« Mesdames et Messieurs, nous vous souhaitons un agréable séjour à Brisbane, et espérons vous accueillir à nouveau chez Cathay Pacific. » Carlisle retira son casque, qu’il posa avec douceur sur le tableau de bord devant lui. Il se pencha légèrement vers son collègue et ami et, comme à leur habitude, les deux hommes partagèrent une franche poignée de mains. Une fois de plus, ils étaient arrivés à bon port, sans dommage. Ils avaient permis à des centaines de voyageurs de se rendre d’un point A à un point B en toute quiétude. La mission était pleinement remplie, et une autre l’attendait la semaine prochaine. Mais avant de rejoindre son habitacle préféré, Carlisle comptait bien profiter des quelques jours de repos qui s’offraient à lui : il était éreinté. Amal avait sans doute quelques projets auxquels il se grefferait volontiers, mais il était hors de question, pour lui, de s’échiner à la tâche. Il devait aussi honorer un rendez-vous avec Evelyn Pearson, sa wedding planner, qu’il faisait patienter depuis de longues semaines. Il ferait un saut à l’entreprise familiale, aussi : son père serait content de le voir. L’inverse était réciproque, même si le pilote était fatigué de devoir jouer un double-jeu. Bientôt, il le savait, il ne tiendrait plus le choc. Bientôt, son âge et sa motivation seraient deux éléments qui lui donneraient du fil à retordre. Il aurait pu rester pendant de longues minutes encore, à méditer sur sa vie et son avenir, si une hôtesse de l’air n’était pas venue le tirer de sa rêverie. Avec calme et gentillesse, elle lui fit savoir qu’un chauffeur les attendait sur le tarmac. L’ensemble de l’équipage serait déposé devant les bureaux administratifs de la compagnie, et chacun pourrait finalement rentrer chez lui. Il hocha la tête, et se détacha : il avait hâte de rentrer. Son programme pour le reste de la matinée était clair : il prendrait une douche, et filerait se coucher.

Après quelques salutations polies et autres remarques sympathiques, l’Australien s’éclipsa vers le parking. Sa moto trônait fièrement, et il eut un sourire satisfait. Il adorait retrouver sa bécane ; elle lui provoquait un sentiment de liberté relativement grisant. Il l’enfourcha et, aussitôt, mit le contact. Il n’attendit pas plus longtemps avant de s’éloigner de son lieu de travail, et profita des routes où la visibilité était claire pour accélérer. Revigoré par la vitesse et l’air qui s’engouffrait dans sa veste, Carlisle oublia momentanément sa fatigue. Il fit le vide dans sa tête, et observa à la dérobée les paysages qui se succédaient sous ses yeux. Si le pilote adorait voyager et découvrir de nouveaux territoires, il ne se sentait jamais aussi bien que chez lui, à Brisbane. L’Australien leva le pied, alors qu’il entrait dans la ville. Il zigzagua entre les voitures, et passa par quelques raccourcis pour éviter les grandes artères. A cette heure-ci, elles étaient fortement fréquentées, et il allait perdre un temps fou. Sans parler du fait qu’il risquait de se faire pincer par la police, ce qu’il préférait éviter. Il bifurqua sur sa gauche, et freina brusquement en tombant nez à nez avec une piétonne, qui traversait à la sauvage. Le pilote se désaxa légèrement, pour éviter de tomber – et laissa libre court à sa parole. Une fois redressé, il passa une main sur son casque pour relever sa visière. « Non mais ça va pas ?! » S’exclama-t-il, hors de lui. « Tu te rends compte que j’aurais pu te percuter ? »  Il était agacé mais, surtout, inquiet. Il avait eu un coup de chaud ; par chance, plus de peur que de mal. « Tu cherchais quoi, exactement ? Faut être complètement… » Il s’arrêta lorsque, brusquement, il réalisa que le regard braqué sur lui ne lui était pas inconnu. Était-ce… « Savannah ? » Finit-il par dire, réalisant que ce visage familier était celui d’une jolie blonde, qu’il avait perdu de vue depuis de longs mois. Il avait l’étrange impression d’avoir affaire à un fantôme : aux dernières nouvelles, n’avait-elle pas disparu du paysage ? Si tel avait été le cas, visiblement, les choses avaient désormais évolué. « Je… Désolé. » Murmura finalement le pilote, alors qu’il se remémorait, non sans un certain malaise, ce qu’il lui avait précédemment dit. Il n’avait pas été tendre avec elle – en même temps, elle ne l’avait pas volé. Mais de là à lui hurler dessus… « Je n’aurais pas dû m’emporter. » Ajouta-t-il, avant de se garer à côté d’elle. Il retira son casque, et passa une main dans ses cheveux pour tenter d’y remettre un peu d’ordre.

