« Me regarde pas comme ça. » et il tilte le cabot, il arque la nuque comme je le fais quand on me raconte des bobards, quand je suis tout sauf convaincue, quand je pousse juste assez pour souligner sans même un seul mot que nope, ça passe pas. Christian qui s’était mis en tête de me suivre à la trace aujourd’hui, probablement parce que je pue le chien mouillé sans être un canin et sans avoir mis le nez dehors sous la pluie - sans avoir mis le nez dehors tout court. Nah, tout ça, c’est parce que je m’auto-kidnappe, que je me suis moi-même enfermée à l’appartement avec la date butoir de la remise de mon manuscrit qui flash en toutes lettres au-dessus de ma tête de conne, de procrastinatrice, de naïve petite presqu’auteure stupide qui est pas foutue de respecter ses engagements, d’aligner les mots pour réaliser son rêve de gamine. La pression qui rend les nuits particulièrement courtes ces semaines-ci, mon moral encore plus à cran, les sautes d’humeur et les répliques acides que je multiplie presque autant que diminuent les douches et les visites vers le monde extérieur, les moments à faire autre chose qu’à écrire, qu’à fixer mon écran d’ordinateur, qu’à reprendre pour raturer et effacer la seconde d’après. Prendre la semaine à bosser de la maison pour GQ m’assure que chaque moment, chaque minute, chaque seconde qui n’est pas dédiée au boulot passera sur mon livre, et étonnamment, j’arrive à maintenir un cap de 20 minutes par ci 20 minutes par là, de quoi rendre Tim Ferris et tous ses sbires particulièrement fiers de ma gestion du temps. Jusqu’à ce qu’on lise les quelques chapitres que j’ai ajoutés au lot, qu’on doute, qu’on souligne une virgule de trop, une typo. Au pied du lit où j’ai élu domicile aujourd’hui pour en souiller les draps de ma carcasse flasque d’artiste en proie à tuer le syndrome de la page blanche en tapant sur mon clavier avec mon front s’il le faut, y’a le chien conjugal qui me fixe, qui ne me lâche pas des yeux, même pas pour se lécher l’entre-jambe comme un good boy, encore moins pour demander la porte question qu’on aille lui faire faire ses besoins direct sous la fenêtre du vieux grincheux au palier en-dessous du nôtre qui nous pique le journal - et la section des coupons-rabais au supermarché - une journée sur deux. « ll aurait fait pareil à ma place, j’en doute pas une seule seconde. » j’ai un doute, là de suite. Que dans la boîte qui trône fièrement sur mes genoux se trouvent des restes de croquettes, une tête de cheval en décomposition, ou quoi que ce soit qui pourrait être intéressant pour Chris à gruger. Mais non, apparemment, le colis livré à l’attention de Vittorio que j’ai reçu à bras ouverts et à curiosité décuplée contient tout sauf de quoi se mettre sous la dent, et casser mon régime soutenu de soupes instantanées et de pâtes minutes. À la place, j’ai plongé mes mains dans des tas de papiers pêle-mêle, des enveloppes déjà ouvertes - ou assez déchirées sur les coins pour que j’exagère le pli et y glisse mes doigts dans le but d’en savoir plus. Les bandages à main tâchés et presque encore humides de sueur imbibée auraient facilement pu gagner et garder mon intérêt, mais c’était avant que je vrille mon regard sur ce qui me semble être un relevé de compte, et à en voir les chiffres et l’historique, le truc date pas d’hier.
La porte claque, le chien quitte la chambre pour filer japper joyeusement aux mollets de l’homme de la maison, et je m’extirpe des draps cheveux défaits t-shirt au hasard, chaussettes qui remontent et la voix qui chante. « Honey, you’re home! » sous mon bras, j’amène tout de même la dite boîte reçue et éventrée de tout son contenu, que je pose la seconde d’après sur la table de la cuisine directement dans le champ de mire du Giovinazzo avec des questions plein la tête et surtout aucune conscience de l’élément bulle personnelle et espace secret bafoué - ou alors je sais très bien que ça fait chier que je me sois donné autant de liberté, mais entre vous et moi, j’m’en balance, j’avais besoin d’être distraite. « Ça tombe bien, parce que j’pense que Google Translate a reçu par la tête toutes les insultes que j’ai pu trouver autant en anglais qu’en français - qu’en italien. » et les paupières papillonnent, et la tête dodeline, et je doute pas une seule seconde que la scène est très facile à s’imaginer, mon portable à deux secondes de s’éclater sur le mur de béton industriel face à moi si la traduction que je cherche n’est pas assez claire, évidente ou même le moindrement logique. « Mais ce signe-là, je connais. » et du bout de l’index, je pointe le symbole sur le papier qui me semble être une liste de paiements qu’il aurait reçus, l’euro bien noir bien gras, et les chiffres à côté qui sont pas gênants du tout. « T’es riche, c’est ça? » la voix mielleuse, la larve pas du tout sexy que je suis dans l’instant qui roucoule jusqu’à l’italien, joue du coude et de l’épaule, et achève les manigances en agitant mon annulaire gauche sous son nez. « Parce que si c’est le cas, r’garde je suis déjà prête à partager ta fortune légalement parlant. » la bague trouvée au fond du carton me semblait toute indiquée pour m’afficher comme sa future-femme - le diamant, du moins, c’est ce qu’il criait.
« Tu comptes terminer tes nouilles ? » Absence de réponse, Vittorio ne s’était même pas donné la peine de lever le nez de son dossier. Piquant ses baguettes dans la barquette de nouilles aux légumes, la jeune femme s’était éclairci la gorge avant de revenir à la charge, le ton résolument mielleux « Vittooo … Je suis venue spécialement pour toi et tu ne me regardes même pas. » La mine boudeuse, elle avait abandonné les nouilles pour tirer sur la feuille que l’italien parcourait jusque-là avec une attention scrupuleuse « À quoi tu joues j’essaye de bosser ! » Armé de moins de patience qu’un enfant de cinq ans, il avait rageusement récupéré son papelard – ou celui de Brody – en ne se sentant ni l’envie ni l’énergie pour entretenir la comédie habituelle à l’égard de l’étudiante. « Bien, je vois que je dérange. » Prenant ce ton pincé que l’italien avait en horreur, Penny avait quitté le bout du bureau sur lequel elle s’était assise, avait fait claquer le talon de ses chaussures sur le carrelage avec impatience, et épousseté rapidement sa jupe avant de récupérer son sac à main. « Si peu. » Sifflant sa réponse entre ses dents avec agacement, il avait attrapé la barquette de nouilles pour la jeter dans la corbeille à papier et reporté son attention sur son dossier sans un regard supplémentaire pour la blonde. « Et on nous parle du charme italien. » Sans se faire prier une seconde de plus, la blonde avait tourné les talons en prenant bien garde à chalouper ce postérieur pour lequel beaucoup se damneraient sans hésiter, et gratifié Vittorio d’un majeur équivoque lorsqu’il avait encore eu le culot d’ajouter « Tu pourrais fermer la porte ! » Elle n’avait pas fermé la porte. « Sporco borghese. » Bien vite la masse de boulot à terminer lui avait néanmoins fait oublier son agacement, et il n’avait pour ainsi dire par eu le temps de repenser à Penny ou à son caractère de cochon avant que le ciel ne tire vers le orange de fin de journée par la fenêtre du bureau. Lui qui était homme de peu de sommeil s’était retrouvé à bailler bouche grande ouverte, étirant les muscles de son dos comme pour se faire pardonner de ne pas les avoir amené à la salle de sport depuis presque soixante-douze heures – une éternité pour lui – et sentant l’afflux de caféine dans son organisme redescendre petit à petit sous le seuil critique. Et ce n’était pas faute de faire son café lui-même histoire d’en être pleinement satisfait, pourtant.
