Quatre heures du matin. D’après les chiffres lumineux de son réveil. Pour la quinzième fois sans doute, Ambroise se retourne sous ses draps. Puis, soupirant, il les enlève. Puis les remonte après qu’un frisson l’ai fait trembler de tout son être. Il déteste ça. Être malade. Vers onze du soir, il ne tenait plus déjà plus debout, et a décidé d’aller se coucher, alors que ses habitudes sont d’ordinaire bien plus tardives. Il s’est effectivement endormi rapidement... Pour être réveillé à minuit, puis à une heure du matin, puis à deux heures... Et depuis, malgré la fatigue, il n’arrive plus à trouver le sommeil dont il a besoin pour reprendre des forces. Depuis trois ou quatre jours déjà, son état s’aggrave. Il en a conscience mais reste certain que ça va passer tout seul, que ce n’est que ce printemps pluvieux qui lui met la misère. Réussissant à calmer sa jumelle jusque-là, il a bien vu hier qu’elle ne croyait plus tellement à ses paroles réconfortantes. Son appétit n’est plus ce qu’il était, même des shortbreads arrivent à le dégoûter. Il est gêné pour avaler, aussi pense-t-il à une angine qui s’est pris d’affection pour lui. Et puis quelques aphtes tombés à point nommé n’arrangent rien. La seule chose qui passe à peu près dans sa gorge nouée sont les smoothies. Autant dire que Sybbie s’est fortement améliorée dans leur confection, variant les ingrédients pour essayer de remettre son frère sur pied. Toujours avec sa joie de vivre. Mais elle fait aussi plus attention à lui, même si elle n’essaie pas encore de le forcer à rester à l’appartement pour se reposer. Hier encore il a été en cours. Il a cru en mourir, mais il y a été.
Les nuits précédentes étaient courtes mais servaient au moins à quelque chose, et puis les siestes en journée, indispensables, lui faisaient du bien, mais cette nuit la fièvre a dû atteindre un pic car les symptômes s’emballent. Fatigué à n’en plus pouvoir penser, des maux de têtes à l’intensité variable finissent de l’achever. D’habitude, il n’est que peu angoissé lorsqu’il tombe malade. Lorsqu’il était plus petit, c’est lui qui avait tendance à devoir rester au lit un jour ou deux. De plus faible constitution sans doute, ou simplement avec plus de malchance. Tout ceci avait fini par se calmer, les épisodes de maladies s’espaçaient jusqu’à ce qu’il ne dû se méfier que du coup de froid annuel. Les choses sont bien différentes aujourd’hui et il ne saurait dire exactement pourquoi. Ou plutôt, il n’a pas envie d’y réfléchir sérieusement car il craint ses propres conclusions. Depuis le retour du trek, il n’avait pas été au mieux de sa forme, mais tout était rentré dans l’ordre finalement. Et là, il venait de replonger encore plus durement. Grimaçant, il se résolu à mettre la radio, au volume le plus bas. Il espère que la musique classique le calmera, et il n’a pas la force de choisir plus précisément ce qu’il souhaite écouter. Mais rien n’y fait. Préférant encore le silence, puisqu’il a l’impression que sa migraine n’aime pas autant la musique que lui, il éteint la radio et se blotti sous ses couvertures, où une quinte de toux le prend par surprise.
Finalement il sort complètement de son lit, ayant marre de tourner en rond. Et d’avoir chaud. Puis froid. Puis encore chaud. Il n’est pas assez bien pour faire quoique ce soit, pour s’occuper à regarder la télé ou à lire, mais il sait pertinemment que dormir n’est pas non plus une option. Ambroise décide alors qu’aller boire un coup ne pourra pas lui faire de mal. Et à cette idée, il devient presque assoiffé. La fièvre le déshydrate sans problème, et il ne pense pas toujours à combler le manque d’eau. En caleçon, il enfile un t-shirt sur son torse avant de rejoindre le couloir, sans faire de bruit. Il y fait un peu plus frais, aussi laisse-t-il la porte ouverte en espérant que la température ressentie dans sa propre chambre baisse un peu. Il jette un coup d’œil à sa gauche, où se trouve la chambre de Sybille ; elle doit dormir profondément. De toute façon il n’a pas à passer devant pour rejoindre les parties communes. Et puis, Clément n'est pas là, un truc avec son père, ou son oncle, ou Jadyn, alors il n'y a pas à se soucier de lui. Partant à droite, donc, il se dirige à pas lents et le plus silencieusement possible vers la cuisine. L’effort lui paraît incroyablement difficile, surtout dans la pénombre nocturne. Arrivé à destination, il allume les lampes les moins agressives, et pourtant il a quand même besoin d’un temps d’adaptation. Il déteste être malade.
Ouvrant le placard, il se sort un verre qu’il va remplir d’eau à la bouteille déjà posé sur l’ilot central, le bar qui sert de table, un peu. Il se hisse sur l’un des tabourets, en buvant son verre à la manière d’un alcoolique qui descend avec lenteur mais envie son poison. Il est réellement exténué, mais il lui est impossible de dormir. Son verre terminé, il reste encore un peu en place, puis son regard tombe sur la bouilloire. Il n’a ni froid ni chaud, ou plutôt les deux en même temps, mais il suppose qu’un thé pourrait au moins lui apporter du réconfort. Alors que l’eau bouille tranquillement, il se prépare une tasse. Mais en voulant la poser sur le plan de travail afin de chercher quel sachet de thé lui fera envie, l’objet lui tombe littéralement des mains. Comme s’il n’avait plus de force pour le tenir. La tasse s’éclate en un grand fracas sur le carrelage, le faisant reculer d’un bon pas sous la surprise. « Fuck ! » s’exclame-t-il sur le coup, parce qu’il devine, il sait, que ça a réveillé sa sœur. Et il n’imagine pas la tête qu’il a, les traits tirés, les yeux cernés, et les cheveux en bataille. Se passant une main sur son front brillant d’une légère couche de sueur, il se prépare quasiment à tout. Sybille ne va pas le laisser s’en tirer comme ça, ne va pas le laisser continuer à lui faire croire qu’il gère la situation à coup de doliprane alors que ça s’aggrave. Ambroise déglutit en entendant les pas dans le couloirs, mais il choisi de s’accroupir pour commencer à ramasser les bouts de porcelaine répandus sur le sol, comme si de rien n’était.
Ces dernières nuits n'étaient pas les plus longues. Alors qu'elle n'avait réellement, en temps normal, besoin que de quelques heures pour se reposer, le climat était particulier ces temps-ci. Ce bazar dans la chambre de Sybille pouvait facilement attester de ses soirées maudites, où elle faisait l’effort d’étude ces cours qui lui donnaient tant de mal. Les promesses étaient faites, et elle tenait malgré tout. Ces cahiers en désordre et ces livres vampirisaient littéralement son énergie. D'ordinaire de sommeil léger, c'était désormais des nuits lourdes et profondes qu'abordait Sybbie. Cette soirée avait été particulièrement intensive, et comme à son habitude, elle n'avait pas su gérer sa répartition des révisions. Résultat, elle s'était encore couchée bien tard. Rares étaient les fois où ses livres l'accompagnaient jusqu'à son lit, devenant infidèles à son bureau à la pyramide de désordre. Mais cette fois-ci, elle s'était endormi sur l'un d'eux, ce qui aurait bien fait rire son frère s'il avait pu la voir ainsi, ironiquement. Ces quelques heures de sommeil n'étaient pas suffisantes pour un vrai repos, elle n'avait d'ailleurs que quelques unes à son actif quand un bruit sourd la réveillait de sursaut. Ces réveils terribles où vos cauchemars de réveil en retard vous prennent au cœur, ceux qui vous font sursauter jusqu'au plafond, et où vous ne connaissez ni votre identité, ni où vous êtes. Le réveil bien terrible qui vous met dans des états improbables. Celui-ci était l'un d'eux.
Sa guirlande lumineuse était encore allumée, tout comme sa veilleuse près de la jeune australienne. Sa télévision également, le son en sourdine. Rien à faire, Sybille ne se remettait toujours pas de ce réveil plus que dérangeant. Quelques secondes, puis elle comprit qu'elle s'était malheureusement endormie, comme à son habitude ces derniers jours. Elle en profite pour mettre son livre abandonné à ses cotés sur son guéridon, la tête encore dans les nuages. Puis elle éteint ces lumières, préférant toujours la pénombre pour ses nuits. Son réveil aux lueurs argentées indique une heure bien avancée déjà. Quatre heure du matin ; ce qui ne faisait que quelques heures de sommeil. Se faufilant à nouveau dans son lit, remettant la faute de tout ça à un cauchemar, elle entend racler bruyamment au sol dans l'appartement. Après tout, il pouvait s'agir de tout et n'importe quoi, elle ne s'en inquiétait pas vraiment. Son corps lourd ne voulait pas faire quelques pas de plus. Puis elle se souvint que Clément n'était pas là ce soir, il lui avait même envoyé un texto pour lui dire de ne pas l'attendre. Il ne pouvait s'agir que d'Ambroise, ce qui ne la rassurait pas du tout, au contraire. Sachant qu'il était parti, étonnement, tôt se coucher cette nuit. Il était rare qu'il ait des terreurs nocturnes aussi. Sa fatigue l'implorait pourtant de se blottir à nouveau dans ces draps doux. Mais la toux de son frère jumeau qu'elle entendit jusqu'à sa chambre était un autre argument, très convaincant. Après tout, elle voulait juste s'assurer que tout allait bien, et elle retournerait dormir ensuite, la tête rassurée.
C'est donc avec la tête encore obscure qu'elle décide d'y jeter un œil. Quelques pas dans ce couloir qu'elle frissonnait déjà. Les mains autour de ses bras pour se réchauffer, elle rejoignait la cuisine où la lumière lui faisait déjà mal aux yeux. Elle y avait vu juste, c'était bien son frère jumeau qui était ici, presque gêné. "Ambre ?" Elle ne savait pas s'il l'avait entendu tellement sa voix était basse. Aucun son n'avait vraiment su sortir de sa bouche, la fatigue lui retenant toutes ses forces. La jeune Sybille était presque qu'encore dans son sommeil profond. Elle l'observait, au sol, avec ce qui ressemblait à un mug explosé en plusieurs morceaux. Elle pensait immédiatement que c'était peut-être ce qui l'avait réveillé après tout. Sybille hausse les épaules, ne se posant même pas de questions, n'ayant pas vraiment sa tête à elle. Elle fait attention aux morceaux, marchant sur la pointe des pieds, et le rejoint, se baisse même pour l'aider, les yeux entre deux mondes. Elle aurait voulu lui demander ce qu'il avait bien pu faire, mais elle n'en avait pas la force. D'ailleurs, alors qu'elle commençait dans le silence glaçant de la cuisine à l'aider, son regard croise le sien, ce qui n'est pas pour la rassurer. "Laisse, je m'en occupe..." Sa voix rauque trahit sa fatigue, elle qui d'habitude a une voix beaucoup plus joyeuse que celle-ci. Ramassant les quelques morceaux qui restent au sol, elle croise à nouveau le regard d'Ambroise, et sa mine dépitée. Elle-même se disait ces derniers jours qu'elle s'était peut-être trop inquiétée pour lui, en vain. Mais ce dernier regard était beaucoup plus intense que les derniers. Surement parce qu'il avait encore la force de se cacher derrière ses excuses, ces derniers jours. "Va, va ..." Elle n'avait même pas la force de faire des phrases complètes. D'ailleurs, ils n'en avaient même pas besoin à leur habitude, les regards leur suffisant à se comprendre. "La bouilloire va exploser, là." Le bruit en était infernal. Elle lui met sa main gauche sur son épaule pour le repousser, alors que sa main droite était déjà pleine de morceaux grossiers de la tasse fraichement cassée. Il l'écoute presque sans ronchonner, ce qui l'étonne et l'inquiète une nouvelle fois. Sybille se relève difficilement, avant de se diriger vers la poubelle pour se séparer des morceaux coupants. C'est alors qu'en voulant aller chercher un balais pour terminer de réparer l'erreur de son frère jumeau, qu'elle préfère se diriger vers lui, toujours sans un mot. Elle passe sa main sur son front, spontanément, mais également dans sa nuque. Moite. Sa température aux antipodes l'un de l'autre, elle était tiraillée entre l'embêter une nouvelle fois avec ses tracas, et son inquiétude réelle. Elle savait qu'elle pouvait être bien embêtante quand elle s’obsédait sur quelque chose, et qu'elle ne lâchait jamais l’affaire. Mais après tout, un dernier regard était convaincant, quand elle y aperçu son teint blafard, et sa mine plus qu’alarmante. Elle savait qu'il était convaincu d'une bonne grosse maladie, mais elle savait aussi qu'il essayait de se rassurer derrière des excuses stupides. Les mots ne sortaient pas, mais le regard inquiet de Sybbie en disait long. Elle l'agrippa par le bras, prête à écouter ses excuses vaines à son habitude. Mais elle n'était pas prête à laisser cette situation s'empirer. Elle s'en voulait déjà de ne pas avoir réagit plus sévèrement avant, elle n'attendait qu'une chose : qu'il ouvre la bouche pour lui sauter dessus et rebondir sur ce qu'il dirait cette fois-ci pour la rassurer.
Sybille, comme prévue a bien été réveillée par la chute de la tasse sur le carrelage. Bonnie s’en veut, d’une part parce que ça ne va pas faciliter sa version de ‘’je vais bien’’, d’autre part parce que sa sœur est en pleine révision depuis plusieurs jours et que ses nuits aussi sont courtes. Il aimerait bien l’aider là-dessus, mais son état ne le permet pas ; il a déjà du mal à tenir la cadence demandée par ses propres études, un jeu d’enfant d’ordinaire. En tout elle a besoin de dormir, et il regrette de l’embêter ainsi. La rassurer continuellement servait à cela d’ailleurs, qu’elle se concentre sur ses études car c’est le moment. Ambroise peut se débrouiller tout seul. Mais les mensonges sont à double tranchant, il s’est persuadé par la même occasion que ça aller, vraiment, qu’il serait bientôt sur pied. Se rassurer lui-même. Il espère tenir encore l’illusion, pour ne pas l’inquiéter, mais il n’a que bien peu d’espoir alors qu’une légère toux le reprend. Après ces quelques secondes il reprend son devoir de récupérer les morceaux brisés de la tasse. Il entendit sa sœur l’appeler, quoiqu’il n’en soit pas sûr. Le son de la bouilloire couvre la voix déjà bien basse de Sybbie, et il se demande s’il n’a pas rêvé. Quand elle paraît au seuil de la cuisine, il relève le regard et lui offre un petit sourire d’excuse pour l’avoir réveillé. Même fatigué de son côté, et fonctionnant à peine correctement, il n’a pas de mal à voir la fatigue qui étreint sa sœur, qui semble avoir un peu froid dans l’appartement silencieux.