La journée avait été interminable, et j'avais cette horrible impression qu'elles l'étaient malheureusement toute dernièrement. Les dossiers s'empilaient sur mon bureau sans que je ne parvienne à en voir le bout, et nombreuses étaient les heures supp' auxquelles je me livrais malgré moi. J'avais les traits tirés et une fatigue bien lisible sur mon visage alors que j'arpentais les rues de la ville, recherchant désespérément l'endroit dans lequel je comptais me rendre pour dîner ce soir. Il faut dire que mes repas avaient été quelque peu compromis par la charge de travail. Je n'avais pas eu le temps de me rendre à l'épicerie du coin pour quelques courses, et je m'étais retrouvée à manger sur le pouce la plupart du temps, ou bien même sauter quelques repas pour tenter de savourer le répit qui m'était accordé pour me reposer. Mais là ce soir, j'avais l'estomac dans les talons, et ces odeurs alléchantes qui s'échappaient de certaines enseignes parvenaient presque à me faire perdre la tête. Je tardais cependant à trouver l'endroit idéal, sachant qu'il était encore peut être un peu tôt pour passer à table là tout de suite. Je profite cependant de ce moment pour évacuer la pression en me baladant à travers le centre-ville. Je me retrouve à vouloir traverser un instant la route, interpellée par une boutique sur le trottoir d'en face. Malheureusement, je ne prête guère attention à la circulation dans son ensemble, et manque de me faire renverser par une moto. Les yeux écarquillés et le rythme cardiaque bien plus élevé, je subis sans plus attendre les remontrances du conducteur de l'engin.« Non mais ça va pas ?! Tu te rends compte que j’aurais pu te percuter ? » Je me secoue la tête pour tenter de reprendre mes esprits. "J'suis désolée" avouais-je, la gorge quelque peu nouée par le drame que je viens de frôler. « Tu cherchais quoi, exactement ? Faut être complètement… » Je me frotte le front, fronçant les sourcils face à ce tempérament de feu que je subis un peu trop intensément à mon goût.« Savannah ? » Mon visage se penche, délivrant cet mine fermé pour un air un peu plus surpris. Il connaît mon prénom, je ne parviens cependant pas à deviner qui se cache derrière cette visière.« Je… Désolé. » Je tente de laisser échapper quelques mots, mais ces derniers me manquent alors que je tente toujours de me remettre de cet incident qui me perturbe tout autant que le personnage qui me fait face. « Je n’aurais pas dû m’emporter. » Je fronce les sourcils en l'observant garer la moto, bien décidée à savoir à qui je m'adresse. "Mais on se connaît?" J'ai à peine le temps de finir cette phrase qu'il ôte son casque, laissant apparaître un visage qui m'est plutôt familier. "Carlisle" dis-je sans que je ne contrôle quoique ce soit. Quelle surprise. Enfaites non, il habitait cette ville, ca avait toujours été le cas, je n'avais cependant pas songé à la possibilité de l'y recroiser un jour. "Je...euh..." Je lève les mains faiblement. "J'suis désolée, j'suis un peu distraite ce soir." Le manque de sommeil, la contrariété accumulée et cette sensation de faim y étaient sans aucun doute pour quelque chose. " Ca me fait plaisir de te revoir" avouais-je sans pour autant être sûr que ce soit le cas. Carlisle et moi avions été présenté lors d'une sortie entre couple. A l'époque, je coulais encore des jours heureux avec James, et lui se trouvait déjà en compagnie d'Amal. Nous nous étions quelque peu tous liés d'amitié, bien que c'était mon amitié avec Amal qui nous avait permis de tous nous rapprocher. La dernière fois que nous nous étions vus, je venais de leur apprendre ma grossesse, s'en était suivi ma disparition soudaine... Nos chemins se sont séparés après cela, malgré l'affection que j'accordais aux deux jeunes gens. J'ai cependant recroisé Amal il n'y a pas si longtemps, cette belle surprise fût vite compromise en réalisant qu'elle se trouvait au côté d'un homme qui n'était pas le sien. J'avais d'ailleurs provoqué les retrouvailles pour m'assurer de sa situation et lui avouer que j'étais au courant de son côté volage. J'avais tenté de la raisonner, parce que j'estimais que son couple avec Carlisle inspirait le bonheur, mais elle n'avait pas voulu m'écouter à ce sujet, et l'idée que je lui avais insufflé afin qu'elle avoue ses torts à son fiancé avait mis un froid glacial entre nous. Et voilà que je me retrouve à confronter Carlisle, cet homme attachant qui ignore encore la victime qu'il est au travers de son couple. "Tu vas bien?" demandais-je. Cela incluait bien évidemment son état face à ce que l'on venait d'éviter et qui le mettait de façon justifiée dans cet état de rage, mais aussi et surtout sa vie d'un point de vue générale.

Désolée ? Elle était désolée ? C’était bien la moindre des choses, le minimum syndical. Non seulement elle avait traversé sans regarder, mais surtout, elle avait bien failli les envoyer tous deux à la morgue. Par chance, Carlisle avait su être maître de son véhicule et éviter le pire. Le pilote savait pertinemment qu’il prenait des risques, à chaque fois qu’il arpentait les rues de Brisbane sur sa moto. Il savait que la vie ne tenait qu’à un fil, et qu’à tout instant, l’une des Parques pouvait choisir de couper le sien. Mais jusqu’à maintenant, l’Australien avait eu de la chance. Aujourd’hui n’était pas un jour différent ; il avait simplement frôlé la catastrophe. Son rythme cardiaque avait brutalement augmenté, et Carlisle avait laissé échapper une flopée de commentaires désagréables à l’intention de l’imprudente. Il avait l’habitude de ne pas se fier aux passants, et à leurs décisions irréfléchies. Il avait l’habitude d’anticiper sur le danger – une chance pour les deux individus. Mais la soudaine colère laissa place à la surprise. Caché sous son casque, le pilote bénéficiait encore d’une touche d’anonymat. Plus pour longtemps ; il ne comptait pas se cacher de son amie longtemps. Une fois passée la colère, puis la surprise, il se rendit compte qu’il était content de revoir cette tête familière. Longtemps, Savannah et James avaient formé un couple heureux, avec lequel Amal et Carlisle étaient contents de sortir. Des sorties à quatre, où régnait toujours une bonne ambiance. Ils avaient beaucoup bu, beaucoup ri, beaucoup plaisanté, beaucoup partagé. Jusqu’à ce que les aléas de la vie ne viennent les séparer. « C’est moi, Savannah. » Déclara-t-il en retirant son casque. Il révéla aux yeux de son interlocutrice son visage, et il vit tiquer cette dernière. Il ne fit