Les élèves avaient sûrement passé toute la journée à tenter de deviner ce qui avait bien pu arriver à Mlle Davis pour que sa voix résonne beaucoup moins qu’à l’accoutumé dans les couloirs du lycée. D’ordinaire, elle ne passe pas plus de deux minutes avant de pousser une gueulante sur le premier élève qui se sentirait pousser des ailes et tenterait d’enfreindre le règlement de l’école comme ceux qui s’amuse à traîner dans les couloirs pendant les heures de classe. Sa voix ne se repose jamais, si bien même que le club de science a déjà tenté d’élaborer comment autant de décibels arrivent à sortir d’un si petit corps, sans succès. Mais, aujourd’hui, elle était restée calme. Elle avait choisie de débusquer ses sécheurs calmement, ce qui au final, était pire pour eux parce que ne l’entendant pas venir, ils y ont cru jusqu’au bout jusqu’à ce que la réalité les rattrape en un sursaut. Nota bene d’adopter cette technique plus souvent parce que ça les effraie plus maintenant. En attendant, il n’y avait pas de secret à ce silence, pas de rhume, pas de demande expresse de la direction de baisser d’un ton mais une sortie du vendredi soir entre copine au karaoké avait motivé cette décision. Après tout, Clara ne pouvait pas se présenter sans voix et risquer de ne pas tenir la soirée. Avant que Yasmine ne parte en Afrique, elles avaient l’habitude d’y venir et petit à petit, elles tentaient de la réinstaurer en venant une fois par mois : Clara avait donc un certain niveau de performance à retrouver pour briller sur scène et là, ça passe par prendre soin d’elle-même et de ses instruments. Aussitôt après les cours, elle avait filé à la maison où papa avait pu la voir défiler à toute vitesse dans les escaliers, telle une adolescente pour lancer sa préparation. Un seul mot d’ordre à sa tenue de ce soir : glamorous. Et en redescendant, trois heures plus tard, c’était en pleine conscience qu’elle avait rempli son objectif et des étoiles dans les yeux. Littéralement, parce qu’elle y est allée à fond sur les paillettes et pour cela, elle n’a pas pu éviter la vanne de papa la comparant à une boule à facette. L’important, c’est toutefois d’être prête et après une photo envoyée à Nicolas, c’est chez Yasmine qu’elle se dirige pour la récupérer. Une grand sourire se trace sur son visage quand l’infirmière entre dans la voiture, le genre qui lui demande clairement de lâcher un compliment sur son maquillage mais qu’il faut tout de même vocaliser un peu, la blonde se risque à papoter un peu. « Alors, comment ça ? J’ai pas osé rentrer dire bonjour à tes parents mais tu leur passeras le message ? » Oui, parce qu’habillée de la sorte, et même en ayant l’air d’une petite fille, la mère de Yasmine n’allait pas taire de remarquer sur cette utilisation outrancière de paillette et cela, Clara préférait l’éviter. « J’espère que t’es prête parce que j’ai passé la semaine à répéter mes chorés, on va m’prendre pour Britney. » Au moins, la jeune femme ne manque d’assurance pour ce soir.
Depuis une semaine, Yasmine tournait au remède des champions : eau chaude citronnée et miel. Le karaoké n’était pas une discipline à prendre à la légère, et puisqu'elle ne pouvait pas se permettre de se murer dans un silence sacré pour préserver son plus bel organe, elle s’était contentée de le bichonner en fonction de son état de fatigue ; qui n’allait pas en s’arrangeant au demeurant. Mais ses projets de sortie avec Clara l’ayant rengorgée d’un enthousiasme difficile à repousser, elle était prête à rester éveillée jusqu’au bout de la nuit pour mieux prouver aux amateurs du karaoké du coin que les reines de la fête dans cette ville, c’était elles deux, et personne d’autre. Elle le regretterait probablement le lendemain matin, quand elle devrait assurer sa garde avec entrain et professionnalisme. En attendant, elle comptait bien profiter de ces quelques heures passées en compagnie de sa Dancing Queen préférée pour évacuer toute la tension accumulée au cours de ces dernières semaines. Déterminée, Yasmine tenait à laisser ses pensées derrière elle, reléguant sa reprise d’études, Hassan et Ginny, Sohan et ses parents, ainsi que toutes ses angoisses, dans un coin reculé de sa conscience ; qu’elle aussi, elle voulait consigner à la maison, pour une fois. Où est-ce que ça la mènerait, elle ne le savait pas tout à fait. Cependant, elle avait suffisamment confiance en Clara pour lui laisser la lourde fonction de la faire redescendre sur Terre si jamais elle perdait pied. D’une façon assez singulière, compte tenu de son tempérament raisonnable et raisonné, ce soir, c’était un peu ce à quoi la jeune femme aspirait en secret.
Se penchant devant le miroir de sa coiffeuse, elle rétracta son bâton de rouge à lèvres rouge foncé, puis se redressant d’un coup, elle lança un regard, trop critique, à son propre reflet. Elle grimaça un peu en replaçant les bretelles de sa robe noire – d’une simplicité qui la caractérisait bien, malgré le mémo des paillettes passé par Clara, et qui laissait néanmoins entrevoir un décolleté plutôt audacieux considérant la pudeur dont elle faisait preuve en permanence. Elle marqua une pause dans son autocritique, et conclut avec sévérité que, de toute façon, elle la trouverait plus jolie sur quelqu’un d’autre. Elle donna du volume à sa tignasse fraîchement coupée, pensant donner plus d’harmonie à ce visage bardé de marques de fatigue – ce n’était pas faute d’avoir dégainé l’anticernes, pourtant. Tout en se disant que c’était un peu trop tard pour envisager de changer d’enveloppe corporelle, elle se détourna du triste spectacle auquel elle s’était soumise. Trottinant sur ses talons, elle s’aspergea de quelques gouttes de parfum sucré, et ne s’attardant pas davantage, elle embarqua son sac et son blouson qu’elle enfila et boutonna jusqu’en haut ; direction le rez-de-chaussée.
« Clara m’attend, elle dit salut. » lança-t-elle, tout en descendant les escaliers en cadence « Inutile de veiller, je risque de rentrer tard. » termina-t-elle alors en arabe. Ses parents étaient au salon, elle y passa la tête, puis se résignant à aller les embrasser tous les deux, elle se pencha sur leurs fronts ; son père lui fit un clin d’œil, et il retourna bien vite à son gros bouquin de photographies ; sa mère rentra le menton en jetant un œil scrutateur à son maquillage, plus prononcé qu’à l’accoutumé. Elle essayait sans doute de s’imaginer ce qui se cachait derrière la boutonnière de cette veste trop strictement fermée pour que ça soit honnête. Néanmoins, après une longue analyse de la silhouette de sa petite dernière, elle finit par lui murmurer, et ce, avec un sourire en biais « On t’a bien réussie, ma fille. » Une façon comme une autre de lui faire savoir qu’elle la trouvait jolie. Parce que ça la touchait plus qu’elle ne l’avouerait jamais, Yasmine lui déposa un autre baiser sur le front. Elle tourna rapidement les talons, pour ne laisser entrevoir rien d’autre que sa nonchalance, quand elle osa ajouter ce petit quelque chose qu’elle disait trop rarement « Je vous aime. Dormez bien, à demain ! » Puis enfin, elle sortit rejoindre la voiture de Clara, faisant mine de défiler pendant tout le trajet qui constituait l’allée du #121. Retenant un rire, elle s’engouffra dans la voiture, et aussitôt, elle fit claquer la portière derrière elle « Déjà fait. » l’informa-t-elle. Elle posa son sac sur ses genoux, s’agita sur son siège, et elle se tourna de trois-quarts pour admirer Clara dans toute sa splendeur « T’es sans doute le plus beau sapin de Noël que j’aie jamais vu. Et c’est un compliment. » Vu le peu de sapins de Noël auxquels elle avait été confrontée au cours de sa jeune vie de musulmane modestement pratiquante, c’en était un, irrémédiablement. Elle boucla sa ceinture de sécurité, déboutonna un peu sa veste pour qu’elle évite de craquer sur le trajet jusqu’au bar-karaoké, et sur un ton surexcité, elle fit « Archi-prête ! Démarre. » Elle était à deux doigts de faire un bruit de klaxon, mais elle estima que la beauferie n’avait pas sa place dans ce convoi où le glamour, en revanche, était le maître mot. Elle préféra donc dire « T’as plutôt un air de Kylie. » Et ça n’avait rien à voir avec le fait que, comme leur compatriote australienne, Clara était une lilliputienne. Yasmine précisa « Minogue, pas Jenner. Tu vaux mieux. » Tendant le cou, l’air de rien, dès que la voiture passa devant chez Hassan ; elle faillit lâcher un R.A.S., mais se ravisa à la toute dernière seconde pour se tourner vers la conductrice, les yeux tout écarquillés « Hey, on se fait un petit warm-up avant le grand coup d’envoi ? Je te laisse choisir la musique, j’ai confiance. » Et presque religieusement, elle se racla la gorge, juste après avoir rabattu à deux mains ses cheveux derrière ses oreilles.
