Good Things Festival 2018
On s’est séparé en deux groupes parce qu’on voulait aller sur une autre scène en fonction de notre planning. Je me retrouve donc avec Levi et après avoir chanté de tout notre coeur et fait des dance moves du feu de dieu sur Mayday Parade, nous voilà en train de se balader sur le site. Je jette des coups d’oeil aux stands de merch qui sont sur le passage parce que c’est sûr que je vais prendre un tshirt en souvenir. Je ne sais pas encore quand je le prendrais parce que j’ai pas envie de me le trimballer mais… En fait je vais juste le mettre par dessus celui que j’ai déjà sur moi et c’est réglé. Même si ça me fera un peu de mal de cacher mon haut Trophy Eyes. Du coup je fais signe à mon meilleur ami que je vais voir de plus près les tshirt jusqu’à ce que je vois la table des autographes juste à côté avec Stone Sour en train de signer. OKAY WAIT. Mon coeur bat plus vite de voir que je peux rencontrer Corey Taylor et échanger quelques mots avec lui. Sauf que le temps que je trouve le début de la file, je vois qu’en fait ils acceptent plus personne dedans.

« La nouvelle file est pour All Time Low. »

MAIS MERDE NON. Ok j’adore All Time Low mais COREY TAYLOR QUOI. J’ai déjà une place de concert signé par Alex, Jack, Ryan et Zac. Je n’ai pas spécialement envie de les rencontrer de nouveau. J’aime bien leur musique mais c’est plus de la nostalgie qu’autre chose parce que j’ai pas vraiment accroché sur leurs derniers albums. C’est donc la mine toute triste que je regarde la fin du signing de Stone Sour, de l’autre côté de la barrière. Je sors mon téléphone pour prendre Corey en photo et dire que ouais, il était à trois mètres de moi, c’est déjà pas mal. Ce mec c’est une légende. Je suis dég. Je cherche Levi des yeux pour aller me mettre dans ses bras et trouver du réconfort mais je le vois en train de discuter avec un gars et… le gars est plutôt cute. Alors je ne vais pas le déranger. Je ne sais pas de quoi ils parlent mais ça a l’air intéressant.

Je fais le tour de la tente de signing au cas où je peux leur parler vite fait quand ils auront fini, ce qui ne devrait plus tarder et là je le vois. Jack. Oh punaise Jack ! Le gars il a un label de musique. Il doit sûrement les connaître ou connaître quelqu’un qui connait Stone Sour. Je m’approche de lui avec mon air le plus naturel possible.

« Hey salut ! »

Punaise ça fait juste un an que j’ai pris sa carte pour le recontacter et je n’ai jamais eu les couilles de le faire encore. Enfin, avec un peu de chance il ne se souvient pas de moi. Je vais la jouer tranquille pour voir. Genre le mec qui veut juste discuter. SAUF QUE JE NE SAIS PAS QUOI DIRE POUR ENTAMER LA CONVERSATION. OH MON DIEU. CACHEZ MOI. Je suis planté là devant lui. Comme un idiot.

À chaque fois où il allait à un festival, y’avait toujours ce souvenir qui remontait, sa vieille mémoire qui pour une fois ne lui faisait pas défaut. C’était en juin, le Gibsons Landing Jazz à même la sunshine coast. Toute la côte ouest lui donnait l’impression de s’y être retrouvée, tous ses héros, ces musiciens aux milliers de talents qui n’en peuvent plus de gratter leurs cordes, de faire sonner leurs cuivres. Mais Jack, il ne voyait qu’elle ce weekend là, y’avait qu’elle et rien d’autre. Jude et ses boucles lâchées avec désinvolture, Jude et son sourire qui irradiait à des kilomètres. Elle était trop belle pour se contenter de boire de la bière bon marché, alors il avait tenté de lui trouver quelque chose de meilleur, un rhum plus doux, un gin plus herbé. Mais elle s’en balançait, le rire aux lèvres, la canette d’aluminium au logo éhonté entre ses longs doigts fins, doigts de pianiste née, elle qui n’avait jamais vraiment voulu prendre des cours, toujours s’était fiée à son oreille. Jude qui avait suivi son Epstein à elle et à elle seule, dans les coulisses avant qu’il pense même un jour y vivre une vie et une autre, avant même que son propre band naisse, quand ils étaient jeunes et cons, musicos et amants. Et les baisers d’une amoureuse transie qui avaient couvert les mélodies, résonnaient de derrière les rideaux, son parfum mêlé à la terre qui décorait ses spartiates et à la sueur qu’avoir trop dansé toute la journée au soleil lui avait conférée. Elle était belle et elle était amoureuse de lui, et ce jour-là, y’avait tout ce dont il avait besoin. Et ce jour-là, il était bien loin.