aucun commentaire, mais ne put s’empêcher de se demander si sa réaction était positive ou négative. « J’ai cru comprendre, oui. » Dit-il en souriant, conscient qu’en remettre une couche n’aurait aucun sens. Il s’était déjà montré suffisamment virulent avec elle, lorsqu’il avait laissé échapper sa colère. Savannah n’était plus une gamine, et elle savait très bien qu’elle avait fait une connerie. Inutile de la blâmer davantage. « Je… Ça va mieux, maintenant. Tu m’as fait une belle frayeur. » Admit le pilote en souriant, faisant référence à ce qui venait de se passer entre eux. Il balaya cet incident d’un revers de main, et fit face à son amie. Elle n’avait pas changé : Savannah avait toujours été d’une beauté naturelle, pure, et le temps ne semblait pas avoir d’effet sur elle. C’était bien simple, il n’avait pas l’impression que deux ans s’étaient écoulés entre leur dernière rencontre, et celle-ci. « Je ne savais pas que tu étais de retour. » Admit Carlisle à voix basse, ne sachant pas vraiment si l’Australienne accepterait de parler de son départ précipité de Brisbane. M’enfin… Pour le moment, l’important était surtout de briser la glace. Tous deux semblaient marcher sur des œufs – sans doute y avait-il un peu d’incertitude quant aux éventuelles réactions de l’autre. Pourtant, le pilote ne ressentait aucune aigreur, aucune rancœur : Savannah était libre, et l’avait toujours été. Il avait toujours admiré cette indépendance dont elle faisait preuve. « Tu… Tu veux aller boire un verre ? » Proposa le pilote d’une voix légèrement hésitante, ne sachant pas très bien comment Savannah réagirait. Après tout, n’avait-elle pas subitement disparu de la circulation sans jamais donner de nouvelles ? N’avait-elle pas fui la ville, sans donner d’explication à quiconque ? Carlisle comprenait le besoin de prendre le large, de s’exiler, de se retrouver seul avec soi-même. Jamais il ne jugerait quelqu’un qui prenait cette décision. Cependant, ce qu’il comprenait moins, c’était le silence qui entourait ce type de départ. Amal en avait d’ailleurs beaucoup souffert ; du jour au lendemain, l’une de ses grandes amies s’était évanouie dans la nature et n’avait jamais jugé bon de l’appeler. La déception avait été grande – elle n’approuverait probablement pas le fait qu’ils s’installent à une terrasse pour papoter, comme si de rien était. Carlisle fit signe au serveur, qui s’empressa de venir prendre leur commande. « Alors, dis-moi tout : que deviens-tu ? » Pas sûr qu’une seule bière suffirait à faire le point sur ce qui s’était passé dans la vie de chacun.

Je ne sais pas trop comment réagir. Il aura suffit de cet incident pour constater l'état dans lequel je me trouve, prendre conscience de cet état fatigue et de cette imprudence dont je fais preuve, de cet silhouette faiblarde que je traîne . Je ne suis pourtant qu'une piétonne qui déambule, cherchant à m'évader l'esprit pour ne pas me retrouver enfermé entre quatre murs après une journée de travail -de plus- éprouvante. C'est donc au péril de ma vie que je parviens à atteindre ce sentiment de confort, rapidement rattrapé par cet état de détresse qui vient le remplacer. Je m'excuse, ne parvenant pas vraiment à expliquer comment cela à pu arriver, si ce n'est pas une grande imprudence de ma part. Je ne peux rien faire d'autre, mais je comprends que cette peur a été d'avantage vécu par le conducteur de la moto, qui peine à retrouver son calme. « C’est moi, Savannah. » Je fronce les sourcils, surprise d'entendre mon prénom à cet instant alors que mon regard cherche à deviner derrière cette visière à qui je m'adresse. Cette voix m'est effectivement familière, et me rappelle un sentiment positif, il faudra cependant qu'il se débarrasse de son casque pour que je parvienne à lui attribuer un visage, un nom...La surprise est de taille. Ca ne devrait pas être le cas. Nous avions fait connaissance à Brisbane, il n'était donc pas impossible qu'un jour nos chemins viennent à se croiser à nouveau. Une partie de moi est heureuse de le retrouver, au delà du fait qu'il m'ait réprimandé pour mes agissements, il est une personne que j'ai appris à découvrir et avec laquelle j'ai passé de bon moment, des moments que nous partagions finalement en couple. Amal, cette amie que j'avais rencontré il y a maintenant une bonne paire d'année me l'avait présenté, et j'avais convié assez rapidement James à se joindre à nous. Les sorties à quatre avaient été régulière, il régnait entre nous une atmosphère légère et amicale, comme si rien ne pouvait changer, que ca resterait ancré. Des souvenirs qui me paraissent si lointain désormais. Mon couple avec James a volé en éclat, j'ai quitté la ville soudainement, et j'ai également cessé d'avoir des échanges avec mes amis, préférant oublié tout ce qui se rapportait à ma vie à Brisbane. c'était bien trop douloureux pour moi. ces moments passés ensemble se sont futilement installés dans mes souvenirs, sachant pertinemment qu'il n'y aurait plus jamais de suite à ça. Mais contre toute attente, j'avais croisé Amal il y a quelques semaines. Nos retrouvailles n'avaient pas été chaleureuse. La rancœur était parvenue à nous éloigner pour de bon, brisant cette complicité d'antan, du moins, de son côté à elle. Pour ma part, j'avais eu la malheureuse surprise de constater qu'elle était en compagnie d'un autre homme que Carlisle, et qu'ils formaient pourtant encore à l'heure d'aujourd'hui un couple. J'avais tenté de la raisonner, mais ce moment avait vite prit fin, me laissant sur une déception amère. « J’ai cru comprendre, oui. » Je souris, tentant de dissimuler mon trouble. Mon regard étudie un instant ses traits. Il n'a pas changé, il n'en donne pas l'impression du moins. Malgré les cheveux en bataille, il dégage toujours autant de charisme. Fait troublant, il semble plutôt heureux, ce que j'ai du mal à lier avec l'infidélité de Amal. Je songe un instant à l'idée qu'il n'en sache toujours rien, malgré les recommandations que j'avais pu livrer à la jeune femme.