Un état second, perdant pied dans l'espace et le temps, comme si j'avais quitté mon corps et que celui-ci n'était plus qu'une carcasse immobile, prête à pourrir sur place. Voilà comment je me sens actuellement. Je me sens mal, physiquement et mentalement, j'ai envie de vomir, de crier, de hurler à qui veut bien l'entendre à quel point je suis misérable et minable. Oui, je suis minable d'avoir quitté la scène en plein milieu de l'acte, minable car je n'ai pas pu me contrôler. Et je me sens misérable d'avoir laissé ma panique prendre le dessus. Je me rappelle encore clairement comment ma vue s'est brusquement brouillé, que mon cœur s'est accéléré et que ma respiration est devenue saccadée. Tous les signes avant coureurs d'une crise de panique qui n'arrive jamais au bon moment. J'ai tout fait pour la retenir, j'ai essayé de la repousser au maximum, d'attendre au moins la fin de mon monologue, mais c'était impossible. Alors j'ai fait ce qu'un comédien débutant, de base et nul aurait fait : j'ai quitté la scène. Comme ça, tout simplement. Laissant mes camarades seuls sur place, dans la merde.
Arrivé dans les coulisses, je me suis enfermé dans le vestiaire et j'ai craqué. La crise m'a submergée comme la première vague du tsunami. Et au final, l'effet était le même dans les cas : impossibilité de respirer, l'impression de se noyer et de suffoquer. Charles est arrivé, puis Lily, puis les autres comédiens et leur présence n'a en rien arrangée les choses. C'est finalement Andreï qui les a obligé à quitter la pièce, ayant bien comprit que me laisser seul était la meilleure des solutions. Et dieu qu'il avait raison. Ainsi donc, agenouillé au sol, seul, je parviens, au bout de plusieurs minutes, à reprendre le contrôle sur ma respiration, m'efforçant de prendre de profondes inspirations. Une fois ma respiration revenue à la normale, les battements de cœur ralentissant, c'est un profond sentiment de honte qui me prend aux tripes. A tel point que je suis pris de nausée et c'est en panique que je sors de la pièce pour aller déverser le maigre contenu de mon estomac dans les toilettes. La bile acide me brûle la gorge et accentue le côté misérable de la chose alors que les larmes commencent à noyer mes joues sans que je ne puisse faire quoique ce soit.
Assis sur le carrelage des toilettes, dos reposant contre le mur, je laisse libre cours à mes émotions, ne pouvant retenir tout cela plus longtemps. Je ne remarque que distraitement que la porte des sanitaire s'ouvre sur un comédien. Celui-ci, silencieux, s'installe à côté de moi et pose une main sur mon genoux « Tu devrais appeler quelqu'un qui pourrait venir te chercher, Clément» « dit-il doucement «Non, ça va aller ... » parvenais-je à dire entre deux sanglots «C'est Charles qui le dit » reprend le jeune homme. Je ferme les yeux, pince les lèvres et déglutis avant de me déplacer et sortir mon portable de la poche arrière de mon jeans.
Le gardant en main, je le déverrouille et l'observe, comme s'il allait me dire qui appeler. Ambroise, est, évidement, le premier nom à me venir à l'esprit. Ambroise me connaît mieux que quiconque, il saura trouver les mots justes et surtout me ramener à la raison, mais aussi me rassurer et me dire que tout ira bien. Ambroise est celui que je devrais appeler. Mais quelque chose me bloque, sans que je ne sache pourquoi. Peut-être à cause du fait qu'il soit lui-même malade et pas forcément assez en forme pour venir me chercher ? Que je ne souhaite pas l'inquiéter ? Je soupire et ferme les yeux, me passant le dos de la main sur les paupières alors que mon collègue me prend le portable des mains. Quelques instants de silence plus tard, il me remet dans les mains et sourit doucement « Voilà, je l'ai prévenu» qu'il me dit en se redressant « Il ne devrait pas tarder» Sa main apparaît dans mon champ de vision « Tu viens ? On retourne dans les loges, ce sera plus agréable »
Déglutissant, j'hoche doucement la tête attrape sa main pour me relever. C'est avec lenteur et le regard toujours baissé au sol, que je sors des sanitaires pour retourner aux loges. Là il me laisse à nouveau seul, son tour pour monter sur scène étant arrivé. Assit sur le canapé, dans la pénombre, je ramène mes genoux contre moi et les entours de mes bras, essayant de ravaler ce sentiment de culpabilité qui ne cesse de grandir en moi.
Voilà près de 36heures que je travaillais, épuisé par le très faible nombre d'heures que j'avais pu tirer par ci par là durant cette garde bien plus longue que prévue. En réalité je sortais d'une opération compliquée de plus de 10 heures, et là j'avais qu'une envie, celle de me laisser tomber comme une larve sur mon lit et m'endormir pour un tour de cadrant au moins. Cela se voyait sans nul doute aux cernes qui avaient elles-mêmes des cernes sous mes yeux. Quand enfin je passai la porte de chez moi, je n'eus pas le temps de refermer que mon téléphone m'indiqua que j'avais un SMS.
Clément a écrit:
Bonjour Paul, comme tu es le dernier contact sur le téléphone de Clément, je me permet de t'écrire ce message. Tu devrais venir le plus vite possible au Southern Cross Theater, Clément ne vas pas très bien et il faudrait mieux qu'il rentre assez rapidement ...
En lisant ces mots, mon sang ne fit qu'un tour et je puisais dans mes derniers retranchements, l'adrénaline faisant le reste. Je me saisis donc de mon téléphone pour appeler un taxis lui précisant que c'était urgent. 5 minutes plus tard ce dernier s'arrêtait devant chez moi. Je me dépêchais donc de monter. « Où allons-nous?» Me demanda t'il poliment. « Au Southern Cross Theater.» Oubliées les formules de politesses et autre conneries, Clément allait mal, et j'étais inquiet. L'homme prit donc rapidement la route, et bien que le trajet fût court il me parut atrocement long. Mes doigts tremblaient et je n'arrivais pas à rester immobile. Entre mes jambes qui bougeaient en permanence, mes doigts qui se trituraient les uns les autres... Bref, une fois arrivé à destination, je descendis du véhicule et demanda au chauffeur d'attendre là, peu importe ce que ça coûterait franchement là, c'était le cadet de mes problèmes. Je pénétrai donc dans cet endroit bruyant et remplis de monde, cela me mit mal-à-l'aise, mais mon inquiétude pour mon neveu était plus forte que tout, aussi je me rapprochai du réceptionniste et lui expliquait que je venais pour Clément. Il me demanda de patienter et passa un coup de téléphone. Quelques minutes plus tard un homme que je ne connaissais pas se présenta et me tendit une main que je me contentai de regarder sans réagir plus que ça. « Emmenez-moi voir Clément.» Mon ton était probablement froid et cassant, mais là franchement, les bonne manières, j'en avais rien à foutre. L'homme haussa un sourcil, me prenant sans doute pour l'habituel mec bizarre que j'étais aux yeux des autres. « Suivez-moi, il est dans les loges.» Je le suivis donc sans répondre, le forçant à presser le pas avec ma propre allure. Puis une fois derrière la scène, il m'ouvrit une porte et je vis directement mon neveu et sa mine défaite. « Je m'en occupe.» Dis-je à l'homme, comme pour lui soumettre l'idée de dégager silencieusement. Je rentrai donc et le laissai refermer la porte derrière-moi. Je vins donc m'accroupir devant Clément, déposant une main sur son genou, à la fois pour le réconforter, et pour me tenir parce que mes jambes fatiguée risquaient de flancher à tout moment. « Tu veux en parler? Tu veux rentrer ? Tu veux te changer les idées?» Je levai mon regard vers lui, pour le plonger dans le sien, tentant de lui cacher autant que possible l'inquiétude qui me rongeait. Je remarquai bien rapidement qu'il avait pleuré, alors geste que je faisais déjà lors de nos jeunes années, je soulevai ma main libre pour venir essuyer du bout de mon index les traces encore humides sous ses yeux. Et puis merde, j'avais appris à donner de l'affection, non? Aussi, prenant appui sur son genou, je me relevai et vins m'asseoir à ses côtés, je passai un bras autour de sa taille pour l'attirer de force contre moi, avant de venir caresser avec douceur ses cheveux de mon autre main. C'était ce qu'il me faisait quand ça n'allait pas, alors par mimétisme, je m'étais dis que ça pourrait l'aider quand ça n'allait pas pour lui.
