C'est une symphonie de pleurs et de cris qui fait trembler les murs de la maison tandis que Jodie ouvre la porte d'entrée et pénètre dans la cage aux lions. Au milieu du salon, errant et s'époumonant, joues écarlates et yeux déversant des torrents de larmes, se trouve Daniel qui n'a pas été pris dans les bras d'un de ses parents depuis, oh, au moins mille ans -l'équivalent de dix minutes. Les jouets et les peluches n'ont pas la moindre importance lorsqu'il se sent aussi délaissé par d'indignes géniteurs qui semblent l'ignorer. Comme des courants d'air, Joanne et moi passons de la chambre au salon, jetons un oeil à la drama queen, du salon à la salle de bain, comme la chorégraphie d'un ballet parfaitement coordonné, arrangeant un bouton de manchette, une boucle d'oreille, changeant de cravate pour un noeud papillon, hésitant entre deux paires de chaussures. C'est dans le chaos organisé que la grande brune apparaît et se penche immédiatement sur Daniel. “Eh bien, qu'est-ce qu'il se passe, bonhomme ?” Doigt pointé vers la suite parentale, l'autre frottant sa pommette trempée, il répète sans se lasser, malgré l'absence de résultat jusqu'à présent ; “Mamaaaa !” Parce que c'est toujours elle qu'il réclame avant qui ou quoi que ce soit d'autre, comme si le monde entier dépendait de sa présence -ce qui est vraisemblablement le cas, à deux ans. J'apparais à mon tour dans le living et salue Jodie succinctement avant de la soulager du poids de mon fils quelques instants. “Maman termine de se préparer. Elle te fera un bisou, et après il faudra qu'on parte.” Ses dix petits doigts mouillés d'un mélange de larmes, de bave et de morve de son museau coulant s'accrochent à mon visage avec le désespoir du naufragé, ses grands yeux bleus exorbités. “Pars pas !” Délicatement, j'ote ses mains de mes joues, ne cessant pas une seconde de me répéter qu'être père nécessite des concessions et de la tolérance en matière d'hygiène et de bon sens -comme ne pas étaler ses fluides sur la barbe fraîchement rasée d'autrui. “Il le faut, dis-je d'une voix calme. Ça sera seulement quelques heures. Et Jodie sera là.” Trois doigts dans la bouche comme pour étirer un peu plus grand sa mâchoire, Daniel hurle de plus belle ; “Pas Jodie ! Mamaaaaaaa !” Les pieds du garçonnet battent dans l'air et sur mes côtes vigoureusement en signe de protestation. Il secoue la tête avec autant de conviction, histoire de bien faire comprendre que “pas Jodie”. “Ne le prend pas personnellement.” je souffle à celle-ci en feignant un air sérieux qu'elle adopte tout aussi bien en réponse. “Oh que si. Je suis totalement vexée par ce petit humain de deux ans.” Nous échangeons un rictus, pendant que Daniel s'agite éternellement dans mes bras et lâche un petit cri, mélange d’une irrépressible joie et d'un immense soulagement, lorsque Joanne apparaît enfin dans son champ de vision. “Voilà, elle est là.” Tempérer le désespoir dont il transpire ? Impossible. Il voudrait courir vers elle et sauter sur elle comme s'ils avaient été séparés pendant dix ans, et la couvrir, elle aussi, de larmes et de bave de bébé. Maudit soit ce Papa qui l'empêche de s'accrocher à elle comme un koala, planter des doigts dans sa robe et se moucher dans son cou. “Non, juste un bisou.” D'un signe de tête, j'incite Joanne à l'embrasser sur la joue rapidement, là où elle trouvera un centimètre carré de peau sèche où apposer ses lèvres peintes. On frappe à nouveau à la porte, pour nous presser un peu plus. “C’est le chauffeur, devine Jodie, je prends le relais. N'oublie pas ta veste.” L'anglaise récupère Daniel tant bien que mal, le cale tout contre elle avec une force insoupçonnée, et tend la joue pour recevoir sa propre bise de remerciement bien méritée -que je lui claque volontiers avant de courir dans le dressing. Chaussures, costume, montre, et maintenant veste, une main dans les cheveux, tête sur les épaules ; tout en place pour la soirée. Ce n'est jamais que le gala le plus important de l'année pour le magazine, et le premier auquel je suis présent en tant que rédacteur en chef. Pas de pression. J'inspire et expire profondément une dernière fois devant le miroir pour me donner le courage de monter dans la voiture -ou seulement de retourner dans le salon où la crise émotionnelle passe lentement- puis tourne les talons. “Allez, on se ressaisit, mon cœur, murmure la belle brune en berçant le bambin épuisé par ses propres pleurs. Dis bonsoir à Maman et Papa.” Il refuse, comme si ne pas dire au revoir allait nous empêcher de passer la porte grâce à on ne sait quelle magie. Alors je l’embrasse sur le haut du crâne, souhaite bon courage à Jodie, et ouvre la marche vers la berline noire qui stationne dans l’allée de garage, Joanne m'emboîtant le pas. La portière se ferme derrière nous et scelle un soudain silence dans l’habitacle, contrastant tout à fait avec l’apocalypse du salon. Je lâche un soupir, le dos s’enfonçant dans le cuir de l’assise. “Au moins, on ne peut pas dire qu'il ne maîtrise pas l'art des sorties dramatiques.” je plaisante. Bien que attendri par les angoisses naturelles de notre fils, je suis loin de me laisser émotionner par ses crises de larmes lorsqu’il est question de le laisser à sa marraine quelques heures. Il m’est aisé de les relativiser et d’en rire. Je ne m’inquiète pas pour lui, il ne développera pas de phobie de l’abandon pour si peu et il est entre de bonnes mains. Alors que nous sommes en route, dissimulés derrière les vitres teintées, je souffle une énième fois pour bien plus stressant que la scène à la maison. Ma main cherche celle de Joanne. Je lui adresse un fin sourire. “Nerveuse ?” je demande, curieux de savoir de quelle manière elle appréhende le gala. L’année passée, ma santé m’avait tenu à l’écart de cette soirée, ce qui est à mes yeux la pire manière de faire ses débuts à un tel poste chez GQ. Je m’attends à une foule de questions à propos de cette absence, de mon état d’esprit actuel, et mon mariage à l’allure précipitée. Néanmoins, me connaissant, je me ronge les sangs par anticipation ; une fois sur place, cela ne sera qu’une soirée comme une autre.