« Je… Ça va mieux, maintenant. Tu m’as fait une belle frayeur. » Je dois me reprendre, et je m'y efforce en tentant de détendre ce corps nerveux que je traîne. "Je veux bien le croire. J'ai été assez maladroite." avouais-je au travers d'un faible sourire. « Je ne savais pas que tu étais de retour. » Mon sourire se fige un instant, baladant mon regard à travers le sien. Je me demande finalement ce qu'il connaît de mon histoire. A t-il garder contact avec James? Sait t-il que nous sommes désormais séparés? Je ne sais pas trop, et je cherche à trouver les réponses à travers son regard, comme si j'étais prête à confirmer uniquement ce dont il était au courant pour l'instant. Je me passe une main nerveusement dans les cheveux. "Oui je...Je suis revenue il y a plusieurs mois." Je ne semble pas assumer ce que je dis. Je m'en veux surtout de cette absence soudaine. La colère de Amal avait été bien plus facile à affronter, là je culpabilise un peu face à cet homme à qui j'accordais beaucoup d'affection. Je me pince les lèvres, un brin gêné d'avoir cette discussion au beau milieu des passants.« Tu… Tu veux aller boire un verre ? » Un sourire vient illuminer doucement mon visage, soulagée de voir qu'il ne semble pas m'en tenir tant rigueur face à mon silence soudain. "Oui, pourquoi pas" lâchais-je en haussant les épaules. Je me frotte les mains, tentant de remettre de l'ordre dans mes idées pour ce qui va suivre alors que je marche à ses côtés, prenant la direction d'un bar qui se trouve un peu plus loin. Je prends place à cette table, réalisant que c'est bien la première fois que je me retrouve à partager un moment seule avec lui. C'est quelque peu déroutant, et je sais que ça pourrait m'attirer quelques problèmes si Amal venait à nous surprendre à cet instant. « Alors, dis-moi tout : que deviens-tu ? » Mes coudes viennent s'appuyer sur cette table, mon regard croise le sien alors j'esquisse une légère moue. "Malheureusement pas grand chose. J'aimerais pouvoir prétendre être devenue la femme qui a réussi professionnellement et sentimentalement, mais il semblerait que j'ai eu quelques loupés.." soulignais-je avec un sourire qui se veut rassurant, bien qu'il s'apparente à une grande déception. Je souhaite enchaîner, prenant une inspiration poursuivre mais c'est ce moment que choisit le serveur pour débarquer afin de prendre notre commande. J'opte pour un cocktail avec alcool, qui m'aidera probablement à me détendre. Le serveur s'éloigne, nous laissant de nouveau la possibilité d'échanger alors que j'esquisse un sourire. "Ca serait plus simple si tu me disais ce que tu connais de mon départ je suppose."

« Plusieurs mois ? » Répéta Carlisle, un peu surpris par les révélations de Savannah. Le pilote ne s’était pas attendu à cela ; James ne lui avait pas parlé de cette réapparition, qui avait dû être bouleversante pour lui. Cela étant dit, cela faisait plusieurs semaines qu’il n’avait pas eu l’occasion de croiser son ami. Entre son emploi du temps au travail, et sa vie privée bien chargée, le pilote n’avait plus guère de temps à consacrer à ses amis, y compris James. Ça le peinait, d’ailleurs. Intérieurement, il se promit de faire quelques efforts pour se rendre disponible. Après quelques mots échangés, les Australiens se dirigèrent vers un bar ; une fois installés, ils seraient mieux pour parler. « Personne n’est parfait, Savannah. » Commenta l’héritier Bishop en souriant légèrement. Si certains agissaient sans se soucier des conséquences de leurs actes, ce n’était pas le cas de la jolie blonde qui lui faisait face. Visiblement, elle semblait affectée par l’actuelle situation – pire encore, elle se flagellait de ne pas être parvenue à atteindre ses objectifs. Mais, après tout, la vie n’était-elle pas une perpétuelle série d’essais, de tentatives, de désillusions ? Carlisle trouvait que l’Australienne se montrait bien critique envers elle-même. Ressentait-elle une quelconque culpabilité ? Difficile à dire. Probablement. Vis-à-vis de quoi ? Il n’en avait pas la moindre idée. « Ne sois pas trop dure avec toi-même. » Conseilla-t-il en haussant légèrement les épaules. Il allait enchaîner, mais le serveur les interrompit bien vite. Comme bien souvent, Carlisle opta pour un double-scotch – une vieille habitude qu’il chérissait, et qui était aussi l’un des rares points communs qu’il partageait avec son père. Il attendit que le serveur s’éloigne, pour ensuite se concentrer à nouveau sur la conversation qu’il avait avec son interlocutrice. Il tressaillit lorsqu’il l’entendit lui demander ce qu’il savait de son départ, et chercha à faire le tri dans ses pensées. « Je vais être honnête avec toi : je ne sais pas grand-chose. » Admit le pilote en esquissant un vague sourire. Il n’était pas d’une nature curieuse, et n’aimait pas particulièrement questionner les gens. Il partait du principe que chacun avait droit à son jardin secret. Ne pas le révéler n’était pas forcément mentir, c’était simplement se préserver. Vivre, en gardant pour soi, et seulement soi, quelques souvenirs heureux et strictement personnels. « J’ai un peu échangé avec James à ton sujet, mais lui n’en savait guère plus, d’après ce qu’il m’a dit. » Déclara Carlisle. S’il n’était pas du genre à être bavard, le pilote possédait un autre talent : écouter. Il n’était pas rare qu’il soit celui à qui on fasse des confessions… Et elles étaient toujours très bien gardées. « Il m’a dit que tu avais besoin de prendre le large, de prendre du temps pour toi. »  L’Australien l’avait directement appris de la bouche de James, qui avait été dévasté par la nouvelle. Le pilote avait essayé de le raisonner : elle rentrerait, tôt ou tard. Elle profiterait de sa liberté retrouvée, ferait le point sur sa vie, et rentrerait à Brisbane. Malheureusement, les théories de Carlisle ne s’étaient jamais vérifiées. Les jours, les semaines, puis les mois avaient passé. Et Savannah n’avait plus jamais donné signe de vie. « Quant à Amal… Je ne vais pas te cacher la vérité, elle était en colère après toi. » Doux euphémisme : sa fiancée avait d’abord été triste de voir son amie disparaître, du jour au lendemain. Mais elle avait compris – ou, plus exactement, essayé de comprendre. Amal avait trouvé des excuses à Savannah, jusqu’à ce que ces dernières deviennent trop absurdes pour être envisagées. Alors, à partir de ce moment-là, l’Australienne avait commencé à se montrer particulièrement véhémente. Abandonnée par une amie, elle avait mal vécu cette brutale disparition et le manque d’explication qui en découlait. « Et je pense qu’elle l’est toujours. » Fit remarquer Carlisle en haussant les épaules. Elle n’approuverait probablement pas de le voir attablé avec Savannah, comme si de rien était. Mais le pilote était au-dessus de leurs histoires ; lui, ce qu’il voyait lorsqu’il regardait son interlocutrice, c’était le retour d’une amie. « Tu veux m’en dire plus ? » Demanda l’héritier, alors que le serveur déposait devant eux leurs boissons.