« Jack, on est juste à la tente du fond, la troisième à gauche. » qu’on lui lâche, tout bonnement, le sortant abruptement de ses pensées, le musicien s’y perdant au moins une fois par tranche de quelques minutes à peine  aujourd’hui.  « C’est bon. » il acquiesce mollement, avant de se reprendre, pas du tout envie de jouer les âmes égarées, parce qu’il est heureux d’être là, et que la nostalgie de son amour passé est plus douce que bien des fois, parce que lorsqu’il pense à elle et au souvenir qu’il lui reste, Jude est heureuse et Jude est dans son élément et Jude était comblée. Avant qu’il bousille tout.  « T’es sûr que tu vas passer? » que le jeune insiste, jouant avec les loquets de son case de guitare, faisant de l’oeil à la scène acoustique qui trône à quelques mètres d’eux et qu’il appréhende comme un gamin avant le tout premier oral scolaire.  « Ellie me tuerait sinon. » Jack lâche, dans un rire relativement contenu, l’adolescente dans l’angle qui relève la tête à entendre son prénom.  « Ça m’en prendrait moins que ça. » et elle bat des paupières, fait même de l’oeil au chanteur qui étouffe à son tour un éclat, finit par ranger son instrument, rapatrier ses partitions. Sa fille qui, aux vues du pass supplémentaire backstage qu’il a reçu chez B&B s’est proposée de passer, “parce que j'avais clairement rien de mieux à faire”. Et Jack, il est heureux de partager ça avec elle, il est soulagé un peu.

À nouveau, on l’interpelle, lui qui une énième fois erre dans les lieux non sans saluer par ci par là des visages connus, des artistes familiers.  « Hey. » il le reconnaît, il a la mémoire des visages et des voix, il sait qu’il s’agit de Kane, il replace la soirée au Canvas, il tente une relance, mais Ellie est plus rapide.  « C’est un autre youtuber lui, hum? » et elle aurait presque l’oeil la petite, l’oreille en sus. Elle le toise, moqueuse, judgemental.  « Il a l’air. » Jack inspire, pose sa patte fripée à la peau sèche d’avoir été au bout de ses rêves des dizaines de fois sur l'épaule du musicien qu'il présente. « Kane est un excellent guitariste. » présente l’ami, le re-situe d’un clin d’oeil.  « Ça fait longtemps. Tu joues sur quelle scène? » qu’il tente, vraiment curieux, vivement intéressé.

Vu comment il me regarde, il sait tout à fait qui je suis. Je sais pas si je dois être content ou effrayé. Il m’a pas oublié. Il attend peut être mon coup de fil ou mon email depuis tout ce temps. Je me sens un peu mal de ne pas l’avoir contacté, il risque de penser que je veux pas bosser avec lui ou quoi. Ce n’est pas vrai du tout et j’ai déjà tout mon argumentaire de prêt si jamais j’ai besoin de me justifier sur la question.

Une jeune fille me qualifie de YouTuber et je vois bien le regard qu’elle me lance. Je me sens jugé mais… je vais rien dire parce que je bosse sur une chaîne youtube depuis quelques jours. Je ne veux pas lui donner raison. Rien n’est encore en ligne donc techniquement, je ne suis pas encore dans ce panier là.

