Tess était sur la route depuis Samsonvale pour ramener les dernières affaires de sa maison d'enfance. Elle n'avait toujours pas trouvé de locataire ni même d'acheteur, si bien qu'elle se dit qu'elle pouvait revenir dans sa maison juste pour le plaisir de la nostalgie. La jeune femme était à bord de son 4x4 Ford Ranger rouge, les cartons à l'intérieur à l'arrière. Une fois arrivée dans son nouveau quartier, elle essaya de se trouver une place pour se garer à proximité mais malheureusement, n'eut pas réellement de chance. Vivre dans le quartier où se trouvait la gare et l'aéroport... voilà ce que ça coûtait, putain, Samsonvale allait lui manquer rien que pour ça. Une fois garée à dix mille lieux de son nouvel appartement, la jeune femme prit le premier carton -et non des moindres- et verrouilla sa voiture. Les clefs dans la bouche, elle se baissa pour prendre son carton et commença à marcher en direction de l'appartement d'Owen dans lequel elle allait désormais vivre. Les bras tendus vers le bas, sous le poids de ce carton qui contenait tous les vinyles de la jeune femme, cette dernière commença à souffler comme un bœuf. Ca tirait dans ses mollets et elle qui n'était pas sportive du tout, et qui avait été fumeuse il y a encore un mois... c'était dur. Ses doigts étaient sûrement blancs sous le poids du carton et ses bras s'engourdissaient dangereusement. Elle avait chaud mais elle continua. Elle avait plusieurs mètres à faire avant de tomber sur la porte de l'immeuble. Tess croisa une vieille dame qui la regarda et lui sourit. Pourquoi souriait-elle ? C'était à ce point drôle de voir souffrir les autres en se vantant d'être dans une position plus sympa ? Tess serrait les dents et ferma les yeux une seconde pour se concentrer mais très vite, elle du poser son carton par terre. Elle souffla un grand coup et commença à faire valser ses bras dans tous les sens pour faire partir cette sensation d'engourdissement. Elle regarda autour d'elle, il n'y avait personne, ah si, un mec au loin qui marchait mais elle n'aurait pas su dire si c'était vers elle, ou bien dans la direction opposée. La jeune femme passa ses mains sur son front et lança « non mais j'suis pas vieille à ce point quand même » en se demandant si ça venait d'elle ou bien si ce carton pesait réellement trois tonnes ? L'illustratrice se pencha à avant et commença à vouloir glisser ses doigts entre le bitûme et le carton pour le soulever, mais ses doigts tatoués ne passaient pas. Elle pesta et puis commença à essayer de bouger le carton par tous les moyens, à deux doigts quand même de frapper un grand coup de pied dedans. C'était rageant de ne pas y arriver, non ? Elle avait l'air d'une parfaite idiote là, avec ce carton absolument pas lourd pour les trois quarts des gens au monde. Putain de merde. Elle essaya à nouveau et fini par y arriver, seulement elle n'avait pas prit une bonne position de départ et sentit une douleur naître dans le bas de son dos. Trop concentrée là-dessus, elle en oublia de faire attention là où elle marchait et trébucha sur un morceau de fer qui sortait de là -allez savoir pourquoi. Tess tituba « oh non merde ! » s'exclama t-elle en tenant fermement le carton. « Pas mes vinyles ! » lança t-elle en espérant se voir retenir par quelque chose, n'importe quoi !
“déménageurs de l'extrême” & Courir était le meilleur moyen pour explorer la ville dans ses moindres recoins. Si la voiture était préférée pour des trajets spécifiques et transporter des biens, Yanis se faisait un plaisir de courir au travers de Brisbane pour s'habituer aux paysages. Les ruelles commençaient à devenir familières et petit à petit, il apprenait la ville. Les tours et les détours l'aidaient à se repérer. Ayant un bon sens de l'orientation de base, il ne s'était jamais vraiment perdu ; et même lorsqu'il l'était, il se refusait à utiliser son GPS. Il avait appris à se débrouiller avec trois fois rien et il gardait ses habitudes, si bien ancrées dans son quotidien. La météo étant clémente aujourd'hui, il ne courait qu'avec un simple débardeur et un short de sport, baskets de courses aux pieds. Écouteurs dans les oreilles, il testait cette application si populaire qui semblait avoir motivé bien des gens à courir ; une histoire de zombie qui coursait les runners. Régulièrement dans la distance parcouru l'application lui signalait qu'il avait récupéré quelques objets spécifiques pour des missions, mais aussi s'il devait accélérer, sprinter, ralentir, marcher. C'était sympa, interactif et ludique. C'est ainsi que, pris dans l'histoire et ne faisant guère attention à la distance parcourue, Yanis s'était retrouvé d'un bout à l'autre de la ville. Lui et son endurance hors du commun n'avaient pas lésiné, et c'est en regardant l'heure qu'il s'aperçu que cela faisait bien deux heures qu'il courait en écoutant l'application, ayant effectué plus de sept missions. Il en arrivait à la huitième lorsqu'il réalisa qu'il s'était beaucoup éloigné de son endroit initial. Le coeur battant, la respiration régulière mais forte, il se retrouvait dans un quartier résidentiel. Ne s'arrêtant pas de marcher pour autant, il attrapa la bouteille d'eau à sa ceinture pour en boire deux bonnes gorgées. La sueur coulant le long de son front, suivant sa gorge pour venir mourir sur son débardeur, il ne doutait pas un seul instant qu'il était loin d'être le plus propre de la ville à l'heure actuelle. Enfin, c'était pas comme s'il en avait quelque chose à faire. Curieux de l'endroit, Yanis observait les alentours, ignorant un peu la mission qui se jouait dans ses oreilles. Son regard s'arrêta alors sur une jeune femme qui se baladait avec un gros carton. La voyant au loin, il n'arrivait pas à dire si elle avait du mal ou pas. Il détourna alors le regard, préférant s'attarder sur les jardins environnants. Sympa. Il s'accorda une nouvelle gorgée, puis reposa son regard devant lui. Il arrivait à niveau de la jeune femme qu'il avait vue précédemment lorsqu'il remarqua un mouvement abrupte ; là, au coin de son oeil, pile sur sa droite, quelqu'un tombait. Yanis eu pour réflexe de se précipiter et attraper le carton qui entraînait inexorablement la jeune femme vers l'avant. Le simple fait d'avoir attrapé le carton, plus lourd qu'il n'y paraissait, avait bien empêché la chute totale de la femme.
« Oh là... »
Tenant le carton d'un bras, il l'aide à se releva de sa main libre avant de la regarder, un peu soucieux. S'était-elle blessée ?
