KANE & FINNLEY ⊹ Been looking forward to the future, But my eyesight is going bad And this crystal ball It's always cloudy except for When you look into the past.

(FORTITUDE VALLEY, CANVAS). Au fil des semaines, le Canvas est devenu plus qu’un simple repère ; c’est presque devenu sa maison secondaire. Celle qu’on, au début, préfère à son logement principal, parce qu’on a l’impression de s’y sentir à sa place, parce qu’on a eu le temps de la choisir, de la construire, et qu’elle est à notre image ; l’attrait de la nouveauté sans doute. Il y a quelques mois, le jeune homme passait la plupart de ses soirées ici, parce qu’il tentait justement de fuir son appartement officiel, parce que celui-ci lui donnait l’impression d’étouffer et qu’il avait besoin de changer d’air, de voir autre chose. Mais à force de prendre ses habitudes ici, Finn a ressenti une certaine lassitude, presque un malaise. Le besoin de voir autre chose a peu à peu laissé place à la sensation de voir toujours la même chose, les mêmes gens, de boire toujours le même alcool, de vivre toujours la même soirée. Alors le jeune homme a espacé ses visites, de tous les soirs il ne venait plus qu’une fois par semaine, et puis, pendant une période, plus du tout. Il a pris ses marques dans d’autres bars, appréciait la compagnie d’autres habitués, aimait goûter à d’autres mélanges. Et puis, finalement, la nostalgie l’a envahi, et ses visites, bien que plus espacées qu’au début, avaient repris. Parce qu’il avait enfin pris conscience que comme toute résidence secondaire, le plaisir de s’y rendre résidait dans la rareté des visites qui permettait de mieux apprécier les lieux. Et c’est exactement ce qu’il se passe ces dernières semaines ; Finn apprécie de se retrouver au Canvas bien plus que lorsqu’il s’accoudait tous les soirs au comptoir, la presque obligation qu’il a pu ressentir à une période ayant fait place au plaisir d’occuper ses soirées de la sorte. Son absence est trompeuse ; il n’a pas réduit sa consommation d’alcool, il a simplement mis en place un tournus qui empêche la lassitude. Et le Canvas étant de nouveau dans ses bons papiers, il n’est pas surprenant qu’il s’y rende après une nouvelle journée de travail qu’il préférerait oublier. Ce n’est pas la seule chose qu’il souhaite reléguer dans les méandres de son esprit, celui-ci tourmente Finn plus que de raison depuis quelques semaines et s’il a conscience qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui-même, qu’il y aurait une solution parfaitement juste pour mettre un terme à cette tempête d’émotions qui dictent sa conduite depuis quelques semaines, le rouquin n’est pas résolu à être raisonnable – contrairement à son habitude. Plutôt que des confessions, c’est les verres qu’il enchaîne, et s’il y a fort à parier qu’il ne sera pas fier de cette soirée demain matin au réveil, dans l’immédiat celle-ci lui apparaît comme la solution à tous ces problèmes, elle agira comme un pansement sur cette plaie qui n’arrive pas à cicatriser. C’est temporaire, c’est bancal, mais c’est utile, nécessaire, pour le temps que ça dure.

Poussant la porte du Canvas en début de soirée – peu après l’ouverture du bar – c’est sans surprise que celui-ci est encore relativement vide, ce qui a le don de déplaire à Finnley qui apprécie de se fondre dans la masse, mais il savait à quoi s’attendre en venant ici à cette heure-ci. Le besoin de taire ses pensées l’a emporté sur son besoin de discrétion, et c’est sans un regard pour les quelques habitués qu’il serait susceptible de reconnaître que le rouquin se rend jusqu’au bar pour commander une bière. Il est trop tôt pour s’accouder au comptoir, ainsi il envisage de chercher une table dans un coin, mais ses prunelles dévient rapidement jusqu’à la scène, et c’est avec un soupir d’agacement que Finn réalise que ce soir, c’est scène ouverte. Et si c’est quelque chose qu’il apprécie pour y avoir assisté à plusieurs reprises, il y a toujours cette crainte de croiser Lou. Il se maudit silencieusement de ne pas penser à vérifier le programme avant de pousser la porte du bar, comme il s’était promis de le faire la fois où il avait effectivement croisé la jeune femme, et entreprend de quitter les lieux avec le même empressement qui l’a mené jusqu’ici. Mais comme à son habitude, sa raison perd la bataille face à son envie, et lorsque résonne à son oreille les premières mélodies d’une chanson qui lui est inconnue mais agréable, le jeune homme s’arrête dans son cheminement pour écouter, profiter, apprécier. Il reconnaît le type sur scène, il l’a déjà vu, ou plutôt entendu, à plusieurs reprises, et il fait partie de ces amateurs que Finn apprécie suffisamment pour se réjouir de leur présence. Une chanson, puis une autre, et puis finalement après une vingtaine de minutes le blond rend la scène et Finnley est toujours là, sa bière pas encore terminée, un exploit qui mérite d’être signalé, une attention qui a été captée par autre chose que l’alcool et ses pensées qui sont parvenues à oublier tout ce qui le hante, qui sont même parvenues à trouver du plaisir dans quelque chose. Et alors que l’artiste amateur a fait place à un autre, Finn est toujours là, près de la porte qu’il s’empressait de rejoindre il y a quelques instants et qu’il ne se résout désormais plus à franchir.

Les meilleurs moments pour faire mes expériences scénique c’est au tout début de soirée ou à la fin. Quand y’a pas grand monde au Canvas. Aujourd’hui je suis venu très tôt parce que ça fait plusieurs jours que je bosse sur une chanson très particulière. J’ai envie de la perfectionner et y’a rien de mieux que de faire ça avec un public. Ou l’absence de public, c’est vrai. Moins de dix personnes qui sont dans les lieux c’est pas fou mais rien que d’être légèrement élevé sur cette petite estrade, ça donne un truc en plus. C’est du sérieux. C’est pas juste moi dans mon salon. Et puis je dois avouer que comme y’a Wendy chez moi maintenant qu’on a officiellement emménagé ensemble, je me sens pas de jouer ça à côté d’elle. Parce que cette chanson, elle parle de Levi. Je dis même son prénom dans la chanson donc y’a vraiment pas de place au doute. C’est d’ailleurs un des points que j’ai longtemps hésité à garder sur la version finale de la chanson. Je me suis décidé à assumer et laisser comme ça. De toute façon personne ne sera surpris de cette déclaration que je vais faire à mon meilleur ami. Je crois que ce qui va surtout les surprendre, c’est que je ne l’ai pas fait plus tôt. Le truc c’est que cette chanson elle est en chantier depuis huit ans. Jusqu’à la semaine dernière et ça fait tout bizarre de la chanter pour la première fois ce soir.