Le guidon de son vélo dans une main, il avait tenté par deux fois de joindre Penny dans l’espoir de les amadouer elle et sa fierté mal placée – croyait-il – et s’était ensuite à contrecœur résolu à lui pianoter un SMS. Pas d’excuse, Vittorio ne s’abaissait pas aussi bas, mais la vague justification d’un bonhomme prétextant la fatigue et le travail par-dessus la tête pour tenter d’obtenir la compassion de la demoiselle. D’autant plus que les examens approchaient, et qu’avec la situation de Brody l’ayant contraint à prolonger ses services de stagiaire à l’œil, les fiches de révisions de Miss première de la classe ne seraient pas de refus. Le temps qu’il parvienne jusqu’à son immeuble néanmoins la blonde n’avait pas daigné répondre à la perche tendue, et soudainement vexé comme un pou l’italien avait rageusement rangé son téléphone dans sa poche avant d’entamer l’ascension jusqu’au dernier étage, son vélo sur l’épaule – l’ascenseur était encore en panne. Il s’attendait à trouver en rentrant le même spectacle de débâcle qu’à son départ : une Ariane débraillée et à qui une douche ne ferait pas de mal, le chien qui s’en contentait royalement parce qu’il se foutait bien de l’odeur tant qu’il avait un compagnie ininterrompue, la réserve d’alcool qui diminuait à vue d’œil et des restes de chips jonchant au choix le canapé, le tapis ou le lit selon où la rouquine avait espéré pêcher l’inspiration ce jour-là. Il était urgent qu’elle mette le point final à son machin, sans quoi ce serait peut-être elle qu’il finirait par ramener au refuge pour animaux. Mais pas ce soir. Ce soir il ne rêvait que d’une douche, d’une balade entre hommes – avec Brusco, donc – dans les environs dès que la nuit serait tombée et la chaleur redescendue à un niveau raisonnable, et d’une nuit de sommeil : un programme au milieu duquel les jérémiades d’Ariane et de son syndrome de la page blanche n’avaient pas leur place.
Les griffes qui claquaient contre le parquet annonçant l’arrivée imminente du bolide à quatre pattes dans l’entrée, Vittorio en était déjà à flatter l’animal entre les oreilles lorsque la voix de sa colocataire s’était élevée depuis l’autre bout de l’appartement « Honey, you’re home ! » Débarquant de la chambre chargée comme une mule – mais pas plus vêtue qu’à son habitude, chose dont l’italien n’aurait jamais eu l’idée de se plaindre – la rouquine avait paradé fièrement jusqu’à la cuisine en se sachant suivie du regard, abandonnant là un carton avant de faire volte-face avec une impatience à peine canalisée « Ça tombe bien, parce que j’pense que Google Translate a reçu par la tête toutes les insultes que j’ai pu trouver autant en anglais qu’en français - qu’en italien. » Arquant un sourcil avec curiosité, bien qu’au fond de lui pas forcément prêt à se laisser entrainer dans les délires d’Ariane ce soir, il l’avait laissée approcher avec aplomb et se planter devant lui en reprenant « Mais ce signe-là, je connais. » Brandissant le papelard qui semblait tant la mettre en émoi, elle avait enchaîné sans même lui laisser le temps d’y jeter un œil « T’es riche, c’est ça ? » Lui arrachant presque des mains, l’italien avait senti son cœur louper un battement – peut-être même deux – en reconnaissant l’entête de Mondadori en haut de la feuille « Où t’as eu ça ? » Faisant fi de sa question, la journaliste n’avait même pas tenté de récupérer la facture, préférant parader un sourire refait sur les lèvres et en agitant honteusement devant son nez la main gauche et le bijou qui s’y trouvait « Parce que si c’est le cas, r’garde je suis déjà prête à partager ta fortune légalement parlant. » Le nez pincé et le menton tremblant avec rage, il s’était presque jeté sur la bague sans se soucier de lui faire mal en la lui retirant, vociférant au passage un « Razza di ficcanaso. » mauvais et faisant volte-face pour aller inspecter le contenu du carton. Bien sûr, il aurait dû se douter que cette fouineuse n’aurait pas pu s’en empêcher. « T’as raison, assez riche pour partager un appartement avec une emmerdeuse doublée d’une fouineuse, plutôt que de jouir de ma tranquillité. » La main fouillant déjà dans la boîte à la recherche de ce qui pourrait y manquer, ce qu’elle aurait pu dérober d’autre, il avait à nouveau jeté un regard vers Ariane « Ça va, je te dérange pas trop sinon ? Tu veux peut-être que je reparte pour que tu continues à fouiller à ta guise ? Le respect de la vie privée ça te parle comme notion ? » Il avait la sensation de s’enfoncer et de lui apporter de quoi se délecter en réagissant ainsi, mais il ne parvenait pas à redescendre en pression. Elle touchait là à quelque chose de sacré pour lui, à son jardin secret, et surtout à la possibilité qu’il avait de choisir de ne pas l’étaler auprès de n’importe qui. « Je te jure que s’il manque quoi que ce soit d’autre dans ce carton je retournerai chaque centimètre carré de tes affaires. » Et plutôt deux fois qu’une. Mais Ariane était journaliste, au fond, il aurait dû se méfier comme on se méfiait de cette espèce-là : comme de la peste.