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L'angoisse de séparation était chose commune chez les bambins de l'âge de Daniel. Peut-être était-ce décuplé chez lui dans la mesure où il grandissait dans une famille de possessifs. Passer une soirée sans Maman et Papa ? Oh que non. Malgré ses cris et ses larmes de crocodile, Joanne ne se laissait pas perturber durant sa préparation. Elle prêtait attention au moindre détail. Les bijoux, le maquillage, la coiffure, tout devait être parfait. Pour la robe, elle avait tenu à avoir l'aval de Jamie pour ne pas risquer les mauvaises surprises. Une Versace. Elle pouvait encore se permettre de porter une telle tenue, elle n'était qu'à deux mois de grossesse après tout. Une semaine plus tôt, elle avait passé sa première échographie. Le foetus était encore vraiment tout petit, mais l'on avait déjà pu deviner la forme de la tête, ce qui fut amplement suffisant pour émouvoir Joanne en voyant l'image à l'écran. Le bébé était bel et bien là et l'échographie avait écarté une partie des risques de fausses couches. Bien sûr, Joanne attendait surtout le mois suivant pour passer l'amniocentèse et être sûre que tout allait bien. Mais comme depuis le début, elle avait un bon pressentiment, cette certitude que cette grossesse allait venir à terme. Jamie était prêt avant elle, et se chargeait de calmer un peu les pleurs de leur garçon le temps qu'elle finisse de mettre ses boucles d'oreille et de jeter un dernier coup d'oeil dans le miroir pour s'assurer que tout était impeccable. Elle apparut enfin dans le champ de vision du garçon, qui s'agitait de plus belle dans l'espoir de pouvoir se greffer à sa mère le plus vite possible. Joanne avait toujours un petit pincement au coeur, lorsqu'elle le voyait avec ses grands yeux bleus remplis de larmes, mais elle ne se laissait pas avoir par ses caprices. Jamie ajoutait une barrière une supplémentaire en disant à leur fils qu'il allait devoir se contenter d'un simple baiser de sa mère, ce qu'elle fit rapidement en lui échangeant quelques mots d'amour à voix basse. Elle remercia ensuite Jodie d'un signe de tête d'avoir bien voulu garder le petit le temps de cette soirée. Une fois qu'il serait au lit, elle n'aurait plus vraiment de soucis à se faire, dormeur comme il était. Avant de franchir le pas de la porte, Joanne récupérait sa pochette qu'elle avait préparée devant l'entrée. Daniel, lui, boudait ses parents en les voyant sortir, ce qui amusait un peu Joanne. Il arrivait à en berner beaucoup avec son charme, mais certainement pas ses parents. Etre installé dans la voiture était ce qu'il y avait de plus reposant pour leurs oreilles. Dans quelques instants, ils allaient à nouveau se noyer dans un brouhaha, alors autant profiter au maximum de cet instant de sérénité. Elle entendait Jamie souffler plusieurs, comme s'il cherchait à évacuer sa nervosité. Elle ignorait pourquoi il se lançait dans cet exercice là alors qu'elle savait qu'il allait exceller durant toute la soirée. Il avait l'habitude, après tout, il savait à quoi s'attendre. La belle blonde, quant à elle, observait silencieusement la ville à travers la vitre teintée. Elle ne tournait la tête en direction de Jamie que lorsque celui-ci cherchait à avoir un contact physique avec elle en lui prenant la main. Depuis leur conversation nocturne, Joanne ne pouvait pas s'empêcher de se poser des questions lorsqu'il affichait un rictus : et ce sourire là, était-il sincère, ou forcé ? Leur discussion avait ébranlé beaucoup de choses en elle, et pourtant elle tenait bon, elle était là, elle croyait en lui et elle en était toujours éperdument amoureuse. Mais sa difficulté à discerner le vrai du faux la perturbait et cela lui faisait réaliser à quel point il avait du être facile pour ses parents de la tenir éloignée de bien des choses afin de la protéger. Elle lui rendait néanmoins son sourire avec sincérité, mais qui était aussi le reflet d'une nervosité qu'elle se permettait de ne pas dissimuler tant qu'ils étaient encore dans l'habitacle. "La dernière fois que j'étais à un événement GQ, c'est vite devenu un véritable fiasco, et j'ignore à quand remonte la dernière fois où j'ai assisté à un tel événement." Autant dire qu'elle avait ses raisons d'être particulièrement nerveuse. Elle se doutait bien que l'on allait bien être curieux à leur sujet, surtout pour Jamie et son absence remarquée l'année passée. De plus, Joanne se doutait qu'il y allait avoir les premiers soupçons sur sa grossesse en la voyant avec une boisson non alcoolisée en main alors qu'en temps normal, elle aurait volontiers savouré le champagne servi. Elle ne pouvait décemment pas demander à son époux de boire pour deux, il était celui qui tenait le moins bien face à l'alcool des deux. Seulement, ce n'était pas une nouvelle qu'elle comptait annoncer de si tôt, pas tant qu'ils en étaient pas totalement certains. Evelyn l'avait deviné avec son bon sens de la déduction, mais elle restait quand même la seule personne, en plus de Jamie, à savoir qu'elle mangeait désormais pour deux. La petite blonde caressait délicatement la main de Jamie avant de croiser ses doigts avec les siens. "Mais d'un autre côté, je suis heureuse de passer une soirée comme celle-ci avec toi. Ca faisait longtemps." En plus d'être très important pour lui, le gala leur permettait de changer de cadre. Peut-être que ça ne changeait pas grand chose pour Jamie dans la mesure où il allait voir bon nombre de ses collègues en plus de prestigieux invités. Malgré le monde qu'il y avait, ils étaient capables de s'enfermer dans leur bulle le temps d'une danse. Joanne espérait que cela leur permettrait de se changer les idées, de renouer un peu. Elle prit le temps de l'admirer sur son trente-et-un, avant que d'autres regards féminins ne le dévorent du regard de la tête aux pieds. Qu'il ait une alliance ne devait pas changer grand chose pour elles. "Tu es magnifique." lui dit-elle avant de se pencher et de lui déposer un baiser sur le coin des lèvres. Elle avait simplement oublié qu'elle les avait coloré un peu plus tôt, ce qui laissait une légère trace sur la peau de son mari. "Oups." dit-elle avec un rire léger avant de chercher un mouchoir pour l'essuyer un peu et effacer toute trace, comme si de rien n'était. "Tout va bien se passer, j'en suis certaine." lui souffla-t-elle avec un sourire serein. "Et tu as intérêt à savourer le champagne pour moi. Je n'y ai plus droit, alors je compte sur toi." ajouta-t-elle en riant, dans l'espoir qu'une petite plaisanterie puisse le faire sourire. Le temps du trajet bien passa trop vite aux yeux de la jeune femme. Les voilà déjà devant la salle où était organisé le gala, le voiturier avait même déjà quitté sa place pour leur ouvrir la porte. Joanne prit une profonde inspiration avant de se lever, dans l'espoir de calmer son rythme cardiaque. Bien sûr, elle n'avait pas oublié qu'ils allaient devoir passer devant le mur de photographes qui interpellaient déjà Jamie au loin.
Si Joanne acceptait exceptionnellement de m’accompagner à un événement en lien avec mon travail, c’est bien parce qu’elle est assurée de n’y croiser aucune des personnes présentes lors de sa dernière apparition à une soirée estampillée GQ, l’année dernière. Appeler cela un fiasco est un mot fort à mes yeux, mais adéquat, la jeune femme ne l’avait clairement pas bien vécu. Le malaise ambiant ainsi que les paroles échangées ont laissé des traces tout au long de l’année, détériorant mes relations avec mon assistante ainsi qu’Ariane. L’on ne m’a plus vu prendre un verre avec l’équipe depuis lors, et l’invitation pour la soirée de Noël de cette année prend la poussière au fin fond de ma boîte mail, sans réponse à venir. “Cette soirée-là n’est pas vraiment un pot d’entreprise.” je réponds à Joanne, ce qui est aussi rassurant que angoissant au final. La compagnie sera sûrement meilleure, mais l’enjeu et le prestige sont plus hautement classés. Il n’est pas question de faire le moindre faux pas. Quand bien même me suis-je monté à d’autres occasions, je vois cette soirée comme un baptême du feu, une confirmation. Comme si je n’avais toujours pas assi cette place, comme je n’y étais toujours pas tout à fait légitime. Ce qui est un sentiment étrange à la vue de mon parcours, mon adaptabilité, mon aisance dans la plupart des domaines et de manière générale, la confiance que je porte en mes propres capacités professionnelles. “Si j’avais dû venir seul, je crois que j’aurais été écrasé par le stress.” je confie à mon épouse avec un rictus embarrassé. Pas du genre à admettre la faiblesse, il serait totalement vain de nier cette angoisse tant elle me semble transparaître sur tous les traits de mon visage. J’ose simplement espérer que d’ici à ce que nous soyons arrivés, cette expression aura disparu. Joanne a souvent les mots pour me rassurer et m’aider à me mettre en selle, et cela peut passer par un furtif compliment sur le choix de costume, puisqu’elle me sait porté sur le détail. “Toi aussi.” je souffle afin de lui retourner le compliment tout bas. Se tourner vers du Versace était une évidence pour ce soir dans la mesure où les confrères britanniques l’ont honoré d’un award lors de leur soirée homologue, ce qui n’est qu’un prix parmi d’autres pour la créatrice au perpétuel essor. Que le tissu soit bleu relève cette fois du hasard, car j’ai avant tout été fasciné, sur cette pièce, par la manière dont ses détails captent et reflètent la lumière. Ce soir est la dernière occasion avant de nombreux mois pour Joanne d’opter pour cette coupe, ce drapé et ces fentes osées. Ses lèvres sur ma joue apposant un baiser d’encouragement laissent une trace de rouge, essuyée du bout du pouce. “Oh, je suis sûr que ça aurait si bien rendu sur les photos.” j’ironise avec un petit rire tout en me laissant faire. Une touche de légèreté qui soulage mes épaules l’espace d’une minute. J’espère que tout se passera bien, sans accroc. Il ne reste qu’une poignée de mètres entre nous et ce début de nuit. Le dernier conseil de Joanne est d’apprécier le champagne pour deux, puisqu’elle n’y goûtera pas même une lichette. “Je songeais à me montrer solidaire, mais si tu insistes.” J’hausse les épaules. Derrière le ton plaisantin, il y a une vérité ; je n’avais pas l’intention de laisser la jeune femme seule au milieu d’invités sirotant champagne, vins et cocktails d’un lever de coude léger et d’un rire de plus en plus sonore. Et quoi que je prétende à cet instant, il y a des chances que je tienne à cette résolution plutôt que de faire honneur au bar.