Elle a l’air d’une véritable petite puce, bien excitée sur son siège au point que l’on pourrait trouver ça dangereux de la laisser conduire. Clara ne tient pas en place. Cela fait bien trop longtemps que les filles ne sont pas sorties pour l’une de leur soirée et avec l’entrainement intensif qu’elle s’était imposée depuis qu’elles avaient convenu de la date, Clara avait eu le temps de faire grimper l’excitation pour qu’aujourd’hui ait des airs de jour de Noël et maintenant que Yasmine est montée en voiture, le spectacle peut commencer et afin de s’épargner quelques minutes qu’elle préfèrerait éviter de perdre en écoutant la mère de Yasmine souligner combien il est dommage de maquiller un si joli visage d’autant d’artifice, elle propose à Yasmine de lui transmettre un bref salut. « Déjà fait. » Démarche que sa passagère a visiblement déjà eue et anticipée à son plus grand plaisir. « T’es sans doute le plus beau sapin de Noël que j’aie jamais vu. Et c’est un compliment. » Qu’elle ajoute en réponse au regard de Clara qui l’invite – oblige même – à lâcher un commentaire sur la tenue qu’elle avait mis des heures à préparer. Le thème qu’elle avait imposé, plus pour elle-même que pour elle deux, était : paillette. N’importe qui qui n’avait pas eu le message pourrait se poser la question si elle n’avait pas simplement choisi de s’habiller en drag Queen tant elle avait forcé sur le glamour. Toujours est-il que maintenant qu’elle a reçu un compliment, Clara papillonne des yeux avant de démarrer le moteur et de suivre les ordres de sa meilleure amie. « Archi-prête ! Démarre. » Rapidement, parce qu’elle imagine que de son côté, elle en a fait de même, elle lui partager son entrainement et le fait d’être on fire, prête à déchainer la piste tel une Britney pré-Timberlake. « T’as plutôt un air de Kylie. » coupe Yasmine, occasionnant une réflexion chez la jeune blonde à savoir s’il s’agit d’un compliment de sa part ou d’une vanne parce que soyons très clair, il y’a une hiérarchie des divas à respecter et qu’elle n’accepte pas la comparaison avec n’importe qui. « Minogue, pas Jenner. Tu vaux mieux. » Elle précise et Clara décide de son côté que le compliment est là, au moins pour le côté patriotique de l’analogie. Le regard plongé sur la route, un léger silence qui s’installe le temps que Clara quitte le quartier et voilà sa voisine qui propose une idée. Pile ce qu’elle avait en tête. « Hey, on se fait un petit warm-up avant le grand coup d’envoi ? Je te laisse choisir la musique, j’ai confiance. » Elle rigole. Tout était déjà prêt bien sûr. « J’attendais justement que tu me dises ça, j’ai choisi le morceau ultime, le test pour savoir si tu es toujours au top ou si tu as perdu du skills. » Et sans attendre, son doigts presse le boutons play et c’est la mélodieuse voix de Gloria Estefan qui retentit dans toute la voiture et que Clara s’empresse d’entonner, se faisant une joie de montrer sa maitrise de toute la charabia dont on pensait que seule Gloria était capable de débiter. La chanson reste suivie de classique toute aussi entrainant jusqu’à ce que la voiture soit garée sur le parking de leur endroit de prédilection. Les portes claquent. Les regards se tournent vers elle ne laissant pas de toute sur sa destination.
Un sourire en coin égayant la mine de défi que la brunette venait de revêtir, elle lança un regard en douce vers Clara. On pouvait lui faire confiance pour gentiment faire monter la pression. Passée la nanoseconde où Yasmine fût tentée de défendre ses fameux skills avec une véhémence exagérée, elle retint un instant sa respiration à la place, parée à accueillir la révélation du titre que sa meilleure amie avait choisi pour définitivement se préparer à battre des records au bar-karaoké. Faisant des exercices pour préparer sa voix, elle brassa bruyamment de l’air, et fit claquer sa langue sur son palais avec l’expertise d’une choriste. Le panel était large, de Dolly Parton à Nicki Minaj, et comme Clara n’était pas en reste en termes de culture musicale, mais surtout en terme de guilty pleasures mélodiques qu’elle partageait au plus grand désarroi de leur famille respective, un rapide inventaire se soumit à elle pour poser le doigt sur le meilleur titre pour les mettre dans l’ambiance. Il y en avait tellement qu’elle abandonna rapidement. Remplissant soudain le minuscule habitacle, la mélodie endiablée de Gloria Estefan que lança Clara lui fit ouvrir de grands yeux, marquer un temps pour se caler sur le rythme qui faisait vibrer son cœur et ses tympans, puis remuer sur son siège dans une tentative de limbo ratée, malgré son enthousiasme sincère et communicatif « J’adore cette chanson ! » pépia-t-elle par-dessus le charabia entonné par Clara avec, il fallait le dire, un talent qu’elle lui enviait un peu. Il y avait des moments où elle se demandait si, dans une réalité alternative, elles n’avaient pas fait partie d’un girls band. Après tout, elles pourraient facilement rentrer dans les stéréotypes mis en place par les maisons de disques pour faire vendre leur soupe sans faire trop d’efforts. Clara, la mini-pouce blonde à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, néanmoins aux idées bien arrêtées et qui défend la cause féministe à grands coups de punchlines savoureuses reprises par tous les canards à l’éthique douteuse ; Geri Halliwell n’a qu’à bien se ternir, la relève Girl Power est assurée. Yasmine, l’atout exotique du groupe, celle qu’on place là pour éviter de s’attirer les foudres de la bien-pensance pour qui le whitewashing se défend bec et ongles, discrète et modeste sur son rôle au sein du groupe, mais douée pour faire passer ses combats en douceur, et pour polir l’image surfaite de ses petites camarades de jeu. Un équilibre parfait.
