I will keep quiet, you won't even know I'm here, you won't suspect a thing, you won't see me in the mirror but I crept into your heart, you can't make me disappear til I make you. You'll never know what hit you, won't see me closing in, iI'm gonna make you suffer, this hell you put me in I'm underneath your skin, the devil within, you'll never know what hit you. ☆☆☆
Garé en contre-bas, un peu plus loin dans la rue, Anwar observait la sortie du restaurant dans le rétroviseur de sa vieille Ford Taurus en attendant le moment qu’il jugerait être le plus opportun. Il ne pourrait pas rester ici trop longtemps, il n’était pas dupe au point de croire que le Club ne surveillait pas les alentours de son QG avec minutie, et qu’il se soit pointé avec sa propre voiture plutôt qu’une des sérigraphiées du poste ne suffirait pas à le faire passer inaperçu ; Ici on repérait la flicaille aussi facilement qu’un renard dans un poulailler. Mais Annie n’était pas non plus venu là pour passer inaperçu, au contraire, et lorsqu’enfin il avait quitté l’habitacle de sa voiture il s’était assuré que sa plaque de police brille bien en évidence autour de son cou et que son arme de service soit facilement décelable sous la fine couche de sa veste. Des flics qui gravitaient dans le secteur il y en avait régulièrement, la faute aux affaires à nouveau florissantes du Club, et surtout au fait que Strange n’était pas né de la dernière pluie : il ne s’entourait pas d’incapables, et ne laissait pas graviter n’importe qui autour de lui et de son business. Il était plus malin que le délinquant de base et c’était ce qui le rendait aussi dangereux, et aussi difficile à saisir. Assez pour que jamais personne ne puisse à priori faire le lien entre lui et ses faux airs de patron de restaurant à la gouaille communicative, et l’assassinat d’une froideur palpable de cette pauvre pâtissière de Fortitude Valley, dont les seuls vrais ennemis n’auraient rien eu de plus à lui reprocher que le goût approximatif de certains de ses cupcakes. Mais Anwar savait, lui. Que Blanche n’était rien d’autre qu’un dommage collatéral dans l’obsession qu’avait développé l’américain pour Lou, et dans cette volonté qu’il semblait avoir à la terroriser à distance dans l’attente de … De quoi, au juste ? Une autre question pour laquelle le policier n’avait pas encore de réponse. Pour l’heure, il avait préféré s’armer de toute sa nonchalance pour pousser la porte du restaurant, croisant immédiatement le regard du bonhomme occupé à débarrasser une table ; L’après-midi s’entamait à peine, et seuls quelques retardataires terminaient encore leur dessert à certaines tables. « On est en fin de service, revenez ce soir. » S’approchant, l’homme avait posé un instant les yeux sur la plaque de police avant de reporter sur Anwar un regard mauvais, grognant suffisamment discrètement pour ne pas faire d’émules « Qu’est-ce qu’il veut, le poulet ? » Sortant les mains des poches de sa veste, le policier avait laissé passer une seconde ou deux durant lesquelles il s’était contenté de toiser son interlocuteur « Parler au patron. » Balançant son torchon sur son épaule, le molosse avait affirmé « Il est pas là. Qu’est-ce que tu lui veux ? » Arrivant à la conclusion qu’il avait affaire au nouveau cerbère des lieux, Anwar ne s’était pas laissé impressionner pour autant, pas disposer à faire la causette avec le bas de la chaîne alimentaire du Club. « Ça c’est mes oignons. Et je sais qu’il est là alors ne me faites pas perdre mon temps. » S’apprêtant à répliquer à nouveau, sans doute de façon un peu plus virulente, Cerbère avait été interrompu par l’arrivée du principal intéressé que le débarquement impromptu d’un flic dans son établissement semblait avoir rameuté comme l’abeille avec un pot de miel à peine