Jack se souvient de mon prénom. Oh god. Il devait réellement attendre mon coup de fil gardant son téléphone auprès de lui à tous les instants au cas où. Je l’ai laissé tomber. Je l’ai sûrement déçu par mon manque d’investissement dans cette promesse qu’il m’avait fait en me donnant sa carte. Pas de ma faute si ça me terrifie autant d’enregistrer mes chansons dans un studio. D’ailleurs, Wendy m’a offert ça pour mon anniversaire et je repousse jusqu’à l’anniversaire de Levi pour utiliser le cadeau. Si je trouve d’autres excuses, je les prendrais certainement. Ou pas. Parce que c’est vrai qu’avec Levi… Ca va être bien. Je me monte la tête tout seul alors que je peux très bien enregistrer les chansons et les garder sur mon ordi jusqu’à la fin de mes jours sans jamais les partager à qui que ce soit. Oui, c’est possible.

Mes yeux s’ouvrent tellement grand quand il suppose que je joue sur une scène.

« Oh non. Non non non. Je joue pas je viens pour profiter du festival. Enfin pas que les artistes en profitent pas, mais je viens juste pour danser et chanter. Ok les artistes font ça aussi mais. Danser et chanter dans la foule. »

Je parle trop. Je suis nerveux.

« Et puis boire aussi. Beaucoup. Beaucoup de bière. »

Je dis n’importe quoi. Je sais qu’il faut que j’en vienne au vif du sujet parce que c’est ce qui doit trotter dans la tête de Jack après avoir attendu si longtemps de mes nouvelles auprès de son téléphone.

« Désolé de pas t’avoir contacté je… »

J’hausse les épaules sans vraiment savoir comment me justifier.

« Ca me fait flipper en fait. »

La vérité c’est toujours ce qui est le mieux en fait. Je sais pas mentir de toute façon. J'en ai oublié Corey Taylor et les autographes avec tout ça.

L’inquiétude se lit sur son visage et Jack le remarque, même s’il ne dénote pas. Plutôt que d’insister, il tente de respirer plus doucement, ralentir les gestes, être attentif. Kane est inconfortable et la gamine du trio rigole, mesquine, s’attendant probablement à tout sauf à une réaction aussi paniquée, et à des excuses qui se multiplient comme des mots qui sortent sans filtre aucun. « T’étais comme ça, quand tu prenais de la coke? » et il a un pincement Jack, d’entendre sa fille aborder les sujets qui fâchent de cette façon-là, crue, directe, son air angélique qui veut tout dire ancré dans sa direction à lui, rien qu'à lui. Il ne lui a jamais caché cet épisode de sa vie, elle qui était à l’époque trop jeune pour avoir connu son père dans ses dédales de toxicomane, mais elle se souvient sans doute de la cure, du père d’après, de sa mère aussi, soulagée, bien que jamais vraiment rassurée de son vivant qu’il n’allait pas à nouveau sombrer. Et il inspire, il tente de chasser le voile noir de son regard mélancolique en permanence, la lame d'un couteau hypothétique bien profondément enfoncée dans son coeur. « Ellie... » un minimum d’autorité qui arrache à la brune un long soupir, roulement d’yeux complémentaire. Elle s’excuse du regard, ou alors il espère que c’est ce qu’elle fait, un premier pas vers quelque chose de potentiellement respectueux ; puis, les laisse tous les deux. Le stand à t-shirts dans l’angle lui fait envie, et c’est peut-être un peu mieux ainsi.

« J’espère un peu d’eau à travers. » de retour à une tentative de calmer la donne, il sent un sourire en coin naître sur ses lèvres lorsque le conseil suit, insufflant à Kane de ne pas oublier sa dose d’hydratation pour faire les choses bien. Et la mention mentale part vers toutes ces cuites et les énièmes maux de tête qu’il avait endurés dans ses folles et jeunes années, aujourd'hui misant sur la qualité plutôt que la quantité de bouteilles ingérées. « Hum? » dépassé dans son discours, il se reprend lorsque les mots du musicien se perdent, raccroche ses iris aux siens dans l’attente. Vient le verdict, viennent les regrets. Jack remarque qu’il s’excuse, balaie d’un air doux, patient. « Et pourquoi? » assénant probablement la question que Kane redoute, il n’attend pas très longtemps avant de renchérir, Epstein tentant de le dédouaner, de lui retirer une pression qu’il juge tout sauf nécessaire de ses épaules. « C’est que jouer de la musique au fond, tu sais. » et il simplifie, sans inquiétudes aucune. Kane était un naturel, il connaissait son instrument, maîtrisait ses notes, ses mélodies. Il n’avait rien à envier à bien des artistes, mais pourtant, le syndrome de l’imposteur semblait le dévorer vivant. « T’as rien à craindre. Ça a l’air beaucoup plus intimidant que ça l’est véritablement. » l’attirail des artistes bohèmes, les expressions perdues, la tête dans les nuages. Il avait tout à leur apprendre avec sa jeunesse et sa fougue, eux, les vieux de la vieille qui jouaient pour le plaisir de, composaient sans se mettre la pression, fatigués de l’avoir eue si longtemps de toute façon. « Mais te force pas. On bouge pas, on sera là quand tu seras prêt. » il insiste, même si au final, c’est la certitude. 

