| benny + tables, they turn sometimes |
| | (#)Jeu 24 Jan 2019 - 10:18 | |
| Le plus pénible n'était même pas de se rendre aux séances de rééducation, mais d'en revenir. Après une bonne heure d'exercices visant à habituer ses bras à l'effort du mouvement répétitif faisant tourner les roues du fauteuil, renforcer ses précieux membres survivants, il lui fallait poursuivre, prendre sur lui les crampes de ses épaules crispées pour rentrer chez lui. C'était Deb qui le déposait à l'hôpital plusieurs fois par semaine. Au retour, Benjamin prenait le bus. Il avait pitié de la générosité nouvelle de sa sœur ; il ne voulait pas qu'elle se froisse le muscle de la bonté. Mais surtout, il ne voulait pas qu'elle dépende de lui, autant que lui d'elle. Ben était jeune, il était adulte, il pouvait se débrouiller -il le devait. Deborah ne sera pas toujours là, et parfois, personne ne le sera. L'accident avait marqué une fracture dans son entourage, endommageant en profondeur son cercle d'amis, lui faisant ainsi réaliser à quel point il ne devait compter que sur lui-même. Heidi n'était plus là. Dean ne s'était pas montré à la hauteur, une fois encore. Ce fut certainement la fibre familiale Brody qui le sauva de la déperdition, tandis qu'il faisait le deuil de ses jambes qu'il traînait désormais comme un boulet de forçat. Souvent, Benjamin avait cette image, cette sensation d'être prisonnier d'un corps qui n'était pas le sien, qu'il reniait dans sa nouvelle condition. Un corps à moitié réel, à moitié virtuel -présent sans l'être, sans le sentir. Oui, c'était le soutien de cette famille à laquelle il avait tourné le dos égoïstement en quittant l'Irlande pour l'Australie, la manière dont ils n'hésitèrent pas à traverser le globe pour un voyage au-delà de leurs moyens pour être présents, pour être là, pour lui, qui lui permirent de ne pas perdre son Nord. Adam avait joué ses premiers liens avec ses racines, riant à tous ces mots que leur accent dublinois hachait grossièrement. Il avait accepté sa nouvelle réalité sans montrer de signe de faiblesse ou de rancœur. On ne décelait pas de colère en lui, contre son père, contre le monde entier. Une fois encore, il prenait plusieurs années trop vite, et il assumait son rôle, il assurait sa part, et au-delà. Benjamin songeait qu'il devait profiter de cette période de bonté tant qu'elle durerait ; bientôt, son fils serait un adolescent qui le haïrait, comme tous les enfants après 11 ans, et qui n'hésitera pas à lui reprocher ouvertement ce fameux soir où il avait pris la moto alcoolisé, grillé ce feu, et terminé en fauteuil roulant. Et son père ne pourrait même pas l'en blâmer. Lui-même bataillait contre sa propre culpabilité, celle-là qui le rendait parfois amer en un claquement de doigts. Quand un lavabo était trop haut, quand il ratait un transfert vers son propre canapé, quand il se cognait contre le pied d'un voisin qui tenait à prendre le même ascenseur que lui, et quand ses bras étaient fatigués d'avoir fait rouler son corps toute la journée. Il pouvait se montrer dur, il en avait conscience. Il pensait, à tort, ne s'en prendre qu'à lui. C'était peut-être ça, ce qui avait poussé sa meilleure amie à lui tourner le dos pour la première fois, et son buddy d'enfance à ne pas souffrir plus de difficultés dans la reconquête impossible de leur vieille amitié. Le paysage avait changé en profondeur pour l’irlandais, et pas seulement parce que l’horizon était devenu plus bas ; de ce nouveau point de vue, la perspective sur ce qui est, fut et sera important était différente. C’était effrayant. Benjamin se montrait rarement abattu et semblait prendre les problèmes à bras le corps. Il ne se plaignait pas, jamais. Il continuait d’afficher ce sourire juvénile au milieu de sa moue d’éternel adolescent, il dodelinait toujours de la tête de la même manière innocente, haussait les épaules avec flegme. Et il avait toujours le mot un peu flatteur, très rentre-dedans, surtout drôle, pour toutes les femmes physiquement intelligentes qui baissaient leur clivage jusqu’à la portée de ses yeux lorsqu’elles se penchaient pour ramasser le stylo ou les clés qu’il venait de sciemment faire tomber. Ben restait Ben. Du moins, il essayait.