Ma bouche s'entrouvre, cependant incapable de laisser échapper un mot à cette question. J'aimerais pouvoir lui dire que mon retour est récent, que j'allais justement reprendre contact avec eux, avec lui...mais ça serait mentir. La vérité c'est que les années nous ont éloigné, et j'en suis bien évidemment à l'initiative. Je n'avais réellement rien contre eux, bien au contraire, c'était plaisant de les compter dans mon entourage, mais j'avais vécu ce passage difficile, et dans un moment pareil, même les personnes qui m'étaient les plus chères s'étaient vues soudainement mise à l'écart, voir ignorer. A l'heure actuelle, j'étais parvenue à remettre de l'ordre dans ma vie, à remonter la pente, il n'empêche que je devais confronter les conséquences qu'avaient créer mes actes. Mon retour n'avait pas toujours été apprécié, que ce soit par James, ou encore Amal, j'ai cependant une pointe de soulagement en constatant que Carlisle ne m'en tient pas tant rigueur au vu de l'atmosphère de cette discussion. Il est pourtant toujours en couple avec Amal, il a certainement été aux premières loges lorsque celle-ci s'est plainte de mon départ soudain, de ces appels que j'ai si souvent filtré...Peut être même qu'elle m'a dénigré d'avantage après nos retrouvailles récentes. Enfaites non... La surprise dont il fait preuve en me retrouvant est bien la preuve que non. Et puis expliquer mes retrouvailles houleuses avec la jolie brune devrait forcément impliquer cette discussion concernant l'infidélité que j'ai pu avoir avec elle, une discussion qui s'est terminé à coup de reproches et de semblant de menace. J'ai émis l'idée de joindre Carlisle pour lui expliquer qu'il était mal mené face à Amal, parce que j'estimais qu'il méritait mieux que ça. Je voulais qu'elle assume du moins ces erreurs et qu'elle avoue ses torts pour tenter de sauver son couple avant qu'il ne soit trop tard, mais je me suis confrontée à un mur, et bien que je m'étais montrée quelque peu déterminée, il n'empêche que je n'aurais pas le cran de le faire. Parce que je pense que l'erreur est humaine, et que Amal traverse probablement une mauvaise période, qu'elle a juste besoin de retrouver son chemin. J'espérais juste pouvoir parvenir à la guider par un déclic, mais il n'en est rien.

Je m'installe à cette table, profitant de l'agitation pour réfléchir à ce que je pourrais lui dire. Je suis l'amie d'Amal, il n'empêche que je culpabilise de devoir lui cacher ce qui deviendra un cauchemar pour lui ensuite. Il semble tellement heureux, tout ça me parait contradictoire finalement. Je m'efforce d'expliquer un peu mon parcours, du moins, celui que j'ai vécu à l'écart de Brisbane. Il n'est pas glorieux, mais il m'a apporté une certaine paix, une leçon de la vie. Je me sens mieux, et rien que pour ça je sais que j'avais fais le bon choix, bien que je le regrette régulièrement face à ce que j'ai pu manquer. « Personne n’est parfait, Savannah. » Mon regard croise le sien, appréciant toujours cette douceur dont il fait preuve. Souvent on me juge, mais rarement on m'accorde ce choix, préférant s'arrêter aux faits qui étaient en sot bien plus dramatiques. "Oui, j'imagine" soufflais-je alors que l'instant d'après le portrait de sa femme me vient à l'esprit. Je détourne le regard, gênée.« Ne sois pas trop dure avec toi-même. » Je souris doucement, appréciant ses mots rassurants. " Ouais..." J'étais peu convaincu que je méritais tant d'empathie, mais c'était toujours agréable à entendre, d'autant qu'il me connaissait assez pour savoir que je n'étais pas du genre à vouloir briser le cœur des autres, bien au contraire. La question c'était surtout de savoir ce qu'il connaissait de l'histoire. Qu'est ce que James s'était autorisé à lui dire? Je ne sais même pas si leur amitié était encore d'actualité. Je lui pose donc la question, après avoir passé commande. « Je vais être honnête avec toi : je ne sais pas grand-chose. » Je tente de déceler à travers son regard cette vérité, mais il semble bien honnête. « J’ai un peu échangé avec James à ton sujet, mais lui n’en savait guère plus, d’après ce qu’il m’a dit. » Ma bouche s'étire, formant une grimace face à cette remarque. Il faut dire que James avait été malheureusement relayé au même titre que tous les autres, je l'avais chassé subitement de ma vie, refusant de lui expliquer les raisons de mon départ. Ca peut paraître injuste, d'autant qu'à l'époque je décidais de m'enfuir durant ma grossesse, celle qui verra naître Mathis, mais j'avais anticipé les choses, jamais il ne m'aurait laissé partir, jamais.« Il m’a dit que tu avais besoin de prendre le large, de prendre du temps pour toi. » Je hoche de la tête, comprenant que James en avait compris le message, bien qu'à l'heure d'aujourd'hui il m'accordait une rancune sans limite. « Quant à Amal… Je ne vais pas te cacher la vérité, elle était en colère après toi... Et je pense qu’elle l’est toujours.» Je hoche de la tête, laissant mon regard se perdre un instant dans le sien. "Oui je sais..." ma main se lève, tentant de rattraper cette petite erreur qui passera probablement inaperçu. "Enfin, j'en ai eu une vague idée...Elle n'a pas répondu à mes derniers messages." précisais-je. "J'espère cependant qu'elle parviendra à me pardonner un jour. "Rien n'était moins sûr. Nos verres arrivent, me donnant l'occasion de détourner l'attention un instant. « Tu veux m’en dire plus ? » Je croise son regard, attendant un instant avant de parvenir à me lancer. "Je...Je pensais avoir tout ce que je voulais. J'étais amoureuse, enceinte, tout devait se passer à merveille pour moi. Mais j'ai un visage du passé qui est venu me hanter, et j'ai perdu le contrôle. J'ai douté de mes capacités à devenir une mère formidable, à mériter cette vie que j'ai si souvent idéalisé. Ce n'était peut être pas pour moi finalement...." Je fais une légère moue. "Je suis partie pour me ressourcer, répondre à toutes ces questions que je m'étais si souvent posées...Et j'ai décidé qu'il était temps de rentrer à la maison" finis-je en trempant mes verres dans cet alcool. Je ne pouvais pas lui narrer cet accident que j'avais provoqué lorsque j'étais plus jeune, il n'empêche qu'il justifiait d'avantage ce départ. "Et toi? Tout se passe bien? Ton travail? Ta vie de couple avec Amal?" demandais-je en jouant un instant avec la montre que je porte au poignet. Je plisse un instant le regard face à mon esprit qui s'imprègne d'une réflexion profonde." Tu t'es déjà demandé ce qu'aurait été ta vie si tu n'avais pas pris les mêmes décisions? Si tes choix avaient tout autre?" Cette question, je me l'étais souvent posé lors de mon périple aux états unis, il n'empêche que j'étais bien consciente que les "si" ne parviendraient pas à me projeter clairement dans ce qu'aurait pu être ma vie. Peut être ça devait se passer ainsi. Mon regard vient retrouver le sien. "Tu es heureux?" Cette question pourrait paraître étrange posée ainsi, mais j'avais besoin de m'en assurer.

