J'étais plutôt le genre de gars fatiguant. Du haut de mes 38 ans, il y avait des fois où j'avais tout l'air d'en avoir 21. Personne n'aurait sans doute pu soupçonner mon lourd vécu au premier regard. Personne n'aurait pu imaginer combien j'avais souffert et souffrait encore. Faut dire que j'avais toujours le mot pour rire, et que bien que j'avais une sacré grande gueule, j'étais un homme bien élevé et accueillant. Mais dans le fond, qu'avais-je vécu, réellement ? Ma vie se partageait en deux grandes parties, la souffrance et les mensonges. Seulement voilà, il y a quatre ans maintenant j'avais décidé de mettre un terme à la deuxième catégorie, à défaut de pouvoir faire quoi que ce soit au sujet de la première. Ces études, bien que loin d'être toujours simples étaient une véritable bouffée d'air frais, pour moi. Elles me donnaient le temps de me me consacrer à ma plus grande passion : Les livres. Découvrir et rechercher des perles à publier, m'était venu comme une révélation, une évidence trop longtemps ignorée. C'est pourquoi j'étais plus assidu en cours que je ne l'avais jamais été, et depuis un peu plus d'un mois maintenant, j'avais entamé ma toute dernière année, celle qui m'ouvrirait les portes du métier d'Editeur. Mais il y avait une ombre au tableau, parce qu'il en fallait toujours une... « Monsieur Zorander ? Mon cours n'est pas assez intéressant pour vous?» Je levai les yeux vers la professeure qui venait de me tirer de mes pensées, et la gratifiai malgré tout d'un petit sourire suffisant. J'haussai les épaules et me mis à tapoter sur la table avec le bout de mon stylo, un bruit pour le moins agaçant, j'en avais bien conscience, mais à l'image de ce que je ressentais depuis un mois maintenant à chaque fois que je me retrouvais dans cette salle de cours. Faut dire que là, j'étais à deux doigts de péter un plomb et de tout envoyer bouler, elle la première. Au lieu de ça, je pris encore une fois sur moi, et me redressai sur cette chaise des plus inconfortables, plongeant mon regard dans le sien. « Bien sûr que si, Madame. Maupassant, c'est ce que je préfère.» Ironique ? Sans aucun doute. J'étais bien plus branché horreur, fantastique, mythologique, éventuellement science-fiction à mes heures perdues. Les descriptions imbuvables et surtout interminables, c'était juste à mourir d'ennui. Aussi, cette réponse sembla convaincre la professeure -pour l'instant- et elle décida de retourner à son cours, qui se déroula plus ou moins bien, sans manquer de me balancer une pique de temps en temps, parce que ça, c'était son passe-temps favoris. Une fois mon cours terminé, ma décision était prise, il fallait que j'essaye de faire quelque chose. Mais quoi? Clément m'aidait du mieux qu'il pouvait, avec ses quelques connaissances de par son père, écrivain de type thriller/horreur que je portais dans mon coeur avec véhémence pour ses oeuvres sans commune mesure. Mais ça commençait à ne pas suffire, surtout que le jeune Winchester avait aussi une vie bien remplie, entre ses cours, son théâtre, et sa vie sociale. Je rassemblais donc mes affaires, décidé à aller en référer à nul autre que l'un de mes écrivains préférés mais aussi, le directeur de la littérature, Allan Winchester. Une fois sortit de la salle, je me rendis à son bureau avec aplomb -je n'étais pas du genre timide ou hésitant- et une fois devant, je constatai que la porte était ouverte, ce qui selon moi était une invitation. En tout cas, lorsque je travaillais comme commercial, le message était assez clair. Porte ouverte : Je suis dispo. Porte fermée : Je ne le suis pas. Aussi, par politesse je toquais un petit coup sur la porte et entrait dans la pièce, posant un instant mon regard sur l'homme. L'homme ou l'écrivain? J'aimais l'écrivain, ça c'était sûr. Pour l'homme, à part une apparence physique des plus plaisantes, je n'en savais rien. Après tout, il était plus âgé que moi, et c'était précisément le type d'homme capable de me plaire. Je vins me placer devant son bureau, debout, parce qu'on ne s'assoit que lorsqu'on y a été invité, après tout. « Bonjour Monsieur, j'aimerais savoir s'il est possible de changer de classe et surtout, de professeur de littérature.» Je n'y croyais pas beaucoup, mais il y avait quand-même un espoir, non? Après tout, c'était son travail, de gérer ce genre de problèmes, à qui d'autre aurais-je pu parler de ça? Je me rendis alors compte que je ne m'étais même pas présenté, et l'université n'était pas petite. Aussi, je rattrapais immédiatement mon erreur, en lui tendant la main avec aplomb une fois de plus. « Je suis Michael Zorander. Je suis en M2 de métiers du livre.» Qui tend la main à un supérieur ? Quelqu'un qui a 38 ans, un vécu, et qui ne se sent nullement inférieur à la personne qu'il a en face de lui.