Je commence par me chauffer avec d’autres chansons de mon répertoire. Je n’ai que cinq chansons à mon arc. Ce qui est quand même exceptionnel. Pas un album mais un EP. Ça pourrait le faire. Je demanderai à Levi comment faut faire pour mettre ses chansons sur Spotify. Je termine ma première prestation de la soirée avec ma toute nouvelle addition. La chanson pour mon frère de coeur. Même si je ferme beaucoup les yeux pendant ma prestation, je regarde quand même les quelques personnes devant moi. Je remarque Finnley qui a l’air de m’écouter avec attention par rapport aux autres pour qui je ne suis qu’un bruit de fond. Ca faisait longtemps que je ne l’avais pas croisé. A une époque il venait squatter notre table d’habitués du mardi soir, mais ça remonte maintenant.

Quand je laisse la place à la personne suivante, je m’approche tout naturellement de Finnley qui a été d’une attention exceptionnel. Je suis clairement touché et je me dis que j’ai du faire un bon job pour avoir droit à ça.

« Hey. Ca fait un baille ! »

Je lui fais signe que je vais au bar deux mètres plus loin pour me prendre un verre, espérant qu’il me suive sur cette lancée vu qu’il est debout lui aussi.

« Ca va c’était cool ? Je veux dire… La dernière surtout. C’est la première fois que je la joue et je la maîtrise pas encore. Faut que je sois prêt pour mi décembre. »

Le barman est occupé avec un autre client et je me retourne vers Finn, un sourire amusé aux lèvres.

« T’avais l’air d’avoir bien écouté mais t’as le droit de m’ignorer. »

J’aime pas saouler les gens.

Son attention n’a aucune difficulté à être captée par la mélodie jouée par Kane ; Finnley l’avait déjà expliqué à Jack dans ce même lieu, s’il est loin d’être un expert dans le domaine comme peuvent l’être les deux musiciens, son oreille n’en demeure pas moins réceptive. Le rouquin n’est pas des plus extravertis, s’il est peu probable de le voir siffler son mépris ou crier son enthousiasme, il reste toutefois bon public, respectueux de l’art des autres, admiratif de ces gens qui, comme Kane ou Jack, osent et se donnent les moyens de développer leur passion. Parce qu’il n’y a pas qu’un intérêt pour la musique de manière générale qui anime Finn lorsqu’il tend l’oreille et qu’il sait apprécier ce qui se joue devant lui. Il y a aussi une pointe d’envie, mêlée à une pincée de regrets, de ne pas être capable d’autant de détermination quant aux progrès qui auraient pu être les siens plutôt que de se contenter de constater ceux des autres ; de ne pas avoir su et pu gratter la vieille guitare de son père plus régulièrement de manière à avoir une place sur cette scène qui aurait pu être légitime. Pas qu’il l’aurait voulu, il ne serait pas suffisamment à l’aise pour cela, mais il aimerait pouvoir se dire qu’il en a les capacités, et que la seule chose qu’il tient en héritage de son père aurait eu un impact sur lui, plutôt que de crouler sous la poussière dans son appartement, sous prétexte qu’il a autre chose à faire, mieux à faire, que sa véritable passion consiste à rechercher l’ivresse plutôt que l’inspiration. C’est un regret que le jeune homme n’a jamais formulé, tout simplement parce qu’il n’a même jamais formulé à quiconque qu’il sait tâtonner les cordes d’une guitare, qu’il arrive même à en faire quelque chose de pas si mal, s’il y met du sien. Toujours dans la réserve, toujours bloqué – sans le vouloir – dans ce complexe d’infériorité, dans cette incapacité à se vanter de ses talents, parce qu’il ne pense pas en avoir. Et ce n’est pas prêt de changer, ainsi face à un Kane dont le talent n’est plus à prouver pour les quelques habitués. Le blond met un point final à son passage, Finnley se joint aux autres pour l’applaudir, et c’est avec une pointe d’hésitation que son regard se dirige vers la porte qu’il souhaitait emprunter il y a quelques instants, puis sur la bière à peine entamée dans sa main, qui déclenche ce pressentiment qui lui suggère de rester, sans réellement savoir pourquoi, sans en avoir réellement conscience. Et finalement, l’échappatoire que représente la porte est complètement obnubilée dès lors que la silhouette de Kane se joint à ses côtés, manquant presque de le surprendre alors qu’il relève la tête, et affiche un sourire gêné. « Salut, euh, ouais. » Un embarras qui n’a pas lieu d’être alors qu’il confirme les dires de Kane, mal à l’aise parce que ces derniers mois il a fait des infidélités à ce bar, et par extension à la bande d’habitués qui lui permettait de côtoyer Kane. C’est toujours avec une pointe d’hésitation qu’il emboîte le pas de Kane, non sans avoir jeté un coup d’œil furtif au bar puis à la scène ; pas d’autre visage connu dans les environs, de quoi relâcher – légèrement la pression – et de s’octroyer le droit de passer une soirée agréable. Ou du moins, un début seulement, avant que les pensées qu’il n’arrive pas à faire taire prennent le dessus sur la distraction offerte par Kane, et que son esprit encore réactif ne soit plus qu’un vague souvenir. Et finalement, il en vient presque à regretter d’être suffisamment réactif pour que Kane se permette une telle question, alors que ses yeux viennent une nouvelle fois se poser sur la porte. Il aurait dû partir. Préférant dans un premier temps porter attention sur sa bière qu’il porte à ses lèvres, son silence semble traduire de l’ignorance qu’il voudrait plutôt offrir à Kane ; bien que ce ne soit pas aussi péjoratif qu’on pourrait l’attendre et qu’il est suffisamment respectueux pour ne pas choisir cette option. « Hein ? Non, c’est juste que, ‘fin, mon avis vaut pas grand-chose, j’suis pas du genre difficile. » Il précise avec un demi-sourire, réalisant bien vite ce que cela peut amener à sous-entendre, avant de poursuivre. « Enfin, pas que je veuille dire par là que c’était pas terrible, c’est pas le cas. » Il soupire, achève sa bouteille, avant de se racler la gorge. « Moi j’ai trouvé ça pas mal, en tout cas. » Il admet avant d’attirer l’attention du barman pour qu’il leur serve deux bières. « Enfin, ça se sent que tu la maîtrises pas encore totalement, y’a des moments où t’étais pas sûr de toi, ça se voyait, et ça rendait l’ensemble pas aussi fluide que ça aurait dû, je pense. Mais t’es sur la bonne voie, faut juste t’entraîner un peu plus d’ici mi-décembre, du coup. » Prenant conscience que ses propos contrastent avec ce qu’il a dit quelques instants plus tôt, il s’empresse une nouvelle fois de clarifier le fond de sa pensée. « Mais je t’assure que sinon, c’était bien, hein. » Il ne manquerait plus que Kane accorde du crédit à l’avis de Finnley ; il est loin de pouvoir se permettre une telle chose, surtout face au blond. « Et donc, tu dois être prêt pour mi-décembre ? » Il questionne, plus désireux de dévier le sujet que véritablement curieux, même si l’un n’empêche pas l’autre. « T’as le droit de m’ignorer. » Qu’il ajoute avec un fin sourire, si la question est trop personnelle, trop déplacée, alors que le barman revient à eux et que Finn s’empare de sa bière avec un empressement qui traduit du besoin, et qu’il la tient entre ses doigts comme s’il craignait qu’elle ne lui échappe.

