« Here's to the crazy ones. The misfits. The rebels. The troublemakers. The round pegs in the square holes. The ones who see things differently. They're not fond of rules. And they have no respect for the status quo. You can quote them, disagree with them, glorify or vilify them. About the only thing you can't do is ignore them. Because they change things. They push the human race forward. And while some may see them as the crazy ones, we see genius. Because the people who are crazy enough to think they can change the world, are the ones who do. »
Il avait rêvé de danser au Bolchoï devant une armée de geishas. Il avait aussi rêvé de comprendre comment les gens qui avaient inventé les M&M's arrivaient à foutre cette fichue noisette enrobée de chocolat. Il avait envie de comprendre pourquoi les gamins détestaient les épinards. Le vert. La couleur verte. Bordel, Elwyn adorait ça, sans savoir pourquoi. Enfin si peut être parce qu'il avait toujours voulu faire un élevage de tortues des Galapagos dans son jardin mais qu'il n'avait jamais vraiment osé pour ne pas enrager les voisins qui retrouveraient leur potager bousillé au petit matin. Et puis, voilà, ce matin là, Elwn était passé devant l'animalerie et il avait vu une misérable tortue, minuscule, dans la vitrine. Comme un idiot, il était entré, sourire aux lèvres et il s'était dirigé devant la bête, prêt à en découdre à la Indiana Jones si elle se décidait à sortir les crocs. Bien entendu, il avait réfléchi et en avait conclu que le temps que la tortue se décide à avancer, il serait déjà en Alaska. Pauvre Cadburry. Le vendeur avait vanté les mérites de sa Juanita, comme quoi elle avait déjà couru le cinquante mètre en moins de six jours et qu'elle avait gagné le prix de beauté dans la catégorie des moins de trois cent grammes. Forcément, Elwyn y avait cru, il avait acheté la bestiole et pas peu fière, l'avait ramené à l'appartement, en espérant que sa colocataire était de bon poil pour éviter une guerre nucléaire à coup de post-it et crème anti-rides. Et comme une idée de merde en attirait une autre, l'informaticien avait passé le restant de la journée à bâtir une arène avec les planches de bois qu'il avait trouvé dans le débarras. Arrivé à dix huit heures, trouvaille de génie qui tombait à pic... La boîte de nuit du coin organisait une présentation d'animaux de compagnie, le tout animé par un concours de déguisements. Il courut au supermarché pour acheter vivres, salades, déguisements et autres articles pour festoyer comme en l'an 540 et prépara la petite sauterie arrivé à la maison. A vingt heures pile, Elwyn avait mis sa plus belle chemise, arboré la meilleure fausse moustache de tous les temps, il ne s'était absolument pas coiffé et le lieu était fin prêt pour participer à la soirée la plus extravagante de la dernière décennie. Freddie Mercury lui seyait parfaitement, quand sa moustache ne le grattait pas bien évidemment mais le marcel avait ses adeptes et peut être qu'Elwyn était en train de rentrer dans cette catégorie. Il se dirigea à pied vers le lieu de rendez-vous, du moins le pensait-il, en conversant avec sa tortue de compagnie, toute fière dans ses bras. "L'Hemeroplanes Triptolemus est un papillon de nuit d'Amérique du Sud. Durant son stade larvaire, il a la particularité de prendre l'apparence d'un serpent pour se protéger de ses prédateurs. Je compte sur toi pour faire de même. Juanita, on joue la gagne là. C'est la gloire qui t'attend derrière cette ligne d'arrivée. Si Matthew Webb a effectué la première traversée de la Manche à la nage le 25 août 1875 en 21 heures, 45 minutes, tu peux nous la faire en quinze heures facile, tu crois pas?" Une course de tortue, quoi de mieux pour gagner un concours d'animaux de compagnie dans une boite de nuit ringarde? Pour couronner le discours, le misérable balançait ses bras dans tous les sens, comme un énergumène, ne faisant pas vraiment attention aux gens qui passaient à côté de lui. Du Elwyn tout craché. Et ce n'était que le début de la soirée... C'était du moins ce que toute la populace dût se dire au moment où il pénétra dans la salle et se sentit étrangement seul dans son accoutrement des années 90, une tortue sous le bras. Atterri au bar, Elwyn se sentit un poil seul mais dans ces cas là, il avait une arme fatale.... Son côté moulin à paroles alors forcément, la victime était le pauvre voisin qui avait décidé de s'asseoir sur un tabouret contre le comptoir. "Dis, j'ai une question de la plus haute importance... Oui, une question plus capitale encore que l'interdiction de maltraiter les huîtres dans le Maryland, c'est pas ici la soirée déguisée avec concours du plus bel animal de compagnie? Ou alors, vous avez tous des chiens invisibles, c'est aussi une probabilité et finalement, ça tomberait bien parce que le sombral, c'est mon animal préféré dans Harry Potter, figure toi." Andy aurait certainement préféré être quinze mètres plus loin, il se serait peut être évité les monologues à la Cadburry, une tortue qui broutait de la laitue sous son bras et une face Mercuryenne qui jurait clairement dans le décor ambiant.