« T’es sûr que tu dois partir… ? » Allan arrêta de bouger tandis qu’il sentait des bras entourer son corps et des mains se faufiler dans sa chemise encore déboutonnée. Un doux sourire se dessina sur ses lèvres avant qu’il ne se retourne pour faire face à la jeune femme. Il passa une main dans ses cheveux et se pencha pour poser ses lèvres sur son front. « Oui, je dois y aller. Je suis déjà en retard. » souffla-t-il en se détachant délicatement de son emprise. Elle poussa un profond soupir et retourna sur son lit. C’est à ce moment qu’il remarqua qu’elle portait sa chemise de la veille et qu’elle était réellement sexy. « Quoi que… Une demi-heure de plus ou de moins… » dit-il en se pinçant les lèvres. Il était le directeur après tout, non ? Il faisait bien ce qu’il voulait. Rapidement, l’homme rejoint son lit et la jolie jeune femme qui l’attendait.
45 minutes de retard. Ce n’était pas si pire au final et surtout s’en avait voulu le coup. Allan avait rencontré cette jeune femme complètement par hasard pendant son footing de la veille. Ils avaient discuté comme deux bons amis et il l’avait invité à dîner à maison. Après une bonne douche - ensemble -, les deux amants avaient préféré commandé et ils ne s’étaient plus lâchés jusqu’à ce matin. Allan lui avait dit qu’il allait la rappeler, mais il ne savait pas s’il allait réellement le faire. Certes, il avait passé un bon moment, mais il préférait rester éloigné au maximum de l’attachement. Ça faisait plusieurs années maintenant qu’il préférait enchaîner les coups d’un soir. Que de plaisir sans les désavantages de la vie amoureuse. Surtout qu’il n’était pas l’homme le plus stable du monde en ce moment. Il rendait service à tout le monde de cette manière.
Sans un regard pour les autres enseignants, Allan prit place dans la salle de réunion qui était débutée depuis un moment déjà. Personne ne lui posa de questions et c’était mieux de cette manière. Aujourd’hui, le directeur n’avait pas cours. Il allait profiter de sa journée pour corriger le dernier devoir qu’il avait reçu de sa seule et unique classe. Ensuite, il avait énormément de paperasse à remplir. Il y avait beaucoup plus de travail qu’il aurait cru en tant que directeur du département de littérature et ça lui plaisait. Ça lui permettait de réellement s’occuper l’esprit et c’est ce qu’il avait besoin. Plus il était occupé et moins il pensait aux dépendances qui l’habitaient et l’habiteraient toujours. L’homme se trouvait dans son bureau depuis une bonne heure déjà, il avait le nez plongé dans ses copies lorsqu’il entendit frapper à sa porte entrouverte. Allan eut à peine le temps de relever la tête de la copie qu’il corrigeait qu’un homme entra dans sa classe. L’écrivain l’observa s’approcher de lui avec une confiance que les étudiants n’avaient pas nécessairement. Était-un enseignant d’un autre département qui avait besoin de quelque chose ? Dans tous les cas, Allan n’avait pas souvenir de l’avoir déjà croisé avant. Il s’en souviendrait. Un regard aussi magnifique ne s’oubliait pas, même chez un homme. Une légère surprise s’afficha dans le regard du directeur lorsque ce dernier lui demanda s’il pouvait changer de classe de littérature. C’était un étudiant. Il n’aurait pas deviné. Probablement en réorientation. Le père Winchester ouvrit la bouche pour parler, mais le nouveau venu fut plus rapide et il se présenta. Il était confiant. Ça changeait des étudiants qu’il avait l’habitude de côtoyer. Lentement, l’écrivain se leva afin d’être à la hauteur de l’étudiant et lui serra la main. « Allan Winchester. Enchanté Michael. » Il avait pris l’habitude d’appeler les gens par leur prénom, ça permettait d’avoir une certaine proximité qu’il aimait avoir avec les gens. « Fermez la porte et prenez place. Je vais voir ce que je peux faire pour vous. » dit le directeur dans un premier temps en pointant la place devant lui. Rapidement, le brun tapa le nom de Michael dans son système afin d’avoir accès à son horaire. « Puis-je savoir quel est le problème actuel avec votre classe et surtout avec Madame Stanford ? » Il était prêt à voir ce qu’il pouvait faire, mais il n’était pas contre d’avoir quelques détails afin de prendre la meilleure décision pour l’étudiant. Peut-être qu’il serait possible de régler son problème sans chambouler son horaire et surtout le reste de sa session. Les professeurs faisaient leur programme à leur façon, changer en cours de route pouvait être très handicapant.
