Le cadeau de Noël de Wendy. C’est mon objectif de l’après midi. J’ai des idées, mais je suis pas sûr. J’ai envie de parcourir les boutiques pour m’inspirer et voir en fonction. J’ai une idée un peu plus proéminente que les autres mais… Je sais pas si c’est une bonne idée. Non. Pas une bonne idée.

J’ai demandé à Ariane de venir avec moi parce que contrairement à ce qu’on peut croire, elle est de sexe féminin et son avis peut être utile pour ce genre de cadeau. J’aurai pu demander à Levi mais… Je pense que Ariane est mieux placé pour le job et je suis sûr qu’elle va être over the moon de voir que Levi n’est pas convié. Je vais me retenir de toute remarque à ce propos, je suis sûr qu’elle s’en chargera à la première occasion.

« Je veux un donuts avant de commencer. »

Parce que y’a un stand Dunkin Donuts à l’entré du centre commercial. J’aime vraiment pas ça le shopping donc peut être bien que je suis en train de retarder le truc plus que nécessaire. Non, j’ai besoin d’une bonne pâtisserie pour me motiver à affronter la foule. A une semaine de Noël y’a du monde dans le coin. Ils attendent tous la dernière minute comme moi.

J’en prends deux, en refile un à Ariane et alors que je mords dans le mien, je commence à regarder les boutiques. Des fringues pour commencer.

« Non, je prendrais pas de fringues. »

Je trouve ça nul comme cadeau. Faire les boutiques pour des fringues c’est le truc que je déteste faire pour moi alors le faire pour les autres, hors de question.

« Sauf si y’avait une boutique de merch. Mais là c’est trop tard pour lui prendre un truc sur internet. Ca arrivera jamais à temps. »

On passe quelques boutiques que je boude parce que putain au fond ça me saoule tellement le shopping. Je fais l’effort de regarder quelques trucs mais y’a rien qui me plaît et puis… et puis y’a cette bijouterie en face. Ariane est en train de regarder je ne sais quoi et je lui fausse compagnie pour regarder les vitrines.

Je me décale jusqu’aux bagues… Et je continue de me dire que ce n’est vraiment pas une bonne idée mais… Si. C’est la meilleure idée en fait.

Oh qu’elle a le coeur léger Ariane. Un chapitre entier de bouclé aujourd'hui, un Facetime avec maman pour lui en parler, et une série de selfies haineux envoyés à Levi pour boucler la donne, finir dans de bons termes. Ça avance, c’est pas encore tout à fait ça, mais c’est digne de mention, assez pour fermer l’ordinateur à la seconde où il ne reste plus de bières dans le frigo, et à peine une poignée de minutes avant que Vitto ne rentre de son cours de l’après-midi pour filer avec Kane vers de plus verts pâturages. Il a prétexté devoir aller faire du shopping, j’attends à la dernière seconde qu’il m’annonce qu’en fait il est blasé de sa vie et veut repartir en roadtrip sur la côte. Quoi? Ça s’peut, déjà fait, been there, done that, got the t-shirt (and the tattoo). « Come to mama. » et comme si le monde ne pouvait pas être plus beau, comme si la vie ne pouvait pas être plus parfaite, voilà que l’autre blond me tend un beignet comme le Graal, idéal pour pallier la quantité quasi absente de bouffe que j’ai ingérée depuis le réveil. En quatre bouchées sauvages et bruyantes, le dit dessert se retrouve démoli, dévoré, et ce n'est que plus satisfaite que je poursuis le pas, trottinant aux côtés de mon meilleur ami qui apparemment, semble vraiment là pour acheter ses cadeaux de Noël. La déception est real.    