Assit seul dans la pénombre des loges, je suis rongé par la culpabilité. Celle de ne pas avoir su réagir, de m’être laissé submergé par les paniques, de ne pas avoir su gérer mes sentiments. Pourtant, tous les signes étaient là, même avant de monter sur scène. En attendant mon tour, je n’ai pas, comme d’habitude, ressenti ce stress positif, ce merveilleux trac et cette excitation de faire quelque chose de grandiose. Non. C’est la panique. La réelle panique qui s’est propagé en moi au fur et mesure que passaient les minutes. Lorsque j’essayais de me rappelé de mon texte, je n’y arrivais pas. J’ai essayé mon rituel habituel, mais il ne m’a aidé qu’après la cinquième fois. J’aurais dû en parler à quelqu’un, Charles m’aurait sans doute écouté et surtout rassuré, mais je ne l’ai pas fait. J’ai tout gardé pour moi et voilà comment je le paye : une crise d’angoisse sur scène. Devant le publique. Ça aurait pu passer comme faisant parti de la scène, mais mon monologue respirait la joie et la bonne humeur. Ce n’était pas logique que mon personnage parte en panique.
Les yeux fermé, le front posé contre mes genoux, j’attends l’arrivé d’Ambroise avec une certaine angoisse. J’aurais dû dire à mon ami comédien de ne pas le prévenir lui, n’ayant absolument aucune envie de lui causer encore plus de soucis, mais il l’a fait. Et mon meilleur ami est en route. Me crispant légèrement lorsque la porte des loges s’ouvre, c’est toutefois avec un certain étonnement que je reconnais la voix de mon oncle. Relevant le regard lorsque Paul s’agenouille devant moi, je le regarde, troublé mais incroyablement soulagé que ce soit lui qui soit venu. Lorsqu’il me demande si je veux en parler, me changer les idées ou rentrée, je secoue doucement la tête, lèvres pincées et tremblantes, mon corps prêt à repartir en sanglots. Finalement, Paul se redresse, s’installe à mes côtés et, sans demander mon reste, m’attire contre lui dans un câlin. La proximité instaurée par mon oncle est quelque chose de nouveau, si bien que je ne sais pas forcément comment réagir. Mais lorsqu’il se met à me caresser les cheveux, je fini par fermer les yeux et me blottis contre lui.
Je laisse silencieusement les dernières larmes couler sur mes joues et reste là, contre mon oncle, pendant de longues minutes sans rien dire. Ce n’est que lorsque, dans le fond, j’entends les applaudissements que mon cœur se serre et que je décide de me redresser «Vient on y va » soufflais-je en me levant. Je n’ai pas envie de voir les comédiens que j’ai laissés en plan sur scène. J’attrape ma veste et mon sac et me dirige vers la porte lorsque celle-ci s’ouvre sur mes collègues. Je fais face à Jonathan, mon partenaire de scène, pendant plusieurs secondes, jusqu’à ce que son visage ne se durcisse. « T’es complètement con ma parole !» s’exclame-t-il en me poussant en arrière vers la loge « Tu te rends comptes de la merde que t’as foutu ? Comment on a galérer pour gérer la scène ? Putain ! Heureusement que Melody était là et que ELLE sait comment improviser ! » il m’attrape par le col et m’attire vers lui «T’es vraiment qu’un idiot, tu mérites pas ton statut de pro. » assène-t-il froidement, alors qu’il me relâche brusquement « On va en parler à Charles de toute manière» s’exprime une voix féminine derrière lui «il va surement de rétrograder de nouveau » je relève finalement mon regard et observe le groupe, la panique grandissant en moi « n ..non » soufflais-je «Vous pouvez pas faire ça ! » la panique menace de me submerger à nouveau «Non s’il vous plaît ! je … » j’ai travaillé tellement dur pour en arriver jusque là, est-ce vraiment cette faute là qui va être le juge de ma carrière ?
Je ne sais pas vraiment ce qui est le pire dans la situation. Ne pas savoir exactement ce qu'il s'est passé, parce que personne ne m'a rien dit, et parce que je n'ai pas pensé à demander aussi faut le dire. -Mais je pensais rarement à ces choses là quand j'étais inquiet-, ou me sentir impuissant. C'est donc pourquoi devant le silence de mon neveu et ce petit air très fragile que je ne lui avais pas vu depuis bien longtemps, la meilleure solution me sembla celle de la prendre dans mes bras. Je ne savais pas encore avec perfection comment m'y prendre, alors j'avais simplement reproduit les gestes que lui me faisait à chacune de mes crises d'angoisse, et ça semblait avoir son effet parce que je l'avais finalement sentit se détendre et se laisser contre moi. Je continuais donc mes caresses dans ses cheveux, en silence, aussi longtemps qu'il resta ainsi contre moi. Malgré la difficulté que cela m'avait coûté sur un paquet de plans, mon déménagement ici m'avait apporté beaucoup. Je n'étais plus le garçon asperger enfermé dans son monde et braqué, qui refusait de comprendre le monde autour de lui. Je me transformais doucement en un jeune homme toujours asperger mais qui essayait de s'intégrer à ce monde, du moins autant que c'était possible. Le temps faisait son oeuvre tout simplement, et la proximité avec des personnes diverses et variées qui me forçaient à sortir de mon cocon avec leur amitié également. Si je peinais toujours à comprendre nombre de réactions et comportements, je m'efforçais de me montrer plus ouvert.