Intérieurement, l’héritier Bishop se demandait pourquoi Savannah était si dure envers elle-même. Il avait toujours su que la jeune femme était quelqu’un de bien, quelqu’un d’intègre. Mais à ce point ? C’était une autre échelle, un autre débat. Malgré les mots de Carlisle, qui se voulaient rassurants et réconfortants, elle ne voulait pas se laisser convaincre. Est-ce que quelque chose l’en empêchait ? Y avait-il quelque chose qu’elle n’assumait pas, ou ne voulait pas se pardonner ? Le pilote n’en avait pas la moindre idée – et il ne comptait pas lui poser la question. Il attendrait, patiemment, que Savannah soit prête à se confier. Il n’était pas du genre à forcer la main, surtout en ce qui concernait les confessions ; elles finissaient toujours par arriver, il fallait seulement être patient, et présent. Mais après tout, c’était ce qu’il était pour elle, n’est-ce pas ? Un ami. Quelqu’un qu’elle pouvait appeler, quelqu’un sur qui elle pouvait compter, quelqu’un qui ne la jugerait pas. « J’imagine que tout n’est pas rose, depuis ton retour. » Commença Carlisle, choisissant ses mots avec soin. Euphémisme ? Probablement. « Mais en tout cas, sache que moi, personnellement, je n’ai aucun grief contre toi. » Voilà. Au moins, les choses avaient le mérite d’avoir été formulées à haute voix. Une main avait été tendue, un pas avait été fait : désormais, l’Australienne savait qu’elle n’était plus seule. « Tu sais ? » Répéta-t-il en fronçant les sourcils, un peu surpris par sa réflexion. Pendant une fraction de seconde, le pilote se demanda s’il n’avait pas loupé un épisode. Amal aurait-elle omis de lui dire quelque chose ? Décidément, ces derniers temps, les oublis d’Amal étaient nombreux. Nombreux, et souvent particulièrement choisis. Cependant, Savannah se chargea bien vite de rétablir la vérité. « Ah oui, bien sûr. » Déclara l’Australien en hochant la tête. Il tenta de chasser de son esprit l’idée qu’il avait été trahi, une nouvelle fois – en vain. Il avait un arrière-goût d’amertume, de déception. Comme s’il sentait que sa fiancée n’était pas irréprochable, dans toute cette histoire. « Tu connais Amal. » Soupira Carlisle en haussant les épaules, sans chercher à défendre sa fiancée. Malheureusement, rien n’était moins sûre : l’ancienne mannequin avait la dent dure, et accordait rarement une deuxième chance aux gens – y compris ceux qui lui étaient proches. Amal détestait la simple idée que quelque chose puisse lui échapper ; or, c’était exactement ce qui s’était produit avec Savannah. Subitement, elle avait disparu. Elle avait cessé de donner des nouvelles, cessé d’appeler, cessé de les fréquenter – et, c’était un fait, Amal l’avait mal vécu. Très mal vécu, même. Mais pour James, les choses avaient été autrement plus compliquées. « Aujourd’hui, est-ce que tu regrettes ? » Demanda Carlisle, peut-être un peu abruptement. Il ne mâchait pas ses mots, ne cherchait pas à arrondir les angles : ce qu’il voulait, lui, c’était avoir une conversation franche et sincère. Quoique dise Savannah, il ne la jugerait pas : ce n’était pas son rôle, et surtout, il semblait suffisamment s’en vouloir pour qu’on veuille l’enfoncer davantage. Le pilote soupira, les craintes et les doutes de son amie n’avaient rien de surprenant. « C’est humain, Savannah. Ta vie s’est retrouvée bouleversée, et en plus, tu as eu ce… retour de passé en pleine figure. » Commença l’héritier Bishop. « Un presque mari, un enfant… Des plans à vie, pour l’éternité. Ça en aurait fait flipper plus d’un. » Murmura-t-il en souriant légèrement. « Mais l’important, c’est que tu sois revenue. » James n’aurait sans doute pas approuvé ses propos – lui aurait aimé qu’elle ne parte jamais. Mais la vie n’était pas toujours simple, pas toujours logique. Parfois, on était heureux. Et puis on subissait un revers. Par chance, l’Australien était plutôt dans une bonne phase, en ce moment. Il eut un sourire amusé en entendant les questions de Savannah, et haussa les épaules. « Tout va bien. Tu me connais, je suis fidèle à moi-même. » Admit-il. Deux ans qu’il n’avait pas vu son amie, et il constatait – avec une certaine angoisse – que son présent ressemblait à deux gouttes d’eau à son passé. Il n’avait rien de nouveau à lui raconter. Il pratiquait le même métier, vivait toujours avec la même femme, et avait toujours les mêmes soucis avec son père. Triste constat. « Je… » Commença-t-il, désarçonné par la question de Savannah. « Pas vraiment. » Avoua-t-il à voix basse, comme s’il lui confiait un secret. « Pour moi, tout a toujours été… Tracé. » Son père s’était chargé de lui montrer la voie, et il n’avait pu se détourner de ce chemin que pour un laps de temps déterminé.  « Je crois, oui. » Répondit Carlisle, bien qu’une hésitation fût perceptible dans sa voix. « Pourquoi cette question ? » Demanda-t-il, les sourcils légèrement froncés.  

