourdes, ses yeux si secs. A dire vrai, il ne se souvenait plus de grand chose. Il avait bel et bien dormi l’équivalent d’une nuit, à l’inverse de tous ceux que les événements avaient gardés éveillés par la force de l’inquiétude ; cela faisait huit heures qu’il avait été ramassé sur le bitume à côté de la tôle froissée de ce qui fut un jour une Yamaha. Ballotté dans l’hôpital, enfermé dans une salle d’opération, ce sont cinq heures de bataille qu’avaient livré chirurgiens et infirmières autour de lui. Mais il n’en avait fallu pas plus d’une pour qu’ils se livrent, d’une voix grave, le diagnostic final à transmettre au troupeau de la salle d’attente. Ils sauvèrent le puzzle intérieur d’os cassées et colmatèrent le poumon perforé. Du reste, tous leurs outils barbares dignes de mécaniciens plus que de médecins ne pouvaient sauver plus. En salle de réveil depuis deux heures, Ben ne ressortait de cette expérience limitrophe de la mort qu’avec la conviction qu’il était temps pour lui d’arrêter la tequila ; il avait passé l’âge des blackouts. Une seconde après l’autre, sa rétine s’adaptait à la lumière de la chambre. Et cela le frappa immédiatement, qu’il s’agissait d’une chambre d’hôpital ; mais la raison, et la gravité que sa présence dans ce lit impliquait, absolument pas. A dire vrai, son esprit empâté dans les marécages de morphine fut rapidement distrait par la présence d’une silhouette dans la pièce. Les courbes typiquement féminines dans une blouse blanche ne pouvaient décidément pas naviguer sous ses radars fraîchement rebootés. “Hé…” il souffla à peine assez fort pour attirer l’attention de l’infirmière qui vit naître sur les lèvres de son patient ce genre de petit sourire narquois auxquels elle était déjà (malheureusement) habituée. “Joli p'tit cul.” Sans lui offrir la moindre réaction, la jeune femme appela le médecin, l’informant sans artifice ; “Il se réveille.”
C’était une nuit agitée dans l’hôpital, et la chambre individuelle dont jouissait l’irlandais pour le moment était un privilège rare. Loin d’être le seul patient du service, il patienta durant un moment dont il fut incapable de déterminer la durée, encore engourdi et somnolant. Cela lui laissa le temps de retrouver ses esprits plus concrètement, et effectuer un rapide constat de sa situation, l’état des lieux se constituant de quelques appareils autour de lui, une perfusion gênante dans son poignet, et une sensation généralisée de fourmillement. Dans la mesure où la moindre respiration trop profonde lui était douloureuse, Ben ne prit pas le risque de mouvoir un orteil tandis que son cou solidement soutenu lui permettait à peine de bouger la tête et donc de saluer l’homme en blouse qui fit son apparition. “Monsieur Brody.” L’homme demeura debout, et toute sa stature indiquait qu’il ne resterait pas longtemps. Ses bras étaient croisés et son regard sans compassion sous deux épais sourcils que le brun nommait déjà des paillassons. Demander comment il se sentait aurait été une totale perte de temps ; de l’attirail qui l’entourait au principe même de sa présence à la place du patient formaient un postulat limpide en soi. Alors le médecin décida de ne pas y aller par quatre chemins. “Écoutez, il n'y a pas de bonne manière de l'annoncer…” mais il y en avait de mauvaises, et l’annonce de but en blanc que le trentenaire passerait le reste de ses jours dans un fauteuil roulant en faisait partie. Pas dans la mare, c’était droit sur son crâne que Benjamin sentit le pavé tomber, le laissant désorienté et enfermé dans un horrible larsen. Par automatisme, il déposa une main sur une de ses cuisses. Et rien. S’il y avait la forme, la chaleur sous sa paume, la silhouette de la jambe sous ses doigts, ce toucher constituait l’unique preuve que le membre était encore rattaché à son corps. Car la cuisse, elle, ne laissait pas deviner le poids de la main, la forme des doigts, et le mouvement du bout des phalanges. Ce témoin d’une présence à sens unique donnait l’illusion de la sensation. Mais s’il était lucide, s’il prêtait attention et acceptait les faits, Ben le savait ; ce qu’il sentait sous sa main était comme mort. Il réalisa instantanément qu’il avait pris ses pattes de gazelle pour acquis depuis son réveil et ne s’était pas inquiété une seule seconde de ce qui était abîmé, cassé ou éventuellement manquant. Il était persuadé d’avoir forcément bougé un pied ou un orteil à un moment de ses longues heures de réveil. L’accident était un souvenir aussi flou que lointain, une scène à laquelle il avait assisté, sans pleinement endosser son rôle dans l’événement. Il avait vu un motard se faire faucher, et il avait occulté l’impact, la frayeur, les os brisés, tout ce qui le mettait au centre de l’incident. Maintenant c’était lui, là-bas à ce moment-là, et ici, à cet instant. La même personne, et plus du tout pour autant. “D'accord.” fut tout ce qu’il trouva à répondre, si tant est qu’il y eût quoi que ce soit à en dire. Le choc le plongeait dans un calme léthargique. Il ne s’était pas tenu aussi tranquille depuis la finale du concours d’orthographe de l’école primaire de Rebecca.