« Quoi, t’as peur que j’te les vole? Faut faire confiance, Kane. » et je bats des paupières, exhibe d’ailleurs le t-shirt du jour qu’il se rappellera avoir acheté y’a une décennie de ça, puis “perdu” malencontreusement quand j’ai réalisé qu’il tombait parfaitement le long de mes hanches. Bien sûr que je capte qu’il est en mode Wendy là, difficile de faire autrement, les yeux brillants qu’il arbore à chaque nouveau flash, à chaque nouvelle idée qui vient s’échouer dans sa boîte crânienne avant de filer ailleurs parce qu’il est tout sauf convaincu. « Depuis quand t’es plus pessimiste que moi? » à croire que j’ai réussi à l’assimiler à force, ce qui me rend relativement fière. « De toute façon, on sait tous les deux ce qu’elle veut, et ça se trouve dans les onglets merch de Brazzers. » jouant des sourcils, affichant un air entendu, je sous-entends évidemment tout le catalogue de sex toys que je pourrais lui avoir d’un claquement de doigt, ajoutant un nouveau camaïeu de rouge sur les joues du pompier. Il a qu’un mot à dire, et tout est réglé.

La seconde d’après, mon oeil est attiré vers l’étalage de bijoux étincelants dans l’angle, suffisamment pour me faire regretter de ne pas avoir apporté mes solaires, pas assez pour m’éviter de trottiner vers le tout. Kane arrive trop tard à ma droite, déjà occupée à pointer bagues et bracelets, colliers et pendentifs à la vendeuse, empilant le tout sur mes doigts et mes poignets comme une gamine qui vient de trouver la boîte à accessoires de maman pour la première fois. « Real talk : mon nom de rappeuse ça serait quoi tu penses?  » et j’éclate de rire, déçue de ne pas pouvoir ajouter de grillz au portrait que je renvoie, quelques signes de main du ghetto que j’esquisse en pouffant. « Attends, c’était une blague ta demande en mariage au festival. » mais là, y’a 1 + 1 qui s'additionnent, et j’arque la nuque, perplexe. « Right? »  

Je ris doucement quand je vois la vitesse et la férocité que Ariane met à manger le donuts. Je ne suis pas surpris, mais ça m’amuse à tous les coups. Peut être bien que parfois je lui ai offert à manger juste pour profiter du spectacle. Peut être même que certaines autres fois avec Levi on a fait des paris si elle allait se tâcher ou pas.

On parle de fringue et je suis outré de reconnaître le t-shirt qu’elle porte. Il est à moi ! Ca fait je ne sais combien d’année que je l’avais perdu et… Il n’était pas si perdu que ça apparemment. Quand je pense que j’ai dû blâmer ma mère et ses tris de fringues qu’elle emmène à la charité une fois par an. Parce que oui, j’ai longtemps fait ma lessive chez mes parents même après avoir déménagé. Je profite du système.

« Je te déteste. »

Je récupèrerai ce t-shirt à la première occasion. Me faufilant dans son armoire ou son panier à linge sale quand je serai chez elle un jour futur. Ariane mentionne le merch de Brazzers.

« Je connais pas. C’est quel genre de groupe ? »

Je suis chaud pour découvrir leur musique si en plus Wendy aime. Je suis quand même surpris que Ariane connaisse mieux les goûts musicaux de ma copine que moi.

Quand je me perds à la bijouterie, Ariane me parle de son nom de rappeuse et je lève un sourcil en lui accordant un rapide coup d’oeil.

« Je sais pas moi, c’est pas le nom de ton animal de compagnie et la rue de ton enfance ? »

Je sais plus d’où j’ai entendu ça mais je dois pas être bien loin de ce qu’elle demande. Mais elle en vient au vif du sujet rapidement, captant que je suis quand même au rayon bagues et que j’ai fait une demande en mariage y’a quelques jours. Je me mords la lèvre inférieur.

« Une blague… Oui et non. Mais je suis pas dans le rayon alliance là je te ferai remarquer. »

Je suis sur la défensive tout de suite. J’ai l’impression qu’elle approuve pas. J’essaie de noyer le poisson, je ne continue pas mes explications sur ma demande en mariage.

« Tu penses quoi de celle là ? »

Je lui en pointe une du doigt qui coûte pas loin de 300$. Je rigole pas. J’ai jamais fait de cadeau aussi cher pour une fille. C’est aussi super symbolique. Je le sais.