Imagine toi t'es là, en train de te reprendre un verre au bar, quand tout à coup tu croises un regard qui te perfores de part en part. Imagine toi t'es là, ça te tombe dessus sans crier gare. Un truc bandant, un truc dément, qui redonne la foi.
L'homme qui me faisait face se montra plus accueillant que ce que j'avais cru. Alors le mythe selon lequel les gens célèbres attrapent la grosse tête n'est pas une généralité ? Il serra ma main en me donnant son nom et je me retins de lui dire que je savais pertinemment qui il était, et combien j'aimais les mots qu'il avait couché sur le papier avec finesse jusqu'ici. Je me contentai donc de le gratifier d'un simple hochement de tête, tout en sobriété et je me rendis jusqu'à la porte pour la fermer, comme il me l'avait demandé. J'en étais encore tout chamboulé. Etait-il réellement aussi charismatique ? On ne se rend jamais vraiment compte sur les photos après tout. Aussi, dos à lui je réprimais un petit sourire satisfait et retournai m'asseoir sur la chaise en face de la sienne. Je déposai au passage mon sac à côté de moi, à même le sol. Mes deux mains se lièrent et vinrent se déposer sur le bureau. Je l'observai un moment pianoter sur son ordinateur, puis lorsque son attention se reporta sur moi, je plongeais mon regard dans le sien. Comment pouvais-je rester poli en parlant de cette femme ? Il le fallait pourtant, alors je comptais bien user de mes talents de commercial pour y arriver ainsi que de mon éducation stricte et où la bienséance était maîtresse. « Elle est... Je ne sais pas. Je crois qu'elle m'a prit en grippe, et à vrai dire, elle refuse de m'enseigner quoi que ce soit.» Et j'avais besoin de ces cours, pour réussir mon examen et me lancer dans ma nouvelle carrière. Je me reculai pour m'adosser correctement à la chaise, ma jambe droite venant se poser sur la gauche, je ne le lâchais toujours pas du regard. Avais-je ce regard du gars en chasse ? Sans nul doute, j'avais un petit côté croqueur d'hommes après tout. Mais je me contenais, parce qu'il s'agissait là de mes études, pas d'une soirée dans un bar. Et la méthode Michael qui consistait à coucher et à s'enfuir discrètement le lendemain matin, ne fonctionnerait pas avec lui, dans la mesure où je pouvais le croiser à peu près n'importe quand dans ces couloirs. Me tenir tranquille me semblait donc être la meilleure option. Néanmoins, ce n'est pas parce qu'on est au régime qu'on ne peut pas regarder le menu, non? « Je doute que le but premier d'une université, soit de financer une année d'étude pour la rater à cause des état d'âmes ou des préférences d'un des professeurs.» Et je le pensais sincèrement, ces études me coûtaient un certain montant chaque année, et de par ce dont je disposais je n'avais droit à aucune aide, ni aucune bourse, aussi, autant je me fichais de l'argent, autant je détestais le balancer par les fenêtres. Et je n'avais aucune envie de refaire mon année. Et de devoir en financer une de plus, par la même occasion. « Je soupçonne même qu'elle soit largement plus sévère sur mes copies que sur celles des autres.» C'était même bien plus qu'un soupçon, j'en étais persuadé. Je travaillais extrêmement dur, et mes notes étaient plus que décevantes. Cela ne me paraissait pas cohérent avec les copies que je rendais. Elle était presque