ouvert. « Monsieur Strange. » Faisant un pas pour se détourner de l’employé, le policier n’avait su s’empêcher de faire remarquer « Je suppose qu’il est revenu quand vous aviez le dos tourné, uh ? » N’attendant pas de réponse, et ne perdant pas de temps à jauger l’expression qu’inspirait sa présence au propriétaire des lieux, Anwar en était aussitôt venu aux faits « Ça fait un moment qu’on ne vous a pas vu au poste central. Je viens vous offrir une petite visite guidée. » Entrouvrant sa veste pour dévoiler la paire de menottes attachée à sa ceinture, le policier avait ajouté « À vous de voir si vous me faites cet honneur directement ou si vous préférez vous faire prier. » Mais Strange était un homme intelligent, du genre à coopérer en surface pour mieux vous faire perdre votre temps, et dans ce cas précis le brun tendait à croire qu’il aurait assez de jugeote pour comprendre que cette mascarade n’avait d’officiel que le nom, et que leur destination n’était pas plus le commissariat central que la raison de sa venue purement professionnelle.
Qu’on y voit un loup dans la bergerie ou au contraire la brebis égarée au milieu d’une meute, reste que l’odeur de flicaille collait à la peau d’Anwar quoi qu’il fasse et que tout ou presque émanait de lui en criant qu’il n’avait rien à faire là. Des policiers un peu troubles et à la morale qui suivait le sens du vent il y en avait toujours eu et il y en aurait toujours, Anwar ne le niait pas plus qu’il ne l’ignorait, mais lui n’en était pas et n’en serait jamais. Et pourtant. Pourtant il était là, débarquait comme un cheveu sur la soupe et ne donnait pas l’impression de savoir dans quel panier de crabe il mettait les pieds – grave erreur. Lui adressant un regard mauvais lorsque son maître l’avait renvoyé à la niche, le molosse qui l’avait accueilli était reparti la queue entre les jambes, Anwar ne résistant pas à un grinçant « C’est ça, cou-couche panier. » adressé à lui-même plus qu’à qui que ce soit d’autre, avant que son attention toute entière ne revienne à Strange. Visiblement pas né de la dernière pluie, le bonhomme forçait la voix chaleureuse au moment de lui adresser un « Que puis-je pour vous inspecteur ? » de circonstance, l’expression sur son visage trahissant pourtant quant à elle d’autres desseins que ceux d’un simple et honnête restaurateur. Mais le naturel n’était jamais bien loin, pas vrai. Conscient néanmoins que s’attarder artificiellement dans l’établissement ne servirait leurs intérêt ni à l’un ni à l’autre, Anwar en était rapidement venu au fait, récoltant là aussi un « Avec grand plaisir, inspecteur. » artificiellement coopératif, l’utilisation outrancière de son grade sonnant comme une provocation déguisée, pareille à celle d’un adolescent venant de recevoir un sermon. Faisant signe au bonhomme de passer le premier, Anwar n'avait pas relevé l'échange silencieux entre les deux Strange – sans surprise, la police possédait un dossier presque aussi épais sur l'un et sur l'autre – et fermé la marche pour regagner la rue. Son peu de patience le trahissant, l'américain n'avait pas résisté longtemps avant de faire volte-face pour cracher un « À l’avenir, ne venez plus faire le malin dans mon restaurant, devant mes employés. » excédé. Faisant mine de ne pas s'en émouvoir, Anwar avait fait un signe pour lui signifier qu'il n'avait pas prévu de s'arrêter ici – que Strange cesse de le croire né de la dernière pluie. « Vous savez ce que c'est, passer par la voie hiérarchique c'est beaucoup de blabla pour très peu de résultat. Et je suis du genre pressé. » Alors qu'il lui fasse gré de ses airs de col blanc outré que l'on ne soit pas passé par le biais de son armée de secrétaires pour remonter à lui. « Que voulez-vous ? » Soit, notre ami Mitch n'avait pas toute