Battements de cils d’office, sa déclaration de haine reçoit un baiser soufflé de ma part, et « D’un amour infini. » que je précise en chantant. J’ai déjà oublié l’épisode t-shirt volé lorsque je manigance d'enrichir son historique web, rigolant déjà intérieurement comme une gamine de l’imaginer ajouter la référence à sa liste de groupes à stalker sur Reddit le soir venu. Ce que je paierai pour être un moustique ambiant occupé à gigoter à son oreille quand il ouvrirait grand les yeux de voir des attributs et pléthores de sextape remplir son écran - et ses sex dreams. « Google-les. Ils sont doués en a cappella. » innocente jusqu’au bout, j’essuie du revers de ma veste de jeans les quelques miettes restantes collées à mes lèvres, trottinant au rythme de Kane sans vraiment ralentir ni arrêter, ni se précipiter non plus.

J’ai la forte tendance à croire que d’ici une heure on se retrouvera tous les deux sur une terrasse ensoleillée à siroter un verre en râlant sur la société de consommation qui nous a valu un moment à suffoquer au centre commercial. J’empile déjà mentalement quelques arguments à ajouter à mon plaidoyer, les gens en général qui m’emmerdent toujours plus à cette période de l’année.Toutefois, ma bonne humeur reste tout de même stoïque. « Belzebuth Small? » c’est à se demander à quel point le cerveau de Kane retient inconsciemment toutes les conneries que je balbutie dans une journée, pas le moins du monde pressée de lui expliquer que ce jeu-là, il concerne les ladies dans ses magazines planqués sous son matelas, plutôt. Petit props envoyé jusqu’au paradis des bettas à mon pauvre Belze premier du nom, qui avait fini dans les toilettes pour avoir eu une trop grosse dose de colorant rouge sang dans son bocal, parce que j’te jure avec l’éclairage aligné vers le verre on dirait qu’il flotte dans de la lave.

Mes pulsions de fillette démoniaque sont tout de même retenues le temps que je réalise où on se trouve, ou plutôt, où se trouve Kane. Droit comme une barre au rayon des diamants à exhiber main bien haute, il joue sur les mots le petit, et mon sourcil haussé lui confirme que s’il se ment à lui, à moi, ça passe pas. « Une bague, ça reste une bague bébé. » mais je note le ton un peu plus précipité, il est sur la défensive. Doucement, je retire mes apparats, le rejoins dans la seconde. Loin de moi l’idée de me mettre le nez là - lol, qui me croirait, obvi que je veux me mettre le nez là - n’en reste qu’il est trop tôt pour poser le moindre avis, la moindre opinion sur le potentiel mariage, la oui mais non blague qu’il assume pas encore tout à fait, mais qu’il aborde enfin avec moi pour la première fois depuis le festival. « Et easy, respire, je faisais que demander. » elle est douce ma voix, pas le genre de douceur dont on doit se méfier quand je l’utilise, mais vraiment concernée. Amicale. Puis, Ariane revient au galop, la franchise à la clé. « Pas son style, trop tacky. C’est pas une stripteaseuse non plus. » du menton, je pointe les dorures trop évidentes, la pierre immense au centre qui crie qu’elle s’est fait gâter par son pimp, clairement pas un bijou qui s’accorde à la personnalité de la demoiselle à mon sens. « Celle-là, c’est plus son genre je pense. » juste à côté, je la pointe du doigt, un anneau un peu plus fin, de l’or rosé, cutie. Discret mais joli, féminin, juste assez.