La voiture marque l’arrêt non loin de l’hôtel et la portière s’ouvre du côté de Joanne s’ouvre. Effectuant le tour de l’Audi, je la rejoins sur le trottoir juste à temps pour l’aider à passer la tête dehors et le pied par terre. A l’approche du mur de photographes, les automatismes reprennent le dessus ; le sourire calculé, la main au bon endroit, la pose adéquat devant la toile brûlée de marques partenaires de l’événement. Un regard échangé avec la jeune femme de temps en temps permet autant de prendre le pouls de sa nervosité face à cette première étape, de reposer furtivement les yeux en les détournant des flashs, et de renforcer le sourire avec cette sincérité qui s’y incorpore dès lors que je pose les yeux sur elle. Il y a constamment mille mots à la minute dans ces regards, foule de messages et de sentiments qui se décryptent en un battement de cil. Tout un langage, un échange, qui rend même le silence riche de complicité. Evidemment, nous ne demeurons pas seuls longtemps sur le tapis rouge et la silhouette de Vee se joint à nous. Les flashs poursuivent leur crise d'épilepsie pendant que nous échangeons des accolades chaleureuses. “Je suis si heureuse que tu ne me laisses pas tout seule cette année.” prit-elle soin de souligner en frôlant juste assez délicatement le sujet fâcheux qu’elle sait parfaitement que je m’efforce d’éviter. Mais je m’achète vraiment pas son numéro, quand bien même il me flatte. “Je suis certain que même pour aller aux toilettes tu n’étais pas seule l’année dernière.” Et elle rit à gorge déployée, forcée de l’admettre. Victoria n’est pas un animal solitaire, et l’absence d’un partenaire de crime de l’empêcherait pas de s’en trouver un ou plusieurs autres par intérim. “Mais je suis content d’être là aussi.” Fatigué, encore un peu nerveux et soucieux que Joanne passe également un bon moment -mais content. “Après ça, fais-lui prendre des vacances.” ajoute d’ailleurs ma collègue à l’intention de ma femme sur un air de confidence avant de pouffer de me voir rouler des yeux si haut. Les vacances ne seront pas avant les fêtes de fin d’année, qu’importe à quel point cela nous désole tous. Noël est assez sacré pour que je me coupe du travail à cette période, mais entre temps, je n’ai pas d’excuse valable pour m’absenter -tant pis si des dizaines d’heures supplémentaires disent le contraire. Oubliant presque les photographes, leur présence me revient lorsque une jeune femme en charge de la logistique souffle à mon oreille que d’autres photographies sont à effectuer plus loin sur le tapis en compagnie de quelques hôtes de marque. Le genre de portraits sur lesquels je doute que Joanne souhaite avoir une place. “Cassandra va t’accompagner à l’intérieur, j’en ai pour quelques minutes encore. Je te rejoins très vite.” Et la petite brune en question invita immédiatement Joanne à la suivre dans la salle de réception, jusqu’à la table où nos noms sont inscrits en grandes lettres argentées sur des marques places gaufrés. Le shooting est rapide, nul ne tient à s’éterniser et passer la nuit avec l’empreinte de lucioles dans le champ de vision à force d’avoir été sous les objectifs comme on regarde le soleil trop longtemps. C’est en groupe que nous entrons dans la salle et sommes à notre tour accompagnés jusqu’à la table, forçant un détour ici et là pour un salut, une poignée de main. De retour auprès de Joanne, je lui vole un baiser furtif puis l’invite à saluer les quelques futurs lauréats qui nous entoureront ce soir ; “Emily, Joel. Ma femme, Joanne.”
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Bien qu'il était bien plus habitué aux soirées de gala que sa conjointe, Jamie ne manquait pas de lui avouer qu'il était extrêmement stressé à l'idée de s'y rendre. Ce n'était pas l'univers de Joanne, et c'était peut-être certainement dans cet écart que le brun trouvait du réconfort auprès de son épouse. Surtout pour cette soirée en particulier, un très grand événement où il se présentait publiquement après tout ce qu'il s'était passé depuis près d'un an. Un arrêt cardiaque, un mariage, reconnaître qu'il n'était malgré tout pas vraiment heureux, incapable de surmonter une faiblesse qui le hantait. Ces sujets de conversation allaient forcément venir au cours de la soirée et ce n'était pas quelque chose dont il était particulièrement enthousiaste. Tout comme le fait de reconnaître à Joanne qu'il n'était pas serein était difficile pour lui. Une vulnérabilité qu'il ne montrait à quasiment personne, parce qu'il ne voulait pas être perçu comme une personne faible. La petite blonde le regardait d'un air tendre, portant sa main à sa joue pour la caresser brièvement. "Tu aurais certainement tout aussi bien géré si je n'avais pas été là." lui assura-t-elle, confiante de ses propos. Joanne le sentait effectivement nerveux, parce qu'elle le connaissais très bien. Mais elle était certaine que bien peu de personnes allaient apercevoir cet embarras. C'était une soirée plus qu'importante pour lui, et Joanne se devait de l'accompagner. Un petit compliment bien glissé pour le faire sourire, une petite gaffe pour le faire rire, et le voilà déjà un peu plus léger. Ils se soutenaient toujours mutuellement durant ce genre d'occasions, attentif au bien-être de l'être aimé. Joanne lui lançait un regard on ne peut plus touché lorsqu'il lui avait fait comprendre qu'il ne comptait pas boire de l'alcool à foison alors qu'elle ne le pouvait pas. C'était peut-être un geste évident pour lui, tout à fait naturel, ça n'en était pas moins touchant. Une fois que Jamie était sorti de la voiture, son épouse prit une profonde inspiration pour relâcher la pression qui pesait sur ses propres épaules. Il l'aida ensuite à sortir du véhicule en lui prêtant sa main, toujours bien plus chaude que la sienne. Elle eut une vague d'appréhension alors qu'ils approchaient des photographes à l'affût du moindre nouvel arrivant. C'était un exercice qu'elle peinait décidément à assimiler. une fois arrivé à l'endroit qu'on leur avait désigné, Joanne réajusta d'un geste aérien le jupon de sa robe afin que le rendu sur les photographies soit convainquant. On trouvait malgré la nervosité un sourire sur son visage lorsque les flashs des appareil s'enclenchaient, pivotant la tête en direction de là où on l'appelait. Elle ne trouvait que réconfort et courage à chaque fois qu'elle croisait le regard de Jamie. Les mots n'avaient jamais été son fort lorsque l'on discutait d'émotions et de sentiments. Mais tout ce qu'il parvenait à transmettre par ses gestes et ses regards valaient bien plus que tous les trésors existants en ce bas monde. Ce n'était qu'à ces moments là que l'on voyait son sourire s'élargir et devenir plus sincère, plus amoureux. Des yeux verts qui apaisaient instantanément et dans lesquels Joanne adorait s'y plonger dès qu'elle en avait l'occasion. Vee s'invitait rapidement à la partie, rendant les photographes particulièrement fous. Joanne lui rendit son accolade chaleureuse, ravie de savoir qu'il y allait avoir un autre visage connu présent au cours de la soirée. "Tu sais très bien qu'il ne se le permettrait pas. Et moi non plus d'ailleurs." plaisantait Joanne en répondant à Vee. Ayant tous deux beaucoup à faire d'ici les fêtes de fin d'année, il était bien peu probable qu'ils puissent se permettre des jours de congés avant Noël. Et après les fêtes eh bien, ils allaient devoir poser leurs congés aux dates des vacances scolaires de leur fils, et ce, pour de nombreuses années ensuite. Quelques minutes plus tard, Jamie