Clément finit par rompre le silence qui s'était naturellement installé pour me demander de partir. Je me levai donc du canapé et récupérai mon sac que je n'avais pas eut le temps de laisser chez moi pendant qu'il prenait lui-même ses affaires. Mais ensuite tout s'enchaîna très rapidement. Ma première réaction fût de la peur, évidemment, je n'aimais pas ce genre de moments où la violence était évidente. Et ce gars qui tirait Clément par le col m'effrayait, du moins de prime abord. Mais très vite je remarquai le visage davantage défait de mon neveu, comme si son monde était sur le point de s'écrouler. Et très vite la peur céda sa place à la colère. Je n'avais jamais été confronté à ce type de situation avant, mais je savais que j'étais particulièrement sensible quand il s'agissait de lui. Et je constatai une fois encore aujourd'hui que ça n'avait pas changé. Mon poing se serra donc, comme à chaque fois que j'étais en colère. Frapper j'en étais bien incapable, et je me surprenais ces derniers temps à avoir envie que ça change. Je découvrais l'envie d'apprendre à mettre mon poing dans la gueule de ce genre de connards. Une petite pensée pour Chadna que j'avais rencontrée huit ans plus tôt et qui m'avait dit que je devais apprendre à me défendre me traversa l'esprit. J'aurais dû l'écouter. Elle avait été casser la gueule de celui qui m'emmerdait à la FAC, et faut dire que là je mourrais d'envie de faire la même chose pour Clément. Mais je ne savais pas le moins du monde comment faire.
Alors je pris mon courage à deux mains et me rapprochai des deux jeunes hommes, le poing toujours serré. J'avais toujours ma répartie légendaire, non? Mon honnêteté à toute épreuve. Je me mis devant Clément, face au gars qui le tenait, le forçant donc à retirer sa main parce que j'étais imposant, et moi j'étais prêt à prendre les coups à sa place s'il le fallait. « Je te conseille de te calmer.» Ma voix était calme, mais froide, ne laissant aucune place à la discussion. « Vous vous croyez à Broadway?» Je relevai les yeux vers la fille derrière, puisque je dépassai le gars d'une bonne tête au moins, pour lui faire comprendre que je m'adressai aussi à elle. « Je croyais que ton monde était remplis de personnes ouvertes, Clément. Je suis déçu de constater qu'à l'instar du reste du monde, il est remplis d'abrutis congénitaux.» C'était vrai, pour moi le monde des comédiens étaient remplis de gens qui aimaient jouer avec la magie d'un monde fictif, je n'avais jamais imaginé qu'au final, comme tout le monde, ils écrasaient les autres pour se hisser au sommet. D'ailleurs je sentais bien que le gars devant moi commençait à perdre patience, je voyais son visage virer au rouge, apparemment il n'appréciait pas de se faire insulter. « Non mais pour qui tu te prends, toi...» J'haussai un sourcil et prit une nouvelle fois mon courage à deux mains pour poser une main sur son épaule et le repousser en arrière, sans doute pas aussi violemment que j'aurais voulu. « Je suis Paul Ackerly, neurochirurgien et je te déconseille de te retrouver sur ma table d'opération.» Une menace à peine voilée, que je ne mettrais jamais à exécution, évidemment, j'étais trop consciencieux pour ça, mais souvent ça faisait peur aux gens. Je l'avais appris au vu du nombre de personnes qui m'avait dit en plaisantant qu'ils valait mieux ne pas m'avoir comme ennemi. « On s'en va, Clément.» Dis-je, en attendant qu'il me rejoigne pour m'avancer vers l'encadrement de la porte en sa compagnie. « Ah et... Si jamais quelqu'un s'amusait à rétrograder qui que ce soit pour un problème de santé, c'est en tant que médecin que je me ferais une joie de venir regarder de plus près ce qu'il se passe ici. Je rappelle que le Harcèlement moral est puni par la loi.» Sur ces mots j'attrapais gentiment le poignet de Clément pour le tirer avec moi hors de la pièce, ne m'arrêtant qu'une fois hors de théâtre. En tant que médecin justement, j'en voyais passer des victimes désespérées de harcèlement moral ou physique, et je ne plaisantais vraiment pas avec ça. Bon ok, aujourd'hui des ailes sorties de je ne sais où m'avaient poussé. Mais encore une fois, quand il s'agissait de mon neveu j'étais à peu près capable de tout. Puis il y avait aussi la fatigue accumulée depuis deux jours avec à peine deux heures de sommeil au compteur qui avait sans nul doute ben entamé ma patience. Bien que je me doutais que même à lui, la scène avait dû lui sembler surréaliste.
Lorsque Paul arrive c’est tout d’abord un immense soulagement qui se propage en moi. Heureusement que mon dernier sms a été échangé avec mon oncle et non avec Ambroise, sinon Julien l’aurait déranger lui et je ne suis pas sûr que j’aurais pu me pardonner le fait d’obliger mon meilleur ami a sortir alors qu’il n’est pas au meilleur de sa forme. C’est dans un soupire presque de soulagement que je me laisse aller contre mon oncle et, fermant les yeux, laisse ses caresser œuvrer leur magie pour me calmer un peu plus. Malgré tout, cette proximité, bien qu’extrêmement plaisante et agréable, fait sortir les dernières larmes de mon corps, inondant mes joues et le t-shirt de Paul. Mais il ne semble pas s’en formaliser et, lorsque je lui demande brusquement de partir, il ne se le fait pas dire deux fois.
N’ayant pas envie de faire face aux comédiens à qui j’ai gâché la pièce, je décide de partir rapidement. Sauf qu’en arrivant à la porte, celle-ci s’ouvre sur le groupe et surtout sur Jonathan qui me fixe d’un air mauvais, avant d’exploser. M’attrapant par le col, il me repousse, hurle d’énormes atrocités tandis qu’une fille surenchérie. Penaud, ces paroles ayant réussi à détruire le peu de confiance en moi que j’avais encore, je l’observe et bégaye des mots indistincts. C’est Paul qui, finalement, arrive à ma rescousse. Se plaçant entre Jonathan et moi, l’obligeant ainsi à me lâcher, il l’insulte à sa manière, provoquant la surprise chez les comédiens.
Après une dernière menace de faire jouer son côté médecin, il m’attrape par le poignet et me tire derrière lui. Obligé de le suivre, je passe à côté du groupe, le regard baissé et laisse mon oncle me guider vers la sortie. Mais, remarquant qu’il prend le chemin vers la sorti principale du théâtre, je me stope, l’obligeant à s’immobiliser à son tour. « pas par là » dis-je en secouant la tête, n’ayant absolument aucune envie de croiser le chemin du publique qui m’a vu me ridiculiser. «On va prendre par là-bas » désignant la sortie des artistes, je m’y dirige au pas de course et fini par sortir enfin à l’air libre. Frissonnant légèrement à la relative fraîcheur de la soirée, je prends plusieurs profondes inspirations et me retourne vers Paul « T’es venu en taxi ?» demandais-je. Question rhétorique en somme, mon oncle n’ayant pas le permis et donc pas de voiture. Celui-ci, hochant la tête, m’emmène vers le taxi qui l’attendait et je m’engouffre sur la banquette arrière. Lorsque le chauffeur demande l’adresse, j’hésite un instant puis donne la mienne. Il hoche la tête et démarre.