Outre leur supposée vie antérieure au sein d’un groupe de musique, ça avait toujours été à cause de leurs différences que les filles s’étaient rapprochées. Il y aurait eu si peu de chance pour qu’elles deviennent amies à un moment donné de leur vie, que le lien qu’elles avaient crée en ressortait davantage plus fort lorsqu’elles s’en apercevaient. Aujourd’hui, Yasmine n’imaginerait pas continuer sans le petit grain de folie que Clara ajoutait à sa vie. Aussi, elles n’avaient pas besoin de parler beaucoup pour savoir quand quelque chose clochait. D’ailleurs, Clara lui avait vaguement parut éteinte les fois où elles s’étaient vues depuis son retour d’Afrique. Yasmine étant elle-même dans une passe difficile, lui laisser le bénéfice du doute, et considérer que c’était peut-être elle qui jugeait mal sa façon de faire, lui avait semblé être la meilleure tactique à adopter pour mieux la comprendre – ça n’avait pas été un franc succès, il fallait donc qu’elle revoit sa copie. Profiter de leur proximité et de leur complicité pour en savoir davantage et se détourner un peu de ses propres difficultés dans la manœuvre était une mission qu’elle avait à cœur de compléter. De ce fait, quand elles sortirent de la voiture pour évoluer sur le parking bien rempli du bar-karaoké, remontées à bloc pour donner une leçon aux amateurs du quartier, elle lui lança avec malice, encore essoufflée d’avoir tout donné pour s’échauffer :
« T’es sûre que tout va bien ? » Elle harponna son sac à main, puis déplaçant ses cheveux sur tout un côté de son épaule, Yasmine se redressa en faisant une moue qui annonçait sa petite comédie « Tu m’as même pas fait un seul compliment sur ma tenue ou sur mon maquillage. » Une tenue toujours dissimulée sous l’épaisseur de sa veste boutonnée jusqu’en haut, ceci dit. Elle regarda en l’air, s’approchant de la jeune femme en mimant la vexation. Elle joignit les pieds, se plantant à quelques mètres d’elle, et attendant qu’elle la rejoigne, elle croisa les bras pour faire bonne mesure. Le nez froncé, elle poursuivit sur le même ton faussement plaintif « OK, j’ai laissé les talons au placard, mais j’ai quand même mis du rouge à lèvres, ça compte. » Une teinte audacieuse en plus de ça. Elle repoussa un rideau de cheveux du bout des doigts pour compléter la panoplie de la diva de bas-étage qu’elle tentait d’imiter, rassemblant des trésors de mauvaise foi pour arriver à son but ultime « Franchement, ça mérite une mention bel effort, et rien… je suis déçue. » Elle secoua la tête, baissant les yeux pour parfaire le tout. Enfin, ne pouvant tenir le rôle de la vaniteuse de service plus longtemps, déjà embarrassée d’avoir fait preuve d’autant de présomption, elle toupilla sur ses talons. Attrapant le bras de Clara pour glisser le sien dessous, elle laissa échapper un rire qui mit un terme à sa petite mise en scène, tandis qu’elles s’avançaient vers l’entrée du bar-karaoké.
Dernière édition par Yasmine Khadji le Dim 10 Fév 2019 - 22:20, édité 1 fois
D’être capable de chanter correctement tout en gardant le rythme avec cette chère Gloria devrait devenir une discipline olympique tant l’exercice demande du rythme et d’avoir de la respiration. Nul doute que la cubaine avait dû au moins gagné le cent mètre dans une autre vie pour avoir pu mettre en éclat cette performance, qui depuis est prise comme un défi personnel par toutes les divas érudites du monde du karaoké. Du moins, pour Clara, cela avait été un challenge et elle est fière, ce soir, de pouvoir montrer à Yasmine qu’en son absence, elle était parvenue à atteindre un objectif de sa vie, aussi minime et puéril qu’il puisse être. « J’adore cette chanson ! » Et on peut voir sur le visage de la lilliputienne qu’elle le sait et qu’elle est très fière d’avoir su taper dans le mille avec un titre qui n’est over-diffusé – comme le peuvent être les Spice Girls – dès que l’on cause de karaoké. Nul doute que toute personne à l’extérieur n’a détourné le regard pour observer la mini-voiturette criante d’une musique exotique circuler dans la rue comme si aujourd’hui avait été la fête nationale. Aucune victime à déplorer toutefois, parce qu’après tout : le ridicule ne tue pas.
« T’es sûre que tout va bien ? » demande Yasmine, juste après que les portières de voiture eurent été claquées et alors que Clara rassemble ses affaires, prête à faire la fête comme à son habitude. La question l’interpelle et c’est un regard empli d’incompréhension qu’elle offre à Yasmine. A vrai dire, la question qu’elle se pose surtout c’est : d’où ça sort cette inquiétude ? « Tu m’as même pas fait un seul compliment sur ma tenue ou sur mon maquillage. » ajoute Yasmine, amenant Clara à se demander si telle est réellement la raison de ce questionnement inopportun, l’amenant à réaliser qu’en effet, elle n’avait pas lâché un mot sur la tenue de son amie et que l’idée ne l’avait pas traversé. Pas par égocentrisme, mais parce que l’excitation du moment l’avait empêché – comme à chaque fois que son mode pile électrique est ouvert – à se concentrer sur plus d’une seule chose à la fois. « OK, j’ai laissé les talons au placard, mais j’ai quand même mis du rouge à lèvres, ça compte. » Yasmine prend un air de comédienne, rassurant pas mal Clara sur le moment qui n’allait pas tarder à se demander si elle avait fait quelque chose de mal. L’air toujours aussi dubitatif, elle finit par réaliser que Yasmine joue un jeu. La question n’en est pas moins résonnante en elle : est-ce que tout va bien ? « Franchement, ça mérite une mention bel effort, et rien… je suis déçue. » Le sourire se trace sur le regard de la blonde qui observe son amie atteindre des sommets divaesques encore jamais atteint, sauf par la plus grande paire de melon du show business (et on ne parle pas là de sa poitrine) on a nommé … « C’est vrai que, vu sous cet angle, tu as tout d’une Mariah Carey. » Et usuellement, si les deux jeunes femmes n’étaient pas en train de jouer une comédie, cette comparaison aurait eu des airs d’insultes venant de Clara qui n’a jamais rien trouvé de talentueux chez la bimbo. Donnant bien volontiers son bras à son amie, elles ne tardent pas à finalement pénétrer dans le lieu qui sera bientôt connu pour être le berceau de leur gloire. Sans prendre un seul instant peur face à la nana qui s’exécute sur une version vue et revue de My Heart will go on, les filles s’installent à table, n’ayant plus qu’à attendre d’être appelée sur scène pour chanter les chansons qu’elles ont au préalable envoyées à l’organisation. « Bon, vu que ça risque de prendre du temps avant qu’on passe, que pense tu de penser à l’hydratation ? » Qu’elle demande, carte des cocktails déjà en main, Clara ne perd pas le nord. « Et puis, tiens ! » Qu’elle ajoute, faisant glisser ses clés de voiture jusqu’à Yasmine. « Je pense que c’est mieux que tu conduise au retour. » Parce que si Clara ne comptait malgré tout pas se mettre de race afin de garder la face sur scène, elle sait pertinemment qu’elle aura assez à boire pour faire péter le ballon. « A charge de revanche, t’auras le droit de me demander n’importe quoi après ! » Qu’elle propose en compensation, sa main qui hèle déjà le service.