Aucune parole ne s’échange, d’un côté comme de l’autre. Ambroise n’est pas étonné de l’absence de question de sa jumelle, dans ces cas-là ils n’ont pas besoin de parler beaucoup. Après s’être approché en faisant attention aux éclats, elle s’accroupit à son tour pour l’aider puis, remarquant son état d’un coup d’œil, lui demande de la laisser s’en occuper. Il hésite pourtant nettement à le faire, l’observant en silence. Son épuisement est très net, et il regrette encore plus de l’avoir réveillée d’un sommeil nécessaire. Il a presque envie de lui dire de retourner se coucher, puisqu’il gère la situation, mais même dans ses pensées les mots sonnent terriblement faux. Alors il n’ose imaginer ce que sa voix affaiblie donnerait. La bouilloire se met à faire davantage de bruit, signe que l’eau est bien proche de l’ébullition, et Sybille y trouve une excuse pour le pousser encore à la laisser faire avec les morceaux, joignant le geste à la parole. Sans résister, simplement avec un soupir bougon mais sans cœur, il se lève, va d’abord jeter les morceaux qu’il a eu le temps de ramasser, puis va s’occuper d’éteindre la bouilloire. L’eau est clairement assez chaude. Le silence retombe presque entièrement. Fonctionnant de manière machinale, supposant que Sybbie va continuer de s’occuper des quelques débris restants qui nécessitent le passage d’un balai, Ambroise va se chercher une autre tasse. Puis un sachet de thé, Earl Grey classique, et verse l’eau chaude. S’étonnant lui-même de ne pas en renverser ailleurs que dans la tasse. Mais reposer la bouilloire est un soulagement, comme si ça avait réussi à le fatiguer davantage.
Sybille vient alors poser sa main sur son front, jaugeant sa température. Puis sa nuque, un peu plus moite, trahissant sa fièvre. Fixant le thé qui se répand doucement dans l’eau, et la colore, il reste appuyé sur le plan de travail. Sa sœur ne dit rien. Elle se contente de prendre son bras et de le détailler. Evidemment, elle ne peut plus croire ses excuses alors qu’elle le voit aussi affecté. Le teint pâle, les yeux cernés, épuisé assez pour ne pas réagir ou prendre les devants à ces interrogations silencieuses. Il devine son inquiétude comme si elle était sienne. Et sûrement que c’est un peu le cas. Cependant, au lieu de le mettre au pied du mur par des mots cette fois-ci, elle se contente d’attendre qu’il fasse le premier pas. Elle s’attend à ce qu’il la rassure, pour répliquer avec la fermeté qu’elle aurait dû avoir plutôt avant que la situation ne dégénère. Il connait son intention. Lui jetant un regard en coin, il prend doucement la parole. « Arrêtes.. On sait tout les deux qu’tu vas pas m’laisser m’en tirer comme si ça si j’te dis que ça va... » Sa voix est un peu faible, un peu rauque. Il manque clairement de force mais il sourit quand même légèrement. Un peu amusé. « Mais j’vais te le dire quand même. C’est peut peut-être pire là mais ça va passer. Faut juste que la fièvre tombe et tout, et que j’dorme un peu. » Il n’allait pas lui mentir effrontément alors qu’elle peut voir gravés sur son visage les divers symptômes, qui entraîne cette faiblesse généralisée. Il a cependant encore confiance, ou il essaye d’avoir confiance, dans le fait que ça va lui passer. Ça a peut-être empiré cette nuit, mais ça ne peut pas durer comme ça. Il pense, d’ailleurs, aller se chercher une aspirine bientôt. Au moins l’odeur chaude du thé lui apporte en effet quelque réconfort.
Il n'y avait rien de plus frustrant. C'était bien ça, la frustration, qui lui nouait l'estomac à la jeune Sybbie. La frustration et l’incompréhension. Le fait qu'Ambroise ne l'écoute pas, encore une fois, qu'il rabaisse à nouveau tout importance, jusqu'à minimiser des symptômes pourtant bien visibles et agaçants. La frustration de savoir qu'au fond d'elle, elle a raison, mais son frère et son caractère bien trop borné est trop convaincu pour croire en ses avertissements. Et puis la vie reprend son cours, et elle croit en ses promesses, et elle laisse passer. Après tout, ils avaient droits tout deux à leur coup de barre annuel, à leur petit coup de froid. Beaucoup moins malade qu'étant petit, elle n'était pas du genre à s'inquiéter pour lui dans ces petits moments de faiblesse, mais plus du genre à y être attentionnée, et préventive. Elle l'avait pourtant vu arriver, ce coup de mou. Mais le beau parleur l'avait rassuré et elle s'en mordait les doigts désormais. Sybille s'était contentée de ses excuses ces derniers jours, et elle regrettait déjà de ne pas avoir intervenu plus tôt, du moins plus sérieusement. Elle savait à l'instant même où elle l'avait vu accroupi dans la cuisine, avec son visage palot et ses traits inquiétants, qu'elle aurait du lui forcer la main. Mais elle se rendait bien compte que ces fois où elle laissait passer ces choses étaient beaucoup moins alarmantes que la situation dans laquelle ils se trouvaient désormais. Lui faire confiance n'était pas fructueux cette fois-ci. La deuxième frustration, en plus de celle de ne pas la croire sur parole, c'était celle qu'elle se doutait bien qu'au fond de lui, il savait au fond de lui qu'elle devait bien avoir raison. Que tout ça n'était pas si normal qu'il le prétendait.
Elle n'avait pas la patience cette fois-ci. Pas la patience de prendre des pincettes, pas la patience d'être plaisante et compréhensive. Elle n'en avait plus la force, et la fatigue l'obligeait à être plus directe que d'habitude. C'était surtout son état alarmant et l'inquiétude de Sybbie qui prenait le dessus désormais. L'observant se servir son thé, elle en avait les yeux grands ouverts, presque bloquée. Elle hallucinait intérieurement, perturbée par ce parallèle ; celui d'un Ambroise assommé, mais qui perdure vainement. Après tout, il pouvait retourner se coucher, ce dont il aurait bien besoin vu ses cernes, mais il persistait, à cette heure plus que tardive, à se désaltérer comme si de rien n'était. Ignorant son regard qui plus est, ce qui l'énervait à nouveau. La bouilloire enfin soulagée de ce fardeaux, un nouveau silence perturbant planait dans la pièce.
Elle ne répond même plus à ses sourires, ceux qui essayent de lui donner l'illusion que tout va bien, qu'il gère la situation. Son visage est neutre mais elle ne se retient pas de lever les yeux au ciel suite aux réponses de son frère. Trop agacée. Posée contre l'élément de cuisine de dos, les bras croisés, Sybille ne pouvait que l'écouter d'une oreille, réfléchissant à ce qu'elle allait lui dire, et comment elle allait s'y prendre. Mais également comment le remuer, sans trop le vexer. Elle ne l'avait jamais vu dans un état pareil, et elle avait pu voir son état s'aggraver un peu plus chaque jour. Elle aussi, elle savait qu'elle pouvait être excessive, elle le reconnaissait parfois. Mais cette fois-ci, elle en était persuadée, rien de tout ça n'était anodin. De toute manière, même pour une simple grippe, ou un simple virus, elle s'inquiétait de manière exagérée pour lui. Elle le répétait assez souvent : il vaut mieux prévenir que guérir. Alors cette fois-ci, ses nerfs étaient à bout. La frustration et la culpabilité la rongeaient. Elle tourne finalement la tête vers lui. La fatigue n'était plus un frein pour rien, ses paroles l'énervaient encore un peu plus au fur et à mesure qu'il ouvrait la bouche. "Tu contrôles rien du tout, là." Sybbie parlait pourtant calmement, elle savait que c'était la seule façon de le faire réagir. "Que tu dormes un peu ?" Elle décroise les bras et se tourne à nouveau vers lui. "Ah bah parlons-en. Je t'ai jamais vu autant dormir en quelques jours, que toute une vie." Les sourcils levés, elle essayait de le confronter à la réalité qu'il ne pouvait pas contredire. "Et t'as pris un cachet il y a seulement...-" Sybbie cherche désespéramment son smartphone dans la poche de son jogging pour se rendre compte qu'elle l'a oublié sur son lit. Son visage cherche nerveusement autour d'elle pour y trouver l'horloge près du frigo. "- quelques heures ! Et c'est encore pire, là, ta fièvre." Elle recroise les bras, et continue sur sa lancée pour ne pas lui laisser l'opportunité de lui répondre. "Pourquoi tu laisses trainer ? J'comprends pas, explique moi, vraiment, j'te comprends pas." Elle détestait lui faire la morale, mais lui ne se serait pas gêné pour la lui faire si la situation inverse s'était produite. C'est du moins l'argument premier qu'elle avait en tête pour lui faire la morale. "T'attends quoi, de tomber ? Parce que tu vois bien que c'est pas qu'une simple angine ou je ne sais quoi, là. Si t'étais directement allé consulter comme je te l'ai dis, tu serais déjà tranquille." Elle lui avait bien fait comprendre il y a quelques jours déjà qu'elle était persuadée elle aussi que ce n'était rien, au fond. Mais que tout empirait faute de traitement. Au fond, elle n'y croyait déjà plus à ce mensonge. "Mais tu laisses trainer, comme d'habitude, t'en fais qu'à ta tête." Elle se dépêche de lui tourner le dos et de fuir son regard afin de chercher le ramasse-poussière rangé non loin d'ici, pour qu'aucun d'eux ne se coupe à cause du mug cassé. Un drame suffirait à la fois. La fatigue lui avait bien tourné le dos, et elle était désormais plus anxieuse et stressée que jamais. Les idées fusaient dans sa tête pour une solution d'urgence, et il n'y en avait qu'une pour une telle heure.
Fierté fatale ? Ambroise ne sait même pas réellement pourquoi il continue ainsi de minimiser des symptômes qui s'aggravent. Inconsciemment, ou tout au bord de son esprit, assez pour qu'il en frissonne, il est terriblement angoissé de ce que son corps lui fait vivre. Le retour du trek avait été fatiguant, et il avait eu ce qui s’apparentait à un coup de froid qui s’éternise. Quelque temps à être un peu patraque, fatigué, mais c’était passé. Il n’est pas aussi serein depuis quelques jours, mais le cache avec une sincère ferveur. Mécanisme de défense ; besoin de rassurer sa sœur. Ne pas qu’elle s'inquiète est presque primordial car, si elle s’occupe de lui comme s'il n’était qu’un peu malade, comme d'habitude, si elle pense que tout va bien, alors tout va bien. Il sait tout au fond de lui que ce n'est pas le cas, mais l'oublie aisément en cherchant ainsi à tranquilliser sa jumelle. Mais elle est tout aussi au courant que lui qu'un problème bien plus grand projette son ombre, pas seulement une grippe ou une angine. Ce genre de lien qu’ont les gens ayant partagé leur vie depuis avant même la naissance n'a pas de comparaison, et tout scientifique qu'il est Bonnie n'a jamais cherché à creuser trop loin, à part lire les études sur le sujet. Il a lui-même été témoin, directement, de ce lien spécial, cette compréhension innée, quasi parfaite, et une empathie profonde pour l’autre. Aussi, sa sœur n'est pas aussi aveugle qu'il l’espère. Et là, prenant la parole pour une nouvelle fois réduire son état à quelque chose de passager, il ressent de plein fouet la colère et la frustration de Sybille avant qu'elle n’ouvre la bouche. Sentiments qui ont grandi alors qu’il a jugé bon de parler, mais inévitables. Elle l'aurait de toute façon mis au pied du mur, puisqu’elle ne comprend trop bien qu’il l'a plus ou moins menée en bateaux bien qu'il croyait à ses propres mensonges. Elle lui a fait confiance pour juger de son état, et elle ne va certainement pas faire la même erreur à présent. Or Ambroise n'est pas certain de pouvoir lui tenir tête, ou d'en avoir même envie. Il s'imagine qu'elle va le trainer dès l’aube chez un médecin, et ce n’est peut-être pas si horrible, mais cela serait abdiquer et reconnaître la gravité de la situation. Ce n'est pas encore dans ses cordes. Cependant sa faiblesse générale, due à un accès de fièvre plus fort, ne lui garanti pas de réussir.
Si seulement une insomnie ne l'avait pas tenu éveillé depuis deux heures ! Il aurait dû se lever directement, prendre un médicament pour faire diminuer un peu les symptômes, et il se serait rendormi avec moins de mal. Mais non, têtu, il n'utilise de cachets qu’en dernier recours – ou pas loin s'en faut. Impatiente au possible, sans surprise, le visage fermé, on ne peut pas dire qu'Ambroise s'attend à des paroles douces et sympathiques. Comme un condamné, après un dernier éclat d'assurance, attend le jugement final. La jeune femme est souvent excessive, en tout sujet. Parfois lorsqu'une petite maladie touche son frère, elle part au quart de tour pendant les premières heures, prenant à cœur de l'aider. Elle a toujours été trop réactive et, en résultat, elle pouvait être étouffante. Bonnie a depuis longtemps appris à faire avec, bien que lorsqu’il soit cloué au lit, il utilisera ses dernières forces pour tenter de la calmer. Autant dire que là, il n'a pas envie de la contredire puisqu'elle a en tout point raison. Puisqu’il y a matière à s’inquiéter et à être excessive. Personne ne pouvait nier l'aggravation des symptômes, pas même le principal intéressé qui s’est échiné à dire le contraire. Comme prévu ça se retourne contre lui, et fort. Sybbie n'use d’aucun tact mais reste calme lorsqu'elle lui fait remarquer qu'il ne contrôle bien du tout, et qu’il dort tellement plus que d'habitude que si ça avait du arranger les choses, ça l’aurait fait. Il ne lâche pas son regard aux mêmes nuances que le sien mais ne le soutient pas non plus réellement. Il n'a rien à dire pour sa défense. Il détourne les yeux alors qu’elle en rajoute une couche ; c’était il y a quelques heures à peine qu'il a pris un cachet. Ça n'a eu aucun effet. Elle ne lui laisse pas le temps de répondre et il n'en aurait pas la force, sentant comme ses barrières de protection s’écroulent une à une, comment l'angoisse sort de son trou pour enserrer son cœur. Une fois le pire imaginé, on ne revient pas en arrière, malgré les arguments qu'on peut trouver. Il l’écoute sans broncher, se mordant simplement la lèvre inférieure. Son regard vert porté sur sa tasse de thé dans laquelle il pensait trouver un peu de réconfort.