Le jeune homme changeait de t-shirt après chaque séance avec le kiné. C’était un coup d’oeil furtif dans le miroir, à ce moment-là, qu’il pouvait noter ses progrès. Il n’avait trouvé de satisfaction dans l’effort qu’à partir du moment où il en constatait concrètement les résultats, et jeez, jamais de sa vie n’avait-il eu l’esquisse d’un pectoral ou d’un trapèze sur son tronc. Mais diminué de moitié, la gazelle compensait ses jambes à jamais atoniques. Il riait de l’ironie de la situation ; il fallut le clouer dans un fauteuil pour le mettre au sport. Son sac jeté sur le dossier, il emprunta le dédale de couloirs de l’hôpital qu’il connaissait désormais comme le fond de sa poche. Il passait toujours devant la salle où Ginny donnait son atelier de peinture pour les enfants, sans forcément s’arrêter ou faire un signe -sans forcément être vu par elle, pensait-il aussi. Il observait sans stationner à travers les rayures de la vitrophanie, la poitrine un peu plus serrée après être passé qu’elle ne l’était avant. Tous ces mois, le seul faux-semblant que Benjamin ne s’était pas senti prêt à entretenir était celui de son amitié ambiguë avec la jeune femme. Dans le grand puzzle de cette nouvelle vie, chacun avait choisi sa place. Pas elle. Et il ne voulait pas s’imposer, déranger, être une difficulté ; à vrai dire, c’était son affection pour elle qui le tenait à l’écart. Il ne voulait pas être la goutte de trop, qu’elle s’invente une obligation d’être présente, de prendre soin de lui. Alors Ginny était dans des parenthèses, en attendant que le reste de l’histoire prenne forme et que le brun se sente capable de prendre assez soin de lui-même pour ne pas avoir besoin d’elle -pas comme ça. Mais jusqu’à ce qu’il ait besoin d’elle -autrement. Jusqu’à ce qu’elle lui manque. C’était aujourd’hui, il le sut à peine la porte du cabinet du kiné fermée derrière lui, il en fut certain une fois devant celle de l’atelier improvisé. Son coeur n’était pas plus léger que toutes les autres fois, seulement bien accroché. Il fallait au moins ça pour entrer dans la salle. Prise en flagrant délit de rangement de gouaches, il devina un sursaut dans le mouvement de ses épaules tandis qu’il n’avait soufflé qu’un “Hey” timide. “Sympa les peintures de guerre.” souligna-t-il en désignant les traces rouges et vertes qui ornaient les joues de Ginny, ce qui était sans noter l’état de ses mains imprégnées de rose et de bleu. Sans doute les gamins finissaient moins peinturlurés qu’elle ; eux avaient compris que les couleurs allaient sur le papier, pas… partout ailleurs. D’un coup de poignet, Ben tourna le fauteuil et avança centimètre par centimètre le long du mur où les oeuvres du jour étaient accrochées pour sécher à l’air. Pour lui, les arts plastiques n’étaient rapidement devenus qu’une excuse pour peindre des bites. “Joli.” commenta-t-il sans vraiment le penser. Il ne faisait pas des caisses des expressions artistiques des mioches, pas même du sien. “Je devrais peut-être m’inscrire. J’en suis encore au stade des bonhommes en bâtons.” Ce n’était même pas un euphémisme teinte de fausse modestie. Adam, lui, aimait copier les pages de ses mangas. Petit à petit, il parvenait à assembler ses propres personnages. S’il poursuivait, il ne faisait aucun doute qu’il finirait par avoir un réel talent. “Oh, et je sais faire une maison sans lever le stylo aussi.” ajouta Ben avec ce sourire satisfait de sa propre ânerie qui le caractérisait totalement. “Y’a d'la marge de progression. Et à cette hauteur, je passe ni vu ni connu auprès des mômes.” Il ironisait, le ton léger d’une conversation parfaitement banale, tapotant les accoudoirs de son assise comme si ce n’était pas grand-chose. Il voulait faire comme si de rien n’était, mais plus que tout, Ben voulait retrouver les sensations d’avant, le réconfort du sentiment de sécurité, lorsqu’ils étaient planqués dans une cabane d’oreillers.
LOONYWALTZ |
| | | | (#)Sam 2 Fév 2019 - 23:59 | |
| J’ignorais à quel point je me retrouvais toujours à ce point recouverte de peinture à la minute où les ateliers avec les enfants commençaient. Inévitablement, c’était toujours à refaire, mes t-shirts barbouillés, mes jeans détrempés, même pas le temps de leur passer les boîtes de crayons et les papiers de couleurs que ma silhouette désarticulée s’empêtrait dans les pots dispersés, contre leurs pinceaux imbibés. Encore heureux, tout le monde ici connaissait ma maladresse légendaire, certains gamins prenant souvent plaisir à faire état de ma propreté allongée, la seconde suivante comme une épée de Damoclès qui me ramenait à l’ordre, finissant tête la première dans un chariot de transport rempli des diverses gouaches. Aujourd’hui pourtant, j’avais tenté d’être dans la sécurité avant tout, attendue plus tard dans la soirée pour un entretien avec le professeur principal de Noah. À sa mention, il avait souligné que les notes de mon fils prenaient doucement de meilleures allures, néanmoins son comportement n’était pas des plus brillant à travers. Pas turbulent en soit, juste vraiment dissipé, la tête dans les nuages, les poussées d’énergie frôlant l’hyperactivité. On avait longtemps justifié ses mood swings en les reliant de près ou de loin aux nombreuses années où il avait été trimballé d’hôpital en clinique, manquant les classes, manquant sa vie de bambin normale au dépit de la maladie qui l’avait terrassée. Mais maintenant, la situation commençait à poser problème, à amener avec elle différentes questions que je ne me sentais pas particulièrement capable d’affronter en portant des fringues bariolées. Mes bonnes intentions se retrouvant pourtant vite brimées, et un mouvement trop brusque, mal calculé de ma part s’assure de me faire glisser sur une palette traînant au sol, terminant la course en décrivant de drôles de motifs inventés sur chaque parcelle de peau dévoilée. So much, pour l’allure.