Comme à chaque fois où Vitto revenait à l’appartement depuis ma retraite littéraire forcée, j’exagérais son accueil selon l’inspiration, l’émotion du moment. La majorité du temps il était reçu avec un feu roulant de parole, le récit complet et décuplé de tout ce que nos voisins ont pu faire qui m’ont hérissé le poil des bras durant la journée, m’assurant au passage qu’il soit aussi excédé que moi une fois les anecdotes racontées, mimées, répétées, enflammées. Parfois, j’étais trop concentrée pour entendre le bruit de la serrure qu’on déverrouille, de la porte qui grince, et je me reprenais en l’assaillant, fouille corporelle désagréable et intrusive, à la recherche de rien en particulier juste d’envahir son espace vital un peu plus, brutaliser quiconque vient troubler mon hibernation loin de la vie extérieure, reprendre un semblant de contact avec le monde avant de retourner m’enfermer dans la chambre le clavier qui s’occupe tout seul trop bien de la trame sonore. Ce soir, c’était présentation spéciale, toute en son et en image, maintenant que je déboule à sa hauteur les mains chargées la voix légère, et le débit qui n’en finit plus de narrer la recherche faite, sous supervision de la firme Christian and associates. « Livraison directe et personnalisée, à la porte et tout. Un service nickel, vraiment. » la boîte se dépose devant lui, mes iris qui le narguent, maintenant que je juge que la ride qui fend son visage de stress, mélangée à ce que j’approprie à une rage sans nom me donne envie de voir, juste voir, jusqu’où je peux aller. « Razza-blah-blah-blah. Et après tu veux qu’on paie le savon à deux. Radin. » et je chipote, dénotant tout de même que depuis presqu’un an à vivre sous le même toit que le Giovinazzo, je commence à avoir des bases en italien pas si mauvaises que ça, pas suffisantes pour savoir d’où vient son potentiel fric, mais correcte pour insulter qui que ce soit m’importune si besoin. « Me fait pas pleurer Vitto. Sinon, c’est toi qui achète de nouveaux mouchoirs. »
Mais il s’en fiche, de ce que j’ai à dire, le regard complètement dédié à ses bribes du passé que j’ai bafouées sans la moindre retenue, l’une d’entre elles que je porte encore autour de mon annuaire, pas l'intention de la retirer parce qu’il faut avouer, ce diamant-là, il en jette particulièrement. Bon, il est pas tant assorti avec mon look de déchet du jour, mais il rachète presque ma manucure au vernis noir écaillé, y’a de la marge. « Nah j’ai eu plein de temps pendant que tu chopais ton étudiante. Elle va bien sinon, Penny-chou? » sur le même ton que lui sans manquer l’occasion de minauder le nom de sa concubine avec tout le mépris qui m’emporte lorsque j’imagine mon coloc se complaire dans sa relation avec la gamine blondasse qu’il exhibe à son bras en surjouant tout faux à mon avis. « Y’a un doigt d’attaché, careful. » et je sursaute, mouvement de recul et grognement équivoque, quand Vitto s’en prend à l’alliance qu’il m’arrache comme si sa vie en dépendait, me confirmant que ce que le bijou représente pour lui n’a rien de joli, de rose. Encore plus intéressant, faudra que je creuse là-dessus dans un prochain épisode. Le voilà qui part à la chasse de tout ce que j’aurais pu voler maintenant que je soupire, file à la cuisine remplir ma coupe de vin, lui en sert pas une parce qu’il a joué au gamin pourri gâté et qu’il ne mérite rien, strictement rien de moi, sauf peut-être un « Manque rien d’autre. Sauf p’t’être un peu de contenance de ta part. » envoyé avec toute la condescendance du monde dans mes mots, dans mon regard. Puis, je reviens à sa hauteur, roucoule, bat des paupières, dégage le chemin en lui pointant le trajet vers la chambre avec ce qui me reste de lascif vu mon accoutrement peu glorieux. « Mais si tu y tiens, tu peux commencer par mon tiroir de sous-vêtements. » faut bien que la lingerie reçue à GQ et à peine portée pour cause de manque de vie sociale aussi si ce n’est plus aberrant que de manque de vie sexuelle ne pourrait le confirmer. Puis, son calme me donne envie de renchérir, et le prochain épisode saute pour que le sujet revienne directement après la pause. « T’étais marié quand tu me draguais lourdement à Rome? » pas que ça change quoi que ce soit, on s'entend.
La chose était pourtant prévue de longue date. Conscient que son escale australienne prenait contre toute attente et un brin malgré lui des airs d’installation à durée indéterminée, l’italien avait pris ses dispositions avec l’avocat et ami chargé de veiller sur ses quelques intérêts et avait fait envoyer les biens jusque-là gardés dans un coffre de banque à l’abri des moins bien intentionnés. L’espace d’une seconde pourtant la chose lui était sortie de la tête et ne s’attendant pas à recevoir le dit colis avant au moins une semaine supplémentaire, peut-être même deux, il avait oscillé entre panique et méfiance en voyant sa colocataire brandir ainsi ses affaires comme s’il s’agissait de trophées. Les trophées de sa tendance personnelle à l’indiscrétion maladive. « Livraison directe et personnalisée, à la porte et tout. Un service nickel, vraiment. » en avait-elle-même joyeusement minaudé, absolument pas au fait du sérieux de la colère de Vittorio tandis qu’il lui arrachait des mains ce qui n’avait de précieux que l’importance qu’il y donnait. « Razza-blah-blah-blah. Et après tu veux qu’on paie le savon à deux. Radin. Me fait pas pleurer Vitto. Sinon, c’est toi qui achète de nouveaux mouchoirs. » Il aurait mieux fait de faire livrer tout cela chez Hibiscus, voilà la vérité. Il n’avait pas osé parce que s’il faisait relativement confiance à Donnie il n’en allait pas de même avec tous ses collègues, et que tombés en de mauvaises mains certains documents y compris ceux sur lesquels Ariane avait posé ses sales pattes pourraient lui attirer bien des ennuis, mais en fin de compte que sa fouineuse de colocataire ait mis le nez dedans n’arrangeait pas bien ses affaires non plus. « Pour une journaliste, t’as loupé une occasion d’être perspicace, dis-moi. » qu’il s’était alors contenté de grogner concernant l’attrait financier qu’elle voyait subitement à ses découvertes, comme si vivre en colocation pour s’éviter de fréquenter trop longuement les motels crasseux de Fortitude Valley était un choix éclairé plutôt qu’une contrainte financière. Cultivant toujours cet air de donzelle trop maligne pour son propre bien la rouquine avait continué sa litanie, lui donnant du « Nah j’ai eu plein de temps pendant que tu chopais ton étudiante. Elle va bien sinon, Penny-chou ? » moqueur mais s’offusquant la seconde suivante de la brusquerie du bellâtre. « Y’a un doigt d’attaché, careful. » Peu enclin à s’émouvoir de la chose, l’italien s’était empressé de glisser la bague de fiançailles dans l’une des poches de son pantalon dans l’attente de lui rendre sa place dans l’écrin d’origine. « Me fait pas pleurer, Parker. » Minaudant comme elle l’avait fait avec lui un peu plus tôt, il n’avait pas relevé l’énième réflexion concernant Penny en s’agaçant néanmoins encore un peu plus qu’elle tente de le faire porter le chapeau d’une journée à batifoler quand il avait du boulot par-dessus la tête. Un boulot qui, contrairement à elle, ne lui laissait pas le loisir de traîner dans l’appartement toute la sainte journée avec la recherche de l’inspiration comme prétexte à sa paresse. La pression qui ne redescendait toujours pas malgré la paperasse et le bijou de nouveau en sa possession l’italien continuait de faire savoir sa désapprobation, fouillant dans ses affaires comme le chien policier à la recherche de la substance interdite, menaçant déjà de retourner les affaires de la coupable s’il venait à manquer quoi que ce soit d’autre dans ce carton « Manque rien d’autre. Sauf p’t’être un peu de contenance de ta part. Mais si tu y tiens, tu peux commencer par mon tiroir de sous-vêtements. » Refermant avec brusquerie l’écrin dans lequel il venait de ranger son précieux bijou, il avait reposé sur Ariane un regard agacé « C’est un jeu pour toi, avoue ? » Il était certain que oui, et tout aussi certain que le fait qu’elle n’ait pas mis le nez dehors depuis des jours ne suffisait pas à l’en excuser. « T’as plus ni collègues ni courrier sur lesquels déverser ta frustration alors, t’as décidé de me les briser pour te divertir ? » Qu’elle termine son fichu bouquin et qu’elle retrouve la civilisation extérieure, bon sang. Elle leur rendrait service à tous les deux, à tous les trois même s’il l’on comptait le colocataire sur quatre pattes qui se sentant sans doute assis près d’une poudrière était allé se coucher dans son panier près de l’entrée – chose qui ne lui arrivait rarement pour peu que le canapé soit libre. Soupirant, l’air las, Vittorio s’apprêtait à récupérer son barda ave la ferme intention de ne plus le quitter des yeux même le temps de sa douche, lorsqu’Ariane avait questionné de nouveau « T’étais marié quand tu me draguais lourdement à Rome ? » visiblement toujours pas repus des d’indiscrétions dont elle s’était déjà rendue coupable avant qu’il ne rentre. « Comme si ça t’importait. » Il aurait bien pu être père de famille que cela n’aurait rien changé, et si Vitto ne le savait pas encore à l’époque il côtoyait la rousse depuis suffisamment longtemps maintenant pour avoir la certitude qu’elle n’était pas le genre à s’arrêter à ces détails. « J’ai jamais été marié. » qu’il avait pourtant fini par faire remarquer, parce qu’il était hors de question qu’il passe pour ce genre de gars-là auprès de qui que ce soit. « Et je suis pas Crésus non plus, alors range les euros qui dansent au fond de tes yeux et ne crois pas que je vais subitement payer ta part de loyer. » Qu’on commence déjà par le payer pour le boulot qu’il abattait pour Brody et ses non-associés, pour qu’il ait les moyens de ses ambitions.