Il est plus habitué à faire la morale aux autres, à exposer leurs erreurs et leurs travers sans se gêner. Mais Sybbie a la même capacité de mettre les gens a nu face à leurs faites. Sous-exploité chez elle, mais tout aussi efficace. Pire même, car elle est trop gentille et tolérante. Lorsque le tonnerre gronde, c'est bien trop souvent une ligne qui a été dépassée. Elle lui a déjà dit d'aller consulter, dès le début, mais il n'a rien écouté. Après ça, elle se détourne pour récupérer le ramasse-poussière. Et Bonnie reste silencieux, prostré, pas sûr de ses pensées, de ce qu'il devrait dire, faire, de la force qu'il a. Finalement il prend son mug en main, et souffle doucement dessus. Il est chaud, brûlant même, comme un certain thé chez un certain russe, mais cette fois-ci il a le courage de tenter de prendre une gorgée. Assez désagréable, comme prévu, mais il a presque besoin de ça pour sortir de sa léthargie. Il n'a pas pu dormir depuis deux heures pour il ne sait quelle raison, mais son corps le supplier de prendre du repos. Traitre. Comme un chat se met sur le dos, présente son ventre pour des caresses, puis referme ses griffes sur vous. Ambroise n'a pas l'espoir de dormir à nouveau avant un moment, néanmoins Sybille ne le sait pas. Et c'est tout autre chose qui sort de sa bouche de toute façon. « J’sais pas si j’préfère savoir ou pas, si j'ai un truc grave », lâche-t-il avec un grand sérieux, et un air presque sombre sur le visage. Plus aucun optimisme dans ses yeux, même faux. Ça n'est pas forcément sa tendance naturelle lorsque tout joue contre lui. « Je pensais vraiment que ça passerait... » avoue-t-il ensuite, dans un souffle, un soupire, un sanglot presque dans la voix, de la défaite en tout cas. Pure et simple.
On raconte que l'esprit influe plus qu'on ne le croit sur le corps, que la volonté est aussi importante que le reste pour vaincre la maladie. Positiver est la moitié du traitement. Pas ici. Son corps l’a trahi. Et il ne sait pas pourquoi, exactement, bien qu'une seule maladie à détruire le système immunitaire lui vienne à l'esprit... Il la rejette immédiatement, car c'est impossible. Il faudrait être vraiment malchanceux pour qu'il l'ai attrapé avec les précautions qu’il prend, donc non. Et ça n'est pas compliqué de mettre de côté une possibilité aux probabilités si minimes. Il se tourne alors vers sa sœur, croisant enfin son regard. « Allez consulter dès le début c’est comme.. ancrer dans la réalité et dans ta tête que t'es malade, genre vraiment malade. Et d’habitude j’ai pas b’soin, tu peux pas dire le contraire. » Il marque une pause, reprenant son souffle. Bon dieu si ses poumons s’y mettent aussi il va clairement paniqué. Mais il garde la même tête, sans un changement ; le même Ambroise fatigué, pâle, malade. Il aurait été possible de croire que c’était juste une pause pour rassembler ses mots si sa respiration ne s’était pas amoindrie un instant. Puis il reprend comme si de rien n’était. « J'me suis fait un thé parce que ça fait deux heures que j’dors pas, pis je dois boire aussi, ensuite j'vais aller prendre une aspirine et me recoucher, et si demain matin je suis encore un zombie promis j’te laisse me traîner chez l'médecin, ok ? » Il espère de tout cœur que demain ils n'auront pas à recourir à de telles extrémités. Et malgré ses aveux, c'est une nouvelle tentative de repousser l’échéance et de faire comme s'il avait un peu de pouvoir sur la situation. Il retombe exactement dans les habitudes qu'il a prise depuis quelques jours. Sybille ne va pas tomber dans le panneau, il le sait bien, sa tentative sous couvert de reconnaissance de ses erreurs ne va pas marcher. Elle ne va pas le laisser s'en sortir comme ça, il l'a deviné dès son arrivée dans la cuisine, et il n'a clairement pas la force ou l'intention de la combattre là-dessus.
Genou au sol, Sybille se hâtait de ramasser ce qui pouvait bien rester du mug tragiquement explosé au sol. Elle en était rapide, comme si elle sentait au plus profond d'elle qu'ils n'avaient pas le temps. Mais sa tête était ailleurs. Les idées dans sa tête se battaient entre elles. Sybbie était dans sa bulle désormais, elle n'écoutait plus rien. Le visage figé, elle se ressassait ces derniers jours. Ces sueurs froides, ces maux étranges, ses traits, sa faiblesse au quotidien. Mais aussi ses paroles réconfortantes, ses promesses, ses sourires rassurants et ses belles paroles. Le voir avaler ces cachets comme des antidotes en qui il met toute sa confiance. A s'en croire presque invincible contre n'importe quelle maladie. Elle s'en voulait de plus en plus, à penser à ces derniers jours, alors que ses symptômes étaient présents depuis bien trop longtemps maintenant. Même un bon virus ne vous tient pas à la peau aussi longtemps. S'empirant, s'amplifiant. Omniprésent désormais. Ils ne pouvaient que se rendre à l'évidence. Elle aussi, elle voudrait croire à ses mensonges, elle aurait voulu le voir sur pieds à nouveau, le croire quand il disait que tout partirait avec tel ou tel médicament. Que le repos et le sommeil réparateur soient salvation. Une confiance aveugle les avait amené jusqu'ici. Rien de tout cela n'avait été bénéfique. La tête de la jeune australienne n'accompagnait même plus ses gestes, presque mécaniques. La tête beaucoup trop perchée, elle n'avait plus les pieds sur terre. Ses cernes qui attestaient de sa fatigue ne la lâcheraient plus désormais. Elle dégluti, puis décide de retourner à ses côtés, lentement, la tête toujours ailleurs, le regard perdu. Elle n'a le courage que de rechercher dans son regard une dernière étincelle, et déteste ce qu'elle voit. Il n'y avait rien de pire au monde, c'était même surement son pire cauchemar. Le voir dans un tel état, et en être impuissante. Elle pourrait donner sa propre santé pour échanger son mal être contre le sien si elle le pouvait. Le silence autour des deux jeunes MacLeod n'était rompu que par leur voix, et l'ambiance glaciale n'était pas seulement le reflet de cette nuit noire intense.
Elle ne pensait qu'à agir. Agir rapidement ! Agir parce qu'elle ne pouvait plus rester aveugle. Il fallait bien faire quelque chose. Elle ne pouvait pas retourner se coucher, comme si de rien n'était. C'était le point de non retour, la ligne était désormais franchise. D'un autre coté, la difficulté d'assumer tout ça, toute seule, la dérangeait terriblement. Surtout avec son frère borné qui, elle le savait, ne serait jamais de son avis pour n'importe quelle décision qu'elle pourrait lui proposer. Avec Bonnie, elle pouvait affronter n'importe quoi. Mais seule, et en plus contre lui, il lui était plus difficile d'être dans une telle situation. Une situation incontrôlable. Des idées lui fusaient la tête, mais aucune n'était plausible. Demander l'avis de Clément serait de la folie, c'est pourtant la première qui lui germait à l'esprit. Si seulement il n'était pas aussi tard cette la nuit-là. Après tout, son frère est persuadé que tout va pour le mieux, elle ne peut prendre ses décisions que seule. Elle se pose à nouveau près de lui, adossée au mur. Elle l'écoute d'une oreille attentive, et l'observe comme elle ne l'a jamais observé. Chaque trait, traits de fatigue, chaque détail. Elle amplifiait peut-être tout à cause de son inquiétude, mais cette nuit était la goutte d'eau. Elle ne pouvait plus être calme et posée face à une telle situation. Plus rien ne pouvait la rassurer désormais.
Quand son frère repris enfin la parole, la Sybille rassurée descendait à nouveau d'un cran. Le fait qu'il lui annonce enfin, même sans l’énoncer clairement, qu'il craint d'avoir possiblement une mauvaise nouvelle. Du moins, c'est comme cela qu'elle interprète ses paroles. Interpelée, Sybbie le fixe à nouveau, ses yeux se noyant dans les siens, le visage encore moins rassuré que précédemment. Elle n'avait jamais su cacher ses émotions. Les seules paroles du "truc grave" l'inquiétait de plus belle. Ça la terrifiait autant que lui, voir plus encore. Elle aussi pensait pourtant que ça passerait avec le temps. Qui aurait pu imaginer son état se dégrader à un tel point. Finalement, elle reprend son calme. Elle ne veut pas lui montrer son inquiétude, pire, lui communiquer sa panique. Elle sait qu'elle est excessive, mais que cette fois-ci, il fallait prendre les choses avec calme et discernement. Elle voulait le rassurer, mais avant tout l'aider. Après tout, une visite chez le médecin mettrait un point final à tout ça, à quoi bon paniquer ? Il fallait juste le bon traitement, et tout se passerait bien. C'est du moins les seules paroles qu'elle se répétait sans cesse en tête pour se rassurer elle-même. Elle respire profondément, essayant de se reprendre. Elle en était désolée. Désolée de s'être emportée, de lui aboyer ses erreurs en pleine figure. Elle s'en mordait déjà les doigts.
Quelque chose de grave. Maintenant, ses pensées étaient autres. Quand il était sujet de son frère, elle pouvait s'imaginer tout et n'importe quoi. Du pire. Au plus grave. Elle était prête à abdiquer, elle en était même à deux doigts de le laisser se reposer encore quelques heures, mais il l'avait fait changer d'avis en une fraction de seconde. Un truc grave. Elle répétait ses paroles intérieurement. Si même Ambroise y pensait, c'est que l'urgence était au sommet. Mais quitte à être dans la panique, elle préférait le rassurer, au lieu de le mettre au pied du mur, au lieu de lui dire encore une fois qu'elle avait raison et qu'il avait tord de ne pas se soigner à temps. Ce n'était pas une compétition. Elle voulait juste le secouer et le faire réagir. Ses pensées étaient toutes aux antipodes les unes des autres. Il continuait sur sa lancée, difficilement, mais elle ne pouvait que le comprendre. Elle ressentait sa faiblesse, sa gêne aussi. Comme d'habitude, elle buvait ses paroles. Contrairement à d'habitude cependant, elle en restait muette, sérieuse. Effrayée.
Maintenant elle était déterminée à le faire changer d'avis. Il n'arriverait plus à la faire balader par ses belles paroles, par sa confiance en or qu'elle met sur un piédestal. Il espère encore retarder cette consultation, elle ne comprend pas. Elle lève les yeux au ciel, excédée. Préférer l'auto-médication, laisser le temps au temps, c'était une chose. Être aveugle en était une autre. "Demain matin ?" Elle lui répondait sans lui laisser une seconde. Alors qu'elle avait réussit à se calmer, son inquiétude revenait au galop. "Tu déconnes j'espère ?" Elle souffle, elle en a marre. Elle est à bout de nerfs. Ambroise recommençait de plus belle, mais rien ne passerait cette fois-ci. Si elle ne prenait pas soin de lui, qui le ferait ? Certainement pas lui-même. "Tu sais à peine tenir debout, regarde-toi." Elle savait bien qu'il ferait encore l'acteur ce matin même pour ne pas y aller. Cette fois-ci était la fois de trop. Sybbie était prête et sûre d'elle désormais. "Tu viens avec moi, je t'emmène aux urgences." Voilà, ses pensées étaient désormais sur table. Elle avait eu du mal à lui dire. Elle réfléchissait déjà en quelques secondes à la situation, elle n'était pas décidée à prendre ses réponses en considérations de toute façon. Sybbie lui prend sa tasse encore brulante et la pose dans l'évier. "Je sais que tu détestes les hôpitaux. Autant que moi." Elle ne voulait pas aborder les sujets qui fâchent et voulait faire le plus rapidement possible. "Mais c'est la seule solution à cette heure." Elle voyait déjà l'heure s'écouler alors qu'il essayait de la convaincre. Sybille était impatiente, rien ne pouvait la faire changer d'avis désormais, elle espérait juste le convaincre de la suivre avec son assurance, mais elle savait qu'il pouvait être ferme en retour. Quoi qu'il en soit, elle préparait déjà son plan dans sa tête, elle était même prête à décoller immédiatement. "T'auras tout le temps du monde pour boire, là bas." Elle se détestait dans de telles situations, elle se trouvait exécrable au plus au point, mais la santé d'Ambroise la mettait hors d'elle et elle ne supportait plus de voir son jumeau dans un tel état. Il lui pardonnerait surement ses excès. Elle ne ressemblait même plus à la Sybille au quotidien, mais au moins ils seraient fixés sur cette situation ingérable. Elle était déjà prête à partir en trombe, prête à chercher de quoi se couvrir, avant de partir en catastrophe.
Obligé de faire face à la réalité, et pourtant. Ambroise s’entête à repousser l’échéance qu'il sait inévitable. Il avoue sa défaite, qu'il pensait sincèrement que tout irait mieux, son entêtement à rassurer sa sœur en vain qui n’était pas une solution. Mais la seule solution existante ne lui plaît vraiment pas. Pourtant il devine que sa sœur a déjà une idée en tête, alors il essaye de m’en détourner un peu. Au moins attendre le matin. Il ne pense même pas concrètement qu'elle va vouloir le trainer jusqu’aux urgences et pourtant, il connaît bien sa jumelle et sa propension à l'action. Elle est agitée, si ce n’est physiquement, au moins mentalement. À travers le brouillard de son esprit qui n'arrive même pas à examiner tous les chemins et résultats possibles, son instinct repère les petits signaux que Sybbie envoie. Aussi il n'est pas surpris lorsqu'elle n'attend pas de réfléchir pour renier sa proposition de retourner au lit et d'aller chez le médecin tout à l’heure, lorsqu'il fera jour. Elle le met pied au mur, lui faisant remarquer qu’il tient à peine debout. Coupable, il baisse son regard sur ses mains, appuyées sur le bord du plan de travail pour effectivement se soutenir. En même temps, il l’a cherché. En faisant part de son angoisse d’avoir attrapé quelque chose de grave, Sybbie ne peut qu’y réagir et s’inquiéter proportionnellement à tout ce temps perdu à le croire sur parole. Comme il s’en doutait.
Dès l’instant où il l’a dit, avec un air sérieux, et même avant, il savait que sa jumelle aurait pareillement peur. Et c’est ce qu’il voulait éviter pour trouver encore de la force. Parvenir au niveau des croyances de sa sœur, se remettre pour elle, parce qu’en le répétant, il le lui a promis. Cependant, son état s’est fortement dégradé, et même lui ne peut rester braquer. Pas autant qu’au début, en tout cas. Néanmoins, Sybille parvient à retrouver un certain calme déterminé. Pour son frère. Parce qu’il faut qu’elle agisse, elle, pour lui, même contre son gré. C’est toujours le plus difficile. Les moments les plus horribles lorsqu’ils se retrouvent dans des camps différents, l’un contre l’autre. Contrairement à ce que leur parfaite entente laisse penser, ça arrive. Comme aujourd’hui où Sybbie ne pense qu’à sa santé alors que l’intéressé fait la sourde oreille. Et, contrairement à d’habitude aussi, Bonnie n’est pas le plus raisonnable. Sa sœur prend clairement sur elle pour se calmer, pour réfléchir convenablement, même si son inquiétude revient avec force et qu’elle s’agite de nouveau. Elle sait que s’il avoue craindre quoique ce soit d’important, c’est qu’une limite a été atteinte, et franchie. Mais avait de partir en vrille – ce qu’elle évite d’ailleurs, pour le bien de son frère –, elle a eu le temps de penser à quelque chose, ce dont il est incapable. Il ne peut qu’être là, répéter que ça ira, mais son corps ne fonctionne déjà plus correctement. Toujours ce problème de chaud, de froid, de soif, de fièvre.