J’en suis à boucler délicatement la classe du jour lorsque ma silhouette est secouée d'un soubresaut, bruit dans l’angle et voix rieuse que je reconnaîtrais entre mille. Un sourire prend le temps de se dessiner sur mon visage avant que je ne fasse volte-face, attrapant au vol le regard de Ben, m’y perdant un moment, tentant de cerner sans oser demander comment il va. La question qui me brûlait les lèvres depuis ce soir-là, que jamais je ne serais suffisamment effrontée pour verbaliser à son intention, me faisant quotidiennement violence pour cesser les vagues brûlantes de culpabilité de m’empêcher de fonctionner convenablement. C’est ta faute, Ginny - que m’hurle une voix nasillarde à l’intérieur, me pointe du doigt, me harasse. J’inspire doucement, arque la nuque, procède. « Je le voyais plutôt comme une oeuvre contemporaine sur fond de nature vivante, ça fait plus pacifiste quand même. » parle ici la hippie en puissance, celle pour qui la guerre n’a jamais rien signifié de joli, de coloré, d’heureux. Toujours dans la surface néanmoins, je me complais dans une suite d’échanges aux saveurs d’avant, la répartie de Ben sur laquelle je rebondis le plus naturellement du monde, continuant d’accrocher aquarelles et de ranger sur son chemin. « On m’a toujours dit que la motivation et l’engouement valaient tout. Tant que tu t’éclates avec tes lignes droites, y’a espoir. » pour l’avoir constaté moi-même un nombre incalculable de fois, il était vrai que côté artiste Brody héritier avait beaucoup plus de potentiel Brody senior, pourtant, ma voix teintée de paillettes et de bon vouloir pointe tout de même le positif, le constructif dans l’allégation. Ses maisons à main levée qui m’arrachent un rire de bon coeur. « Pour ça, je prends tout le crédit par contre. » je complète, faussement hautaine, bombant le torse avant de rire de plus belle au souvenir peu glorieux d’un Ben acharné à me prouver que c’était pas si difficile, de faire le toit, sans se retrouver avec des marques de stylo sur toutes les paumes et au-delà. « Que des arguments valables, laisse-moi parler à la direction des études, je mettrai une note à ton dossier. » il finit par aborder le sujet sans vraiment le faire, la piqûre de rappel que je balaie volontairement du revers, sentant ma gorge se nouer sur la fin de ma phrase, détournant momentanément le regard pour ramasser cahiers éparses et autres croquis.
« Je t’ai vu passer dans le couloir, l’autre fois. » que je finis par m’entendre dire, m’installant sans même le réaliser sur la table à dessiner appuyée au coin de la pièce, à proximité, mes iris qui sont à la même hauteur que les siens. Le souvenir de l’avoir vu discuter, l’avoir entendu rire un peu plus fort qu'à l'accoutumée, un examen terminé que j’avais présumé, la conversation post-état d’après à laquelle je n’avais absolument aucun droit d’assister, mais durant laquelle j’avais gratté quelques bribes par égoïsme. Comment tu vas Ben, comment tu vas, vraiment? « J’ai pas voulu déranger. » je me censure, je m’explique, je me justifie, non sans m’en vouloir de m’accorder autant d’importance dans sa vie qui maintenant, a dû prendre des proportions tellement décalées que ma présence n’en est que plus ridicule. « Tes parents sont partis il y a longtemps? » j’ai su un peu avant les Fêtes qu’il prévoyait recevoir la famille chez lui, que l’Irlande s’était donnée rendez-vous sur notre île le temps de faire les choses bien. Depuis par contre, c’était un silence de coton qui nous avait englobé. Derechef, prendre des nouvelles en douceur m’aidera probablement à me faire une tête sur son état, sur sa suite, sur son quotidien, sur sa vie, tout court.
LOONYWALTZ |
| | | | (#)Lun 6 Mai 2019 - 7:04 | |
| La discrétion n'était plus vraiment son fort, maintenant qu'il ne passait plus dans les couloirs de moins d'un mètre de large -et il en existait bien plus qu'il ne l'aurait cru depuis le haut de ses jambes. Ce pouvait donc être le bruit du fauteuil ou le haut chevelu de son crâne qui avait trahi ses réguliers passages devant la salle d'activités de Ginny. Du moins lui fit-elle remarquer un de ces passages, un de ces moments où il l'a vit du coin de l'œil sans s'arrêter, sans oser. “Ah.” le devinait-on souffler dans sa bouche ouverte, la mâchoire tombante oubliée par la gêne qui laissait bien plus de mots en suspens. Comme des excuses, par exemple, ou une explication valable. Ses yeux se baissèrent, il déglutit. “J’ai pas voulu déranger.” reprit-il à l'exact même moment que Ginny, apposant leurs voix l'une à l'autre dans un timing parfait. Il eut un petit rire. Son regard fuyait toujours sur le côté, en bas, en haut -partout où celui de la jeune femme n'était pas. Un Brody peut bien avoir peur de temps en temps. Peur de se voir lui-même dans ses iris, et d'y deviner quelque