Je ne sais pas qui est la fille qui ose faire ce genre de remarques super déplacé depuis tout à l’heure mais wow. Elle a pas froid aux yeux. Ça me choc un tout petit peu d’apprendre que Jack a pris de la coke par le passé. Le mec avait un bus tour. Oui, je n’ai pas oublié ce détail. Il était dans un groupe. Ca devait être le rêve. Donc ouais, la drogue au milieu ça n’a rien de surprenant. C’est un truc qui me fait peur d’ailleurs. Quand on me dit que je pourrais faire carrière dans le milieu. Quand moi même je m’imagine le faire. J’ai peur de tomber dans des retranchements qui ne sont pas forcément bons pour moi parce que ça m’est déjà arrivé par le passé. Je ne suis pas fier de cette période de ma vie. J’ai fini par me concentrer sur mon amitié avec Ariane et Levi parce qu’ils sont des gens bien par rapport aux autres. Ok la vérité c’est que Ariane m’a passé un sacré savon un jour et j’ai réalisé que j’étais sur une mauvaise pente. Si je deviens une star et que je pars en tournée, j’aurai pas toujours une Ariane à mes côtés et ça c’est un problème non négligeable.

Elle s’appelle Ellie et elle s’en va assez vite de son côté. Jack parle d’eau. Je ne vois pas ce qu’il veut dire par là non ce n’est pas du tout au programme. D’ailleurs là j’en voudrais bien une parce que Jack demande pourquoi ça me fait flipper cette histoire et j’avais pas prévu d’entrer dans les détails. Est-ce que j’esquive ? Mais voilà que Jack reprend la parole, essayant de me faire comprendre que y’a pas à avoir peur. Ce qu’il dit rend les choses simple à première vue, mais ouais, c’est pas évident. Il conclut en disant que je peux prendre tout le temps que je veux.

« Ma girlfriend m’a offert une session d’enregistrement pour mon anniversaire. Et on a offert ça à mon meilleur pote aussi. On va sûrement le faire ensemble mais on a pas prévu de date encore. »

Le truc que j’ai pas remarqué c’est que la session a été prévu au studio de Jack. Toute cette histoire me travail tellement que je n’ai pas lu l’intégralité du cadeau. Je me suis arrêté au début de la note sans chercher plus loin. Comme quoi ça me pétrifie vraiment cette histoire.

« Ca sera mieux avec lui déjà. »

Je me mordille la lèvre, me sentant tout penaud à cause de cette frayeur incompréhensible que j’ai.

« T’es ici pour travailler ? »

Je juge qu’on a assez parlé de moi et cette histoire de studio d’enregistrement. Oui, c’est pas mon sujet favoris. J’aime pas qu’on pointe mes faiblesses du doigt. Surtout quand elles sont stupides.