Il a fait des efforts pour parler, pour traduire sa pensée. Maintenant il n’a d’autre choix que de se contenter d’écouter et de subir les mots de sa jumelle, qu’elle ne veut pas blessant il le sait. Il est surtout heurté par leur vérité, et il déteste ça. Lorsqu’elle annonce qu’elle l’emmène aux urgences sans lui laisser le choix, il ne fait que tourner la tête vers elle, et écarquiller légèrement les yeux. Pris totalement de court par cette décision, il ouvre la bouche mais aucun son n’en sort. Simplement il se redresse, ce qui a pour conséquence de l’éloigner un peu de la jeune femme. Montrant ainsi sa répulsion clairement. Sybille ne laissera plus rien passer, bien qu’elle lui concède que les hôpitaux sont des endroits qu’ils n’aiment pas tout deux. C’est cependant la seule solution valable, quasi immédiate. Il est impossible pour sa sœur de rester ici, d’attendre, de se rendormir. Mais Ambroise aimerait que ça ne soit pas le cas. Il proteste à peine quand elle lui retire sa tasse, et se tourne, désormais dos au plan de travail mais toujours appuyé sur celui-ci. Il a un autre sujet à débattre, le thé attendra. « Eh bah attendons... Encore quelques heures et on peut aller chez notre médecin, promis... Promis je me défilerai pas... » plaide-t-il sa cause avec faiblesse. Il n’a pas envie d’ailleurs aux urgences, d’y attendre assez longtemps pour que cela revienne au même que d’aller voir le docteur qui les suit depuis des années.
Il est bien décidé à ne pas se laisser faire. Sybbie est pareillement convaincue. Et pas de Clément à l’horizon pour faire pencher la balance. Considérant un instant son meilleur ami, Ambroise se dit qu’il aurait fait pencher la balance en faveur de la brune. Mais aussi c’est mieux qu’il soit absent, cela ne ferait que porter plus d’inquiétude alors qu’il stresse déjà assez pour sa carrière en devenir. Il pousse un soupire sec. « Pis ils vont faire quoi aux urgences.. ? Certainement pas s’occuper tout d’suite de moi… Il est quatre heures du matin, encore quatre et je suis sur une table d’auscultation chez le docteur, ça r’viendra au même.. c’est pas la mer à boire si ? » Il se mord légèrement la lèvre inférieure, commençant à ressentir de la colère alors qu’il n’a même pas la force de se tenir droit. Une quinte de toux le prend alors, le forçant presque à se plier en deux pendant quelques secondes. Se reprenant, il garde les yeux en sol avant de se détacher du plan de travail. Il tourne les talons pour sortir de la cuisine, et parvient à marcher. Etonnement. « J’vais me coucher, demain dès la première heure j’te jure on va chez le médecin... Mais pas les urgences Sybbie... » demande-t-il une dernière fois, avec un dernier coup d’œil, avant de rejoindre le couloir dans le but de retrouver dans sa chambre.
Sybille ne peut s'empêcher de soupirer une nouvelle fois, s'arrêtant sur son élan, la frustration lui colle à la peau, celle de voir sa décision non convaincante pour son frère. Elle en était pourtant persuadée. Persuadée qu'Ambroise serait aussi déterminé qu'elle, la voyant pleine d'entrain. Elle arrivait souvent à l'amadouer, elle en était plutôt fière. En vérité, il cédait après de longues minutes, surtout parce que c'était elle. Ces fois-ci où ça ne marchait pas comme elle le voulait, elle ne baissait jamais les bras. Mais à une telle heure, elle en était surtout agacée. Même si, au fond, elle ne lui en voudrait aucunement pour ça, trop habituée à son caractère pas toujours conciliant. Les idées lui fusaient la tête, mais obnubilée par la santé de son frère jumeau, elle ne pouvait être raisonnable, et c'était encore son caractère dramatique qui prenait le dessus. Sybbie n'avait besoin que d'une parole pour être rassurée par ce dernier, mais elle en avait du mal cette fois-ci. Elle savait pertinemment que si la scène était inverse, il l'aurait déjà emportée sous le bras, et ce, sans même lui demander son avis. Être impuissante face à lui la faisait terriblement culpabiliser, surtout qu'elle savait très bien, elle le sentait au plus profond d'elle, que rien n'allait pour le mieux, qu'ils se mettaient le doigt dans l’œil.
Alors qu'elle était déjà prête à aller récupérer de quoi partir, coupée dans son élan, elle s’arrête net, se retourne pour le regarder à nouveau dans les yeux, sans passer à côté de cette figure aux traits plus fatigués que jamais, de son teint toujours plus pâle, de sa moue désemparée qui traduisait son agacement face à cette situation avec une pointe d'inquiétude. Elle ne peut que l'écouter, elle se calme simplement. Interloquée à nouveau par sa voix faiblarde, elle s'agace à nouveau quand il essaye une nouvelle fois de la rassurer. Il lui fait cette promesse à nouveau. Deux fois, ce qui est loin de la rassurer, surtout quand il insiste lourdement, comme pour la calmer, en vain. Elle pense immédiatement qu'il peut bien se rassurer lui-même, mais elle sait bien qu'il essaye juste de repousser cette visite avec les toutes dernières chances qu'il lui reste, ses tout derniers arguments contre cette situation d'urgence. Pourtant, ils savent bien tous les deux que la situation est à un point de non retour. Elle lui concède intérieurement que quatre heures pourraient être l'équivalent de leur attente à ces fameux urgences et qu'ils pourraient finalement et simplement attendre de rejoindre leur médecin. Et puis elle se déteste à nouveau de se laisser berner par ses belles paroles, à son habitude.
Elle hausse les épaules, sa tentative de l'embarquer échoue encore, plus que déçue. "Tu me gonfles ..." lui sort finalement des lèvres, presque inaudible, désemparée. Sybbie ne trouve plus aucun argument, même le meilleur ne le ferait pas changer d'avis après tout, il était bien trop têtu. Il fallait juste agir et le forcer, ce serait sa méthode, elle en avait décidé. Elle ne voulait pas l'alarmer, mais elle voulait bien lui dire que : si, quand ils verront son état plus que déplorable, ils le prendraient très certainement rapidement en consultation. C'était en tout cas comme ça qu'elle s'imaginait tout ça. Mais elle ne lui dirait pas, garderait ça pour elle, essayant de ne pas lui transmettre sa propre peur.
Il insiste une nouvelle fois, cette fois-ci pour lui dire qu'il décide d'aller se coucher. Sybille lève les yeux au ciel alors qu'elle tourne elle aussi les talons, le visage toujours plus décidé. Dans son dos, une nouvelle toux fait rage, ce qui le force à se courber. Elle est refroidie une nouvelle fois. Ambroise continue tout de même sur sa lancée, toujours pas alarmé par cette toux de son côté. Sybille ne l'écoute déjà plus, ou alors que d'une oreille, et se précipite devant lui pour le devancer. Très facile vu la lenteur qui lui est due. Sybille ne le frôle que sèchement quand elle le double sur le côté, afin de rejoindre elle-aussi l'une des chambres. Jamais elle ne s'était précipité aussi rapidement dans sa chambre, rythmé par une course à petits pas pressés. Elle en ressort le plus rapidement possible, et en profite pour passer par celle d'Ambroise sans même jeter un œil dans ce couloir glacé. En y sortant, quelques secondes écoulées, elle se retrouve à nouveau face à Ambroise, qui était bien décidé de rejoindre sa chambre. Chambre d'une chaleur étouffante pour compenser ses frissons, mais c'était sans compter sur Sybille qui en profitait pour lui bloquer le passage à travers l'encadrement de la porte. Petite et plutôt menue, il n'aurait fallu que la pousser sur le côté pour s'y immiscer, mais elle était bien déterminée. Elle tient une veste prise au hasard, de ce dressing que l'on peut apercevoir dans son dos, encore ouvert, qu'elle n'a pas pris la peine de fermer dans la précipitation. Il se moquerait de son choix s'il était en forme, elle n'en doute pas. Sybbie profite de sa lenteur et de son incompréhension pour fermer son propre gilet. Elle se fichait bien de son apparence, de quels vêtements porter, de quelle dégaine elle pouvait bien avoir. Ses yeux verts replongent dans ceux de son frère. "Fais moi confiance, s'il te plait." Elle lui tend timidement sa veste, en train de prier qu'il l'accepte, alors emmitouflée elle-même dans la sienne. "C'est tout ce que je te demande..." Elle épuisait ses dernières forces pour le convaincre une dernière fois. Sa chambre n'attendait que son propriétaire, et ce dernier était bien trop prêt à s'y engouffrer. Sybbie n'avait pourtant que peu d'espoir. Réussir à l'embarquer serait une victoire. Ses yeux lui implorent de la suivre. Elle ne lui donne pas vraiment le choix en vérité, elle ne voulait juste pas être obligée de se battre une nouvelle fois pour le faire changer d'avis. Sybille se frotte les yeux avec les poings, elle qui n'a besoin que peu de sommeil en temps normal, bien fatiguée de cette nuit qui était pourtant loin d'être terminée.
C’est perdu d’avance. La question reste de savoir pour qui. Sybille se heurte à la détermination obtuse de son frère, et ce dernier refuse de reconnaître la vérité. Souvent, elle parvient à le faire céder, soit parce qu’il veut avoir la paix, soit parce qu’il a au final envie de lui faire plaisir, soit parce que c’est tout simplement sa sœur et que s’ils le voulaient ils pouvaient se braquer l’un contre l’autre durant des années sans que l’un d’eux ne bougent. Heureusement, ils s’aiment trop pour cela, et de petites concessions en petites concessions, ils arrivent à un accord. Cette nuit ne semble pas être un de ces moments où Ambroise accepte de plier face à sa sœur. D’ordinaire, il ne fait cela que lorsque c’est la chose raisonnable, que lorsque ce qu’il pense est forcément juste, forcément vrai, forcément mieux même sur le long-terme par exemple. Pour son bien à elle, il est toujours prêt à l’affronter ; si la situation inverse se produisait, il l’aurait traîné depuis longtemps voir un docteur. Cependant, lui, il arrive à la rassurer, alors elle a laissé couler les premiers jours, lui faisant confiance. C’est ainsi que c’est plus rarement le contraire, elle qui ne veut que son bien même en se retrouvant en désaccord, qui se produit. Mais c’est par la même volonté que Sybille veut, en ce moment, lui faire entre raison. Pour son bien. Elle n’arrive cependant pas à retourner la tendance ; Bonnie reste campé sur ses positions. Elle ne lui en veut pas d’être ainsi, elle ne le connait que trop bien, et il en a parfaitement conscience. Elle est juste agacée de ne pas trouver le moyen de l’atteindre.
Fatigué mais têtu. Borné. Il accepte cependant une chose, un pas en avant pour rejoindre sa sœur sur un terrain d’entente. Aller voir le médecin, à la première heure demain matin. Il va jusqu’à promettre. Ce n’est pas suffisant. Il devine le changement en elle, ce besoin d’agir qui prend forme soudainement sous la solution de se rendre aux urgences. Toujours pas plus mesurée, Sybbie ne voit que les grands moyens. Il soupire légèrement, reste sur son idée de docteur, un rendez-vous dès que le cabinet sera ouvert n’arrivera peut-être pas plus tard qu’une consultation aux urgences. On le fera sûrement attendre, c’est souvent comme ça que ça marche. Les femmes enceintes et les blessés graves d’abord. Lui, il n’a que de la fièvre et une migraine. On le fera attendre. Argument qui frustre sa sœur, il le sent. Mais cette vérité la calme, la cloue sur place alors qu’elle était à deux doigts de s’activer pour récupérer quelques affaires et partir. Et heureusement, car Bonnie n’est pas prêt pour ça, pour la gravité de sa situation impliquée dans une visite aux urgences. Ça l’angoisse bien plus qu’autre chose, d’une façon profonde. Il garde la face pourtant, et choisi de retourner se coucher. Demain oui, il ira voir leur médecin traitant, mais il n’ira pas l’hôpital. Sa quinte de toux ne dérange même pas sa ligne de pensées.
Il a réussi à la calmer assez pour qu’elle comprenne que rien ne se déroulera comme elle l’imagine. Ambroise ne cédera pas aujourd’hui. Défaite, submergée par l’impuissance, elle lui balance dans un souffle qu’il la gonfle. Ce n’est guère les mots qui blessent le jeune homme. Il se sent davantage coupable à cause de l’expression de sa jumelle, la trouvant désemparée, et se désolant de devoir lui faire vivre ça. N’ajoutant rien à la discussion qui vient de se clore, puisqu’au n’argument n’est avancé par Sybille, il sort de la cuisine pour retourner comme prévu dans sa chambre. Mais à peine est-il dans le couloir que la jeune femme le dépasse vivement. Empressée. Et dieu sait qu’il sait ce qu’elle a en tête. S’arrêtant un instant, les yeux fixés sur l’encadrement de la porte de la chambre de sa sœur, il finit par soupire sèchement et secouer la tête. Non, elle n’osera pas. Cependant elle ressort à peine quelques secondes plus tard pour pénétrer cette fois-ci dans la chambre de son frère, que ce dernier atteint au moment où elle revient lui bloquer l’entrée. Un blouson pour lui sur le bras, elle referme son propre gilet sans montrer un signe de faiblesse, le regardant droit dans les yeux. Bonnie aurait la repousser d’un geste du bras, mais il n’en a la force ni physique, ni mental. Elle ne va pas plus baisser les bras que lui.
Silencieux, soutenant son regard, pas tout à fait à sa hauteur mais ne se tenant pas très droit non plus. Il hésite un court instant à se laisser aller contre elle. Poser sa tête sur son épaule. Grogner un peu qu’il a envie de mourir et qu’il veut juste qu’on lui foute la paix. Mais ça ne dure qu’une seconde, ce moment où il sent qu’elle gagne. Ses forces l’abandonnent lorsqu’elle lui demande avec ferveur et douceur de lui faire confiance. Il ne sait pas à quoi leur mère ressemblait exactement, comment elle parlait, comment elle bougeait, quelles mimiques elle avait. Mais il devine que Sybille en est une sublime copie, et que c’est ainsi que leur père, pourtant aussi têtu que le fils, se faisait mener par le bout du nez par sa merveilleuse femme. Le schéma se reproduit, il est incapable de résister face au désir de Sybbie d’agir. Pour le mieux. Il le sait en plus. Sa maladie n'est pas si bénigne qu'il a bien voulu le croire, ou en tout cas pas aussi passagère. Se voiler la face ne sert plus à rien lorsque sa jumelle connait la vérité. Il n’aurait même pas du lutter contre sa sœur, la voilà maintenant obligée de le mettre au pied du mur, elle est prête à le forcer, et il sait qu'elle n'aime pas en arriver là. Mais il a besoin de ça.