Les fêtes de fin d’année c’est pas vraiment ton kiffe. T’as jamais été un fan d’aussi loin que tu t’en souviennes. T’as une petite famille et ils habitent pas tous à Bogota alors quand t’étais petit, c’était juste un repas devant la télé avec ta mère et c’est tout. Un cadeau à la fin du film et voilà. La magie de Noël tout ça, tu ne l’as vu qu’au travers des films que tu te forçais à regarder pour faire plaisir à ta mère. La vérité c’est que tu t’endormais toujours avant la fin, enfin, jusqu’à ce que tu aies un téléphone portable et que tu ne passes presque tout ton temps à envoyer des SMS à tes amis, essayant d’être discret. Tu n’as jamais voulu blesser ta mère. Des cadeaux à faire ? Non. T’as juste prévu d’acheter une boîte de chocolat pour les Rodriguez que t’iras voir entre Noël et jour de l’an comme tous les ans. Tu enverras un peu d’argent à ta mère. Elle devait venir te rendre visite en cette fin d’année mais c’est tombé à l’eau à cause d’une situation avec la crise du Vénézuéla. Pas drôle ce qu’il s’y passe là bas. Ta mère aide comme elle peut et donc tu en fais de même.
C’est pour ça que ces jours ci à quelques pas de Noël, tu continues dans tes habitudes à sortir et t’amuser de la meilleure des façons qui soit. En dansant, avec des beaux gosses. Calvin est là, en train de s’éclater avec un pote qu’il a ramené. Tu les laisses tous les deux profiter l’un de l’autre. T’es au bar, t’as mis une de tes plus belles chemises (joke toutes tes chemises sont belles) et t’as un jeans qui te fait un cul d’enfer (the usual), c’est pour ça que tu restes debout plutôt que de t’assoir. Il faut que le monde profite de la vue. C’est un service que tu rends à tous les gens ce soir, oui, même les mecs hétéro parce que t’es sûr qu’ils rêveraient d’avoir un cul comme le tien. Tu remarques quelques regards et tu prends un malin plaisir à leur lancer des clins d’oeil avant de voir le gars détourner rapidement les yeux. Bitch.
Y’a un gars à ta droite qui t’adresse la parole et holy fucking christ le gars parle TROP. Tu te mets à rire devant ce spectacle qu’il t’offre. Tu sens que tu vas passer un bon quart d’heure avec ce clown. Tu remarques à peine qu’il est déguisé parce que t’es habitué aux gars accoutré de façon extravagantes.
« J’ai aucune idée de quoi tu parles. »
Tu remarques la tortue qu’il a sous le bras et tu te dis que c’est vraiment un winner ce gars là. En boîte de nuit avec une tortue. Il s’est échappé de l’asile c’est la seule explication possible.
« Mais si tu m’offres un verre je peux peut être te trouver une réponse. »
T’es en train de le reluquer parce que pourquoi pas ? Tu veux voir s’il fait parti de ces bitch d’hétéro qui pensent qu’un clin d’oeil d’un mec peut te faire devenir gay. Tu n’attends pas qu’il accepte ta proposition pour faire signe au barman qui est justement en face de vous là maintenant.