Il m’était difficile de pouvoir expliquer ce départ précipité sans entrer dans les détails de ce drame que j’avais moi-même provoqué et qui me marquera probablement jusqu’à la fin de mes jours. Je ne pouvais malheureusement pas le faire, surtout pas maintenant. Déjà parce que je ne parvenais pas à l’accepter moi-même, m'estimant entièrement responsable de cet acte qui avait beau être involontaire, qui restait complètement imprudent et irresponsable de ma part. Ce n’est pas le genre de chose que l’on raconte entre le nouveau film sorti au cinéma et la destination des prochaines vacances. Peu de gens était au courant, et c’était probablement mieux ainsi. James n’en faisait pas parti, peut être parce que lors de notre relation je n’avais pas trouvé le courage de lui livrer ce détail alors qu’il avait été là pour me relever, pour me le faire oublier avec le temps, laissant peu à peu ce secret devenir la clé capable de détruire l’amour et la vision qu’il pouvait avoir de moi. J’avais pensé qu’avec le temps, cela finira par disparaître, j’avais cependant sous estimé la force de ce passé que je trainais et qui m’avait éclaté au visage au moment où ma vie s’apprêtait à changer, à travers la naissance de mon fils, mais aussi de mes fiançailles récentes. Il était donc normal que Amal et Carlisle ne comprennent pas la raison de cet agissement, et bien que j’exprime malgré tout face au jeune homme ma remise en question de l’époque, je reste cependant assez vague sur la précision de celle-ci. Je l’écoute, ma bouche se glissant sur le côté pour un sourire plutôt intimidé mais agréable. «Merci, c’est gentil...» Je réalise à cet instant à quel point il peut être compatissant. Je le connaissais beaucoup au travers de moment drôle et léger lors de nos soirées passées en couple, mais jamais sur un plan plus personnel, en tant que personne à part entière. Il se montrait clairement bien plus indulgent que sa fiancée, ce n'était cependant pas étonnant, Amal avait toujours eu beaucoup de caractère, tout comme moi, c'est probablement la raison pour laquelle nous nous étions si bien entendu à l'époque. Je suis d'ailleurs malheureusement forcée de cacher à cet homme sincère et attachant que la partie «retrouvailles» s’est déjà déroulée avec la femme qui partage sa vie. Je manque d’ailleurs de délivrer ce détail face à ma spontanéité légendaire, je le réalise bien assez vite, in extremis, et parviens à éloigner les doutes à travers une explication qui tient la route. « Tu connais Amal. » Je soupire doucement, forcée d'accorder un sourire évident face à ce que simple prénom pouvait soulever. "Ouais..."dis-je en sachant pertinemment que si elle réagissait ainsi, c'est avant tout parce qu'elle s'était sentit blessée par une personne en laquelle elle avait confiance. Mon regard se perd instant sur la table, avant que Carlisle vienne à prendre la parole. « Aujourd’hui, est-ce que tu regrettes ? » Cette question me prend un peu de court. Pour dire vrai, elle m'a obnubilé durant deux années, et souvent, la réponse à celle-ci différait, j'étais incertaine. IL était facile pour moi de me la jouer fataliste, me dire que c'était un signe du destin, et dans un moment de détresse ou de Lucidité/Folie je parvenais à le dire que c'était la plus belle connerie de ma vie (après l'accident, évidemment). J'avais cependant cessé de penser d'y penser depuis mon retour ici, préférant foncer la tête haute sans me poser de question à ce sujet. Je devais me consacrer sur le présent, pas vouloir revivre le passé. "Il m'est arrivé de le regretter oui...Mais je pense que les choses n'arrivent pas par hasard, probablement que nous n'étions pas le couple si doué que nous l'imaginions." dis-je en haussant les épaules. C'était la seule raison qui me permettait d'aller de l'avant aujourd'hui, sans vivre à travers ce mont de remords. « Un presque mari, un enfant… Des plans à vie, pour l’éternité. Ça en aurait fait flipper plus d’un. » Je souris doucement. "Peut être....Mais est ce que ca veut dire que j'aurais toujours la peur d'affronter ça, de ne pas être assez forte pour rester et profiter d'un bonheur à portée de main?" demandais-je, bien que cette question s'appliquait finalement à moi même, j'étais cependant la moins objective pour y apporter une réponse. Le fait est que je n'avais pas réellement eu de relation bien sérieuse depuis, et que je n'étais pas capable de savoir si j'avais évolué ou non après ces deux années.« Tout va bien. Tu me connais, je suis fidèle à moi-même. » Un sourire envahit mon visage, ravie de pouvoir entendre ses mots. Ce dernier est cependant compromis quand à la mauvaise surprise qu'il pourrait découvrir un jour au l'autre face au secret de sa future femme ..." C'est parfait dans ce cas." Un léger nœud à la gorge, je préfère me montrer optimiste, espérant que les agissements de Amal n'étaient que passager, et que bientôt tout ça prendrait fin. A l'inverse de moi, Carlisle s'était engagé dans une relation sérieuse et respectait ses responsabilités, il était une sorte d'exemple à suivre finalement. Je viens à poser cette question existentielle, avoir la vie de quelqu'un qui avait justement une vision de celle-ci bien différente me semblait primordial. La question suivante était plus personnelle, mais j'avais besoin de savoir, peut être parce que cela me permettrait de me rassurer, ou au contraire, me laisserait un léger passage pour le préparer à l'éventualité que son couple puisse rencontrer des problèmes. « Je crois, oui. » Je m'attendais à un oui sans équivoque , je hausse les sourcils, tâchant de dissimuler malgré tout cet air surpris. "Tu crois?" demandais-je, comme si j'avais besoin qui me l'affirme une fois de plus, d'un ton bien plus assuré.« Pourquoi cette question ? » Ma bouche s’entrouvre doucement, tâchant de désarmer la bombe que je m'apprête à lancer. Je n'ai cependant pas le temps d'émettre une seule syllabe que la sonnerie de mon téléphone vient interrompre cet échange. Sauvé par le gong? "Je..." je secoue la tête, le cherchant frénétiquement l'instant d'après dans mon sac à main. "Excuse-moi.."Lançais-je avant de décrocher ce dernier. Quelques paroles avant que je ne raccroche. "Je vais devoir y aller" annonçais-je un peu gêné d'interrompre ce moment. "Un problème de clé au travail..." Je dépose quelques pièces sur la table, me pinçant les lèvres doucement avant de lui accorder à nouveau mon attention. "On devrait faire ça plus souvent." dis-je doucement. "Je veux dire, être ami."Ca pouvait paraître étrange, mais j'avais découvert un homme bien plus profond et attachant que ce que je connaissais de lui jusqu'à présent, et j'avais réellement apprécié ce moment à deux, à converser de façon plus personnelle et posée. Je viens déposer un simple baiser sur sa joue, pour accompagner cet au revoir. "A bientôt Carlisle." dis-je en souriant doucement, espérant réellement que l'un de nous parviendrait à rendre cela possible.