chose. Quelque chose qui le renverrait à son propre sentiment d'impuissance. Quelque chose qui aurait changé. Des crayons traînaient sur la petite table où Ginny s'était installée. Machinalement, Ben en attrapa un juste pour effectuer des allers-retours répétitifs sur un coin de papier encore blanc. Cela ne le rendait pas moins nerveux, mais puisqu'il ne pouvait plus tapoter du pied pour y canaliser son énergie, le pastel ferait l'affaire. “Lundi dernier.” répondit-il au sujet du reste de sa famille ayant fait le voyage jusqu'à Brisbane afin de passer les fêtes ensemble. Ils n'étaient pas restés très longtemps. Il n'y avait pas de place dans son appartement pour les accueillir, ils avaient donc pris un hôtel sur place en plus des billets d'avion qui leur avaient coûté un rein chacun. C'était un effort considérable de la part d'une petite famille modeste de la banlieue de Dublin, mais un geste qui valait tout l'or du monde aux yeux de l'irlandais. “C'était cool qu'Adam puisse enfin les voir.” reprit-il timidement. Ce fut au moment où ils allèrent les récupérer à l'aéroport et qu'il les vit tous ensemble que Benjamin s'en voulut plus que tout de les avoir tenus à l'écart de sa vie et de leur propre sang durant toutes ces années. Ils avaient le droit de le rencontrer bien avant. “Tout le monde était content d'être là. On a eu un Noël quasiment normal. Ça m'a fait du bien.” Cette réunification était certainement le seul élément positif à tirer de l'accident. Sa sœur avait également changé depuis, il devait l'admettre. Elle était en première ligne, à s'en prendre plein le bec pendant les mauvais jours de son frère. “Deb est méconnaissable depuis, t'sais. Elle joue au chauffeur pour moi, je l'aurais rebaptisée Alfred si c'était un mec.” Il s'en amusait vaguement, en réalité. Il était surtout reconnaissant. Embarrassée, honteux, l'ego misérable et en miettes. Mais reconnaissant. “Elle m'aide beaucoup, je m'attendais pas à ça d'elle.” Deb n'était pas parfaite. Néanmoins, elle était là, et c'était bien plus que certaines autres personnes. “J'aurais voulu en dire autant d'Heidi et Dean mais…” Le brun haussa les épaules. Eux, leurs histoires de cœur, leur amitié, c'était de l'histoire ancienne désormais. Un chapitre qui serrait son cœur dans sa poitrine, une déception qu'il ne laissait pas devenir une colère qui le plongerait dans ses travers amers. Ils avaient le droit de faire ce choix. Mieux valait qu'ils le fassent avant que Ben n'ait l'illusion de pouvoir compter sur eux. Rien ne les obligeait à consentir à une vie changée, bouleversée à jamais. Il n'était pas question que leur amitié devienne du devoir, qu'ils se sentent responsable de son bonheur, de son bien être moral et physique. Il comprenait que ce soit trop. Cela l'était pour lui aussi. Il n'avait pas le luxe du choix, pour sa part. Ce n'était pas une raison valable pour jalouser celui des autres. Alors il acceptait, il encaissait. “C'est la vie.” fit-il dans son meilleur français dépioté à la hache, haussant les épaules et soulignant le tout d'un fin sourire. Entre temps, il avait troqué le pastel corail pour le turquoise. Ses gribouillages abstraits ressemblaient aux premières expressions artistiques d'un bambin en couche-culotte. La diversion était à peine suffisante pour faire passer la trouille qui serrait sa gorge tandis qu’il se préparait à lancer un pavé dans la mare. Il ne voulait pas tourner autour du pot plus longtemps et continuer à se torturer à propos de Ginny sans savoir ce qu’il en était concrètement. Et s’il en avait le courage maintenant, il n’était pas certain que cet élan revienne de sitôt. “Je… J'ai pas beaucoup eu de tes nouvelles non plus.”
LOONYWALTZ |
| | | | (#)Mar 14 Mai 2019 - 18:08 | |
| Et j’écoute attentivement, une fois la question posée, les nouvelles demandées. J’écoute et je vois dans son visage qu’il est rassuré d’une certaine façon, soulagé même. J’avais entendu de sa part quelques mentions de ses parents, de sa sœur encore en Irlande, de tout ce qui se tramait de leur côté du globe, de ce qu’il avait laissé derrière lorsqu’il avait décidé de s’établir en Australie y’a des années de ça. La famille à travers laquelle il ne se retrouvait pas, ne se retrouvait plus, mais qui maintenant avait parcouru de dizaines de milliers de kilomètres pour venir passer une poignée de jours avec lui, pour colmater les absences, pour se construire de nouveaux souvenirs. D’un coup d’œil un seul, je comprends aussi. Qu’il est soulagé, que l’épreuve en soi a dû être un peu moins difficile avec des visages familiers à proximité, qu’il avait des retrouvailles à gérer, des présentations aussi, de quoi s’occuper l’esprit dans les moments de rechute. Adam avait pu mettre des noms sur des gens, des accents sur des discussions, des référents un peu plus solides