« Deux margarita, c’est lui qui offre. »
Parce que tu te dis qu’il doit lui aussi profiter de cette merveilleuse boisson. Ici c’est un des rares endroit où ils en font une décente, alors t’en abuse à chacun de tes passages. Tu sais que la véritable raison à ça c’est que le barman est mexicain. Tu le baiserais bien d’ailleurs celui là. Mais il est hétéro. Tant pis pour lui.
« Here's to the crazy ones. The misfits. The rebels. The troublemakers. The round pegs in the square holes. The ones who see things differently. They're not fond of rules. And they have no respect for the status quo. You can quote them, disagree with them, glorify or vilify them. About the only thing you can't do is ignore them. Because they change things. They push the human race forward. And while some may see them as the crazy ones, we see genius. Because the people who are crazy enough to think they can change the world, are the ones who do. »
On le regardait de travers, une habitude qui semblait ne pas le déranger outre mesure. Elwyn était l'exemple même du type qui n'avait sa place nulle part. Il fallait toujours qu'il soit à côté de la plaque, cherchant la beauté dans les endroits les plus infâmes. Oui, il était tout à fait capable de chanter les louanges d'un sac poubelle, félicitant son inventeur pour l'élasticité du produit et le confort qu'il apportait à la population toute entière. Il ne comprenait pas que les gens pouvaient le prendre pour un décérébré parce que, après tout, qui arrivait dans une soirée huppée avec une tortue sous le bras? Certes, pas n'importe quelle tortue puisqu'il s'agissait de Juanita mais tout de même, une tortue et un déguisement de Freddie Mercury. Qui pouvait dire mieux? Juanita avait du coffre, Elwyn l'avait toujours dit. Dès qu'il l'avait chopé dans le jardin du voisin -comment ça, c'était du vol et de l'intrusion sur propriété?-, Elwyn l'avait senti. Elle avait l'âme d'une championne, la décence d'une tortue volante, rien que ça. Personne ne le croyait vraiment quand il disait qu'il y avait du beurre à se faire dans les courses et les concours du plus bel animal de compagnie. Ce n'était pas parce que les bestioles étaient lentes qu'elles n'avaient aucun intérêt, mais les gens étaient idiots, Elwyn le savait. C'était pour cela qu'il préférait parler aux pandas lorsqu'il était au zoo plutôt qu'à ses propres congénères de l'humanité. Il n'avait d'ailleurs jamais vraiment compris pourquoi on l'avait rapporté à la sécurité: Elwyn était simplement en train d'expliquer les joies de la faune à une gamine de huit ans. Il trouvait très intéressant l'histoire des oiseaux australiens, et il fallait qu'il partage ces savoirs parce que tout de même les mérions superbes, étaient parmi les animaux qui produisaient le plus de spermatozoïdes : jusqu'à huit milliards en une fois... Où était le problème? Certainement pas le bon public, certes, mais Elwyn avait mâché pas mal de chewing gums ce qui le rendait statistiquement plus intelligent mais pas plus alerte face aux erreurs de communication avec la population locale. En attendant, il en était à conter fleurette à sa tortue de compétition alors que pas mal de gens s'amusaient sur la piste de danse, bouche à bouche et compagnie, certainement plus éméchés que lui pouvait être fou en étant sobre, ce qui aurait dû le gêner mais Elwyn était pour le partage de fluides entre les espèces et les catégories de personnes en règle générale, ça rapprochait. "Ah bordel, de la margarita, en souvenir de ce bon vieux John Durlesser, un barman de renom et de goût évidemment. Tu te rends compte que ce cocktail a été inventé en 1959? Et on le boit encore, c'est quand même fascinant!" Cadburry ne tiltait même pas qu'il était en train de payer un verre à un inconnu parce que ledit inconnu s'était autorisé ce genre d'actes sans lui demander son avis. Rien ne pouvait réellement choquer Elwyn puisqu'il vivait dans un monde alternatif à quatre vingt pour cent du temps. Dans son monde de gloire et de paillettes, il n'y avait jamais de place pour la méchanceté. Tout le monde était beau et gentil, surtout les soirs de beuverie où la perspective de gagner à un concours animalier le rendait particulièrement de bonne humeur. "Mais dis, si t'es pas ici pour le concours animalier ou la soirée costumée, t'es là pour quoi en fait? Je sais, je suis curieux mais je peux te filer plein d'infos croustillantes en échange. Je peux par exemple te dire qu'y a une espèce de méduse qu'est capable d'inverser son processus de vieillissement, et est donc potentiellement immortel... C'est quand même la folie cette affaire." Il avala sa margarita d'une traite, pas du tout gêné par la dose d'alcool ingérée dans l'affaire, se tournant vers les badauds sur la piste. Elwyn avait l'air d'être dans son élément, ce qui était complètement antinomique... Son mot préféré, forcément.