Il a pas l’air sûr quand je lui pose ma question. Je comprends, ça peut toujours être assez délicat si jamais ça n’a pas plu ou quoi. Je sais que je déteste dire des trucs mauvais quand on me demande mon avis. Encore plus s’il s’agit d’art. Parce que c’est tout à fait subjectif. Une oeuvre, une chanson peut parler à certains et pas à d’autres. Mais dans tous les cas, avoir un avis c’est toujours une bonne chose à prendre. Finn dit qu’il n’est pas difficile, ça me conforte dans l’idée qu’il aimé ma prestation, même si c’est à un moindre degré. Il continue ses explications et il me confirme qu’il a bien aimé. Je lui souris, content de l’entendre dire. On commande à boire tous les deux, ça m’étonne pas que Finn me suive sur cette voie là. Le gars boit énormément. Je suis surpris de voir qu’il se lance dans une explication un peu plus poussé de ma performance mais j’apprécie. Je le regarde, hochant la tête. Plus d’entraînement.

« Ouais. Je vais essayer. »

J’irai squatter chez Ariane s’il le faut pour trouver un refuge sans que ce soit sur le bateau de Levi. Ou bien chez mes parents. Ca peut être pas mal. Je sens que je vais avoir du mal à cacher que justement je fais un truc dans le dos de mon meilleur ami et de ma copine. Je trouverai bien de quoi dire pour me justifier. Je sais que je finirai par dire la vérité. Je me connais. Pas obligé de tout révéler en disant ce qu’il en est véritablement.

« Merci pour ton analyse. C’est toujours utile. »

J’apprécie vraiment beaucoup. Sa réponse était vraiment détaillé, il aurait pu simplement dire « c’était cool » et basta. Il a retenu que j’ai une date butoir pour cette chanson. J’hoche la tête et je me mets à sourire quand il reprend mes termes pour me laisser une sortie de secours si j’ai pas envie d’entrer dans de plus amples informations.

« Non non c’est rien. Ouais mi décembre. En fait c’est une chanson que j’ai écrit pour un ami à moi. J’ai la pression parce qu’il écrit des chansons lui aussi et il est vraiment trop doué. Donc ouais, je me mets la pression bien comme il faut. »

Je ris un peu nerveusement suite à cet aveux. Nos bières arrivent et je sors de quoi payer. C’est ma tournée. Vu que la soirée commence tout juste, je me foule pas trop. Y’a pas grand monde alors je n'ai pas de soucis à payer un round. Ok même quand on est dix je le fais. Surtout depuis que je n’ai plus véritablement besoin de mettre de l’argent de côté vu que j’ai fait mon gros voyage. Je me fais plaisir en cette fin d’année, je reprendrais de faire attention à mon argent à la nouvelle année.

« Ouais en fait c’est son anniversaire. »

Je me rends compte que j’ai pas fait cette précision à propos de mon meilleur ami et qu’elle est importante dans l’histoire. Je bois une gorgée de ma bière avant de reprendre la conversation.

« Je t’ai jamais vu sur scène pour chanter. Pas ton truc ? Genre après quelques bières ça se tente non ? »

Combien de potes j’ai réussi à faire monter sur l’estrade pour pousser la chansonette quand ils sont un peu éméché. C’est souvent de très très bons moment de rigolade. Quand on chante juste pour s’amuser et pas s’encombrer des performances vraiment.

« On peut s’en faire une à deux plus tard. Genre un classique. Wonderwall. Ou bien dans un autre genre ‘I want it that way’. Mais je sais pas pourquoi je sens que c’est pas trop ton truc les Backstreet Boys. »

Un feeling comme ça.

« Si tu devais choisir une chanson à faire, ce serait quoi ? »

Histoire de voir ses goûts à peu près. Enfin, je sais pas s’il va réfléchir en tant que chanson qu’il peut véritablement bien faire avec ses possibilités vocales ou s’il va juste choisir sa préféré qu’il connait le mieux par coeur. Je crois que je réfléchis beaucoup trop sur le sujet.

