J’étais étonné, pourtant. D’avoir réussi à tenir aussi longtemps sans y penser, ou du moins, sans y penser autant. Les journées entre le match de volley - et le dernier ultimatum possible et logique pour nous deux - le boulot qui s’échelonne. Les tests pour un futur foodtruck, les démarches d’achat. J’avais su m’occuper l’esprit plus que bien des fois avant la date limite, butoir, que j’ignorais presque, que j’oubliais parfois. Jusqu’à ce que des détails viennent faire chier mon poise, que mon regard bifurque sur le calendrier, sur le billet à mon nom déposé au coin du comptoir, son homologue anonyme manquant. Et dans ces moments-là, j’y allais à la dure. Quand je me surprenais à passer une seconde plus longue que les autres à penser à sa réponse, à anticiper, à appréhender, j’me disais de pas me faire d’idées. Que j’avais messed up assez fort et assez longtemps pour pas croire logiquement qu’elle soit prête à passer par-dessus. Que mes discours étaient bien beaux bien larmoyants, mais que si elle avait vraiment voulu venir, si elle y avait cru, j’aurais su avant, j’aurais eu un indice, j’aurais eu de quoi me rattacher. C’était pas facile de cerner Lene, elle arrivait à surprendre n’importe qui et moi le premier en tout et pour tout, mais pour le coup, j’étais persuadé d’avoir raison. T’as tout cassé McGrath, you made your bed, just lie in it. Le speech de motivation à revoir, je m’étais donné corps et âme pour que les retrouvailles tempérées avec Ginny et Noah soient au centre de ce que mon petit coeur avait encore comme force, et croyez-moi, c’étaient pas des masses. Mais il survivrait, on survivrait, on était pas désespéré au point de dire non à quoi que ce soit de sérieux, un jour, si avec Lene ça fonctionne pas, right? Right? À qui je mens. Si ça marche pas avec elle, j’me donne pas cher sentimentalement parlant. Et je le jure, jusqu’au matin du départ, jusqu’au 31 décembre, j’avais réussi à cumuler une moyenne pas si mal du tout de réflexions axées sur elle, quotidiennes. Une moyenne raisonnable, juste assez pour m’ennuyer à en crever, pas trop pour en crever, justement.
L’aéroport est comme je me le rappelle, et justement, je tente de pas me le rappeler pour des raisons évidentes. Le type qui demande 40 fois à la standardiste on a jusqu’à quand pour se présenter à la porte, le mec qui regarde l’heure par tranche de 30 secondes, le con qui joue avec son portable comme s’il était une blogueuse mode d’à peine 20 ans dans la fleur de sa carrière, c’est moi. Et celui qui texte un « Hey, ils viennent d’annoncer la gate, c’est la première tout juste à côté du stand à limonade. » qu’il veut chill, désabusé, relax au maximum, c’est moi aussi. Encore heureux, je lui envoie pas. Parce qu’elle est capable de se débrouiller toute seule comme une grande, qu’elle connaît l’endroit, qu’elle saura trouver. Et parce que si je lui écris, ça fait pas partie du deal de lui laisser la liberté de choisir, si je lui écris, c’est montrer que je doute, si je lui écris c’est me confirmer que je sais qu’elle répondra pas. Qu’elle répondra plus. Viendra la première escale, celle que je n’attendais plus, et pendant une poignée d’heures je m’étais fait une violence sans nom pour ne pas regarder par-dessus mon épaule, scruter chaque siège, voir si elle est dans l’avion, si je peux la voir, l’entendre râler d’être assise à côté d’un bébé braillard, ou ronfler parce qu’elle a trouvé parmi les films kitsch à mort du catalogue le meilleur somnifère possible pour dormir comme une reine. « Ouf, quel vol hen. Les turbulences, ça le faisait pas par moment. » mes doigts pianotent désespérément mon stress mal caché mal assumé sur le clavier de mon téléphone, mais encore une fois, pas question que ça parte, pas question que je profite de la dizaine de minutes gratuites du wifi en salle d’attente pour afficher à quel point je sais, que j’ai merdé. À quel point je vaux plus rien à ses yeux, et à quel point je le mérite surtout. La deuxième escale arrive sous fond de mini bouteilles de bourbon, de whisky et de scotch que j’ai alignées les unes à côté des autres, le sourire niais, le coeur léger. Elle va veniiiiiir Matt, t’en fait pas, chill out mate. « J’te jure le coucher de soleil était incroyable tellement il était beau, ça me rappelait celui en haut de kangaroo point, t’sais, celui de... » je laisse les souvenirs remonter, je laisse les soirées passées en haut de notre spot préféré à Brisbane teinté mon message à saveur d’alcool bon marché et de mauvaises décisions réfléchies sans vraiment l’être. Encore heureux, je m’endors sans terminer d’écrire ma phrase, et à nouveau, elle ne recevra rien de ma part. Safe.
« Arrivé. » celui-là, elle l’aura. Quand je serai à l’hôtel, que je me promets, furax, contre moi-même. Furax de m’être fait des idées. Furax de l’aimer comme un malade, d’avoir espéré vraiment, sincèrement, du plus profond de ma tête de linottes qu’on passerait à travers, que j’aurais une chance, une dernière, que je rattraperais tout, que je nous sauverais. Sérieux Matt, tu m’fais pitié - que je pense, passant devant un grand miroir narguant ma tronche épuisée plissée. Et le comble, c’est le collier de plumerias qu’on m’enfile presque de force autour du cou, les chants tropicaux et la chaleur d’Honolulu qui passent à travers les fenêtres sans verre de l’aéroport où je pose enfin le pied. "Aloha, mahalo!" qu'on peut lire partout sur toutes les affiches, sur tous les visages. Ouais ouais, Aloha, mahalo, f*ck my life, ce voyage sera ce qui me mènera à ma perte, j’en suis persuadé.