Me laissant aller contre le dossier du siège, le regard perdu dans le vague je pince les lèvres alors que les larmes commencent à couler à nouveau sur mes joues «J’en peu plus Paul » finissais-je par avouer «J’ai fait une crise d’angoisse en pleine scène, en plein monologue. Je … j’arrive plus à me contrôler. Tout part en vrille » je renifle et me passe le dos de ma main sous le nez « J’en peu plus. J’ai …plus la force. De continuer» fermant les yeux, le corps secouer de sanglot, je secoue la tête « Je veux dire ce …c’est mon rêve. Mon putain de rêve de finir pro, de faire ma carrière dans le théâtre et la comédie musicale. Mais si déjà je ne résiste pas à ce peu de pression, autant que j’abandonne tout, tout de suite » soufflais-je, fataliste.
Après cette intermède plutôt violente avec la bande de connards qui lui servent de collègues, je pris le chemin de la sortie avec Clément, mais lorsque celui-ci m'indiqua une autre sortie je le suivis sans broncher. A la question de savoir si je suis venu en taxis, je réponds d'un hochement de tête qui équivaut plutôt à un léger mouvement du menton dans mon cas et le suis jusqu'à dehors. Nous rentrons donc tous les deux dans le taxis, et je lève un bras pour le contredire lorsqu'il commence à donner son adresse. « Emmenez-nous à la forêt.» Une idée m'avait traversé l'esprit. Les animaux étaient le meilleur des anti-dépresseurs, non? J'avais une énorme boule de poils qui ne faisait qu'en donner et en demander de l'amour, quelque part, dans une petite écurie à l'entrée de la forêt. Aussi, je m'assis au fond du siège, n'ayant au final pas tellement laissé le choix à Clément. Je ne pensais pas que rentrer chez lui et broyer du noir était la meilleure des solutions. J'écoutais donc ses propos, alors que la voiture roulait à une allure raisonnable. «Clément...» Commençais-je d'une voix tendre. « Rien n'est jamais facile, tu le sais pas vrai? Tu es très doué dans ce que tu fais.» Je plongeai mon regard dans le sien, comme pour appuyer ses propos alors que je tenais son menton avec ma main. « Je crois que tu devrais la prendre, cette pause que je t'ai proposé, vraiment. Forcer ne semble pas être une solution. Et ça te permettra de réfléchir et d'arrêter de t'en vouloir pour ce qui s'est passé.. Tu n'es pas responsable.» J'ignorais beaucoup de choses sur ce qu'il se passait dans la vie de mon neveu pour qu'il en arrive là, mais ce que je savais c'est qu'il avait besoin d'appuyer sur le bouton pause. Il avait besoin de repos. Je savais qu'il le refuserait probablement et préférerais se mettre la pression encore une fois. Mais je savais aussi que son corps finirait par l'obliger à prendre cette pause de gré ou de force. « Qu'est-ce qui ne va pas, en dehors du théâtre ?» Je relâchai son menton et l'attirait une fois de plus contre moi, mes doigts reprenant leur caresses dans ses cheveux comme un peu plus tôt dans la salle de pause, pour essayer de faire cesser ses larmes et de le détendre.
Le taxis finit par arriver à destination, je sortis donc ma carte bleue de mon sac pour le régler, et sortis de la voiture, attendant que Clément fasse de même. Je lui intima de me suivre et avançait le long d'un chemin avant d'arriver à l'entrée de ce fameux club équestre. Il était encore vivant malgré l'heure tardive, beaucoup de personnes pratiquaient jusque tard le soir, selon leurs horaires de travail. Je l'entraînais ensuite jusqu'à un pré, un peu plus loin et ouvrit la porte, le laissant passer en premier, puis je refermai derrière-moi. Le dit pré était éclairé par les divers lampadaires qui éclairaient la zone. Je fis donc claquer ma langue. « Freya ? Viens ma Fille.» Dis-je d'une voix claire, et il n'en fallut pas plus à la jument pour arriver en trottinant. Je lui flattai un instant l'encolure, et elle se fit une joie de frotter un moment sa tête contre mon flanc, avec toute la délicatesse que l'on connait aux chevaux et me tournai ensuite vers mon neveu. « Prends la dans tes bras. Elle te le rendra.» Freya d'ailleurs, ressentant probablement la tristesse de Clément s'était avancé jusque lui, et avait rapproché ses naseaux si doux de son visage, et cette scène me tira un petit sourire attendrit. Voilà, c'était exactement pour ça que j'aimais les animaux.
Je ne réagis même pas lorsque Paul indique une autre adresse au chauffeur alors que je n'ai qu'une seule envie : rentrer chez moi, me poser dans mon lit et ne plus sortir de la chambre jusqu'à nouvel ordre. Mais peut-être que Paul a une idée et que dans le fond je décide de lui faire confiance ? Toujours est-il que c'est le regard perdu dans le vide, que les larmes reprennent possession de mes joues, les inondant à nouveau. Alors que mon corps est secoué de sanglots incontrôlable, je commence à mettre des mots sur les doutes qui m'abritent depuis quelques temps, le fait que je sois épuisé et que je n'en puisse plus. M'obligeant à le regarder, Paul, me dit que rien n'est facile, que même moi je dois être au courant de tout ça mais que je devrais réellement prendre cette pause qu'il m'avait suggérée quelques semaines auparavant. Il dit que je ne suis pas responsable mais je ne le crois pas. Secouant la tête, je dévie le regard mais le laisse toute de même aller contre lui.
Pinçant les lèvres lorsqu'il me demande ce qui ne va pas en dehors du théâtre, je secoue la tête «rien, tout va bien » assurais-je « Tout va pour le mieux avec Ambroise, avec papa et maman aussi. Je ne peux pas me plaindre» si ce n'est de mes cours qui sont de plus en plus durs, les examens qui ne vont pas tarder à commencer et qui seront décisifs, l'inquiétude constante que mon père replonge dans la drogue, Ambroise qui ne va pas bien et la peur que ce soit plus grave, Moana qui m'inquiète de plus en plus, le fait que je n'ai aucune nouvelle de ma famille biologique depuis deux mois ...en vrai, y pensant, j'ai l'impression que je commence de plus en plus à perdre pied. Et maintenant s'ajoutent ces crises d'angoisses à répétition depuis deux semaines pour en arriver à celle-ci sur scène.
Je laisse à nouveau le silence s'installer, me calmant peu à peu dans les bras de mon oncle et ne me redresse que lorsque la voiture s'arrête. «On est où là » demandais-je en sortant du véhicule. Sans rien dire, Paul contourne la voiture et m'indique de le suivre. Très rapidement, l'odeur de la paille, du foin et des chevaux répondent à ma question : nous sommes dans une écurie. J'interroge mon oncle du regard mais celui-ci contourne le manège et entre dans un parc. Hésitant un peu, je fini par le suivre à l'intérieur alors que Paul appelle une certaine Freya. Nous n'avons pas besoin d'attendre longtemps avant qu'une jument arrive en trottinant, fourrant instantanément mon museau dans les mains du blond. Celui-ci, se tournant vers moi, m'explique que l'animal a beaucoup d'amour à redonner.