Lorsque son regard s’arracha enfin à la contemplation de ses pieds sous le drap à l’opposé du lit, statiques, subitement inexistants malgré l’ordre que leur répétait son esprit -bougez, allez bouge- il nota qu’il était seul. Et cette solitude ouvrit les vannes d’émotions refoulées ou occultées depuis son estomac noué jusqu’à sa gorge sèche et ses dents serrées. Il sentit cette peine, si aiguë, traverser sa poitrine de part en part ; la douleur des faits immuables et hors de tout contrôle, la fatalité qui le condamnait. Il n’y avait pas de retour en arrière pour effacer une mauvaise décision, LA mauvaise décision qui avait tout fait basculer. Il n’y avait pas de chirurgie, de remède miracle pour refaire ce qui était désormais défait. Il n’y avait pas de solution, pas d’entourloupe, aucune manière de la faire à l’envers pour s’en sortir à moindre frais. Non seulement ne marcherait-il plus, ne courrait-il plus : s’en était terminé des escaliers, de danser, de coucher à tour de bras. Désormais sous la ligne d’horizon du reste du monde, comment allait-il être vu, comment allait-il se redéfinir ? C’était là. C’était comme ça. Et cela serait, désormais, toujours comme ça. Jeté dans le grand bain de sa nouvelle réalité, Ben crut boire la tasse et sentit l’acide dans sa gorge, la brûlure sur ses yeux. Il serra un peu plus les dents, les poings, les paupières. Il ne pleurerait pas. Un Brody ne pleure pas. Il avait le regard rouge, le moral brisé, mais quand il rouvrit les yeux dénué de tout espoir de se réveiller d’un mauvais rêve, il reprit momentanément le dessus. La moitié d’un Brody valait quand même deux fois mieux que n’importe qui.
“Vos amis sont en salle d'attente. Ils sont nombreux, vous avez de la chance.” commenta l’infirmière en redressant le dossier du lit délicatement. Quand elle lui tourna le dos l’espace d’une seconde, Ben se refit la remarque que son postérieur lui plaisait bien, mais se passa de tout nouveau commentaire cette fois. Contrairement au médecin, il lui trouvait trop d’empathie dans le regard, de compassion sur le visage, et la pitié n’était pas une arme de séduction qu’il privilégiait. Elle le plaignait, il était si jeune. Si jeune pour avoir la vie gâchée et faire de chaque jour un marathon d’obstacles à contourner. L’irlandais songea immédiatement qu’il subirait ce regard tous les jours. Que ses amis le porteraient sur lui, de même que sa famille. Sa mère allait être dévastée. Et qu’allait dire Adam ? Comment allait-il réagir ? Benjamin pouvait tenter de faire la liste de tout ce qui allait changer, mais un point en amenait trois autres, et le nombre de tiraits allant en grandissant les uns sous les autres, il sentait le découragement pointer le bout de son nez. “Est-ce que je fais entrer vos proches ?” demanda la jeune femme. Il acquiesça tacitement.