tatillonne et exigeait de moi du mot à mot. Mais comment aurais-je pu lui dire sciemment que l'une des professeures sous sa responsabilité boycottait mon travail ? Et qui étais-je pour prétendre une telle chose ? De plus, je doutais que ma parole ait davantage de poids que la sienne. Mais la vérité est qu'elle s'affairait à bousiller mon année, et bien qu'elle n'était pas celle qui jugerait de mon examen final, le manque de confiance en moi que ça engendrait pourrait jouer sur mes révisions et sur mes résultats le jour J. Je passai une main dans mes cheveux pour les remettre en place, mon regard allant se perdre un instant par la vue sur ville qu'il avait par la fenêtre de son bureau, avant de se reposer sur lui. « Au final, je vous avoue que je viens un peu vous voir en désespoir de cause. Je me doute que vous ne pourrez pas faire grand chose, mais j'ai 38 ans, je ne peux pas rater cette année. Je dois retourner aussi rapidement que possible sur le marché de l'emploi.» Evidemment, à mon âge, on se souciait déjà de la retraite, et j'en avais perdu quatre années. Enfin, perdu n'était pas le terme, parce que j'aimais ces études, mais il n'en demeurait pas moins que c'était quatre années de cotisations et d'avancée professionnelle en moins. Je me penchais pour ouvrir mon sac et en sortit la copie de mon dernier examen, corrigé par Madame Stanford, que je lui tendis. « Si vous voulez bien...» Je l'avais trouvé particulièrement difficile et sévère sur ce devoir. « Si vous me dîtes que le problème vient de moi, alors je travaillerais davantage (même si ça allait être difficile), mais jetez-y quand-même un coup d'oeil, s'il-vous-plait, que je sois fixé.»
Dans un premier temps, le brun haussa un sourcil. Elle refusait de lui enseigner quoi que ce soit ? C’était un comportement étrange pour une femme qui était payée pour partager ses connaissances avec des étudiants. Après, cette dame était particulière, ce n’était pas la première fois qu’Allan entendait les étudiants se plaindre de cette professeure, mais c’était la première fois qu’on venait lui en parler directement. La preuve que cet homme était différent de tous les autres étudiants qu’il avait pu croiser. Déjà au premier coup d’œil, il semblait beaucoup plus mature que la moyenne et ça plaisait à Allan. Il n’était pas nerveux et semblait en total contrôle de la situation. « Êtes-vous certain des soupçons que vous avez ? C’est grave, vous en êtes conscient ? » demanda-t-il d’une voix plutôt douce. Il ne doutait pas de ce que l’étudiant lui disait, mais il voulait être certain que Michael savait dans quoi il s’embarquait. Certes, pour l’instant, il demandait uniquement un changement de classe, il ne semblait pas vouloir porter plainte contre son enseignante. Sauf qu’il venait quand même de dire au directeur du département qu’il avait l’impression qu’elle était plus sévère avec lui qu’avec les autres. Aucun étudiant n’était censé être favorisé. Après les professeurs étaient des êtres-humains, même Allan avait déjà eu des étudiants « chouchous », mais il n’avait pas souvenir d’avoir favorisé l’un d’entre eux. Intègre jusqu’au bout des doigts. N’importe quel travail bien fait méritait une bonne note. Souvent, il corrigeait avant même de regarder le nom de l’auteur. « Je comprends très bien votre ressenti et vos inquiétudes. Sachez que mon but en tant que directeur, mais également enseignant, est de voir chacun des étudiants réussir et obtenir leur diplôme. » Il pinça fortement les lèvres tandis que son regard dévia vers l’écran afin d’observer l’horaire de Michael. Il avait les sourcils froncés, cet homme avait quelque chose de… particulier ? Allan n’arrivait pas à dire quoi exactement, mais ça le déstabilisait. Peut-être son regard ? Quoi qu’il en soit, le directeur déglutit avec peine tandis qu’il essayait de se concentrer sur l’horaire sans vraiment la voir.