surtout. Et leur Noël quasiment normal sonne comme quelque chose de doux lorsqu’il le résume humblement, quand mes yeux s’égarent sur ses mains nerveuses, quand sa voix trahit la nostalgie de les avoir vus partir peut-être, de ne pas savoir à quand l’opportunité de les revoir se représentera. Mais y’a Deb, y’a toujours Deb. Il la raconte le sourire aux lèvres, mes jambes ballantes au fil des qualités, des caractéristiques qui lui attribue, quand il n’avait jamais vraiment été autre chose que prudent avec elle, que leur relation était toujours restée au strict minimum non sans être ainsi qu’ils étaient confortables. « Y’a toujours les traditionnelles variantes, Alfreda, Alfredienne… je continue le brainstorm, je te reviens avec de meilleures idées. » je laisse un rire s'échapper d'entre mes lèvres, la moquerie juste assez niaise pour bien passer, et la Brody que j’imagine déjà râler d’être reléguée au simple titre de conductrice alors qu’elle semble avoir été là, avoir été tout à fait là pour lui, à un niveau qui l’étonne lui, qui la conforte elle. Et moi aussi. Puis, viennent Dean et Heidi, leurs absences également. Même si Ben ne dit rien tout de suite, même s’il ne me mentionne pas, même s’il évite de pointer le fait que moi aussi, j’y suis allée à tâtons depuis son hospitalisation, n’en reste que je la sens qui monte, la culpabilité, qui ne sait faire que ça. « Les gens en situation de crise, c’est ce qui fait ressortir leurs meilleurs comme leurs pires côtés. On sait jamais lequel prendra le dessus. » et je soupire, finement. Et mes yeux croisent les siens, et je me souviens surtout, qu’on se dit toujours la vérité. Et je me rappelle très bien à quel point ça fait partie de l’accord tacite, qu’il savait tout ce qui avait bien pu se tramer avec Matt, avec Ezra, avec mes parents, les traumatismes des cachettes finalement exposés qui m’avait provoqué de toujours dire le fond de ma pensée désormais. Encore plus maintenant. Je lui devais bien ça. “Je… J'ai pas beaucoup eu de tes nouvelles non plus.” ses mots me font frissonner, et pas dans le bon sens. Parce que je sais que j’ai mal géré, parce que je sais surtout que je gère encore mal. « J’ai voulu, Ben, j’ai vraiment voulu. » que je finis par m’entendre dire, une seconde, une minute plus tard, j’ai oublié de compter, de respirer. Voulu lui donner des nouvelles, voulu prendre des siennes. Voulu gratter des minutes, maigres moments qu’il avait pour lui. Voulu rester, voulu garder ma place, celle qu’il m’avait faite, celle que j’avais insisté pour garder même quand il avait douté. Voulu être là, toute là. « Mais à chaque fois que je passais devant ta chambre, je… » ma voix se casse, mes mots se cherchent, mais je ne baisse par le regard, une fois accrochée à ses iris il n’y a absolument aucune raison que je lui fasse l’affront de détourner la tête. « … c’est ma faute, c’était ma faute ce soir-là. » et elle est là la raison, aussi lamentable et pitoyable et douloureuse à dire, à entendre. Si je ne lui avais pas téléphoné, si j’avais pas insisté. Si j’avais vu les signes qui pointaient vers l'opposé, si j’avais laissé Ben tranquille, si j’avais pas été là, à stupidement m’accrocher à lui, à croire qu’il y avait quelque chose, que je n’hallucinais pas totalement, il marcherait encore aujourd’hui. « Et quand je te vois et quand je te croise et quand tu es là, je… c’est juste ça que je finis toujours par me répéter. » des excuses qui ne seront jamais suffisantes, son pardon que je ne mériterai probablement jamais.
LOONYWALTZ |
| | | | (#)Dim 16 Juin 2019 - 11:39 | |
| Il aurait voulu le dire autrement, s’il l’avait pu, mais Ben n’était pas certain d’avoir assez d’imagination pour mieux amener le sujet auprès de Ginny et obtenir les réponses qu’il attendait. Il ne se voulait pas exigeant ou sévère, il n’avait même pas de rancoeur. Une pointe de déception se devinait dans la tournure de sa phrase et le ton de sa voix, mais jamais le jeune homme ne se permettrait de pointer la brune du doigt. Il voulait juste savoir si c’était lui, le problème. S’il avait dit ou fait quelque chose, si cela était lié de près ou de loin à l’accident. Elle avait été là, au début. Puis de moins en moins, et plus du tout, alors que le Brody s’était persuadé que si une personne ne le laisserait pas tomber, si une personne savait ce que c’était d’essayer de tenir bon au milieu d’une catastrophe, c’était elle. « J’ai voulu, Ben, j’ai vraiment voulu. » répondit Ginny visiblement accablée. Le fait était qu’elle avait disparu, elle aussi. Sa complice, sa partenaire de crime. Lui les voyait surmonter ça à coups de courses de fauteuil comme la dernière fois où ils s’étaient amusés dans les couloirs de l’hôpital en attendant Noah. Elle ne partageait pas cette vision-là. “Mais ?” anticipa-t-il, encourageant la