L’exercice à venir le terrorisait. Au fur et à mesure qu’il vit Cora, Debra, Dean, et enfin Ginny dans la salle, Ben doutait qu’il serait capable de réunir assez de talent de comédien pour leur faire croire que tout allait bien malgré tout. L’avocat s’avouait surpris de voir son ancien ami dans la chambre, frauder au milieu des véritables proches. Le moment était mal choisi pour une nouvelle tentative de renouer quoi que ce soit. A moins qu’il se satisfasse tout simplement d’être une fois encore, et de manière définitive, le meilleur d’eux deux. Cora ne faisait pas non plus partie des visages qu’il s’attendait à voir débarquer ici en premier. Les yeux bouffis de sa soeur lui brisèrent le coeur et deviner ses larmes aurait pu lui en arracher presque plus facilement que de ne pas pouvoir se lever pour la prendre dans ses bras. Quant à Ginny, il s’en voulait plus que tout d’être la raison de son retour dans les couloirs de l’hôpital qu’elle avait enfin laissé derrière elle. Il tentait un rictus, ce qui lui parut demander infiniment d’énergie. pourtant il lui parut crucial de faire bonne figure, juste assez pour qu’ils cessent de faire ces têtes d’enterrement. Il devait leur rappeler qu’il était là, qu’il était lui, toujours. “Ne dites rien.” fit-il en les inspectant gravement. “Grâce au coup sur la tête, je peux maintenant lire les pensées. Et vous pensez tous... que j’ai une sale gueule.” Jambes ou pas, tant que sa langue claquait des absurdités, c’était que la situation n’était pas entièrement désespérée.
C’est un tic-tac incessant qui se met en place dès qu’elle a les deux pieds à l’intérieur des murs de l’hôpital. Elle était venue mais pour y trouver qui ? Dean n’était pas venu avec elle, et Heidi, elle n’est pas sûre d’en avoir réellement envie dans un tel moment. S’adresser la parole après plusieurs mois serait quelque chose qu’elle ne saurait pas forcer et cela peu importe l’état de Ben et sa propre culpabilité à laisser passer des embrouilles de gonzesse au milieu de tout ça. Beaucoup de gens circulent très rapidement autour d’elle, ce n’est pas l’endroit où l’on prend le temps d’observer la déco quand on s’y dirige mais elle tourne au ralenti, ne sachant pas que faire vu qu’elle sait pertinemment qu’on ne lui dira rien à elle. Ses yeux cherchent la trace éventuel de Finn qui pourrait aider et sa tête fomente un plan, quitte même à mentir mais esseulée comme elle, elle sait qu’il faudra bien revenir avec quelque chose si elle ne veut pas se retrouver à attendre des heures dans l’espoir vague et surtout illusoire que Ben refranchisse les portes sur ses deux jambes en disant que ce n’était qu’un p’tit bobo et en appuyant sur le côté émouvant qu’elle ait fait un déplacement pour lui, elle qui ne sait qu’appuyer sur le fait qu’il n’est qu’un p’tit con dont elle se fout. Visiblement, elle a menti.
Sa rédemption finit toutefois par se présenter, ou plutôt par se faire entendre quand l’odeur d’une cigarette non-éteinte dans ce lieu pourtant connu pour sa proscription gagne ses narines et que ses oreilles perçoivent au vague une remarque sur ce non-respect des règles et le prénom de Debra Brody qui attirent son regard vers la silhouette de la demoiselle qui bien qu’elle ne l’ait pas aperçue plus tôt, reste fidèle au vague souvenir que Cora avait d’elle et c’est sans attendre de peur que la réponse ne lui file entre les doigts qu’elle se dirige vers la jeune femme, prête à se rappeler à son bon souvenir et à s’imposer afin d’obtenir une réponse à ses questionnements. Elle hésite longuement toutefois, entre l’audace qu’elle doit afficher et son tempérament de fille qui dérange bien assez comme ça, mais du peu qu’elle connait la Brody, le chichi n’est clairement pas invité à ce moment-là et c’est ainsi que la rouquine se contente juste de poser une main sur son épaule, en murmurant son prénom « Debra ? » Autour d’elle, pas de trace d’une personne l’accompagnant et à ce moment, le songe lui vient que de tous ceux qui sont seuls ce soir, peut-être que c’est Debra qu’elle devrait accompagner. La rouquine n’a pas le temps de faire un pas supplémentaire en sa direction qu’une présence s’installe à ses côtés, celle de Ginny à qui elle adresse un regard avant de reprendra la Brody dans sa ligne de mire, de souligner à sa meilleure amie sans le formuler que le moment semble être à qu’elles l’épaulent, même si ça ne parait pas follement naturel que les personnes présentes pour l’aider soient des anciennes conquêtes de son frère et non sa famille. Instinctivement, la rousse finit par avancer et poser délicatement une main sur l’épaule de la jeune femme. Elle n’ajoute rien de plus qu’un « Bonsoir » espérant que les souvenirs fassent le reste sur son identité, qu’elle n’ait pas à expliquer trop longtemps pourquoi elle ose, mais Cora veut être là quand la secrétaire donnera des nouvelles et ça, ça passe par s’approcher de la cadette Brody.