lui annonçait qu'il y avait encore un shooting auquel il devait se rendre. Elle acquiesça silencieusement d'un signe de tête avant de se laisser accompagner par la dénommée Cassandra. La jeune femme n'aimait décidément pas être sans Jamie durant ce genre d'événements. Sans lui, elle ne se sentait pas à sa place. Elle remercia l'assistante une fois qu'elle lui avait montré la place et s'y installa, regardant avec attention l'immense salle, finement décorée, les tables impeccablement présentée sur des nappes blanches de qualité. Ses yeux clairs peinaient encore à se remettre des flashs des appareils photos. Un serveur venait déjà lui proposer une flûte de champagne qu'elle refusa poliment. Assise sur sa chaise, elle observait les nombreux invités qui se saluaient entre eux. Bien que l'attente ne fut pas bien longue, Joanne le vivait comme une éternité, des minutes de patience qui ne la rendaient que plus nerveuse. Elle avait rapidement jeté un oeil sur le menu pour voir s'il y avait dans les plats des aliments qui sont habituellement proscrits pendant une grossesse. Elle se releva immédiatement dès qu'elle aperçut Jamie arriver avec d'autres personnes dont elle ne connaissait pas le nom. Au moins, il ne s'agissait pas de ses collègues, ce qui, en soi, était déjà une très bonne chose. Elle répondit à son baiser avec tendresse, et serrait ensuite chaleureusement la main aux convives qui allaient s'installer à la même table qu'eux pour le dîner. "Enchantée." Il fallut quelques secondes à Joanne pour comprendre qu'elle serrait la main à Joel Edgerton. Bons nombres d'acteurs australiens avaient réussi à percer à Hollywood. Et les Australiens suivaient de près leur parcours. Impressionnée, Joanne ne sut que dire de plus, si ce n'est de laisser échapper un rire nerveux. Elle était si embarrassée. Et dire que Jamie les avait présenté comme s'il les connaissait depuis toujours. Néanmoins, elle ne reconnaissait la belle brune qui était également à la même table qu'eux. Mais vue sa silhouette élancée, sa beauté et le charme qu'elle dégageait, elle supposait rapidement dans le mannequinat. Joanne pouvait porter des talons aussi haut qu'elle pouvait qu'elle ne parviendrait jamais à avoir sa taille. Fichu complexe. Impressionnée, déconfite, certainement, la seule solution possible que Joanne envisageait pour ne pas se couvrir de ridicule était d'en dire le moins possible. Un simple rictus charmeur allait certainement bien faire l'affaire. A vrai dire, depuis leur mariage, la blonde ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire lorsqu'il la présentait en tant qu'épouse (et cela l'aidait bien au vue des circonstances), et lorsqu'elle parlait de lui en tant que mari. Ils approchaient de leur première année de mariage, mais dès qu'elle prenait le temps d'y songer, elle avait envie d'exploser de joie comme au premier jour. A peine installés autour de la table, Joanne prit la main de Jamie pour la poser sur ses genoux, la gardant très précieusement entre ses doigts. Elle jouait très légèrement avec, plus délicatement qu'elle ne le ferait avec ses propres doigts. La blonde se demandait bien quelle autre figure connue allait encore les accompagner durant le dîner. Un autre serveur s'approchait pour proposer des boissons alcoolisées. Emily et Joel se servirent volontiers, et plissaient des yeux d'un air curieux lorsqu'ils virent Joanne décliner. Elle demanda s'ils avaient un jus de fruits – ou n'importe quelle boisson non alcoolisée ferait l'affaire. Il s'agissait forcément du genre d'informations qui mettaient la puce à l'oreille lorsque l'on savait que la consommation d'alcool allait bon train durant ce genre de gala. Peut-être étaient-ils trop polis pour accabler Joanne de questions d'entrée de jeu. Ou peut-être qu'ils ne s'y intéressaient tout simplement pas. "Que faites-vous dans la vie, Joanne ?" demanda Joel, histoire de faire un peu de faire un peu connaissance. Elle prit un certain temps pour réaliser que l'acteur s'adressait effectivement à elle. Comme d'habitude, elle était dans ses rêves. C'était un geste discret de la main de Jamie qui la fit redescendre sur terre "Qui ça,... moi ?" demanda-t-elle surprise, après un sursaut. Son attitude fit sourire Joel. "Oui, vous." répéta-t-il calmement. La jeune femme bafouilla un moment, surtout après avoir noté le regard insistant d'Emily. "Je..." Nerveuse comme tout, elle échangea un bref regard avec Jamie et glissa une de ses mèches blondes derrière son oreille. Elle s'éclaircit la voix et trouva enfin le courage prononcer quelques mots. "Je... Je suis conservatrice au QAGOMA et à partir de la prochaine rentrée universitaire, je ferai également des interventions aux promotions étudiant l'Histoire de l'art afin de concrétiser l'apport théorique des cours qui leur sont déjà donnés en les appliquant sur le terrain." Un projet de taille, très chronophage, mais qui enthousiasmait grandement Joanne. Vu le nombre de questions qu'on lui posait, la jeune femme avait rapidement supposé que ça ne devait pas être le genre de métiers qu'ils devaient croiser quotidiennement. Quoi que leur intérêt certain pour l'art avait rendu la conversation plutôt agréable. Elle échangeait régulièrement un regard avec son époux, cherchant à voir comment il se portait, comment il se sentait, mais aussi de quoi soulager on propre stress. Joanne n'était pas tout à fait sereine, mais malgré tout, cela ne lui gênait pas de faire la conversation pour eux deux, surtout si cela permettait que les questions susceptibles de faire grincer les dents ne soient posées. Un interrogatoire que Jamie trouverait déplaisant, et le pauvre était déjà particulièrement sous pression rien que pour le gala lui-même, il était inutile d'en rajouter une couche. Elle retenait plusieurs fois l'envie de l'embrasser, malgré les signes d'affection qu'elle lui offrait déjà: sa main toujours dans les siennes qu'elle caressait doucement, les regards tendres. Pendant ce temps, la salle continuait à se remplir et l'on devait parler plus fort pour pouvoir se faire bien entendre. Joanne n'avait pas vraiment une voix qui portait. Elle était bien heureuse de voir son jus de fruits arriver, afin de pouvoir se désaltérer. Elle espérait ne pas avoir de nausées durant la soirée. Cette sensation désagréable se manifestait principalement au petit matin, mais il lui arrivait d'en avoir très ponctuellement durant la semaine, à n'importe quelle heure. La petite blonde apercevait au loin Vee, qui semblait connaître absolument tout le monde vu le temps qu'elle prenait pour les salutations. "Je te parie que s'il doit y en avoir une qui doit vendre la mèche par rapport au bébé avant la fin de la soirée, ce serait bien Vee." chuchota-t-elle à Jamie pendant que les autres convives de la tables discutaient de leur côté. Elle remarquerait sans problème le verre de champagne que Joanne n'aurait pas en mains et la conclusion allait venir de suite derrière. Si cela se passait ainsi, Joanne en serait quelque peu contrariée. "Avoue, tu n'attendais qu'à voir ma réaction en me le présentant le plus naturellement du monde, comme tu l'as fait." dit-elle sur un ton faussement boudeur, les sourcils exagérément froncés, dans le but de le taquiner, mais également de faire temporairement oublier ses joues empourprées par l'embarras. "Comment tu te sens ?" lui demanda-t-elle, tout aussi bas, après quelques secondes nécessaires pour retrouver un minimum de contenance. Elle était soucieuse de son bien-être, surtout pour cette soirée.