« Ca va aller ? C'était moins une. »
Il l'observa un court instant ; cheveux court, toute fine, pas musclée pour un sou. Nul doute qu'elle devait trouver ce carton lourd et vu la façon dont elle était presque tombée, elle devait très mal s'y prendre. Manquerait plus qu'elle se pète le dos à porter ce carton, et qu'elle laisse tout tomber en plus de ça. Puisqu'il était là, autant être utile non ?
« Vous avez besoin d'aide ? Vaudrait mieux éviter de vous briser le dos. »
Sans la critiquer, il se voulait prudent. Si elle ne voulait pas de son aide, il lui redonnerait volontiers le carton, non sans l'observer galérer pour ensuite s'éclipser ─ à chacun ses emmerdes ─ mais il tenait au moins à lui donner la possibilité de ne pas trop forcer. En baissant le regard, Yanis aperçu un bout de fer suspect et, d'un coup sec, l'expulsa un peu plus loin, sous un des buissons voisins. Qui était l'abruti qui avait laissé traîné un truc pareil ? Et si un gosse marchait dessus ou pire, tombait et se tapait la tête dessus ? Le risque zéro n'existait pas. Et s'il y avait bien un truc que Yanis préférait faire, c'était penser à tous les scénarios possibles.
La vision perturbée par le carton qui lui cachait ses pieds, la trentenaire ne fit pas attention à l'endroit où elle marchait. Son pied buta, son corps fut projeté en avant et avec le poids du carton rempli de vinyles, elle ne tarda pas à manquer de peu de se casser la figure sur le trottoir. Mais là, comme un ange gardien pile poil au au bon endroit, au bon moment, le poids que tiraient ses bras lui fut retiré. Un coureur venait de le lui prendre, signalant au passage la maladresse de l'instant et très vite Tess se rattrapa contre le mur de l'immeuble par la paume de sa main tendu. Malheureusement, sa chair s'écorcha un peu au passage, une égratignure, rien de plus. Son avant-bras glissa le long de la paroi lui aussi, s'égratignant également. « Ah » lança t-elle alors qu'elle se rattrapait enfin. Elle venait d'éviter la chute, de peu, mais c'était moins une ! La voix du jeune homme tenant son carton -d'un seul bras, comme si c'était un poids plume- retenti et étant donné que c'était ce qu'elle pensait également, elle ne tarda pas à rire, se gardant tout de même une gêne palpable. « Oui ! Merci beaucoup ! Vous venez de sauver toute ma discographie » lança t-elle en désignant le carton du menton. La jeune femme regarda instinctivement sa main écorchée et puis aussi son avant-bras. Il y avait un peu de sang, mais vraiment pas grand chose, comme lorsqu'on se rappe contre un mur finalement. Elle grimaça légèrement et lorsque l'inconnu lui proposa son aide, elle se sentie conne. Il était en train de courir tranquillement, elle n'allait quand même pas le réquisitionner ? « Vous êtes occupé, j'voudrais pas casser votre rythme » avoua t-elle alors. Elle savait qu'il était préférable pour un coureur de ne pas s'arrêter de courir, c'était même pour ça que la plupart courait sur place en attendant que le feu piéton passe au vert. « Rah quelle cruche » avoua t-elle en regardant de nouveau son bras qui la brûlait un peu sous le coup de la chute. Le bruit métallique contre le goudron du trottoir résonna et Tess se dit à quel point ça aurait pu être dangereux et que ce type l'avait vraiment bien aidé pour le coup. Heureusement qu'il était passé par là et surtout, heureusement qu'il se soit arrêté pour l'aider. « J'ai l'air si gourde que ça ? » plaisanta t-elle alors en posant ses mains sur ses hanches et se courbant légèrement le dos en arrière. « J'ai fait le plus gros de mon déménagement cette semaine, mais il me restait quelques cartons, seulement voilà... tout le monde travaille le lundi sauf les fainéants comme moi » rigola t-elle avant de se rendre compte qu'elle insultait également l'inconnu qui portait encore son carton et qui avait été aussi gentil « enfin non, j'voulais dire... pas des fainéants, on travaille tous, mais heu.. » et puis décida qu'il était préférable de se taire plutôt que de s'enfoncer. Elle fit une moue avec ses lèvres pincées et les lâcha un peu afin de sortir un petit bruit de bouche signifiant sa gêne. « C'est super gentil de vous être arrêté pour m'aider, clairement » et puis s'empressa de le débarrasser de son carton, parce qu'après tout il était ENCORE en train de le porter.
“déménageurs de l'extrême” & Agréable. Ce fut la première impression de Yanis lorsqu'il l'entendit prendre la parole pour le remercier. Il hocha simplement la tête, comprenant que ce qu'il avait dans les bras avait de la valeur. « Pas de quoi. » avait-il simplement répondu. A dire vrai, il n'était pas le genre à installer facilement une discussion, ni même à les ouvrir. Alors l'entendre parler, s'expliquer, être expressive, cela aidait grandement.
D'un coup oeil discret, il regarda ses quelques égratignures. Cela aurait pu être bien pire, mais il aurait tout de même aimé qu'elle ne se blesse pas tout court. C'était toujours un peu décevant de voir quelqu'un, un simple civil, se faire mal en effectuant une tâche toute bête et anodine. Mais cela arrivait. Yanis regarda brièvement la rue et ses alentours, remarquant que malgré l'activité, chacun restait dans sa bulle et personne ne communiquait. S'il partait, c'était sans nul doute qu'elle serait à nouveau livrée à elle-même et que ses précieux vinyles risquaient une deuxième chute. Un peu triste, mais pas si étrange de nos jours. Il pouvait s'estimer heureux qu'en dehors des sms, il n'utilisait aucun autre réseau social. Il reposa alors son regard sur la jeune femme pour lui répondre, ne préférant pas réagir sur la semi-insulte qu'il n'avait pas du tout interprétée comme tel ; libre aux gens de penser ce qu'il voulait, il savait ce qu'il faisait et n'avait rien à prouver de toute manière.