Aussi impolie, aussi méchante puisse-t-elle être, Jack ne penserait même pas une seule seconde à la gronder, à lui dire clairement de rentrer chez elle, à l’ignorer, la rejeter. Ellie est ici qu’il se répète, Ellie passe la journée avec lui, Ellie est présente, ambiante, et sa silhouette qui vogue vers un autre stand reste tout de même dans son champ de vision. Lui qui se félicite, lui qui se pincerait presque, qui se retient. Sa fille, et mine de rien, son univers, qui doucement se plaçait, tranquillement s’intéressait. Autre que de traîner des pieds chez B&B, la voilà qui prenait part au monde de son père, pour vrai. « Il est musicien aussi? » reprenant le plus normalement la conversation, Epstein en profite pour arquer la nuque, s’intéresser à ce que Kane lui confie. La pression qu’il se met vient donc d’une séance planifiée, s'additionnant à celle que le producteur lui avait proposée jadis. Rien de plus, rien de moins, et il comprend Jack, il capte que tout va vite, que de nulle part, Kane commence à voir le chemin qui se dessine, et le hobby qui pourrait prendre en ampleur, qui pourrait enfin être pris au sérieux surtout. « À l’époque, les membres du groupe étaient aussi mes meilleurs amis. Avant que tout parte en vrille ; parmi les plus belles années de ma vie. » alors il y va d’une anecdote, il prend la perche que le blond lui tend, suggérant des souvenirs aussi nostalgiques que beaux, qu’il ressasse encore un peu chaque jour. Jack qui se rappelle ses débuts, les longs roadtrips d’un bout à l’autre du pays pour jouer dans des salles miteuses, faire résonner leurs instruments sur les murs des bars de plus en plus pleins, jusqu’à ce que l’avion prenne la place du van loué, rouillé. Jusqu’à ce que le succès vole la place de l’amitié, la bousille, la brûle, consume.  

Son vague à l’âme que Kane verra peut-être, Jack qui l’entend changer de sujet, axer la conversation sur le motif, sur la raison de sa présence. Et il se confie, il continue de raconter, il prend plaisir à discuter avec le musicien, pour la simple et unique raison qu’il dégage cette même candeur, ce calme, ce go with the flow qui caractérise les gens dont Jack aime s’entourer. « Un peu oui, mais pas trop non plus. » un fin sourire vient se dessiner sur son visage, fendre la peau aux rides qui commencent doucement à la couvrir, l’âge qui transparaît, mais surtout l’expérience. « On vient juste de signer un duo qui passera à la scène acoustique tout à l’heure. » docilement, il fait son pitch, non sans se sentir bien loin du discours de vente que n’importe quel autre type dans sa position pourrait affirmer. “Signer” pour lui, c’est apprendre à connaître, c’est discuter jusqu’à pas d’heure, refaire le monde autour de litres de thé, écrire jusqu’à ne plus sentir autre chose que les mélodies inventées voguer à l’intérieur, couler le long de ses veines. « Les gens au studio diraient que je suis là pour faire du développement des affaires. » et il s'étoufferait presque avec les termes, si ce n’était la clope qu’il allume par habitude, poursuivant sur sa lancée après une bouffée de rigueur, nécessaire. « Je préfère le voir comme boire une bière avec de bons vieux potes. » qu’il précise, la bouteille presque vide qu’il exhibe dans son autre main, le band qui erre toujours près d’eux comme énièmes preuves.

J’hoche la tête. Mon meilleur ami est musicien oui. Je pense que c’est la chose la plus logique qu’il soit quand on y pense. Je baigne tellement dans cet univers que seulement une personne qui aime autant la musique pouvait être à ce niveau là dans mon coeur. Jack me parle des meilleures années de sa vie qui étaient avec ses amis les plus proches avec qui il faisait de la musique, il avait un groupe avec eux. Ca donne envie comme ça c’est vrai. Je dirai pas non à jouer de la musique avec Levi tous les jours de ma vie. Mais Jack décroche les derniers mots qui ne me plaisent pas. Non. Je ne veux pas que sa parte en vrille avec Levi. Jamais. Il faut pas. S’il n’est plus dans ma vie je ne sais pas ce que je ferai. Jack raconte l’histoire qui va avec cette révélation et j’hoche la tête, l’écoutant attentivement. J’aime pas cette fin. Pas du tout. Après je sais que ce n’est pas comme ça pour tout le monde. Je connais pas mal de groupes depuis le temps et ça se fini pas forcément mal, ça continue encore et toujours. Peut être que la différence c’est qu’ils n’étaient pas amis avant ? Je ne connais pas tous les détails de tout le monde mais peut être bien. Quand on s’unie pour un but précis on peut certainement aller de l’avant plus facilement qu’avec tout un historique commun. Je sais pas. Je suppose. J’essaie de trouver une logique à tout ça mais ça veut aussi dire qu’il vaut mieux pas que je fasse un groupe avec Levi. Non, mais de toute façon je n’oserai jamais lui proposer ça et puis… Non. Entrer dans la musique intégralement. Je sais pas si j’ai les épaules. Je pense pas.