Allan retourna finalement la tête vers lui lorsque Michael lui tendit son dernier devoir. Le père Winchester hésita un moment et attrapa le papier que Michael lui tendait. « Très bien. » dit-il simplement en attrapant ses lunettes. « Mais avant… Un changement n’est pas impossible, mais l’année étant débutée depuis plusieurs mois, ça risque de vous nuire plus que de vous aider. » La rentrée étant en février, effectuer un changement en octobre, c’était extrêmement délicat. Allan avait même peur que ce changement le fasse échouer définitivement. « Chaque enseignant fait son propre programme début en d’année et ils sont tous extrêmement différents. » dit-il afin de justifier le pourquoi il était réticent à l’idée de le faire changer. Par la suite, le brun mit ses lunettes sur son nez et attrapa un stylo violet pour se différencier du stylo rouge du professeur Stanford. L’écrivain posa le devoir sur son bureau et entreprit de le lire. Il n’était pas stressé par l’idée d’être observé par Michael peu importe le temps que ça pouvait prendre. Il avait l’habitude de se faire regarder lorsqu’il lisait. Son ex-femme le faisait tout le temps affirmant qu’il était complètement irrésistible lorsqu’il était concentré. Au début, ça l’énervait, mais à force, il avait pris l’habitude. « Hmm… » murmura-t-il en entourant quelques mots sur la copie et en soulignant certaines phrases. Le brun avait pris l’habitude d’écrire énormément sur les copies de ses élèves. Ce qui pouvait être stressant pour certains de voir autant de couleur sur leur copie. Pourtant, il ne soulignait pas seulement le négatif. « Vous avez une plume… intéressante ?! » finit-il par murmurer. « On voit que vous travaillez énormément vos textes. Chaque mot est choisi avec une précision rare. » murmura-t-il plus pour lui-même que pour l’homme en face de lui. Michael travaillait extrêmement fort pour obtenir un tel résultat que certains avaient naturellement. « Ce n’est pas parfait. De toute manière, la perfection n’existe pas. Je crois que certains choix de mots pourraient être à retravailler. Parfois il vaut mieux dire directement les choses que de chercher le synonyme complexe. La lecture en serait plus agréable. » confia-t-il avec un sourire pour l’étudiant. « Néanmoins, je vais devoir aller glisser deux mots à Madame Stanford. Votre travail mérite plus un B voire un B+, pas un C-. » confia-t-il en écrivant sa propre note en violet sur la copie.