« Il est stable pour le moment. On a pu l'emmener en salle d'opération. » Annonce la demoiselle derrière le comptoir, Cora ne dit rien. Qu’elle écoute déjà, c’est une sacrée prise de position. « Vous devriez en informer vos parents. » Elle se pince la lèvre, se demandant si Dean n’avait pas déjà accompli cette démarche quand elle l’a surpris à passer plusieurs appels. Elle soulèverait bien la question mais le sentiment que ce n’est ni le lieu, ni le moment pour l’ouvrir l’en empêche, surtout que dans la seconde, elle tire la conclusion que si elle n’est pas au téléphone à s’engueuler avec les deux êtres qui vivent de l’autre côté de la planète, c’est qu’ils ne sont pas au courant. « Tu es ok pour leur téléphoner? » demande Ginny, anticipant sur la question de Cora. Cette dernière continue de rester dans son mutisme avec toujours la même idée de ne surtout pas déranger.
C’est à ce moment-là que la silhouette de Dean apparait à travers les gens qui attendent. Son visage transmet la même inquiétude que celui des autres, sauf peut-être celui de Cora qui à ce moment-là, lui adresse un sourire d’encouragement supposé lui faire comprendre qu’il a fait le bon choix en se décidant à venir ici, même si c’est prendre le risque d’une nouvelle rouste par Ben. Il est là où il sentait qu’il devait être et pour la rouquine, c’était le principal qu’il ne nourrisse pas de regret, qu’il sache qu’il a tout fait. Ginny s’avance vers lui, afin de lui partager les nouvelles qu’elles viennent de recevoir. « Il est stable. En salle d’opération. » C’est très peu d’information quand on y pense mais cela transmet le principal, il est encore en vie. Désormais, il ne reste qu’à poursuivre l’attente. Instinctivement, Cora rejoint les côtés de son colocataire et lui prend la main afin de lui communiquer le courage de rester, de ne pas penser que sa place n’est pas là et qu’il va devoir temporiser. « Tu devrais rester près de Debra. Tu es le seul qu’elle connait bien et elle n’a pas l’air d’aller. » Que Cora lui souffle finalement à l’oreille, ne voulant surtout pas qu’elle se retrouve seule, entourée d’inconnue dans un moment comme celui-ci. « J’ai du café, je… j’en ai pour tout le monde. » ajoute Ginny, Cora finissant par acquiescer avant de l’inviter du regard à laisser les irlandais seuls, parce que là, ça peut faire trop d’un coup.
Ils ne dormaient pas. Pourtant, ça avait tout l’air d’un réveil au moment où quelqu’un était venu leur annoncer que Ben avait ouvert les yeux. Du moins, c’est bien un sursaut qu’elle quand la voix atteint ses oreilles bien qu’elle aurait soutenu qu’elle ne dormait pas. Elle avait juste sur les genoux un vieux magazine périmé, qui étrangement avait attiré sa curiosité parce qu’il y figure un article sur elle qui date de l’époque où elle n’était pas encore persona non grata. Curieuse action. La troupe s’était levée d’un pas à l’unisson, prêt à suivre chaque instruction, chaque annonce de la femme en blanc avant qu’elle ne leur demande d’attendre sagement le feu vert pour entrer dans la chambre de Ben. Toujours silencieuse, Cora se prend à tenter de ne pas avoir l’air aussi inquiète et désolée qu’elle ne l’est. Inévitablement, quelques mots sur la nouvelle condition de Ben avait été partagé et connaissant le Brody, elle ne voulait pas donner l’impression qu’elle pourrait l’avoir en pitié. Elle avait hésité avant d’entrer dans la pièce, estimant que quatre personnes, ça peut faire beaucoup et que sa présence n’est pas une obligation mais le mouvement avait été initié et elle sait que si elle sent que la troupe fatigue trop, alors elle ira attendre. Au premier coup d’œil sur Ben, elle se dit qu’il semble en