Il m’arrache la bague comme il me menace d’arracher mon doigt, le con. Et je le regarde faire, m’étonnant limite d’enfin avoir accès à son sang bouillant d’italien en son et en image. Vitto avait toujours su parfaitement maîtriser son caractère à consonance rigoureux du plus loin que je me souvienne, probablement sachant très bien que je ne me gênerais pas pour pousser dans l’engrenage et piquer juste assez s’il m’ouvrait la porte suffisamment grande, qu’un truc l’atteigne à ce point. J’assiste à son envolée hors du nid, sa vraie nature bouillante tartinée sous mes yeux, laissant mes iris suivre le trajet de l’alliance qu’il finit par ranger dans la poche de son pantalon en pensant que son geste allait clore la conversation de mon plein gré. La blague. « Tu la gardes proche pour quand tu me feras la grande demande? » je bats des cils, toujours bien prête à céder s’il partage avec obligation sa part monétaire du marché, mais tout de même au courant qu’il risque de préférer n'importe quelle autre option au niveau où je l’ai mené sans même me forcer depuis son arrivée. « Ou alors Penny me vole toute possibilité de te servir de green card avec intérêts? » ma moue est faussement déçue, je feins le trémolo dans ma voix, force mes yeux à devenir le moindrement humides, du moins, je prie si fort que ça pourrait peut-être être le cas sous peu. Mais il reste en silence, il fouille ses affaires en savage, il ne me donne plus rien à gratter et je soupire longuement, croisant mes bras contre mon torse non sans secouer la tête de la négative. « Bummer. »
Puis, il daigne enfin me parler à nouveau, comme si c’en était un luxe, comme si je le méritais absolument pas, et qu’il me faisait l’honneur, que dis-je, le privilège de m’accorder plus d’un mot, plus d’un soupir rageur après ma petite indiscrétion dans ses vieilles affaires poussiéreuses pas assez importantes pour qu’elles aient été livrées ici à la seconde où il a emménagé dans l’appart, mais bien presque un an plus tard. « C’était beaucoup plus fun avant que t’arrives. Je suis vraiment pas faite pour les jeux d’équipe. » pas de surprise ici, mon esprit de compétition de base qui clarifie la chose - et explique pourquoi la boxe reste mon truc préféré ever pour cause, tu peux pas être plus en solo que lorsque tu cognes l’autre personne face à toi. Il pense que je m’amuse, je soupire en partant de mon côté, dérivant dans l’appartement non sans rester tout de même suffisamment proche de son orbite pour rétorquer. « T’inquiètes, ta crise a fait tout le travail pour toi. Tes reliques d’une vie d’avant m’intéressent plus. » et je me garde de préciser que de toute façon, sa boîte, je l’ai vidée et inspectée en long et en large plusieurs fois entre la livraison et son arrivée. Ça va, c’est bon, je mémoriserai pas son contenu par coeur non plus, j’ai autre chose à faire de ma vie surprenamment.
Étonnée qu’il relance alors que j’étais persuadée qu’on passerait en mode colocs en silence, hargneux d’un côté et de l’autre du lit à se tourner le dos, voilà que sa voix m’attrape au vol quand je minaude sur son statut de l’époque. « Apparement, pas autant que toi. » ça semble le déranger, au point où il précise, où il explique même, sa justification qui m’arque un sourcil dubitatif. Non, bien sûr que non ça m’aurait pas dérangé. Qu’il ait été pris de coeur rendait de toute façon les choses tellement plus simples et faciles, retirant la charge que le dude passe trop vite de rien à tout, le blocage marital qui m’aurait gardée d’une quelconque relation sérieuse à la clé. Bingo. « Je t’imaginais pas marié, anyways. » n’était-il pas celui qui s’amusait encore et toujours de son charme à l’italienne, de son charisme de macho beau parleur comme tout? Je le connaissais ainsi, il butinait comme il respirait, et probablement que tout ça était étroitement relié au fait que la bague se retrouve dans sa poche et non au doigt de la nana prévue à l’époque. Food for thought.
Mais je change de sujet. Piquante mais pas forcément méchante. Vipère, mais bien moins cruelle qu’on peut penser. Qui s’en étonne? « C’était pour payer quoi? » et je précise, au cas où il pense s’en sauver. « Les euros qui ne dansent plus dans mes yeux. » parce que s'il pense que me retirer une source de revenus supplémentaires peut passer inaperçu, il se voile la face.
Ce carton n’était qu’un concentré de vieilleries sans importances … Ou au moins était-ce que Vittorio ne cessait de se répéter comme pour s’en persuader, quand pourtant la simple idée qu’Ariane y ait mis son nez sans y avoir été invitée le faisait bouillir. Le temps n’avait pas fait son œuvre, pas plus que l’éloignement, et du fin fond de ce maudit pays l’italien continuait de céder aux sirènes des regrets et de la mélancolie face à ce que sa rouquine de colocataire n’avait pas traité autrement que comme de vieilles choses tout juste bonnes à se payer un brin de moquerie. « C’était beaucoup plus fun avant que t’arrives. Je suis vraiment pas faite pour les jeux d’équipe. » qu’elle avait d’ailleurs balancé avec gouaille, crispant un peu plus son humeur déjà grinçante, et osant encore se faire passer pour la victime de la situation au moment de grincer à son tour « T’inquiètes, ta crise a fait tout le travail pour toi. Tes reliques d’une vie d’avant m’intéressent plus. » Aveuglé, agacé, Vittorio n’y avait lui rien vu d’autre qu’un aveu déguisé que la jeune femme avait joué les fouines dans le simple but de provoquer son énervement – et force était de constater qu’elle y était parvenue. « Tu veux pas non plus que je m’excuse de t’avoir interrompue, tant qu’on y est ? » Le carton désormais refermé, les traces de chocs écornant la boîte à certains endroits et témoignant du long voyage par lequel elle était passée pour terminer sa course dans cet appartement, l’italien entendait bien ranger tout cela dans un endroit où la curiosité d’Ariane ne pourrait pas s’aventurer à nouveau. Mais il n’avait pas le temps pour cela ce soir, pas la patience non plus, les simagrées de Penny plus tôt dans la journée ayant terminé d’user sa patience … Et malgré tout il n’avait pas su s’empêcher de répondre lorsque la rousse avait posé sa question. Question qui en disait long sur ce qui avait ou n’avait pas retenu son attention dans ce ramassis de souvenirs, et à laquelle Vitto n’avait répondu que par crainte de dissiper toute fausse idée à son sujet – il pouvait se résoudre à passer pour beaucoup de choses, dont certaines objectivement plus incriminantes … Mais pas celle-ci. Et à la façon dont elle avait rétorqué « Apparemment, pas autant que toi. » Ariane l’avait bien compris, arrachant à son colocataire un nouveau rictus agacé. Agacé par la vérité, assurément. « Je t’imaginais pas marié, anyways. » Haussant les épaules à cela, se gardant bien de rétorquer à son tour qu’à l’évidence une autre qu’elle avait raisonné de la même manière pour que cette bague se retrouve au fond d’un carton et non pas autour de son annulaire, il n’avait pas su résister à un « Si c’est Parker l’experte en love letters qui le dit, dans ce cas. » narquois. Tant d’ironie dans l’énergie qu’elle déployait à s’occuper des histoires de cœur des autres quand le sien lui faisait de plus en plus l’effet d’être sec comme un désert. Loin de se démonter, et la curiosité visiblement pas aussi rassasiée qu’elle voulait le faire croire, Ariane n’avait laissé passer que quelques secondes – juste assez pour que l’italien envisage à nouveau quitter la pièce pour prendre cette douche dont il rêvait – avant de revenir à nouveau à la charge, le sujet du mariage bien vite remplacé par l’autre de ses centres d’intérêts flagrant. Le pognon. « C’était pour payer quoi ? Les euros qui ne dansent plus dans mes yeux. » Mais ils dansaient toujours, Vitto en aurait presque mis sa main à couper, et cela expliquait bien des choses à commencer par cette tendance qu’elle avait à toujours tenter de feinter le partage des frais de colocation. « Arrête-moi si je me trompe, mais j’ai pas souvenir que le détail de ce que je fais de mon fric fasse partie du contrat de colocation. » Pas du contrat officiel qu’il avait fallu négocier avec le propriétaire et son angoisse latente qu’ils lui laissent cet appartement sur les bras le jour où ils décideraient – supposément – de pondre un mouflet braillard, mais pas de leur contrat officieux non plus. Celui censé garantir leurs libertés et leurs obligations l’un envers l’autre, pour ce que cela valait. Mais Ariane semblait avoir bien plus besoin d’un os à ronger que leur cabot à cet instant, et pour cette raison l’italien s’était fendu d’un « Termine ton propre bouquin, et quand il renflouera tes caisses on reparlera de ce que tu comptes te payer avec. » qu’il laissait à sa libre appréciation, embarquant de son côté à la fois le carton et le chien jusqu’à la salle de bain.