la journée, comme il tentait de le faire remarquer sans subtilité aucune, mais non sans se permettre un « Laissez-moi devinez, vous êtes du genre impatient ? » narquois le policier avait indiqué la banquette arrière de sa voiture et attendu que le ricain veuille bien y poser ses fesses avant de s'installer derrière le volant. « Il vaudrait mieux pour vous autant que pour moi qu'on ne nous suive pas, alors si vous avez des SMS à envoyer c'est maintenant. » Jetant un œil à son interlocuteur à travers le rétroviseur, le policier avait quitté le bord de trottoir contre lequel il s'était – mal – garé, et attendu le moment où sa voiture avait tourné deux rues plus loin pour consentir à rouvrir la bouche « J'ai entendu dire que vous n'aviez pas encore remis la main sur notre ami commun. » Anwar appuyant sur le qualificatif avec cynisme, le coin de ses lèvres semblait s'être étiré avec mépris. « Mais enfin, j'ai supposé que j'avais meilleur temps à vous poser la question directement. » Pas que l'inspecteur ne remette en doute la fiabilité de ses sources, quelles qu'elles soient ; Mais deux hommes avertis en valaient toujours un, et l'adage était doublement vrai concernant Strange et sa petite entreprise.
Il ne l’aurait bien sûr jamais admis, mais Anwar n’était pas serein à l’idée de se pointer la fleur au fusil sur le territoire de Strange. Ses intentions tout autant que la situation nécessitaient qu’il procède avec précaution, et pourtant à peine passé le pas de la porte la manière dont le molosse du boss avait montré les dents avait poussé le policier à en faire de même pour ne pas se faire bouffer – métaphoriquement, au moins. Rassuré de ne pas avoir eu à insister longtemps pour persuader le Strange de le suivre, le policier avait préféré faire fi de la remarque du bonhomme sur la méthode employée – il n’avait pas de temps à perdre, et en homme résolument occupé le restaurateur devait savoir de quoi il parlait. Mais soit, c’était le jeu, et lorsqu’Anwar s’était vu rétorquer « Je ne souhaite pas dénigrer votre métier, inspecteur, mais dans mon domaine le blabla comme vous dites, n'existe pas, action, réaction, mais bon, nous ne sommes pas fonctionnaire, nous. » il s’était contenté d’un sourire narquois jeté au travers du rétroviseur de la voiture, claquant la portière après s’être assuré que son invité était bien installé. Et par bien il ne parlait pas tant du confort que d’être certain que « Mitch » ne changerait pas d’avis la seconde suivante. Pas né de la dernière pluie pour autant, le policier avait mis en garde son passager quant à la possibilité qu’un de ses sbires se soit mis en tête de les pister : ce n’était pas dans leur intérêt, ni à l’un ni à l’autre. « Ne vous en faites pas … S’ils avaient voulu vous tomber dessus, ils l’auraient déjà fait. » Prenant ses aises dans le véhicule et pianotant à la va-vite sur son téléphone, prouvant ainsi à Anwar que sa mise en garde n’avait pas été inutile, l’homme semblait désireux de compenser sa place de passager en conduisant la discussion à sa manière. Pourtant, passées les quelques minutes ayant été nécessaires au policier pour s’éloigner du quartier de prédilection du bandit, ce fut bien Annie qui brisa le silence et mis les pieds dans le plat de ce qui les amenait ici, dans ce véhicule. Les semaines étant passées sans doute Strange avait-il mis de côté l’éventualité que l’inspecteur adhère à sa proposition – trop sage et trop respectueux de la loi, s’était-il peut-être dit, assez pour que ses principes pèsent plus lourd dans la balance que la volonté de venger un ami qui finalement ne devait pas lui être si cher. Et longtemps Anwar s’était résolu à faire confiance à ses pairs, intimant à Norah d’en faire de même et se plaçant sans le vouloir en porte à faux face