meilleur état que ce qu’elle avait imaginé. Ensuite, viens la culpabilité d’avoir, malgré elle, osé imaginer son état. “Ne dites rien.” Qu’il annonce, alors qu’elle n’avait pas ouvert la bouche. L’idée de prendre la parole ne l’avait pas traversé. “Grâce au coup sur la tête, je peux maintenant lire les pensées. Et vous pensez tous... que j’ai une sale gueule.” Elle ne regarde pas les autres, mais elle imagine que tout le monde a la même pensée, celle qu’il essaie de dédramatiser la chose. Elle ignore si c’est la bonne chose à faire mais si débiter des bêtises semble être la façon dont il veut gérer la situation alors autant marcher dans ses traces et ne pas le contredire, la suite risque d’être pénible et un peu d’autodérision n’a jamais tué personne. « Je ne sais pas pour les autres, mais c’est ce que j’ai toujours pensé de toi perso. » Qu’elle répond, mettant tout son jeu d’actrice pour paraître naturel, comme s’ils étaient encore à ce bourrer la gueule en mangeant des pizzas, à rire sur les pas de Madame Washowski. La suite, ce n’est qu’un silence gêné d’une groupe de gens qui n’a pas les mots et qui dans le fond, galère à faire semblant.
Some say we always only wanna get off, some say our hands are much too soft. Some say our hair is in our eyes, some say we're out of our little minds.
La présence de Cora dans ma périphérie me rassure de suite. Elle n’a pas besoin de dire quelque chose, encore moins de faire quoi que ce soit. Depuis toujours, elle avait ce regard qui m’apaisait, avenant, compréhensif, auquel je me raccrochais dès que je cherchais un point d’ancrage. Cora qui, d’un coup d’oeil, s’assure que tous vont bien, tiquant elle aussi sur Debra alors que je lui propose mon aide, doute qu’elle soit bien utile. Toutes les deux en retrait, toutes les deux en silence, c’est une suite de longues heures qui nous séparent d’un résultat, luttant comme nous pouvons, tentons, pour ne pas penser à l’après. À ce qui peut bien se tramer, à tout ce que les quelques mots engagés tout à l’heure peuvent additionner, à si le verdict est négatif, si la finalité l’est justement, finale. Alors, je pense à Adam. Je pense à Adam qui est avec sa mère, je pense à Adam qui devra faire preuve d’un courage et d’une maturité qu'il, je ne doute pas, a déjà en sa possession pourtant. Il sera fort parce qu’il l’est naturellement, il fera en conséquence, il s’en sortira indemne, et Ben n’en sera que plus fier. Mes doigts enserrent le gobelet de café froid que je n’ai pas touché et que je ne toucherai fatalement pas, mon regard est depuis longtemps vide de sens, vide de tout, mais jamais je n’hausse la voix, jamais je ne risque la moindre parole, profitant des bruits ambiants comme échappatoire, la mélodie qui se joue autour de nous que je connais par coeur d’un autre monde, d’une autre vie. La pédiatrie est deux étages au-dessus et je m’étonne moi-même de ne pas y réfléchir une seule fois, trop occupée à river mes neurones à tout sauf à réfléchir tout court. On l’attendait comme on ne l’attendait plus. À la seconde où on vient nous donner des nouvelles, où on nous annonce l’état des choses, c’est un énorme, un immuable poids qui se soulève de mes épaules - pour s'affaisser sur ma cage thoracique. Personne n’ose parler, à peine j’entends le souffle de Cora à mes côtés, celui de Dean dans l’angle. Je donnerais tout pour revenir en arrière, je donnerais tout pour ne pas avoir la stupide idée de le déranger, je donnerais toute pour être restée à la maison avec Jill et Noah, je donnerais tout pour ne pas me retrouver ici à égoïstement entendre que par ma faute, c’est tout un monde qui s’écroule. Le sien, et le mien en l’occurence.