Ok. J’ai la pression. Ariane désapprouve au vu de son air et son ton. Ou peut être pas mais c’est pas un bon début en tout cas. Je vais regretter de ne pas être venu avec Levi si elle ne va pas dans mon sens. J’ai besoin qu’elle aille dans mon sens. Pour me rassurer dans tout ça. C’est son rôle d’amie que de faire ça. C’est vrai que si c’est une énorme connerie que je fais, c’est aussi son rôle d’amie de m’arrêter avant que ce soit trop tard. Mais non. C’est pas une connerie. C’est juste une bague. Pas une alliance. C’est un cadeau de Noël. Une très bonne idée de cadeau de Noël pour sa copine même. Je n’arrive pas à imaginer autre chose pour Wendy, c’est ça qu’il faut. C’est juste la suite logique de tout ça. Même si c’est pas l’ordre des choses, si on va trop vite, j’ai le sentiment qu’on va dans la bonne direction tous les deux.

Voilà, elle me dit de chill. Je me suis monté la tête pour rien. Mais son coup d’oeil là, ça voulait dire « tu fais une connerie Kane » alors même si elle dit l’inverse, je sens qu’elle retient sa réelle opinion pour le bien de mon être et je l’en remercie. Parce que ça veut dire que c’est pas une assez grosse connerie pour qu’elle s’y oppose réellement. Je suis fatigué de réfléchir.

Je me relax effectivement quand je vois qu’elle me donne son avis sur la bague que j’ai pointé. J’hoche la tête, considérant sa remarque avec tout le sérieux du monde. Elle montre une bague rosé et je fronce un peu le nez.

« Non… Je la vois avec de l’argent. »

« Si vous me permettez.. »

HOLY FUCK. Je sursaute. Je l’avais pas vu l’employé qui nous épiais depuis qu’on a mis le pied dans la bijouterie. Ce moment est trop intense pour moi. Je suis concentré. On va me perdre. J'avais besoin de trois bières pas d’un donuts en fait.

« Nous avons de l’or blanc juste un peu plus loin. Je pense que cette sélection pourra vous intéresser. »

Cela dit la précision de la demoiselle est pertinente alors j’hoche la tête en allant jusqu’aux bagues qu’elle a indiqué. Je commence à regarder avec la plus grande de toutes les attentions et y’en a une qui me tape dans l’oeil directement.

« Ok y’en a une que j’aime vraiment beaucoup mais si t’approuves pas ça va me faire chier. »

Est-ce que je sous entends en même temps que toute cette histoire de mariage, ça m’embête qu’elle approuve pas ? Oui.

Mes bonnes intentions sont refusées, balayées et Kane précise que c’est pas ça, ce qu’elle veut, mais bien autre chose, de l'argent apparemment. Ennuyeux, trop facile, pas original, dépersonnalisé. « Y’en a aucune qui correspond alors. » que je réponds du tac au tac, croisant les bras, appuyant mes paroles d’un coup d’oeil sur le présentoir pour l’inviter à confirmer de lui-même mes dires. Je le vois bien, qu’il est tendu. Faut pas avoir un diplôme particulier pour capter que Kane est pas dans sa zone de confort optimal, qu’il teste les eaux, qu’il n’avait peut-être même pas pensé que ce genre de conversation remonterait entre nous deux aussi vite que ça. J’aurais cru que la poussière serait retombée après le décès de la mère de Wendy et leur récente cohabitation dans le studio de Kane, qu’autant de changements si vifs et rapides auraient fini par le convaincre qu’en ajouter un autre était pas le top du top. Et puis entre vous et moi, j’étais relativement déçue qu’il ait choké ce jour-là au festival, déjà prête à cumuler les canettes de bières avec Levi sur la parking de la mairie en attendant que les nouveaux mariés elope bien comme il faut. Une folie comme une autre. À croire qu’en effet, c’était une blague. « Dude, on va éviter le café aujourd’hui. » réagissant au quart de tour en mode maman ours protectrice, je m’assure de noter mentalement que Kane est off de stimulants quelconque jusqu'à nouvel ordre, voix attendrie, le sursaut qu’il fait à l’approche de la vendeuse me faisant craindre pour son coeur.  