jeune femme à poursuivre. « Mais à chaque fois que je passais devant ta chambre, je… » La phrase mourut. Le regard de l’irlandais insistait, plissé, avide d’obtenir cette information manquante. Bien qu’il l’avait déjà devinée, qu’il le savait parfaitement dans son coeur, il ne voulait pas rester sur des spéculations et des non-dits. « … c’est ma faute, c’était ma faute ce soir-là. » Et cela parut aussi incongru que ce que Benjamin s’était imaginé lorsqu'il avait répété cette scène dans sa tête. “Ta faute ? Quelle idée, Ginny…” C’était à la fois évident et complexe à comprendre pour lui qui savait parfaitement, mécaniquement, pragmatiquement, de quelle manière s’étaient déroulés les événements. Ginny n’était pas là. Ce n’était que lui et sa moto contre une voiture. “Je voulais te voir, ce soir-là, mais je n’aurais pas dû. J’avais trop bu pour prendre la route. C’est moi qui allais trop vite, c’est moi qui ai grillé le feu. C’était mes choix, les uns après les autres.” C’était ces shooters dans son sang, c’était sa vision trouble derrière la vitre de son casque, c’était sa vitesse au-dessus de la limite sur cette route, c’était cette dose d’adrénaline lorsqu’il était passé à l’orange. Des dominos tombés un par un, jusqu’au dernier, jusqu’au crash. “Ce n’est pas parce que tu étais la destination que tu y es pour quoi que ce soit.” Aux yeux de Ben, Ginny n’était pas plus coupable que le conducteur de la voiture qui l’avait percuté. Et c’était encore le plus difficile à accepter, pour lui, d’être l’unique fautif de sa situation et de n’avoir personne d’autre à blâmer pour ses malheurs. Il aurait été plus simple de tout rejeter sur quelqu’un d’autre, histoire de légitimer ses envies d'apitoiement. Mais il était à la fois la victime, et son propre bourreau. “En tout cas, je comprends mieux, maintenant.” reprit le brun, lâchant le crayon qui divertissait ses doigts nerveux depuis qu’il avait eu le courage d’aborder Ginny. Ses deux mains se posèrent sur les accoudoirs de son fauteuil, redressant son échine au fond du dossier. “C’est… tout ce que tu vois, c’est ça ? C’est tout ce que ça t’inspire.” L’éclopé, l’infirme, le type handicapé qui réveille en elle de la culpabilité. Pas l’ami, encore moins celui avec qui elle échangeait des baisers dans un château de draps. Seulement son affliction. “Je suis toujours moi, tu sais. Old Ben.” fit-il avec un vague sourire attristé. Les gens avaient visiblement tendance à l’oublier. “Ca ne me définit pas. Et je… Je pensais que ça ne me définirait pas à tes yeux non plus.” Mais peut-être avait-il rêvé, idéalisé leur connexion. Peut-être s’était-il fourvoyé tout ce temps. Ou peut-être avait-elle décrété qu’il n’en valait pas la peine.
LOONYWALTZ |
| | | | (#)Ven 21 Juin 2019 - 0:34 | |
| Lorsque ses yeux trouvent les miens, je n’ai pas l’impolitesse de baisser le regard. Parce qu’il mérite au moins ça Ben, des explications. Il mérite bien des choses, la première étant de savoir, ou du moins, d’arriver à mettre des mots sur les silences que j’ai tenus, que je me suis fait violence à garder. Parce que j’aurais aimé pouvoir lui parler plus tôt. J’aurais aimé être de ceux qui n’idéalisent pas, qui n’ont pas espoir en une potentielle suite. J’aurais tant souhaité être cartésienne, me fier aux faits, et seulement aux faits. Laisser de côté le sentimentalisme, faire fi de la nostalgie. Ç’aurait été tellement plus facile s’il n’y avait pas d’historique à travers, tellement plus simple si chaque fois où je le voyais dans le couloir, dans mes pensées, je n’avais pas été prise d’une vague de culpabilité, de remords presqu’aussi grands que mes regrets. “Je voulais te voir, ce soir-là, mais je n’aurais pas dû. J’avais trop bu pour prendre la route. C’est moi qui allais trop vite, c’est moi qui ai grillé le feu. C’était mes choix, les uns après les autres.” « Si je n’avais pas… » et mes mots restent en suspens, comme la soirée toute entière est gravée en elle-même dans ma tête. Elle reste bloquée, elle reste ambiante, elle est indécollable, ancrée. Elle parasite chaque coup d’œil envoyé à la dérobée à son intention, elle fait office d’idylle empoisonnée qui flirte avec le serrement dans mon ventre, la boule dans ma gorge. “Ce n’est pas parce que tu étais la destination que tu y es pour quoi que ce soit.” Mais si je n’avais pas été la destination, justement. Si je n'avais pas tenté de relancer quelque chose qui était en suspens depuis une longue année, si je n’avais pas posé tant d’espoir en un si petit geste, un nouveau pas dans sa direction, une dernière tentative de ma part de créer un nous. Si j’avais laissé Ben se libérer de mes frasques et de mes maladresses, si je ne m’étais pas transformée en boulet à son pied, cette discussion n’aurait jamais eu lieu. Ces mots ne m’auraient jamais fait aussi mal.