Lorsqu’un mouvement entre nous s’initie vers la chambre de Ben après qu’on nous ait confirmé que nous pouvions aller le voir, je reste en arrière, suivant tout de même évidemment, les oeillères enfoncées creux. Adam repasse dans ma tête, puis un bref coup d’oeil vers le trio qui me précède, tentant de voir si l’un ou l’une a besoin de réconfort, si je peux aider, si je peux m’occuper à n'importe quoi sauf à ressasser. Mes mains tremblent, je les plonge au plus profond des poches de mon jeans, ravalant durement, prétextant un frisson relié à la climatisation trop forte si besoin. Le calme qui siège dans la chambre de Ben entre en contraste direct et brutal avec l’activité des couloirs derrière nous. M’étonnant de trouver son regard plus vite que je ne l’aurais cru, j’attends patiemment qu’il s’agite, la réplique facile, la blague foireuse toujours de secours. “Ne dites rien. Grâce au coup sur la tête, je peux maintenant lire les pensées. Et vous pensez tous... que j’ai une sale gueule.” la tactique typique du Brody. L’humour envers et contre tout, et malgré le drame, malgré l’accident, malgré mon coeur brisé d’imaginer ce qui se trouve sous les draps, les dommages collatéraux de mon inconscience, je suis rassurée. Il est là, il est toujours là. « Je ne sais pas pour les autres, mais c’est ce que j’ai toujours pensé de toi perso. » Cora en ajoutant une touche m'arrache un sourire en coin, oubliant presque pendant une fraction d'instant où l’on se trouve, pourquoi. Esquissant un pas vers le lit de Ben, je penche la tête, inspire, relève le menton avec un dédain trop exagéré pour être vrai. « L’haleine est pire. » le ton est donné, j’imagine que lui demander comment il se sent, comment il va, comment ça se passe, à l’intérieur, est dérisoire, inutile. J’imagine que même si le besoin criant de connaître ses réponses me brûle de l’intérieur, repousser les questions lourdes de sens, les interrogations qui fâchent est l’ultime façon de tous s’en sortir, de tous assimiler au mieux ce qui viendra une fois la porte franchie, une fois la vie qui reprendra inévitablement son cours.
Alors, je tombe dans ma zone de génie - douteuse, mais confortable malgré tout. Je profite de la distance réduite entre ma silhouette et son lit pour inspecter l’état de plus près, pour voir là où je peux aider, là où je peux être utile. Si je n’oserai pas lui demander ce qui me gruge, je préfère rester dans l’essentiel, et ainsi faire de mon mieux pour adoucir une future réponse. « T’as qu’un mot à dire et je te trouve des oreillers plus confortables. J’ai des contacts. » avoir passé 3 ans de ma vie ici à errer à travers les couloirs m’avait permis ce petit luxe que de savoir où se cachait le placard à draps, oreillers et énièmes coussins supplémentaires. Si je ne pouvais faire qu’une chose, si je ne pouvais être qu’utile pour une seule et unique attention, c’était là ma chance de servir à plus qu'à jouer le triste témoin d'une scène que je n'accepte pas encore, que je n'accepterai probablement jamais.
« Salut. » un simple mot adressé à la rouquine, de ceux banals mais presque déchirant ce soir, parce qu'elle aurait aimé lui dire salut dans d'autres circonstances que celles-là. Ginny était là. Ginny est toujours là quand il s'agit de Benjamin. Croiser son regard, celui qui transpirait cette tristesse que Debra ne voulait pas laisser voir, ça faisait mal. Trop mal pour le soutenir, trop mal pour lui accorder ne serait-ce qu'un mot. Qu'aurait-elle pu dire de toute façon? Merci d'être là... Merci pour le café... connerie! Elle devrait pourtant. Elle devrait mais n'y parvenait pas et la principale intéressée serait sûrement la première à le comprendre. Elle connaissait assez les Brody pour ça, du moins Benjamin, pour savoir que le frère et la sœur ont été conçus dans le même moule, avec cette fuite en avant dès l'instant où il s'agit de sentiments. Alors elle n'avait rien dit, elle s'était contentée d'aller poser ses fesses sur l'une des chaises de la salle d'attente. Ce qu'elle pouvait détester cet endroit. Déjà, la première fois qu'elle était venue, quelques étages plus haut, elle avait haït le moindre mur, le moindre couloir et toutes les personnes qui lui avaient sourit parce que donner la vie se devait d'être un heureux événement. Ce soir, elle le supportait encore moins parce que c'était avec la mort qu'elle flirtait, avec l'incertitude de revoir son aîné en vie et si c'était le cas, dans quel état. L'attente allait lui faire péter un plomb, à un moment ou un autre, ça finirait par sortir et par faire mal et elle craignait ce moment.