Mais, alors que l'animal s'approche, levant son museau vers ma tête, j'ai un sursaut et me recule de plusieurs pas jusqu'à ce que mon dos ne touche la barrière. La jument, oreilles dressées, semble me fixer avec étonnement alors que je secoue la tête «J'aime pas les chevaux ... » soufflais-je « Enfin je … c'est pas que je les aime pas. C'est juste que ...» je déglutis et pince les lèvres avant de soupirer et secouer la tête. Sortant une main de ma poche, je fini par la tendre timidement vers l'animal et fait un pas en avant. Mais lorsque Freya s'approche de nouveau, le courage me perd et j'ai vite fait de me mettre en sécurité derrière la barrière. Je fixe l'équidé avec angoisse, alors que ma respiration devient plus laborieuse «T'es complètement con Paul » assenais-je avec une certaine violence «Je ...j'ai pas envie de voir ton animal de merde là. J'ai juste envie de rentrer ! Tu comprends ça ? Je veux rentrer putain » tel un gamin pourrie gâté, je me détourne et fait quelques pas vers la route avant de me stopper et me pencher en avant, essayant de gérer ainsi la crise d'angoisse dans laquelle je suis entrain de partir. J'adore les animaux pourtant, les chiens et les chevaux surtout. Mais aujourd'hui mon corps, mon esprit et mon cœur ne travaillent pas ensemble et ne sont pas coordonnés, me laissant dans un état qui m'est plus qu'inconnu.
Clément me dit que tout va pour le mieux dans sa vie personnelle, et je préfère alors ne rien dire tant la réponse me semble fausse, mais tant je sens qu'il ne vaut mieux pas que j'insiste. Je supposai qu'à son habitude, il me parlerait quand l'envie lui en prendrait. J'avais finis par apprendre à ne pas insister. Bien que mon envie perpétuelle d'aider les autres rendait la manoeuvre toujours un peu compliquée. Il se laissait finalement aller contre moi, se calmant doucement avec mes caresses et mon étreinte. Finalement le taxis s'arrêta et je descendis, ignorant superbement la question de mon neveu, comme à mon habitude, je me contentais de lui faire comprendre qu'il devait me suivre. Alors que je contournais les bâtiments, le manège, la carrière extérieure, je finis par arriver au niveau des paddocks, entrant dans l'un d'eux et tentant une présentation entre ma jument et Clément. Laquelle ne se passa pas du tout comme je l'avais prévu. D'abord il me dit qu'il n'aimait pas les chevaux, ou plutôt que ce n'était pas qu'il ne les aimait pas mais... Mais quoi? Je me contentais de le regarder en haussant un sourcil, sa réaction me semblant pour le moins bizarre. Des heures durant nous avions parlé de chevaux ensemble dans nos plus jeunes années, des heures durant nous avions partagé l'amour de cet animal noble. Je sentais bien que mon neveu n'était pas dans son état normal puisque quelques secondes après il tentait une approche envers Freya qui tout amour qu'elle était réagit rapidement et se rapprocha de lui à la recherche de câlins et de caresses, mais Clément sortit du pré. «T'es complètement con Paul » Ces mots me firent l'effet d'un coup de couteau en plein coeur. Depuis quand se permettait-il d'être aussi insultant envers moi? Depuis quand les choses s'étaient cassées à ce point entre nous? Mes yeux se remplirent bien vite de larmes, mais la pénombre m'aidait à les cacher. Je pleurais trop facilement, depuis toujours et tous ceux qui me connaissaient avaient fini par arrêter de se formaliser avec mes larmes. Mais là, j'étais vraiment blessé. «Je..j'ai pas envie de voir ton animal de merde là. J'ai juste envie de rentrer ! Tu comprends ça ? Je veux rentrer putain » Je baissai la tête, le regard perdu un moment vers le sol alors que je le laissai s'éloigner sans rien dire. Je pris une profonde inspiration après quelques minutes à me ressaisir, et essuyai les larmes qui avaient perlé sur mes joues d'un revers de main. Je m'avançai ensuite vers l'entrée du paddock pour me saisir de ma longe que je laissais toujours là, et l'accrocha au licol de Freya. Maintenant que j'étais là, je ne lui ferais certainement pas l'affront de la laisser comme ça et de m'en aller après seulement dix pauvres minutes passées avec elle. J'ouvris donc la porte et laissa la jument passer avant de refermer, tenant la longe par l'extrémité pour lui laisser plus ou moins toute la liberté de mouvement qu'elle désirait. Si ça n'avait tenu qu'à moi elle n'aurait même pas eut cette longe. Je me mis donc à marcher suivit par la jument qui restait respectueusement derrière-moi, comme tout cheval correctement débourré, et ne mis pas longtemps à voir Clément, un peu plus loin, dans un état qui ne semblait pas bon. Je jetai un instant un regard à Freya qui était arrêtée à mes côtés, les oreilles dressées parce qu'il y avait plein de bruits partout. Puis je repris ma marche, pour arriver au niveau de mon neveu. Je déposai ma main libre sur son épaule, pour le forcer à se redresser avec le plus de délicatesse possible. « Clément... Si tu... arrêtais de penser à tout ça juste une heure ?» Je savais bien que c'était plus facile à dire qu'à faire. Néanmoins je ne l'avais pas emmené ici pour rien. Je l'avais emmené ici parce que je savais que les chevaux étaient un excellent moyen de canaliser son stress, ses nerfs et d'oublier ses problèmes l'espace d'un moment. Et sur ce point je comptais bien insister, parce que je savais aussi qu'après il se sentirait mieux. Je tirais un petit coup sur la longe pour inviter silencieusement Freya à se rapprocher de nous, ce qu'elle fit sans se faire prier. Je restai néanmoins entre Clément et elle, au cas où... Au cas où il aurait peur encore une fois. Dans le fond je n'avais pas besoin qu'il me parle pour l'aider, ou du moins essayer. J'avais juste besoin qu'il mette un peu de bonne volonté à ce que j'essayais de faire. La magie ne tarderait pas à opérer s'il se décidait et pourtant Dieu sait à quel point j'étais mauvais quand j'étais blessé. A quel point avant, je me serais contenté de tirer la gueule à cause de ses mots horriblement blessants. Ca me serait passé rapidement certes, mais sur l'instant j'aurais bien été capable de lui cracher au visage. « Ecoute, si tu veux rentrer et te terrer dans ton lit, on va bientôt le faire. Mais je dois la panser et la longer avant, alors tu peux rester ici et te morfondre, ou le faire toi-même et passer un bon moment.» Mes mots étaient un peu durs mais francs, comme à mon habitude. Sur ces mots je tournais donc les talons pour me rendre à la barre d'attache près de la sellerie, suivit de près par Freya. Dans le fond je savais ce que je faisais, et je ne pouvais pas aider Clément s'il refusait de l'être.