Elle le remercia, encore ; « Y'a pas de mal... » et lorsqu'elle voulu lui reprendre le carton des mains, il l'éloigna d'un bras en haussant les sourcils, montrant clairement qu'il n'avait pas trop confiance en ses bras. Non pas qu'il veuille l'insulter, mais elle venait de se blesser et avait manqué de s'écraser au sol. « ... mais ça ne me dérange absolument pas. Si je propose mon aide c'est bien parce que je suis disponible. Je ne courais plus depuis déjà quelques minutes. » Son visage demeurait neutre, mais l'on devinait aisément qu'il n'avait rien d'hostile et qu'il n'avait pas forcément envie de l'abandonner à son sort. « Si vous tenez absolument à vous débrouiller seule y'a aucun problème je vous redonne votre carton, mais y'aura plus personne pour les rattraper si vous les lâchez. Ca vaut vraiment le coup ? » Son léger accent à la fois arabe et français se fit subitement plus présent. Phrases plus longues, donc forcément l'intonation changeait légèrement. Il était parfaitement compréhensible, mais la différence était notable. Puis sa question n'était qu'une simple question pour qu'elle pèse la valeur de ses biens. Fondamentalement, porter des cartons en marchant était également un exercice et Yanis ne rechignait jamais à mettre ses muscles à l'oeuvre. Il ne payait pas forcément de mine car il n'avait rien du bodybuilder monté en masse, mais ce qui était visible était bel et bien utile. Reprenant normalement le carton, il fit un mouvement de tête pour désigner l'entrée de la résidence. « Vous avez encore beaucoup de cartons ? Considérez que je suis l'aide que vous n'avez pas pu avoir avec vos amis. » Il n'insisterait pas davantage. Certaines personnes pouvaient être bornées et trop fières pour accepter la moindre aide, même devant le fait accompli. Il n'espérait pas forcément qu'elle ne soit pas comme ça mais c'était surtout pour elle que cela serait embêtant, à l'arrivée. Lui, il remettrait son écouteur dans son oreil et s'en irait sans regarder en arrière. A chacun ses problèmes.
Le garçon semblait assez peu bavard aux premiers abords, ce qui ne perturbait pas Tess le moins du monde étant donné qu'elle avait été exactement pareil pendant un bon nombre d'année. Lorsqu'elle s'était approchée pour se saisir du carton qu'il portait, il l'avait arrêté d'un mouvement de bras, se posant le long de son corps et avait l'air d'insister pour lui porter son aide. Tess fut amusée de sa réaction, si bien qu'elle rigola légèrement et puis répondit tout simplement « ah beh écoutes, si la vie me fait un tel cadeau, j'vais certainement pas craché dessus » rigolant encore un peu. A l'entendre, elle avait cru entendre un accent. Quelque chose d'ailleurs, lui rappelait un accent qu'elle avait connu par le passé, mais il y avait quelques intonations qui ne lui disaient rien et qui même, la faisait voyager. En fait, dans sa tête, elle était en train de se demander d'où cet accent pouvait bien venir. Etant native de la région, elle connaissait tous les accents de l'Australie, elle connaissait l'accent anglais, l'accent français, l'accent péruvien et américain bien sûr. Elle connaissait aussi un peu de l'accent arabe, mais c'était pas encore quelque chose qu'elle parvenait à reconnaître aussi facilement. Alors se posant tout un tas de questions, elle fini par se perdre dans son imagination de créatrice, avant que l'inconnu ne vienne la remettre sur la terre ferme. « Non non non, ça ne vaut pas le coup, je vous le laisse bien volontiers » rigola t-elle en mimant de ses mains le refus de prendre ce carton de nouveau dans ses bras. Il désigna la porte d'entrée de l'immeuble et lui demanda si elle avait beaucoup de cartons à monter. La jeune femme regarda elle aussi la porte de l'immeuble -fermée- et puis lança « heu... j'dois avoir 3-4 cartons, plus mon tourne-disques et puis j'ai un tapis aussi » lança t-elle pensive en se tournant vers la direction d'où elle venait et où se trouvait -perdue- sa voiture rouge. Tess ramassa ses clefs qu'elle avait fait tomber au sol au moment de sa chute -et qu'elle tenait dans sa bouche à ce moment là- et puis ouvrit la porte de l'immeuble. Elle chercha quelque chose à coincer sous la porte afin de la garder ouverte et fini par plier un morceau de prospectus publicitaire pour se faire « et voilà... ça devrait tenir » lança t-elle souriante, avant de regarder l'inconnu. « En tous cas c'est vraiment super gentil de m'aider, ça devient rare l'entraide entre inconnus, pas vrai ? » lança t-elle en avançant vers l'ascenseur. « On peut poser ça ici et je monterai tout avec l'ascenseur » lança t-elle. Oui, elle n'allait pas le réquisitionner pour grimper ça dans l'ascenseur jusqu'à chez elle. Le plus dur était fait, de l'ascenseur à son nouvel appartement, elle allait quand même pouvoir s'en sortir, non ? Lorsque le carton fut posé, ils prirent la direction de la rue et elle tourna vers là où était garée sa voiture, précisant oralement ce fait au jeune homme. Le garçon en tenue de sport était en train de voir sa sueur couler ou bien se sécher au fil des minutes passées en sa compagnie, elle espérait qu'il n'attrape pas froid à cause d'elle, ça serait quand même con. « Bien évidemment, je te paye un truc frais à boire quand on aura fini, c'est la moindre des choses ! » sourit-elle en tournant sa tête vers lui afin de voir s'il était réticent ou non à cette idée.
“déménageurs de l'extrême” & Elle n'insistait pas et acceptait volontiers son aide. Yanis ne pouvait s'en empêcher ; il cherchait déjà à la comprendre, à la cerner, pour savoir à qui il parlait. Quelqu'un de relativement souple du coup, qui n'était pas du genre à s'imposer chez les autres ou à se fermer aux idées. Il aurait pu sourire, Yanis, mais ce n'était pas aussi facile. A la place, son regard s'adoucit un peu, plutôt satisfait de se voir accepté et non repoussé. Il ne l'aurait pas pris personnellement mais aurait simplement été déçu de trouver une énième personne incapable de reconnaître ses faiblesses ou de faire preuve de bon sens. « Sage décision. » avait-il juste répondu, comme pour souligner le fait qu'il aurait pensé stupide qu'elle le refuse. Visiblement, il allait devoir faire quelques allers-retours ; son trajet jusqu'ici n'aura donc pas été vain et plutôt même fructueux ; sans nul doute que s'il n'avait pas été dans le coin, elle aurait bien galéré. A l'intérieur de la résidence, Yanis s'avança pour observer silencieusement l'entrée. Un ascenseur en face de lui, ou des escaliers. Il s'apprêtait à se diriger machinalement vers les escaliers lorsque la jeune femme suggéra l'ascenseur, le coupant ainsi dans son élan. « De ? » Il percuta les paroles qu'elle venait tout juste de prononcer alors qu'elle désignait l'ascenseur. « Ah. » Il s'exécuta donc, déposant au sol le carton sans vouloir discuter de la chose. Pas besoin. Elle ferait ce qu'elle veut après ça. Il n'allait tout de même pas la forcer à le laisser se pointer devant chez elle juste pour sauver des vinyles, aussi précieux soient-ils. Alors qu'ils repartaient en sens inverse, Yanis lui répondait. « Les gens n'osent juste plus ; que ce soit demander ou offrir. » Réponse simple pour une idée simple. Il était convaincu qu'il y avait du bon en chacun et que la volonté d'aider serait naturelle pour peu qu'on lui apporte l'intérêt qu'elle mérite. Il pouvait paraître généreux quand lui considérait juste faire le minimum syndical pour ne pas être un salaud de base. Arrivé devant la voiture, l'ancien légionnaire considéra les cartons quelques secondes, écoutant en même temps sa proposition. Il s'avança alors, attrapant d'un côté le tapis qu'il mis sur son épaule, de l'autre un carton sous le bras, le redressant d'un coup sec pour avoir une bonne prise. Se retournant vers la jeune femme, il passa à côté d'elle pour reprendre la marche, tranquille, presque machinalement. Ca ne pesait pas un gramme près des équipements militaires de terrain, pour sûr. « Aucun problème pour moi. » Et c'était tout. Rien de plus. Il marchait vers la résidence, effectuant sa tâche sans rechigner. Yanis ne pensait pas au fait que cela pouvait paraître étrange de rester silencieux en de telles circonstances, qu'il pouvait potentiellement donner l'impression d'être la mule qui fait son travail tandis que le berger marche à côté les bras dans le vent et libre comme l'air. Il passa une nouvelle fois la porte d'entrée de la résidence, se baissa, posa le tout, et repartit en sens inverse. Il n'attendit même pas la jeune femme. Un peu bizarre dites-vous ? Il jeta tout de même un coup d'oeil derrière lui pour s'assurer qu'elle allait bien ─ drôle d'inquiétude ─ avant de pointer un doigt vers elle, sans s'arrêter de marcher. « Vous devriez vous occuper de votre bras, je ramène le reste en attendant. » Et sans plus d'indication, il continuait sa route, le regard devant lui.