Impossible de prendre une douche sans que Brusco ne termine inévitablement couché sur le tapis de la salle de bain, l’animal semblant se complaire dans le fait de se laisser bercer par le bruit de l’eau contre la porte vitrée et dans la chaleur saturée de vapeur d’eau qui emplissait la pièce. Habitué cependant à ce que l’un et l’autre de ses colocataires bipèdes quittent la pièce une fois secs, l'animal avait observé Vittorio s'asseoir en tailleur sur le sol de la salle de bain et fouiller à nouveau dans sa boîte à souvenirs, débarrassé du sentiment d'urgence maintenant qu'Ariane n'était plus dans son champ de vision. Presque tout ce qui avait un tant soit peu de valeur à ses yeux – sentimentale bien plus que pécuniaire, cela dit – se trouvait entassé dans ce carton, mais là où certains auraient trouvé cela triste, lui se satisfaisait d’avoir suffisamment souvent fait le tri dans ses affaires et dans sa vie pour qu’il n’y ait que ça, et rien d’autre. Même les photos lui semblaient superflues, et s’il avait souri un instant devant le vieux polaroïd où s’étalaient leurs visages enfantins à Nino, à Vince et à lui il lui suffisait de réaliser qu’il ne possédait pas une seule photo de sa mère et que pourtant le souvenir n’en était pas moins vivace. Elle avait eu quelques bons jours elle aussi, au milieu des mauvais et quoi qu’on en dise. A moins que ses souvenirs ne se soient embrumés autant que la médaille au fond du carton s’était oxydée, témoignant du piètre matériau dans lequel on l’avait fondue ; Ce n’était ni la plus belle ni la plus importantes des médailles mais c’était la seule qu’il avait gardé, des années après. Parce que c’était la première, sans doute, et parce que ce jour-là pour la première fois il y avait cru lorsque l’Ancien lui avait dit que le sport lui permettrait de devenir quelqu’un, s’il le voulait réellement. La patte frappant contre le carton, Brusco avait finalement sorti son maître de ses pensées et tout en secouant la tête l’italien s’était remis debout en grognant contre son propre accès de sentimentalisme. Récupérant simplement l’enveloppe qu’Ariane n’était pas parvenue à déchiffrer, il y avait ajouté ses deux diplômes – celui de juriste et celui d’entraîneur – et avait refermé la boite, destinée à finir sous le lit où de son propre aveu sa colocataire n’y trouverait plus d’intérêt maintenant qu’il lui avait cassé son coup. Les quelques papiers importants eux avaient terminé dans son sac, au milieu des papelards du cabinet Brody – il gèrerait cela plus tard. L’effort d’un boxer et d’un tee-shirt sur le dos semblant presque surhumain, l’italien était finalement reparu au salon sans adresser un mot à Ariane, ne passant devant elle que pour rejoindre la cuisine et se servir un verre de vin qu’il estimait amplement mérité, le chien décidant de jouer les lâcheurs pour aller quémander quelques caresses à la French girl. Ariane avait une mine à faire peur, celle de quelqu’un qui n’avait pas vu un rayon de soleil depuis trop longtemps et que le manque d’UV rendait fantomatique – à moins que son agacement envers elle ne la rende subitement moins à son goût d’un point de vue purement physique. Mais lui faire la remarque ou même lui suggérer d’aller prendre l’air ? Plutôt avaler sans langue, et il en avait trop besoin pour profiter de la bouteille de rouge qu’elle aurait probablement sifflée à elle seule s’il n’était pas rentré avant. Pour l’heure avait-il donc décrété n’avoir que son silence à lui offrir.
Il s’insurge encore et toujours c’est du pareil au même et je soupire, pas le moins du monde impressionnée, attendant qu’il se calme son épisode de vierge effarouchée pour qu’on puisse parler des choses sérieuses ; à savoir si son fric caché dans un compte qui l’était tout autant arriverait à nous financer de nouveaux électros. Je vois grand, j’ai 4 options de fours qui brillent dans ma tête, 2 suggestions de frigos, j’ai les billets qui se cumulent contre mes neurones et toute l’inspiration nécessaire pour user le tout de tout bord tout côté question de passer level dix en cuisine d’ici la fin de l’année. C’est beau, c’est émouvant, c’est du partage de sa part auquel je m’attendais pas mais que j’anticipe, j’idéalise, quand il finit par faire éclater ma bulle en me retirant complètement le droit à son fric pour en faire bénéficier notre ménage. Sale égoïste. « Et moi qui pensait qu’on faisait du progrès là maintenant de suite, qu’on partageait notre passé rien que pour devenir plus proches et tout ce que ça implique. » j’ai la parfaite expression de la pauvre gamine déçue, dépitée, démontée que lui renvoie ma lèvre inférieure qui tremble, mon oeil brillant et pas par amusement. Mais la moue piteuse est tellement exagérée qu’elle en est fausse, et de toute façon, quand il change de disque et laisse échapper le détail sur lequel je me rattraperai direct, c’est déjà tout oublié. « Mon propre bouquin, mhm? » mon sourcil se hausse d’intérêt mais Vitto est déjà parti de son côté à bouder, j’ai pas de temps à perdre à le supplier d’en dire plus quand je peux très bien me monter des scénarios hypothétiques moi-même, toute seule, comme une grande.