Je remarquai bien qu'Allan semblait interloqué par mes révélations. Il était vrai qu'il était peu commun de voir un professeur discriminer à ce point une personne, et j'ignorais pourquoi elle faisait ça. Elle n'avait jamais été assez loin -ou trop maline- pour préciser ce qu'elle avait à me reprocher. Il me demanda donc si j'étais certain de ce que j'avançais, et surtout si j'avais conscience de la gravité de mes accusations. J'haussai donc les épaules. « Il y a des témoins. Clément Winchester, votre fils du coup, a pu assister quelques fois à ses piques.» Non pas que je voulais me servir de Clément, ni du fait qu'il soit son fils, d'ailleurs j'ignorais cette information jusqu'à peu. Mais il me paraissait logique de le citer lui, étant donné qu'il serait sans doute plus que simple pour Allan d'aller vérifier cette information auprès de Clément. Et surtout, avant de penser à Clément comme le fils de l'homme qui me faisait face, je pensais à lui comme l'ami qu'il était pour moi. « Et rassurez-vous, ce n'est pas si "grave", je n'ai rien contre cette femme qui est sans doute très malheureuse et à qui je dois rappeler peut-être des souvenirs douloureux, je veux simplement terminer mes études.» Enfin, dans le fond j'ignorais ce que lui il allait faire, s'il allait sanctionner la chose ou non, mais de mon côté, je n'envisageais aucune action en justice, j'étais du genre à penser que les gens avaient toujours une bonne -pour eux- raison d'agir de la mauvaise façon. J'avais un fond profondément gentil, après tout. Et je laissais toujours le bénéfice du doute aux autres. Je gratifiai Allan d'un sourire lorsqu'il utilisa cette phrase qu'on connaissait bien, nous les commerciaux "Je comprends bien". « Vous n'avez envisagé de vous lancer dans le commerce ? Vous semblez connaître toutes les clefs pour calmer un client mécontent.» Je laissai échapper un petit rire de ma voix rauque mais pas trop. Mais comme tout être humain, ses propos me faisaient du bien, même si je n'étais pas dupe. J'espérais simplement qu'ensemble, nous allions trouver une solution à mon problème. Je ne parvenais d'ailleurs pas à décrocher mon regard de son visage, on lisait son âge dessus, mais de façon séduisante, j'avais croisé peu d'hommes qui vieillissaient bien. Et il faisait clairement partie de ceux-là.
Ensuite, il s'apprêta à lire ma copie mais me prévint avant qu'il n'était pas impossible que je change de classe, mais que cela risquait de compromettre ma réussite, aussi, je pris un air pensif et pinçai les lèvres un instant. « Voyez-vous donc une autre solution à ce problème ? Je n'ignore pas que ce n'est pas Madame Stanford qui corrigera mes copies d'examen, mais je crains de manquer de connaissances le moment venu.» Je le laissai ensuite lire ma copie, entendant ses commentaires murmurés qui me tirèrent un sourire mais je préférai ne rien dire. J'avais croisé des écrivains durant mes stages, et je savais que quand ils étaient en pleine étude de quelque chose, ils se parlaient surtout à eux-même. Je le regardais également entourer des mots et souligner des phrases, sans m'en inquiéter plus que ça. J'étais prêt à tout entendre, y compris que mon travail était mauvais, puisque c'était le seul moyen d'avancer. « Vous savez, mon truc c'est plus de dénicher des talents que d'être écrivain moi-même. J'ai bien conscience que mon travail est loin d'être parfait, et le parfait comme vous l'avez souligné n'existe pas, encore moins dans une matière aussi subjective que la littérature.»Je restai un commercial dans l'âme, malgré tout. Je lui fis un petit sourire, répondant au final simplement au sien. « Mais merci, pour ces critiques constructives qui vont m'aider à avancer.» Dire les choses de façon simple alors ? Il était vrai que j'avais souvent tendance à aller au plus compliqué et à décrire avec des mots imbuvables ce qui pouvait être dit au final simplement. Je notai la remarque et m'en servirait précieusement pour la suite. « Ou alors, peut-être que je pourrais venir vous voir quand j'ai des doutes ou des questions? C'est la première remarque intéressante que j'entends depuis huit mois.» L'idée m'était venue tout naturellement, après je ne voulais bien sûr pas l'embêter, me doutant qu'il avait sans aucun doute beaucoup de travail de son côté, et qu'il n'avait peut-être pas le temps de s'occuper de moi de la sorte, parce que des questions, j'en avais beaucoup.
Allan haussa un sourcil. L’idée que Michael mêle son fils à cette histoire ne lui plaisait guère. Déjà, car le mot « favoritisme » était déjà présent sur les lèvres de plusieurs étant donné que le fils Winchester se trouvait dans la classe du directeur qui était également son père. Mais si son fils avait assisté à quelques piques c’est que la professeure Stanford rabaissait Michael dans les couloirs et à l’extérieur des heures de cours ? « Même si je préfère ne pas le mêler à ça, j’irai parler à Clément. » affirma le père Winchester en hochant doucement la tête. Il prit son crayon afin de se laisser une note sur un post-it. Il avait tellement de choses à penser qu’il n’était pas à l’abri d’un oubli et il désirait réellement faire un suivi à Michael. Il était important pour Allan d’avoir une relation de confiance avec les étudiants de son département. Il voulait que les élèves s’adressent directement à lui en cas de problèmes. Il voulait que tout se passe au mieux pour tout le monde dans son département. Le professeur cligna plusieurs fois des yeux lorsque Michael affirma que madame Stanford était sûrement très malheureuse. L’homme passa sa langue sur ses dents avant de murmurer un simple : « Ne sautez pas au conclusion trop rapidement Michael. » Lui-même ne savait pas grand-chose de la vie de la femme.