D’ordinaire, le jeune homme n’a aucune difficulté à donner son avis lorsque celui-ci est réquisitionné ; que ce soit sur un dilemme complexe ou une situation lambda de la vie quotidienne, il s’évertue toujours à se montrer le plus sincère possible. Pour autant, la demande de Kane le gêne quelque peu, car il est plus compliqué de donner son opinion sur quelque chose qui relève de la création personnelle d’autrui, et en dehors du fait de ne pas se sentir suffisamment légitime pour cela, Finn a surtout la crainte de se montrer plus blessant que véritablement honnête – peu importe si cela n’est pas son intention. C’est donc avec une certaine précaution qu’il fait part de son avis au blond, se voulant juste mais pas critique pour le simple plaisir de l’être. Ce n’était pas parfait, mais c’était très loin d’être médiocre, que Kane se rassure. De toute évidence, Finn ne serait pas resté à l’écouter s’il avait trouvé sa prestation horrible, il n’est pas du genre à se gêner et s’abstenir de quitter les lieux si ce à quoi il assiste lui déplaît. Le simple fait d’être toujours présent à l’issue du passage de Kane traduit déjà d’un avis sur la question, qu’il a désormais formulé au blond, guettant la réaction de ce dernier. Finalement, il est surtout question que d’un manque de fluidité qui rend le tout pas aussi agréable à l’écoute que cela ne devrait l’être et Kane ne semble pas le prendre mal – Finn s’en serait d’ailleurs étonné puisqu’il a pris soin de peser ses mots et qu’il ne peut pas faire plus acceptable. « Dis-moi si tu comptes la retenter sur scène après l’avoir travaillée, que je puisse applaudir tes progrès. » Il précise lorsque Kane annonce qu’il va essayer de corriger les points à améliorer mentionnés précédemment par le rouquin. Celui-ci ne tarde d’ailleurs pas à reprendre la parole. « Ou pas, d’ailleurs. » Un fin sourire sur le visage pour traduire du peu de crédit à accorder à cette réflexion, Finnley ne doute cependant pas que le blond risque effectivement de mettre toutes les chances de son côté pour parfaire ladite chanson, d’autant plus qu’elle semble lui tenir à cœur, ce que Kane lui confirme après que le trentenaire se soit risqué à poser la question. Le musicien confirme également ce dont Finnley se doutait : ce n’est pas seulement une chanson qu’il apprécie, c’est une composition personnelle. « J’ai pas entendu une de ses chansons à titre de comparaison, mais pour ce que ça vaut, je trouve que tu as pas à rougir, tu te débrouilles bien toi aussi. » Pour ce que ça vaut, comme il l’a signalé, encore une fois il ne s’agit que de l’avis d’un amateur qu’il l’est encore plus que Kane, mais le simple fait d’être capable d’écrire une chanson relève déjà d’un certain mérite. Et quand les paroles de celles-ci font quand même sens – comme c’est précisément le cas, ça se rapproche encore plus d’un certain talent – et il ne doute pas que Kane en possède. Ce dernier rajoute une précision qui a toute son importance, et après un signe de la tête en guise de remerciement au blond qui offre sa tournée, Finnley reprend la parole. « Fallait le dire tout de suite, ça. Si c’est un cadeau, il sera obligé d’aimer, ou en tout cas de faire semblant que c’est le cas. Pas de pression à avoir, ça va forcément être un succès. » Un nouveau sourire sur les lèvres, dans une tentative d’aider Kane à relâcher cette pression qu’il s’est mis tout seul. Il ne peut pas le blâmer, dans d’autres registres il comprend parfaitement ce sentiment. Un éclat de rire remplace son sourire lorsque Kane évoque la possibilité qu’il se retrouve à son tour sur scène. « Non, effectivement, c’est pas mon truc, même après quelques bières. Et je t’assure qu’il vaut mieux pour les gens présents ici que ce soit justement pas mon truc. » Il part du principe qu’il ne sait pas chanter, quand bien même jamais personne ne lui a fait de réflexion confirmant cette hypothèse : pour cela il faudrait effectivement qu’il ait poussé la chansonnette en présence de quelqu’un. Mais ce n’est pas son truc, c’est le genre de plaisir coupable qu’il garde confiné entre les murs de sa salle de bains ou de sa cuisine. « Au contraire, j’ai toute leur discographie, mais pour que je l’assume, il me faut quelque chose de plus fort qu’une bière. » Il ajoute en souriant, tandis qu’il reprend rapidement son sérieux. « Je te remercie pour la proposition, mais je suis plus du genre à accompagner en arrière-plan qu’à faire des vocalises devant un micro. » Qu’on ne s’y méprenne pas ; il ne dit pas cela de façon péjorative – bien au contraire. Simplement, ce n’est pas pour lui de chanter (il laisse cela à Lou et elle le fait très bien), ni même de monter sur scène de manière générale, mais s’il devait choisir un rôle, il serait le guitariste effacé derrière les autres membres du groupe. Dans la continuité des choses, Kane lui pose une question qui le laisse interdit quelques instants. « C’est une bonne question. » Il débute, justifiant ainsi son silence qui n’était entrecoupé que quelques gorgées de bière. « C'est peut-être un peu cliché, mais Don’t Let Me Be Misunderstood. Pas en la chantant, donc. » Bien qu’il connaisse les paroles. Nouvelle gorgée, hésitant une fraction de secondes si la réponse mérite un développement, avant de se convaincre que c’est le cas, d’autant que Kane s’est un peu ouvert concernant sa composition. « J’adore cette chanson, c’est le genre qui a été reprise des millions de fois, mais que tu as toujours l’impression de découvrir pour la première fois. Et puis, c’est la première que j’ai appris à jouer tout seul, je l’avais bossé comme un dingue et j’étais très fier. M’enfin bon, je dois plus en être capable maintenant. » Et c’est bien dommage, parce que ce qu’il se passe de préciser à Kane, c’est que cette chanson a une grande valeur à ses yeux. C’est son père qui lui a transmis le plaisir de jouer de la guitare, c’est lui qui l’a aidé à mettre un pied dans cet univers, et lorsqu’il n’était âgé que d’à peine plus de douze ans, il s’est évertué à apprendre la tablature de cette chanson adorée par son père pendant que Bryn apprenait les paroles, ça avait été leur cadeau d’anniversaire élaboré avec peu de moyens pour leur père. Réalisant qu’il s’est épanché un peu trop sur le sujet – mais la musique est un sujet qui l’intéresse et qui, dans une moindre mesure, le passionne – Finn ne tarde pas à reporter son attention sur Kane. « Et de ton côté ? Je pense que ça doit être d’autant plus dur pour toi de n’en choisir qu’une. » Il ajoute avec un sourire un brin sadique, rapport au nombre de chansons qu’il doit connaître par cœur, et puis à toutes celles qu’il doit apprécier comme le musicien talentueux qu’il est.

Alors là. Je m’y attendais pas. Il veut carrément faire un suivi de mon évolution par rapport à cette chanson. En fait je suis sûr qu’il a juste dit ça pour me faire plaisir. Pour être poli et je fonce droit dans le panneau. On aura certainement pas l’occasion de se revoir d’ici le 13 décembre, à moins qu’on se rencarde carrément mais j’aurai bien trop peur de le déranger pour proposer un truc pareil. Dans tous les cas j’apprécie énormément qu’il m’ait dit ça. Jusqu’à ce qu’il ajoute un « ou pas ». Il m’a bien eu, mais ça me fait sourire quand même.