La douche fait du bien. J’y file dès qu’il en sort, l’entends même se resservir du vin à la seconde où je passe sous le pommeau, rage un peu, décide que j'utiliserai le billet piqué dans son portefeuille en début de semaine quand il a appelé Christian Brusco trop souvent à mon goût pour me payer une bonne bouteille plus tard ce soir. Mes cheveux passent de longues minutes sous l’eau bouillante, ma peau toute entière suit la cadence. C’est pas vraiment une couche de crasse que je lave mais presque, pour avoir passé trop de temps enfermée ici à écrire mais, le résultat pas encore tout à fait là quoique plus proche que jamais me motive à chantonner, à voir une fin, à anticiper que j’y arriverai peut-être à finaliser ce bouquin de merde, à y mettre un titre, à en faire un truc lisible surtout. Mon propre bouquin, mhm. Et ma question sans sa réponse remonte une fois que j’en suis à rincer mon corps et ma tête une dernière fois. Elle marine, elle tourne l’interrogation, elle fait son chemin, et je finis par débouler au salon où il a élu domicile apparemment. Pas besoin de serviette pour couvrir ni même sécher mon corps, l’air libre fera amplement l’affaire. Chris s’occupe de me lécher goulûment les mollets, ça ajouterait presque une touche de dramatique à la scène quand je finis par poser mes mains sur mes hanches dénudées comme le reste de ma silhouette. « J’ai mis deux doses de shampooing, joue pas au type muet et dégoûté avec moi. » parce que je les voyais, je les connaissais ses regards de dédain de voir à quel point je me laissais aller ces jours-ci dans le but de concentrer ma tête et mes mains et tout ce que j’avais sur mon propre bouquin et lui seul. « T’as écrit sur quoi? » tout sous-entend que lui aussi, il se la joue auteur. Et je sais pas pourquoi ça m’intéresse à ce point, mais voilà, ça m’intéresse. Et si ça l’énerve que je revienne sur ce sujet en prime, c’est banco. « Et une mention spéciale à moi-même et à ma question qui touche pas de près ou de loin au cachet que tu t’es fais avec ton propre bouquin. » je m’applaudis, le moins humblement du monde.
Le chien se sentant comme pris entre deux feux, il allait de l'un à l'autre sans sembler savoir où fixer son attention, et la délivrance était finalement venue d'Ariane - lorsqu'elle s'était éclipsée pour rejoindre la salle de bain, pendant que la stature de Vittorio se détendait de ne plus sentir le regard mi-narquois mi-courroucé qu'elle posait jusque-là sur lui. Qu'elle s'y noie avant d'être décrassée, s'était-il dit sans y repenser à deux fois en remplissant son verre de rouge avec lassitude. Trop courte à son goût, pourtant, la parenthèse n'avait duré que le temps de la douche de la rousse, et s'il s'était mis en quête de sonder le contenu du frigo ce n'était que pour mieux s'empêcher de fulminer contre elle lorsqu'elle était réapparue, vêtue seulement d'une couche d'humidité que la moiteur estivale n'avait pas encore terminé de sécher. Il crevait de faim, ayant à peine touché au repas gracieusement apporté par Penny au bureau avant qu'elle ne lui fasse une nouvelle crise d'ego, et le poivron ainsi que le duo de tomates attendant leur heure dans le bac à légumes suffirent à le convaincre que la salade de pâtes – il restait des farfalle dans un placard – serait une fois encore la réponse à tout. La casserole remplie d'une eau qu'il avait aussitôt mis à bouillir, l'Italien avait attrapé son verre pour y boire à nouveau avec application, poussant par son indifférence Ariane dans les mêmes retranchements égocentriques que ceux de sa blonde du midi, en constant besoin d'attention. « J’ai mis deux doses de shampooing, joue pas au type muet et dégoûté avec moi. » Plantant son regard dans celui de la rousse juste assez longtemps pour lui prétendre qu'elle avait toute son attention, il n'avait pas décroché un mot et bu une nouvelle gorgée, avant de tourner à nouveau le dos à sa silhouette dénudée pour en revenir à la découpe de ses poivrons. Abandonnant les mollets humides de la jeune femme, le chien avait fait claquer ses griffes contre le parquet jusqu'aux pieds de son propriétaire, avec sans doute l'espoir fou d'obtenir un bout de ceci ou de cela, malencontreusement tombé du plan de travail pendant l'atelier cuisine. « T’as écrit sur quoi ? » Revenue à la charge avec sa délicatesse habituelle, elle s'était congratulée la seconde suivante en tapant des mains « Et une mention spéciale à moi-même et à ma question qui touche pas de près ou de loin au cachet que tu t’es fais avec ton propre bouquin. » Roulant des yeux, et peu importe qu'elle ne puisse pas le voir et jauger elle-même de son exaspération, l’italien faisait claquer sa lame contre la planche à découper, le poivron jaune se changeant bientôt en cubes jaunes avant que les tomates ne suivent le même chemin. « Donne-moi une seule bonne raison de te répondre. » Et de satisfaire ainsi sa curiosité. Il n’avait pas envie qu’elle soit satisfaite, pas plus qu’il n’avait envie de dévoiler ce genre d’information jusque-là restée secrète – pour de bonnes raisons – à quelqu’un qui semblait faire ainsi fi du respect de la vie privée. Estimant néanmoins qu’il ne servait à rien de nier, il avait préféré botter en touche et commenter, un brin moqueur « T’as fouillé ce carton en long, en large et en travers et t’as même pas été fichue de trouver toute seule les réponses à tes questions. Che giornalista. » Gaïa la lui avait peut-être fait à l’envers, mais elle avait au moins le mérite de faire son métier correctement, elle. Les farfalle jetées dans l’eau bouillante juste après l’obligatoire pincée de gros sel, il avait enclenché le chronomètre de sa montre et récupéré son verre, faisant danser un instant le vin contre les parois avant que son regard ne vienne toiser Ariane de bas en haut. « Ne t’en fais pas, je n’ai jamais songé à régler mes comptes avec mes ex par écrit, la place est encore libre pour ton projet. » Reste qu’elle pourrait bien googler tant qu’elle voulait si cela lui chantait, elle ne trouverait rien à son nom, et n’obtiendrait rien de plus que ce qu’il serait disposé à lui donner. Autrement dit, pour ce soir : rien du tout.