Une seconde passe, une autre s’y additionne. Je tente d’expliquer mon point de vue, j’espère y apporter la clarté qu’il mérite, dont il a besoin, dont j’ai besoin également. Mais il balaie du revers mes explications comme il en a totalement le droit. “En tout cas, je comprends mieux, maintenant.” Sa voix n’a rien de celle que je connais de lui, son ton est loin des farces, à des kilomètres de ses vannes dont il a lui seul le secret. Ce sont deux adultes qui se parlent, là, de suite. Pas les deux enfants qu’on avait pu être depuis les premières esquisses de notre relation. C’est la vérité qui reste en suspens trop longtemps, c’est l’aspiration qu’on avait de faire les choses bien. C'est ce qui s’apparente beaucoup plus à une fin qu’à un début. “C’est… tout ce que tu vois, c’est ça ? C’est tout ce que ça t’inspire.” qu’il finira par ajouter Ben, par statuer pour moi. Et mes sourcils se froncent doucement, mon souffle se perd. « Non. » “Je suis toujours moi, tu sais. Old Ben.” je sais. Je le vois, il est là, il est devant moi, c’est lui qui est entré dans la salle une poignée de minutes plus tôt, c’est à lui que je parle depuis tout à l’heure. “Ca ne me définit pas. Et je… Je pensais que ça ne me définirait pas à tes yeux non plus.” « Ce n’est pas tout ce que je vois. Ce n’est pas tout ce que tu es à mes yeux. » que je m’entends ajouter, reprenant ses mots. « Je sais que ça ne te définit pas. Que peu importe le mal, que peu importe la maladie, ce n’est pas ça qui définit qui que ce soit. » ce n’était pas mon mal-être de l’époque qui me définissait maintenant. Ce n’était pas la lourdeur et les démons que j’avais traînés durant de trop longues années de ma vie qui faisaient de moi exclusivement la personne que j’étais aujourd’hui. Ce n’était pas son accident qui le caractérisait uniquement et en entière partie. Ce n’était pas la maladie de Noah qui était la seule et unique façon dont je voyais mon fils désormais. Mais c’en était un volet, un angle. Et même minime, cette fraction de lui me glaçait le sang. Elle provoquait des frissons le long de ma colonne vertébrale, elle me terrorisait comme peu de choses encore. Elle allait jouer dans mes retranchements, elle allait gratter là où je n’avais plus de forces, elle menaçait de me vider toute entière. À nouveau. « Mais même si ce n'est qu'une infime partie de toi, je... j'ai... j’ai tout donné, à Noah. J’ai donné tout ce que je pouvais, j’ai vidé toutes mes réserves, j’ai fait tout ce que j’ai pu, j’ai… j’ai laissé une immense partie de moi dans tout ça. » pour que finalement, je n’ai plus rien à offrir. Que je sache que si je me réembarque dans tout ceci, c’est mon cœur qui ne survivrait pas. Ce sont mes blocages qui reviendront, les masques que je me tuerai à porter comme une vieille habitude malsaine retrouvée. Le courage que j’ai épuisé, qui a fini par me drainer totalement.
« Et maintenant je… » et maintenant, je m’en veux de ne plus rien avoir à lui offrir. Et maintenant, je me sens horrible, absolument dégueulasse, d’avoir les mains vides, d’avoir le cœur épuisé, d’avoir les sens annihilés. « Et maintenant je n'y arrive tout simplement plus. »D’être celle sur qui il aurait dû compter, sur qui il aurait pu compter, et de ne même pas avoir la vaillance, la bravoure de mériter la place. « Je suis désolée. » ma voix se casse, mes yeux s'enfuient. Pour l’une des première fois avec Ben, j’ai perdu cette impression d’être son alliée, d’être son égale. Aujourd’hui je ne suis rien, alors qu’il aurait besoin de tout.
LOONYWALTZ |
| | | | (#)Lun 22 Juil 2019 - 15:14 | |
| "Mais…” il anticipa. Parce qu'il y avait forcément un "mais" pour expliquer ce silence, un "mais" dont il se doutait déjà, au fond -pas tant profond, plutôt caché, là où le déni faisait assez d'ombre à l'évidence pour qu'il puisse prétendre ne pas la voir. Il l'attendait, l'aveu sincère de cet abandon, autant qu'il redoutait le coup de massue que cela lui porterait, l'amertume que cela ferait renaître en lui, tandis qu'il se donnait tant de mal pour mettre le ressentiment de côté. Un "mais" qui serait un point final, en somme ; il le savait, elle aussi, ils l'avaient repoussé autant que possible au final. Et il était là, le moment fatidique, le dernier acte. « Mais même si ce n'est qu'une infime partie de toi, je... j'ai... j’ai tout donné, à Noah. J’ai donné tout ce que je pouvais, j’ai vidé toutes mes réserves, j’ai fait tout ce que j’ai pu, j’ai… j’ai laissé une immense partie de moi dans tout ça. Et maintenant je n'y arrive tout simplement plus. Je suis désolée. » Rideau. Un voile en deuil sur leurs moments passés ensemble, occultés, réduits à l'état de silhouettes blanches aux contours vagues qui prennent la poussière comme de vieux meubles oubliés. Avaient-ils seulement signifié quoi que ce soit ? Benjamin n'en était plus si sûr -il n'était plus sûr de rien, à vrai dire. À nouveau ébranlé, secoué, laissé pour compte. Il était le même, mais sa présence n'était plus si simple, si légère, n'est-ce pas ? Et Ginny était là lorsqu'il pouvait lui offrir ce refuge, les traits d'humour, l'insouciance d'une jeunesse qui s'accroche. Elle était là quand il pouvait être l'épaule, le soutien, le roc. Maintenant qu'il n'était plus rien de tout ceci, elle s'en détournait. “Non, c’est moi qui suis désolé.” souffla-t-il gravement, le regard baissé, lourd de déception. Le plomb dans sa poitrine courbait son échine, ses épaules fatiguées, supportant coup après coup. “Désolé que tu