Je souris quand il dit qu’il bosse mais pas trop. Tu m’étonnes, à un festival comme ça, si je devais être là pour la sécurité je sais pas si j’arriverai véritablement à tenir mes engagements. Non mais impossible, j’aurai pris un jour de congé pour assister aux shows, y’a pas d’autres possibilités. Je me connais.

Il parle de la scène acoustique et j’hoche la tête. Je chope le nom du duo au passage et je regarderai sur le planning des shows si je peux caser ça sans louper personne.

« J’irai jeter un oeil si je peux. »

Parce que si Jack les a signé ils doivent être bon. Je m’intéresse réellement. Ce gars a une maison de disque et il me parle. Toujours assez hallucinant quand on y pense. Ca me fait grave sourire quand il évoque sa présence ici en des termes aussi chill. Ca me plaît trop.

« Ca m’a l’air d’être un super plan. »

Je suis toujours un peu jaloux quand y’a des gens qui vivent comme dans le milieu de la musique mais en même temps je ne m’en donne pas vraiment les moyens non plus. Je suis con. Je sais. La peur ne s’explique pas complètement.

Y’a Levi qui a fini de parler avec le cute guy et qui me cherche des yeux. Je lui fais signe pour qu’il capte où je suis.

« C’est lui mon meilleur ami dont je te parlais. »

Et j’ai pas envie d’écourter mon moment avec Jack mais je n’ai pas envie de laisser Levi non plus. J’ai moins de facilité que lui à laisser les gens que j’aime seul.

« Je sais pas si t’as du temps mais si tu veux on peut aller boire une bière tous les trois… Ou tous les quatre si jamais tu peux embarquer Corey Taylor avec toi. »

Oups voilà que mes idées premières me reviennent bien clairement. Fallait tenter, je l’ai fait. On sait jamais.

Jack avait encore de la difficulté à se situer à travers tout ça. Et malgré le fait qu’il vivait de la musique depuis son adolescence, qu’il avait toujours de près ou de loin gravité dans le domaine, n’en restait pas moins que le gamin qu’il était jadis le regarderait avec des yeux pleins d’étoiles de voir que malgré le parcours du combattant qu’il s’était imposé, malgré les embûches et les problèmes et les mauvaises décisions et les échecs, il avait enfin réussi à faire ce dont il rêvait. Bosser avec des artistes, travailler avec des musiciens, co-créer à chaque jour de petits bijoux de musique qu’il chérissait autant que s’ils étaient les siens. Il y mettait du temps, il y mettait tout ce qu’il avait, il le ressentait dans ses trippes, et il recommençait jour après jour. « Tu me diras ce que tu en penses si tu veux. » toujours prêt à recevoir des commentaires, oreille aussi absolue qu’attentive, Epstein n’était pas dans le business pour faire du business, justement. On ne le prendrait pas à signer des artistes pour en faire des machines à argent, on ne le verrait pas capitaliser des voix et des talents pour le seul intérêt de se mettre bien riche facilement ; ce qui, fatalement, le mènerait probablement à sa perte. Ses dettes s’accumulaient, il n’avait jamais été vraiment bon avec ses finances, mais il était hors de question que cela fasse de lui un requin passible de vendre son âme au profit de celles de ses artistes. Puis, Kane lui avait donné bonne impression. Il avait de quoi statuer de vraies opinions, donner un avis constructif si besoin. Le meilleur des deux mondes.  