Les suivant vers l’étalage qu’on nous montre, je laisse à mon ami tout le loisir de chercher, mon avis relativement pas nécessaire à ce que j’ai compris. Ce qu’il dément, la seconde d’après. « Ta technique de négociation est risquée. » mon sourire en coin calme le jeu, maintenant que je m’approche, suit son regard, attrape des iris l’objet de son intérêt, prends de longues, d’immenses secondes pour en observer les détails, gober l’essentiel. « Pour juste une bague, tu fais fort. » parce qu’elle est quand même sérieuse, ladite bague. Y’a de la roche là-dessus, y’a du scintillant, y’a matière à discuter. Et bizarrement, même si je ne connais pas Wendy des masses non plus, je cerne un peu plus ce qu’il veut dire, voit là où ça pourrait être son type, plisse les yeux rien qu’un peu plus. Après tout, je connais Kane d'avant Wendy, et maintenant d'après. La réponse est pure rhétorique. « T’es sûr? » lentement, je redresse la tête, attrape son regard. Question porte à confusion, entre le mariage en soit, le cadeau, l’union, la totale, la réflexion à côté. Pour avoir assisté à leurs débuts aux premières loges, et aux 44 essais qu’ils ont mis avant d’être enfin un couple, n’en reste pas moins que ça, même si c’est pas des fiançailles en bonne et dûe forme, c'est en voie de. Et comme je me suis moi-même posé ce genre de question over and over du temps de Tad, l’interrogation me file un léger pincement au coeur sans même que je ne me l’autorise. « Pour les diamants, je parle. » et d’un coup sec, je balaie le suspens, calme le jeu, même si je sais que lui autant que moi a vu le sous-entendu que je soulevais.

Bien sûr que Ariane fait une remarque sur ma réaction. J’avais pas vu l’employé j’y peux rien ! Enfin, je préfère qu’elle appuie là dessus plutôt que sur toute cette histoire de mariage. C’est un sujet beaucoup plus léger. Mais oui, pas de café pour moi pour aujourd’hui. J’ai pas besoin de ça vu mon état. Mon coeur en prend pour son grade avec toutes ces émotions. Il va me falloir une retraite de yoga au Népal.

Quand j’ai la bague sous les yeux, l’unique, le précieux, l’air d’Ariane me fait du bien. Elle plaisante. Elle taquine gentiment. Elle a ce sourire qui veut dire qu’elle va pas arrêter de si tôt à dire de la merde pour me faire chier. Tout ça dans la bonne ambiance bien sûr. Son commentaire sur « juste une bague » me fait faire une petite moue contrite.

« Mais c’est juste une bague pourtant ! »

A qui je mens ? Elle me demande si je suis sûr et je me penche de nouveau pour regarder mieux le bijou. Elle parle des diamants sur la bague et j'incline la tête, pensif. Je trouve ça kiffant que ce soit effectivement des diamants, même s’ils sont bas de gamme. Je vais pas au dessus de mes moyens.

« Doivent pas être si précieux pour le prix non ? »

Ca dépasse pas les 300$ cette affaire. Je compte ça comme un très beau cadeau. J’imaginais les bagues avec des diamants beaucoup plus cher que ça. J’avais jamais regardé ce genre d’objet avant aujourd’hui. Diana a déjà eu des bijoux de ma part mais rien qui ne dépasse les 80$.

« On t’a déjà offert des bagues toi ? »

Je ne sais pas si je mets les pieds là où il faut pas au vue de ses précédentes relations. Si Jet aurait fait ce genre de geste ça aurait été pour qu’elle oublie qu’il l’a trompé une fois de plus. C’est sûr. Mais en même temps ça remonte à si loin Jet, je ne pense pas qu’il ait eu assez d’argent pour lui offrir un truc si beau à ce moment là. Par contre Tad… C’est une autre histoire.

« Enfin... Ca veut pas dire que tu connais leur valeur quand on te les offre. Quoi que... Toi. T'as du les amener dans un pawn shop te connaissant.  »

Classique Ariane.