“Comment vous êtes-vous rencontrés ?” s'intéresse la mannequin à notre table, le regard malicieux au-dessus de sa flûte de champagne dégustée lichette après lichette. L’interrogatoire à propos de Joanne et de sa profession passée, avec une déviation d’une demi-heure sur les quelques grandes périodes de l’art avec lesquelles Joel était le plus à l’aise, la tablée mise en confiance échange avec plus d’aise qu’au début de la soirée, incitant Emily à se montrer un peu plus curieuse. Et comme à chaque fois que la question survient, ma femme et moi échangeons un regard à la fois amusé et complice ; notre version enjolivée de notre histoire est toujours prête à être récitée par coeur. Les seules choses que les personnes extérieures ont besoin de savoir, dans les grandes lignes, banalisées pour esquiver quelques jugements faciles. Le reste, même s’il fut plus d’une fois dévoilé malgré nous, ne regarde que nous. “A une soirée de donateurs, au précédent musée où elle travaillait, je réponds donc naturellement. C’était il y a… bientôt quatre ans ?” Le coup d’oeil à Joanne demande confirmation, car il me semble tantôt que c’était hier, tantôt il y a dix ans. Ce rollercoaster me fait perdre la notion du temps, celui qui a été gâché, celui dont nous avons profité ensemble, les périodes sombres et celles de bonheur. J’aurais aimé complètement enterrer l’homme que j’étais alors, celui qu’elle a rencontré, en réalité, dans un bar à la recherche des ennuis. Bien des choses ont changé, mais dans le fond, je reste le même ; je cherche juste les ennuis à plus grande échelle. “Vous devez faire des jalouses.” commenta Emily en adressant un rictus complice à Joanne avec un sous-entendu qui a le don de me mettre mal à l’aise. Non pas parce qu’il se veut flatteur, mais parce que rien dans la réalité de notre vie, de notre histoire, n’est à envier. Nous avons simplement eu le courage de nous accrocher. “C’est plutôt moi qui ai de la chance.” je corrige avant de balayer le sujet rapidement afin de ne pas tomber dans le pathos. Personne n’aime un couple dégoulinant de sentiments comme du miel frais. Peu avant l’ouverture de la cérémonie, Joanne se tourne vers moi, Vee dans le coin de sa vision périphérique, persuadée que sa perspicacité nous coûtera le secret jusqu’à présent bien gardé de sa grossesse. Il suffira, en effet, qu’elle soit témoin d’un moment où Joanne détournera une boisson alcoolisée pour faire les bonnes déductions. A dire vrai, n’importe qui d’un peu observateur en ferait aisément la conclusion. “Elle devinera facilement, mais ce n’est pas son genre de le crier haut et fort à tout le monde si nous ne sommes pas disposés à communiquer à ce sujet pour le moment.” j’assure à la jeune femme, sûr de mon propos. Vee est une amie sur laquelle je peux compter, une des rares qui ne m’a jamais fait défaut, et je suis certain que cela ne commencera pas ce soir. “Elle sait que j’apprécie que tout ce qui est privé reste privé. Elle n’en a pas l’air, mais elle est un peu pareil, au fond.” Mon exubérante collègue met en avant une grande personnalité avec des tenus tape à l’oeil, mais son charisme lui permet de garder secret ce qu’elle ne souhaite pas divulguer, et personne n’ose demander. La surface brille, c’est tout ce qui intéresse réellement le monde qui gravite autour d’elle. Mes yeux posés sur Vee finissent par attirer son attention, à la table d’à côté, et nous échangeons un signe de tête encourageant avant que je ne me tourne à nouveau vers Joanne. Si elle fut un brin intimidée par les personnalités qui nous entourent au départ, elle paraît plus à son aise désormais, et plaisante de cette surprise qu’elle a ressenti lorsque je me suis occupé des présentations. “Ca se peut.” je réponds en haussant les épaules, l’air de rien. Je savais d’avance qu’elle serait adorablement gênée. Je dépose un léger baiser sur sa pommette rose. “Bien.” dis-je pour la rassurer tandis qu’elle s’inquiète de mon état d’esprit, de la pression autour de cette soirée, de ce travail de manière générale qui n’est pas sans perpétuellement éprouver mes nerfs, parfois moins solides qu’ils n’en ont l’air. “Très bien.” je répète, murmuré dans un souffle qui tend à me convaincre autant qu’elle. Ce n’est qu’une soirée, et s’il demeure le cadre du travail, c’est également un temps pour s’amuser, être ensemble. Je ne veux pas le perdre de vue. Il n’est pas beaucoup plus attendu de ma part qu’un discours au début et à la fin de la cérémonie. Pour cet exercice, la nervosité me quitte toujours dès le premier pas sur l’estrade. Au final, c’est bien plus cette présence pour l’image, toutes ces heures à devoir côtoyer les invités, toutes ces occasions de mal faire, toutes ces discussions susceptibles de me heurter, qui me mettent sur la défensive et me poussent à se replier sur moi-même. En effet, ouvrir la cérémonie ne fut pas difficile. Je me suis passé de la touche de provocation qui est généralement une signature de ma part dans ce genre de discours, optant pour un ton plus sage, consensuel et laissant deviner que je ne souhaite pas attirer l’attention sur moi -de toute manière, cette soirée est dédiée aux lauréats. Les prix passent des mains des précédentes personnalités de l’année aux nouvelles sous des applaudissements réguliers. A la pause, ne tenant plus en place, j’invite Joanne à quitter la table et me suivre. “Viens, j’ai plus de gens à te présenter.” D’autres lauréats, peut-être moins intimidants pour elle ; sportifs, designers, humanitaires. Des personnes qui paraissent un peu plus réelles et accessibles que ceux que l’on a l’habitude de voir sur petit et grand écran, dans les magazines, sur les billboards. “Ces awards font leur poids.” fait remarquer Michael Clarke, lui-même accompagné par sa femme, ex-Miss Australie devenue figure de télévision. “Je vous présente Kyly…” débuta-t-il poliment avant que celle-ci ne coupe court. “Non, Mike. Nous en avons parlé.” Ses sourcils furieusement froncés jugent les yeux de son mari qui roulent au ciel dans un soupir navré. Pris de court, je les observe l’un et l’autre sans pour autant saisir quel problème est si soudainement soulevé. Et face à ma moue interloquée, Kyly justifia d’une voix ferme ; “Il n’est pas question que je fasse mine d’être courtoise. Mr Keynes, si vous aviez un semblant de respect pour la réputation de GQ, vous sauriez que vous n’avez rien à faire ici. Et si vous aviez un minimum de jugeote, vous auriez vous-même démissionné de votre poste.” Le poids de cette fronde de mots me heurte et me laisse sonné comme après un coup sur la tête pendant un court instant. Tandis que mon coeur se serre, je force mes yeux à ne pas se détourner de la brune. Mes lèvres restent scellées, car j’ai le sentiment qu’il n’y a rien à répondre à l’attaque qu’un “vous avez raison”. Mais elle n’est pas à la première à tenir ce discours, et ne sera pas la première à me faire courber l’échine sous le poids de la critique. Je sais mieux que personne la controverse autour de ma place depuis que mon nom est labélisé “violences conjugales”. Je souhaitais néanmoins en préserver Joanne jusqu’au moment utopique où le monde serait frappé d’amnésie. “Je suis désolé.” tenta de rattraper Michael dont l’épouse au fort caractère ne compte pas se faire mettre des mots dans la bouche par qui que ce soit. “Je ne le suis pas. Les hommes de votre genre devriez avoir honte.” Je le suis. Mortifié de honte depuis qu’il est devenu évident pour tous que mes émotions me dominent plus que l’inverse et que la femme que j’aime est susceptible d’en faire les frais. Habituellement, ce genre de paroles est suivi de critiques au sujet de Joanne, d’ailleurs, estampillée d’être une sombre idiote pour être revenue vers moi malgré tout. Calme malgré le coup porté, bienveillant envers un point de vue que je respecte, j’acquiesce simplement d’un signe de tête. “Je comprends.” dis-je d’une voix grave, mais sans rancune. “Nous n’allons pas vous déranger plus longtemps, passez une bonne soirée.” Je dispose, nous éloigne d’une dizaine de pas. Un brin sonné, je me sens par dessus tout embarrassé que Joanne ait été témoin de l’échange, pris en flagrant délit de silence, incapable de prendre mon propre parti face à ce genre de jugement. Ce n’est pas l’image de moi à laquelle elle est habituée. Mais il faut choisir ses batailles, et je ne peux pas être sur le front de toutes les critiques à mon sujet.
who knows? is this the start of something wonderful and new? or one more dream that I cannot make true?