L’écrivain ne put s’empêcher de rire légèrement lorsque Michael lui demanda s’il avait songé à se lancer dans le commerce. Négativement, il secoua la tête. « Je crois que je n’aurai pas eu la patience pour ça. La littérature me convient parfaitement. » De manière générale, Allan était un homme très gentil et doux, mais il s’énervait rapidement lorsque les choses n’allaient pas dans son sens. Et il n’aurait jamais pu respecter la fameuse loi non écrite du « client est roi ». Quelques clients auraient sans doute été mis à la porte avec un coup de pied bien placé.
Finalement, Allan détacha son regard des yeux captivant de Michael pour se concentrer sur sa copie. Avant de commencer, l’homme se racla la gorge légèrement mal à l’aise par l’ambiance étrange qui se mettait en place dans son bureau, mais surtout entre les deux hommes… Winchester prit quelques secondes avant de réellement réussir à se concentrer sur les lignes écrites par l’élève en face de lui. Au bout d’un certain temps, le verdict tomba. Le devoir de Michael était, à ses yeux, sous-coté. Après, il savait madame Stanford très sévère, mais à ce point ? Winchester n’hésita pas à lui faire part de la note qu’il lui aurait donné si l’homme avait été dans sa classe. D’ailleurs, Allan avait déjà évalué cette éventualité, mais Michael avait déjà un autre cours pendant le seul cours que le directeur donnait cette année. « Les goûts et les couleurs s’appliquent également en littérature. Un bestseller pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre. Il est extrêmement difficile d’être professeur de littérature étant donné qu’il faut une certaine objectivité qui n’est pas donné à tous. » confia-t-il en faisant surtout part de sa propre expérience. Il avait appris à être objectif et à ne pas évaluer une copie selon ses goûts à lui. Un texte qu’il détestait pouvait être extrêmement bien écrit. Il fallait savoir faire la part des choses. « Euh… Je ne suis pas votre professeur Michael… » souffla-t-il dans un premier temps à sa question suivante. Il tira légèrement sur le nœud de sa cravate afin de la desserrer. Ce n’était pas que l’idée lui déplaisait, au contraire, mais était-ce réellement une bonne idée ? Le brun pinça les lèvres tandis que son regard se replongea dans celui de l’étudiant. Il s’y perdit quelques secondes avant de secouer légèrement la tête et de détourner les yeux. « Mon mail se trouve dans l’agenda scolaire. Écrivez-moi en cas de questions d’accord ? Je vais voir ce que je peux faire pour vous. » Il fit à nouveau passer sa langue sur ses dents. « Ou arrêtez-moi dans le couloir si vous me croisez. » Ouais… C’était bien le couloir. Il y avait plein de gens autour qui allaient sûrement apaiser l’étrange tension naissante.
Parler de Clément avait visiblement été très maladroit de ma part, puisque je sentis bien à la réaction du professeur tout en hésitation que ça le gênait un peu. Aussi, je lui adressai donc un de mes sourires à tomber qui se voulait plus rassurant qu'autre chose. « Enfin.. Sinon il y a aussi Lisa Mitchell ou Gordon Cypher qui pourraient en témoigner, si vous préférez.» Et c'était deux élèves de ma classe, donc pas de conflit d'intérêt. Pour le coup, je commençais à me sentir un peu mal à l'aise, d'avoir pensé à Clément en premier. J'avais encore du mal à intégrer l'information qu'il était son fils, et ça menait à ce genre de situations maladroites. J'affirmai ensuite que ma professeure actuelle de littérature était sans nul doute quelqu'un de très malheureux, et Allan me répondit tout bas de ne pas sauter sur les conclusions trop hâtivement, ce à quoi je ne répondis que par un autre sourire. Il avait raison, je me trompais sûrement. Mais dans mon monde, on était jamais méchant sans raison. Probablement un peu illusoire, j'en conviens. Mais n'était-ce pas le propre de l'humain, de vouloir croire que les vrais méchants, ceux qui le sont simplement de nature, ça n'existe pas ?