Je ne sais vraiment pas ce qui se passe avec moi. Pourquoi mon corps réagit-il avec peur lorsque la jument de Paul s’approche de moi ? Pourtant j’ai toujours aimé les chevaux. Bien que je place les chiens en première position de mes animaux préférés, les équidés sont très proches derrière. Mais alors pourquoi ais-je réagis avec une telle crainte ? Pourquoi ais-je fuis, littéralement, la jument ? Pourquoi m’en suis-je prit verbalement à Paul alors qu’il n’a rien fait ? Et surtout pourquoi suis-je sur le point de faire une nouvelle crise d’angoisse ? Immobile, penché en avant, je m’insulte mentalement, me traite intérieurement d’idiot fini et réussi finalement à reprendre le contrôle sur mon corps et mon esprit.
Lorsque la main de mon oncle se pose sur mon épaule, je me tends, mais ne réagis pas d’avantage et ferme les yeux en l’entendant me parler, me demandant si je ne veux pas oublier ça le temps d’une heure. « Je peux pas Paul» soufflais-je en levant mon regard sur lui «Je peux pas oublier à quel point j’ai fait une connerie, combien j’ai fait de la merde aujourd’hui. Ce … ça va me suivre encore longtemps » expliquais-je en secouant doucement la tête, posant mon regard sur Freya qui reste calmement à sa place. Paul fini par me dire qu’on va rentrer mais qu’avant il va devoir brosser et longer sa jument. Déglutissant, je le supplie du regard, n’ayant pas envie de rester plus longtemps ici, mais je n’ai pas les moyens de payer un taxi.
Alors, après quelques minutes, immobile dans la pénombre, je décide de rejoindre mon oncle dans l’écurie. Mains dans les poches, je l’observe, gardant une certaine distance avec Freya, avant qu’un souffle chaud me chatouille la nuque. Me tournant, je tombe nez à nez avec la tête brune d’un autre cheval et ais un mouvement de recul. Mais je me reprends bien rapidement et, tendant ma main, laisse l’animal renifler mes doigts avant de les passer sur sa joue et son chanfrein. Alors que la langue de l’équidé vient lécher mes doigts, un léger sourire étire la commissure de mes lèvres et je m’approche d’avantage de lui, lui caressant les naseaux avant d’aller flatter son encolure.
Je pose alors à nouveau mon regard sur la jument de mon oncle et, délaissant le beau brun, je m’approche de Freya. Lentement, je passe ma main sur son encolure puis sa crinière et sa tête. «Désolé » soufflais-je finalement, me tournant vers mon oncle «je …j’avais pas le droit de te dire ce que j’ai dis avant » dis-je à Paul, sincère « Ce …c’est juste que … je sais pas» je pose une main sur les naseaux de la jument, gardant le regard baissé « Je crois que j’ai vraiment besoin d’une pause» avouais-je finalement. Cela dit, je sais que je le dis maintenant, mais demain je mettrais à nouveau les bouchées doubles. « Bon sinon, tu me files une brosse ?» demandais-je, afin de changer de sujet. Dans le fond, il a raison Paul : m’occuper de la jument ne me fera sans doute pas de mal.
Juste avant que je ne parte pour aller attacher Freya près des écuries pour la brosser, Clément me dit qu'il ne peut pas oublier même l'espace d'une heure combien il a merdé ce soir. Cela me tire un soupire, bien que je le comprenne, j'étais le premier à me détester à chaque opération foirée, à chaque fois que j'étais confronté à la mort de quelqu'un sous mon bistouri, même si dans le fond je n'étais jamais vraiment responsable, je me pensais quand-même coupable. « Clément... J'ai bien conscience que tu ne veux pas l'entendre et je comprends pourquoi, mais tu n'es pas responsable. Tu es pourtant bien placé pour savoir que les crises d'angoisse ça ne se contrôle pas, tu m'as vu en faire pendant des années.» Et j'étais bien placé pour savoir que s'il en arrivait là, c'était parce qu'il était à bouts, et qu'il allait bientôt finir par flancher complètement. Dans le fond ça me peinait de le voir comme ça, mais que pouvais-je faire ? L'attacher à une chaise ? Il m'aurait mit KO en exactement une minute vingt-cinq si l'envie lui en avait prit. Et même en dehors de ça, forcer les gens ça n'avait jamais été mon genre. Je pouvais certes me montrer insistant voire pénible, mais je laissais tout de même à chacun son libre-arbitre. Je remarquai d'ailleurs bien son regard suppliant, mais j'étais têtu et je savais qu'il finirait par se calmer et me rejoindre, et qu'au final il passerait un bon moment à s'occuper de Freya, et peut-être même que ça l'aiderait à vider son sac.
Aussi, je me détournai de lui et me dirigea vers les barres d'attaches, où j'attacha Freya avec dextérité. Bizarrement l'équitation et la chirurgie étaient les deux seuls domaines qui contredisaient la règle selon laquelle j'étais tout sauf coordonné. Je me rendis donc à la sellerie pour ouvrir mon casier et récupérer ma boîte de pansage, et revins près de Freya. Sur le chemin du retour, je remarquai que Clément était là, près d'un autre cheval, et bien que le voir le caresser me tira un petit sourire je préférai ne rien dire et me contenta de retourner près de ma jument. Il finit par se rapprocher de moi et s'excuser. Aussi, je me tournai face à lui. « C'est oublié.» Dis-je simplement. Les excuses m'avaient toujours rendu mal à l'aise, je ne savais jamais quoi répondre, et dans le fond en général les gens sincères étaient dans l'état de Clément, et leur regard et leur façon d'être me suffisaient à comprendre qu'ils regrettaient. J'avais pas besoin des mots. Et puis je préférai nettement le voir souriant et heureux que là, en train de se mordre les doigts. Et puis c'était réellement oublié, quand je dis que je suis pas du genre rancunier. Il me dit ensuite qu'il pensait avoir réellement besoin d'une pause, et je le connaissais assez pour savoir qu'il ne la ferait pas. Mais s'en rendre compte était déjà un grand pas selon moi. « Tu sais, il existe des calmants à base de plante. Pas d'addiction, et un réel effet apaisant.» Evidemment je ne pouvais pas lui en prescrire moi-même, mais je préférai lui donner l'information. Et puis c'était évidemment moins fort que les calmants chimiques, ça permettait juste de s'apaiser un peu, et peut-être que ça pourrait l'aider avant de monter sur scène, par exemple. Ce n'était pas une solution viable à longue durée, mais je savais qu'il ne prendrait pas de pause, alors ce serait mieux que rien. « C'est des toutes petites gélules à faire fondre sous la langue, comme l'arnica.» Qui était elle même à base de plante et très efficace comme anti-douleur, d'ailleurs. Enfin, mon neveu me demanda de lui donner une brosse, ce qui m'arracha un nouveau sourire. Je me penchai pour récupérer une brosse dure dans la boîte qui était pour le moins en bordel et la lui tendis. « T'as de la chance, le sol n'est pas très boueux en ce moment.» Et faut dire que l'une des choses que Freya aimait le plus au monde, comme beaucoup de chevaux était de se rouler dans la boue. Et par la même occasion me forcer à me faire les bras avec une étrille, du coup. Je me saisis donc de mon cure-pieds dans cette même boîte et alla du côté de Freya où Clément n'était pas et fit glisser ma main le long de son antérieur, avant d'attraper les quelques poils qui étaient derrière son boulet pour l'inviter à soulever son antérieur, une fois chose faite, je retirai consciencieusement toute la boue et les petits cailloux qui s'étaient logés dans son sabot, avant de recommencer l'opération avec son postérieur et puis une fois Clément changeait de côté, j'en fis autant et répéta l'opération avec les deux jambes qui restaient avant de reposer négligemment le cure-pieds à sa "place". « Est-ce que tu veux monter?» Je l'interrogeai du regard, je demandai, je n'imposais rien, surtout en ce qui concerne ce sujet là. Je savais que forcer était le meilleur moyen de braquer, et un cavalier braqué n'est jamais un bon cavalier.