à une enquête qui piétinait, qui s’enlisait. Aujourd’hui il n’avait plus le temps d’attendre. Aujourd’hui il devait prendre les choses en main, il le fallait, il avait promis. Et sous ses airs de nonchalance contrôlée, le hors-la-loi admettait à son tour un échec toujours cuisant « Je mène mon enquête, ce genre de pourriture ont une grande facilité à se rendre invisible, mais ce n’est qu’une question de temps. » Conduisant aussi respectueusement que possible du code de la route, un effort qu’il ne fournissait en temps normal que lorsqu’il avait à son bord les enfants de Norah comme il pouvait le faire à l’époque où Tarek rentrait encore dans un siège auto, mais qu’il appliquait ici dans le seul but de ne pas attirer une attention quelle qu’elle soit sur son véhicule, le policier avait à nouveau jeté un œil dans le rétroviseur « Vous semblez en avoir beaucoup à dépenser, pour un non-fonctionnaire. » Du temps, puisqu’il n’était question que de cela, selon ses propres dires. Une manière un peu pompeuse d’admettre qu’il n’était pas plus avancé que lui sur le sujet, et que chacun pataugeait de son côté pour régler un problème commun. « Il y a quand même une question que je me pose … » avait néanmoins repris l’homme, tandis qu’Anwar activait son clignotant et prenait la direction de la zone industrielle et portuaire. « Comment puis-je être sûr de pouvoir vous faire confiance ? » Bien que légitime, la question avait arraché un sourire narquois à Anwar, qui s’amusait qu’un truand parle de confiance quand le principe même de leur existence consistait à duper le système pour s’en accommoder. « Vous ne pouvez pas. » lui avait-il alors rétorqué sans détour, haussant doucement les épaules. « Mais il en va de même pour moi, mes garanties ne sont pas plus solides que les vôtres. Et vous et moi savons très bien que j’ai n’ai pas plus intérêt à être associé à vous, que vous à moi. » Et Strange n’était probablement pas assez stupide pour imaginer un instant que le policier soit là de gaité de cœur, comme s’il ne s’agissait pas de la mesure désespérée allant avec sa situation désespérée. Arrêtant finalement le véhicule contre le trottoir d’une rue déserte, face à ce qui jadis avait dû être une laverie à en juger par l’enseigne poussiéreuse bien que les vitres soient si sales et raturées de tags en tous genre qu’on n’en voyait plus l’intérieur, Anwar avait mis le frein à main et s’était tourné de trois quart pour fixer son passager dans les yeux. « Maintenant, j’admets que je suis curieux de savoir ce que vous entendez au juste par ce genre de pourriture. Si vous commenciez par éclairer ma lanterne. » De son point de vue, piller une planque à biftons du Club ne pouvait être l’œuvre que de deux types de bonhommes : celui sérieux et sûr de ses ambitions, totalement conscient de ce qu’il faisait et de où il le faisait, et dont l’appartenance à une quelconque concurrence ne faisait aucun doute … Ou autre contraire, celui que l’opportunité avait mené là par un hasard de situation qui finalement lui avait échappé, s’inquiétant depuis le fin fond de son trou d’avoir le sang d’un flic sur les mains bien plus que le désir de représailles d’un truand au cul. Anwar était curieux de savoir vers quelle hypothèse penchait la balance du truand en question. « Je suis le seul témoin, rappelez-vous. » qu’il avait finalement ajouté, comme pour ajouter un argument. « Mais ma langue ne se délie jamais sans un minimum de contrepartie. » A la guerre comme à la guerre, enfin.