Ce qu'il disait était très juste, les gens n'osaient même plus demander, ou accepter de l'aide. Tess avait accepté aujourd'hui, certes, mais il y a encore quelques mois, elle refusait toute aide de quiconque. Qu'il puisse s'agir de ses meilleurs amis, de ses amis, ou d'un inconnu. Mais depuis le Pérou, tout était en train de changer et grâce à cet inconnu, elle en prenait aussi conscience. « C'est vrai, c'est même très vrai en fait » lança t-elle en essayant de suivre le rythme du garçon qui marchait rapidement quand même. Elle accéléra le rythme afin de le suivre alors qu'ils arrivèrent à sa voiture. Elle le regarda alors faire, prendre le tapis -lourd- sur une épaule et puis un autre carton dans une main « ça va aller ? » demanda t-elle pour être sûre. Non pas qu'elle doute de lui, ou de ses capacités, elle les ignore simplement. Hésitante à le laisser repartir comme ça, Tess voulu prendre un carton, mais l'inconnu était déjà en train de repartir, peut-être qu'elle pouvait le suivre ? Ou bien est-ce qu'il comptait tout faire tout seul ? Elle n'en savait rien, mais ça la dérangeait qu'il se tape tout à faire tout seul. Seulement voilà, elle préféra le suivre pour ce trajet, les bras ballants. Le garçon n'était pas très loquace, si bien qu'une fois de nouveau dans le hall de l'immeuble, il déposa le tapis et le deuxième carton près du premier et reprit la route sans demander son reste. Tess était perturbée, parce que ce garçon était simplement en train de l'aider, sans arrière pensée, sans vouloir lui parler, faire sa connaissance, ni même savoir qui elle était et ça avait quelque chose de très simple, de pur et aussi de très authentique à ses yeux. Il faisait ça sans rien attendre en retour, pas même de la reconnaissance, ou de la sympathie et Tess trouvait ça plutôt grand seigneur et même très classe. Il était déjà un peu plus devant elle, quand il se tourna un peu, marchant toujours assez vite et qu'il lui conseilla de soigner son bras. Tess regarda ce dernier et puis haussa les épaules, ça n'était pas bien grave, il n'y avait pas grand chose à nettoyer, pas vrai ? L'inconnu marchait décidément bien vite pour elle, il était presque déjà arrivé à la voiture qu'elle n'était pas à mi-chemin. Elle rebroussa chemin pour retourner dans le hall. Une fois à l'intérieur, elle appela l'ascenseur pour y pousser ses cartons de vinyles ainsi que son tapis. Elle cliqua sur le bouton de son étage, le 4ème et puis se pencha pour saisir ses platines afin de les grimper jusqu'à chez elle. L'inconnu arrivait déjà avec le dernier carton et quand elle l'aperçu, elle lança « du coup j'ai envoyé l'ascenseur là-haut » ce qui signifiait qu'il pouvait soit poser le dernier carton en bas, soit la suivre jusqu'au quatrième. La jolie métisse se mit donc en marche, marche après marche, le souffle court et le corps commençant à chauffer, avec son tourne-disque en main. Il faisait soudainement chaud et ses mollets commencèrent à se contracter. Olala, la fille pas sportive pour un sous, mon dieu. Il devait s'impatienter derrière, si bien qu'elle ne freina pas, et ne fit pas de pause. Essoufflée comme un bœuf, elle posa le tourne-disque sur le pallier en soupira en force. « ...Putain... » souffla t-elle alors. Elle n'avait arrêté la clope que depuis un mois... autrement dit, ses poumons n'étaient pas du tout rétablis -et ne le seraient jamais de toutes façons. Tess ouvrit la porte de l'ascenseur pour y récupérer ses cartons et son tapis afin de les placer près de sa porte d'entrée. Cherchant la bonne clef à introduire dans la serrure et toujours essoufflée, elle lança « vous voulez entrer ? J'vous paye un verre » lança t-elle souriante, pour remercier son acolyte.