Il a bien raison, Paul, lorsqu'il dit que je ne suis pas responsable, que les crise d'angoisses ne se contrôlent pas. Toutefois, une partie de moi est totalement persuadée que j'aurais pu contrôler tout ça, que si j'avais réellement été maître de moi-même je n'aurais pas fini comme ça. Et c'est bel et bien cette partie là qui m'emmerde, qui me fait me sentir misérable. Je n'ai qu'une seule envie : rentrer, m'enfermer dans ma chambre et ne plus en sortir jusqu'à nouvel ordre. Mais en même temps je sais que je ne vais pas faire de pause, qu'au contraire je vais mettre les bouchées doubles et que j'vais assez rapidement savoir me reprendre et retourner dans la troupe. Leur réaction d'avant était une réaction à chaud, je ne pense pas qu'ils m'en veuillent réellement. Et puis de toute manière c'est Charles qui décidera si oui ou non je pourrais continuer.
Je ne réponds rien à Paul concernant cette déclaration et le laisse partir vers l'écurie. Hésitant quelques instants, je décide finalement de l'y rejoindre et, alors qu'il a disparu je ne sais où, je fais connaissance avec un autre résident de cette écurie. Caressant tendrement le chanfrein brun de l'animal, je remarque du coin de l’œil que Paul revient avec une boîte de pansage et je décide de rejoindre sa jument. Lui flattant l'encolure avec douceur, je commence à m'excuser auprès de mon oncle, mes mots ayant été assez durs. Sans me regarder, Paul me dit que c'est déjà oublié et, même si je le crois, ses mots ne font qu'affirmer que j'ai mal agit, faisant grandir un peu le malaise en moi.
Alors je prends les devants et, changeant de sujet, lui demande une brosse. Disant que j'ai de la chance que les près ne sont pas très boueux, Paul me tend une étrille en caoutchouc et je commence à la passer en mouvement circulaire le poil de la jument qui semble pas mal apprécier ce massage. Mon oncle reprend alors la parole, me parlant de plantes qui ont des effets calmants, sans aucun risque addictif. Je soupire doucement et hausse les épaules « Faut voir» dis-je, absolument pas persuadé que ça ait un réel effet « ça peut valoir le coup. De toute manière, je n'ai rien à perdre je pense» marmonnais-je, lui promettant ainsi, silencieusement et de manière détourner, que je vais tenter ces plantes calmantes.
Je change ensuite de côté et brosse de façon à ce que le poil de Freya brille avant que Paul me demande si j'ai envie de la monter. J'arque un sourcil, hésite sincèrement mais fini par secouer la tête « Non, je vais te laisser la longer, ce sera plus sûr» dis-je en hochant doucement la tête, m'approchant de la jument pour lui caresser les naseaux « ça fait combien de temps que tu l'as ?» demandais-je «Et tu fais quoi avec elle en général ? »
Aussi dramatiquement qu'avait pu commencer cette soirée, je commençais à l'apprécier, et même à la considérer comme le meilleur moment que j'avais pu passer avec Clément depuis mon arrivée à Brisbane. Ca me réchauffait le coeur et me redonnait un peu d'espoir. L'espoir qu'il reste encore quelques morceaux à recoller entre nous. Nous nous occupions donc du pansage de Freya, qui comme à son habitude semblait apprécier ça, et je proposai des médicaments homéopathiques à Clément pour essayer de gérer son stress, et c'est avec la plus grande surprise que je l'écoutai me faire comprendre qu'il allait essayer. Je m'approchai donc de Freya, commençant à caresser son encolure pensivement, tout en attendant qu'il termine son travail avec l'étrille. Puis je lui proposai de monter, chose qu'il déclina bien qu'il avait eut l'air d'hésiter. « Moi, je propose que tu la longes, toi. Je n'ai pas dormi depuis trente-six heures. Mais je pense que ce serait bien que tu viennes la monter, une fois. Ou chaque fois que tu en auras envie.» Et maintenant que la crise était passée, que l'adrénaline m'avait abandonné, je commençais à sentir la fatigue qui montait doucement en moi. Aussi, je refermai la boîte et me rendit à la sellerie pour la ranger et me saisir d'une longe beaucoup plus longue. Je revins et détacha la première longe du licol de Freya pour y attacher l'autre que je tendis à Clément. En dehors de ma fatigue, se concentrer sur la jument et la faire travailler allait lui vider la tête et lui changer les idées. C'était en bonne voie, aussi nous n'allions sans doute pas nous arrête en si bon chemin. Quant au reste, je voulais qu'il comprenne par là qu'au final ma jument était aussi en quelque sorte la sienne s'il en avait envie, et qu'il pouvait venir à sa guise, avec ou sans moi pour monter ou juste passer du temps avec elle. « Je l'ai acheté il y a 3 semaines, et elle est ici depuis une semaine.» Dis-je, tout en commençant à me diriger en sa compagnie vers le rond de longe, dont j'ouvris la porte pour les laisser passer, lui et Freya. « Pour l'instant pas grand chose, du travail à pieds surtout, et du plat. Mais d'ici quelques temps quand on se sera habitués l'un à l'autre, je commencerais l'obstacle et le cross.» Parce que le cross avait toujours été ma discipline préférée, et qu'après toutes ces années d'équitation, j'étais ravis d'avoir enfin ma propre jument, avec qui je l'espérais je lierais une vraie relation de confiance. En dehors de ça, la compétition n'était pas mon genre, et je me contenterais de monter pour le plaisir. « Tu pourrais venir de temps en temps. Il faut bien quelqu'un pour monter les barres.» Dis-je, un peu taquin. Mais je soulignais par là aussi le fait que je pourrais monter les siennes de barres s'il le voulait. Et dans le fond, ça me ferait tellement plaisir de partager ça avec lui. Je refermais la porte derrière eux, et grimpai sur les barres en bois, pour venir m'asseoir sur l'un des poteaux, les pieds reposant sur les deux barres qui partaient de part et d'autre de ce dernier. « Tu pourrais même venir avec Moana. Freya adore les chiens, il paraît, je n'ai pas encore eut l'occasion de vérifier.» dis-je. « Si tu le sens, elle fonctionne très bien à la voix.» lui intimais-je, lui proposant ainsi silencieusement de retirer la longe.