« T’essaies de me faire subtilement comprendre que j’ai pris du poids, c’est ça ? » Le temps de jeter un coup d’œil, à peine inquiet, à son fessier, plus moulé dans sa robe du soir que d’ordinaire, n’en déplaise à sa pudeur, et Yasmine décida de se contenter de la rhétorique de Mini Pouce Davis. Même si, très clairement, être comparée à Mariah Carey ne lui procurait pas autant de joie que d’être comparée à Beyoncé, c’était évident, il fallait néanmoins savoir se contenter de peu dans la vie. Puisqu’elle était bien décidée à passer une bonne soirée, c’est ce qu’elle fit. Et c’est bras-dessus, bras-dessous, qu’elles firent enfin leur entrée sous les vocalises ratées d’une Celine Dion au rabais. Le naufrage était assuré avec un choix de chanson pareille – no pun intended, quoique – et pendant qu’elle grimaçait, ses pauvres tympans manquant de se mettre à suinter – elle eut une pensée émue pour son collègue de la morgue du St-Vincent’s qui, à n’y pas manquer, aurait pleuré des larmes de sang en entendant le titre phare de son idole être massacré de la sorte –, elle s’installa à la table choisie par Clara. Si elle s’était aperçue qu’elle avait prit soin d’éluder sa question concernant son état d’esprit, sitôt qu’elles étaient descendues de leur carrosse, Yasmine ne revint pas dessus pour l’instant, pas habituée à insister. A la place, elle adressa un sourire à la jeune femme qui s’aventurait déjà à choisir son poison, et tandis qu’elle faisait glisser son trousseau de clefs dans sa direction, l’infirmière les lui renvoya, les faisant glisser dans le sens inverse, tout en argumentant avec verve « Tu devras faire un petit effort de sobriété ce soir, Thumbelina. » Elle déboutonna le haut de sa veste, prenant soin de ne pas l’ouvrir trop grand, et la gardant sur le dos le temps d’englober le bar d’un regard circulaire ; à ce moment de la chanson qui continuait à être souillée par l’amateur monté sur scène, ce pauvre DiCaprio devait déjà avoir touché le fond de l’océan, et grand bien lui faisait, tant c’était douloureux à supporter, mais pas assez pour stopper la brunette, qui poursuivit donc, d’une voix claire et déterminée « J’ai décidé de tester les cocktails pour adultes, ce soir. C’est un grand moment. » Ce que maman ne sait pas ne peut pas lui faire de mal, c’était devenu un mantra qu’elle se répétait si souvent au cours de ses longues journées, que les rares fois où elle parvenait à trouver le sommeil sans trop difficulté, elle était réveillée en pleine nuit par cette doctrine qui faisait pleinement partie de sa ligne de conduite. Car faire une entorse à ses principes, pas seulement de vie, mais surtout de religion dans ce le cas présent, ça ne lui était pas arrivé très souvent au cours de sa jeune vie. Mais depuis quelques temps, elle avait besoin de se prouver que, déroger à des règles aussi strictes, des règles qu’elle avait assimilées depuis sa plus tendre enfance pourtant, ne pourrait pas lui faire autant de mal que le prétendait les textes qu’elle avait vaguement étudiée, contrainte à la pratique d’une foi qu’elle tachait de respecter le plus possible, sans pour autant être très assidue non plus. Elle avait 30 ans, un peu tard pour faire sa crise d’adolescence, et pourtant « OK, c’est toi l’experte, alors dis-moi : » Passant une main baguée dans ses cheveux mi-longs, elle glissa sur la banquette pour se mettre tout à côté de sa meilleure amie, et jeta un œil incertain aux différents intitulés de cocktails qui s’étalaient devant ses grands yeux soulignés par une subtile couche de mascara « Qu’est-ce que tu me conseilles pour une première fois ? »
C’était bien une première fois, et comme toutes celles qu’elle avait connues au cours de ces dernières années, elle l’animait d’un sentiment d’excitation qu’un grand sourire lumineux vint parfaire, et qui lui permettrait de négligeait la pointe de culpabilité qui lui contracta le ventre quand, dans l’intimité de ses pensées immédiates, elle se répéta inlassablement : ce que maman ne sait pas ne peut pas lui faire de mal.
Parce que la sécurité avant tout ; et surtout parce qu’après avoir rabâché des milliers de fois à ses élèves que boire ou conduire, il faut choisir ; elle n’attend pas de s’être mise mal pour tendre ses clés à Yasmine afin de s’assurer que ce soit elle qui les ramène ce soir, saine et sauve. C’est une bien mauvaise habitude que d’assumer que sa copine sera opée pour faire le chauffeur mais ça coulait de source aux yeux de Clara puisque Yasmine ne buvait jamais d’alcool et que la blonde n’allait certainement pas prendre le volant et le risque de les faire finir dans le fossé. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est un fond de maturité qui se cache derrière les anticipations égoïstes de Clara. « Tu devras faire un petit effort de sobriété ce soir, Thumbelina. » annonce Yasmine, lui rendant ses clés aussi vite que la blonde les a dégainé, l’amenant à l’interroger du regard avec surprise parce qu’elle n’aurait jamais vu venir ce retournement de situation et encore moins celui qui s’en suit, parce que si elle aurait compris que Yasmine en ait marre de ramener une Clara fortement alcoolisée, elle n’aurait jamais imaginé que son refus soit motivé par l‘idée d’inverser les rôles pour une fois. « J’ai décidé de tester les cocktails pour adultes, ce soir. C’est un grand moment. » Autant dire que Clara en est bouchée-bée parce qu’on parle là d’une entorse qui touche à plus que le mode de vie de Yasmine mais directement à sa foi et en l’obéissance qu’elle donne toujours à ses parents et les questions fusent dans la tête de Clara pour savoir d’où vient ce changement et cette motivation. « OK, c’est toi l’experte, alors dis-moi : » Elle tente de ne pas rebondir sur le qualificatif « d’experte » bien que subitement elle ait vraiment l’impression d’être une ivrogne mais continue à tomber des nues forcée de constater que sa copine ne rigole pas. Mais pas du tout. « Qu’est-ce que tu me conseilles pour une première fois ? » Une question qui aurait fortement mis Clara mal à l’aise sorti du contexte « alcoolique » de la conversation. A vrai dire, vu comme Yasmine en parle, ça semble facile que de faire boire de l’alcool à quelqu’un, comme s’il s’agissait de juste choisir un cocktail mais la vérité, c’est que c’est un domaine bien plus compliqué que ça et que papa l’avait déjà un peu formée avant qu’elle n’atteigne l’âge adulte. Bon, maintenant, on comprend pourquoi Yasmine vient de la qualifier d’experte-ivrogne. « Tu t’attend sérieusement à ce que je t’apprenne l’alcool en cinq minutes devant une carte de cocktail ? » Elle se moque un peu avec sa question, mais étrangement elle arrive à prendre le challenge très au sérieux même s’il n’est là, probablement pas encore question de partir à la conquête du meilleur bourbon. Délicatement, elle retire la carte des cocktails de la main de Yasmine avant d’ajouter. « Et si on commençait par un simple verre de vin ? » Histoire de commencer soft, parce qu’on aura beau mettre tous les fruits possibles dans un cocktail, elle anticipe déjà sa face de dégout. « Et ensuite, si tu m’expliquais d’où te vient ce revirement de situation ? » Non parce que Yasmine a beau être une adulte accompli, Clara garde le sentiment d’être en train d’aider une enfant qui n’est pas en âge à se murger tant elle sait que l’interdit est fort et en temps normal, respecté.
Face à l'étonnement de Clara, et il y avait de quoi en faire preuve si on la connaissait un tantinet, Yasmine se défendit avec flegme. Les yeux rivés sur la carte des cocktails, qu'elle entendait bien consulter encore quelques instants malgré les conseils avisés de sa mini-comparse, ce fût avec l'air de ne pas y toucher qu'elle fit "Je peux boire, c'est l'enivrement qui m'est interdit. Et je compte pas me biturer, je te rappelle qu'on a un spectacle à assurer." D'un coup de menton pointé en direction de la scène, investie par une autre catastrophe auditive, elle ajouta avec entrain "Ce sera bientôt notre tour. Hey, mais !" Et la bouche grande ouverte, elle laissa son désaccord s'exprimer gentiment lorsque la blondinette lui subtilisa la carte, alors que son regard suspicieux, paupières plissées pour mieux faire le point, s'était fermement arrêté sur l'intitulé Sex on the Beach ; un appel du pied si peu subtil que ça l'avait fait légèrement sourire en se demandant si c'était une tactique qui fonctionnait pour arriver à ses fins. Enfin, elle essaya bien de la reprendre, cette fameuse carte, tendant le bras pour l'attraper, mais elle battit très rapidement en retraite, et finalement, elle posa sagement ses mains jointes sur la table en prenant une moue teintée de circonspection. En fond sonore, Without You de Mariah Carey était massacré à coup de fausses notes, si bien que pendant qu'elle réfléchissait, Yasmine posa un doigt sur son tragus gauche pour éviter à son tympan le plus exposé de trop souffrir des ultrasons envoyés dans leur direction. Mais elle en était sûre, ses oreilles ne sortiraient pas indemnes de cette soirée chantante "J'aime pas le vin." Pause "Je crois" finit-elle par lâcher avec hésitation, et elle se laissa basculer en arrière pour que son dos vienne s'appuyer contre la banquette qu'elles avaient choisi d'occuper.