L’envie d’avoir le dernier mot juste pour le faire chier m’inspire à ajouter un « Si tu le dis. » qui résonne au même moment où la vendeuse prétexte nous laisser seuls pour aller voir d’autres clients, alors que je pense sincèrement qu’elle doit juste vouloir nous quitter de peur que la joute verbale enfantine dure trop longtemps. Kane est absorbé par la bague sous ses yeux, à mon tour, je l’imite, détaillant les détails, comptant les diamants. « Ils ont l’air assez vrais pour qu’elle s’en vante à ses copines par contre. » ce dont je ne me priverais pas à sa place, même si je sais très bien que Wendy est pas du type à se la jouer chiante et chieuse à afficher ses acquis à ce point. De ce que j’ai vu et de ce que je connais, elle est plus discrète que criarde, plus beige que rouge. Et c’est une bonne chose en soit.

« Une mood ring. Qui vire toujours au noir. » que je réponds du tac au tac, faisant référence à ces bagues de magazines pour fillettes, et à la couleur qui signifiait ma rage intérieure constante. J’avais 15 ans quand Nadia m’avait donné celle qu’elle avait chopée dans un Cosmo que sa tante lui avait ramené des States, et à ce jour, c’était toujours l’un des mes bijoux préférés, le seul que je portais en tout temps en fait. « Y’a eu une époque avec Tad, j’croyais que ça viendrait sur le sujet. » il demande, je réponds, volontairement évasive, pas du tout envie d’étaler que même deux ans après notre rupture, je rageais toujours un brin intérieurement que ces 5 années passées à construire quelque chose n’aient donné qu’une impression de vide et de temps à tourner en rond, plutôt qu’à avancer. « Faut croire que c’était pas le bon moment. Ou le bon, tout court. » à mon ton, je doute que Kane ne comprenne pas qu’il s’agisse d’une conclusion à un sujet à peine abordé, quoique je suis presque persuadée qu’il ne lâchera pas l’affaire pour m’entendre parler de ce sujet si peu souvent à mon tour.

« Tu sais, de nous trois, j’ai toujours pensé que tu serais le dernier à te marier. » et de le voir là à tourner l’anneau entre ses doigts me donne une drôle d’impression qu’on grandit, qu’on n’est plus des ados immatures à boire des bières dans le parc face à chez lui, à rentrer à pas d’heures du Triffid pour se faufiler par la fenêtre de ma chambre et s’échouer sur le canapé-lit pendant quinze heures d’affilées. « Pas pour les mauvaises raisons hen, juste parce que Levi et moi, on est assez cons pour le faire sur un coup de tête à Las Vegas et l’oublier le lendemain matin. » à mon tour, j’attrape l’une des bagues sur le présentoir, une pierre bleutée à tendance verte que j’enfile au majeur, juste pour la blague. « Alors que toi tu prends ton temps. Toi, t’es sérieux. » c’était ça, Kane, c’était lui tout craché, et aujourd’hui n’était qu’un exemple parmi tant d’autres.

Je la connais la miss. Je suis pas chiant. Je la laisse avec son « si tu le dis ». Ça lui fait plaisir. Je lui offre ça. Ce sera son cadeau de Noël. Combien de fois j’ai laissé glisser des remarques de la sorte pour en finir avec un argument. Y’a des sujets sur lesquels je me bats plus que d’autres. Là je m’en fou. Pas comme si elle avait dit que la nomination de Bring me the horizon aux Grammy était pas mérité. Je choisis mes combats.

J’avais pas pensé au côté show off des diamants. J’aime bien savoir ça. Que Wendy pourra montrer fièrement la bague à qui veut bien la voir. J’espère qu’il y a un certificat qui dit pour les diamants, histoire de faire bien sérieux, précieux. Le sourire sur mes lèvres indique à mon amie que pour une fois elle a dit un truc intelligent.

Une mood ring pour Ariane ? C’est tout ce qu’elle a eu ? Je le crois pas. Elle enchaîne, parlant de Tad. Oh oh. De ce que je comprends elle aurait voulu une bague, mais il n’en a pas offert. Elle parle de bon moment. De bon boyfriend.