J’ai le droit à une flopée de nouveaux compliments et j’apprécie Finnley encore plus. C’est beaucoup trop gentil. Après il n’a jamais entendu de chansons de Levi donc y’a pas de comparaison possible comme il le dit. Ça n’empêche qu’il peut aimer les deux. Parce que oui, je n’imagine pas qu’on puisse ne pas aimer la musique de Levi.

Il me choque un petit peu quand il dit ouvertement que Levi devra faire semblant d’aimer même si ce n’est pas le cas. Juste parce qu’il s’agit d’un cadeau. Je fais « non » de la tête assez vivement. Non. Je ne veux vraiment pas de ça. Ce serait horrible. Surtout venant de Levi. Je préfère qu’il me dise ce qui ne lui plaît pas plutôt qu’il me mente. Encore plus que la chanson a vraiment une signification importante pour moi.

« J’ai bon espoir qu’il ne fasse pas ça. »

Vu ce que je lui avoue dans les paroles, c’est obligé qu’il sera touché d’une façon ou d’une autre. C’est aussi ce qui me fait le plus peur dans cette affaire. Ce que je mets à jour. Ce que j’expose. Je ne suis pas encore sûr de vouloir partager ça. Tous les jours je change d’avis. Un coup je suis sûr de moi, le lendemain je me dis qu’il vaut mieux que je laisse tomber. C’est compliqué.

Je regarde Finn l’air de dire « t’es sûr de toi ? » quand il dit que même avec de la bière dans l’organisme il ne se laisse pas aller. J’ai presque envie de relever le défi. Je l’écoute et au fur et à mesure il parle de son amour pour Backstreet Boys, il me donne même des munitions parlant d’alcool plus fort. Qu’à cela ne tienne. On peut changer le contenu de nos verres sans problème. Oui parce que je me mets dans le lot. Je ne vais pas le faire boire tout seul. Je suis pas égoïste comme ça. Il doit le voir dans mon regard que je suis pas loin de demander une tournée de quelque chose de bien plus fort parce qu’il se reprend, me disant que non, ça ne va pas être possible.

« Je suis sûr qu’on aurait pu faire un truc super cool. »

Mon côté beaucoup trop optimiste et enthousiaste qui parle. Dans tous les cas c’est sûr que le capital humoristique de la situation aurait été très important. Je laisse tomber l’affaire, je n’ai pas envie de l’embêter plus longtemps. C’était drôle sur le moment, je ne veux pas le mettre mal à l’aise. J’aurai pas voulu qu’on me fasse ça alors j’évite.

Il prend le temps de considérer ma question avec sérieux. C’est pas tout le monde qui s’embête à le faire. La musique n’est pas aussi passionnant pour tout le monde que pour moi et j’ai souvent du mal à le réaliser. Je bois en même temps que lui, laissant tout le temps qu’il a besoin pour rassembler ses pensées, ses souvenirs. Don’t le me be misunderstood. Sa chanson préférée. Un classique. Il m’en parle un peu plus et j’aime trop qu’il me partage tout ça.

« J’aurai presque envie de t’inviter sur scène pour voir si tu te souviens ou pas… »

Je laisse ça flotter dans l’air. Je ne veux pas lui mettre la pression ou faire un quelconque forcing. Jouer et chanter, c’est quand même deux choses bien différentes. Il a l’air plus à l’aise à jouer de ce qu’il dit et je suis sûr qu’il peut retrouver les accords au fin fond de sa mémoire. C’est sa chanson préféré après tout. Il reviendra sur ma proposition s’il en a envie. Il me retourne la question de ma chanson préférée et oh wow.

« Ah ouais une seule c’est vraiment pas évident. »

Mais je réfléchis quand même, relevant le défi.

« Même un seul album j’aurai du mal. »

Ca me fait rire. Mais je bois une gorgée de ma bière en levant la main vers Finnley l’air de dire « attend attend je vais te répondre ». Je considère un long moment tout ça. J’ai vraiment l’impression d’être dans un dilemme complètement horrible et faut vraiment que je chill parce que c’est juste une simple question. Personne ne va mourir si je choisis une chanson plutôt qu’une autre.

« Je vais dire ‘Complicated’ de Avril Lavigne. »

Cette chanson a tellement de signification pour moi. Non seulement le moment où je l’ai découverte dans ma vie, les nouvelles personnes qui sont entrées dans mon entourage, le sens des paroles, tout. Avec le temps les paroles ont été encore plus significatives pour moi et c’est ça qui fait la force de cette chanson. On aurait dit qu’elle était écrite pour moi. Prévoyant mon avenir avant même que je sois au courant de ce qui allait m’arriver. J’étais déjà hooked mais quand ma vie à pris certains virages, elle faisait encore plus sens et ouais, c’est ma chanson préférée. J’ai même un tatouage avec une phrase des paroles. Il est tout récent, on a fait ça en Août quand on était en Angleterre. Un matching tattoo avec mes amis. La perfection quoi.

« Mais tout l’album en vrai. »

Voilà que je suis en train d’en rajouter. Je pose une main sur mon coeur en regardant Finnley.

« Je suis physiquement pas bien de n’avoir pu choisir qu’une seule chanson. »

Je souffre. Mais je plaisante en même temps, ça se voit sur mon sourire. Ouais mais je souffre vraiment. C’était trop dur de se décider, même si la réponse tombe sous le sens au fond. C’est la bonne réponse, résolument.

« Et donc tu aimes les Backstreet Boys ? »

Oui je reviens là dessus parce que ça m’a surpris.

« J’aurai vraiment pas deviné. »

Je le regarde un bref instant avant de reprendre la parole.

« You are… »

Que je chantonne. Oui. Je suis en train de le mettre au défi pour voir s’il peut faire la suite.