John Durlesser ? Qu’est ce que c’est que cette connerie. Si encore il avait dit Juan Pablo Suarez ou tout autre nom à consonance latino tu aurais donné le bénéfice du doute mais là. Un putain de John ? Non. Juste non. Parce que oui, tu comprends par ses mots qu’il fait référence à celui qui a inventé le cocktail ou du moins quelqu’un qui y est fortement associé et tu laisseras pas ces putains de blancs becs prendre tous les lauriers d’un cocktail mexicain.
« John qui ? Tu veux dire Juan nan ? »
Toujours là pour remettre les blancs dans la bonne direction. La vérité c’est que t’as aucune idée de qui a inventé la Margarita mais par principe, ça te saoule cette affaire. Une autre vérité c’est que tu passes pour un blanc avec ta gueule toi aussi. On te l’a souvent dit. Certains disent que c’est un avantage. Toi t’as juste l’impression qu’on efface ta véritable nationalité. Ton identité. T’as beau avoir quitté ton pays, t’es fier d’être Colombien. Même si tu passes pour un blanc. Sûrement pour ça que tu ne t’efforces pas véritablement à effacer ton accent quand tu parles. Il est léger. Mais il est là. La touche latino que tout le monde se prend à la gueule dès que tu l'ouvres.
Il te demande pourquoi t’es là ? C’est vrai que y’a beaucoup de réponses possible dans les raisons qui t’ont poussé à venir dans une boîte de nuit. Le gars parle trop putain. T’as pas le temps de lui répondre qu’il continue dans sa lancée. Il est curieux. No shit. T’es sidéré quand il t’offre un échantillon des infos « croustillantes » qu’il peut te donner. Le gars est drogué. Y’a pas d’autres explication. Il est en plein trip. Vous êtes servi et il boit d’un trait son verre. Tu pourrais toi aussi, parce que c’est beaucoup trop bon. Mais non. Tu vas le faire durer, même si tu vas en prendre un autre après. Réflexion faite, tu devrais boire vite afin de t’en faire payer un de plus par ce blanc bec. Il aura au moins le mérite d’une chose, il t’hallucine toujours plus à chacune de ses phrases et actions. Il a tellement parlé que tu as déjà oublié sa question et donc tu n’y réponds pas.
« Mec. T’es high. Donne moi un peu de ton truc, fais pas le radin, partage. Faut que je goûte ta came c’est du lourd. J’ai jamais vu ça. »
T’insistes beaucoup mais t’es sur le cul. T’en as rencontré des gars qui sont en train de vivre les effets de la drogues et lui il fait dans le top 3 des plus haut perchés. Tu bois une gorgée de ta margarita et bordel c’est délicieux
« Je te paie en nature. Je te promets que tu veux pas louper ça. »
C’est pas très correct de profiter d’un gars sous l’influence mais eh y’a pas une seule personne sobre dans cet établissement et faut bien baiser. Si au contraire il est offensé par tes avances, ça va juste le faire partir et du coup tu fais signe au barman d’une deuxième Margarita pour toi.
« Toujours sur sa note à lui. »
Tu bois encore un peu la tienne, mais avoir deux verres devant toi, t’as aucun problème avec ça.