Perdre pied. Céder. Accepter de la suivre. Consentir à la raison, lui qui d'ordinaire n'est commandé que par elle. Pourtant c'est Sybille qui la manie ce soir, cette fameuse raison qui lui échappe depuis qu'il est tombé malade il y a quelques jours. Bien qu'elle l'implore de ses grands yeux verts inquiets et de sa faible voix, elle ne lui laisse guère le choix. Elle souhaite juste éviter d'avoir encore à se battre, car elle fatiguée, elle aussi. Et Ambroise ne peut pas consciemment la pousser jusque là. Il se sent horriblement mal vis-à-vis d'elle pour une raison trouble, qui se résume au fait qu'il déteste être la cause d'une émotion aussi négative chez sa jumelle. Soupirant lourdement, avec l'impression qu'il perd un peu plus de force en même temps, il attrape sa veste. « Si tu pouvais me passer un jogging aussi... Ça serait cool… » fait-il remarquer en enfilant le vêtement par-dessus son t-shirt. C’est qu'il est encore en caleçon, puisqu'il ne pensait pas sortir de la nuit. Mais c’est un aveu à demi-mot. Il accepte qu'elle l’emmène aux urgences. C'est même au-delà de la confiance, c'est autant pour elle que pour lui. Tout s'imbrique si fermement qu'Ambroise aurait bien du mal à comprendre quoique ce soit à ce qui se passe entre eux. Comme souvent. Des allers-retours de sentiments, de cause à effet. Et déjà, avec tout sa tête, il n'est pas bon à cerner ses émotions.
Jamais eu besoin de ça avec Sybbie d’ailleurs, c'est sa jumelle et elle le comprend mieux que personne. Elle n'a pas besoin qu'il dise franchement qu'il l'a suit, qu'elle a raison, qu'il lui fait confiance, qu'il l’aime. Elle lit entre ses lignes mieux que personne, elle sait que le forcer à en dire trop le met mal à l'aise, et que derrière chaque attention ou réflexion il y a un amour fraternel indéfectible. Prenant appuie sur elle pour enfiler le pantalon qu'elle vient de lui ramener en vitesse, à présent incapable de tenir en plus puisqu’il a céder, il remarque enfin sa tenue à elle. Habille et prêt à partir, quoique encore devant la porte de sa chambre, il esquisse un sourire en coin. « Tu fais presque aussi pitié qu'moi dis donc… » s’amuse-t-il, alors qu'il se redresse en l’observant. Petite touche d'humour sur ses vêtements qu’elle a vraisemblablement choisi dans le noir. Une petite taquinerie sans grand fondement puisqu’il est le premier à sortir en jogging t-shirt lorsqu’il s'agit de faire des courses ou quoique ce soit. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher pour détendre un peu l'atmosphère et détourner un court moment son attention du mal qui le ronge.
Son énorme soupir l'aurait en temps normal hérissé, même si elle a développé après toutes ces années d’expérience avec son caractère différent du sien une immunité à ses sautes d'humeur. Cette fois-ci ce soupir était délivrance. Ambroise se résigne finalement à accepter son marché. La demande, l'offrande désespérée de la veste, qui était finalement le symbole d'abdiquer à ses supplices. Sybbie en était pourtant persuadée. Au fond d'elle, elle en était convaincue. Convaincue qu'il ne céderait pas et qu'elle devrait revenir le tirer par les cheveux quelques heures plus tard, ce qui serait à nouveau un échec, mais où elle n'aurait pourtant pas baissé les bras. Son étonnement se lit sur son visage, se dessine expressément, dû à son soulagement. Une bonne nouvelle n'aurait pas pu se lire autant sur son visage désormais radieux, quoique toujours inquiet. Encore une fois, cette idée lui tourne dans la tête, celui de ne pas l'inquiéter deux fois plus. C'est pourquoi c'est avec un sourire serein qu'elle lui lègue cette fameuse veste, la boule au ventre se dissipant enfin, ravie de le voir enfin de son côté.
Les seules fois où Sybbie s'amusait à lui bloquer le passage pour telle ou telle raison, elle en rigolait elle-même de sa propre bêtise. L'auto-dérision d'un barrage inutile, de sa petite silhouette qui tente vainement de bloquer une porte, n'arrivant même à en bloquer la moitié. Elle en plaisantait souvent, abusant parfois de cette blague pourtant puérile, envers ses deux colocataires qui devaient en être excédé. Elle se souvient très distinctement utiliser cette méthode pour contrer Bonnie depuis toute petite. Une certaine technique qui ne marchait plus dès lors qu'il commençait, à son plus grand dam, à grandir. Dès lors, elle devait ruser de plus en plus, car après l'adolescence, elle ne pouvait plus clairement plus rivaliser niveau tailles.
Il lui fait soudain remarquer qu'un jogging ne serait pas de refus. Elle n'avait pas quitté les traits de son visage, et c'était le genre de détail qu'elle s'était bien permise d'oublier. La fatigue et l'inquiétude avaient bien eu raison d'elle. Elle en laisse échapper un rire, se sentant presque coupable, qu'elle cache avec ses mains tellement elle s'en trouve ridicule. Il n'en faut pas plus pour qu'elle se hâte de chopper le premier qu'elle trouve en un seul regard, tout en lui répondant : "Ah bah ouais, évidemment, j'ai oublié le plus important ...", encore amusée de cette situation. Sybille lui tend en moins de quelques secondes ce dernier, qu'il enfile sans ronchonner, mais prenant appuie sur elle, où elle en profite pour jauger à nouveau sa fatigue d'un dernier coup d’œil, avant d'ajouter : "Mais tu sais ... Vu ta tête ... Je n'pense pas que les gens auraient remarqué ce 'détail'." Elle mime des guillemets de ses mains pour insister sur ce dernier mot, gestuelle habituelle de sa jeune jumelle, qu'elle agrémente malgré tout d'un sourire compatissant.
Fin prêt, Sybille ne pouvait qu'en être satisfaite. Il fallait bien que son frère ajoute une dernier remarque avant de déguerpir, il ne pouvait vraiment pas s'en passer. Elle se serait encore plus inquiétée s'il n'en avait fait aucune. Le visage bloqué vers lui, elle exagère son expression outrée, la bouche ouverte, mais termine par en rigoler avec lui. Au moins il n'avait pas perdu son sarcasme, et c'était même plutôt rassurant, c'est qu'ils étaient en bonne voie. Elle lève même les yeux au ciel. Même dans les situations les plus difficiles, il arrivait toujours à la faire rire, de sa touche d'humour qui arrivait toujours à les faire descendre d'un étage, de finalement les calmer et détendre l’atmosphère, peu importe quelle situation. Cependant, impossible de ne pas lui répondre. "C'est super. Comme ça, on fera pitié à deux ..." Les deux pauvres jumeaux MacLeod, à la pointe de la mode cette nuit-là. Pour Sybille, il était rare qu'elle sorte en prenant n'importe quel vêtement qui lui arrive sous la main, même si il lui arrivait de sortir habillé plus tranquillement quelque fois, c'était même assez rare. Mais les priorités cette fois-ci étaient autres, et c'était la rapidité qui avait primé.
La jeune australienne enchaine plutôt rapidement. Ils étaient prêts, elle ne voulait pas perdre une minute de plus. "Let's go." Elle tourne les talons, puis se dépêche de prendre quelques papiers dans cette commode auprès d'eux, puis se dépêche, presque persuadée qu'il pourrait à nouveau lui filer entre les doigts d'ici quelques minutes si elle s'éternise. Elle attrape ses clés qui trainait sur la table basse en face de la télévision, puis le retrouve, toujours le plus rapidement possible, et ils se dirigeaient gentiment vers la sortie, essayant toujours de le ménager dans ses dernières forces. Elle n'en revenait pas d'avoir réussi à l'embarquer jusqu'ici, mais les jumeaux étaient bien désormais en route vers l'hôpital, direction Toowong.
Rares étaient les fois où un tel silence se faisait ressentir lorsqu'ils étaient à deux, dans cette voiture. Elle était habituée à lui faire subir ses musiques plus fortement les unes que les autres. De faire subir à ses accompagnateurs ses titres du moments, ses danses parfois et et surtout ses chants, ses karaokés au volant. Ambroise l'accompagnait parfois s'il était d'humeur, bien meilleur chanteur que sa sœur qui s'y casse la voix pour quelques minutes de plaisir. La dernière fois où le silence était omniprésent, c'était très certainement cette fois où il s'était endormi à ses côtés, la tête se battant pour rester droite, se baladant à droite et à gauche, en revenant d'un des concerts qu'ils s'étaient fait sur un coup de tête. Elle se souvient très distinctement lui parler dans le vide, ne remarquant que quelques instants plus tard qu'il était dans l'un de ses sommeils profond, et qu'elle avait senti une profonde solitude à lui parler dans le vide, seule.
Contractée, crispée, il n'y a pas un seul muscle qui la laisse détendue face à sa frustration. Elle qui d'habitude est un moulin à parole, surtout au volant, se fait bien muette cette fois-ci. Mais ses pensées fusent maintenant que tout se concrétise. Ils sont vraiment en directions des urgences. L'une de ses mains est un poil paresseuse sur le volant, tandis que l'autre lui soutient la tête, ce qui lui fait une allure plutôt boudeuse, alors qu'elle est juste pensive. Les toux d'Ambroise sont les seules choses qui la font sourciller au volant, elle ne perd pourtant pas le cap. Elle s'autorise quelques regards perdus vers lui lors des quelques feux rouges qui se mettent sur leur chemins et dont elle insulte intérieurement. Elle qui adore admirer Brisbane dormir la nuit, de par ses lumières dansantes et ses fêtards qui rentrent tard, ses étoiles qui éclairent le ciel bien épais et sombre. Elle n'en apprécie plus rien. Elle s'autorise aussi deux "Ça va ?" à quelques minutes d’intervalles pour jauger son frère à ses côtés, qui devait bien la maudire plusieurs fois, ça, elle en était persuadée. D'ailleurs, elle se sent un peu coupable, elle sait qu'il se leurre non seulement pour lui, c'est évident, mais aussi pour la protéger elle, essayant tant bien que mal de ne pas l'inquiéter, et ce, avec les dernières forces qu'il lui restait malgré tout. Et désormais, elle s'en veut, par le fait qu'il ait essayé de la ménager, à presque regretter son attitude brusque.
Finalement, avec toutes ses pensées, et surtout à cause d'un pied plus lourd sur l'accélérateur, ils arrivaient plus rapidement qu'elle n'aurait imaginé. Ses prières au volant étaient exhaussées, elle réussissait à trouver une place de parking à leur arrivée. Elle baisse le chauffage qu'elle avait abusivement augmenté pour son frère, se tourne vers lui une dernière fois pour finalement éteindre le moteur et sauter en dehors de la voiture le plus rapidement possible. A leur arrivée aux urgences, son regard sautait immédiatement vers la salle d'attente, et elle en était ravie de voir qu'elle n'était pas bondée. Seules deux personnes s'y logeait, elle pouvait prier maintenant qu'ils n'attendraient pas des heures, aussi pour ne pas donner raison à son frère jumeau. "Vas-y, attends ici, je vais nous signaler et je reviens." Elle lui montre du doigt ces quelques chaises qui n'attendaient que les jumeaux pour les accompagner dans une toute dernière attente. Mais finalement, elle se décide à l'accompagner jusqu'à celles-ci, la peur de le voir à nouveau se plier littéralement en deux. Puis elle s'empresse vers l'accueil, garde un œil de coté vers lui tout de même, mimant par la main qu'elle gère la situation. Elle se remercie intérieurement d'avoir eu comme professeur Ambroise MacLeod et son esprit organisé et méthodique. Car grâce à ça, elle sait qu'elle saura gérer la situation, et le principal, qu'elle n'a rien oublié à la maison pour la paperasse.
Quelques minutes plus tard elle le rejoint à nouveau, ne s'empêche pas de passer une main dans les cheveux sombres de son frère pour lui faire un semblant de coiffure, peut-être pour doser à nouveau sa fièvre également, puis s'assoit à ses côtés. "Ok." Elle baisse un peu la voix, se souvenant qu'ils n'étaient pas seuls, surtout à cette heure tardive. "J'ai tout expliqué en bref, j'ai rempli quelques papiers aussi." Elle cherche de nouveau son regard, le visage trop sérieux pour Sybille MacLeod. "J'ai dis que c'était ultra urgent." Elle se pince la lèvre, ne voulant pas vraiment lui avouer qu'elle avait extrêmement exagéré la situation, les symptômes, et la durée depuis laquelle tout à commencé. "Et du coup, elle m'a dit qu'on passerait vite." Elle se redresse sur son siège, droite comme un i, les mains dans les poches. "Donc ne t'inquiète pas. Ça va aller, tu vas voir." Elle était la plus sincère possible, son nœud à l'estomac se démêlait enfin, ses nerfs aussi, elle pouvait enfin respirer. Un immense soupir de soulagement. Elle enchaine tout de même. "Ouais et autre chose, aussi. Tu vas m'en vouloir je crois, mais tant pis." Elle se pince la lèvre à nouveau. Il était habitué, la connaissait par cœur. De toutes ces années, il connaissait même ses mimiques, et celle ci faisait bien partie de ceux qu'elle avait quand elle se sentait quelque peu coupable. "J'ai prévenu papa par sms." Cette soirée était un cocktail de tout ce qu'elle détestait. Ce genre de discussion, son frère malade, des inquiétudes. Bref, rien n'allait. Elle espérait juste un Ambroise compréhensif qui allait dans son sens.
Il n'en revient pas d'avoir capitulé, mais il n'aurait pu y avoir d’autre issue. Sybille était quasiment prête à le traîner jusqu’aux urgences par la peau du cou. Et bien qu'elle sache que lui barrer le chemin ne sert à rien – en temps normal, vu sa force ce soir il n'a pas envie de tester et d’échouer –, sa détermination ne fait aucun doute. On est bien loin de sa petite blague, ironisant sur sa taille et sa capacité à bloquer le chemin de ses deux colocataires. Elle fait le coup à son frère depuis toujours d’ailleurs, et continue sans faille bien qu'il ait maintenant une bonne vingtaine de centimètres de plus. Face à cette tentative désespérée, cette supplique, Bonnie préfère encore abdiquer, las qui plus est de se battre avec sa jumelle. Aussi touché par le mal qu'il lui inflige en restant l’éternel têtu. Ambroise pourrait s'amuser de la tête qu’affiche sa sœur au moment où il attrape la veste qu'elle lui tend, montrant ainsi sa résignation. Un mélange d’étonnement et de soulagement flagrant, comme un raz-de-marée qui sur l'instant balaye toute tension du visage féminin. Cela ne dure pas malheureusement, car la suite qui se dessine n'est guère réjouissante. Pourtant, afin de ne pas affliger d'avantage Bonnie, Sybbie tâche de garder un sourire encourageant.