le voies comme ça.” Ce n'était pas son genre, à l'irlandais, d'attendre quoi que ce soit, d'exiger quoi que ce soit. Jamais ne lui aurait-il mis de pression pour qu'elle soit présente, qu'elle l'aide ou l'assiste. Jamais n'aurait-il osé s'imposer, et passer de cet ami fidèle à un tortionnaire. Elle ne lui devait rien -sauf, peut-être, un peu plus de loyauté et de compassion que ce qu'elle lui servait à cet instant. Mais il ne lui reprochait pas sa sincérité, pas plus que son évidente volonté de mettre de la distance entre eux. Il lui reprochait la manière, et tout ce qu'il comprenait entre les lignes. “Tu sais, à voir comment tout ce que je pensais certain et solide tomber en miettes, j’avais pensé que tu…” Que tu serais une des seules certitudes à tenir bon. Sa voix s'étrangla. Du sentimentalisme, Brody, vraiment ? Il ne mettait jamais son égo de côté de la sorte, il ne s'ouvrait pas ainsi, chair à vif. Devait-il commencer pour quelqu'un qui le laissait tomber de la sorte ? Damn, cet accident était une véritable forme de sélection naturelle en soi, un tri entre le bon grain et l'ivraie. Un crève cœur, mais un mal pour un bien, au bout du chemin. Il devait s'en persuader. Il devait le croire dur comme fer pour ne pas perdre espoir au profit d'une solitude écrasante. Ben perdait Ginny, mais il en sortait fort d'une nouvelle certitude ; “Ce genre d’affection ne me réussit définitivement pas.” Un rictus cynique déforma son visage en lieu et place de la peine qu'il ne souhaitait pas afficher. La fierté avant tout. Il renifla l'ironie dans l'air, inspira pour réunir sa contenance, et releva la tête avec désinvolture. “Mais tu as raison. Tu as enduré assez comme ça. Je comprends que tu ne veuilles pas avoir ça en plus sur le dos. Et je crois que… je ferais mieux d’être hors de ton chemin, à partir de maintenant.” C'était son dernier devoir en tant qu'ami, et au nom de ce qu'ils avaient partagé pendant plus d'un an. Ils n'avaient jamais mis les mots dessus. Et cela appartenait déjà au passé. “Bye, Ginny.”
LOONYWALTZ |
| | | | (#)Mar 20 Aoû 2019 - 22:13 | |
| “Non, c’est moi qui suis désolé.” J’ose à peine renchérir, il soupire, baisse le regard, perd le mien volontairement j’en suis sûre – je ne lui en tiens pas rigueur. C’est compliqué et c’est simple à la fois, c’est difficile et pourtant il rend les choses tellement faciles lorsque finalement ses yeux s’accrochent à nouveau aux miens. Lorsque je sais que c’est fini avant même que ça ait commencé. “Désolé que tu le voies comme ça.” et j’aurais aimé le voir autrement. J’aurais vraiment espéré le voir comme lui le voit, mettre mes œillères, me fier à son opinion et à la seule. Je suis certaine qu’au fond de moi il reste une bribe d’espoir qu’un jour me réveille en doutant de moi, en doutant de tout, en pensant à lui comme il pensait à moi. Mais j’y arrive pas, et je suis persuadée que je n’y arriverai jamais.
Mes doigts ont arrêté de jouer avec les dessins pêle-mêle, ils se triturent les uns les autres, ils pincent la peau, caressent les ongles. Ils sont tachés de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, ils sont nerveux aussi. Parce qu’avant j’aurais replacé ses mèches qui partent dans tous les sens. J’aurais tiré le pan de son t-shirt pour mieux y voir le motif qu’il arbore. Mais aujourd’hui, ils se retrouvent confortablement dans une distance qu’autant ben que moi semble de plus en plus trouver normale, logique. “Tu sais, à voir comment tout ce que je pensais certain et solide tomber en miettes, j’avais pensé que tu…” mes lèvres se pincent, son accusation qui reste en suspens mais que je retiens dans son silence. Je sais, je sais que c’est ma faute, je sais que je suis faible, tellement fragile. On me l’a répété toute ma vie, on me l’a ancré si creux à l’intérieur que je suis presque surprise qu’il le soit lui-même, surpris. J’étais amenée à casser, je n’étais qu’une pile de fissures, il avait connu la Ginny forte de tous ses masques, mais aujourd’hui, il ne m’en restait plus aucun pour braver ses démons en plus des miens. “Ce genre d’affection ne me réussit définitivement pas.” ça avait été laborieux depuis le début. Je croyais à tort qu’on arriverait à braver tout ça, tous nos blocages, toutes nos craintes du revers bien avant son accident, parce que c’était nous et qu’on était cons et naïfs et joueurs et heureux parfois, assez ; mais il y avait toujours eu cette retenue, toujours eu ces silences, toujours eu ces périodes où nos vies tournaient tout aussi vite sans la présence de l’autre. Les semaines qui se cumulaient depuis octobre n’avaient qu’amplifié l’inévitable ; et Ben ne fait que l’étaler en d’autres mots.
J’ai réalisé que mon souffle s’est stoppé. Que je n’ai rien dit, absolument rien, broyée par un silence que je m’impose sans qu’il n’ait rien à se reprocher en ce sens. “Mais tu as raison. Tu as enduré assez comme ça. Je comprends que tu ne veuilles pas avoir ça en plus sur le dos. Et je crois que… je ferais mieux d’être hors de ton chemin, à partir de maintenant.” Je ne suis pas à la hauteur. C’est ce qui tourne et se répète, ce qui se confirme et qui se creuse, qui se confirme lorsqu’une dernière fois, j’en suis convaincue, ses prunelles se callent aussi profondément contre les miennes. “Bye, Ginny.” Un dernier soupir, un dernier coup d’oeil, un dernier mot aussi. Deux. « Bye, Ben. »
LOONYWALTZ |
| | | | | | | | benny + tables, they turn sometimes |
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