Comment le savoir, en vérité ? Si effectivement, c'était l'enivrement qui lui était interdit, elle n'avait pour autant jamais démontré un quelconque intérêt pour l'alcool avant ce soir. Elle avait trop souvent été confronté à l'ivresse pour avoir envie d'y mettre le nez – la moitié du temps ça n'avait rien de joli, d'enviable encore moins. Pourtant, il y avait des moments où elle se disait que se laisser prendre au jeu, ce serait se donner les moyens d'oublier ce qui la taraudait. A moins qu'elle faisait partie de ceux qui avaient l'alcool triste, et qui au lieu de profiter gaiement de l'échappatoire offert par ses effluves, préféraient ruminer, avant de tout laisser sortir en une flaque nauséabonde. Là encore, impossible de le savoir, elle n'avait jamais été ivre, et tandis qu'elle empruntait une mine d'innocence pure en succombant à l'un de ses célèbres haussements d'épaules pour répondre aux interrogations de Clara, elle enleva enfin son blouson qu'elle posa sur ses genoux. Elle se sentit plus exposée, et elle l'était, mais elle ne se démonta pas, et succomba à la tentation de le réenfiler aussitôt, préférant se concentrer sur l'expression du visage de sa meilleure amie. Par deux fois, Yasmine ouvrit et referma la bouche, puis elle se décida à dire, sur un ton un peu moins léger "Envie de m'ouvrir à l'expérimentation, ça t'es jamais arrivée ?" En lui posant la question, elle leva très brièvement les sourcils "Tu sais, d'aller fureter là où tu seras peut-être pas autant heureuse, mais ça t'importe pas vraiment : t'as quand même besoin d'aller vérifier pour être sûre que tu rates pas ce petit quelque chose qui semble te manquer ?" De son côté, elle était en retard de quelques années, mais comme le disait le bon vieux proverbe : vaux mieux tard que jamais.
C’est sans surprise que Clara tombe des nues à l’annonce de Yasmine au sujet de s’essayer à l’alcool ce soir parce que même si les dires de la jeune femme n’incluent pas nécessaire qu’il puisse s’agir de plus qu’un verre, la connaissant – et connaissant chaque membre de sa famille – une goutte serait déjà quelque chose d’énorme et tout cela Clara pantoise, dubitative quant à la façon dont elle doit réagir et répondre. En soi, à son âge, ça n’a rien de bien choquant mais malgré tout, elle ne peut s’empêcher d’imaginer qu’il existe une vraie raison quand à cette décision et avant d’accéder à une requête que son amie pourrait regretter, elle préfère tout de même s’assurer que c’est bien réfléchi et surtout, que ça ne lui retombera pas dessus à l’avenir. "Je peux boire, c'est l'enivrement qui m'est interdit. Et je compte pas me biturer, je te rappelle qu'on a un spectacle à assurer." Précise Yasmine, amenant Clara à se demander pourquoi elle ne prend pas ses clés si tout ce qu’elle est prévu, c’est de siroter chastement un cocktail dans son coin. D’ici à ce qu’elles partent, ce sera digéré. Mais, ne voulant pas passer pour la nana qui a absolument besoin de se retourner la tête pour s’amuser, elle se contente de répondre en haussant les épaules. « Mes excuses, je n’avais pas saisi la nuance. » Non, parce qu’au final, la vraie nouveauté aurait été l’enivrement de Yasmine et non pas le fait qu’elle se décide à tremper les lèvres dans un cocktail qui pique. "Ce sera bientôt notre tour. Hey, mais !" Sans attendre, Clara se saisit de la carte afin de prendre sa mission au sérieux et qui mine de rien, a grimpé en difficulté maintenant qu’elle sait qu’elle ne pourra pas lui faire essayer toute la carte. Quelque part, c’est presque aussi difficile que de choisir du vin au restaurant son affaire. Parlant de vin, elle ne tarde pas à proposer à Yasmine d’en prendre un verre avant de commencer, vu que c’est selon elle, le mieux pour commencer doucement. "J'aime pas le vin." Ajoute Yasmine, alors que Clara tente de garder son attention vers elle et non vers la demoiselle qui semble être en plein accident vasculaire cérébral sur scène. "Je crois" Et elle fait bien de préciser, parce qu’à la minute d’après, la blonde l’interroge du regard pour vérifier la véracité de ce postulat puisque, à ce qu’elle sache, elles parlent d’une première fois. « As-tu déjà bu du vin ? » poursuit Clara, histoire de fixer la chose et de savoir où s’en tenir avant de se dire qu’après tout, la requête de Yasmine reste rhétorique dans son ensemble parce que tant qu’elle n’aura pas la moindre piste sur les préférences de son amie, elle ne pourra rien lui conseiller qui ira avec ses goûts. "Envie de m'ouvrir à l'expérimentation, ça t'es jamais arrivée ?" demande-t-elle, lui posant une colle parce que si avant qu’elles soient amies, Clara avait déploré le fait que Yasmine ait l’ait coincée et qu’elle ne fasse pas ce que grande nombre de jeunes filles de leur âges font, Clara avait réussi à devenir une personne mature qui n’obligeait personne à rien et si Yasmine n’avait jamais souhaité aller à l’encontre de ses principes, elle n’allait pas l’en forcer. Ce n’est pas non plus si ouf que ça la picole dès qu’on retire son côté enivrant qui autorise à mettre les soucis au placard. "Tu sais, d'aller fureter là où tu seras peut-être pas autant heureuse, mais ça t'importe pas vraiment : t'as quand même besoin d'aller vérifier pour être sûre que tu rates pas ce petit quelque chose qui semble te manquer ?" C’est peut-être parce qu’elle parle d’aller fureter ailleurs qui produit cet effet mais Clara se sent étrangement assez mal à l’aise face à la question de Yasmine, le propos quelque peu masqué l’amenant rapidement à faire un parallèle à sa propre situation, le faire d’aller voir ailleurs sans que ça ne la rende heureuse mais de le faire quand même parce qu’on ne sait jamais e à côté de quoi elle passerait. « Est-ce que l’on ne parle bien que d’alcool ? » finit-elle par demander, non parce qu’elle se dit que Yasmine a percé son p’tit secret mais bien parce qu’elle veut lui dire quelque chose sans oser le faire. Il semblerait que son amie soit venue avec quelque chose en tête et ça, ça l’inquiète. Finalement, en dernier geste, elle rend la carte à la brune en précisant. « Prend ce que tu veux, si tu n’aimes pas, je finirais. Sauf le mojitos, c’est une boisson pour filles quelconques. » Qu’elle se permet de juger, s’étant déjà retenu de balancer quoique ce soit sur le dindon qui braille sur scène.