“déménageurs de l'extrême” & Le dernier carton dans les bras, Yanis arrivait pour constater la disparition des cartons dans l'ascenseur, qui lui avait filé vers le haut. Planté à l'entrée quelques secondes, il la regarda se dépatouiller sur les marches avec ses platines. Yanis restait derrière et l'observait. Elle y mettait du sien, au moins, et n'attendait pas simplement qu'il fasse tout le boulot pour elle. Il restait silencieux, l'écoutait souffler, se faisant la réflexion silencieuse que ça l'embêtait quand même un peu de l'entendre galérer. Mais d'un autre côté, un peu d'exercice ne ferait probablement pas trop de mal. Restant derrière elle à une distance raisonnable, il fit l'effort de se montrer discret, ne voulant pas donner l'impression qu'il la trouve lente et inutile ─ ce qui n'était pas le cas, elle faisait les choses à son rythme. Jetant un coup d'oeil vers le haut, il remarqua que l'ascenseur se trouvait au quatrième. Il fut tenté de lui proposer de récupérer les platines pour aller plus vite, mais à ce niveau là il pensait qu'il risquait de blesser sa fierté. Il y avait des limites pour tout et il en était parfaitement conscient. Tant qu'elle ne se blessait pas stupidement, il se fichait un peu de devoir passer dix ou deux minutes dans les escaliers. Arrivé juste après elle en haut des marches, semblant à peine essoufflé en comparaison ─ limite frais comme un gardon, ce rythme lent lui avait permis de se reposer ─ il ne fit aucun commentaire. Ni aucun jugement. A la place il réajusta à peine le carton dans ses bras, la laissant chercher la bonne clef pour sa serrure. « Si ça ne dérange pas. Du coup vous pouvez me dire où je poserai toutes vos affaires. » Parce qu'il ne manquerait plus qu'elle se pète le dos en arrivant chez elle, tiens. Alors certes elle serait chez elle, mais se péter le dos tout court n'était pas un bon plan. Lorsque la porte fut ouverte, il la laissa entrer et ne fit pas un seul mouvement tant qu'elle ne l'invitait pas directement et clairement à entrer. Même si elle lui avait déjà demandé, elle avait peut-être deux-trois trucs à virer du chemin ou à arranger avant qu'elle ne l'invite. La mettre mal à l'aise n'était pas le but ; et il n'était pas à une minute près. Lorsqu'elle l'y autorisa, il ne se fit pas prier. A peine entré, il déposa le carton au sol près d'un mur, afin de ne pas être dans le passage. Yanis se redressa et répéta la manoeuve pour chacune des affaires, ne lui laissant même pas le temps de s'en approcher, allant parfois lui prendre sous le nez si jamais il voyait qu'elle s'en approchait. Dans ses gestes, de la précision ; il se baissait d'une certaine manière, soulevait les cartons d'une autre en fonction du poids, et il ne semblait pas fournir le moindre effort à ce stade. La sueur avait séché, preuve que l'effort actuel était beaucoup moindre que celui qu'il avait fournit en courant. Le tout posé et bien en place, Yanis se redressa une dernière fois et s'accorda un très bref regard à l'appartement, avant de se retourner vers son hôte. Une pensée furtive lui traversa l'esprit et il jugea utile de le préciser avant qu'elle ne lui serve quoique ce soit d'autre. « Juste de l'eau ça ira, au fait. Et si ça ne dérange pas, je remplirai ma bouteille également, que je puisse faire le trajet retour. » Mais il n'irait pas lui donner ; il irait le faire lui-même, ou alors elle viendrait d'elle-même la prendre. Elle n'était pas sa bonne et même s'il avait aidé, l'idée seule qu'elle lui doive quelque chose en retour ne lui avait même pas traversé l'esprit. C'était son choix de l'avoir aidée, sa décision, et en rien elle ne l'avait forcé. En partant de ce principe là, le service était gratuit.
Il accepta d'entrer boire un verre, ce qui fit plaisir à Tess. C'était sa manière à elle de le remercier de son gentil geste, parce qu'après tout, il n'était pas obligé de faire quoi que ce soit envers elle. Pourtant son attitude venait de faire du bien à Tess, à lui redonner un peu d'espoir et puis avait tout simplement égaillé sa journée. La jeune femme ouvrit la porte de l'appartement d'Owen -où elle logeait dans une chambre, celle du fond où le lit n'était même pas monté- afin de laisser le jeune homme entrer à l'intérieur avec les cartons. Tess pu constater qu'il se baissait d'une manière remarquable, dans le sens où... c'en était presque bizarre. Cette position était étrange, mais il semblait s'y connaître et pratiquer les bons gestes. Chacun son truc, lui c'était apparemment les déménagements. Oui, il avait une bonne condition physique, outre le fait qu'il court, il n'était pas essoufflé comme elle après avoir monté quatre étages. A partir de ce postulat, il était donc à ses yeux, sportif. C'était réducteur, mais pas si loin de la vérité ceci dit. La jeune femme avança dans le couloir pour pousser la porte de sa chambre, dont elle avait repeint il y a seulement quelques jours les murs en un rose pastel assez doux et pale. Bref, personne n'aimait, pas même elle, mais quitte à mettre une couleur, autant en choisir une qui la surprendrait de jour en jour, pas vrai ? Et puis elle pourrait toujours la recouvrir si jamais elle ne parvenait pas à s'y faire. En voyant la chambre et l'état dans lequel elle était : une multitude de cartons, de rubans adhésifs, de ciseaux, de papier bulle et puis de meubles et luminaires, Tess se demanda comment elle allait aménager tout ça. Finalement, elle lui lança alors qu'il terminait de lui déménager ses affaires « merci beaucoup » avant de lui sourire, toujours et puis de lui demander « alors, j'dois avoir du soda au frais, un jus de fruit ou bien j'ai de l'eau fraîche » proposa t-elle en quittant le couloir pour accéder à la cuisine. Il lui répondit et très vite, elle enchaîna « non du tout, avec plaisir ». Par ce fait, il fallait traverser le salon, où se trouvait une croix de Jésus, en lien avec la profession du propriétaire des lieux, Owen. Arrivée dans la cuisine, que Tess ne connaissait pas réellement, elle chercha un verre et fini par le trouver. Elle en prit donc deux et vint ensuite ouvrir le frigo pour prendre une carrafe d'eau fraîche. Elle rempli les deux verres et puis tendit sa main pour qu'il lui donne sa gourde. Une fois celle-ci en main, elle dévissa l'appareil pour remplir le gros gobelet avec de l'eau bien fraîche. Curieuse, elle demanda « et vous courrez souvent ? Enfin... régulièrement j'veux dire ? » était-ce un entraînement particulier ? Préparait-il le marathon ? Ou bien était-ce un entrainement juste pour le plaisir ? Ou bien encore par son travail qui demandait une bonne condition physique ? Tess n'y connaissait rien en sport, si bien que tout était sujet à la discussion finalement. Levant son verre vers l'inconnu, elle trinqua avec lui et lança « au principe d'aider des inconnus et d'accepter l'aide des inconnus » sourit-elle avant de boire un peu de son eau bien fraîche. @Yanis Raad
“déménageurs de l'extrême” & Cela aurait été un comble si elle lui avait refusé de l'eau ; mais cela s'était déjà vu. Aussi surprenant cela pouvait-il sonner, Yanis s'était déjà pris la réflexion qu'il pouvait être un peu chiant des fois à boire de l'eau plutôt que des sodas. La première fois il en avait écarquillé les yeux, puis la deuxième fois, il avait ignoré. Il ne voyait pas d'intérêt à boire de la merde au goût bizarre. Tout comme les boissons énergisantes étaient de la pisse en bouteille à ses yeux. C'était toujours impressionnant de voir combien de litres d'eau il pouvait stocker dans son appartement. Pendant que l'inconnue allait dans la cuisine chercher les verres, Yanis laissa son regard vagabonder. Il remarqua bien la croix, se demandant, comme à chaque fois, quelle était l'origine de la croyance d'une personne. Il ne jugeait pas ; mais il était de ces pragmatiques qui ne s'encombraient pas de croyances qu'ils ne comprenaient pas. Puis ses yeux bifurquèrent vers le reste des meubles, jusqu'à y voir ce qui lui semblait être une paire de chaussure masculine. Il les observa un instant, jusqu'à ce que la jeune femme lui réclame sa bouteille ; qu'il lui donna sans rechigner. Il l'observa remplir le tout et trinqua avec elle avant d'esquisser comme un début de sourire. Le coin droit de ses lèvres sembla se lever légèrement mais disparu deux secondes après lorsqu'il avala d'une traite son verre ; grosse soif apparemment. Il lui répondit alors, s'humectant les lèvres par la même occasion. « Je cours pratiquement tous les jours. En général le matin, mais je me suis un peu emballé aujourd'hui. » Il reposa le verre, laissant sa main sur le meuble. « Je viens de Fortitude Valley. » C'était loin. De mémoire il lui semblait que cela faisait une bonne trentaine de kilomètres qu'il avait courus en deux heures et demi. Ce n'était pas tous les jours qu'il courrait autant, fort heureusement, car cela était bel et bien un petit marathon... et il lui resterait bien le trajet retour à faire. Il prévoyait déjà une bonne fatigue ce soir et un sommeil long et réparateur. Le regard de Yanis se reposa sur elle et ne pu s'empêcher un petit commentaire. « J'imagine que le sport n'est pas votre tasse de thé. » Aucune moquerie ne se ressentait dans sa voix, il s'agissait juste d'un constat. « Que faites-vous du coup ? » Elle n'avait pas la dégaine de la fonctionnaire qui se contentait du métro-boulot-dodo, à vue d'oeil. Le matériel qu'elle avait transporté jusque dans l'appartement n'avait rien de commun et traduisait un certain esprit d'authenticité et peut-être un peu nostalgique. Les seules personnes qu'il avait rencontrées qui aimaient les vinyles étaient toutes un peu anti-conformistes d'une certaine manière, avec l'âme d'un artiste.