Y’a rien qui sortira de lui ce soir, je pense qu’au moins là-dessus, on est d’accord. Et c’est pas parce que je débarque à l’entrée de la cuisine une fois la douche terminée, à patienter, à questionner, à attendre qu’il ait fini de dédier toute son attention au vin et aux pâtes et au chien et à la peinture sur les murs plus qu’à mes questionnements que j’arriverai à assouvir ma curiosité, mais voilà. C’était pas facile ces derniers temps, à force de s’isoler de la sorte. La vie hors de la chambre, hors du lit même, qui me semblait être en décalé, et mon livre qui m’occupait tellement la tête et les pensées et tout ce qui pouvait rester d’un sens comme dans l’autre que je grattais la seule et unique option de socialiser qu’il me restait ; en l’occurrence, gratter jusqu’à l’explosion. Pourtant il reste calme Vitto, il rage mais se contient, il renchérit pas, à se demander si avec le temps il n’est pas simplement habitué à mes techniques, s’il s’en balance – ce que je comprends, limite conçois, quand on vit avec moi dans les parages à juste finir par let go, le lâcher prise qui devient la meilleure façon d’éviter quoi que ce soit en tenant compte du fait que je finis par m’emmerder et aller voir ailleurs. L’échange de bons précédés par contre, lorsqu’il finit par hausser le ton à mon intention, et qu’il demande, le plus opportuniste du monde, ce que je peux lui négocier pour tant d’informations personnelles. « Si tu réponds, t’as le droit de me demander n’importe quoi et j’aurai pas le choix de me faire chier à te répondre à mon tour. » je l’ai dit et je le répète et je le sais pertinemment. Il ne va rien ajouter à ça. Il se fait déjà bien chier pendant cette conversation, à un point tel que je me demande simplement s’il est pas juste en train de planifier où, quand, comment se tirer avec sa boîte si secrète si importante et me laisser toute seule à payer le loyer à ce rythme. Quand il renchérit en pointant le fait que j’avais pas des qualités de journaliste en devenir, je le retiens à peine, le rire léger lié au commentaire. Parce que j’étais pas journaliste, parce que c’était pas ça mon boulot, parce que moi, grand bien m’en fasse, on me payait pour parler – et étonnement à nous voir actuellement, on me payait pour écouter aussi. Nuance. Je relatais aucun fait, j’étais pas dans l’actualité du moment, encore moins dans la recherche et la veille d’informations. Je confrontais les gens et c’est tout. « Les réponses sont là mais dans ta langue de spaghetti. » que je rétorque plutôt, sur le même ton que lui, piquant un morceau de poivron avant qu’il n’envoie le reste à cuire.
Et si je croyais qu’on s’en tiendrait là pour ce soir, qu’il prendrait le canapé en otage le temps de manger et de relaxer après sa journée, que je filerais de mon côté sans demander mon reste, faut que Vitto pointe de ses mauvais jugements et de son regard hautain ce qui constitue à ses yeux le squelette de mon bouquin. Et il rage le gars, il pique, il est amer, il compare surtout, ce à quoi je finis par répondre diplomatique, non sans bouillir un brin de l’intérieur. « Encore heureux, sinon j’aurais clairement été sanguinaire avec ce que t’aurais écrit. » il tombait dans ma zone de confort là, et comme je ne l’imaginais pas du tout être en mode rédacteur d’un livre dans ce style, n’en restait que je me serais particulièrement amusée à analyser chaque mot et chaque phrase, quitte à perdre un temps incroyable et nécessaire à la rédaction de mon propre manuscrit strictement pour incendier le sien. Mais bien sûr que c’est pas à propos de ça dont il a écrit, évidemment qu’il joue pas dans une cour aussi dégradante et aussi nulle et aussi facile à pointer du doigt et à critiquer maintenant qu’il se complait dans ses stéréotypes et ses jugements probablement communs à tous ceux qui regardent de haut ce que je fais comme travail. M’enfin. « Tu sais quoi? Il fait froid et ça m’intéresse plus du tout tes secrets. Bonne nuit. » et elle déclare forfait Ariane, ou plutôt, elle a pas envie de se battre pour un truc aussi con que le sujet de son pseudo-livre, les recettes qu’il en a reçues jadis y’a des millénaires, et son histoire de bague de fiançailles cachée au creux d’un carton oublié de l’autre côté du globe pendant des années avant qu'il resurgisse ici comme une fleur empoisonnée. J’ai pas envie de creuser, j’ai perdu complètement le goût de, de toute façon, et parler à un mur de condescendance me fait pas particulièrement envie une fois la journée terminée.
La prochaine altercation ou semblant de aura lieu le lendemain matin, quand il émerge dans la cuisine et que j’en suis à terminer le café. Y’a même une tasse que je lui dédie, la posant sous ses yeux, habillée et prête à aller affronter le monde pour la première fois cette semaine. J’ai un meeting au bureau, une raison comme une autre de quitter enfin l’appartement que j’ai élu comme ma crypte d'ermite depuis trop longtemps déjà, et j’anticipe sa méfiance lorsque je romps le silence d’un « Y’a pas d’arsenic dedans, t’inquiètes. » qui sonne presque comme des excuses. Presque.
Sa soirée faite de contrariétés et d’une fatigue que le point précédent n’avait fait qu’exacerber encore un peu plus, l’italien l’avait finalement passée sur le toit-terrasse de l’immeuble, acceptant de payer le tribut de la moiteur ambiante pourvu que le coucher de soleil vaille le coup du côté de l’horizon. Satisfait d’avoir obtenu quelques miettes à force de supplications et de regards mornes, Brusco s’était couché sur la tiédeur du béton, laissant Vittorio siroter ce qu’il restait de rouge au fond de son verre ballon alors que ses jambes pendaient nonchalamment dans le vide. La boîte de la discorde était posée près de lui, comme s’il ne parvenait pas à décider quoi en faire – si une partie de lui ne doutait pas que piquée au vif la vipère qui partageait son nid n’irait pas mettre à nouveau son nez dedans, l’autre partie ne savait simplement pas mettre un terme au sentiment de méfiance venu lui brûler la chair comme la plus douloureuse des piqûres de rappel. Il devait rester sur ses gardes, même ici, même si Ariane n’était une menace que pour son égo de mâle et sa tranquillité de latin ; On ne peut faire confiance à personne, qu’il se répétait comme une litanie dans laquelle le « on » prenait chaque seconde un visage différent. La course du soleil arrivant lentement mais sûrement à son terme, le barbu s’était laissé gagner par la pénombre sans plus se préoccuper de l’environnement, sans plus entendre ni le freinage trop brusque d’une voiture un plus haut dans la rue, ni les babillements du mouflet deux étages en-dessous – celui-là même qui une nuit sur deux ravissait leurs oreilles de ses pleurs stridents – ni même les vagues couinements échappant au chien lorsqu’un rêve venait animer son sommeil. La tête lourde de mille et une choses, encombrée de soucis dont le contenu de cette satanée boîte n’était qu’à peine la partie émergée de l’iceberg, Vittorio s’était laissé gagner par un brin de mélancolie qui plusieurs fois l’avait poussé à parcourir le répertoire de son téléphone du bout des doigts, en regrettant que le prénom de Nino n’y figure pas. Nino n’avait jamais appelé. Dans un moment de faiblesse qu’il avait d’abord craint de regretter, le juriste avait griffonné son numéro en suggérant à son cadet de l’utiliser en cas de besoin, mais ce dernier ne l’avait jamais fait et voilà des mois désormais que Vitto n’avait plus eu de contact avec lui. Il aurait dû s’en satisfaire, longtemps il n’avait espéré que cela, et pourtant désormais mis devant le fait accompli il aurait payé cher pour quelques mots jetés sur un SMS. Pour un simple bout de phrase et l’assurance avec lui que son frère vivait mieux que les souvenirs misérables entassés dans ce stupide carton.
La langue râpeuse du chien était venue s’étaler sur son nez et l’une de ses joues avec vigueur, et sursautant en laissant échapper une protestation de dégoût Vitto avait malencontreusement heurté son verre de vin – vide depuis bien longtemps – dont la course s’était terminée en mille morceaux sur le béton. « Cazzo ! » Dans le silence feutré de l’aube qui pointait à peine, son juron avait sorti du sommeil un duo de mouettes dont la protestation n’avait durée d’une seconde, et se redressant d’un air hagard l’italien avait eu besoin de quelques secondes pour que ne lui revienne en tête le fait de s’être installé – et assoupi – sur l’un des transats du toit-terrasse. Sa montre affichait cinq heures et quelques minutes à peine, il aurait volontiers pris le temps de savourer l’éveil de Bayside et l’air encore doux et agréable à cet instant de la journée, mais empêchant au dernier moment Brusco de donner un coup de langue curieux dans les débris de verre à vin, le juriste s’était fait à l’idée qu’aussi courte et agitée fut-elle, sa nuit était belle et bien terminée.