Une moue dubitative réhaussa les lèvres pleines et colorées de Yasmine lorsque Clara lui demanda si elle avait déjà bu du vin. Elle se dandina sur son siège, faisant involontairement crisser la matière indéterminée du mobilier sous ses fesses rebondies "Je dirais pas ça comme ça." Ce qui, finalement, n'était rien d'autre qu'un aveu catégorique, puisque non, elle n'avait jamais osé tremper ses lèvres dans un verre de vin. Le regard perdu dans le vide, bras nonchalamment croisés sur son décolleté en guise de protection, elle grimaça en entendant les notes aigues difficilement atteintes par la jeune femme qui s'époumonait non loin d'elles. Le vin reflétait une dimension toute particulière pour la jeune femme, qui plus est ; c'était la boisson sacrée des chrétiens, et plus encore que les autres alcools disponibles sur le marché, celui-là avait encore moins de succès dans sa communauté. Et puis franchement, si on lui demandait son avis sur le sujet, l'enthousiasme autour de ce breuvage, elle le trouvait vraiment exagéré. Sincèrement, quitte à boire du jus de fruits fermentés, autant que ce soit celui d'un fruit plus original que le raisin. Se râclant la gorge, elle se pencha en avant – après avoir pris soin de réajuster les bretelles de sa robe pour éviter tout accident malencontreux –, et s'accouda à la table. Laissant filer un brin de malice sur son visage embelli par le maquillage, Yasmine poursuivit ses explications à propos de ce revirement étrange de ligne de conduite – quoi qu'encore une fois, à son âge, elle avait tous les droits de changer d'avis, et puis foncièrement, ce n'était pas comme si elle était très assidue dans la pratique de sa foi depuis quelques temps ; de quoi faire vociférer Amjad et Fatima qui, eux, étaient plutôt stricts dans leur façon d'envisager leurs croyances, et c'était tant mieux pour eux.
Remisant ses questionnements spirituels un peu plus loin dans ses pensées, et gardant sur le visage une expression mi-figue mi-raisin (décidemment), elle regarda Clara dont la réaction interrogative la fit hausser très légèrement les sourcils "Pourquoi, j'ai l'air de parler d'autre chose que d'alcool ?" Et à ce moment-là, si elle avait eu un cocktail dans les mains, elle aurait le plus innocemment du monde mordillé l'extrémité de sa paille surmontée d'une ombrelle en battant paresseusement des paupières ; vraiment, on sous-estimait l'effet théâtrale qu'un verre pouvait apporter à une scène comme celle-ci, même s'il n'était rempli que d'eau gazeuse. Se redressant légèrement, Yasmine attrapa la carte que Clara lui tendait de nouveau. Elle ne la rouvrit pas, néanmoins. Elle préféra la poser devant elle pour lancer à la jeune femme un regard fixe, tête légèrement penchée sur le côté, et lèvres réduites en une ligne mince, presque invisible. Ce qui l'inquiétait le plus en s'apercevant que Clara était aussi élusive depuis quelques temps, c'était que quelque part, elle reflétait exactement son attitude de ces derniers temps, que ce soit avec Ginny, et plus particulièrement, avec Hassan qu'elle évitait même de croiser en usant et abusant de prétextes facilement vérifiables, pour le peu qu'on s'en donnait les moyens. La blondinette, qui avait vécu tout un panel d'expériences qui la rendaient plus aguerrie que l'infirmière sur ce terrain, ne lui paraissait pourtant pas très bien gérer l'aspect mystérieux qui l'entourait. En fait, et peut-être n'était-ce qu'à ses yeux, elles manquaient de naturel, toutes ses tentatives de paraître aussi pimpante qu'à l'accoutumée ; d'ailleurs, c'était avec horreur que Yasmine se disait que, si Clara ne réussissait pas à faire bonne figure alors qu'elle était plutôt douée pour ça d'habitude, elle-même devait s'être fait démasquer depuis des semaines, de quoi la forcer à revoir sa copie une bonne fois pour toute, et cesser de se cacher derrière des excuses par crainte d'affronter la dure réalité des choses. S'accoudant de nouveau à la table, Yasmine laissa un blanc s'installer. Le silence ne retomba pas complètement toutefois ; sitôt la massacre de Mariah Carey terminé, un autre débuta sans crier gare. Pas assez vite cependant pour contrer la reprise de paroles de Yasmine qui, sans vraiment y réfléchir, foncièrement inquiète que son amie puisse cacher quelque chose de plus grave qu'il n'y paraissait, lança à la petite blonde "Davis ?" Elle passa rapidement sa langue sur ses dents, et un sourcil dressé en accent circonflexe, elle ajouta d'un ton rauque "Si tu me dis ton secret, je te le dis mien."
Sa question relève de la pure rhétorique, parce que Clara connait Yasmine et que bien sûr, cette dernière n’a jamais trempé les lèvres dans un bon verre de vin mais ce que Clara essaie de soulever là, c’est que l’on ne peut pas savoir sans connaître et qu’elle sait que le refus de Yasmine est motivé par un préjugé et non un véritable retour d’expérience. Elle n’insiste cependant pas puisque comme tout être humain, elle imagine qu’elle restera campée derrière ses positions et puisque l’infirmière semble décidée à se tenir à un seul et unique verre ce soir, autant choisir le bon plutôt que de tenter des expériences qui ont de fortes chances de rater vu qu’il est toujours très difficile d’aller contre quelque chose dont on est persuadé. "Je dirais pas ça comme ça." Avoua finalement Yasmine, amenant bien sûr sur le visage de Clara une certaine fierté à avoir eu raison bien qu’elle fût déjà décidée à ne pas chercher plus loin. Après tout, de ce qu’elle se rappelle de la première fois qu’elle a bu un verre d’alcool – en volant une bouteille de bourbon de papa dont le contenu a été remplacé par un thé glacé à la pêche puis par une piquette trouvée au dépanneur avant que celui-ci ne se rende compte de quelque chose – c’est que ça pique, c’est fort, ça brûle et c’est vraiment dégueu et Clara reste persuadée que jus de goyave ou papaye, le cocktail ne changera rien à ça. Mais au lieu de partager cette prédiction, Yasmine devient un peu plus mystérieuse dans ses propos et commence à expliquer – ou pas – les raisons de son changement d’opinion. C’est assez pour perdre Clara en route, qui à son regret, ne comprend rien de ce que sa meilleure amie avance et ne voit absolument pas où elle veut en venir. Si elle souhaite s’essayer à de choses nouvelles afin de ne pas mourir stupide, elle a tout son soutien mais là, ce que la conseillère aimerait bien savoir c’est, de quoi Yasmine parle au juste, et surtout si elle ne lui cache pas quelque chose. "Pourquoi, j'ai l'air de parler d'autre chose que d'alcool ?" Qu’elle répond, l’air de ne pas savoir, ou du moins de ne pas comprendre la question, tout en y ajoutant un air qui aurait été très théâtrale si elle avait eu un verre en main – c’est ce que Clara pense aussi – et son effet terminé, Clara incline du regard, l’air de lui dire de cracher le morceau parce que de toute manière, si elle ne le faisait pas, ça ne ferait que repousser le moment où elle apprendrait la vérité. Clara sait tout. Clara devine tout. La théorie n’a jamais eu à se vérifier avec Yasmine mais il existe des premières à tout. Un instant de silence plane dans lequel elle a tout le loisir de sentir le regard de Yasmine qui tente de percer sa défense, de savoir ce qui se traite dans sa petite tête et Clara en parait mortifiée à l’idée qu’elle puisse se douter que c’est sa précédente question qui l’ébranle autant, parce qu’elle n’a pas de réponse qu’elle pourrait offrir, parce que c’est bien trop proche de sa vie privée sans qu’elle ne se sente concernée ou qu’elle prenne peur que sa couverture ne soit démasquée parce qu’elle avait beau jouer les limiers, Yasmine a l’Arts de la curiosité dans le sang. "Davis ?" « Quoi ? » Qu’elle répond aussitôt alors qu’elle faisait mine de porter attention au massacre d’une chanson de Maria Carey – un massacre qui n’est pas pour lui déplaire quand on sait son désamour de la chanteuse - "Si tu me dis ton secret, je te le dis mien." Demande Yasmine, glaçant la blonde sur place, l’amenant à se demandant si elle est si transparente que ça, si elle sait dans quel domaine elle garde un secret parce qu’avec le temps qui passe, il faut avouer qu’elle en a tellement et en même temps, elle a le cœur qui palpite parce qu’elle sait que mentir à Yasmine serait un pas de trop, parce qu’elle peut alléger sa conscience là, réduire son fardeau et en même temps, baisser à jamais dans l’estime de sa meilleure dont les principes religieux qu’elle ne tient même pas, s’ils lui font refusé un verre de vin, ils pourraient très bien la chasser de sa vie parce que l’infidélité c’est mal et finalement, entêtée. « Qu’est-ce que te fait dire que j’ai un secret ? » Qu’elle demande, regrettant à son tour de ne pas avoir de verre, pas pour le théâtre mais bien parce que la biture semble être sa meilleure porte de sortie. « Et pourquoi je devrais parler en premier ? » ajoute t-elle, parce que son secret est gros et que si celui de Yasmine, c’est juste d’avoir osé reluquer un type d’un peu trop près, y’a tout un fossé.