Bon, s’il avait bien pris le vol indiqué sur son premier billet, alors il lui reste huit heures à attendre devant la porte de sortie des voyageurs avant de pouvoir espérer y apercevoir le visage de Matt. Huit heures, et certainement un peu plus avant que ne vienne le dénouement. C’est beaucoup plus que ce qu’elle ne peut supporter mais sur ce coup-là, elle sait qu’elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même, que si elle l’avait prévenu de cette décision que de finalement le rejoindre ici, à l’autre bout du monde, peut-être aurait-elle pu trouver un hôtel pour se reposer pendant les quelques heures qui séparent leurs arrivées respectives. Mais non, elle ne l’avait pas fait et la peur de ne pas se réveiller, de ne pas le voir arriver et de tout rater parce qu’il lui avait fallu v’là le temps pour prendre une décision se fait bien présente en elle de sorte qu’il lui est impossible de s’imaginer quitter l’aéroport avant l’heure fatidique. C’est comme si tout son corps entier se dressait contre sa seule raison pour la clouer là, sur place, en la laissant assise par terre au beau milieu du terminal à juste scruter la moindre personne qui franchirait la porte et à envoyer paitre la moindre personne qui s’inquièterait de la voir assise ici pendant autant de temps. C’est probablement ça la leçon à retenir quand on n’est pas capable de se décider…
Le billet d’avion avait manqué d’atterrir à la poubelle au moment où Matt avait fini par quitter l’infirmerie de service, promettant que si cette fois ne serait pas la bonne, alors il partirait. Il lui avait posé un ultimatum et fidèle au profil type des personnes dont le comportement est régi par la fierté, elle n’aimait pas qu’on lui impose un choix. Elle n’aimait pas la façon dont elle se sentait contrainte à passer outre toutes les rancœurs accumulées sous peine de ne plus jamais avoir l’occasion de les lui répéter. Parce que oui, sa première réalisation, celle qui lui avait fait garder le billet, c’était de s’être rendu compte qu’elle avait besoin de lui parler de tout ça, elle avait besoin qu’il comprenne, qu’il sache la moindre chose qu’elle avait nourri en attendant son retour. Elle avait besoin qu’il comprenne sa douleur et qu’il l’aide à passer à autre chose parce que sans lui, cette partie d’elle n’ira jamais de l’avant. Première réalisation. Bien sûr, à ce stade, son caractère buté est revenue à la charge pour lui répéter qu’elle n’a pas besoin de lui et qu’elle serait mortifiée que d’admettre l’hypothèse qu’il puisse avoir un quelconque rôle à jouer dans sa vie. Le billet a donc été rangé dans une poche et jamais ressorti avant très longtemps.
Puis, elle avait eu Eva à ses côté à raison d’une fois par semaine, jusqu’au jour J, le top départ de la course Sydney-Hobart et pendant trois jours et demi durant, elles n’avaient eu que le choix de se supporter ou bien de se jeter par-dessus bord (choix cornélien, on s’entend). Si la présence de sa sœur aînée qu’elle avait toujours haï du plus profond d’elle-même lui avait appris quelque chose, c’est qu’elle pouvait être capable de mettre son ressentiment de côté et de se donner une chance de faire beaucoup mieux. Partager du temps avec Eva restera probablement la chose la plus difficile à faire. Dieu sait l’idée qui lui est passé par la tête que de lui proposer de faire cette course, de tenter l’expérience pour apprendre à se connaitre en situation extrême, pas forcément pour passer du temps entre sœurs mais au moins pour corriger l’image biaisée que chacune a de l’autre. De très nombreuse fois, Lene avait hésité à la pousser à l’eau, à lui déblatérer les pires méchanceté que son esprit cruel serait capable de formuler mais avec le temps, avec de la volonté, elle avait appris à contrôler cette pulsion qui est de faire du mal à tout prix à son aînée et curieusement, le bilan qu’elle pouvait tirer de ces trois jours et demi, c’est qu’elle était bien capable de mettre sa rancune de côté, d’aller de l’avant sur la pire crasse qu’on lui ait jamais faite et de se concentrer sur maintenant. Ses sentiments par rapport à sa sœur n’avait pas forcément changé mais elle avait gagné en sagesse et d’avoir vécu quelque chose d’éprouvant ensemble, ça ne pouvait que lui faire comprendre que d’une certain façon, elles ont des choses en commun.
L’arrivée à Hobart, la revue de ces trois jours passé avec sa sœur et la réalisation qu’il pouvait lui être possible de pardonner l’avait amené à ressortir le bout de papier de la poche de son sac. Le papier fraichement imprimé avait pris la flotte, mais on pouvait toujours décerner à quoi il pouvait servir et à croire qu’en parlant avec Kane un mois plus tôt, elle avait déjà pris sa décision sans le savoir, de se fixer de prendre l’avion pour Honolulu était clair dans son esprit. Elle n’avait de toute façon rien prévu pour le nouvel an, elle avait répondu aux personnes qui avait demandé qu’il y’aurait une possibilité pour qu’elle soit à l’étranger. Elle avait tenté de rester butée mais inconsciemment, elle avait décidé et aussitôt que le bateau avait été accosté, que les formalités pour le renvoyer à Brisbane avait été remplies, signées et payées, elle avait filé aussi vite que l’éclair à l’aéroport pour retourner à Sydney, puis à Brisbane. Elle allait prendre l’avion là-bas et mettre fin définitivement à cette bataille intérieur. Sauf que, la nana au guichet de la compagnie, elle n’avait pas le même discours. Aucun vol ne la ferait arriver à temps à Brisbane pour attraper celui qui doit partir pour la première escale vers Honolulu. N’importe quel vol, si elle passait par Brisbane allait l’empêcher de le rejoindre à temps. En revanche, si elle partait de Sydney, alors elle aurait huit heure d’avance sur le plan et là, la conversation qu’elle s’imaginait déjà avoir dans sa tête aurait lieu. Ne restait qu’à payer le supplément et à le lui dire. C’était sans compter sur les trois jours et demi précédent en pleine mer, à ne pas charger de téléphone pour ne pas gaspiller les ressources en électricité du bateau et à son téléphone qui refuse d’entendre raison. Quel malheur que d’être équipée avec un modèle si vieux qu’il en est impossible d’emprunter un chargeur, et c’est donc après avoir passé toutes ces étapes que l’on retrouve Lene, assise par terre, à lutter contre le jet-lag et la conscience d’avoir été stupide qui la ronge.