La rencontre officielle de Jamie et Joanne restaient un secret bien scellés. Certaines personnes connaissaient l'histoire, mais pour les autres, c'était toujours la même version qui revenait. A la longue, ils s'en amusaient, ils appréciaient avoir cette histoire rien que pour eux, comme bien d'autres. La petite blonde avait laissé répondre Jamie, et acquiesça d'un signe de tête lorsqu'il lui demandait confirmation de la durée de leur relation. "Bientôt quatre ans, oui." Déjà quatre ans. Les montagnes russes qu'étaient leur amour avait fait passer le temps à vive allure, ne leur laissant guère de répit. Les moments tranquilles, sans aléas, étaient quand même particulièrement. Joanne ne désirait pas que son couple sombre dans l'ennui, loin d'elle cette idée, mais elle ne serait pas contre une petite pause, un temps dans leur bulle sans intrusion. Un désir bien compliqué à réaliser vu leur quotidien dense et chargé, mais un doux rêve qu'elle chérissait. Joanne caressa rapidement et affectueusement la nuque du brun avant d'entremêler ses doigts à nouveau dans les siens. Elle savait que Jamie ne laissait pas la gente féminine indifférente, loin de là. Son côté british ferait fondre n'importe qui, elle la première. Pourtant, c'était lui pensait être le plus chanceux. Bien que ce ne soit qu'une tactique pour le faire sortir de ce malaise qui s'instaurait dès qu'on le complimentait un tant soit peu, Joanne sentit ses pommettes rougir face à sa répartie. Moins sereine par rapport aux révélations sur sa grossesse, elle craignait que Vee ne vende malencontreusement la mèche. Son côté extraverti laissait aisément penser qu'elle raconterait tous les potins possibles et imaginables. Mais Jamie chassa rapidement cette idée reçue en confiant que Victoria respectait la vie privée de chacun. En dehors d'Evelyn, qui n'allait pas le dire à qui que ce soit, c'était encore un secret très bien gardé. Même Marius n'en savait rien, alors que Joanne s'était engagée dans un projet professionnel plutôt ambitieux. Joanne observa longuement leur amie, bien pensive. "Je veux juste que nous en soyons sûrs." souffla-t-elle alors. Bien qu'elle avait toujours dit qu'elle avait un bon pressentiment, la jeune femme avait toujours cette appréhension qui ne s'envolera qu'une fois les prochains examens passés. Elle esquissa tout de même un sourire rassurée à Jamie, qui lui était certain que Vee ne se permettrait jamais de divulguer de telles informations. La soirée suivait son cours et Joanne demandait à Jamie si tout allait bien. Cet événement représentait beaucoup de choses pour lui. Elle ne pouvait pas s'empêcher de se faire du souci pour lui. Ils se protégeaient l'un l'autre de beaucoup d'agressions extérieures de tout type, mais là, dans un environnement où elle n'était pas toujours à l'aise, elle ne pouvait rien faire de plus que de rester à ses côtés et de profiter au maximum de ce moment avec lui. Ce fut à son tour d'aller sur l'estrade afin de faire un discours qu'elle écoutait attention. Elle était toujours très admirative de sa prestance, de son charme, et de l'aisance qu'il avait de parler devant un grand nombre de personnes. S'en suit la remise des awards. Des personnalités que Joanne connaissait plus ou moins. Par moment, le temps lui semblait un peu long, de les voir défiler les uns après les autres. Durant l'entracte, Jamie fut le premier à se lever, tenant apparemment à lui présenter encore quelques invités présents. Perplexe et curieuse, Joanne le suivit sans dire mot, plutôt nerveuse. Elle était néanmoins ravie de faire de nouvelles connaissances, bien qu'elle savait qu'il y ait peu de chances qu'ils viennent à se revoir un jour, sauf si elle se rendait à une nouvelle soirée mondaine du genre. Tout se passait plutôt bien jusqu'au moment où ils firent face au couple Clarke. Ne comprenant pas les mots échangés entre la dénommée Kyly et Michael, Joanne les regardait avec perplexité. Que pouvait-elle donc avoir entre eux. La petite blonde allait bientôt avoir sa réponse, qui était similaire à un véritable coup de massue sur la tête, la rendant étourdie pendant une poignée de secondes. Choquée, Joanne ne savait même pas comment réagir et était d'autant plus perturbée en constatant que son époux n'alignait pas le moindre mot non plus. Elle le regardait avec interrogation et inquiétude, alternant son regard bleuté entre Kyly et lui. Les mots étaient secs, tranchants, agressifs. Son mari tentait tant bien que mal de rattraper la casse, mais Kyly persévérait et campait sur sa position, bien déterminée à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Abasourdie, la blonde n'eut pas d'occasion pour dire quoi que ce soit, Jamie préférant miser la carte de la sagesse et de la diplomatie. Il ne valait mieux pas ajouter de l'huile sur le feu en de telles circonstances, au beau milieu d'un grand nombre d'invités de marque. Le couple regagnait leur place à leur table dans le plus lourd des silences. La blonde espérait que boire une gorgée d'eau l'aiderait à mieux trouver ses mots. "Tu as bien fait de ne rien dire." dit-elle finalement à voix basse. "Elle a l'air d'être quelqu'un qui... reste campé sur sa position." Joanne lâcha un soupir, regardant brièvement l'ex-Miss Australie au loin. Pensive, elle imposa malgré un nouveau silence avant de reprendre la parole. "Je pense que j'ai été trop optimiste, voire même un peu bête, d'avoir cru que si nous, les premiers concernés, étions capables de mettre toute cette histoire derrière nous, les autres le feraient aussi." Et cela rendait Joanne particulièrement triste. "On a fait tellement de chemin depuis. Nous avons tous les deux un nouvel emploi, nous avons des projets pour notre vie de famille. Mais il semblerait que pour certaines personnes, quoi qu'on fasse, ce n'est qu'une sorte d'illusion, je ne sais pas." Le regard bas, Joanne haussait les épaules. Son coeur était serré par cette situation. "Tu t'es battu pour ce poste de rédacteur en chef, tu as accepté toutes les contraintes qu'on t'a imposé pour te laisser une chance. Que l'on réagisse ou non aux pics qu'on nous lance par rapport à ce qu'il s'est passé, ce n'est jamais assez bon." Et cela la contrariait tout particulièrement. Joanne trouvait cela particulièrement injuste. Ces idées reçues avaient la peau dure, impossible à percer. "Le plus effrayant dans tout ça, c'est de ne pas savoir qui est minoritaire ou non. Si la majorité pense comme elle ou non." Ses iris bleus se levèrent enfin vers les yeux de Jamie. "J'ai du mal à faire abstraction de ceux qu'ils peuvent penser." Cela donnait envie de s'isoler du monde, mais ce n'était pas la bonne solution non plus. Il fallait se trouver un juste équilibre et se munir de toutes les armes possibles pour continuer à vivre plutôt sereinement. Dans la société actuelle, de tels moeurs s'effaçaient difficilement, malgré le temps qui passait. "Et j'ai peur que nos enfants en pâtissent, d'une façon ou d'une autre." Des dommages collatéraux. Joanne eut un frisson en imaginant la scène qui venait de se passer, en présence de leur fils. Daniel avait bientôt trois ans, il n'allait certainement pas s'en souvenir par la suite. Mais si on leur faisait de telles remarques plus tard, quand il sera plus grand, qu'en pensera-t-il ? "C'est comme ça tout le temps, au travail ? Ou quand tu te rends à des soirées ?" s'inquiéta alors Joanne. Elle ne serait qu'à moitié surprise qu'il ait préféré ne pas lui en parler, si ça avait été effectivement le cas. Bien sûr qu'elle se faisait du souci pour lui. Jamie était dotée d'une excellente répartie et savait garder la tête haute en toute circonstance. Mais elle craignait qu'on finisse par l'avoir à l'usure. Il construisait tant d'espoir de renouveau avec ce nouveau poste à GQ. Et finalement, il y en avait toujours quelques un qui étaient là pour lui rappeler que ses soit-disant méfaits étaient loin d'être aux oubliettes. Joanne n'aurait jamais deviné que les répercussions perdureraient autant, et pour cela, elle maudissait Saul d'avoir voulu faire son bon samaritain. "Le fait que tu n'aies rien dit était vraiment pour éiter d'envenimer la situation, n'est-ce pas ? Ou est-ce que tu étais d'accord, d'une manière ou d'une autre, à ce qu'elle a dit ?" Il n'était pas dans le meilleur état d'esprit qui soit et Joanne craignait que certains profitent de cette situation de faiblesse pour le mettre à terre.