"L'énergie que tu mets à te défendre pour essayer de me faire gober que t'en as aucun." rétorqua Yasmine, du tac-au-tac. Haussant les épaules après l'avoir longuement regardée par-dessus une rangée de cils noir carbone, elle imposa un chemin arrière au haut de son corps, faisant doucement buter ses omoplates dénudées contre la banquette sur laquelle elle était de plus en plus inconfortablement assise. Yasmine n'était peut-être pas une experte en matière d'expérimentations alcooliques, entre autres, il y avait cependant un domaine qu'elle maîtrisait avec le doigté d'une pianiste de haute-voltige. Plus encore que l'art de la curiosité, celui du secret coulait dans ses veines. Dans son cercle proche, dissimuler des choses aux autres était un choix d'itinéraire imposé par la pudeur dont ils étaient les malheureux détenteurs, et parce qu'elle était probablement plus pudique que la majorité d'entre eux, rongée jusqu'à l'os par l'embarras de subir les affres de ses émotions profondes, elle était celle qui gardait le plus de choses pour elle depuis son retour du Niger. Et puis, elle jouissait d'un autre avantage, tout aussi utile que son aptitude à démêler le vrai du faux – pas aussi bien que sa mère, cependant : celui d'être si discrète que parfois, on oubliait même qu'elle faisait partie du décor. Elle ne s'en offusquait plus, depuis le temps qu'on lui répétait, avec plus ou moins de tact et d'humour, qu'elle était un peu comme un vieux meuble à qui on accorde plus tellement d'attention : on sait qu'il est joli, qu'il apporte du cachet à l'environnement qui l'abrite, mais on le laisse-là, seul et négligé, dans un coin de la pièce, le prenant pour acquis, et oubliant souvent qu'il existe. Jusqu'à ce que, une fois tous les 36 du mois, quelqu'un s'arrête enfin devant pour s'émerveiller à propos de la patine qui le rend si singulier et les détails veineux du bois dans lequel il a été taillé – sans aucune métaphore vaseuse par rapport aux courbes de sa silhouette de méditerranéenne, souvent pointé du doigt par Clara, Yasmine était un vieux buffet, tout en cambrures gracieuses et en modestie. Finalement, être considérée de cette façon, ça lui permettait d'observer ce qui l'entourait aussi scrupuleusement que les cas qui se présentaient dans la salle d'attente des urgences du St-Vincent's Hospital : on ne se méfiait pas de la jeune femme. Elle était inoffensive, et ce n'était même pas surjoué. Vraiment, personne ne craignait son regard de biche égarée ; elle était la moins susceptible d'en user pour faire du mal à qui que ce soit. On savait qu'elle ne portait pas de jugements, et que malgré les convictions qu'elle avait en elle-même, et l'éducation qu'elle avait reçue, elle savait faire la part des choses et considérer les faits d'un point de vue neutre, même quand ça dépassait son entendement. Pour autant, ça ne l'empêchait pas de répertorier les signes indicibles aux yeux des autres pour mettre le doigt sur ce qui poussait l'un ou l'autre à agir d'une telle façon – elle gardait tout pour elle, autant ses secrets que ceux des autres, et quelque part, ça la blessait que Clara ne se sente pas suffisamment en confiance pour lui dire vraiment ce qui la taraudait.
Elle avait beau jouer à celle qui ne comprenait pas d'où les questionnements de la jeune femme sortaient, Yasmine la connaissait quand même assez pour avoir deviné qu'elle cachait quelque chose – c'était comme l'odeur de l'atmosphère ; chacun prétendait qu'elle n'existait pas, mais des études prouvaient le contraire, entre soufre et poussière. Mais de nouveau, elle ne voulait pas insister. Pas seulement parce qu'elle sentait que son petit piège se refermait sur elle, aussi parce qu'elle n'aimait pas donner l'impression de pousser les autres dans leurs retranchements. Arquant un sourcil, elle laissa filer un soupir par le nez, croisant les bras sur sa poitrine, et rentrant le menton le temps de considérer que, comme à chaque fois, elle ferait ce qu'on attendait d'elle : battre sagement en retraite pour préserver paix et harmonie "OK, je commence." Elle balaya son épaule d'une mèche de cheveux, et avec une expression de conspiratrice, elle lui fit signe, d'un geste de la main, de se pencher par-dessus la table pour qu'elle lui glisse à l'oreille, après quelques secondes à se dire qu'elle payerait sa malice un jour où l'autre "J'ai pas vraiment soif." Tu parles d'un secret – ceux qu'elle gardait jalousement, ceux qui lui compressaient les entrailles plus efficacement que n'importe quels tord-boyaux disponibles sur la carte des cocktails du bar-karaoké, seraient on ne peut plus vexés qu'elle ose faire preuve d'autant de zèle en les comparant à une farce navrante comme celle-ci. Mais c'est bel et bien ce qu'elle décida, consciente que Clara ne consentirait jamais à lui dire quoi que ce soit, pas au milieu du massacre d'une chanson qu'elle ne réussit même pas à reconnaître, ce coup-ci. Elle se redressa, les mains levées devant elle en gage de réédition, et lança sur un ton d'excuse "J'ai compris, ça ne me regarde pas. Mais sache que si jamais tu changes d'avis…" Elle arqua de nouveau un sourcil, l'air de dire qu'elle serait présente sans aucun souci ; puis reprenant rapidement la parole, c'est tout en tapant sur la table qu'elle ajouta, tendant ensuite la main, paume vers le haut, en direction de Thumbelina "File tes clefs, du coup. J'ai plus tellement envie d'expérimenter quoi que ce soit, je laisse ça aux pros." Sage décision, ça lui éviterait bien des problèmes ; de conscience religieuse, de conscience, tout court.