L’heure sonne. L’annonce de l’arrivée des passagers la fait bondir sur place et bien que la sortie des passagers peut prendre très longtemps, elle reprend ses affaires pour s’avancer. Elle a l’impression qu’on l’enserre très fort, tant sa peur que de le rater se fait plus présente. C’est tout un tas de question qui la prend d’assaut, à savoir s’il n’a pas changé de vol devant son absence de réponse, si ce n’est pas trop tard, si après plusieurs mois depuis son discours il n’a pas changé d’avis, si elle avait demandé trop de temps tout simplement … Pourtant, elle avait tenté de rassembler ses idées avant la date fatidique. Alors qu’elle tient difficilement en place, les danseuses qui s’occupent d’accueillir les visiteurs en viennent à lui offrir un énième collier de fleurs, elle en a déjà trois. Et alors qu’elle s’affaire à refuser, il est là, il passe rapidement sans la voir. Lene ne comprend pas la langue de l’île mais elle est presque certaine que ce sont des insultes qui s’échappent de la bouche de la jeune femme au moment où elle se précipite pour le rattraper, elle ne crie pas son nom parce que l’intensité du moment la cloue sur place mais à force de précipitation, c’est sa main qu’elle saisit, le tirant de façon assez violente pour le surprendre pour qu’il arrête d’avancer et maintenant, face à lui, elle réalise que huit heure d’attente n’ont pas été suffisant pour qu’elle arrive à savoir quoi lui dire vraiment en ce moment fatidique. « Je … Je suis là.. » Qu’elle parvient à dire d’une petite voix alors qu’il ne dit rien et que dans son silence, tout ce qu’elle arrive à se dire, c’est qu’il est trop tard, qu’elle aurait du prendre sa décision plus tôt et que tout ce qu’il va lui répondre, c’est un sarcasme calée sur les siens pour lui renvoyer dans la face toute la douleur qu’il est capable de ressentir à ce moment précis parce qu’elle aura été aussi lâche que lui à l’époque. « Je … Je pouvais pas embarquer à Brisbane. Avec la course, on est pas arrivé à temps alors j’ai .. J’ai pris l’avion à Sydney mais j’avais rien pour te dire et je suis désolée .. » Qu’elle énonce avant de fondre en larme, une vision bien pitoyable qu’elle offre à un public qui arrive à se retourner vers eux pour scruter, pour tenter de voir ce qui peut bien la mettre dans cette état. « J’aurais dû te dire bien avant, mais j’avais tellement peur de l’admettre, et maintenant, j’ai vécu cette expérience tellement forte, je peux pas fuir parce que j’ai peur et je me sens bête parce que le timing a pas été de mon côté, mais Matt, je ne veux pas que tu sortes de ma vie… » L’aveu final qui tombe, tout ça pour ça qu’on dira mais dans ce qu’elle pleure, il y’a beaucoup d’émotion renfermée qui s’échappent.
J’ai la rage. J’ai le coeur qui tambourine contre ma poitrine aussi, accessoirement. Parce que je suis qu’un con, parce que j’ai vraiment cru à ça, à nous. Parce que j’ai passé deux années complètes à repousser l’ultimatum, à me dire que j’arriverais à la convaincre au fil du temps, que ça finirait par se replacer. Complètement deg de réaliser qu’au final, j’avais été tellement con sur toute la ligne. De penser qu’à un moment, elle verrait au-delà de ce dans quoi je l’avais mise, dans le mal que j’avais laissé sur mon passage sans penser une seule fois que ça l’atteindrait ne serait-ce qu’un peu. Tellement d’erreurs sur mon parcours, tellement de déni aussi, j’avais si peu assumé pendant trop de temps, que je me décourageais, je me découragerais probablement toute ma vie. Et je l’aimais, god que je l’aimais. Je l’aimais tellement et ça avait jamais arrêté, ça s’était juste amplifié, empiré. Parce que c’était un calvaire de vivre jour après jour avec la réalisation que je nous avais cassés, que je continuais quotidiennement à le faire, et que rien ni personne n’avait à prendre le blâme dans cette situation autre que moi, juste moi. You brought that on yourself, Matt. Complètement lâche un temps, y’avait fallu que je me rende à l’évidence, que je me pousse au pied du mur, directement dans mes retranchements. À savoir que sur l’échelle des probabilités, elle avait tous les droits, tous les éléments, toutes les justifications inimaginables pour ne pas venir. Je la méritais pas, la chance. Je l’avais perdue y’avait presque 10 ans maintenant, je l’avais laissée derrière, et je le regretterais beaucoup trop fort et beaucoup trop mal pour arriver à me l’avouer sincèrement avant d'avoir acheté nos billets, avant d'avoir pensé que ça, que nous, c'est encore une possibilité.
L’avion sans elle me confirme à quel point je suis un raté. L’aéroport vide de sa silhouette n’est qu’un énième rappel pour me mettre en pleine gueule à quel niveau de naïveté j’ai pu me rendre, claque atomique au visage qui arrive même pas à me secouer suffisamment pour chasser l’impression d'anesthésie générale. C’est fini Matt. C’est fini, c’est fini, elle en veut plus, elle en veut plus de toi, de ta sale tête, de tes conneries. Elle te l’a tellement dit souvent, y’avait vraiment fallu que tu tombes aussi bas pour l'entendre? J’aligne le bureau des tickets dans ma mire. Ce sera un aller simple pour Brisbane, pas question que je me torde le coeur en plus du reste. Que j’ai Hawaï qui me rigole à la gueule en aparté, la constatation à chaque seconde éveillé que ça y est, c’est comme ça qu’on se sent, quand on perd la femme de sa vie. Parce que c’est ce qu’elle est - était Matt, open your eyes you dumb fool.