« Tu voulais qu’il t’offre une alliance… »

Alors je sais pas comment je fais, mais ça sort comme une simple réflexion à voix haute, mais en même temps ça reste presque une question. En tout cas c’est la première fois qu’elle aborde ce sujet. Je pensais pas qu’elle pensait à si sérieux avec Tad. C’est vrai qu’ils sont resté longtemps ensemble… Ça tombe sous le sens. Mais Ariane je la vois pas comme une de ces filles pour qui le mariage est une finalité en soit. Ca ne m’a même jamais traversé l’esprit qu’elle puisse se marier un jour. Comme Levi. C’est pour ça que je suis trop surpris par ce qu’elle dit ensuite. Moi le dernier de nous trois à me marier ?

« Mais n’importe quoi ! »

Je m’insurge carrément. Elle se justifie et ok, je comprends peut être un peu mieux son raisonnement. C’est vrai que vue comme ça, elle a pas tort.

« Moi je demande ma copine en mariage alors que je suis bourré au milieu de la foule pendant un show. Je suis super sérieux oui. »

Mais cette image me fait doucement rire. Je laisse passer un bref instant avant de reprendre, le visage un peu plus sérieux.

« Mais ouais. Je regrette pas. »

Voilà. C’est dit. C’était pas une blague.

« Wendy veut que je lui refasse une demande quand on voudra réellement se lancer là dedans. Ça la dérange pas si c’est dans dix ans, ou si ça arrive même jamais. »

Aucune pression de ce côté là et ça fait bien mon affaire pour la paix de mon âme. Mais c’est pour ça que je veux quand même une bague pour compenser légèrement ce différé. La demande était quand même bien réelle et voulue bien que pas réfléchis du tout.

À la seconde où Kane s’étonne d’une bague que j’aurais pu vouloir de la part de Tad, je m’emporte à mon tour, un peu plus vite, un peu plus fort qu’à l’habitude. « Je voulais juste qu’il s’engage. La bague, j’m’en fichais. » parce que si j’avais voulu un mariage et tout le reste, ç’aurait été pathétique. Parce que si j’avais voulu une cérémonie, et des témoins, et de la musique toute en cordes, et du gâteau, et des fleurs assorties à mon ombre à paupières, ç’aurait été me voiler la face. Tout ça, c’était rien, que des 0 et des signes de dollar au bout, que des prises de décisions qui froissent tout le monde et tout en général, le taffetas cliché bruyant de mon hypothétique robe de designer hors de prix au passage. Tad, c’était du commitment dont il manquait, de l’investissement, de l’effort. L’ultimatum de trop en travers de la gorge, et jamais il ne m’avait demandé de rester quand j’avais rompu. Jamais il n’avait dit quoi que ce soit, tenté. Juste, laisser aller, comme notre relation, comme tout. Mais j’y pense pas, j’y pense plus, je ressasse nullement. C’est juste un rictus normal, là, une habitude, de serrer les lèvres et les poings, en pensant à cette époque-là.

« T’es sérieux oui. Dans ton évolution pour devenir un peu plus comme nous. » que j’insiste, pas peu soulagée qu’il reprenne le fil de la conversation, qu’il attrape la perche que je lui lance, une pique au passage. Autant Levi que moi n’y croyait pas, à tout ça. Mais Kane l’éternel romantique, Kane et ses chansons d’amour, et ses 40 gestes d’affection à la seconde, lui, il était là pour du long terme, pas pour une suite de shots trop sucrés et un prêtre payé sous le salaire minimum pour unir deux âmes bourrées dans la maison du seigneur avec pignon sur rue face aux casinos les plus crados de la ville. « J’en doutais pas. » d’un geste, je rattrape mes mèches qui m’énervent l’espace d’un instant en un chignon défait, additionne le tout d’un regard entendu vers mon meilleur ami qui, sans grande surprise, a fait passer pour une blague ce qui au final était totalement réfléchi, juste plus impulsif que prévu. « En vrai, tu vas être capable de résister à pas lui refaire une demande en mode lipdub sur du Bruno Mars pendant 10 ans? À d’autres. » et elle se moque Ariane la sceptique, un éclat de rire qui encourage la vendeuse à revenir vers nous, à voir que la situation est peut-être un peu moins tendue maintenant que les cartes doucement se placent. « Elle est cool. La bague. » ma précision à nouveau voilée d’un sourire en coin, le reste qui sonne particulièrement vrai à mes oreilles. « Et Wendy. » l’approbation, le seal of approval, ce qu’il sait probablement déjà, mais pour la peine, j’aime bien m’accorder la moindre importance de jugement.