« Here's to the crazy ones. The misfits. The rebels. The troublemakers. The round pegs in the square holes. The ones who see things differently. They're not fond of rules. And they have no respect for the status quo. You can quote them, disagree with them, glorify or vilify them. About the only thing you can't do is ignore them. Because they change things. They push the human race forward. And while some may see them as the crazy ones, we see genius. Because the people who are crazy enough to think they can change the world, are the ones who do. »
S'il y avait une chose qu'Elwyn n'était pas, c'était commun. Comme tout le monde. C'était même plutôt l'inverse et pour cette raison, on avait cette tendance à le regarder de travers. Evidemment, il ne pouvait jamais la fermer, du moins pas plus de cinq secondes d'affilée sans avoir l'impression d'étouffer. Clairement, il devait avoir un syndrome ou une maladie congénitale hyper rare, il ne voyait que cela... Et dans ce genre de domaines, Elwyn en connaissait un rayon. C'était le privilège quand on passait son temps à regarder des documentaires sur les bactéries et autres réjouissances médicales qui peuplaient le monde télévisuel. Pas étonnant que les gens passaient leur temps sur Doctissimo pour trouver les réponses à leurs questions quand on te balançait des mots incompréhensibles à l'écran. Le langage SMS des forums de bas étage était un peu plus accessible, c'était certain, mais Elwyn n'était pas très coutumier de ce genre de lexique. Il avait beaucoup plus d'aisance à caser le mot virose cérébrale dans une conversation que OKLM ou TMTC. Il était de sa génération en somme, ou carrément d'un autre siècle pour le reste de l'humanité. Les gens étaient fatigués de le supporter en moins de vingt minutes en moyenne et vu à quel point il était déjà lancé dans la bataille au milieu de cette étrange soirée, Elwyn ne faisait pas grand cas de son espérance de vie ici avant de se faire jeter par un videur. Pourtant, il était calme... En apparence, enfin si on excluait son accoutrement de Freddie Mercury et sa tortue sous le bras. Heureusement qu'il avait bassiné son monde à l'entrée sinon il n'aurait jamais pu passer les portes de l'établissement mais c'était Elwyn, il avait un charisme unique entre deux babillements insupportables pour les gens normaux. A l'heure actuelle, c'était Andy qui devait en faire les frais, même si le jeune homme n'avait pas l'air extrêmement traumatisé en se payant des verres sur le compte de l'énergumène. Cadburry était tellement heureux d'avoir trouvé quelqu'un avec qui parler qu'il ne faisait même pas spécialement attention à tout cela, bien trop concentré sur cette histoire d'invention de la margarita. Le monde devait savoir, c'était une information capitale à ses yeux. "Ah non non, je t'assure, il s'appelait John le type. Un gars bien, j'imagine. Après, y a Gene Sulit qu'a géré pour la Tequila Sunrise dans les années 40 si t'aimes bien ça aussi..." Et il pouvait encore continuer sur sa lancée pendant une bonne demi heure si la tête d'Andy ne l'en avait pas dissuadé. Ce genre de détails n'intéressaient pas spécialement les gens qui venaient en boîte de nuit, Elwyn aurait dû le savoir. Or, il était venu là pour un vulgaire concours animalier sous couvert de déguisements loufoques. Autant dire qu'il s'était trompé d'adresse et on le prenait pour un type sous acide carrément paumé... Habituel, au bout du compte. "Désolé mec mais je m'y connais moyen en mécanique, étrangement... Du coup, je me promène pas avec de la came sur moi mais si c'est ça qui te botte, je suis sûr que je peux te trouver un arbre à came pour ta bagnole pour pas trop cher. J'ai des contacts, vois tu." Comme s'il n'avait aucune conscience qu'Andy parlait de drogue plutôt que de mécanique. Elwyn faisait la sourde oreille, c'était presque plus drôle que de répondre sérieusement qu'il était toujours ainsi, c'était clairement inimaginable dans un contexte quotidien pour le reste du monde. "Ah ouais? Genre tu me payes avec des plaquettes de beurre et des litres de lait? Tu me diras, j'ai pas fait les courses depuis deux bonnes semaines là, ma coloc refuserait pas ce genre de paiements, elle est à deux doigts de me tuer d'ailleurs..." Si on le retrouvait mort dans un fossé, on saurait pourquoi. Enfin, les margaritas coulaient à flot apparemment et c'était Cadburry qui devait rincer. Du moment qu'il pouvait parler cela dit, il ne semblait pas être très dérangé. "Au fait, moi, c'est Elwyn, et toi? Tu fais quoi dans la vie? T'as une passion? Non, mais t'aurais vraiment dû venir pour la soirée déguisée, t'aurais fait fureur dans un costume de McGyver, je le sentais bien, je te jure!" Ses pensées étaient trop versatiles, il aurait dû peut être boire plus lentement aussi, pour s'éviter des problèmes ultérieurs.