On trouve rapidement un pantalon au malade, qui s'amuse cette fois-ci bel et bien de la remarque de la jeune femme, et ne se prive pas d'en lancer une à son tour, estimant qu'elle n'a pas l'air en meilleure condition que lui vu la façon dont elle s'est habillée. Sûrement, littéralement, dans le noir. Ne plus se battre, s'affronter. Retrouver la Sybille qui rit et lui répond toujours du tac au tac. Comme si son état n’était finalement pas si grave. Durant un instant, Ambroise a l'impression de retrouver des forces, ou au moins une espèce de sérénité de l'esprit. Celle qui accompagne indubitablement les jumeaux lorsqu’ils sont sur la même longueur d'onde, du même côté, ensemble. Il n'a jamais aimé, et n'aimera jamais, se disputer avec Sybbie, il a toujours l'impression d’être en déséquilibre lorsqu'une querelle éclate entre eux. Et ce malaise presque physique participé sûrement à leurs réconciliations rapides ; que ce soit l'un ou l’autre qi fasse des compromis, ou les deux, ou qu'ils passent tout simplement à autre chose. Ils trouvent toujours le moyen de ne pas s’éterniser sur une dispute. Cette fois-ci encore, Ambroise sait qu'ils n’évoqueront plus ce qui vient de se passer au moins pour l'instant, afin de se concentrer sur l'avenir. Sybille n'attend pas de reprendre son souffle d'ailleurs. Elle file récupérer des papiers, ses clés, et des bricoles auxquelles Bonnie n'a sûrement même pas envisagé dans son état, et le rejoint à la porte d’entrée. Le trajet jusqu’à la voiture lui paraît long, alors que ses forces s'amoindrissent petit à petit, mais ça n'est rien comparé à la route jusqu’à l’hôpital.
Durant tout le trajet, il somnole sans complètement s'endormir. Incapable de tomber tellement dans le monde des rêves à cause de ses toux qui ont l'air d'avoir pour unique but de l’empêcher de dormir. Présent et absent à la fois, Ambroise ne fait attention à rien. Il a juste conscience qu'ils vont comme prévu aux urgences, qu'il a perdu, mais que c'est peut-être pour le mieux, ainsi il n'en veut pas à sa sœur pour avoir réagi de cette manière. Elle doit bien avoir raison. Il cherche toujours à la ménager pour son bien, or il doit bien avouer que cette fois-ci, c’est de son aide dont il a besoin. Ne serait-ce que pour lui ouvrir les yeux, personne d'autre n'aurait réussi à se faire écouter d'Ambroise. Mais il n'a même plus la volonté d'y penser de toute façon. Ses réponses à la question perpétuelle de Sybbie sur son état sont machinales. Un « oui oui » marmonné de temps à autre, absolument faux dans sa globalité, mais qui signifie simplement qu'il tient le coup. Que ça n'est pas pire, sans être mieux. Le reste n’est que silence. Sybille n'a même pas allumé la radio, ou sa musique, et reste concentrée sur la route sans parler. Bonnie se doute que ça n'est pas facile pour elle de se taire à ce point-là, de respecter son besoin de calme pour ne pas augmenter sa fatigue. Mais il lui en est immensément reconnaissant. Et si le trajet est long à ses yeux, ça n'est pas le cas pour sa sœur qui a profité de l'absence de circulation pour garder le pied au plancher.
Ils arrivent plus vite que prévu – hors point de vue d’Ambroise, et trouvent une place sans problème. Bonnie frissonne en sortant de l’habitacle bien chauffé, et ressent pour la première fois cette boule au ventre en voyant les lettres lumineuses indiquant l’entrée des urgences. La sensation le réveille et le dégoûte à la fois. Gardant au maximum son expression sous contrôle, il suit sa sœur dans le bâtiment. Elle tient à l’accompagner sur quelques mètres pour s’assurer qu’il parvienne à s’asseoir dans la salle d’attente presque déserte (ou pour s’assurer qu’il ne profite pas pour s’enfuir). Ses yeux se lèvent machinalement au ciel, mais il soupire de contentement en se retrouvant de nouveau assit. Affalé plutôt. Son regard trace un moment la silhouette de sa sœur qui les enregistre à l’accueil. Une pointe de fierté le fait sourire, quand il se rend compte qu’elle est en train de gérer comme une pro ce qui d’ordinaire est son domaine. L’organisation il gère bien mieux qu’elle. L’administration, même s’il s’en fiche, il est plus efficace qu’elle. Mais ces années à le voir agir ont eu un impact sur la jeune femme qui se révèle tout à fait capable de prendre les commandes d’une telle urgence.
Il ferme les yeux avant qu'elle n'en ai terminé. La main qu'elle glisse bientôt dans ses cheveux lui assure cependant son retour auprès de lui. Soupirant doucement, comme un ronronnement, sous la caresse familière, il laisse sa tête basculer en arrière pour reposer contre le dossier de la chaise. Tandis qu’il écoute les nouvelles apportées par Sybille, il tourne légèrement la tête pour la regarder, et sourit en coin, ce qui contraste avec l'expression sérieuse de sa sœur désormais assise à ses côtés. « Tu te débrouilles comme une chef... » marmonne-t-il tout aussi doucement qu'elle. Il devine sans problème qu'elle a dû exagérer pour avoir l'assurance qu'ils passeraient vite, et ne peut pas lui en tenir rigueur. Plus vite tout ceci sera fini, mieux ça sera. Avachi sur son siège, incapable de se tenir droit, un mollusque comparé à sa sœur aux épaules tendues, que le soulagement vient doucement dénouer. Tout s'est mis en place correctement, ils n'ont plus qu’à attendre. Il l'observe un instant de plus pourtant, trouvant dans sa moue une raison de s'inquiéter. Il soupçonne avant même qu'elle ne l’avoue que la suite ne va pas lui plaire, et fronce légèrement les sourcils en attendant la conclusion. Sybille a déjà prévenu leur père par SMS. Avec un soupire, Ambroise lève les bras en l'air dans un signe de lassitude. « Évidemment... Manquait plus que ça... » ronchonne-t-il avant de fourrer ses mains dans ses poches en se recroquevillant un peu sur lui-même, presque boudeur. Il se demande furtivement si son père l'imagine alors pathétique au point d'aller aux urgences alors qu'il n'y a pas besoin. Ambroise est loin d’être aussi viril comme son militaire de père et inconsciemment, il croit le décevoir à être aussi différent et éloigné de l’idée de base que l'on se fait d'un fils, avec sa carrure de sauterelle. Pourtant Bonnie ne changera ce qu'il est pour rien au monde, c'est simplement épuisant de ne pas être compris. Sans compter qu'avec l'absence de réelle communication, ça n'est pas près de se régler.
« T'aurais pas pu attendre la visite du médecin au moins ? Qu'on soit au moins calé sur c'que j'ai. » Il n'essaie même pas d'imaginer le message qu'elle a envoyé, qui doit être assez alarmant dans le peu d'information délivré. Car uniquement dire qu'ils sont aux urgences, ça n'est en rien rassurant. Mais encore une fois, même s'il grogne, il est incapable d'en vouloir à sa sœur. Il aurait même dû s'y attendre. Elle est plus proche de Keith MacLeod, et toujours à l’affût d'une manière de leur faire garder le contact. Bonnie suppose que, de toute façon, son père ne rappliquera pas dès le petit matin – pour quelque raison que ce soit –, cela lui laisse donc du temps pour se faire à l’idée. Il soupire lentement, pour se calmer, car cette histoire l'agace comme à chaque fois que l'homme entre en jeu. « Peu importe d'façon, j'pense pas qu'ils vont me garder ici longtemps, pas de quoi affoler papa... » Un espoir surtout. Ne pas rester à l’hôpital. Signe d'un état trop grave à son goût. Après une nouvelle quinte de toux, il se penche sur le côté, et pose sa tête sur l’épaule de Sybille, cherchant une bonne manière de s’installer pour patienter dieu sait combien de temps. Qu'on les prenne en charge avant au moins une heure d'attente le surprendrait énormément. « Tu m'tiens au courant, quand même, hein.. ? De c'que papa te répond ou quoi... » souffle-t-il, les yeux déjà fermés et les traits apaisés d’être au contact de sa jumelle. Il va peut-être réussir à dormir un peu, le temps qu'on vienne les chercher. Ça sera toujours ça de gagner. Et puis il n'a guère d’énergie pour autre chose qu'une espèce de somnolence. Garder les yeux ouverts à la lumière crue de la salle est en tout cas un supplice. « Tu préviendras Clément aussi, mais essaie d'pas trop l’inquiéter lui... Il a autre chose à penser en ce moment.
Aucune surprise de son côté. La jeune Sybille aurait pu parier sur la réaction de son frère, elle s'en était peut-être même déjà préparée intérieurement. Il grogne, il minimise. Encore une fois. Réaction typique. Lui reproche d'être trop rapide, comme s'il avait oublié avec toute cette fièvre qu'elle était rapide à ce jeu et parfois même imprévisible. Elle lève les yeux au ciel à nouveau, décidément, son caractère lui ressemble de plus en plus ; il est beaucoup trop prévisible. Elle aurait pu parier sur sa réponse avant même qu'il n'ouvre la bouche. Elle en plaisante souvent, du fait qu'ils pourraient discuter rien qu'avec leurs regards et leurs expressions, et parfois elle en est effrayée à quel point ça pourrait être vrai. "Détends-toi..." lui grommelle-t-elle, parlant en même temps que son frère, au visage déjà bien trop agacé. Ses paroles se mêlaient à celles d'Ambroise, elle n'augmentait cependant pas le volume de sa voix. Après tout, celle de son frère était bien trop faible pour être au dessus de la sienne, et elle n'avait pas vraiment d'argument contre lui cette fois-ci. "J'ai rien dit d'alarmant, t'emballes pas ..." Espérant que ça ne sonne pas trop faux, elle déglutissait, sachant à l'avance qu'il aurait eu cette réaction, comme à chaque fois où elle n'en faisait qu'à sa tête. Malgré une certaine mauvaise foi d'Ambroise, elle le comprenait malgré tout. Ce n'était pourtant pas contre lui, au contraire. Même si elle avait essayé de se retenir d'envoyer ce maudit message, elle l'aurait fait tôt ou tard. Alors autant s'y atteler dès le départ ! Elle s'abandonnait bien vite à ses envies soudaines et ne résistait jamais bien longtemps. Bien qu'ils soient tous tellement occupés chacun de leur côté, elle essayait tout de même de garder contact avec Keith. Même raconter une journée ennuyante en faisait partie. Alors pour ce genre de chose, elle n'aurait pas su tenir sa langue plus longtemps. Et Sybbie s'était vraiment fait violence pour ne pas l'alarmer, au contraire, elle avait même tout minimisé en se limitant au stricte minimum, d'un message anodin mais pourtant assez important pour le mentionner cette mésaventure. Elle continuait à esperer que tout cela n'était que le résultat du laisser aller d'une petite maladie, et qu'ils en seraient vite sortis. Mais rien que le fait de le prévenir irritait déjà bien assez Bonnie, qui avait l'air de reprendre des forces pour lui aboyer ses dernières paroles de mécontentement. Mais jamais elle ne serait froissée par de telles paroles, ou pire, son caractère. Elle en était bien trop habituée. Au fond, par ce message, elle essayait de récupérer une once de soutient, d'être rassurée par Keith. Même si elle pensait gérer la situation, sur le tas, dans sa tête, s'en était beaucoup moins facile. Mais le stress de la situation s’effaçait doucement. Elle avait finalement réussi à repousser la panique du moment et toute cette illusion était efficace. Il lui laisse tout de même sous-entendre qu'elle aurait pu attendre le verdict de toute cette pagaille. Elle ne lui répond pas sur le moment pour ne pas ré-enchérir, mais elle pensait immédiatement et intérieurement qu'il lui en aurait voulu encore plus si elle avait balancé les infos de toute la consultation à Keith. Elle ne savait même plus sur quel pied danser finalement. S'il voulait qu'elle ne lui dise que le strict minimum, ou non. Elle lui fait tout de même la promesse de ne pas en faire des tonnes, et enchaine. "Ben, 'faut savoir. Tu veux vraiment que j'lui fasse un compte-rendu ?" Elle hausse les épaules, mais essayait de ne pas le provoquer plus que ça. "T'inquiète pas, j'assure. Et – oui – je te l'dis direct. Dès qu'il me répond." Histoire de mettre le point final, tout était clair et net. Il avait l'air d'ailleurs d'être certain à cent pourcent de pouvoir partir très vite d'ici. Et cette idée la réconfortait, elle lui faisait confiance d'une telle ampleur qu'elle aurait pu y croire elle aussi. Mais personne ne pouvait prédire la suite et hélas elle se posait de plus en plus de questions. Si l'idée d'un petit séjour ici pouvait lu trotter à la tête, elle la gardait au plus profond d'elle.
A sa grande surprise, il se calmait plus vite qu'elle ne l'aurait imaginé. Les symptômes l'avaient assommé à un tel point qu'il ne ronchonnait pas plus. Ce qui l’arrangeait car elle n'aurait pas eu la force d'un nouvel affront suite au dernier à la maison, avant de rejoindre cet hôpital glacial. Bonnie lui rappelle l’existence même de Clément, qu'elle avait totalement oublié, tellement elle était obnubilée par la situation et la santé de son frère qu'elle en avait laissé de côté tout le reste. Elle s'en veux de ne pas l'avoir prévenu en même temps que Keith dans la foulée, alors qu'elle aurait dû y penser immédiatement, au moins pour le prévenir. "Mince, ouai, Clément..." Elle se tape gentiment le front, lève les yeux au ciel tellement elle se prend pour une imbécile sur le moment. Elle se hâte de sortir son smartphone de sa poche alors que son frère s'installe tant bien que mal, le plus confortablement possible, sur l'épaule de Sybbie. Réfléchissant à ce qu'elle pouvait bien lui envoyer, ses doigts tapotent lentement son écran encore éteint, qui n'attendait qu'une Sybille prête et sûre d'elle. La réflexion est vite faite. Elle commence à écrire ce message spontanément puis s'arrête finalement quand elle se rend compte qu'elle ne sait absolument pas commencer ce genre de message. Essayer de ne pas l'inquiéter dès le départ n'était pas une mince affaire pour Sybille MacLeod, qui sait toujours mettre les pieds dans le plat et aller droit au but. Finalement elle optait par la méthode en douceur selon elle, celle de commencer comme si de rien était et surtout d'insister sur le fait de ne pas s'inquiéter, plusieurs fois, ce qui au final ne sonne pas aussi bien que ce qu'elle s'était imaginé à l'origine. Elle hésite quelques secondes puis se résigne à lui envoyer sans y réfléchir deux fois, après tout elle n'allait pas mentir, et priait sur le bon sens de Clément. "Voilà, monsieur. C'est fait." lui répond-elle alors qu'elle range à nouveau son téléphone dans sa poche, la voix plus basse lorsqu'elle s'aperçoit qu'il commence à somnoler. Elle se détend aussi de son côté, allonge ses jambes devant elle. Sa tête va rejoindre celle de son frère, ce qui évoque légèrement la forme d'un tipi à eux deux. Elle juge la respiration d'Ambroise pendant que ses yeux se baladent sur ce qui se passe en face des deux MacLeod.