L'inconnu avouait être un véritable sportif. Quand il avoua venir de l'autre bout de la ville, Tess marqua sa surprise. Elle ne se priva pas non plus pour s'apercevoir qu'il avait bu très rapidement son verre, si bien qu'elle lui en reproposa un autre « vous en voulez encore ? » demanda t-elle indiquant son verre. Elle, tenait son verre d'eau entre ses mains et ne tarda pas à le boire presque en entier à son tour, avant de s'en resservir également. « Vous allez repartir d'ici en courant ? » demanda t-elle alors pour revenir au sujet de conversation principal. Putain, c'était totalement pas son délire à elle. Elle comprenait ces addicts au sport, mais elle clairement, n'était pas sportive et c'était comme ça. Tess avait l'impression qu'il se sentait à l'aise, puisqu'elle sembla voir sur ses lèvres un fin sourire se dessiner. La jeune femme sourit à son tour et ne se priva pas de rire légèrement quand il lui fit remarquer qu'elle n'était pas sportive. « Ah ça non, du tout » rigola t-elle sincèrement en buvant encore un peu de son eau. Il lui demanda ce qu'elle faisait. Tess sourit légèrement et lança « je suis illustratrice en free-lance, et ex-chanteuse qui reprend doucement » elle pinça ses lèvres et ajouta « quand on n'a aucun diplôme, on cherche à se trouver du taff avec nos talents » sourit-elle et pour elle, ça avait été le cas. Avant même la fin du lycée, elle avait subi la pire agression qu'une femme puisse subir. Après ça, elle avait lâché les études, commencé à traîner avec des gens peu fréquentables, des dealers, des fumeurs, des cokés, des petites frappes. Et puis ensuite, après avoir loupé son bac et craché sur l'idée de continuer des études, elle s'était barrée à Londres, pour y vivre en tant que chanteuse. Ce n'était qu'à la mort de sa mère quelques années plus tard, qu'elle était revenue ici pour laisser tomber la chanson, mais se concentrer sur l'illustration. Curieuse, elle demanda alors à l'inconnu « et vous, vous faîtes quoi dans la vie ? » A le voir comme ça, sportif comme il était et avec ce visage dur, cette attitude fermé... elle pensait à un flic. Ou bien un pompier... quelqu'un ouvert vers l'autre, mais fermé. Ouvert pour l'entraide et fermé sur lui-même, ce qui lui donne un côté très secret. Mais Tess, ça ne la dérangeait pas ça, elle avait été pareil très longtemps. « Vous êtes d'ici ? » demanda t-elle alors. Non pas parce qu'il avait des origines évidentes, mais elle demandait surtout ça pour savoir s'il était de Brisbane, ou d'un bled à côté. Elle ne vivait en ville que depuis quelques semaines à peine. Avant, elle habitait dans un bled à côté de Brisbane. Et puis, il y avait beaucoup d'Australiens ici, mais pas forcément natifs de cette région du pays, il y avait également beaucoup d'étrangers, qui venaient ici quelques temps, tenter leur chance, ou profiter du climat et de l'ambiance australienne.