Ma main est attrapée au vol, mon poignet tiré vers l’arrière. J’ai pas du tout envie d’un autre collier de fleurs, encore moins d’acheter une de leurs conneries à rabais. Je m’apprête à refuser dans toutes les langues possibles, insultes à la clé, quand mon coeur manque un battement, et qu’elle est devant moi. Lene. Lene et sa voix qui a un trémolo que je déteste, parce que je sais que c’est ma faute, que tout est ma stupide faute, Lene qui tremble presque, Lene que je détaille, que j’enregistre, que je mémorise.
« T’es là. » je fais écho à ses paroles, m’étouffant pitoyablement dans ma surprise. Toute ma rage contre moi-même est disparue, envolée, la surprise rendant mon souffle plus rauque, saccadé. Elle s’explique et elle s’excuse et je fronce les sourcils, me fais violence d’un « Mais non, voyons, t’es là et... » qui reste légèrement pris en travers ma gorge, refusant qu’elle se mette la faute sur les épaules, absolument pas, la tension que je vois se dessiner le long de sa mâchoire, sa nuque. Je donnerais tout pour lui chasser cet air du visage, pour qu’elle se perde pas dans des justifications que j'ai pas besoin d'entendre, tant que c'est sa voix qui les dit, tant que c'est elle, tant que c'est Lene que je vois. Faut qu’elle arrête ce qui semble lui prendre tant d’énergie, faut pas qu’elle se mette dans cet état-là, pas pour moi. Je le mérite pas, je la mérite pas. Ses larmes qui commencent à couler me clouent au sol, coupent le souffle, mes neurones qui arrêtent de fonctionner un instant, juste assez pour esquisser un pas vers elle, pour enregistrer tout ce qu’elle ajoute, pour le répéter encore et encore en boucle, entendre mon nom sur ses lèvres à travers les sanglots, sentir mes propres yeux devenir humides sous ses confessions. Matt sérieux, stay strong. À l’intérieur ça explose, ça brûle, ça bouille, ça papillonne, ça brille, ça fait tellement mal que ça fait du bien. « Lene, juste... »
Je fais un nouveau pas vers elle. Juste assez proche pour égoïstement essuyer sa joue et ainsi pouvoir caresser sa peau, sentir sa chaleur, pour la sentir elle, confirmer sa présence, confirmer que je suis pas juste en train de délirer, complètement jet lag, amoureux fou exposé à un mirage et un autre. « Je veux plus jamais en sortir, de ta vie. Je veux rester, rester tellement longtemps, aussi longtemps que tu voudras de moi, aussi longtemps que tu voudras tout court. » que ma voix lui souffle, que mon regard embué lui crie.
Et parce que c’est beaucoup plus dramatique que ça le devrait, et parce que ce qu’elle me dit, c’est absolument tout ce que j’ai voulu l’entendre me dire depuis si longtemps, depuis tellement longtemps, que je fais un pas de plus, un dernier, mes mains, mes paumes trouvant les siennes, ses doigts que j’enlace, son regard où je m’accroche. « Viens, viens là, viens, s’il-te-plaît. » et je tire, je l’attire doucement à moi, j’attends de voir si elle aide au mouvement, si elle suit, si l’élan lui va. Et lorsque j’en ai la confirmation, ce sont mes lèvres que je pose directement sur les siennes, goût salé de ses larmes, goût sucré de la retrouver.
Elle ne se sera jamais sentie aussi fragile qu’à cet instant précis, où elle dit à Matt tout ce qu’elle a toujours retenu par fierté et par envie de garder le dernier mot, et elle aura détesté ça que de se sentir autant à la merci de quelqu’un et d’avoir baissé chaque barrière qui limite sa zone de confort pour avoir pour une fois un vrai échange honnête avec le McGrath. Elle déteste ça. Mais, elle avait compris qu’au final, c’était la seule chose à faire si elle voulait que cette histoire ait la fin qu’elle souhaite et que parfois, il faut prendre son courage à deux mains et avancer en prenant le risque de s’en prendre une, c’est ce qu’elle avait fait. Des larmes s’étaient ajoutées à son discours. Ça, ce n’était pas prévu non plus, quand elle s’était fait l’idée de ce qu’elle dirait mais elle avait retenu tant d’émotion, tant de ressentiment. Grosse surprise pour elle que de pleurer mais c’était au final compréhensible quand elle a senti le poids quitter ses épaules. C’est vrai que la rancœur, ça mange énormément d’énergie. « T’es là. » Qu’il murmure, surprise de la voir, elle se doute bien parce qu’elle a raté le point de rendez-vous, parce que c’était à Brisbane qu’elle devait le trouver et pas à l’arrivée, mais en même temps, au lieu de reproche, le principal est dit dans sa répétition : elle est là. Les justifications tombent malgré tout, parce qu’elle a besoin d’expliquer, parce qu’elle ressent le besoin de dire maintenant pourquoi elle n’a pas pu le rejoindre, parce que la seule chose dont elle a peur maintenant, c’est que ce retard soit un nouveau grief qui s’ajoute à leur relation déjà branlante et que c’est tout ce qu’elle veut éviter : d’autres rancœurs. « Mais non, voyons, t’es là et... » Et il ferait mieux de ne pas la couper ce qu’elle a à dire, parce que c’est de l’inédit qu’elle joue là et qu’elle ne sait pas si le courage de se mettre à nue la prendra une seconde fois, là, il faut qu’elle le dise et que lui, il se contente juste d’écouter avant que sa peur chronique d’être blessée si elle se découvre trop ne la prenne en otage à nouveau.