Le jeune garçon en face d'eux s'était endormi sur les cuisses de sa mère, signe d'une nuit agitée ou peut-être trop longue. Elle observait les couleurs moroses et maladives qui décoraient cette salle,avec un certain regard aigri. Les quelques revues qui trainaient n'avait l'air guère plus intéressantes que ces quelques cubes qui jonchaient au sol, dans l'espoir vain d’attirer un jour s'ils le peuvent l'attention de quelqu'un, d'extirper les dernières envies d'amusement de quiconque. Les couloirs n'étaient guère plus mouvementés. Elle observait cette femme en face d'eux, et essayait de juger à sa fatigue si elle attendait depuis des lustres dans ces urgences, ou si c'était sa fatigue normale qui la tenait dans cette posture trop inconfortable. Juger surtout s'ils devaient également attendre des heures ou s'ils avaient une once de chance cette fois-ci. Son portable vibre, elle s'empresse de l'extirper de sa poche, l'espoir de voir un peu de réconfort en voyant l'une des réponses de ses interlocuteurs virtuels à plusieurs kilomètres. La moue triste de Sybille accompagné d'un souffle léger attestaient d'une notification quelconque. Après tout, elle n'avait pas vraiment espoir d'y avoir réponse rapide vu l'heure tardive qui s'exposait sur son écran désormais. Elle en profite finalement pour se balader et naviguer sur son smartphone, essayant de faire passer le temps comme elle le pouvait, scrollant ici et là, sans grande envie ni passion. Le silence de cette salle était à la limite du terrifiant. L'odeur de l’hôpital, n'en parlons pas, Sybbie en avait cette phobie. Quelques minutes passèrent seulement et ce fut à la dame en jaune de passer sous l'observation des médecins. La jeune australienne remet à nouveau son téléphone dans sa poche, tourne la tête doucement pour jauger à nouveau l'état de son frère, et surtout voir s'il s'est assoupi ou non. De toute manière, de son côté, Sybbie était sur les chapeaux de roues. Il était très peu probable qu'elle réatterrisse à nouveau dans son lit avant la prochaine soirée. Elle avait eu du mal à se lever cette fois-ci, mais il semblait bien que ça lui avait suffit à nouveau. Elle s'étonnait elle-même d'être en forme. Elle s'étonnait parfois de voir que quelques heures lui suffisaient pour être en grande forme. Elle était tellement rassurée : si tout se passait bien, ils étaient les prochains à être pris en charge.
Il n’aurait pu empêcher Sybille de prévenir leur père même s’il avait été en forme. Il ne pousse pas le problème encore plus loin donc, trop faible pour avoir ne serait-ce qu’envie d’être de mauvaise humeur. Et il savait pertinemment qu’elle l’aurait fait tôt ou tard. Seulement, il trouve que ça ne sert qu’à déranger Keith pour le moment, puisque si ce n’est qu’une grippe, ou une maladie mineure du même genre, il est inutile de s’alarmer. Perdu dans ses pensées fatigué, Ambroise ne prend même pas la peine de répondre à sa sœur qui ne comprend pas où il veut en venir. Si le but est de ne rien lui dire ou de lui faire un compte-rendu. Il hausse simplement les épaules ; quitte à lui faire savoir qu’ils sont aux urgences pour la santé de Bonnie, autant lui donner des détails pour combler les zones d’ombre dont l’imagination pourrait s’emparer. C’est comme dire à quelqu’un « accident de voiture » et s’arrêter là, sans rien n’ajouter de rassurant ou d’inquiétant. L’esprit humain sautera tôt ou tard à des conclusions peu réjouissantes. Le jeune homme ne reprend la parole que pour lui demander de le tenir au courant d’une hypothétique réponse ; il n’est pas proche de son père, pas du tout même, et il y a souvent des frictions entre eux dès qu’ils se voient, pourtant le savoir au courant et peut-être rassurant à sa manière ne le déplait pas si profondément que cela. Ce train de pensées, de même que son inaptitude à rester en colère, sont une preuve presque inquiétante de son état dégradé. Cependant il croit encore pouvoir sortir bientôt.
S’installant le plus confortablement possible dans cette chaise ignoble, la tête reposant contre l’épaule de sa sœur pour profiter de sa proximité rassurante, il lui rappelle alors de contacter Clément, à un moment donné. Qu’il ait lui aussi le droit à un petit message compte-rendu de la situation. S’il n’en recevait pas, c’est lui qui serait mécontent. Ambroise souhaite aussi ne pas être un fardeau pour son meilleur ami, ne pas l’inquiéter pour rien alors qu’il a d’autres choses sur lesquelles il doit se concentrer, mais il laisse Sybbie gérer tout cela. Car, une fois le prénom de Clément prononcé, elle se rappelle de l’avoir complètement oublié. Bonnie sourit légèrement, parce qu’elle est arrivée à bien gérer la situation avant même de penser à prévenir leur colocataire, ce qu’elle aurait fait immédiatement en temps normal. Il ferme les yeux bientôt, tandis que la jeune femme se met à la rédaction d’un sms après y avoir réfléchi quelques instants. Durant les minutes qui suivirent, elle eut du mal à trouver les bons mots mais opta pour laisser parler l’habitude. Droite et franche, n’y passant pas par quatre chemins. Ambroise hoche la tête, somnolant, en l’entendant dire que le message s’est bien envoyé. Ils n’ont plus qu’à attendre à présent, que ce soit une réponse – vu l’heure, peu de chances – ou une personne qui viendra les chercher et les délivrer de l’attente. Ça ne fait même pas quinze minutes qu’ils sont entrés dans ce bâtiment austère, et le brun en a déjà marre. Bien que le sommeil le guette et que la fatigue l’empêche d’avoir des réflexions très cohérentes, il a conscience que le temps s’étire et passe avec trop de lenteur. Il ne peut rien faire à part souhaiter de réussir à s’endormir, alors c’est ce à quoi il s’astreint. A ses côtés, il devine Sybille essayer de se détendre elle aussi. La connaissant néanmoins très bien, il sait qu’elle va devoir trouver un moyen de s’occuper pour ne pas mourir d’ennui. Aucune chance qu’elle ne se rendorme, pas après tout ce qui vient de se passer.
Tout est calme dans la salle d’attente. Cela est aussi valable pour l’accueil et les couloirs. Quelques bruits de machines se font parfois entendre, ou un clavier d’ordinateur, ou une sonnerie de téléphone au loin, ou encore des paroles chuchotées entre deux membres du personnel soignant. Durant cette première demi-heure, il n’y a qu’un nouveau cas qui se présente et rejoint une chaise au hasard pour attendre son tour. Et une seule dame se fait appeler pour rejoindre le docteur qui va se charger de l’examiner. Ambroise rouvre quelques fois les yeux, sans grande conviction de trouver la situation inchangée. Sybbie navigue entre plusieurs réseaux sociaux d’une façon morne, sans espoir non plus. La dernière image dont Bonnie a réellement conscience, c’est une courte vidéo de chaton sur l’écran du téléphone de sa sœur. Il s’endort cette fois-ci bel et bien. Il n’y gagne guère que quelques pourcents de batterie. En sortant des bras de Morphée, son état ne montre pas de réelle différence par rapport à tout à l’heure. Il ne s’est pas assoupi très longtemps, peut-être une courte vingtaine de minutes, et il a la sensation d’avoir à peine fermé les yeux. La position dans laquelle il se trouve est cependant trop inconfortable pour lui permettre d’avoir autre chose en termes de repos. Soupirant, ou grognant plutôt, il se redresse et s’étire. Une vertèbre craque en réponse. Son corps est lourd et, sans énergie, il se réinstalle contre le dossier aussi mollement qu’un mollusque. « J’espère c’est bientôt à nous... » marmonne-t-il de façon quasi incompréhensible, en rejetant sa tête en arrière.
Nuque contre le dossier, il regrette son choix car les néons sont impitoyables. Il était bien mieux installé lorsqu’il empruntait l’épaule de sœur, et y retourne donc, ne se comportant pas très différemment du petit garçon qui utilise les genoux de sa mère comme oreiller. Une émotion de manque étreint son cœur, il regrette à la fois l’absence de leur grand-mère qui les a élevés et de leur mère qu’ils n’ont pas connue. L’amour maternel a une autre saveur pour eux. Et surtout, il est frappé par la chance qu’il a d’avoir sa sœur à ses côtés. N’extériorisant que très rarement ses sentiments – comme tout bon sentimental et sensible qui ne veut pas se l’avouer –, il en ressent cependant le besoin. Sybille sait déceler tout cela dans les marques d’affections, dans les câlins qu’il n’offre qu’à très peu de monde, dans son comportement de chat qui décide de qui à le droit d’être tactile avec lui ou non, dans leurs taquineries incessantes, dans les moments où il la laisse gagner, dans les sms qu’ils s’échangent juste pour se prévenir de l’endroit où ils sont, dans les phrases pour lui dire de faire attention. A l’instant, pourtant, il ouvre la bouche. « Hé Sybbie.. merci d’être là. » Il rejette le ton emprunt de sensiblerie sur sa fatigue, mais ça lui fait du bien de le dire. Fort heureusement pour lui, il n’a pas à répondre à sa sœur car quelqu’un s’approche d’eux. Se redressant, il porte son regard sur ce qu’il juge être une infirmière en raison de sa blouse. Elle leur demande s’ils sont bien les MacLeod pour s’en assurer puis avec un léger sourire leur dit de la suivre. Qu’elle les emmène voir le docteur. A peine a-t-elle prononcé le nom de celui que Bonnie l’oubli, trop concentré au moment où il se lève. La peur de ne pas tenir debout était visiblement exagérée, car il arrive à marcher.
Accompagné de Sybille dont il ne lâche cependant pas la main, il suit l’infirmière jusqu’à une salle pour l’auscultation. Les présentations sont très rapides et le vif du sujet est très vite abordé. Sybbie a le droit de rester, étant de la famille – et aussi parce qu’Ambroise a refusé très nettement de la laisser partir. L’examen passe assez rapidement, entre les multiples questions nécessitant une réponse et l’auscultation à proprement parlé. Impassible, le docteur se contente d’hocher quelques fois la tête avant de demander une nouvelle précision. Les conclusions elles, se font un peu plus attendre. Après les avoir laissés seuls quelques minutes dans un silence assourdissant, le docteur revient en leur annonçant que de plus amples tests sont nécessaires pour être parfaitement sûr. Il leur explique la situation par la même occasion, et passe en revue les quelques médicaments qu’Ambroise aura le bonheur de tester. Ça n’est pas une simple grippe, et malheureusement, Bonnie va devoir rester. Au moins jusqu’au lendemain. Mais ça suffit à le faire jurer dans sa barbe inexistante. Il grimace en se tournant vers sa sœur, alors que le médecin les laisse seul pour transmettre les informations à l’infirmière qui prendra le relais. « J’suis sûre qu’ça sert à rien... » marmonne-t-il, avant de soupirer. « Enfin bon, tu peux rentrer du coup, s’tu veux », ajoute-t-il sans grande conviction.
De son côté, Sybille essaie tant bien que mal de s'occuper. Naviguer entre plusieurs applications sans grande conviction ne l'avait pas vraiment rassasié. Elle trouvait le temps long, et cette impression d'attendre en vain n'arrangeait en rien la situation. Elle savait Bonnie s'impatienter aussi de son côté, et le fait de le savoir si mal l'impatientait deux fois plus. Si tout reposait sur ses épaules, elle l'aurait déjà embarqué de force vers l'un des infirmiers, les forçant eux-même à s'en occuper. Mais ils n'avaient plus que l'attente devant eux, et tout était inéluctable. Les mains dans les poches de son sweat, ses yeux se baladaient de droite à gauche. Passant sur ces patients qui attendaient comme eux, cernés et presque désespérés. A chacun son histoire, à chacun ses angoisses et ses peines. On ne pense pas vraiment à notre état de santé, combien on peut-être en forme, jusqu'à ce que notre propre corps nous lâche, pensait-elle. Sybbie accueille d'un signe de tête les nouveaux arrivés, elle les observe eux aussi, attentivement. Après tout elle n'a plus rien d'autre à faire. Mais intérieurement, elle se rassure, Ambroise ne se plaint pas tant que ça, il a même l'air d'être assez calme, ce qui l'étonne deux fois plus. Ses symptômes l'ont vraiment assommé, et elle ne sait pas si c'est une bonne chose ou non de le voir si docile et obéissant. Elle ne se rend compte que maintenant de toutes les conséquences de tout ça, qu'ils sont au point de non retour, qu'ils ne peuvent plus faire machine arrière non plus. Mais également ce qui aurait pu se passer si elle avait cédé aux caprices d'Ambroise. Elle a tellement hâte de passer enfin à la consultation et que tout ça soit enfin derrière eux. Elle se demande soudainement s'ils seraient vraiment fixés dans quelque temps, ou pas. Même si elle en est impatiente, elle reste impassible. Elle sait que si elle commence à stresser ou râler, ça va aussi jouer sur l'humeur de son frère ; et c'était vraiment pas le moment. De toute manière, ça ne lui arrivait que très rarement. Même si elle se mettait dans un état désagréable, elle ne le restait pas très longtemps. Et quand il s'agissait de son frère, elle avait une force incroyable. Il ne fallait plus qu'attendre, prendre sur soi.
Ambroise s'était endormi de son côté, elle pouvait sentir son souffle lourd contre elle. Pariant presque qu'il devait bien la maudire de devoir se retrouver ici, à dormir le plus inconfortablement au monde, il avait réussi finalement à s'assoupir et se détendre. Dès qu'un médecin ou une infirmière passait près d'eux ou empruntait ce couloir, l'espoir montait exponentiellement. Le personnel était pressé, absorbé parfois, mais surtout surchargé, chacun de leur coté. Certains ne s'adressaient même plus la parole, à se précipiter vers leur cabinet, d'autres trop occupés avec leur bipeur à rejoindre une urgence, ou encore ceux interpellés par des patients (plus si patients que ça). Il n'y avait même plus de discussion dans la salle d'attente, comme si tout le monde dormait les yeux ouverts. Tous somnolaient, leurs yeux étaient lourds. Quelques soupires parfois leur rappelaient qu'ils payeraient cher pour rejoindre leur propre lit. D'autres se prennent de toux impitoyables. Le nouveau patient qui venait de les rejoindre se tordait sur lui même, les mains sur l'estomac, ce qui ne rassurait pas du tout Sybbie, qui priait pour n'attraper aucun virus qui pouvait bien se balader par ici. Ambroise s'était endormi malgré tout, d'un sommeil tellement profond qu'il n'avait presque pas bougé depuis un bon moment. Au moins, pour les seules fois où il réussissait à s'assoupir, il n'était pas pris d'horribles toux, sûrement le seul point positif. Après tout, les quelques minutes où le repos arrivait à lui, c'était quelques minutes supplémentaires à prendre, même peu nombreuses, c'était toujours ça de pris. Sybille avait cette faculté naturelle de tout prendre de la façon la plus positive possible.