Maintenant autant que lorsqu’il œuvrait sur l’enquête qui avait envoyé – momentanément – Strange derrière les barreaux, Anwar ne pouvait ignorer que le bonhomme présentait aussi bien qu’il ne réfléchissait. Mais quoi d’étonnant, au fond ? Les vrais truands, ceux qui s’étaient hissés au sommet de leur propre chaîne alimentaire, avaient l’intelligence affutée ; C’était ce qui les rendait dangereux. C’était ce qui leur permettait de donner le change avec tant de facilité, également, et à ce jeu-là Mitchell, son bras droit et frère cadet, et leur précieux bar-restaurant bottaient en touche tels les arbres camouflant la forêt de leur malhonnêteté. « Vous devez savoir que je suis un homme d’affaires, et s’il y a une chose que j’ai appris au fil des années, c’est qu’il faut savoir s’armer de patience. » À ces mots, Anwar ne s’était fendu que d’un fin sourire qui ne méritait aucun commentaire supplémentaire ; Mais quelle douce ironie que de savoir que dans les rangs de la police on s’armait de la même patience pour ce qui était de l’espoir de voir les frères Strange tomber un jour. Couper la tête et cautériser avant qu’il ne puisse en pousser une, deux, ou même trois autres. Une volonté dont l’inspecteur s’éloignait pourtant peu à peu, par la force des choses, et parce que les intérêts qui lui étaient chers avaient migré en des eaux plus troubles où Mitchell Strange n’était plus tant la tête à couper que la main à saisir tant qu’elle lui était tendue … Qu’on ne s’y trompe pas pourtant, Anwar méprisait l’homme pour ce qu’il était et pour ce qu’il représentait. Il ne lui faisait pas confiance et n’attendait pas qu’en face les choses soient différentes : ils restaient l’expression de deux camps opposés, qui se regardaient en chien de faïence tout en sachant qu’ils y trouveraient néanmoins leur compte, au moins jusqu’à ce que leur « ami commun » ne soit identifié. Et après cela … Well, Anwar aurait bien le temps de songer à cela plus tard, en temps et en heures. La voiture immobilisée et les points correctement mis sur les « i » de part et d’autre de l’habitacle, le policier n’avait donc pas perdu plus de temps en jacasseries et en était venu au fait : il n’avait pas toute la journée, et quelque chose lui disait que Strange non plus. Et parce que ce dernier semblait déjà avoir sa propre théorie sur le profil de celui qu’ils recherchaient, l’inspecteur avait creusé dans ce sens et reçu de plein fouet le « Vous êtes un piètre témoin dans ce cas. Je n’étais pas sur place et ça ne m’étonnerait pas que j’en sache bien plus que vous ! » d’abord rétorqué par le gangster. Rongeant son frein, Anwar avait tenté de ravaler sa frustration : pas celle d’être accusé de faire un témoin de mousse, mais celle de savoir que Strange avait raison. « Le hasard n’est pas envisageable, » avait néanmoins rapidement repris ce dernier « ce n’était pas un pillard débutant, mais bien des mecs qui savaient où ils mettaient les pieds. Puis si on y réfléchit cinq minutes, un mec ne sachant pas où il tombait, n’aurait pas disparu sans laisser de traces, du moins c’est ce qu’il se dit et c'est plutôt logique. » Affichant une moue à demi-convaincue, le brun avait fait mine d’admettre qu’effectivement, c’était une possibilité qui se tenait et une hypothèse qu’il ne fallait pas négliger. Pour autant, il n’était pas aussi catégorique que semblait l’être son passager à ce sujet, et lorsque ce dernier avait ajouté « Mais vous en savez peut-être plus, inspecteur. » en prenant ses aises sur la banquette arrière, le policier s’était permis de nuancer d’un ton prudent « Disons que je préfère n’éliminer aucune piste trop prématurément. » Déformation professionnelle, peut-être. « Abattre un flic en laissant un témoin derrière soi par-dessus le marché, ça peut être une raison suffisante de vouloir se terrer dans un trou de souris pour se faire oublier. » Une raison qui, de son point de vue, s’appliquait d’ailleurs plutôt au débutant que l’idée de finir en taule terrorisait qu’au truand confirmé qui avait confiance en sa capacité à ne pas se