“déménageurs de l'extrême” & Acceptant volontiers un autre verre d'eau, Yanis donna un peu plus de temps à ce verre avant de le boire. Véritable camion citerne en chair et en os, il se savait capable d'engloutir un bon litre d'eau en un rien de temps ; qui se terminerait en une envie de pisser assez vite, alors autant ralentir un peu le cadence, se disait-il. Néanmoins il s'accorda une gorgée en même temps que la jeune femme lui demandait s'il allait repartir en courant. Il répondit d'un simplement hochement de tête, à l'affirmative. Il n'avait pas d'autre moyen de toute manière et n'avait pas le moindre sou pour s'offrir le luxe d'un taxi. Ou un bus. Et puis il s'en fichait un peu, dans le fond. Elle confirma ne pas être sportive. Personne ne l'était par nature cela dit, c'était une habitude qui se prenait et se gardait pour la plupart des gens. Nombreux étaient ceux qui pensaient ne pas être faits pour le sport mais qui, après avoir pris l'habitude, finissaient par bien le devenir et même encourager les autres. Yanis croyait fermement que l'humain avait besoin de cette activité physique pour se sentir bien et stable... mais il ne forcerait que ceux qui le paieraient pour. Elle évoqua ensuite être illustratrice et ex-chanteuse, confirmant également l'idée qu'elle était une artiste. Lui n'avait foutrement rien de cette fibre artistique ; demandez lui de dessiner un soleil, il ne saurait même pas comment s'y prendre. « Certaines personnes n'ont rien à faire sur les bancs d'école. Ca ne les rend pas plus cons que les autres. » Nouvelle gorgée. Pour lui qui avait séché les cours et haït l'école plus que tout au monde durant son adolescence, il pouvait imaginer pleins de raisons qui auraient pu la faire sortir de la voie habituelle. Cependant contrairement à elle, lui n'avait pas galéré pour le travail. La légion étrangère était un véritable challenge en soit mais l'expérience qu'elle apportait inspirait toujours le respect et l'admiration de ceux qui la connaissaient, tant et si bien qu'il n'avait pas eu à prouver grand chose sans le moindre diplôme. Il savait que son corps était son atout, le fruit d'un travail acharné depuis sa jeune adolescence, et il avait su l'utiliser à son avantage. L'histoire de cette jeune femme devait être tout autre, probablement plus compliquée en terme de choix de vie. « Je suis payé pour faire souffrir les gens. » répondit-il sans sourire. « Coach sportif. » précisa-t-il juste après. Si cela pouvait sonner comique, c'était également un fait ; Yanis n'avait rien du coach laxiste et amical pendant les sessions, c'était quelque chose qu'il précisait à chaque nouveau client. Si vous voulez que je vous coach, vous allez devoir y mettre du vôtre et je ne prends pas mes engagements à la légère, leur disait-il toujours. Le verre sur le comptoir, Yanis attrapa sa bouteille pour la remettre à sa ceinture de sport. « Je viens de France. Et vous ? » Il reposa le regard sur elle. Il n'avait rien d'un français, visuellement. Absolument pas. L'on pouvait deviner un peu par son nez et son regard pas si bridé que ça qu'il n'était pas entièrement asiatique, mais ce n'étaient pas des traits caucasiens pour autant. Son regard la quitta à nouveau pour se baisser vers le téléphone qu'il regardait pour vérifier l'heure mais également la batterie ; s'il partait assez rapidement, il aurait assez de batterie pour tenir sur le trajet retour. Pas besoin de partir maintenant mais à trop attendre il risquait de trop se refroidir et laisser la fatigue s'installer avant qu'il n'ait même entamé le trajet. « Mmh... » Il sembla hésiter un instant, réfléchissant, puis il glissa à nouveau le téléphone dans la ceinture ─ très pratique ce genre de chose, vraiment. « Est-ce que vous avez encore besoin d'aide pour quelque chose ? » demanda-t-il en parlant de l'appartement. De plus, il n'avait pas envie de se faire surprendre par... le mari, le petit ami, le frère ou autre. Le geste avait été d'aider, pas de s'introduire chez elle pour faire connaissance. Non pas qu'il était réticent à cette idée mais il ne fonctionnait pas toujours au feeling. Le but accompli, il n'avait pas de raison valable pour rester. Puis il avait tout de même un peu la bougeote. Même chez lui, s'il devait regarder la télé, c'était en marchant sur le tapis de course. Une drogue vous dis-je.
Tess tiqua sur quelque chose, il semblait penser que les talents étaient quelque chose de con. En tous cas, c'était ce que Tess avait comprit. Alors un talent était une connerie ? Tess n'était pas d'accord avec ça, pour elle, un talent est tout sauf une connerie. Elle haussa simplement les épaules et lorsqu'elle lui retourna la question, elle fronça un sourcil à sa réponse. Finalement, quand il avoua son métier, elle lâcha un « ah ! » en remuant la tête, comprenant mieux certaines choses. « Tout s'explique » sourit-elle. Oui, le type était un pro dans le sport, ça expliquait un peu tout, et surtout pourquoi il réagissait aussi bien sous l'effort, comparé à elle. Il était en train d'attacher sa bouteille à sa ceinture quand il lui répondit qu'il venait de France. Elle frappa dans ses mains et lança alors victorieuse avec elle-même « putain je savais que je le connaissais cet accent ! Mais j'avais pas l'impression qu'il soit anglais ou français... j'ai l'impression qu'il y avait un petit quelque chose, d'ailleurs, un endroit que je ne connais pas du tout » s'expliqua t-elle. Oui, elle n'avait pas perdu l'oreille, en même temps pour une musicienne, ça serait assez dommage de ne pas reconnaître des notes, un air, ou alors une voix. « Moi je suis d'ici, j'ai pas mal voyagé, notamment à Londres et en France il y a encore deux ans de cela, mais je suis née ici » avoua t-elle alors. Oui, elle avait vécu pendant huit ans à Londres et en France, alors elle connaissait plutôt bien ces deux pays là. « Vous venez d'où en France ? Je ne connais pas tout, mais je connais un peu Paris, la Bretagne et le Sud surtout » lança t-elle alors. C'était rigolo de trouver un français, ça lui rappelait une époque de sa vie qui commençait à dater à présent. Finalement, assez rapidement quand même, le jeune homme lui proposa à nouveau son aide. Il lui demanda si elle avait besoin d'une nouvelle aide, pour quelque chose. Mais Tess avait la sensation d'avoir déjà assez demandé d'aide pour une seule et même personne. Non, elle ne lui demanderait plus rien, pour la suite, Hadès, Paul, Owen ou même Annie pourraient sûrement prendre la relève. La jeune femme termina son verre qu'elle plaça dans l'évier et puis avoua « non, ça devrait être bon, merci beaucoup » sourit-elle. La jeune femme sentit que le garçon désirait y aller, il avait accroché sa gourde, son téléphone et demandait si elle avait besoin d'aide, comme pour préparer son envie de partir. La jeune femme le raccompagna à la porter de l'appartement et puis finalement, lui demanda « est-ce que vous voulez que je vous avance en voiture ? » ou bien carrément qu'elle le ramène à Fortitude Valley, puisque c'était de là qu'il venait. Elle pouvait très bien faire ça, en voiture, il n'y en avait pas pour si longtemps que ça. Mais Tess avait la sensation qu'il refuserait, simplement par orgueil ou fierté, il semblait aimer se challenger et surtout, ne pas qu'on mette en doute ses compétences physiques et sportives. Elle n'avait pas envie d'être maladroite, juste sympa, mais elle lui laissait le choix. Dans tous les cas, elle garderait un très souvenir de cette rencontre, elle ignorait même comment il s'appelait, mais ça n'était pas le plus important, n'est-ce pas ?