Elle ne parle pas tant que ça, et pourtant, elle a le sentiment de dire mille mot, d’avoir lancé une tirade tant les choses sont difficiles à dire. Elle savait qu’elle se prêterait à cet exercice mais la préparation mentale ne l’aura pas aidé à le faire naturellement. Elle doit se convaincre à chaque son qui sort de sa bouche que c’est pour le mieux, que c’est pour eux et que Matt écoutera, qu’il ne les lui renverra pas à la gueule et que maintenant, le comptage des points est terminé et que cette joute qu’ils mènent depuis deux ans se termine à forfait mutuel, sans gagnant. « Lene, juste... » Qu’il parvient à placer en s’avançant vers elle, la coupant dans son discours, augmentant son rythme cardiaque par la même occasion. Un silence s’installe pendant lequel elle ne le quitte pas des yeux, où elle le laisse la toucher, où tout ce qui se joue maintenant, ce sont des retrouvailles qui ont bien peiné à se faire. Elle ne prononce plus rien même elle aimerait en dire plus, elle aimerait justifier tout ce qu’elle lui a dit, toutes ses piques, toutes les raisons qui l’ont poussé à essayer de lui faire du mal et à y arriver et pourquoi tout ça, c’est fini maintenant mais rien ne sort parce que seul compte l’instant présent et les promesses qu’ils se font. « Je ne veux plus jamais en sortir, de ta vie. Je veux rester, rester tellement longtemps, aussi longtemps que tu voudras de moi, aussi longtemps que tu voudras tout court. » Elle n’en a pas honte sur le moment, mais si elle se voyait de l’extérieur, elle sait qu’elle se moquerait de la façon dont elle réagit actuellement, d’être aussi émue devant ses paroles qu’elle sent sur son visage, de se sentir comme ces minettes dans les teenage movie et de juste vivre ce moment incroyablement chargé en sentiment. Seulement, rien de mauvais n’en ressort, rien de mauvais ne traverse son esprit, juste la joie de baisser enfin les armes et de mettre fin à ce jeu puéril qui dure depuis trop longtemps. Et alors qu’elle continue à ne rien dire de plus, à le laisser s’exprimer, elle continue de se laisser faire, de le laisser prendre ses mains comme si de rien était, de s’approcher encore plus, elle ne le quitte pas des yeux « Viens, viens là, viens, s’il-te-plaît. » Elle obéit, elle s’approche. La Lene qui se serait défendu, qui l’aurait envoyé au placard en refusant de se soumettre est bien rangé au fond d’elle et n’a plus rien à dire, plus de trace de celle-là. Un léger frisson la parcoure. Ce n’est pas tant la proximité mais la peur qui génère cette réaction-là, elle est en dehors de ses remparts depuis bien trop longtemps et alors qu’elle s’apprête à prendre peur, à reprendre du sérieux, à initier cette conversation qu’ils doivent avoir, il l’empêche de crier et de prononcer un nouveau mot en l’embrassant et à l’image des dernières secondes, elle se laisse faire, elle n’ajoute rien et se laisse emporter par ce geste si innocent qu’elle n’avait plus eu l’occasion de répéter avec lui depuis trop longtemps. C’est un automatisme qui reprend vite ses droits sur elle que d’embrasser Matt, une adrénaline qu’elle n’avait pas ressenti depuis long s’empare d’elle, manque de la faire défaillir mais elle garde le réflexe de passer ses bras autour de son cou pour se retenir à lui. Si ça ne tenait qu’à elle, elle n’arrêterait pas. Si ça ne tenait qu’à elle, elle laisserait aller tout ce qu’elle a renfermé. Mais, le rappel qu’ils sont toujours dans un hall d’aéroport se fait bien rapidement quand une voix au hautparleur fait une annonce lambda. Ses lèvres sont dures à quitter, ses bras aussi parce que si elle a fait tomber ses murs, elle arrive à se sentir en sécurité, là, serrée contre lui. Son visage qui dépose un baiser sur tout ce qui peut être embrassable : sa joue, son cou, ses mains. Ses yeux ne quittent pas son regard alors qu’elle profite encore de ses paumes qui se posent sur ses joues. « Et maintenant, on fait quoi ? » Qu’elle finit par demander, parce que si y’a bien un truc que les comédies romantiques ne disent jamais, c’est l’après. Et l’après, c’est la deuxième chose à effrayer Lene après celle de montrer ses faiblesses.
Sentir son parfum, sentir sa peau, constater le contraste de la chaleur de sa présence avec la froideur de son épiderme à cause de la clim complètement conne complètement pas nécessaire vu la brise tropicale qui passe par l’absence de murs de l’endroit, ça a tout de surréaliste. J’avais oublié à quel point mes paumes la cherchaient même quand elle était dans mes bras, comment mon regard se foutait qu’elle voit à quel point je la détaillais, à quel point j’aimais la regarder, même quand elle était tout près. C’était réapprendre à évoluer à ses côtés qui m’assenait coup par-dessus coup, c’était arrêter de retenir quoi que ce soit, de lâcher les filtres stupides mis en travers par peur qu’elle flippe, qu’elle me cogne du revers, que je la perde pour de bon à force d’être trop con pour le réaliser vite et bien. Elle est là, et j’ai même besoin de le dire, de m’entendre le dire, de voir qu’elle hoche de la tête pour le confirmer, tellement j’y crois pas. Et je l’attire à moi, et je la laisse poser son dernier mot, vider son coeur comme sa tête, avant d’encourager le mouvement, avant de vouloir la prendre contre moi, avant de vouloir lui confirmer autant en gestes qu’en mots, et encore plus en actions, que je bouge pas, que je pars pas, que je vais nulle part, que c’est elle et moi, que ça a toujours été elle et moi aussi fort et aussi stupidement j’ai tenté de me faire croire le contraire. Ses lèvres sur les miennes me font l’effet d’autant de décharges électriques, mes doigts contre sa nuque, dans ses mèches, mes mains qui se lovent contre sa taille, et elle répond. Elle répond au baiser qui, jusqu’à la dernière fraction de seconde, je doutais concrètement et avec toutes les raisons possibles et inimaginables du monde que jamais Lene me rendrait mon baiser, que jamais elle irait jusque là, que c’était qu’une ruse de plus, qu’elle attendait juste que je rende bien comme il faut les armes pour me donner le dernier coup, la dernière vengeance. Mais non, rien de tout ça qui se passe, et je m’en veux, je me répugne d’y avoir pensé une seule seconde. Quand mon visage se détache du sien et que mes yeux trouvent ses iris, je vois plus la rage que j'ai tant méritée, je vois plus la hargne et le dégoût et la distance. J’y vois de l’espoir et une chance qu’elle me donne, une occasion de lui prouver à quel point je l’aime, à quel point je l’aime encore, à quel point je l’aime toujours.