Ambroise se réveille soudainement, quittant l'épaule de Sybille pour y laisser derrière lui un craquement de sa nuque, ce qu'elle déteste au plus haut point, après les craquements de phalanges. Accompagné d'une phrase presque incompréhensible, si ça n'était pas Sybbie l'interlocutrice. Mais après vingt-trois ans à être une experte du langage MacLeod, l'écouter parler dans sa barbe, l'entendre maugréer avec mauvaise foi, elle était bien habituée à son déchiffrage. Elle comprend dans ce charabia qu'il espérait que leur tour arriverait, le plus rapidement possible. Une vingtaine de minutes, presque une demi heure, s'était déjà écoulé, depuis qu'il s'était assoupi. Le temps passait pourtant plus vite pour lui, mais elle ne pouvait qu’acquiescer, essayant tant bien que mal de garder cette attitude positive pour lui. Ça n'était pas l'attente qui était insupportable. C'était de savoir Bonnie malade. Si en fin de compte ils attendaient en vain, elle s'en voudrait elle-même, peut-être même encore plus que ce que Ambroise pourrait lui reprocher par la suite. Elle ne trouvait même plus une excuse à la volée pour le rassurer, s'impatientant elle-même. Elle se jurait intérieurement que s'ils ne passaient pas dans les dix minutes qui arrivaient, elle irait de nouveau embêter le standard. D'ailleurs, dans cette attente interminable, cette idée lui passe par la tête, celle d'avoir la chance de ne pas être bloqués avec un ou plusieurs enfants, ainsi que leurs cris de détresse, saupoudré de larmes incessantes, dont ils ne pourraient très certainement pas supporter. C'est un peu l'idée qu'elle se faisait des urgences avant d’atterrir ici, au moins ses prières avaient été exhaussées pour être dans le calme.
Signe de fatigue ou de crise de ressentiment, il n'en fallait pas plus pour délier la langue d'Ambroise, qui lui remerciait soudainement d'être là pour lui. Comme si l'accompagner était une option, alors qu'elle l'avait presque poussé à venir ici. Il la fait doucement sourire, presque rougir si l'on en juge ses joues soudainement rosées. Ambroise s'exprime tellement peu de cette façon aussi brute et sincère que s'en était encore plus touchant, comme à chaque fois où il est si spontané. Elle savait toujours déceler ses sentiments, ses ressentiments, à travers ses gestes. Même s'il ne pensait pas être si expressif que ça, elle, pouvait déceler n'importe quoi chez lui. Elle se tourne vers lui, un immense sourire vers lui, déjà prête à l'étouffer dans une étreinte dont il regretterait déjà. Mais ce fut ensuite la déception de ne pas pouvoir continuer sur cette lancée, ils se faisaient enfin aborder. Elle en profite tout de même de passer sa main dans ses cheveux pour le décoiffer comme il le déteste bien, et se retourne vers cette blouse blanche qui les attend, son porte-bloc à la main, en train de trifouiller ses feuilles désordonnées. "Mac...Leod ?" Sybille se lève immédiatement, comme si elle avait attendu ce moment depuis des années, elle ne s'était jamais levée aussi rapidement de toute sa vie entière. "Mr. Ambroise MacLeod." continue-t-elle, souriante, regardant les jumeaux l'un après l'autre, devinant qu'ils étaient les heureux gagnants à voir leurs yeux tournés vers elle, et ayant leur attention soudaine, alors que les autres patients restaient impassibles, voir désemparés. Sybbie lui rend son sourire, trop heureuse de voir enfin le bout du tunnel, alors qu'elle garde toujours un œil sur Bonnie, surtout lorsqu'il se lève spontanément. Elle ne peut s'empêcher de lui passer une main dans le dos, la peur de le voir vaciller.
Ils se retrouvaient par la suite dans la fameuse salle d’auscultation. Heureusement que Sybille avait eu l'autorisation de rester avec Ambroise, c'était d'ailleurs une obligation pour eux. Aucune autre solution n'aurait été acceptable. Elle se serait fait un sang d'encre à l’extérieur. Surtout parce qu'ils sont inséparables, mais aussi à cause ce besoin de connaitre tous les détails qui pourraient être dis par le médecin, la délibération, ou même les questions. Mais pour séparer Ambroise et Sybille, c'était bien plus compliqué ; voir impossible. Sybille en était heureuse de voir qu'elle était plutôt agréable. Ne pouvant s'empêcher de jeter un œil sur Ambre toutes les minutes, elle écoutait attentivement tout ce qu'elle pouvait lui poser comme question, prenant sur elle pour être la plus discrète au monde. Tenir sa langue n'était pas si facile. Cependant, aux réponses de Bonnie, Sybille ajoutait à chaque fois sa propre version, ou des détails qu'il aurait oublié, sciemment ou non. Elle voulait absolument que tous les détails lui soient dits, quitte à paraitre agaçante. Finalement, l'entretient passait rapidement ; Ambroise et Sybille se retrouvaient à nouveau seuls, attendant le retour du médecin et peut-être une délibération. Pour contraster avec le silence austère, Sybbie se retourne à nouveau vers Ambroise, lui adressant l'un de ses sourires les plus rassurants possible, histoire de le rassurer, de lui remonter le moral, et surtout de détendre l'atmosphère. Elle ne pouvait que constater que la fatigue avait vraiment eu raison de son frère. C'est à ce moment précis que le médecin revenait pour annoncer finalement qu'Ambroise devrait subir des examens supplémentaires, et donc par extension, qu'il devrait rester un peu plus de temps que prévu. Elle avait acquiescé rapidement, elle s'en doutait bien de toute manière. Vu les questions ciblées, elle s'en était bien rendu compte. Le fait de le voir hospitalisé la rendait folle intérieurement, mais c'était aussi un immense soulagement. Elle ne savait pas encore pour combien de temps, mais elle leur faisait confiance aveuglement. Sa santé étant sa seule préoccupation. Il les laissait seuls une seconde fois pour transmettre les informations, alors qu'Ambroise la regardait d'un regard plus que désespéré. "Ah non, tu vas pas me faire le coup deux fois ..." lui répond-elle sans grande conviction, toujours le sourire doux aux lèvres, voyant enfin le bout du tunnel. Le médecin l'avait rassurée avec ses quelques paroles, et ça commençait à aller mieux. "Si t'as cru que tu allais de débarrasser de moi aussi facilement..." Une certaine touche d'humour, évidemment pour cacher son angoisse de le voir enfermé ici, pire encore : seul, surtout sans elle. Ayant presque l'impression de l'abandonner ici, elle s'imaginait déjà le pire s'il devait rester plus que la journée de demain. Elle en profite pour se relever, le rejoindre dans son dos, et poser ses mains sur ses épaules. "Évidemment que je reste. Si tu restes, je reste." Du moins elle espérait vraiment pouvoir rester avec lui. Mais l'idée de le laisser ici seul était vraiment la dernière de ses idées. Même si elle devait patienter en dehors de telle ou telle pièce, elle l'aurait fait sans broncher, tant qu'elle pouvait le retrouver ensuite. "Quelle question." Sybbie lève les yeux au ciel, hausse les épaules dans un soupir, voyant une infirmière revenir vers eux, l'air encore plus pressée que les précédentes qu'ils avaient pu croiser. Mais finalement, c'est avec un immense sourire qu'elle les rejoignait, malgré le pas pressé qui l'activait. "Enfin, si c'est possible, évidemment..." La jeune infirmière acquiesçait gentiment, ce qui rassurait immédiatement la jeune australienne. Puis celle-ci se présentait ensuite. Sybille sentait bien que les explications qui suivaient n’intéressaient guère Ambroise, qui avait déjà la tête ailleurs, ou alors, il était tout simplement assommé par la fatigue. Elle-même commençait à perdre le fil de toutes ces explications.
*
La fatigue avait eu raison d'elle. Elle s'était endormie telle une masse, et le moins confortablement possible sur cette chaise, près du lit, à demi sur celui-ci, n'ayant même pas eu la force de trouver plus bon confort. Elle s'était réveillée en sursaut et désagréablement ce matin-là. Ouvrant à peine les yeux et se rappelant immédiatement de cette nuit infernale. La première chose qu'elle s'était adonnée à peine les yeux ouverts, c'était de tourner la tête vers son frère, qui lui était encore endormi. Se frottant les yeux, le visage trop fatigué pour les ouvrir complètement. Les heures qu'ils avaient dormi se comptaient sur les doigts d'une seule main. Même la pile électrique Sybbie n'avait pas su tenir cette escapade nocturne aux urgences de cet hôpital. Sa montre lui indique qu'elle est déjà en retard, mais elle ne se presse pas pour autant, elle ne s'est jamais sentie aussi mollassonne depuis une éternité. Elle commence déjà à rassembler le peu d'affaire qu'elle a éparpillé derrière elle il y a quelques heures, et en profite pour remettre son sweat-shirt et au passage vérifier que les chauffages sont bien en marche, surtout pour qu'Ambroise ne prenne pas froid. Elle l'entend remuer dans son dos, puis est finalement certaine qu'il est réveillé quand elle entend une toux qu'elle pourrait reconnaitre parmi des milliers. Sybbie s'empresse de le rejoindre près de lui à nouveau, en évitant la question du "ça va ?" pour ne pas remuer le couteau dans la plaie. Elle analyse tout de même son visage discrètement, mais le fait d'être pris en charge la rassure assez pour ne pas avoir à le questionner plus. Au lieu de ça elle lui sourit, comme le sourire qu'elle aborde chaque matin où elle l’aperçoit et qu'elle est prête à lui sauter dessus. Devant son air intrigué, elle lui raconte ce que lui a raconté l'infirmière et le médecin la veille, que des examens supplémentaires étaient nécessaires, et donc que l'hospitalisation était inévitable. Elle en profite pour lui raconter des détails à nouveau au cas où il n'aurait pas fait attention la veille, et termine par une synthèse, s'étonnant elle même de tout ce qu'elle avait pu retenir malgré la fatigue et l'heure à laquelle ils y étaient. Ambroise lui fait à nouveau comprendre qu'elle aurait pu rentrer depuis longtemps, et qu'elle pouvait le laisser de nouveau, s'occupant de ses propres affaires de son coté, mais elle n'était pas du même avis. Un non de la tête, presque autant bornée de son frère cette fois-ci, car elle ne voulait absolument pas le laisser seul, pire, qu'il se réveille seul ce matin là. Être là à son chevet était une condition obligatoire, elle l'avait bien fait comprendre la veille, quand l'infirmière lui avait expliqué les procédures de son hospitalisation. Entre l’auscultation et la chambre, il y avait surtout eu beaucoup de paperasse. Après toutes ses explications, et surtout le fait d'insister sur le fait qu'il était obligatoire qu'il fasse plus d'examen, elle le prit dans ses bras, le serrant plus fort lorsque sa tête était près de son épaule. "Tout va bien se passer, tu vas voir. J'te promets. Ça va s'arranger. " Il lui avait évidemment rétorqué à la suite qu'elle pouvait bien le laisser seul, mais elle avait joué la sourde oreille en retour, à son habitude. Elle commençait vraiment à croire qu'il voulait se débarrasser d'elle coûte que coûte, même si au fond, elle comprenait que c'était surtout dans son intérêt à elle qu'il lui proposait de s'en aller un temps.
Ce n'est qu'à l'arrivée de l'infirmière que cette dernière avait réussi à la rassurer et à lui faire changer d'avis, même si elle n'était pas la plus convaincue au monde. Elle n'avait plus d'excuse pour ne plus abdiquer. Ses quelques obligations qui lui revenaient à l'esprit paraissaient ridiculement importants à ses yeux comparé au fait d'être près d'Ambroise. Ce qui l'avait fait changer d'avis, c'était cette idée de revenir plus tard avec un sac pour lui. C'était bien le seul argument valable qui l'avait fait bondir de son siège, plus déterminée que jamais. Le second, c'était qu'elle savait que Clément viendrait dans la journée et lui ferait un peu de compagnie. Il serait peut-être même plus rassurant qu'une Sybille en panique. Elle avait tout de même attendu que l'infirmière les laisse seuls. Cette dernière avait sous-entendu que son petit-déjeuner n'allait pas tarder. Sybbie s'était retourné à nouveau vers Ambroise, quittant sa chaise et s’asseyant sur le bord du lit, prête à lui déblatérer tout ce qu'elle avait en tête avant de le quitter. "Bon, t'as raison." commence-t-elle, les yeux au ciel devant une telle révélation qui lui faisait mal à elle-même de l'admettre. "J'vais rentrer prendre une douche et mettre un pied en cours. Et je reviendrai tout à l'heure avec un sac." Elle terminait cette phrase avec un hochement de tête, alors que l’intonation faisait penser à une interrogation, sans grande conviction. Elle commençait déjà à se faire la liste de ce qu'elle pouvait bien lui ramener, et avait déjà la tête ailleurs. Sybbie se relève énergiquement. "Ton portable est éteint dans ce tiroir, si l'envie te prends de m'envoyer un message, n'hésite pas." Faisant sous-entendre bien évidemment que c'était obligatoire de la tenir au courant dès qu'elle n'était plus ici. D'ailleurs, à cause de la fatigue, ses mots étaient plutôt hachés. "Et t'as le téléphone de la chambre, aussi." Sybille pointait du doigt le vieux combiné près de du lit sans grande conviction, mais avec beaucoup d'espoir derrière sa phrase. "A n'importe quelle heure, n'importe quand." continue-t-elle sur sa lancée, laissant sous-entendre une nouvelle fois beaucoup de choses, qui, elle le savait, ne tomberait pas dans l'oreille d'un sourd. Elle réajuste son sweat, se rendant presque compte dans quel état elle s'était rendu aux urgences, c'est à dire habillée plus qu'à la va-vite, et elle comprenait soudainement pourquoi il s'était bien moqué d'elle cette nuit-là. Ils allaient surement en plaisanter plus tard. Mais pour le moment, elle se sentait bien ridicule de devoir quitter cet hôpital dans cet état, surtout après une nuit pareil. Heureusement qu'elle avait pris la voiture cette fois-ci, c'était le seul point positif qu'elle trouvait actuellement. "Et s'il te plait ménage-toi." Elle le prend dans ses bras à nouveau, avant de continuer, toujours sans laisser de répit à son frère pour lui laisser une chance de lui répondre. "Je pense que Clément passera dans la journée, je ne sais pas quand. Moi, je reviens dès que je peux, promis." Cette fois-ci elle l'embrasse sur le front, avant de tourner les talons. "Fais attention à toi. Je t'aime."