S’il ne compte pas aller jusqu’à donner un rendez-vous à Kane pour effectivement constater ses progrès, sa demande n’en demeure pas moins sérieuse : si l’occasion se présente, Finnley sera ravi de venir assister à une nouvelle représentation du musicien et lui donner un nouveau feedback si nécessaire. Il faut dire que la demande de Kane, même si elle a pu mettre le rouquin mal à l’aise un court instant, fait appel aux deux traits de caractère dominants de Finn – du moins, de sa version encore relativement sobre. La bienveillance qui le caractérise implique de répondre à la demande faite par le blond, d’être également sincère et juste dans ses critiques, et la curiosité dont il fait toujours preuve le pousse à vouloir écouter l’œuvre de Kane une fois celle-ci retravaillée et terminée. Quand bien même le blond ne prendrait pas en compte ses commentaires – et Finn ne s’en vexerait pas – si l’occasion se présente, effectivement il ne la refuserait pas. Toutefois, la courte deadline annoncée par Kane rend cette possibilité peu envisageable, ce qui est presque dommage, en fin de compte. Dans la continuité des choses, sa curiosité est également piquée quant à la réaction que pourrait avoir ledit ami du jeune homme, mais Finn ne compte pas s’aventurer sur ce domaine qui relève du (trop) personnel. Même s’il ne connaît pas l’ami en question et qu’il plaisante sur les conventions sociales qui exigent de ne jamais montrer sa déception face à une surprise (d’autant plus lorsque celle-ci est concoctée avec affection), Finn s’imagine sans peine qu’il n’y a pas besoin d’en arriver à un tel extrême, n’importe quel individu apprécierait un cadeau aussi personnel. En tout cas, de son côté, bien qu’il serait probablement gêné d’avoir le droit à autant d’attention, il ne peut pas nier que c’est bien plus appréciable qu’une énième carte cadeau qui démontre d’un manque d’idées qui n’est pas même dissimulé. Un simple regard entendu à la réflexion de Kane, de celui qui lui souhaite effectivement que l’ami en question n’en arrive pas à ça, c’est gêné que le rouquin reprend la parole pour refuser, poliment, le semblant de proposition de Kane. Quand bien même il aurait une belle voix – bien qu’au final il n’en sache rien, il doute toutefois que ce soit le cas – il ne monterait pas sur cette scène, sa retenue l’en empêche et sa prédisposition à se penser inférieur tend à augmenter aux côtés de Kane, musicien certifié et, il le sait depuis ce soir, compositeur avéré. Faisant fi du regard un peu plus appuyé de ce dernier, Finnley se contente d’appuyer son refus. « Et moi, je t’assure que non. » Un fin sourire sur les lèvres et la bière qui se porte par automatisme à celles-ci dès lors qu’elles sont libres, il finit malgré tout par préciser le fond de sa pensée. « Enfin, je suis sûr que toi tu pourrais faire un truc super cool. De mon côté, je suis plus du côté figurant, tu vois, et ça me convient très bien. » C’est à l’image de sa vie, finalement ; et tristement, il s’en accommode autant qu’il s’en agace. La perspective de lâcher prise quelques minutes devant ce maigre public n’en est en soit pas dérangeante – c’est presque même tentant comme expérience en réalité, mais il n’en sent pas capable, il en est trop gêné. Encore et toujours. « D’ailleurs, si une fois tu as besoin de quelqu’un pour faire tinter une cymbale, cherche pas plus loin, je suis ton homme. » Il conclut avec un haussement d’épaules, Finn n’ayant pas envie de faire penser à Kane que sa proposition le vexe – parce que ce n’est pas le cas.

La conversation est détournée et ce ne sont plus ses capacités à se produire sur scène dont il est question, mais celles à produire de la musique et la question de Kane est très intéressante, encore faudrait-il savoir y répondre, tant il est délicat de faire un choix. Après une courte réflexion, son choix se porte sur une chanson de Nina Simone, qui au-delà de simplement lui plaire, a de nombreuses significations. Autant par ses paroles dans lesquelles il se retrouve, que par les souvenirs qui lui sont attachés, un en particulier. Une époque qui lui paraît maintenant lointaine, mais dont il ne garde pas un souvenir amer, pas totalement du moins. Alors oui, si son choix ne devait se porter que sur une seule chanson, ce serait celle-ci. Pour autant, il n’est pas certain d’être en mesure de la jouer comme il la jouait il y a encore quelques années et il serait presque tenté de s’y réessayer une fois rentré chez lui – sans prendre en compte que son esprit ne sera pas suffisamment clair pour l’y permettre. La réflexion de Kane lui arrache un bref rire, avant qu’il ne se tourne vers lui. « Tu vas pas lâcher l’affaire, pas vrai ? » La persistance (volontaire ou non) de Kane ne l’offense pas pour autant, car l’idée lui a également traversé l’esprit, sauf que c’est dans une sphère plus privée qu’il compte vérifier s’il s’en souvient ou non. « Si un jour on est amenés à jouer ensemble, ce sera définitivement pas sur cette scène. » Et par cette tentative de donner ce qu’il veut à Kane – sans se sentir forcé pour autant, il saisit l’occasion de définitivement clore le sujet. Finn en profite pour retourner sa question au jeune homme, pas dans une idée de juste retour des choses, mais parce qu’il est véritablement curieux. « Ah, tu vois. » Il rétorque avec un sourire lorsque Kane admet que ce n’est pas évident, l’air de dire « c’est toi qui as commencé, assume maintenant », avant de se murer dans le silence pour laisser le blond réfléchir, non sans porter une nouvelle fois la boisson à ses lèvres dans l’attente de sa réponse. Lorsque celle vient, c’est une mine spontanément surprise qui s’affiche sur le visage de Finn. « Je dois t’avouer que je m’attendais pas à ça comme réponse. » Il se permet de préciser, sans once de jugement ou de moquerie, à vrai dire il ignore bien ce que peut écouter le jeune homme, même s’il avait plutôt un pressentiment quant à une préférence pour des groupes. Kane a ses raisons, qu’il ne partage pas et malgré la curiosité du rouquin ce dernier ne demande pas plus de précisions. C’est avec un sourire amusé qu’il accueille la réflexion de Kane quant au choix cornélien qu’il vient de faire. « Tu t’en remettras, va. » C’est à nouveau une mine surprise qui prend place sur son visage alors que le blond en revient au Backstreet Boys, ce qui était une boutade mais ne semble pas avoir été comprise comme telle. « Comment ça ? J’ai pas une tête à avoir des dizaines d’affiches d’eux dans mon appart’ ? » Il questionne, faussement outré, pour faire comprendre à Kane qu’il n’était pas sérieux, sans pour autant pointer directement la chose du doigt. Alors que le blond chantonne les premiers mots de I Want it That Way, c’est en secouant vivement la tête que le rouquin accueille cette tentative de le faire chanter. « Je te l’ai dit, si tu me lances là-dessus, il me faut quelque chose de plus fort. » Profitant de la venue du barman près d’eux, Finnley commande sa tournée, optant pour sa part pour un gin, et invitant Kane à choisir à son tour – sans prendre les devants si ce dernier préfère rester à la bière. « Ce serait pas ton plan d’ailleurs ? Me faire boire l’air de rien pour obtenir la démonstration à laquelle tu sembles tenir. » Puisqu’il sait pertinemment que Finn ne chantonnera pas de lui-même – il ne prend d’ailleurs pas la suite de Kane. « Et histoire de mettre les points à égalité, maintenant que tu connais mon guilty pleasure, je te laisse m’avouer le tien. » Parce que ce n’est pas parce qu’il ne possède pas la discographie des Backstreet Boys que ladite chanson ne reste pas en tête, maintenant que c’est le cas, autant que Kane dévoile à son tour l’identité de l’artiste qu’il a presque honte d’écouter.