« Et maintenant, on fait quoi ? » elle brise le silence, je laisse un énième sourire amoureux apparaître, les doigts jouant toujours sur des parcelles de peau à découvert, les yeux qui la caressent du regard quand y’a plus rien d’autre autour, quand y’a juste une bulle qui se forme, quand je gratte, je profite, j’adore chaque seconde qui passe depuis qu’elle est là. « On trouve une chapelle pas loin, on se marie. Je te ramène au airbnb, je t’engrosse, on devient parents. On finit par acheter une maison en rangée, une caravan, les classiques. Et on crève en même temps, tragiquement, mais heureux. » j’énumère comme le gros con que je suis, j’y vais de tous les clichés possible, j’étends épais et de tous les côtés, je touche toutes les cordes sensibles, je mise direct d’y aller avec ce qui fait peur, ce qui fait trop gros pour l’être vraiment. Et le pire là-dedans, c'est que même si ce genre de scénario avait toujours été ce qui m’avait fait flipper d’être en couple, ce qui me semblait être la recette parfaite dans les films mais on ne peut plus horrible et ennuyante et tirée par les cheveux dans le réel, là, de suite, pendant une fraction de seconde, tant qu’elle est là, notre suite peut prendre des airs de couple aussi routinier que beige que prévisible que je pourrais pas plus m’en balancer. Elle est là. « Ou on peut aussi aller poser nos affaires. Prendre l’air. » j’attends tout de même pas trop longtemps pour préciser, encore un peu terrifié par la simple idée qu’elle pense que je ne prenne pas sa question au sérieux, alors que c’est tout ce que j’ai attendu, c’est tout ce que j’ai espéré depuis trop longtemps pour pouvoir l’assumer. « Être ensemble, juste être ensemble. » que je précise, resserrant l’étreinte, la ramenant à moi pour un autre baiser, ses lèvres que j’aime plus que tout en ce moment précis. « J’veux entendre parler de ta course en bateau, j’veux tout savoir. » et je suis sincère. Depuis qu’elle l’a mentionnée que je veux la bombarder de questions, que je veux le récit complet, que j’ai les yeux brillants d’imaginer l’expérience de malade que ça a dû être. « Qu’on soit que tous les deux, qu’on commence par ça. » qu’on commence déjà. Qu’on se donne un début, qu’on se donne un premier pas, qu’on se réapprivoise, qu’on s’aime à travers. « T’es in? » y’a du double, du triple, du quadruple sens derrière cette petite question. Don’t care. Elle est là.
C’est la question à un million de dollar : et maintenant ? Parce que Lene aura beau cherché dans ses souvenirs de visionnage de comédie romantique, elle est totalement incapable de dire ce qu’il peut bien se passer après le baiser final et le clap de fin. Son geste romantique est allé jusqu’à venir à Hawaï et après, fin de plan de conquête de Matt et générique de fin. Sauf que, semblerait que John Hugues ne soit pas aux commandes de sa vie et que là, maintenant, ils doivent décider de la suite des évènements. Bien sûr qu’elle ne verrait aucun problème à ce qu’ils restent tous les deux-là, l’un contre l’autre, à se partager leurs différentes techniques de bouche à bouche mais il s’avère qu’au bout d’un moment, il faudra bien qu’ils respirent et surtout, ils pourraient avoir faim. Donc elle se remet totalement à lui, à ce qu’il veut, à ce qu’il imagine parce que même si c’est un début, pour elle, c’est un début qui la terrifie et où elle n’est pas encore sûre et certaine d’assumer tout ce qu’elle peut vouloir. C’est là le pari de cette relation : assumer et faire taire cette fierté qui tambourine dans sa poitrine pour qu’elle revienne fissa dans sa zone de confort, avant qu’elle ne soit blessée, encore. « On trouve une chapelle pas loin, on se marie. Je te ramène au airbnb, je t’engrosse, on devient parents. On finit par acheter une maison en rangée, une caravane, les classiques. Et on crève en même temps, tragiquement, mais heureux. » Il y’a un sourire qui apparait sur son visage au fur et à mesure que Matt dévoile son plan dont la niaiserie équivaut celle de couples dont ils se moquaient lorsqu’ils étaient plus jeune, mais aussi irréalisable et absurde que cela puisse paraître, elle sait qu’elle capable de signer pour ça, que la simplicité du projet, le côté sans prise de tête est tout ce dont ils peuvent avoir besoin. « C’était presque trop romantique, jusqu’à ce que tu utilises le verbe « engrosser ». Maintenant, j’ai l’impression d’être une truie fermière. » Qu’elle répond, histoire de faire descendre le romantisme d’un cran. Pourquoi ? Un réflexe, très certainement. Celui de ne pas trop jouer l’amoureuse, de ne pas trop le paraître, juste au cas où. « Ou on peut aussi aller poser nos affaires. Prendre l’air. » Qu’il propose, beaucoup plus humble dans ses projets qu’il y’a deux minutes. Elle ne répond pas. Pour le moment, répondre impliquerait de se défaire de lui, de quitter ses bras, d’empêcher ses doigts de redécouvrir son visage, de se glisser dans sa nuque en la chatouillant au passage, elle ne veut pas arrêter ça. Autant, elle a peur de trop parler, autant, elle ne partirait de là pour rien au monde. « Être ensemble, juste être ensemble. » Qu’il précise, l’attirant à lui dans un geste qu’elle accueille, qu’elle accompagne même, c’est aussi simple qu’au premier soir, elle en vient à prier que cela ne change jamais. « J’veux entendre parler de ta course en bateau, j’veux tout savoir. » Qu’il s’exclame, redescendant sur Terre, lui rappelant que malgré toutes ces heures à attendre, elle est toujours à moins de 48h de la plus grande expérience de sa vie, elle en a le cœur qui