"L'énergie que tu mets à te défendre pour essayer de me faire gober que t'en as aucun." Touché. Clara n’a pas besoin de le dire, c’est sûr et certain que son regard et l’expression de son visage tout entier vont dans le sens de Yasmine qui veut qu’elle ait effectivement un secret qu’elle garde précieusement loin des oreilles de sa meilleure amie. Clara arrive à se sentir prise sur le fait, quand bien même que Yasmine n’ait pas le moindre indice sur le dit arcane, elle se rend compte que ce n’est qu’une question de temps avant que celle-ci ne découvre le pot aux roses et si Clara arrive à très bien faire semblant dans sa vie de tous les jours, elle sait que c’est plus difficile quand elle sent qu’elle est soupçonnée même si dans le cas précis, Yasmine n’est pas la victime de ses cachotteries, ou plutôt de sa double vie. Et peut-être que c’est l’occasion de tout dire. De se libérer de ce poids qu’elle porte dès qu’elle a le nez dessus. Peut-être que c’est le moment de mettre une personne dans la confidence et d’avoir peut-être des conseils d’une personne avisée sur la façon de gérer son problème. Peut-être. Mais Clara sait que Yasmine est une personne droite, dotée d’un très fort sens de la morale et elle sait aussi qu’elle sera incapable de soutenir ce regard plein de jugement dès qu’elle apprendre qu’elle trompe allègrement Nicolas depuis plus de deux ans maintenant. Elle sait même que son comportement blessera Yasmine parce que ce mensonge, elle l’incarne auprès de tout le monde, de tous ses proches et même si elle n’est pas la victime, elle lui ment malgré tout à elle aussi, par extension. Et ça, Clara ne peut pas. C’est au-dessus de ses forces de prendre le risque de perdre quelqu’un à cause de ses bêtises, même si c’est le fait de faire et refaire toujours la même bêtise qui fait qu’elle prendre le risque de perdre des gens et non le fait de l’avouer. C’est un raisonnement qui n’a de sens que quand on comprend que tout n’est question de lâcheté et de fierté mal placée. "OK, je commence." Que Yasmine prenne le tour lui permet de se sortir de ses pensées, l’amène à se rassurer, à se dire que si le secret de Yasmine est aussi gros que le siens alors peut-être qu’elle pourra le lui dire, peut-être qu’elle lui évitera le regard suivi du jugement. Toujours peut-être. "J'ai pas vraiment soif." Finit-elle par dire, brisant ainsi le petit espoir que Clara se faisait de pouvoir dire la vérité sans se prendre un retour de flamme. Finalement, c’est le sentiment qu’elle se soit jouée d’elle qui habite Clara, si Yasmine n’a rien à cacher alors pourquoi l’avoir emmenée sur ce terrain là. Maintenant, il est de toute façon évident que l’infirmière cherchera la vérité, qu’elle sera vigilante aux détails et voilà qui va stresser Clara. "J'ai compris, ça ne me regarde pas. Mais sache que si jamais tu changes d'avis…" Elle ignore si elle doit prendre ses propos comme une invitation à se tranquiliser, comme une acceptation de ce secret ou alors, comme une réflexion, un reproche d’être tenue à l’écart. A ce moment, Clara n’est juste plus sûre de rien. Ce qu’elle sait, c’est que la soirée aura pris un drôle de tour. "File tes clefs, du coup. J'ai plus tellement envie d'expérimenter quoi que ce soit, je laisse ça aux pros." Propose Yasmine, perdant toujours Clara au passage. La blonde finit par prendre une inspiration, plus aussi certaine de vouloir faire la fête ce soir mais ça, elle ne peut pas le montrer non plus. Elle estime qu’elle doit faire l’effort de saisir la perche de Yasmine, de s’amuser et ça, ça commence par le karaoké. Ses clefs glissent sur la table vers l’infirmière alors que Clara ajoute « Je vais commander alors, comme ça, je vais aussi leur faire signe pour qu’on chante nos chansons. J’arrive ! » dit-elle avant de se fondre dans la foule, prenant le temps nécessaire pour reprendre ses esprits et terminer la soirée comme elles l’avaient prévu, à mettre le feu sur la piste.
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Les élèves avaient sûrement passé toute la journée à tenter de deviner ce qui avait bien pu arriver à Mlle Davis pour que sa voix résonne beaucoup moins qu’à l’accoutumé dans les couloirs du lycée. D’ordinaire, elle ne passe pas plus de deux minutes avant de pousser une gueulante sur le premier élève qui se sentirait pousser des ailes et tenterait d’enfreindre le règlement de l’école comme ceux qui s’amuse à traîner dans les couloirs pendant les heures de classe. Sa voix ne se repose jamais, si bien même que le club de science a déjà tenté d’élaborer comment autant de décibels arrivent à sortir d’un si petit corps, sans succès. Mais, aujourd’hui, elle était restée calme. Elle avait choisie de débusquer ses sécheurs calmement, ce qui au final, était pire pour eux parce que ne l’entendant pas venir, ils y ont cru jusqu’au bout jusqu’à ce que la réalité les rattrape en un sursaut. Nota bene d’adopter cette technique plus souvent parce que ça les effraie plus maintenant. En attendant, il n’y avait pas de secret à ce silence, pas de rhume, pas de demande expresse de la direction de baisser d’un ton mais une sortie du vendredi soir entre copine au karaoké avait motivé cette décision. Après tout, Clara ne pouvait pas se présenter sans voix et risquer de ne pas tenir la soirée. Avant que Yasmine ne parte en Afrique, elles avaient l’habitude d’y venir et petit à petit, elles tentaient de la réinstaurer en venant une fois par mois : Clara avait donc un certain niveau de performance à retrouver pour briller sur scène et là, ça passe par prendre soin d’elle-même et de ses instruments. Aussitôt après les cours, elle avait filé à la maison où papa avait pu la voir défiler à toute vitesse dans les escaliers, telle une adolescente pour lancer sa préparation. Un seul mot d’ordre à sa tenue de ce soir : glamorous. Et en redescendant, trois heures plus tard, c’était en pleine conscience qu’elle avait rempli son objectif et des étoiles dans les yeux. Littéralement, parce qu’elle y est allée à fond sur les paillettes et pour cela, elle n’a pas pu éviter la vanne de papa la comparant à une boule à facette. L’important, c’est toutefois d’être prête et après une photo envoyée à Nicolas, c’est chez Yasmine qu’elle se dirige pour la récupérer. Une grand sourire se trace sur son visage quand l’infirmière entre dans la voiture, le genre qui lui demande clairement de lâcher un compliment sur son maquillage mais qu’il faut tout de même vocaliser un peu, la blonde se risque à papoter un peu. « Alors, comment ça ? J’ai pas osé rentrer dire bonjour à tes parents mais tu leur passeras le message ? » Oui, parce qu’habillée de la sorte, et même en ayant l’air d’une petite fille, la mère de Yasmine n’allait pas taire de remarquer sur cette utilisation outrancière de paillette et cela, Clara préférait l’éviter. « J’espère que t’es prête parce que j’ai passé la semaine à répéter mes chorés, on va m’prendre pour Britney. » Au moins, la jeune femme ne manque d’assurance pour ce soir.
Depuis une semaine, Yasmine tournait au remède des champions : eau chaude citronnée et miel. Le karaoké n’était pas une discipline à prendre à la légère, et puisqu'elle ne pouvait pas se permettre de se murer dans un silence sacré pour préserver son plus bel organe, elle s’était contentée de le bichonner en fonction de son état de fatigue ; qui n’allait pas en s’arrangeant au demeurant. Mais ses projets de sortie avec Clara l’ayant rengorgée d’un enthousiasme difficile à repousser, elle était prête à rester éveillée jusqu’au bout de la nuit pour mieux prouver aux amateurs du karaoké du coin que les reines de la fête dans cette ville, c’était elles deux, et personne d’autre. Elle le regretterait probablement le lendemain matin, quand elle devrait assurer sa garde avec entrain et professionnalisme. En attendant, elle comptait bien profiter de ces quelques heures passées en compagnie de sa Dancing Queen préférée pour évacuer toute la tension accumulée au cours de ces dernières semaines. Déterminée, Yasmine tenait à laisser ses pensées derrière elle, reléguant sa reprise d’études, Hassan et Ginny, Sohan et ses parents, ainsi que toutes ses angoisses, dans un coin reculé de sa conscience ; qu’elle aussi, elle voulait consigner à la maison, pour une fois. Où est-ce que ça la mènerait, elle ne le savait pas tout à fait. Cependant, elle avait suffisamment confiance en Clara pour lui laisser la lourde fonction de la faire redescendre sur Terre si jamais elle perdait pied. D’une façon assez singulière, compte tenu de son tempérament raisonnable et raisonné, ce soir, c’était un peu ce à quoi la jeune femme aspirait en secret.