faire pincer. « Mais les braqueurs d’épiceries agissent rarement seuls, et ils savent à peine viser. Celui-là était soit le pire tireur de l’univers soit un putain de génie capable de jauger quelle partie d’un pare-balles viser pour réussir son coup. » Il y avait un brin d’amertume dans le ton d’Anwar, et le goût qui allait avec sur sa langue, de réduire ainsi la mort de Frank à quelque chose d’aussi trivial. D’en faire subitement un détail dans la recherche d’un coupable prenant subitement des airs de protagoniste principal. « Donc si comme vous dites, ce mec savait où il mettait les pieds, alors il a forcément été rencardé par quelqu’un qui lui a dit qu’il trouverait plus que des cartouches de cigarettes et du whisky bon marché dans l’épicerie. Quelqu’un de chez vous dont vous auriez surestimé la loyauté. » Ou qui s’était senti pousser des ailes sous prétexte que le boss croupissait en taule, sans se douter qu’il en sortirait bien plus rapidement que bon nombre ne l’auraient souhaité. « Osez me dire que dans votre petite entreprise, personne n’a mis les voiles en sentant le vent tourner ? » Malgré la pointe de sarcasme dans sa question, Anwar était persuadé du contraire. Il ne croyait pas à l’adage selon lequel certains truands auraient des principes ou un quelconque code d’honneur, tous ne servaient que leurs propres intérêts, et lorsque l’un d'eux finissait au trou les autres n’y voyaient que le champ libre pour prendre sa place.
Strange n’avait sourcillé qu’un instant, sans qu’Anwar ne puisse avoir la certitude qu’il avait appuyé sur le bon bouton ou si le bonhomme était simplement agacé par ses insinuations. Mais même lorsqu’il lui avait assuré d’un ton qui ne laissait pas place au doute « J’ai confiance en mes hommes, ça serait vraiment con de leur part de s’en prendre directement aux affaires de mon entreprise. » l’inspecteur n’avait pas été entièrement convaincu – parce que c’était simplement l’ordre des choses, lorsqu’on coupait la tête du serpent une autre repoussait presque aussitôt pour prendre sa place, les crocs tous aussi acérés et pleins d’une volonté de prouver leur emprise. Le banditisme avait toujours fonctionné ainsi et Strange serait bien naïf – ou égocentrique – de croire qu’il serait l’exception à cette règle aussi vieille que la civilisation. « Vous savez ce qu’on dit. » qu’avait alors simplement commenté Anwar, haussant les épaules avec calme. « Quand le chat n’est pas là, les souris dansent. » Et on ne lui ôterait pas de l’idée qu’au sein de son « entreprise » certains avaient dû danser autour d’un feu de joie à peine avait-il été mis derrière les barreaux, impatients de jauger quels seraient leurs intérêts personnels à ce nouvel ordre des choses. « Il y a toujours des fuyard et ce dans n’importe quel domaine, mais ils savent très bien que me piller ne serait pas bon pour eux. » Le sourire ayant un quart de seconde découvert les canines du criminel avait provoqué un frisson le long de la colonne vertébrale d’Anwar. Chez lui on punissait à coup de procès et de peines de prison ; Chez les Strange en revanche … on était plus expéditif. « Donc vous ne fermez pas entièrement la porte au fait que ce soit une possibilité ? » avait-il néanmoins repris, en tâchant de ne pas perdre le fil de ce qu’il essayait tant bien que mal de gratter. Mais peut-être parce que piqué au vif à l’idée que l’on veuille incriminer l’un des siens, l’américain avait répliqué de la même manière et utilisé son ton le plus doucereux pour sous-entendre « Mais dites-moi, avez-vous pensé que cette ordure pouvait venir de vos rangs ? Les flics ripoux ne sont pas rares dans le coin et je dis ça je dis rien, mais pour tuer un flic, il faut quand même avoir une certaine expérience. » La mâchoire se serrant avec agacement, Anwar