Je pensais que m’asseoir et atteindre la table suffirait à me procurer un fugace sentiment de soulagement, que le simple éloignement du couple perturbateur ôterait le poids qui alourdit soudainement mes épaules et ma conscience comme un boulet attaché au pied de mes humeurs. Pendant une minute, j’ai eu la naïveté de croire que toute la soirée se déroulerait sans encombres et que Joanne et moi pourrions rire de ma nervosité de l’aller dans la voiture sur le chemin du retour vers la maison. Et j’imagine que j’aurais pu me passer d’un effort de sociabilisation en allant vers les invités, aussi fiables et aimables me paraissaient-ils ; néanmoins, je ne voulais pas que ma femme se sente à l’écart vis-à-vis de la foule présente, donner l’impression de la monopoliser jalousement tout au long de l’événement ou encore de m’isoler alors que faire bonne figure est une case à cocher sur la liste de mes attributions. J’aurai pourtant préféré faire fi de l’obligation et faire durer le tête-à-tête, cela aurait sûrement été préférable pour tout le monde. Le silence qui règne entre nous est d’une pesante lourdeur, une bulle de plomb au milieu du brouhaha des discussions alentours qui, elles, vont bon train. Cet incident n’a l’air que d’une goutte d’eau au milieu d’un océan de blabla, cependant, les discrets remouds secouent bel et bien leurs environs. Mes doigts saisissent mon verre, songeant que quelques grandes gorgées d’eau ne peuvent que me faire du bien et rendre mes pensées plus claires. Difficile de faire comme si de rien n’était, impossible même ; car si j’ai l’habitude de ces attaques, ces remarques amères, cela n’est pas le cas de Joanne qui découvre alors la virulence du jugement qui m’est porté depuis bien des mois maintenant. Il n’y avait rien d’autre à faire que garder le silence face aux paroles de Kyly, aussi douloureux cela soit-il pour mon égo. Elle ne fait que dire tout haut ce que tout le monde pense, je songe. La seule chose qui m’empêche de répliquer est l’intime conviction que ces personnes là ne sauront ou ne comprendront jamais la profonde haine que je me suis voué dès lors et qui est une assez large punition en soi. Vivre sans les autres est complexe, mais être incapable de vivre avec soi-même est une souffrance que j’endure encore à ce jour. De la difficulté à se regarder dans un miroir sans baisser les yeux face au reflet accablant, jusqu’à ces doutes permanents qui m’assaillent à la moindre prise de décision. Et il semble que cela ne veuille jamais cesser. J’avoue écouter Joanne d’une oreille distraite. Sur le moment, ses états d’âme me paraissent bien minimes par rapport aux miens, et je ne trouve aucune réconfort dans la redite de ce que je sais déjà ; que cette situation est injuste, que des inconnus se mêlent de ce qui ne les regardent pas et se permettent d’avoir des avis tranchés sans nous connaître et que nous devrions avoir le droit de tourner la page de ces incidents. Le fait est que les années passent, et les choses ne changent pas. Au final, je ne suis plus certain d’avoir assez changé moi-même pour ne plus mériter ces brimades, ces regards, ces messes basses. « Est-ce que ça importe, vraiment ? » j’interroge, blasé. Que je me taise pour une raison ou une autre, pour ne pas faire de vagues, pour valoir mieux qu’eux ou parce que j’estime qu’ils ont raison ; que ce soit tous les jours, une fois par semaine, par mois ; qu’est-ce que cela change ? La réputation, l’image est la même, et c’est celle-ci que la jeune femme a à son bras ce soir, dans son lit la nuit. « Tu l’as dit toi-même, quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, ce n’est jamais assez pour faire oublier cette histoire ou juste persuader les autres de nous donner une chance de mettre ça derrière nous. Alors ça ne change rien, ce que je pense, ou que je réponde ou non à ce genre de remarques. » La mémoire collective est une chose tenace. Il suffit qu’un seul badaud se souvienne pour rappeler un événement à tous les autres et leur permettre ainsi de ne jamais oublier. Quand le souvenir semble s’effacer, il y a toujours quelqu’un pour rafraîchir les mémoires. C’est une flamme qui ne cesse jamais de brûler. Devinant mon élocution trop sèche, ma voix trop forte, plus énervé par la situation générale que par Joanne qui est malheureusement celle qui assiste et encaisse la virulence de ce ton qui monte petit à petit, je prends une seconde pour respirer, souffler, fermer les yeux et calmer cette ardeur, ce tempérament naturellement colérique que tout alimente qui facilement. « Je suis fatigué d’être perpétuellement tiré en arrière, c’est ça ta réponse. » je reprends plus bas. « Il faut juste continuer à se blinder. » Alors que mon regard se pose sur elle, à la fois triste et frustré, je pose ma main sur la sienne dans un geste dont la tendresse contraste avec mon discours et les traits froncés de mon visage. Ces émotions mélangées me tiraillent, et je ne souhaite pas que mon épouse en soit encore victime. J’endosse un calme de façade tandis que la cérémonie reprend une fois la pause terminée. Les derniers awards sont remis entre deux discours qui se ressemblent à peu près tous et des applaudissements devenant peu à peu automatiques. L’inconvénient de ces soirées n’est autre que leur longueur, et malgré le mérite des lauréats, il est difficile de garder une audience concentrée pendant autant d’heures et ne pas perdre leur intérêt. D’autant que le champagne fuse au moindre claquement de doigt d’un bout à l’autre de la salle, que les verres se vident si facilement et les langues se délient. Fidèle à ma promesse, ma coupe ne se remplit que d’eau ou de soda, laissant mon esprit clair et mes pensées libres de radoter entres elles jusqu’à la fin de la distribution des prix. Et alors que la musique remplace les discours et qu’il ne reste à table que des vestiges du dîner abandonnés par ceux qui se dirigent vers la piste de danse pour un long after, je demeure là avec Joanne. La soirée aura amplement prouvé qu’il ne sert à rien de nous forcer à quitter notre bulle. « Pardon pour tout à l’heure, je murmure finalement, mon visage près du sien et le regard en quête de rédemption. Je ne voulais pas me montrer désagréable. J’étais… un peu secoué. » Je peux bien vouloir cacher à quel point les paroles dans le genre de celles de Kyly peuvent me toucher, le nier à ma propre femme revient à douter de sa loyauté. Elle me connaît assez pour savoir que j’intériorise, que je compresse et étouffe ces émotions, et que cela n’engendre jamais rien de bon. Je ne serais jamais aussi solide que je le prétends, encore moins si je ne suis pas capable de me reposer un peu sur quelqu’un de confiance, quelqu’un qui me soutiendra quoi qu’il arrive. « J’essaye du mieux que je peux de te préserver de ce genre de réactions et de remarques auxquelles nous avons droit depuis le jugement. Ca a déjà été assez dur pour toi. Je ne voulais pas que tu entendes ça. »