La force des choses l’ayant rendu plus matinal encore qu’il ne l’était d’ordinaire, Vittorio avait déjà eu le temps de balader le chien dans le quartier, remonter nettoyer sa maladresse sur le toit, prendre une douche et enfiler l’habituel pantalon-chemise qu’il réservait à ses matinées au cabinet Brody, abandonnant dans l’entrée le sac de sport nécessaire à la seconde partie de sa journée. Plus aucune trace de la boîte à souvenirs, rangée à l’abri de la vue et des envies maladives d’Ariane, et lorsqu’il avait débarqué à la cuisine une fois fin prêt la tignasse de la rousse l’avait accueilli avec cette nonchalance qui était la sienne, l’odeur de café à peine acceptable accompagnant la tasse tiède qu’elle avait fait glisser jusqu’à lui. « Y’a pas d’arsenic dedans, t’inquiètes. » S’en saisissant alors que le regard s’accrochait à la rousse bien plus qu’au contenu de la tasse, l’italien avait scruté la jeune femme quelques courtes secondes avant de tremper ses lèvres dans la mixture – et force était de constater que des mois de colocation auraient au moins appris à Ariane à préparer un café décent. Ni parfait, ni fameux, mais au moins décent. « T’es bien trop sanguine pour avoir le profil d’une empoisonneuse. » qu’il avait finalement décoché, faussement scolaire dans sa manière de le présenter. Mais c’est qu’il jugeait Ariane bien plus apte à manier le couteau de cuisine dans un moment de colère incontrôlée, que dosant attentivement le venin mortel dans une boisson où son goût passerait pour le doux-amer habituel des conversations à visage voilé. « Ne refais jamais ça. » Quelques nouvelles secondes passées à transmettre la caféine de ses papilles au sang qui lui courait à toute vitesse dans les veines, et Vittorio était revenu poser sur la rousse un regard sérieux. Débarrassé des reproches et de l’animosité de la veille, mais néanmoins toujours empreint de cet air grave qu’il ne réservait qu’aux sujets primordiaux. « Et remballe la méfiance, tu restes la seule écrivain en devenir de cette colocation. Ton honneur est sauf, et ton futur Pulitzer avec. » Parce qu’elle ne lui ferait pas croire que sa curiosité résidait dans un intérêt pur, et non pas dans une bataille d’égo qui la pousserait à grincer des dents s’il s’était avéré que le spaghetti empiétait sur ses plates-bandes en jouant dans la même cour qu’elle. Tendant le bras vers la corbeille de fruits, il y avait attrapé une pomme dans laquelle il avait croqué avec nonchalance « T’as plutôt intérêt à mettre le nez dehors aujourd’hui. Jouer les ermites ça ne te réussit pas. »
Il est sorti avec le chien, l’appart est complètement plongé dans le silence, c’est pas de refus après la scène de ménage que Christian et lui m’ont faite subir à l’aube avec leurs éclats au sol. Mais j’ai fait un effort, et dans ma propreté et dans la tasse que je me suis appliquée à me préparer, et à lui préparer ensuite. C’est d’un chiant de faire dans la politique si vous me demandez, de me forcer le moindrement pour pas faire de cette colocation un enfer. La vérité, c’est qu’autant Vitto que moi, on pourrait très bien cohabiter, coexister ici sans se regarder, sans même se parler, rien qu’en payant les chèques de loyer chaque mois et s'alternant la facture des courses. Mais ça fait plus d’un an là, qu’on est ici ensemble tous les deux. J’imagine que ça compte pour quelque chose, que ça pèse dans la balance de vouloir faire amende honorable. Encore heureux il daigne ralentir à mon intention quand je lui tends son café, l’autre option aurait été de lui lancer le liquide derrière la tête s’il avait pas mis du vin dans son vin (qui met de l’eau, really ?!) à son tour. Ça se joue à deux, l’humilité et l’acceptation de ses torts. « T’es bien trop sanguine pour avoir le profil d’une empoisonneuse. » qu’il renchérit, m’arrachant un sourire en coin qui a la décence de me faire réaliser que ma réputation continue de me précéder et que c’est tout à mon honneur. « Faut changer la routine parfois. » honnêtement, poison ou gorge arrachée, tant que l’effet final tartine de sang le plancher et agit comme relique de victoire à mon palmarès, ça me va. Mais s’il y a bien quelqu’un qui peut témoigner de mes excès de violence au quotidien, entre la douche qui décide de lâcher son venin d’eau glaciale contre mes cris acharnés ou les portes battantes des armoires qui se referment pas toutes seules sauf si mon pied les y encourage, il avait déjà donné dans les exemples nombreux et variés.
J’ai pas l’intention de m’excuser, il a pas plus l’intention de me forcer à le faire, parce qu’il est assez brillant pour voir dans mon regard que c’est pas encore tout à fait ça, mais que ça ne discrédite pas autant mon premier pas dans sa direction. « Et remballe la méfiance, tu restes la seule écrivain en devenir de cette colocation. Ton honneur est sauf, et ton futur Pulitzer avec. » mes lèvres se trempent dans mon café, je fronce des sourcils un temps, le fameux sujet de son livre à lui qui restera probablement un mystère jusqu’à ce que je sois pétée au weed et que je stalke internet d’un côté et de l’autre pour trouver mes réponses ; en attendant, le statu quo nous va parfaitement bien à tous les deux. « Tant mieux. » même si je doute de gagner quoi que ce soit avec mes brouillons de nouvelles érotiques et mon manuscrit censé être remis à mon éditrice dans deux semaines mais qui prend encore un peu trop la poussière à mon goût. Le bruit de la pomme dans laquelle il croque attire l’attention du chien de service, je reçois des éclats de pulpe sur la joue, m’essuie du revers en roulant du regard à sa remarque. « T’as plutôt intérêt à mettre le nez dehors aujourd’hui. Jouer les ermites ça ne te réussit pas. » « C’était dans les plans. » d’un geste, je tourne sur moi-même, exhibe la tenue propre et la silhouette qui l’est autant. Si ma peau d’ordinaire blanchâtre a l’aspect vampirique maintenant, c’est qu’il a raison, et que je le feel bien d’aller prendre l’air, de faire un tour du quartier, de la ville même, j’ai pas d'idées prcéises, j’improvise, mais j’ai besoin de sortir.
Personne n’impose rien, personne ne brise le silence routinier des matinées. Il fait ses trucs, je finalise les miens, on se croise dans notre chorégraphie calculée et répétée matin après matin depuis des mois. « Et si t’as envie de me rendre la pareille, y’a un de mes vieux journaux intimes qui traîne à quelque part sous le lit. » je viens d’attraper mes clés sur la table de l’entrée, et son regard également dans le couloir alors qu’il filait je sais pas où avant de lancer sa propre journée à lui de boulot, d’école, je sais pas, je sais plus. Du menton, je lui pointe la direction vers la chambre, sachant très bien que s’il se risque à fouiller dans le bordel poussiéreux sous le pieu, il aura accès à des bribes de ma vie aussi, bribes qui me font chier de partager, mais qui sonnent la fin du règne de terreur entre nous deux. Du moins, pour aujourd’hui. « Gâte-toi. » et l’instant d’après je file par la porte de l’appartement, le soleil de Brisbane qui me chauffe déjà la peau à travers les carreaux de la cage d’escaliers.