Elle voulait qu’il s’engage. Je comprends ce besoin qu’elle a eu de ce côté là. C’est tout ce qui lui manquait avec un autre de ses ex. Je parle pas de Jet non, lui c’était une belle blague à côté de Tad et Joel. Eux y’a eu un vrai truc. Mais ouais tout ça ça me fait tout de même pas changer d’avis sur Ariane et le mariage. Je ne l’imagine pas mariée. Elle est trop libre comme fille. Je crois que ça lui ferait plus de tort qu’autre chose. Après tout il est bien connu que la première cause de dépression au monde c’est le mariage.

Dans mon évolution pour devenir un peu plus comme eux ? Ouais. J’aime bien être associé à eux comme ça. Je les admire tellement l’un et l’autre à leurs façon. Leur être de manière générale. Ils sont beaucoup trop cool, intelligents, ouvert, avec des goûts musicaux que je salue (très important) et oui, j’ai peut être ressenti cette pression depuis toujours. D’être aussi bien qu’eux, si j’arrive. Clairement j’ai jamais réussi. Mais je suis cool à ma manière et ils m’apprécient, m’aiment comme ça. Entre deux de mes rougissements et quelques larmes.

Je lui apprends rien de mes intentions vis à vis de la demande en mariage. Elle me connait trop bien.  Elle s’occupe de ses cheveux et instinctivement j’en fais de même, glissant ma main dans les miens. Elle parle de lipdub et ça me fait grave sourire, un peu rire même.

« Wendy veut un flashmob. »

Je l’avoue sans peine. Elle a tellement tapé dans le mille ma Ariane. Wendy aussi. Parce que franchement, un flashmob, c’est carrément dans mes cordes. J’avais plutôt dans l’idée de monter sur scène à un show et lui faire ma demande à ce moment là mais comme je suis pas pote avec un tas d’artistes, je sais pas si j’aurai réussi à faire ce que je veux exactement. Parce qu’il faut que le groupe ait du sens pour elle autant que pour moi. Sinon c’est trop facile, je passe un coup de fil à Joel et c’est parti on prévoit ça à un hometown show de Amity Affliction. Mais non. Je réfléchis beaucoup trop à tout ça mais ouais. Le choix des chansons, de la soundtrack de ma vie, c’est important.

Ari me sort de mes pensées approuvant mon choix de bague. Good. Elle approuve Wendy aussi et un doux sourire se forme sur mes lèvres. Je vais passer mon bras dans le dos de Ariane et je l’entraine dans un side hug avec un tendre baiser sur la joue.

« I’m in love, I’m in love oh I’m in love… »

Que je lui chantonne. Ces quelques mots et cette mélodie qui me hantent depuis le festival. Depuis que Wendy s’est laissé emporter par la foule à surfer sur eux. Irréel. J’en ai fait toute une chanson. Trop d’inspiration par le show. Par Wendy. Trop d’émotions. Je ne l’ai pas fait écouter à Ariane encore. J’avais un petit peu peur qu’elle me mette en garde sur tout ça, que c’est trop fort, trop rapide avec Wendy. Pour ça que le sujet de la demande n’est pas venu sur le tapis avant maintenant. Mais non. Tout va bien. Elle n’a rien dit. Je ne suis pas en train de faire un remake de sa vie (en mieux). On tiendra plus que cinq mois Wendy et moi.

J’ai la Parker approbation. La bague est aussitôt acheté. Me voilà plus léger de 400$.