se gonfle, le sourire qui s’élargit et l’excitation qui monte à l’idée de tous lui raconter, qu’il sache tout, du top départ à l’arrivée, du fait que cette course, elle l’a fait avec Eva et que c’était presque un peu pas trop bizarre. « Qu’on soit que tous les deux, qu’on commence par ça. » Et là, ils sont sur la même longueur d’onde. Elle ne savait pas mais c’était qui lui faisait envie, elle avait juste besoin que Matt le dise à haute voix, qu’il parle parce que dans ce domaine, il reste bien meilleure qu’elle. « T’es in? » Qu’il vient à demander, alors qu’elle acquiesce vivement de la tête avant de monter sur la pointe des pieds pour atteindre ses lèvres à nouveau, pour l’étreindre aussi fort qu’elle le peut malgré la perte d’équilibre occasionnée par sa petite taille. « Je veux tout te raconter, j’ai tellement de chose à te dire et j’ai tellement besoin qu’on parle sans se crier dessus, on peut même passer par des futilités s’il le faut. » Qu’elle appuie, qu’elle déblatère très rapidement avant de revenir sur ses talons, de penser à la chose la plus stupide et inintéressante donc elle pourrait parler, cela ne ferait rien parce que ce serait simple, comme ça aurait dû toujours l’être. « Tu sais, j’espérais vraiment que ton côté fleur bleue nous guide dans tout ça, parce que je ne sais pas du tout où commencer. » Qu’elle finit par expliquer, se détachant un peu de lui pour préparer leur départ de l’aéroport. Avant de saisir son sac, elle attrape la main de Matt avant de plonger ses yeux dans les siens, pour partager le plus honnêtement possible. « Avant qu’on parte, je dois te dire que c’est la chose la plus difficile que j’ai fait de ma vie ce qu’on fait là, il se peut que je panique, que mes travers reviennent et que je te ressorte des saloperies juste parce que je pense bêtement me protéger » Elle a besoin de prendre une inspiration, parce qu’elle a le cœur qui bat la chamade, parce que c’est pas facile et que bordel, elle sait qu’elle serait tellement crushed si la façon dont elle se met à nue viendrait à lui retourner à la gueule. « Mais, je sais que je t’aime, et toi aussi maintenant donc ne fais pas attention. »
Et ils viennent tous, les mots que je savais même pas que j’avais à l’intérieur. La liste trop parfaite, le truc hyper cliché et à souhait revu et réchauffé et retourné de tous les sens. Ils sortent rapidement, ils se chevauchent, ils décrivent ce que j’avais passé tellement d’années à éviter le plus possible, encore plus quand on étaient ensemble Lene et moi, la première fois. Quand on voulait pas se mettre de label, quand on prenait rien au sérieux, quand on était probablement juste pas prêts à quoi que ce soit d’autre que de juste chiller ensemble. Et le truc, c’est qu’avec elle dans le coin, tout prend des airs de chill qui peuvent bien rendre n’importe quelle activité de merde plaisante à en sourire comme un vrai con. Elle me donne envie d’être le mec qui l’attend à son retour du boulot pour qu’elle me raconte toutes les merdes qu’elle a pensées quand un de ses collègues a passé un commentaire sexiste qu’elle a réglé d’un coup de serpillère dans ses mollets. Elle me donne envie d’être le gars qui va se casser la tête à lui cuisiner ses plats préférés, même si ça se résume à être n’importe quoi avec du fromage ou du bacon dessus - à savoir, mes plats préférés à moi aussi. Elle me donne même envie de l’avoir, la maison clichée, la clôture blanche qui va avec, la fourgonnette, le chien (qui est déjà dans le portrait, faut dire) et la team de football d’enfants qui vient avec. Mais je calme mes ardeurs, le Matt amoureux qui réalise peu à peu que c’est pas des conneries, qu’elle ment pas, qu’elle est pas venue jusqu’ici simplement pour me foutre un coup de poing à la gueule et au coeur, en me disant que c’est fini. C’est pas fini. Ça l’est pas. Au contraire, ça commence. « Y’a fallu que je fasse des coupures de budget dans mon discours cheesy, que veux-tu. » et j'éclate de rire, la rapproche un peu plus, mon nez sillonnant son visage, sa mâchoire, son menton, la voix faussement dépitée d’avoir dû me censurer dans mes stupidités.
En plein milieu d’un aéroport dont on se fiche éperdument, et notre bulle qui a toujours été du genre à rester bien étanche autour de nous deux, y’a les questions qui remontent, y'a la suite aussi qui vient. Et je la rassure, ou du moins, je tente de, en calmant les effluves de romantico-creep énumérées par ma part plus tôt. Je veux tout savoir de son trip en bateau, je veux tout connaître, je veux me sentir comme si j’y étais, comme si j’avais été avec elle, dans son élément. Y’a l’envie qui monte de filer direct à la plage aussi, l’idée que je garde dans un coin de ma tête, parce qu’on pourrait très bien se foutre de traîner nos bagages toute la journée rien que pour aller s’écraser sur le sable chaud au soleil, près des vagues, passer le temps jusqu'à pas d'heure à se remettre du décalage horaire et de nos émotions. Parler de futilités? I’m all in. « Si tu savais comme j’ai envie de bitcher avec toi de tous les cas de figure qu’il y avait sur les vols, tu vas t’endormir je serai même pas rendu à la première escale. » le plus beige on peut être, le plus traditionnel on peut se la jouer, le mieux je serai. Parce que ça me donnera l’impression que toutes ces années-là, à mariner dans mon coin, à regretter, tellement tout et tellement fort, au final ça avait valu le coup. Ça m’avait permis de voir à quel point j’avais merdé, à quel point je tenais à elle aussi. À quel point je tiens à elle. Surtout.