« Ça fonctionne bien jusqu’à maintenant. » s’il sourit en coin, c’est qu’il est satisfait Jack, d’être ici, d’être là avec sa fille - même si elle erre dans la périphérie attendant la prochaine ouverture pour une vanne salace. Heureux de pouvoir se permettre de revoir de vieux amis, de s’en faire de nouveaux. Heureux de profiter d’un festival surtout, de sortir de sa tanière, de ne pas être au studio à cumuler les heures pour trouver la bonne note, la bonne mélodie, et profiter de celles des autres au grand air. « Corey, hen? » il fronce les sourcils d’amusement, une fois après avoir suivi le regard de Kane pour localiser le dit meilleur ami dans la foule. Le musicien qui semble avoir les coups d’oeil vers les scènes un brin fuyants, et il capte que s’il peut bien faire une bonne action aujourd’hui, ce sera de régler quelques minutes entre Kane et un Taylor aussi dissipé qu’impressionnant. Faire de la musique depuis presque 30 ans l’aide à avoir des contacts, l’aide à connaître les bonnes personnes dans le domaine, et mentalement, Jack note d’en faire profiter le blond si les astres s’alignent d’ici la fin de la journée, et qu’il peut être utile. La proposition de Kane vient à point nommé, rebondir sur l'invitation d’aller prendre un verre lui tente. Pas une fois il ne pense à autre chose qu’à un bon moment entre amis, même si plusieurs verraient cette fenêtre d’ouverture comme une opportunité pour convaincre, vendre une énième séance d’enregistrements. À son tour, Jack se complait dans des liens et des amitiés, le reste lui est secondaire. « Ellie est censée retrouver des potes en fin de journée. » s’entendant le dire, il s’étonne même qu’elle soit toujours là et ne l’aie pas largué entre temps. Mais non, elle est là, à errer autour de la merch, essayant et dépliant tous les t-shirts juste pour faire chier les pauvres vendeuses. La terreur.  « Je t’en relaisse une, mais celle-là, c’est pour coordonner la bière tout à l'heure uniquement. » joignant le geste à la parole, Jack dégaine une nouvelle carte d’affaires à l’intention de Kane, un sourire en coin le dédouanant de toutes responsabilités. Pourtant, il ajoute, comme conclusion douce à ses oreilles et il l’espère, à celles du jeune homme face à lui. « Et pour ce qu'on a discuté, te mets plus la pression. Perds pas le fun derrière. »

Il veut que je lui donne mon avis sur l’artiste dont il m’a parlé. Ouais pas de soucis. J’hoche la tête mais en fait je me sens tellement pas capable de filer une critique constructive. Je ressens la musique, je l’explique pas réellement avec des discours concrets. Ca me touche à certains niveau que c’est juste de mon vécu que ça tiens. Mon vécu et celui de mon entourage. J’associe beaucoup de titres à mes proches et ça me prend aux tripes tout autant. Mais ouais, je suis pas trop trop chaud alors un simple signe de tête fera l’affaire pour toute réponse. On verra si j’ai les couille de lui envoyer un message pour lui dire véritablement le fond de ma pensée. Après tout même si c’est subjectif ce que j’ai à lui dire, ça doit être un retour comme un autre.

Jack est si cool. Je me sens cool de trainer avec lui. De le connaître. Je me sens toujours comme le suiveur dans tout les cas. Avec Amity avec Levi, avec lui. C’est eux les stars et moi je suis juste dans le champ parce que je les aime ces gens et quand j’aime je lâche pas. Et peut être que je vais pouvoir faire de Corey un nouveau pote parce que Jack a l’air de me prendre en considération, ou du moins c’est ce que j’ai envie. Mais il n’en parle pas plus. Il parle de Ellie, je suppose que c’est la fille de tout à l’heure. Il me donne une nouvelle carte de visite et il prend bien garde à me rassurer sur son utilité. Il a bien compris la légère source d’angoisse que ça génère chez moi. J’hoche la tête. Appréciant énormément son geste et sa parole. Le gars est attentionné. Le gars se souvient. Le gars m’a écouté. Je prends la carte, signe qu’on se rappelle d’ici la fin de la journée pour prendre une bière.

Il revient sur le gros sujet de la conversation. Cette séance d’enregistrement et j’hoche la tête de nouveau. Je sais que je me mets trop de pression. C’est complètement absurde mais j’y peux rien.

« Merci… »

Pour un peu tout. Ça m’a fait du bien de lui parler et ça se voit dans le regard rempli d’admiration et de reconnaissance que je lui donne avant de filer retrouver Levi.