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L'atmosphère qui régnait au sein du couple était lourde et glaciale. Cela pesait même sur le coeur de la jeune, abasourdie par ce qui venait de se passer. Dès lors, elle s'inquiétait encore plus pour son époux. Elle le questionnait, dans l'espoir dans savoir un peu plus, d'avoir de nouveaux éléments afin de lui porter un soutien correct et adapté. Elle ignorait qu'il y avait encore des personnes qui soient si amères par rapport au jugement de Jamie, de ce qu'il aurait fait. Que ces gens refusent d'entendre sa version des faits et que les tentatives d'explication soient vaines la mettaient hors d'elle. S'ajoutait à cela une profonde tristesse, un sentiment d'impuissance face à une situation qui n'allait pas dans leur sens. La jeune femme avait bien remarqué que Jamie ne l'écoutait pas vraiment. Il était ailleurs, dans ses pensées et elle était incapable de deviner ce à quoi il pouvait songer. C'était frustrant pour elle, de ne pas parvenir à le sonder facilement, de ne pas savoir ce qu'il pouvait se dire. La manière dont il daignait enfin lui répondre choqua la jeune femme. Elle pouvait comprendre qu'il était là d'autant de rancœur à son égard, mais elle était de son côté. Et pourtant, il s'en prenait à elle, avec ce ton désobligeant. Vexée, elle fronça légèrement les sourcils, avec ses yeux qui préféraient regarder son verre d'eau qu'elle allait saisir quelques secondes plus tard afin de digérer l'attitude de son époux envers elle. Il se laissait abattre par l'opinion publique. Il le lui avait dit, qu'il était épuisé, qu'il n'en pouvait plus, qu'il ne trouvait plus matière à être véritablement heureux. Et ceci impactait son quotidien, rendant chaque instant difficile à vivre. Joanne faisait au mieux pour être pour lui, pour lui laisser de l'espace quand il en avait besoin. Elle ne voulait pas le reprendre sur le fait qu'il quittait tard le travail et qu'il lui manquait, afin qu'il ne culpabilise pas à ce sujet. Elle faisait tout ce qu'elle pouvait pour l'épauler, le soutenir et voilà qu'il la rejetait par des paroles dures et un ton qui montait de plus en plus alors qu'elle n'avait fait que le questionner sur la réalité de la situation. Joanne ne lui adressait plus un regard, bien trop chamboulée. Elle, elle ne le tirait pas en arrière, mais sur le coup, Jamie ne semblait pas vouloir en tenir compte. Il estimait qu'il fallait continuer à subir, et faire avec. La jeune fut surprise de sentir la main de son époux se poser sur la sienne. Ce n'était qu'à ce moment là qu'elle levait à nouveau les yeux sur lui. Sa main était douce, avec un toucher d'une très grande tendresse alors que son regard était dur, rempli de rage. Joanne connaissait pourtant bien ses difficultés à gérer ses émotions, mais le contraste qu'elle constatait à ce moment précis était ce qu'il y a de plus déroutant. Néanmoins, elle ne bougeait pas sa main et ne lui demandait pas implicitement de retirer la sienne. Le silence étant sa meilleure arme, elle fit le choix de ne rien répondre. La cérémonie reprenait son cour et il semblerait que le reste de la tablée la tension qu'il y avait au sein du couple Keynes, si bien tout le monde avait eu la descene de ne pas les aborder, par pudeur, ou par politesse. Ebranlée, Joanne n'écoutait pas vraiment la suite de la remise des prix. La cérémonie devenait monocorde pour elle, et elle ne faisait qu'applaudir machinalement lorsque les autres le faisaient. Une fois la cérémonie terminée, ils finissaient par être seuls à la tablée. Elle n'avait toujours pas le cœur d'adresser la parole à son mari. En revanche, lui voulait reprendre la conversation comme les tensions commençaient à s'imposer. Jamie avait toujours eu ce pouvoir, de capter son regard où qu'il soit. Tout comme elle avait cette capacité là sur lui. Joanne pouvait constater que la teneur de ses yeux verts avaient radicalement changé. Il n'y avait là plus que de la douceur, une très grande tendresse, et surtout, une quête de son pardon. Les traits de son visage s'étaient radoucis également. Après l'avoir écouté, elle le contemplait longuement, sans dire le moindre mot. Ses yeux à elle brillaient d'émotion, bouleversée par ces montagnes russes émotionnelles qui n'étaient pas faciles à gérer pour elle. Après un long moment de silence, sa main se posait délicatement sur sa joue. Joanne avait perdu le compte du nombre de fois où ils avaient discuté du fait d'arrêter de vouloir se protéger l'un l'autre. Mais de toute évidence, c'était bien plus fort qu'eux. Il voulait à tout prix la protéger, l'épargner de toute les médisances faites à leur sujet. Toute personne proche d'elle, avait cette envie, ce besoin de la protéger. Jamie n'était ni le premier, ni le dernier. Elle ne voyait pas d'intérêt de répéter ces mots-là, il les connaissait déjà. "Et pourtant, je l'ai entendu." répondit-elle à voix basse, avec douceur. Une fatalité certainement difficile à accepter pour lui. "Et oui, ça a été dur de traverser cette période. C'est d'autant plus dur de savoir qu'il y en a qui préfère se rattacher plutôt qu'à tout ce que nous sommes en train de construire." Une famille, un avenir, de multiples opportunités d'être heureux. "Mais je préfère le savoir. Je mentirai si je disais que je ne préférerais pas continuer de vivre dans mon insouciance, mais tout ne peut pas être aussi beau que je le souhaiterai." Ils n'avaient pas trop le choix que de s'adapter, mais il s'agissait d'un challenge que Joanne se sentait bien prête à relever pour sa famille. "Tu dois déjà faire face à tellement de choses seul. Choses pour lesquels je sais que je ne peux pas vraiment t'aider, et Dieu sait combien cela peut être frustrant pour moi." reprit-elle à voix basse en rapprochant davantage son visage du sien. Il était bien dur pour elle de se faire à l'idée qu'elle ne pouvait pas être la solution à tous ses problèmes. "Mais il y a d'autres choses où je peux t'aider, te soutenir. Tu n'as pas à encaisser tout ça pour nous. Pas tout seul en tout cas." Son regard était amoureux, et extrêmement reconnaissant. "Je ne dis pas que ça ne va pas me toucher, me rendre un peu triste parfois. Mais à choisir, je préférerais largement ça que plutôt te savoir encaisser tout ça tout seul." Faire autant que possible pour que ce sentiment de solitude ne se creuse pas davantage. Alors Joanne tenait à saisir la moindre opportunité pour soutenir son époux et elle avait bien conscience qu'elle risquait d'en souffrir un peu de son côté. "S'il faut se blinder, autant le faire ensemble." Elle déposa délicatement ses lèvres sur les siennes, durant une poignée de secondes. "N'oublie pas que je suis de ton côté, que je suis là pour toi. Si je t'harasse parfois de questions, ce n'est que pour mieux comprendre." Car elle avait toujours eu besoin de comprendre. De se renseigner sur certains détails afin que les liens (qui n'étaient pas toujours bons) puissent se construire et pour que cela puisse avoir un sens pour elle. "Et sinon, nous avons notre bulle à nous, notre petit monde. Là où nous sommes bien." Comme celui qu'ils venaient de créer en démarrant cette conversation à voix basse, à proximité de l'un l'autre. Là où les messes basses des autres n'avaient pas leur place. Son front se posait contre le sien, ses yeux ne quittaient pas son regard pendant que ses doigts venaient caresser ses mèches brunes pendant quelques secondes. "Tu peux compter sur moi, te reposer sur moi." lui souffla-t-elle. Des mots qu'elle lui avait déjà dit plusieurs fois, mais qu'elle tenait à répéter. Elle voulait être solide comme un roc, pour lui. "J'irai bien, je te le promets." Joanne lui prit finalement sa main. Elle savait bien qu'elle n'allait pas pouvoir leur faire oublier cet instant fâcheux qui avait miner une bonne partie de la soirée, mais elle ne voulait pas s'avouer vaincu pour autant. Même si ce n'était que pour quelques minutes, quelques secondes, un moment suspendu dans le temps. "Venez danser avec moi, Lord Keynes." lui souffla-t-elle avec un sourire malicieux et un enthousiasme qu'elles espérait pouvoir être contagieux avant de se lever de sa chaise. Ne serait-ce que pour un morceau ou même la fin de celui qui était en train d'être joué. Et puis, les fois où ils pouvaient danser ensemble en tenue élégante devenait assez rare et c'était un détail suffisant pour que Joanne dans une image romantique qui la faisait un peu rêver. "Et ensuite, nous rentrerons chez nous. Dans notre monde à nous." Car elle se doutait bien que son mari ne voudrait pas s'éterniser ici, et elle ne serait pas contre de passer un moment totalement seul à seul avec lui.