« Je pense que les choses ne sont pas aussi simples que cela. » Déclara le pilote en haussant les épaules. Carlisle comprenait la dualité que pouvait ressentir Savannah ; lui-même peinait à sortir de ce schéma de pensée. Mais un jour, alors que la mort s’apprêtait à cueillir l’une des femmes qui avait le plus compté dans sa vie, le pilote s’était entendu dire que la vie n’était pas à voir en noir et blanc. Qu’elle n’était ni plus ni moins qu’une succession de gris. Il avait eu beaucoup de mal à l’entendre, et encore plus à le comprendre ; mais ces mots avaient été prononcés par sa mère, et cela ne pouvait pas être anodin. Il avait une confiance aveugle en elle, et ne se serait jamais permis de remettre en doute sa parole. Tout ce qui tournait autour de Mary Bishop était sacralisé ; Carlisle, égoïstement, ne laissait jamais personne entraver les souvenirs qu’il partageait avec cette mère qui lui avait tant manqué, et qui lui manquerait éternellement. « Les situations changent. Le monde change. Nous changeons. » Fit remarquer l’héritier Bishop en souriant. Elle voulait une preuve ? Il suffisait qu’elle se souvienne des quelques souvenirs qu’ils avaient en commun. A l’époque, ils n’avaient jamais été aussi bavards, jamais été aussi proches. Et pourtant, aujourd’hui, toutes les barrières semblaient s’être effondrées. Pourquoi ? Carlisle n’aurait su le dire. Peut-être était-ce dû à l’absence d’Amal. Peut-être était-ce dû à sa situation avec James. Ou peut-être pas. « Tu mérites d’être heureuse. Il faut juste essayer de l’accepter. » Déclara-t-il simplement, osant un léger sourire. Bien évidemment, sa phrase était à double-sens : il pensait, à tort peut-être, que son interlocutrice s’entravait elle-même. Qu’elle refusait les belles choses qui se présentaient à elle, par peur d’être déçue ou de ne pas être en mesure de les assumer. Lui-même avait mis du temps, mais il avait fait le nécessaire. « Oui, je crois. » Répéta le pilote, alors que Savannah lui demandait s’il était heureux. Alors oui, on pouvait toujours mieux faire ; à l’aube de ses quarante ans, il n’avait toujours pas d’enfant. Mais il avait une fiancée géniale, et une carrière qui faisait pâlir d’envie la plupart. On ne pouvait pas toujours gagner sur tous les plans. La sonnerie du téléphone portable de Savannah les interrompit, et celle-ci se mit à chercher frénétiquement son cellulaire dans le fond de son sac à main. Elle s’excusa d’être obligée de prendre l’appel, mais Carlisle ne lui en tint pas rigueur : il comprenait qu’elle puisse avoir des obligations. Elle lui annonça qu’elle devait s’éclipser, et il hocha simplement la tête. « Savannah ? » Il l’arrêta brusquement, la retenant d’une main qui se voulait délicate. Son interlocutrice s’arrêta, sembla hésiter une seconde, mais lui accorda encore un peu de son temps. « Tu peux m’appeler quand tu veux. » C’était une façon, pour Carlisle, de lui faire comprendre qu’il était son ami. Il l’avait toujours été, et le resterait si la vie ne les séparait pas à nouveau. L’Australien ne jugeait aucunement les choix de Savannah, bien au contraire : il savait que, parfois, les réalités étaient trop difficiles à supporter. Trop difficiles à assumer. « Prends soin de toi, Savannah. » Murmura-t-il du bout des lèvres, alors que cette dernière venait déposer un baiser sur sa joue. Il ne se retourna pas pour la regarder s’éloigner. Mais plutôt que de quitter précipitamment les yeux à son tour, le pilote se laissa aller sur sa chaise. Il noua les mains derrière son cou, et profita des derniers rayons du soleil qui venaient se refléter sur sa peau légèrement bronzée. Il tira une cigarette de son paquet, et la porta aussitôt à ses lèvres. Il l’alluma aussitôt, et accueillit avec plaisir sa dose de nicotine. Le sentiment qui l’habitait était étrange : au travers de cette conversation, il avait l’impression d’avoir pris un virage dans sa vie. Il ne savait pas comment l’expliquer mais, pour la première fois depuis longtemps, il se sentit momentanément apaisé.