avait lancé un regard noir en direction de son interlocuteur, qui loin d’en avoir fini ne s’était pas fait prier pour poursuivre « Car comme vous dites, un braqueur d’épicerie ne sait pas viser et se lance dans une telle aventure parce qu’il n’a pas le choix, parce qu’il doit de l’argent à quelqu’un, mais ça s’arrête à la caisse, pas à ce qu’il y a derrière, ils sont pas assez intelligents ces gars-là ! » Sur le dernier point, au moins, ils semblaient pouvoir tomber d’accord. Mais sur ce dernier point uniquement, à en juger par la manière dont évoluait la conversation, et lorsque Strange avait poussé le vice jusqu’à sous-entendre « À moins que votre ami n’était pas doué, c’est aussi très répandu dans la police, le manque d’expérience, apparemment. » en affichant jusqu’à l’écœurement cet air triomphant, Anwar avait bondi sur son siège et pointé un doigt menaçant vers son passager faute de pouvoir empêcher la banquette de les séparer « Je surveillerais un peu mieux ce qui sort de ma bouche, si j’étais vous. » Les narines pincées par la colère, elle-même décuplée de savoir que le bonhomme n’attendait que cela et qu’il était en train de lui donner ce qu’il voulait, Anwar avait ravalé sa bile en même temps que ses insultes tandis que l’américain reprenait d’un ton satisfait « Plus sérieusement, ça ne m’étonnerais pas qu’il recommence, il ne s’est pas fait prendre et va se croire malin, l’envie d’avoir plus ne tardera pas à lui pendre au nez. Mais c’est vous l’inspecteur, je pense que vous avez surement dû y penser avant de penser que c’est forcément quelqu’un du Club qui a fait le coup. » Se réinstallant correctement sur son siège, le policier avait réajusté sa casquette en tirant sur la visière, puis lancé un regard à Mitchell depuis le rétroviseur de la voiture « Vous avez une idée du nombre de petits braqueurs du dimanche qu’on m’a demandé d’identifier depuis ce soir-là ? » Bien sûr que non, il n’en avait aucune idée. Parce qu’il se complaisait bien trop dans l’idée que la police était peuplée d’incapables et de tires au flanc pour envisager que le travail puisse avoir été fait sérieusement. « Et Fr- … L’inspecteur Lindley n’était pas visé. C’était le soir d’Halloween, personne ne savait à l’avance sur quel secteur il allait bosser exactement, on n’était même pas censés travailler lui et moi. Y’avait aucun moyen de prévoir qu’on intercepterait l’appel radio et qu’on interviendrait sur cette épicerie. » Une suite de coïncidences aux conséquences désastreuses, voilà quoi se résumait la mort de Frank. Un malheureux hasard, un tragique accident. « Qui que ce soit, celui qui était là ne l’était pas pour nous, il l’était pour ce que vous aviez à cacher dans ce boui-boui. Cogitez un peu là-dessus. » Le regard passant de Strange au piéton venu l’espace d’un instant s’inviter dans l’écran dessiné par le pare-brise arrière de la Ford, l’inspecteur avait jeté un œil vers sa montre ; Il était temps d’abréger. « Je vais me renseigner, essayer de mettre la main sur tous les braquages qui pourraient correspondre et voir si quelqu’un ne nous a pas échappé. Mais il va falloir partir à la chasse aux sorcières de votre côté aussi, je suis pas magicien, et si vous n’avez rien à me donner en échange alors il n’y a pas d’accord qui tienne. » En guise de ponctuation Anwar avait remis le contact et fait ronronner le moteur de la voiture. « Je ne vous propose pas de vous raccompagner, quelque chose me dit que le conducteur de la Merco grise garée cinquante mètres derrière nous depuis un quart d’heure sera ravi de s’en charger. » Plus cent points pour la fidélité au patron, moins soixante-quinze points pour la discrétion. Bonus ou malus éventuel à voir avec le dit patron s’il était bien luné ou non en quittant la Ford du policier.