“déménageurs de l'extrême” & Elle semblait bien avoir reconnu l'accent, sans en être totalement sûre. Cela ne l'étonnait pas. L'accent de Yanis était un peu particulier et il en avait entendu de toutes sortes ; un accent légèrement français, un peu arabe aussi, mais à cause de la pratique et ses échanges internationaux, il avait même adopté certaines prononciations qui n'avaient rien à voir avec ses origines. Certains mots étaient prononcés à l'anglaise, avec un bon accent londonien, mais d'autres avaient cet accent texan alors qu'il n'était jamais allé là-bas. Il admettait lui-même être incapable de comprendre son propre accent. A l'image de son histoire, il n'avait pas un point d'origine, mais plusieurs. « J'ai beaucoup voyagé et travaillé avec des étrangers du monde entier donc mon accent est un peu particulier. Vous avez probablement entendu un accent arabe aussi, je pense. » avait-il répondu pour mieux la guider sur ses doutes. « Je suis de la banlieue parisienne mais j'ai surtout vécu à Nîmes en caserne. J'ai pas mal été à Aubagne aussi. » Endroit où le second régiment étranger d'infanterie se trouvait, Nîmes avait bel et bien été la ville où il avait passé le plus de temps, jusqu'à ce qu'il soit retiré du terrain pour être envoyé à Aubagne pour les recrutements. Il avait bien visité d'autres casernes mais à y réfléchir, il connaissait davantage les casernes et les paysages français que véritablement les villes où finalement il n'avait pas beaucoup réalisé de sorties ni rencontré beaucoup de monde. Toujours était-il qu'il avait dès ses dix-sept ans vécu dans le sud, jusqu'à son départ pour Brisbane. La jeune femme avait donc refusé son aide, ne doutant pas que le plus difficile avait été fait. Si elle avait eu d'autres trucs lourds à porter, elle n'aurait pas à s'inquiéter de le faire de suite, sûrement ; si tout était chez elle cela pouvait attendre de l'aide qu'elle recevrait probablement le soir ou le weekend. Yanis fut raccompagné vers la sortie et elle lui proposa de faire une partie du trajet en voiture. Passant de l'autre côté de la porte, le métis s'accorda un temps de réflexion. La réponse de base aurait été non. Il se savait capable de le faire et, comme elle le devinait, il avait une certaine fierté et un esprit compétitif qui aimait constamment repousser ses propres limites. C'était le luxe qu'il pouvait s'accorder tant que son corps le lui permettait, même s'il savait que l'âge avait déjà un peu commencé à taper dans ses réserves pour ne pas trop perdre en capactés. Cependant, la première importance n'était pas tellement son orgueil. Certes il en avait. Mais la sécurité primait sur tout. Connaître ses propres limites faisait bien parti de son travail, il passait énormément de temps à éduquer les plus ambitieux sur les limites qu'ils ne fallaient pas qu'ils dépassent avec un corps non entraîné. Dos à la jeune femme quelques secondes, il finit par se retourner, semblant avoir fini de peser le pour et le contre. « Si vous pouvez m'avancer d'une dizaine de kilomètres au moins, ça serait plutôt apprécié. Si je me déglingue ce soir j'aurai du mal à bosser correctement demain. » Il eut comme un léger soupir face à ce constat. « J'ai plus vingt ans. » Triste vérité, douce ironie du temps. Du coup, il acceptait son offre. Ca ne blessait pas tant que ça sa fierté, car il avait une bonne raison de le faire et ce n'était pas lui qui avait demandé. Il n'aurait même pas pensé à demander, en vrai. Le reste des kilomètres il pouvait les encaisser, songeait-il. Il prendrait un poil plus son temps comparé à l'aller afin de ne pas trop se fatiguer. Lui demander en revanche de le raccompagner jusque chez lui n'était même pas une option. Il voulait courir, de toute manière. Il aimait ça. Puis en acceptant, cela faisait un peu durer la rencontre qui avait été, mine de rien, agréable. Elle était probablement diamétralement son opposé sur pas mal de points et en cela, la rencontrer avait été quelque peu rafraîchissant.
L'inconnu avait semble t-il un accent assez cosmopolite, ce qui ne pouvait que plaire à la jolie métisse qui ignorait encore ses origines véritables. La jeune femme sourit à l'écoute du nom de Nîmes, elle connaissait de nom, mais n'y avait pas vraiment passé du temps. Elle était restée longtemps à Paris, puis ensuite, elle avait été profiter du calme breton avant de descendre faire la fête dans le sud de la France, à Nice plus exactement. Il lui laissa entendre qu'il avait aussi des influences arabes dans sa façon de parler. La jeune femme hocha la tête, ça devait être ça, ce qu'elle avait entendu alors. Souriante, elle était impressionnée par le panel d'origines qu'il semblait avoir, ou du moins, par lesquelles il s'était laissé influencé. La jeune femme trouvait ça cool, sincèrement. Elle, ce n'était pas très original. Elle n'avait aucune origine -de ce qu'elle en connaissait à l'heure actuelle- et c'était pas vraiment original. Elle était née à Samsonvale, et elle avait sa maman qui était de Brisbane. Voilà. Rien à dire de plus à ce sujet. « En caserne ? » souleva t-elle alors qu'il venait de lui répondre. Avançant lentement vers la porte de l'appartement, elle lui proposa de l'avancer sur la route, ce qu'il accepta. Tess sourit, contente de pouvoir rendre la pareil à son gentil geste pendant son déménagement. « Avec plaisir » répondit-elle en l'invitant à sortir sur le pallier. Tess referma la porte d'entrée, la verrouilla et puis descendit les marches en compagnie du sportif. Pour descendre les marches, il n'y avait pas de souci, c'était surtout pour les grimper qu'elle avait du mal. Une fois en bas, Tess vérifia que tout était en ordre, suite à son déménagement et puis retira le papier qui calait la porte d'entrée de l'immeuble depuis tout à l'heure. Refermant la lourde porte, elle marcha en direction de sa voiture rouge. « On se rend compte que nos corps ne sont pas immortels hein ? Je crois que je m'en suis rendue compte quand j'ai passé le cap de la trentaine, c'était dur » rigola t-elle alors. Elle avait la sensation que cet inconnu passait un bon moment, même s'il semblait très froid et pas très causant. Et c'était tout ce qui fallait à la jolie métisse. Cette dernière arriva près de sa voiture et glissa sur le fauteuil conducteur. Elle l'invita à s'installer aussi et très vite, sortit sa voiture de la place où elle était garée. « Vous voulez que je vous dépose où ? » demanda t-elle afin de savoir quel chemin elle devait prendre. En tous cas, c'était une fin de journée atypique, mais plutôt sympa. Tess se demandait s'ils allaient se recroiser. A dire vrai, ils ne semblaient pas avoir grand chose en commun, voir même carrément rien. Mais ils discutaient et Tess, personnellement, passait un bon moment malgré la froideur du garçon. Enfin, ce n'était pas qu'il était froid, il était juste comme ça et elle, ça ne lui posait pas de souci. La musique de la voiture de Tess retentit alors par son auto-radio. Cette grande fan de musique était a priori en train d'écouter « queens » du groupe français The Blaze qu'elle écoutait vraiment très souvent en ce moment, leur dernier album étant sorti il y a peu et étant tout bonnement, superbe. Elle baissa le volume, ne voulant pas forcément déranger son hôte, après tout, il préférait sûrement le calme à la musique. S'ils étaient si différents que ça, elle devait prendre l'exact contraire de son choix à elle pour trouver ce qu'il lui convenait probablement à lui.