Le gars a l’air sûr de lui en ce qui concerne John le con et il te parle de Gene fils de pute aussi. T’aimes pas tous ces noms de blancs mais la vérité c’est que tu connais rien à l’histoire de ces cocktails. La vérité aussi c’est qu’au Mexique ils sont pas à fond sur les cocktails. C’est surtout les touristes qui se fond plaisir avec ça.
« Les blancs qui ont volé l’alcool des Mexicains. »
T’es pas Mexicains mais tu te sens plus proche d’eux que des Américains. Ils sont ton peuple. T’es allé au Mexique quelques fois dans ta jeunesse. D’excellents souvenirs. Tu aimes ce pays très fort.
Le gars, il parle de mécanique, d’arbre à came, de voiture. Tu comprends les mots qui sortent de sa bouche mais pas le sens qu’ils font. Il est vraiment high. Y’a plus aucun doute. Le pire c’est qu’il a pas les yeux explosé ou quoi. C’est ce qui te fait le plus peur au fond. Le gars est juste fou en fait an dirait bien. C’est son état naturel. Quand il surenchéri sur les plaquettes de beurres et le lait t’es mindblown. T’es gelé sur ton siège à le regarder et il continue de parler. Le gars parle BEAUCOUP TROP. Il veut ton prénom. No man you don’t get to know my name. T’as pas envie qu’il te retrouve et te tue dans ton sommeil après s’être infiltré chez toi. Il te pose mille questions et il est hors de question que tu lui dises quoi que ce soit sur toi.
« Moi c’est Enrique. Je suis chanteur. Ma passion c’est embrasser mes fans qui sont encore mineur. Et fuck McGyver, je me serai déguisé en Mariachi. »
Et y’a un nouveau verre qui se présente à toi, alors tu bois ta margarita avec un peu plus de ferveur parce que y’en a une autre pas loin.
« Dis moi qui t’a fait du mal pour que tu sois comme ça. »
Tu sens le gars traumatisé et t’as aucun chill, tu le dis directement. T’es beaucoup trop halluciné par le gars et tu sais pas, tu te dis que peut être il va être ouvert sur le sujet. Pas sûr qu’il te prenne au sérieux, ou tout simplement qu’il comprenne les mots qui sortent de ta bouche. Vous avez une conversation de sourd tous les deux depuis tout à l’heure.
« Est-ce que tu parles espagnol ? »
Que tu lui sors dans ta langue natale. On sait jamais, peut être que tu peux switcher de langue, peut être qu’il peut te surprendre un peu plus. Peut être qu’il va te faire l’apprécier parce que oui, tous les gens qui savent parler Espagnol sont forcément un peu plus enclin à trouver ton intérêt. Forcément des gens un peu culturé.
« Here's to the crazy ones. The misfits. The rebels. The troublemakers. The round pegs in the square holes. The ones who see things differently. They're not fond of rules. And they have no respect for the status quo. You can quote them, disagree with them, glorify or vilify them. About the only thing you can't do is ignore them. Because they change things. They push the human race forward. And while some may see them as the crazy ones, we see genius. Because the people who are crazy enough to think they can change the world, are the ones who do. »
On ne comprenait jamais rien à ses délires mais ce n'était pas ce qui arrêtait Elwyn pour autant. Quelque part, il se complaisait dans cette incompréhension constante qu'il suscitait. Il s'en amusait plus qu'autre chose, comme s'il aimait qu'on le remette à sa place ou qu'on le fasse taire, peut être qu'il faisait tout cela juste pour épuiser le monde autour de lui. Un poil masochiste, me direz-vous mais c'était sa manière de montrer qu'il existait parce qu'Elwyn n'avait jamais été le centré d'intérêt de qui que ce fut jusqu'ici. Le misérable homme avait dû vivre dans une famille nombreuse, entourée de filles qui n'avaient pas vraiment le temps de lui laisser une place dans un capharnaüm régulier. Il s'y était fait et on ne pouvait pas dire qu'il avait été malheureux dans ce genre de circonstances mais Cadburry avait dû développer des stratégies alternatives pour s'occuper. C'était là qu'il avait découvert son amour de la science, des documentaires animaliers et autres