En quittant le théâtre avant, je n’avais qu’une seule envie: rentrer et m’enfermer dans ma chambre jusqu’à nouvel ordre. Mais Paul a sans doute raison : ce n’était pas la meilleure solution. Son idée à lui, bien que déplaisante au début, s’avère finalement être une bonne chose. J’ai toujours aimé les animaux, particulièrement les chiens et les chevaux. Bien que j’ai commencé à approcher Freya avec beaucoup de retenue, peut-être même un peu de peur, je fini par franchir le pas et la brosse consciencieusement. En silence tout d’abord, je laisse les gestes réguliers m’hypnotiser et m’apaiser, jusqu’à ce que Paul me demande si j’ai envie de la monter. Je refuse très clairement, ne me sentant pas capable de le faire. De toute ma vie je n’ai été que deux ou trois fois sur un cheval, je n’ai donc pas la dextérité nécessaire. Lorsque mon oncle me propose de la longer, plutôt, n’ayant, lui, pas dormi depuis 36h, je lève mon regard sur lui et l’observe enfin plus en détail.
Et effectivement, il a l’air d’être au bout de sa vie. Et moi qui l’ai dérangé alors que sa place est chez lui, dans son lit. Je pince les lèvres et hoche la tête « Je vais le faire rapidement» assurais-je « tu pourras ensuite rentrer te reposer» dis-je en hochant doucement la tête. Me perdant à nouveau dans mes pensées, je change de brosse et repasse plus fortement sur le poil de la jument. Je n’écoute les réponses de Paul que d’une oreille distraite, sentant mon malaise revenir un peu trop rapidement, jusqu’à ce qu’il ne me dise, de manière détournée que je peux commencer à ramener la jument au manège.
«Hein ? Quoi ? » demandais-je en relevant mon regard sur mon oncle qui désigne la longe d’un coup de tête « je …ah euh oui, ok» marmonnais-je en détachant la jument. Avec un claquement de langue, je propose à l’animal de me suivre, ce qu’elle ne se fait pas prier deux fois. Je laisse Paul passer devant moi pour me montrer le chemin puis entre dans le manège. Je salue furtivement la cavalière qui était là avant puis me place sur un cercle et laisse la jument tourner autour de moi. Je remarque bien rapidement qu’elle connait son job. Calme, tranquille et pourtant réceptive, elle semble apprécier le fait de se dégourdir les jambes. Pour ma part je porte une attention toute particulière aux recommandations de mon oncle, laissant la jument aller aux trois allures sur chaque main.
Seulement 20 minutes plus tard, je décide que c’est assez, que nous allons pouvoir plier bagage. Paul ne semble pas être contre –sans doute est-il entrain de rêver de son lit- et je le laisse m’indiquer le box de sa jument où je l’emmène. Je retire le licol, lui offre une carotte et quelques caresses surmontées de mots doux, avant de refermer le box et aider mon oncle à ranger toutes les affaires. Après avoir vérifié une dernière fois que Freya était bien installée pour la nuit, nous quittons les écuries.
Alors que nous attendons le taxi, bras croisé devant moi et regard rivé sur le sol, je joue distraitement avec une pierre puis soupire doucement « merci Paul» déclarais-je finalement, brusquement «D’être venu me chercher ce soir et de …de m’avoir emmener ici» dis-je en regardant vers l’écuries « c’est vraiment sympas comme endroit mais je ne pense pas que je pourrais revenir» dis-je, haussant les épaules «Du moins pas tout de suite. Enfin on verra bien. Bref » je déglutis et secoue doucement la tête «Tu me laisse rentrer maintenant ? » demandais-je, avec une pointe d’ironie amusée dans ma voix.
Alors que nous continuâmes de nous occuper de la jument, et que j'avais proposé à Clément de la longer lui-même, plus pour que ça le détende que par rapport à ma fatigue en réalité, il déclara qu'il allait faire ça rapidement, pour que je puisse me reposer. Je lui fis un petit sourire. « J'suis habitué. C'est pas la première, et certainement pas la dernière fois.» C'était pas spécialement dérangeant et dans le fond j'avais encore des réserves pour tenir un peu. Puis je pouvais aussi être bipé n'importe quand par l'hôpital, pour une nouvelle urgence, si jamais ils étaient surbookés. J'avoue que j'espérais quand-même un peu que ce ne serait pas le cas. Je l'observais ensuite brosser consciencieusement Freya, visiblement perdu dans ses pensées puis je l'invitai à aller la longer, lui tendant la longe. Ses pensées devait être profondes puisqu'il mit quelques instants à réaliser ce que je lui proposais. Je pris donc les devant pour me diriger vers le manège, et nous y entrâmes et je le laissai faire, lui donnant de temps en temps quelques instructions mais sans plus, je voulais surtout que ce soit son moment. Je savais que Freya se montrerait sage et à l'écoute, même si elle leva le cul une ou deux fois pour montrer sa joie, me tirant au passage quelques petits sourires, parce qu'elle était plutôt sensible -comme la plupart des animaux- à la détresse. Puis au bout d'une vingtaine de minutes mon neveu décide que c'est assez et donc nous repartons en direction des écuries, je lui indique le box de Freya, dans lequel je ne la mettais pas si souvent que ça puisque je préférai la savoir en liberté, mais pour la nuit c'était plus prudent. Elle serait de toute façon sortie au petit matin selon mes recommandations. Nous allâmes ensuite ranger les affaires dans la sellerie et puis je contactais un taxis, et nous nous rendîmes à l'endroit où le précédent nous avait laissés. Et là, Clément se mit à me remercier d'être venu et de l'avoir emmené ici. Avec la tête de mule qu'il était je ne m'attendais pas à ce qu'il l'exprime formellement. Je savais qu'il l'avait ressentit, que la magie avait fait son oeuvre, mais je ne pensais pas qu'il le dirait. « C'est normal. Tu sais que tu peux compter sur moi, n'est-ce pas?» Une façon de lui dire qu'il n'avait pas le moins du monde à s'en vouloir de m'avoir fait "déranger", parce que c'était tout naturel pour moi. Il me dit ensuite qu'il ne pensait pas pouvoir revenir, du moins pas tout de suite. « Ca te ferait du bien, pourtant.» Mais comment lui dire qu'il fallait qu'il se mette moins la pression, qu'il s'offre du temps à lui ? Ca aurait été comme parler à un mur, alors je n'ajoutai rien. Pour le reste, je ne saisis bien évidemment pas l'ironie dans sa phrase qui était tout à fait correcte dans son sens littéral. « Tu n'es pas prisonnier.» C'est vrai, dans le fond, tout ce que j'avais fais ce soir, n'avait jamais été sous la coupelle de pensées préméditées. Je n'avais pas vraiment pensé au fait qu'il ne pouvait pas se payer un taxis lui-même et toutes ces choses là. En tout instant je m'étais dis qu'il était libre de partir s'il le voulait. Dans le fond, s'il avait insisté, je lui aurais même donné de l'argent pour qu'il prenne un taxis seul. « Essaye de ne pas trop ressasser ce qu'il s'est passé.Demain est un autre jour.» Pas trop parce que je savais que ressasser, il allait le faire de toute façon, mais s'il pouvait au moins dormir un peu et arriver à sa prochaine répétition avec un minimum de sérénité, ce serait bien.