Finn ne veut vraiment pas monter sur scène et je ne vais pas insister plus. Je suis pas là pour mettre les gens mal à l’aise. Il a l’air bien sûr de lui. C’est pas grave. Il a déjà été bien cool de me donner son avis sur ma chanson. Je demandais pas autant de détails que ce qu’il a bien voulu me partager. Cool gars ce Finn. Je n’en doutais déjà pas mais là ça se confirme. Surtout qu’il me fait des compliments que je prends de bon coeur. Ca fait très plaisir. Il propose quand même ses talents pour faire le percussionniste. J’hoche la tête, approuvant le deal. Ce sera fait mec, je te dirai quand j’ai besoin de toi. Oups. J’ai parlé de nouveau de la scène. Ok faut que j’arrête le pauvre je vais vraiment le mettre mal à l’aise contre mon gré mais c’est juste que je trouverai ça super cool de faire un petit délire avec lui comme ça improvisé. Je me calme. J’arrête. Je lui fais un petit sourire contrit après qu’il m’ait repris parce que ouais, ça doit être vraiment relou maintenant que j’y pense. Mais il finit par dire que ça pourrait peut être se produire un jour. Pas ici. Je préfère ne rien dire, je lui offre juste un sourire reconnaissant. J’aime bien qu’il ne se ferme pas l’option complètement. Je ne sais pas ce qu’il a contre la scène du Canvas mais je m’imagine une backstory qui doit pas être très fun. Ou peut être qu’il s’agit juste qu’il n’a pas assez bu pour ce soir ? Ca se pourrait. Je me souviens de sa descente au gars. Impressionnant. Sûrement pas très bon. Ca me fait penser à des potes à moi. Pas bon du tout.

Je lui sors Avril Lavigne comme réponse et je vois sur sa tête qu’il est surpris. Il me le dit clairement qu’il s’attendait pas à ça. Quoi ? Est-ce qu’il me juge ?

« Tout mon amour pour Avril Lavigne. »

Je pose une main sur mon coeur parce que je dis pas ça à la légère. J’aime cette femme de tout mon coeur c’est ridicule pour certains mais j’assume. Et puis il se moque gentiment (j’espère) de la difficulté que j’ai eu à choisir. Je sais que je prends tout ça trop à coeur mais eh qu’est ce que j’y peux. Backstreets Back et il me fait rire avec sa remarque.

« Non pas du tout non ! »

Je sais que sa question était réthorique mais je suis le gars qui prend souvent tout au premier degré et qui se fait avoir par le sarcasme que je ne détecte pas assez vite. Il ne relève pas le défi que je lui lance et je suis un peu déçu. Il reparle de l’alcool. AH. Je savais que y’avait de ça là dessous. Après je peux pas lui en vouloir, moi aussi parfois j’ai besoin d’alcool pour me laisser aller. Apparemment tout ça ne le met pas assez à l’aise pour continuer sans ajouter de l’alcool dans son organisme. Peut être qu’on devrait changer le sujet. Peut être qu’on devrait boire un peu plus. On va boire de nouveau. Il a déjà passé sa commande. Cool. Je reste quand même sur la bière parce que c’est mon pécher mignon et c’est moins cher et c’est moins fort. Il parle d’un plan supposé que j’ai pour le faire boire plus. Ca me fait sourire. Je sais très bien qu’il a pas besoin de moi pour boire encore plus. Il se chercher des excuses on dirait. Ca me fait penser à mes potes. Mais j’ai pas le temps - et tant mieux je crois - de rétorquer quoi que ce soit qu’il me demande mon guilty pleasure en musique. Ah ça c’est un sujet que j’aime beaucoup. Je ris direct parce que je sais déjà ce que je vais lui répondre. Y’a une chanson totalement évidente qui me vient en tête.

« Call me maybe. Carly Rae Jepsen. J’ai écouté cette chanson un nombre incalculable de fois, c’est pas saint à ce niveau là je crois mais eh. »

J’hausse les épaules parce que qu’est ce que j’y peux.

« C’est mon jam. Je la joue des fois ici. Tu m’as déjà peut être entendu d’ailleurs. »

Ce qui prouve que je n’ai absolument pas honte de cette chanson que je chérie beaucoup. De toute façon je n’ai honte d’aucune chanson. Chacun ses goûts. On peut pas tout aimer. J’avoue que j’en aime quand même beaucoup de mon côté. Mon coeur est trop grand. Ca m’embête juste quand je dois choisir ce que je veux écouter. Trop de musique à écouter. Nos verres sont servi et je le regarde, je l’observe. Je suis un peu dans mes pensées et je me dis que je réfléchis trop. Je le connais pas tant que ça. J’ai pas à lui dire quoi que ce soit sur quoi que ce soit. Mais j’ai quand même un petit côté de ma tête qui reste à se questionner.

« A la tienne ! »

Et je trinque avant de boire une gorgée de ma nouvelle bière fraîchement payé par ses soins.

« Et merci. »

Je lui indique ma pinte pour lui faire comprendre de quoi je parle.

« Si tu restes encore un peu je ferai une relance avec une nouvelle tournée. Tu peux pas refuser ça. »

Qu’est ce que je fais ? Est-ce que je suis vraiment en train de vouloir le remplir d’encore plus d’alcool ?