réjouissances trouvées dans les comics achetés au bar tabac du coin. Le temps aurait pu le changer, au moins le faire grandir mais Elwyn était resté à ce stade enfantin qui n'enchantait guère dans des soirées comme celle où il venait de s'incruster. L'inconnu à ses côtés semblait d'ores et déjà perdre patience avec cette histoire de cocktails et d'inventions historiquement réfutables. "La couleur du peau a de l'importance dans les découvertes géniales de ce monde? J'y ai jamais fait gaffe, voyez. Ce qui compte, c'est le génie." Elwyn était bien trop philanthrope pour son propre bien. La preuve, c'était lui qui payait des verres à Andy depuis tout à l'heure, sans forcément s'en rendre compte parce que son cerveau était connecté à d'autres ondes que celles des gens normaux en soirée. "Enrique comme Iglesias? C'est marrant cette coïncidence, dites moi. Et vous, c'est quoi votre truc niveau chant? Non, parce que c'est un domaine qui m'intéresse, même si je suis loin d'être baryton, disons le." Et il avait déjà totalement oublié qu'il parlait des costumes pour cette fausse soirée déguisée juste avant. Elwyn avait toujours eu cette capacité de sauter du coq à l'âne, pas si étonnant donc qu'on le croit aux prises avec la drogue la plupart du temps. Or, il n'y avait certainement pas plus pur que lui en la matière, un comble vu la tête que tirait Andy en suivant cette conversation pour la continuer... En espagnol. "J'ai un peu appris dans ma jeunesse, oui... Personne m'a fait de mal, à part peut être le sèche cheveux de ma soeur, elle aimait bien me le balancer à la gueule quand on était adolescents mais rien de traumatisant, je dirais. Et vous, pourquoi si méfiant?" Elwyn était autodidacte et apprendre une langue ne lui avait jamais été extrêmement difficile alors autant utiliser ses savoirs pour dérider un peu son nouveau copain... Si on pouvait le considérer ainsi désormais.
Tu cherches même pas à argumenter quand il parle de couleur de peau et de génie. La vérité c’est que y’a que les blancs qui voient jamais le problème avec la couleur de peau parce qu’ils ne vivent pas le racisme. Jamais. Si le génie était mexicain tu serais le premier à le mettre en avant parce qu’il faut de la représentation. Le monde n’est pas que des blancs, mais c’est pas souvent remarqué. Et ce gars commence vraiment à te saouler.
« Oui comme Iglesias. »
Tu rêverais de pouvoir le baiser ce gars là. Il est un de tes fantasmes depuis que t’es tout jeune. T’es déjà allé le voir en concert juste pour pouvoir le mater en chair et en os. La vérité c’est que tu aimes aussi beaucoup sa musique. Il te fait danser grave cet espagnol et quand tu le vois bouger sur scène ton corps réagit souvent malgré toi. Mais le gars il continue, te prenant trop au premier degré, voulant trop savoir la suite de ton histoire que tu viens d’inventer sur le fil. Et au passage il balance qu’il est baryton. T’en as tellement rien à foutre. Mais tu comprends son besoin de parler de lui. Ca doit pas être habituel pour un blanc comme lui de ne pas être le centre de l’attention. Tu ne fais pas plus de commentaire sur ce qu’il dit parce que ouais, plus il continue à parler, plus tu sens que tu vas filer sous peu. De toute façon tu vas clairement pas le baiser. Il est beaucoup trop insupportable pour que tu puisses passer au dessus de tout ça. Tu serais physiquement pas capable de trouver du plaisir, d’avoir les ressources pour aller au bout. Comme quoi, t’es pas qu’une machine de sexe. Il faut un petit quelque chose de plus.
Et bien évidemment que le gars parle espagnol. Bien évidemment que le gars dit qu’il sait un peu mais qu’il te parle avec du langage familier par dessus le marché. Bien sûr qu’il est obligé de la jouer faux modeste. Bien sûr que ça te tape les nerfs un peu plus. Tu fais signe au serveur de te mettre une nouvelle margarita, ignorant ton voisin, celui qui va payer pour. T’as déjà deux verres devant toi. Un que tu termines juste après avoir passer ta commande.