Elle intervient en me léguant le côté fleur bleue, auquel j’éclate de rire, mon bras toujours autour de ses épaules, le plus proche elle est le mieux je suis. « Ça va aller. On va faire ça doucement. » j’ai pas envie de le merder ce coup-là, j’ai pas du tout envie de bousiller la chance qu’elle me donne là, et si je peux m’éviter de faire le con pour les quelques prochaines décennies, ça m’irait parfaitement. J’y crois, j’y crois tellement que je souris comme le niais amoureux que je personnifie si bien dans l’instant. Et ses mises en garde? Elles me donnent juste le goût de l’embrasser encore plus, dès qu’elle s’est complètement vidé le coeur, que j’ai aussi pris le temps de détailler son visage des dizaines de fois à travers. « Lene? » on passe la porte de l’aéroport quand je reprends la parole, m’assure d’avoir toute son attention. « Je te connais depuis assez longtemps pour avoir presque tout vu. I can handle it. I can handle all of it. » I want to. I will. Mais, je sais que je t’aime, et toi aussi maintenant donc ne fais pas attention. qu'elle dit. « Je sais pas ce que j’aime le plus en fait. Entre entendre ça, ou pouvoir te le dire direct après. » notre Uber arrive, j’en ai rien à faire, y’a qu’elle que je vois. « Je t’aime. Et à un moment, tu vas être blasée que je te le dise - mais ça sera pas moins vrai. »
C’est juste ça qu’elle veut : parler. De tout, de rien (surtout de rien) juste dialogue comme deux adultes et avoir tout sauf un mot de trop l’un envers l’autre. C’est terminé de s’envoyer les reproches à la gueule, de se dire les pires crasses pour toucher l’autre un peu plus fort, un peu plus profondément. C’est terminé de chercher à atteindre l’autre pour se rassurer qu’il y’a toujours quelque chose, que les sentiments sont là, bien cachés derrière un trop plein de fierté mais pas mort. Lene, elle veut en finir de tout ça. Elle veut raconter tous les détails les plus sordides de ces dernières semaines, de la nana qui a appelé le centre d’aide parce qu’elle avait coincé son bras dans la cuvette pour y repêcher un téléphone tombé profondément à celle qui n’avait jamais fait gaffe au nid d’araignées qui avait vu le jour dans son matelas. Elle veut lui raconter des histoires les plus stupides qu’elle a vécus aux plus fortes. Elle veut lui dire ce qui l’a remué, ce qui l’a rendu heureuse et tout ce qui lui a donné envie d’être là aujourd’hui. Elle veut qu’il sache tout, tout comme elle veut tout savoir de ce qu’a été la vie pour lui, des étapes qu’il a passé, des conneries qu’il a encore faite et des galères dans lesquelles il a réussi à se fourrer. « Si tu savais comme j’ai envie de bitcher avec toi de tous les cas de figure qu’il y avait sur les vols, tu vas t’endormir je serai même pas rendu à la première escale. » Qu’il raconte, laissant Lene échapper un rire emplie d’émotion à l’idée qu’il lui raconte tout ça, la simplicité des choses, ça a un côté qui libère son esprit et qui l’émeut parce que ça y’est, ils y sont et même si elle n’a jamais voulu le dire à voix haute, c’est là où elle a toujours voulu être.
Malgré tout, avant qu’il ne quitte les lieux, qu’ils affairent à exécuter les beaux projets tout juste énumérer, elle ressent le besoin de préciser un dernier détail, de vider une dernière chose parce qu'autant elle aimerait que tout cela se fasse facilement, autant elle sait que c’est impossible, que ses travers à elle se mettront au milieu de leur route (tout comme ses travers à lui) et elle tient à s’excuser par avance pour tout ce qu’elle dira et qui dépassera inévitablement sa pensée. « Ça va aller. On va faire ça doucement. » Qu’il rassure alors qu’elle sent encore ses pieds bien ancrés dans le sol qui hésitent encore à la laisser s’en aller auprès de lui, elle se laisse rassurer et suit ses pas parce que de toute façon, il n’y absolument aucune envie de lâcher cette main, de le laisser se tenir à plus d’un mètre d’elle. S’éloigner ? Il en est hors de question. Elle a peur et en même temps, c’est tout ce qu’elle veut. L’ironie du sort viendrait à lui faire penser aux paroles qu’elle a dit un jour à Eva sur le fait que le contrôle, c’est qu’une forme d’illusion qui t’empêche d’affronter tes peurs et là, ça résonne en elle avec cette impression qu’elle doit lâcher prise si elle veut vraiment arriver à ce qu’elle aspire. « Lene? » demande Matt alors qu’ils sont en train de partir, qu’ils quittent les lieux et arrêtent de donner en spectacle leurs retrouvailles mielleuses dignes d’un téléfilm de Noël où seul le manque de neige leur confirme qu’il s’agit de la réalité. « Je te connais depuis assez longtemps pour avoir presque tout vu. I can handle it. I can handle all of it. » Elle a envie de le contredire, de lui dire que malheureusement pour lui, elle saura toujours avoir de l’imagination pour instaurer un peu de nouveautés dans ses reproches mais là n’est pas le moment, il s’agit juste de profiter et de repousser au plus loin possible ces moments dont elle ne donnera visiblement pas le meilleur d’elle-même. « Je sais pas ce que j’aime le plus en fait. Entre entendre ça, ou pouvoir te le dire direct après. » Il a l'air niaiseux et le pire, c'est qu'elle n'en a pas honte, qu'elle a l'air d'adorer ça mais parce qu'elle sait que c'est la nouveauté et gardant un minimum de contenance, tout ce qu'elle retourne à dire c'est « Je pense que tu vas apprécier la partie où l'on rattrape dix ans de sexe. » Elle sourit, restant mignonne avant de se faufiler de l'autre côté du véhicule pour y poser ses affaires et prendre place, elle l’observe faire aussi, le cœur qui palpite à l’idée qu’ils vont partir ensemble, que ça y’est, ça commence et que c’est l’aventure. « Je t’aime. Et à un moment, tu vas être blasée que je te le dise - mais ça sera pas moins vrai. » Qu’il ajoute, alors qu’il prenne place côté à côté dans le véhicule, qu’après avoir vaguement donné l’adresse au chauffeur celui-ci les amène au point d’arrivée, et de ce qui est, d’un autre point de vue, leur nouveau point de départ.