« Enfin, si tu penses pouvoir tenir encore un peu. »

Mais Kane. Ta gueule. Tu t’enfonces. Tu sais pas ce que tu fais. Qu’est ce que je fais merde ? Faut que je chill.

« Mais t’as une très bonne descente si je me souviens bien. »

MAIS QUE QUELQU’UN ME FASSE TAIRE SVP.

D’aussi loin qu’il se souvienne, Finnley n’a jamais été sur le devant de la scène (c’était le rôle de Cora), il a toujours été un figurant, un spectateur, voire même un régisseur sagement caché dans les coulisses. S’il n’a pas de difficultés à prendre des initiatives, se mettre en avant est un vrai défi pour le rouquin. Et si les années ont passé, qu’il a gagné en maturité, ce n’est pas pour autant que la timidité qui le caractérisait adolescent a disparu ; bien au contraire, elle est toujours là, l’empêchant d’accéder à la requête formulée par Kane. L’invitation est tentante, agréable, pour autant si Kane veut faire un duo sur cette scène ce soir, ce ne sera pas avec lui. Ni un autre soir, pour ce que ça vaut, comme il le précise. Son refus traduit cependant plus d’un trait de caractère que d’une proposition rédhibitoire, dans d’autres circonstances il pourrait envisager cette possibilité, du moins, il tente de s’en persuader. La vérité, c’est qu’il serait probablement gêné de dévoiler ses capacités de musicien à quelqu’un d’aussi doué que Kane, et qu’il trouverait probablement une autre excuse pour se défiler au moment venu – si Kane n’arrive pas à le mettre suffisamment en confiance pour qu’il cesse de se cacher derrière ces barrières qu’il dresse constamment quand il est question de ses capacités. Peut-être qu’à défaut de jouer en duo, le blond pourrait simplement l’aider à jouer tout court, à se remettre à cet instrument qu’il a bien trop délaissé au cours des derniers mois, des dernières années, même. Dans l’immédiat, il se contente du rôle de public, qu’il maîtrise bien mieux – il est facile à séduire, il applaudit sans broncher, il apprécie ce qui se passe autour de lui sans avoir besoin de le montrer au reste du monde via un quelconque réseau social, il se veut silencieux et respectueux durant les prestations des talents du soir. C’est presque soulagé que la conversation dérive de la scène à leurs goûts musicaux respectifs, un sujet qui met Finnley bien plus à l’aise puisqu’il lui est bien plus facile de l’aborder. Il reconnaît être surpris par la chanson préférée de Kane, il n’imaginait pas son camarade fan d’Avril Lavigne, mais ce n’est pas pour autant qu’il juge ; simplement il l’aurait plus facilement associé à un morceau de Queen ou tout autre légende, ou peut-être quelque chose de plus folk ou alternatif, qui correspond plus aux talents qui se succèdent sur cette scène chaque mardi soir. Mais il n’est pas mécontent d’être surpris, bien au contraire, cela rend la conversation d’autant plus agréable. Finn esquisse un léger sourire à la réflexion de Kane et sa posture solennelle, avant de s’outrer (faussement) de ne pas avoir la dégaine du parfait fan des Backstreet Boys. Par la même occasion, il prend note que le second degré n’est pas quelque chose qui fonctionne très bien sur Kane et là-aussi ce n’est pas désagréable comme constat, Finn s’obligeant souvent à faire de l’humour pour casser cette image trop sérieuse qui lui colle à la peau, ça lui fera au moins quelqu’un avec qui cette obligation n’a pas lieu d’être. Demeurant silencieux pour ne pas laisser penser qu’il s’amuse de Kane alors que ce n’est pas le cas, il se contente de hausser vaguement les épaules avant de reporter son attention sur la bière devant lui.

Parce que c’est bien d’alcool qu’il est question dorénavant, toujours sur un ton léger – c’est de cette manière que le rouquin l’interprète, veut l’interpréter, en tout cas. Finn ne poursuit pas la chanson débutée par Kane ; parce qu’il lui faut justement quelque chose de plus fort, qui saura l’obliger à mettre cette timidité maladive de côté, et tant pis si c’est pour quelque chose d’aussi banal que de chantonner, cela relève réellement d’un défi pour le trentenaire. Un gin nouvellement dans les mains, un sourire retrouvé par la même occasion, Finn ne tarde pas à revenir sur le sujet des chansons honteuses en demandant à son tour celle que Kane considère comme telle. C’est encore une fois surpris qu’il accueille la réponse de son comparse, même s’il doit bien admettre qu’il l’a aussi eue en tête à plusieurs reprises lorsqu’elle passait constamment à la radio. « C’est possible, oui, ça me dit vaguement quelque chose. » Il n’a pas une très bonne mémoire, Finn, et bien souvent il tend à oublier les morceaux joués, les conversations tenues ici. Ils trinquent et Finn ne tarde pas à porter le verre de gin à ses lèvres, esquissant un sourire alors que Kane parle déjà d’une nouvelle tournée qu’il ne pourrait pas refuser. Son sourire qui oscille finalement entre amusement et scepticisme à mesure que le blond parle, s’enfonce. « Si tu le dis. De ton côté, en tout cas, t’as pas une grande résistance, on dirait. » Il souffle, sans agressivité, mais faussement amusé. Est-ce que l’alcool lui monte déjà à la tête pour qu’il tienne ce genre de propos ? Est-ce parce que la conversation s’éloigne du sujet qui les a rapprochés il y a quelques instants ? Est-ce parce qu’il y a un fond de vrai dans tout ceci ? Finn ne saurait dire, toujours est-il qu’il termine son verre de gin à la hâte avant de regarder sa montre, de se rappeler qu’il est attendu – non – ailleurs. « Mais ce sera pour la prochaine fois, je ne peux pas m’éterniser ce soir. » Il précise, vaguement déçu, l’envie de fuir sans qu’il ne sache pourquoi – si seulement il réfléchissait un peu – prend le dessus et il n’essaie même pas de lutter contre elle. « On abordera les artistes que tu trouves trop sous-estimés. » Qu’il glisse avec un sourire en quittant son tabouret, revenant sur le sujet principal, donnant l’impression que leurs conversations s’inscrivent dans un séminaire à chaque séance son thème, il tapote légèrement l’épaule de Kane en guise de salutations, lui adresse un dernier sourire pincé et quitte le bar sans demander son reste, sans être en mesure de dire si ce début de soirée était rafraichissant ou offensant.