Une crainte qui se mélangeait à sa peur initiale et la maintenait éveillée bien que peu active sur sa chaise. « J'en sais rien. » furent les seuls mots qui sortirent d'entre ses lèvres durant des heures. Elle ne savait pas si elle était capable d'appeler leurs parents, pas même si elle devait le faire. Les appeler, ça serait prendre le risque de les faire paniquer et de les faire venir ici en vitesse alors que Benjamin "irait bien" et qu'ils pourraient prendre le temps de venir sans s'angoisser, que les choses ne changeraient pas. Ne pas les appeler, ça serait aussi prendre le risque de les priver d'un possible au revoir à leur fils si jamais les choses tournaient mal. Tout était tellement incertain, bancal. C'était trop de responsabilités pour elle, on la forçait à être cette adulte qu'elle refusait d'être et leurs regards, à tous, pesaient trop lourds pour être supportables. Elle qui n'aimait pas qu'on la prenne en pitié, elle était servie. Alors elle s'était levée, avait brièvement croisé le regard de Dean qu'elle engueulait en silence de ne pas être venu plus tôt et elle était sortie pour prendre l'air, pour finalement téléphoner à leurs parents et pour fumer clopes après clopes dans un semblant de détente qu'elle ne trouverait pas.
Pas avant qu'on vienne les voir, encore des heures plus tard, pour leur annoncer d'abord des faits. Ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir sans être capable de sauver la totalité. Paralysé des membres inférieurs mais toujours vivant et là était l'essentiel. Puis deux heures encore, durant lesquelles Debra avait rassuré sa mère par sms pour qu'ils s'arrêtent de s'angoisser, pour leur dire que Benjamin allait bien, qu'il était toujours en vie. Elle n'avait pas osé aller plus loin parce qu'elle ignorait s'il souhaitait leur dire lui-même ou s'il préférait qu'ils soient au courant avant même de poser un pied sur les terres australiennes... ils avaient le temps pour parler de ça, des heures à vrai dire. Enfin, on était venu leur annoncer qu'il était réveillé et prêt à les voir. C'était tout un monde qui se dessinait à présent sous leurs yeux. Après des heures en salle d'attente, on les menait enfin vers des couloirs plus calmes que ceux des urgences, vers une chambre tout simplement où on les fait encore un peu attendre. L'appréhension se faisait maintenant une place. Réveillé mais dans quel état? Capable de réellement parler ou juste gémir de douleurs? Conscient des choses, de son avenir? Debra était fatiguée. Fatiguée par la nuit blanche subie, par ses pensées, par cette boule à l'estomac qui ne la quittait pas et sur laquelle elle n'était aucun contrôle.
Le soulagement ne la traversait que lorsque ses iris foncées se posaient enfin sur son frère, à demi assis, le regard un peu brouillé par l'anesthésie qui finissait de se dissiper mais l'esprit en alerte, le rictus au coin des lèvres et la connerie sur la langue. Il était ainsi le Brody, personne ne pourrait vraiment lui enlever ça. Deborah ne disait rien, appuyée contre le chambranle de la porte. Cora se chargeait de la répartie et Ginny d'en rajouter une couche en s'approchant du lit. Ils arrivaient à lui arracher un sourire à peine visible cette bande d'idiots! La pression finissait enfin par retomber, trop durement. La fatigue s'y mêlant, deux ou trois larmes s'échappaient malgré elle, les chassant dans l'immédiat pour mieux afficher un sourire. Ce n'était pas un sourire de façade, ce n'était pas des larmes de tristesse. Juste un soulagement trop grand pour que son corps ne manifeste pas le besoin de l'évacuer, une forme de bonheur dans ce grand malheur de le savoir vivant, un poids en moins qui la faisait enfin s'approcher pour mieux s'asseoir au bord du lit et le prendre dans ses bras, pour finir de s'assurer qu'il était bien là, quitte à lui faire mal dans sa grande maladresse. « Je te déteste. » de lui faire ressentir tout ça mais putain, ce qu'elle peut l'aimer pour s'en foutre royalement de ce que les autres peuvent penser de ses larmes si peu souvent montrées. Oui, elle le détestait un peu de trop l'aimer et ça, il savait très bien.