« Méfiant c’est pas le mot. »
Mais tu vas pas élaborer plus que ça. Ta nouvelle margarita arrive et tu prends les deux que tu as sous le nez avec tes mains avant de te lever de ton siège.
« Merci pour les verres. »
Et après un dernier sourire bien sarcastique, tu files de l’autre côté de la boîte, là où y’a un tas de monde, où il risque pas de te trouver facilement. Tu veux plus entendre ce gars.
« Here's to the crazy ones. The misfits. The rebels. The troublemakers. The round pegs in the square holes. The ones who see things differently. They're not fond of rules. And they have no respect for the status quo. You can quote them, disagree with them, glorify or vilify them. About the only thing you can't do is ignore them. Because they change things. They push the human race forward. And while some may see them as the crazy ones, we see genius. Because the people who are crazy enough to think they can change the world, are the ones who do. »
On ne parlait pas assez des fléaux de l'autre côté du continent, c'était un fait qui fragilisait Elwyn. Des milliers de loutres mouraient chaque jour, des centaines de faucons disparaissaient dans des circonstances dramatiques mais on n'y pensait jamais quand on vivait dans un pays aussi magnifique que le leur. C'était quelque chose qui rendait Elwyn fou, s'il ne l'était pas déjà à vrai dire. Il n'y avait que lui pour penser à ce genre de choses alors qu'il était en train de "payer" un verre à un inconnu quelconque parce qu'il s'était retrouvé au milieu d'une soirée sans queue ni tête. Il était le seul type avec une tortue sous le bras, une fausse moustache collée sur le visage et un marcel des plus affreux qui lui collait au corps, tout cela pour répondre aux critères de base d'une soirée déguisée. Pire encore, il avait vraiment cru qu'il y aurait un concours du plus bel animal de compagnie et il avait été persuadé de remporter la mise avec Juanita, la tortue la plus rapide de toute l'histoire. Après tout, il ne lui fallait que trois jours pour faire cent mètres, un record dans la région. Enfin, il était peut être temps qu'il se remette à organiser des courses de tortues pour en avoir le coeur net puisqu'il s'était endormi au beau milieu de cette course effrénée la dernière fois. Non, il n'était pas l'homme le plus normal du monde et c'était certainement logique que les gens fuyaient à une vitesse impressionnante dès qu'il ouvrait la bouche. Elwyn, c'était le genre de garçons à parler pendant des heures, à envoyer des posts-its blindés de savoirs inutiles à des personnes qu'il connaissait à peine juste parce qu'il avait besoin de partager ce qu'il avait dans le crâne. La première fois qu'il était tombé amoureux d'une fille au lycée, il s'était contenté de déposer un billet dans son casier avec un simple "01101010 01100101 00100000 01110100 00100111 01100001 01101001 01101101 01100101" écrit dessus... Eloquent pour lui mais pas pour les autres. Oui, il pensait que tout le monde parlait le langage binaire et était capable de déchiffrer un je t'aime loin des conventions habituelles. Pauvre Elwyn, voiilà qu'il parlait à n'en plus finir, en espagnol de surcroît, sans se rendre compte réellement qu'Andy en avait ras le bol de toutes ces histoires. Et le pire dans tout cela, c'était qu'il n'avait rien pris comme substance hallucinogène. Non, il était comme cela au quotidien. Sept jours sur sept. Vingt quatre heures sur vingt quatre, même lorsqu'il dormait à coup sûr. "C'est vrai que si on étudie l'étymologie du mot méfiant, on peut s'interroger. Peut être qu'il aurait mieux fallu utiliser le mot précautionneux ou bien prudent... 'Fin, j'ai pas de dictionnaire sous la main pour vérifier mais..." Il allait partir dans une diatribe à nouveau, jusqu'à ce qu'il constate que le sud américain avait disparu à travers la foule. Elwyn resta coi avant de continuer à parler à sa tortue, enchaînant les verres tout en saoulant le barman plus que lui même, se retrouvant avec une note bien salée en fin de soirée. Et pas l'ombre d'une soirée déguisée. Pas l'ombre d'un concours d'animaux de compagnie. Une nuit réussie, en somme.