Son petit rire me fit craquer. Est-ce que cet homme était vraiment aussi sexy? Est-ce que je n'avais jamais rencontré d'homme aussi attirant que lui jusqu'ici ? La réponse à cette question était un grand oui. Son rire, ses sourires, et même son air sérieux me donnaient des envies profondément salaces que je m'efforçais de taire de mon mieux. « La littérature vous va bien, oui.» Je lui fis donc un petit clin d'oeil, histoire de souligner que c'était un compliment bien caché. J'avais lu ses livres et les avait adorés, mais je n'allais pas non plus m'extasier, j'étais du genre sobre et en finesse. « Et pour faire du commerce, il faut plutôt être du genre malhonnête, malheureusement.» C'est pourquoi j'avais quitté ce milieu, mais nous n'étions pas là pour entamer des conversations personnelles, bien que j'aurais adoré en savoir davantage sur le beau et prestigieux Allan Winchester.
Je l'observais donc un moment corriger ma copie, ne pouvant m'empêcher de me faire des remarques silencieuses sur le fait qu'il était terriblement attirant quand il était concentré. Faut dire que je ne comprenais pas très bien ce qui m'arrivait, et pourquoi j'étais aussi fasciné par lui. J'avais depuis toujours cette réputation de croqueur d'hommes et j'en étais un, mais là c'était différent, même si j'aurais été incapable de définir de quelle façon. Il m'annonça donc la note qu'il m'aurait mit, ce qui me rassura un peu sur la qualité de mon travail. Non pas que je sois prétentieux, mais en fournissant autant d'efforts personnels, si mes devoirs avaient réellement valu si peu, il aurait peut-être fallu que je me reconvertisse -encore-. « Je suppose qu'il en va de même pour les éditeurs, il faut être en mesure d'évaluer le potentiel d'un roman, au delà de son avis personnel.» Dis-je, plutôt assuré de mes propos. « Et vous semblez détenir la clef de cette objectivité, c'est pourquoi je serais ravis d'apprendre à vos côtés.» Est-ce que je le draguais? Sans doute un peu, oui. Et sa réaction gênée m'amusa légèrement. Il bafouillait un peu et je trouvais que c'était mignon. « Mais vous ne pouvez pas me refuser les conseils d'un écrivain de renom, n'est-ce pas?» Je lui fis un nouveau clin d'oeil, louchant un moment sur sa langue qui glissait sur ses dents, me provoquant au passage une vague de chaleur qui partit de mon bas ventre et remonta jusqu'à ma nuque, laissant une vague de fourmis me picoter de toutes parts. Décidément, ce qu'il se passait là n'avait rien de standard, et je repensais à Carter, avec qui j'avais parlé d'Allan l'autre soir, et qui se serait bien moquée de mon attitude, là, tout-de-suite. « Bien, je vous écrirais, parce qu'on ne vous voit pa souvent dans les couloirs.» Dis-je finalement, usant de toute mes capacités pour reprendre mon calme. Sur ces mots, je me levai, et m'avançai jusqu'à la porte de son bureau. « Je ne vais donc pas vous déranger plus longtemps. Merci d'avoir prit du temps pour m'écouter.» J'ouvris la porte et après l'avoir passée, je me retournai, glissant ma tête dans la petite ouverture de cette dernière que je m'apprêtais à refermer. « On vous a déjà dit à quel point vous êtes séduisant?» Je lui souris une dernière fois, n'ayant pu m'empêcher de lui dire le fond de ma pensée et refermai la porte sans lui laisser le temps de répondre, m'éloignant dans le couloir, un sourire aux lèvres.